Un rapport phare du Groupe de la Banque mondiale 92863 v2 Rapport sur le développement dans le monde 2015 Abrégé Pensée, société et comportement GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE Un rapport phare du Groupe de la Banque mondiale Rapport sur le développement dans le monde Abrégé PENSÉE, SOCIÉTÉ ET COMPORTEMENT GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE Cet abrégé présente une vue d’ensemble et la table des matières du Rapport sur le développement dans le monde 2015 : Pensée, société et comportement (doi : 10.1596/978-1-4648- 0342-0). La version intégrale du rapport définitif, une fois publié, sera affichée en format PDF sur le site https://openknowledge.worldbank.org/. Des exemplaires du rapport peuvent également être commandés à l’adresse https://publications.worldbank.org/. Pour toute citation, reproduction et adaptation, veuillez utiliser la version définitive du rapport. © 2015 Banque internationale pour la reconstruction et le développement / Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington, DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 ; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 17 16 15 14 Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale avec la contribution de collaborateurs extérieurs. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données citées dans cet ouvrage. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Rien de ce qui figure dans le présent ouvrage ne constitue ni ne peut être considéré comme une limitation des privilèges et immunités de la Banque mondiale, ni comme une renonciation à ces privilèges et immunités, qui sont expressément réservés. Droits et licences L’utilisation de cet ouvrage est soumise aux conditions de la licence Creative Commons Attribution 3.0 IGO (CC BY 3.0 IGO) http://creativecommons.org/licenses/by/3.0/igo. 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Maquette de couverture et illustrations : George Kokkinidis, Design Language, Brooklyn, New York Table des matières v Avant-propos vii Remerciements 1 Abrégé : Politiques de développement et prise de décision individuelle 5 Trois principes de prise de décision individuelle 13 Action publique et facteurs psychologiques et sociaux 18 Le travail des professionnels du développement 21 Bibliographie Avant-propos Au moment où j’écris ces mots, le monde entier se mobilise pour endiguer l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, une tragédie humaine qui fait des milliers de morts et laisse des familles et des communautés entières en proie à la souffrance. L’épidémie est une tragédie, non seulement pour les personnes directement touchées par la maladie, mais également pour leurs voisins et  leurs compatriotes. Et les effets comportementaux indirects de la crise qui l’accompagne — ralentissement de l’activité économique, baisse des salaires et renchérissement des prix des produits alimentaires — vont davantage compliquer l’existence de millions de personnes qui connaissent déjà une pauvreté extrême dans cette partie du monde. Certains de ces effets comportementaux ne peuvent être évités. Ebola est une terrible maladie, et les quarantaines et autres mesures de santé publique sont des composantes nécessaires de la riposte. En revanche, il apparait clairement que les réactions comportementales que nous observons, non seulement en Afrique de l’Ouest, mais partout dans le monde, sont en partie engendrées par la stigmatisation, l’ignorance des modes de transmission de la maladie, un excès de panique et d’autres illusions et biais cognitifs. Malheureusement, nous avons déjà vécu cela avec le VIH/SIDA et les épidémies de SRAS et de grippe H1N1. Et nous allons sans doute le revivre lorsque nous commencerons à préparer les prochaines épidémies. Les sociétés ont une tendance à l’oubli et les responsables politiques se concentrent en général sur les risques les plus importants du point de vue social, qui ne sont pas toujours ceux qui engendrent des flambées épidémiques. Compte tenu de ces risques, le Rapport sur le développement dans le monde de cette année — Pensée, société et comportement — ne saurait être plus opportun. Il en ressort principalement que lorsqu’il s’agit de comprendre et changer le comportement humain, nous pouvons faire mieux. Bon nombre d’économistes et de professionnels du développement soutiennent que les éléments « irrationnels » de la décision humaine sont insondables ou se neutralisent mutuellement quand un grand nombre de personnes interagissent, comme sur les marchés. Pourtant, nous savons aujourd’hui qu’il n’en est pas ainsi. De récents travaux de recherche ont permis d’améliorer notre compréhension des influences psychologiques, sociales et culturelles sur la prise de décisions et le comportement humain et démontré que celles-ci ont un impact considérable sur les résultats au plan du développement. Ces travaux montrent également qu’il est possible d’exploiter ces influences pour atteindre des objectifs de développement. Le Rapport dévoile un nombre impressionnant de résultats. Il montre qu’une analyse approfondie de la façon dont les individus prennent des décisions peut mener à de nouvelles interventions qui aident les ménages à épargner plus, les entreprises à accroître leur productivité, les populations à réduire la prévalence des maladies, les parents à améliorer le développement cognitif des enfants et les consommateurs à économiser l’énergie. La promesse de cette approche de la prise de décision et du comportement est énorme et son champ d’application extrêmement vaste. Je vais m’attarder sur quelques points. Premièrement, cette approche a des répercussions sur la prestation de services. Des études montrent que de légères différences de contexte, de commodité et de visibilité ont une incidence considérable sur des choix cruciaux, comme envoyer un enfant à l’école, se prémunir contre une maladie ou constituer une épargne en vue de démarrer une activité économique. Cela signifie que les professionnels du développement doivent s’intéresser non seulement aux interventions nécessaires, mais également à la façon dont celles-ci sont exécutées. Ce qui, par voie de conséquence, suppose que les organismes d’exécution consacrent plus de temps et de ressources à  l’expérimentation, à l’acquisition de connaissances et à l’adaptation durant le cycle d’intervention. Deuxièmement, à mesure que les risques et les effets du changement climatique se précisent, nous devons utiliser tous les moyens à notre disposition pour y faire face. Le Rapport décrit comment, en plus des impôts et des subventions, des connaissances comportementales et sociales peuvent nous y aider. Il s’agit de reformuler les messages de façon à mettre en relief les bienfaits v vi Avant-propos visibles et tangibles de la réduction des émissions et d’utiliser des normes sociales pour réduire la consommation d’énergie, des réseaux sociaux pour susciter la volonté d’agir au niveau national et des analogies pour aider les populations à comprendre les prévisions météorologiques. Troisièmement, les professionnels du développement et les responsables politiques sont, comme tout être humain, sujets à des biais psychologiques. Les gouvernements et les institutions internationales, notamment le Groupe de la Banque mondiale, peuvent appliquer des mesures visant à atténuer ces biais, comme étudier de façon plus rigoureuse les mentalités des personnes que nous essayons d’aider et mettre en place des procédures permettant de réduire l’effet des biais sur les délibérations internes. L’épidémie d’Ebola montre clairement que les risques d’incompréhension et d’erreurs de communication peuvent avoir de graves répercussions. S’il peut être logique de mettre des personnes infectées en quarantaine, essayer d’isoler des nations ou des groupes ethniques entiers constitue une violation des droits humains et risque en fait de nuire aux efforts de lutte contre l’épidémie. Le Rapport sur le développement dans le monde de cette année explore les moyens de s’attaquer à ces défis de l’heure, ainsi qu’à d’autres, et dévoile un nouveau chantier important que la communauté du développement devra engager à l’avenir. Jim Yong Kim Président Groupe de la Banque mondiale Remerciements Ce Rapport a été préparé par une équipe dirigée par Karla Hoff et Varun Gauri. L’équipe se composait en outre de Sheheryar Banuri, Stephen Commins, Allison Demeritt, Anna Fruttero, Alaka Holla et Ryan Muldoon, avec des contributions de Saugato Datta, Elisabeth Beasley, Anne Fernald, Emanuela Galasso, Kenneth Leonard, Dhushyanth Raju, Stefan Trautmann, Michael Woolcock et Bilal Zia. Les analystes-recherche Scott Abrahams, Hannah Behrendt, Amy Packard Corenswet, Adam Khorakiwala, Nandita Krishnaswamy, Sana Rafiq, Pauline Rouyer, James Walsh et Nan Zhou ont également participé aux travaux de l’équipe, qui ont été menés sous la direction générale de Kaushik Basu et Indermit Gill. L’équipe a reçu des conseils d’un Groupe consultatif composé de Daron Acemoglu, Paul DiMaggio, Herbert Gintis et Cass Sunstein. Stefan Dercon a fait des observations très pertinentes tout au long du processus. Sendhil Mullainathan a fourni de précieuses orientations au stade de la conception du Rapport. Toutes les régions, les réseaux d’animateurs, le groupe de recherche, les pôles de pratiques mondiales, le Groupe indépendant d’évaluation et d’autres unités du Groupe de la Banque mondiale ont grandement contribué à la préparation du rapport. Les économistes en chef et le Conseil de l’économiste en chef de la Banque mondiale ont fait de nombreuses observations constructives. L’équipe tient à remercier de leur généreux appui à la préparation du Rapport le département britannique du développement international (DFID), le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada, le Programme du savoir au service du développement, le Fonds fiduciaire nordique et la Banque mondiale qui lui a fait bénéficier de son budget d’aide à la recherche. L’équipe remercie également le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement et l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ) qui ont organisé conjointement un atelier international sur l’action publique à Berlin, en décembre 2013 à l’appui de la préparation du Rapport. Des consultations se sont tenues avec le Fonds monétaire international, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’UNICEF et plusieurs autres agences des Nations Unies, le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas, la Commission européenne et les agences de coopération pour le développement du Japon (JICA), de la France (Agence française de développement), du Royaume-Uni (DFID) et des États-Unis (USAID). Plusieurs autres organisations ont parrainé des manifestations à l’appui du rapport, notamment : Columbia University, Cornell University, Danish Nudging Network, Experiments in Governance and Politics, Harvard University, International Rescue Committee, Save the Children International, London School of Economics and Political Science, Overseas Development Institute et Behavioural Insights Team du Royaume-Uni. Nancy Morrison a coordonné les travaux d’édition du Rapport. George Kokkinidis a assumé la responsabilité de la conception graphique. Timothy Taylor a fourni de précieux conseils éditoriaux. Dana Lane s’est chargée de la relecture et la correction du Rapport. Le service des publications de la Banque mondiale a coordonné la conception, la mise en page, l’impression et la diffusion du Rapport. L’équipe tient en particulier à remercier Denise Bergeron, Mary Fisk, Patricia Katayama, Stephen McGroarty, Stephen Pazdan et Paschal Ssemaganda, ainsi que Bouchra Belfqih du service de traduction et d’interprétation et son équipe. L’équipe remercie également Vivian Hon, Jimmy Olazo et Claudia Sepúlveda du rôle de coordination qu’ils ont assumé, ainsi que Vamsee Krishna vii viii Remerciements Kanchi, Swati Mishra et Merrell Tuck-Primdahl de leurs conseils en stratégie de communication. Renata Gukovas, Ana Maria Muñoz Boudet, Elizaveta Perova, Rafael Proenca et Abla Safir ont revu certaines des traductions de l’Abrégé. Les activités de production et la logistique du Rapport ont été assurées par Brónagh Murphy, Mihaela Stangu et Jason Victor, avec l’appui de Laverne Cook et Gracia Sorensen. Sonia Joseph, Liliana Longo et Joseph Welch ont assumé la responsabilité de la gestion des ressources. Elena Chi-Lin Lee a aidé à coordonner les opérations de mobilisation des ressources. Jean-Pierre Djomalieu, Gytis Kanchas et Nacer Megherbi ont apporté leur soutien dans le domaine des technologies de l’information. Le Rapport s’appuie sur des documents et des notes de référence préparés par Abigail Barr, Nicolas Baumard, Timothy Besley, Thomas Bossuroy, Robert Chambers, Molly Crockett, Jonathan de Quidt, Philippe d’Iribarne, Lina Eriksson, Maitreesh Ghatak, Javier Guillot, Crystal Hall, Johannes Haushofer, Alain Henry, Pamela Jakiela, Nadav Klein, Margaret Levi, Margaret Miller, Juan Jose Miranda Montero, Ezequiel Molina, Owen Ozier, Gael Raballand, Anand Rajaram, Barry Schwartz, Pieter Serneels, Jennifer Stellar, Michael Toman, Magdalena Tsaneva et Daniel Yoo. L’équipe a bénéficié des conseils d’expert de Yann Algan, Jeannie Annan, Nava Ashraf, Mahzarin Banaji, Abhijit Banerjee, Max Bazerman, Gary Becker, Daniel Benjamin, Cristina Bicchieri, Vicki Bogan, Iris Bohnet, Donald Braman, Colin Camerer, Jeffrey Carpenter, Shantayanan Devarajan, Timothy Evans, Marianne Fay, James Greiner, Luigi Guiso, Jonathan Haidt, David Halpern, Joseph Henrich, Ting Jiang, David Just, Dan Kahan, Ravi Kanbur, Jeffrey Kling, John List, Edouard Machery, Mario Macis, Anandi Mani, Suresh Naidu, Michael Norton, Nathan Nunn, Jacques Rajotte, Todd Rogers, Amartya Sen, Owain Service, Joseph Stiglitz, Jan Svejnar, Ann Swidler et Danielle Valiquette. De nombreuses autres personnes, des services de la Banque mondiale et de l’extérieur, ont fait des observations constructives, fourni d’autres contributions et participé aux réunions de consultation. En dépit des efforts visant à établir une liste exhaustive, il se peut que certains noms soient omis. L’équipe tient à s’en excuser et exprime sa reconnaissance envers tous ceux et celles qui ont contribué au présent Rapport : Dina Abu-Ghaida, Ana Milena Aguilar Rivera, Farzana Ahmed, Ahmad Ahsan, Edouard Al-Dahdah, Inger Andersen, Kevin Arceneaux, Omar Arias, Nina Arnhold, Delia Baldassarri, Luca Bandiera, Arup Banerji, Elena Bardasi, Enis Baris, Antonella Bassani, Andrew Beath, Simon Bell, Robert Beschel, João Biehl, Chris Blattman, Erik Bloom, Zeljko Bogetic, Genevieve Boyreau, Hana Brixi, Stefanie Brodmann, Annette Brown, Busara Center for Behavioral Economics, Alison Buttenheim, Susan Caceres, Oscar Calvo-Gonzalez, Robert Chase, Nazmul Chaudhury, Dandan Chen, Laura Chioda, Ken Chomitz, Luc  Christiaensen, Rafael Cortez, Aidan Coville, Debra R. Cubitt, Stefano Curto, Amit Dar, Jishnu Das, Maitreyi Das, Augusto de la Torre, Chris Delgado, Asli Demirgüç-Kunt, Clara de Sousa, Jacqueline Devine, Eric Dickson, Quy-Toan Do, Christopher Eldridge, Yasser El-Gammal, Alison Evans, David Evans, Jorge Familiar, Sharon Felzer, Francisco Ferreira, Deon Filmer, Ariel Fiszbein, Luca Flabbi, Elizabeth Fox, Caroline Freund, Marie Gaarder, Virgilio Galdo, Roberta Gatti, Patricia Geli, Swati Ghosh, Xavier Giné, Hemam Girma, Jack Glen, Markus Goldstein, Alvaro Gonzalez, Karla Gonzalez, Maria Gonzalez de Asis, Pablo Gottret, David Gould, Margaret Grosh, Pelle Guldborg Hansen, Nina Guyon, Oliver Haas, Samira Halabi, Stephane Hallegatte, Mary Hallward-Driemeier, John Heath, Rasmus Heltberg, Jesko Hentschel, Marco Hernandez, Arturo Herrera, Barbara Hewitt, Jane Hobson, Bert Hofman, Stephen Hutton, Leonardo Iacovone, Elena Ianchovichina, Alain Ize, Emmanuel Jimenez, Peter John, Melissa Johns, Sandor Karacsony, Sachiko Kataoka, Lauren Kelly, Stuti Khemani, Igor Kheyfets, Arthur Kleinman, Jeni Klugman, Christos Kostopoulos, Sumir Lal, Somik Lall, Daniel Lederman, Alan David Lee, Arianna Legovini, Philippe Le Houérou, Victoria Levin, Jeffrey Lewis, Evan Lieberman, Kathy Lindert, Audrey Liounis, Gladys Lopez-Acevedo, Luis-Felipe Lopez-Calva, Augusto Lopez- Claros, Xubei Luo, Ashish Makkar, Ghazala Mansuri, Brendan Martin, Maria Soledad Martinez Peria, Gwyneth McClendon, Mike McGovern, Miles McKenna, David McKenzie, Julian Messina, Francesca Moneti, Jonathan Morduch, Juan Manuel Moreno Olmedilla, Ed Mountfield, Masud Mozammel, Margaret Anne Muir, Florentina Mulaj, Cyril Muller, Carina Nachnani, Evgenij Najdov, Ambar Narayan, Christopher David Nelson, Quynh Nguyen, Son Nam Nguyen, Dan Nielson, Adesinaola Michael Odugbemi, Pedro Olinto, Daniel Ortega, Betsy Paluck, Aaka Pande, Valeria Perotti, Kyle Peters, Josefina Posadas, Gael Raballand, Martín Rama, Biju Rao, Francesca Recanatini, Thomas Rehermann, Melissa Rekas, Dena Ringold, Halsey Rogers, Mattia Romani, Onno Ruhl, James Rydge, Seemeen Saadat, Gady Saiovici, Claudio Santibañez, Indhira Santos, Remerciements ix Robert Saum, Eva Schiffer, Sergio Schmukler, Pia Schneider, Andrew Schrank, Ethel Sennhauser, Katyayni Seth, Moses Shayo, Sudhir Shetty, Sandor Sipos, Owen Smith, Carlos Sobrado, Nikola Spatafora, Andrew Stone, Mark Sundberg, Bill Sutton, Jeff Tanner, Marvin Taylor-Dormond, Stoyan Tenev, Hans Timmer, Dustin Tingley, Laura Tuck, Tony Tyrrell, Hulya Ulku, Renos Vakis, Tara Vishwanath, Joachim von Amsberg, Adam Wagstaff, Lianqin Wang, Clay Wescott, Josh Wimpey, Noah Yarrow et Renee Yuet-Yee Ho. Abrégé 1 ABRÉGÉ Politiques de développement et prise de décision individuelle Abrégé Politiques de développement et prise de décision individuelle Nous aspirons tous à gouverner notre vie, et bon nombre adaptées au corps humain et à ses capacités cognitives. de politiques de développement visent à fournir aux Aujourd’hui, les cockpits d’avion contiennent moins populations des économies à revenu faible ou inter- d’instruments qu’il y a quelques dizaines d’années, car médiaire les moyens et les informations dont elles ont la conception des tableaux de bord est basée sur une besoin tout au long de leur existence. Mais si cette compréhension plus profonde des processus cognitifs démarche est souvent bonne, elle ne suffit pas toujours. humains (Wiener et Nagel, 1988). L’exemple des pilotes d’avion peut nous permettre de Le titre de ce Rapport, Pensée, société et comportement, comprendre pourquoi. Vers le milieu du XXe siècle, une renvoie à l’idée qu’en analysant la manière dont les quantité d’instruments de bord ont été mis au point afin êtres humains pensent (les processus de pensée) et dont de faciliter le travail des pilotes. Or, dans les années  80, l’histoire et le contexte influent sur la pensée (l’influence la multiplication des progrès technologiques et des de la société), il est possible d’améliorer la conception et informations supplémentaires ont eu l’effet inverse de la mise en œuvre des interventions et des politiques de ce que les ingénieurs avaient escompté : au lieu d’aider développement qui font appel à des choix et des actes les pilotes à gouverner leur appareil, les cockpits des individuels (comportement). Autrement dit, les politiques avions étaient devenus des environnements de plus en de développement doivent être repensées avec le souci d’une prise en compte attentive des facteurs humains. Ce Rapport s’emploie à intégrer les découvertes récentes Ce Rapport vise à motiver et guider les sur les ressorts psychologiques et sociaux du comporte- ment afin qu’elles puissent être utilisées plus systéma- chercheurs et les praticiens qui peuvent tiquement par les chercheurs comme par les praticiens dans les communautés du développement. Il s’appuie sur contribuer à l’élaboration d’un nouvel les résultats de recherches actuelles dans de nombreuses disciplines, dont les neurosciences, les sciences cognitives, ensemble d’approches du développement la psychologie, l’économie comportementale, la sociologie, les sciences politiques et l’anthropologie. Ces  travaux aident à expliquer les décisions que les individus prennent prenant en compte plus complètement sur de nombreux aspects du développement tels que l’épargne, l’investissement, la consommation d’énergie, les influences psychologiques et sociales. la santé, ou l’éducation des enfants. Les résultats obtenus permettent également de mieux comprendre la manière dont les comportements collectifs – par exemple un plus complexes, générateurs de stress voire d’angoisse climat général de confiance ou au contraire de corrup- pour les pilotes. Les taux d’erreurs de pilotage augmen- tion   – se développent et deviennent ancrés dans une tèrent. Il fut donc décidé de faire appel à des experts en société. Les constats dressés valent pour les habitants des ingénierie des facteurs humains – une activité pluridis- pays en développement, mais aussi pour les profession- ciplinaire fondée sur l’idée que la prise de décision est le nels du développement, eux-mêmes sujets à l’erreur dans produit d’une interaction entre l’esprit et le contexte. La des contextes décisionnels complexes. cabine de pilotage fut repensée dans l’optique d’accorder Cette approche enrichit la panoplie d’outils et de une grande attention à la manière dont les informations stratégies utilisables pour faire avancer le développement étaient regroupées et présentées, afin qu’elles soient et lutter contre la pauvreté. La force de la science écono- Abrégé 3 mique classique est de placer la pensée et la motivation humains pensent et décident vraiment. Les ingénieurs, des êtres humains dans une « boîte noire », simplifiant les entreprises privées et toutes les personnes engagées ainsi volontairement « le fonctionnement interne confus dans le marketing de près ou de loin s’intéressent depuis et mystérieux des acteurs » (Freese, 2009, 98) en se longtemps aux limites inhérentes des capacités cogni- servant de modèles qui posent souvent comme hypothèse tives humaines, au rôle que les préférences sociales et le que les individus étudient tous les coûts et les bénéfices contexte jouent dans nos prises de décision et à l’utilisa- possibles du point de vue de leur intérêt personnel tion de raccourcis cognitifs et de modèles mentaux pour avant de prendre une décision raisonnée et rationnelle. filtrer et interpréter les informations. La communauté du Cette vision des choses peut être intéressante et utile, développement doit faire de même. mais elle a aussi ses limites dans un certain nombre de Les données dont on dispose sur la prise de décision situations en laissant de côté les influences psycholo- dans des contextes de pays en développement sont giques et sociales sur le comportement. Les individus encore insuffisantes, et de plus amples études sont ne sont pas des machines à calculer. Ce sont des acteurs nécessaires pour confirmer bon nombre des implications malléables et soumis à des émotions, dont les décisions qui commencent à se profiler en termes de politique sont influencées par des signaux contextuels, des normes publique. Néanmoins, ce Rapport vise à motiver et sociales et des réseaux sociaux locaux, et des modèles guider les chercheurs et les praticiens qui peuvent mentaux communs – autant de paramètres qui inter- contribuer à découvrir les possibilités et les limites d’un viennent dans ce que les individus perçoivent comme nouvel ensemble d’instruments. Par exemple, est-ce souhaitable, possible ou même « imaginable » pour qu’une simplification de la procédure d’inscription à leurs vies. Les nouveaux outils fondés sur cette prise en un programme d’aide financière peut augmenter le compte totale des facteurs humains ne remplacent pas les taux de participation ? Modifier la période d’achat des approches actuelles qui cherchent à agir sur les motiva- engrais pour qu’elle coïncide avec les rentrées d’argent tions personnelles et intéressées des individus, mais ils des récoltes va-t-il accroître l’utilisation de ces produits  ? les complètent et les améliorent. Les coûts associés à ces Peut-on changer l’opinion d’un individu sur ce qui est nouvelles approches peuvent être minimes lorsqu’il possible dans la vie et sur ce qui est « bien  » pour une s’agit de modifier légèrement l’existant, par exemple, société en lui donnant à voir des personnes susceptibles changer le moment où des transferts monétaires ont de servir de modèles  ? Des campagnes de marketing lieu, étiqueter quelque chose différemment, simplifier visant à instaurer une norme sociale de conduite au volant la procédure d’accès à un service, mettre en place des responsable peuvent-elles réduire les taux d’accident de rappels, activer une norme sociale latente ou mettre en la circulation  ? Est-ce qu’en donnant des informations retrait une identité dévalorisée. Dans d’autres cas, c’est sur la consommation d’énergie de leur voisins, on peut à une manière totalement nouvelle de comprendre et de amener les gens à faire des économies d’énergie ? Comme combattre la pauvreté qu’elles nous invitent. ce Rapport s’emploie à le montrer, les nouvelles réflexions Ces approches sont déjà largement répandues dans sur les facteurs humains dans la cognition et la prise de les entreprises privées, qui mettent souvent beaucoup décision indiquent clairement que la réponse est oui (voir d’énergie à comprendre le comportement des clients respectivement Bettinger et al., 2012 ; Duflo, Kremer et dans leurs environnements naturels. Lorsqu’une entre- Robinson, 2011 ; Beaman et al., 2009 et 2012 ; Habyarimana prise lance un nouveau produit, que ce soit un paquet et Jack, 2011 ; Allcott, 2011 ; Allcott et Rogers, 2014). de céréales, un dentifrice ou un téléphone portable, elle À partir des centaines de travaux empiriques relatifs arrive sur un marché concurrentiel où de petites diffé- à la prise de décision individuelle sur lesquels repose ce rences de facilité d’utilisation ou de satisfaction du client rapport, trois principes ressortent qui donnent la direction peuvent être cruciales pour le succès ou l’échec du produit. à suivre pour définir de nouvelles manières de comprendre Durant la phase de conception, intensive et interactive, le comportement et de concevoir et mettre en œuvre des l’entreprise réalise d’importantes études qualitatives et politiques de développement. Premièrement, les individus quantitatives sur ses clients afin de comprendre des déter- établissent la plupart de leurs jugements et de leurs minants du comportement apparemment accessoires choix automatiquement et non pas de façon réfléchie : et pourtant décisifs : quand et où les clients prennent-ils c’est ce que nous appelons « la pensée automatique ». habituellement leur petit déjeuner ? À la maison, à  leur Deuxièmement, la façon dont les individus agissent et travail, à l’école, dans le bus, dans le train, ou en voiture ? pensent dépend souvent de ce que font et pensent les Quelle signification sociale est attachée au repas ? Met-il personnes de leur entourage : c’est ce que nous appelons en jeu des rituels affectionnés ? Est-il pris en public ou « la pensée sociale ». Troisièmement, au sein d’une société plutôt dans l’intimité ? Le changement de comportement donnée, les individus partagent une même vision du sens doit-il être coordonné entre plusieurs personnes ou du monde qui les entoure et d’eux-mêmes : c’est ce que peut-il être individuel ? Ces exemples peuvent paraître nous appelons « la pensée par modèles mentaux ». insignifiants comparés aux problèmes auxquels les Pour illustrer l’importance de ces trois types de pensée pouvoirs publics et les organisations internationales pour le développement, examinons deux problèmes très sont confrontés dans les pays en développement. Ils sont répandus dans tout le monde en développement (ainsi néanmoins porteurs d’une leçon importante : lorsqu’il en que dans beaucoup de pays à revenu élevé) : le faible taux va de la santé de l’entreprise, les concepteurs des produits d’épargne individuelle et le degré élevé d’endettement commencent à  regarder de très près comment les êtres des ménages. Une bonne part de la politique économique 4 Rapport sur le développement dans le monde 2015 repose sur l’hypothèse que, pour faire progresser les taux été invités à regarder une heure de vidéos comprenant d’épargne, il faut augmenter le taux de rendement pour quatre documentaires stimulants sur des habitants de les épargnants. En réalité, le comportement d’épargne leur région qui racontaient comment ils avaient réussi dépend aussi de facteurs autres que les variables habi- à améliorer leur situation socioéconomique en se fixant tuelles des prix, des revenus et de la réglementation, des objectifs et en travaillant beaucoup. Six mois plus notamment les pensées automatiques en réponse à la tard, les ménages qui avaient regardé les vidéos avaient formulation et à la perception des choix, la tendance épargné une plus grosse somme d’argent et avaient générale à respecter les normes sociales, et les modèles investi davantage dans l’éducation de leurs enfants, en mentaux sur la place de l’individu dans la vie. Des expé- moyenne. Les études ont montré que les vidéos avaient riences réalisées sur le terrain au Kenya, en Afrique du augmenté les aspirations et les espoirs des personnes Sud et en Éthiopie démontrent l’importance de ces trois qui les avaient regardées, en particulier concernant les principes face à un problème de développement majeur. études futures de leurs enfants (Bernard et al., 2014). Au Kenya, de nombreux ménages disent qu’ils n’ont L’étude illustre la capacité d’une intervention à modifier pas assez d’argent pour investir dans des produits de un modèle mental – la croyance qu’un individu a de ce santé préventifs, comme des moustiquaires imprégnées qui est possible dans le futur (Bernard et Taffesse, 2014). d’insecticide. Pourtant, en donnant à des familles une L’idée que l’étiquetage, les personnes « modèles » et boîte en métal verrouillable, un cadenas et un carnet les aspirations puissent influer sur l’épargne n’est pas sur lequel elles inscrivaient simplement le nom d’un incompatible avec l’idée que les individus réagissent de produit de santé préventif, des chercheurs ont augmenté manière prévisible à des variations de taux d’intérêt ou l’épargne, et les investissements dans ces produits ont de prix ou à d’autres incitations. Les nouvelles approches progressé de 66-75 % (Dupas et Robinson, 2013). L’idée du ne remplacent pas la science économique classique, mais programme était que, bien que l’argent soit fongible – et elles améliorent notre compréhension du processus de que les liquidités disponibles puissent être dépensées développement et de la façon dont les interventions et n’importe quand – les individus ont tendance à allouer les les politiques de développement peuvent être conçues et fonds par un processus de « comptabilité mentale » dans mises en œuvre. lequel ils définissent des catégories de dépenses et ils Le cadre d’analyse du Rapport Pensée, société et structurent leurs comportements de dépense en consé- comportement fait apparaître de nouveaux outils possibles quence. La boîte en métal, le cadenas et le carnet portant pour atteindre les objectifs de développement, ainsi le nom du produit ont permis aux gens de mettre l’argent que de nouveaux moyens de rendre les interventions dans un compte mental affecté aux produits de santé actuelles plus efficaces. Il apporte de nouveaux points préventifs. L’intervention a marché parce que la compta- d’entrée pour l’action publique et de nouveaux outils que bilité mentale est une situation où les individus pensent les praticiens peuvent exploiter pour réduire la pauvreté souvent «  automatiquement », et c’est un exemple d’un et accroître la prospérité commune. Ce Rapport analyse effet plus général de cadrage ou d’étiquetage par lequel comment le fait de prendre en compte plus complètement le fait de classer quelque chose dans une catégorie influe les facteurs humains dans la prise de décision permet de sur la manière dont il est perçu. mieux connaître de nombreux domaines : la perpétuation Les programmes traditionnels d’initiation financière de la pauvreté, le développement du jeune enfant, les dans les pays à faible revenu ont donné peu de résultats finances des ménages, la productivité, la santé et le (Xu et Zia, 2012). En revanche, l’idée utilisée récemment changement climatique. Le cadre d’analyse employé et de en Afrique du Sud d’enseigner des notions de finance par nombreux exemples du Rapport montrent combien les le biais d’un feuilleton télévisé amusant a permis d’amé- obstacles qui pèsent sur la capacité des individus à traiter liorer les choix financiers des individus. Les messages les informations et la façon dont les sociétés influent sur financiers étaient transmis à travers le personnage les mentalités peuvent être des sources de handicap pour principal du feuilleton, présenté comme un « panier le développement, mais aussi qu’ils peuvent être changés. percé ». Les ménages qui avaient regardé le feuilleton Les trois façons de penser mises en relief dans ce pendant deux mois avaient moins de probabilités de Rapport s’appliquent de la même manière à tous les êtres parier dans des jeux d’argent et de s’endetter lourdement humains, qu’ils soient pauvres ou riches, qu’ils aient fait en achetant des biens à crédit (Berg et Zia, 2013). Les des études ou non, qu’ils vivent dans des pays très ou personnages du feuilleton ont déclenché une réponse peu développés. Dans ce Rapport, de nombreux exemples émotionnelle chez les téléspectateurs, ce qui a rendu ces observés dans des pays à revenu élevé démontrent derniers plus réceptifs aux messages financiers qu’ils ne l’universalité des facteurs psychologiques et sociaux l’auraient été avec des programmes d’initiation financière qui influencent la prise de décision. Le Rapport met en classiques. Le succès de l’intervention s’explique par la évidence les limitations cognitives des individus de tous pensée « sociale » – la tendance que nous avons à nous les milieux, y compris des membres du personnel de la identifier aux autres et à apprendre des autres. Banque mondiale (voir « Spotlight 3 » et le chapitre  10). En Éthiopie, les individus défavorisés expriment Les professionnels du développement eux-mêmes pensent souvent des sentiments de faible autonomie psycholo- automatiquement, socialement et par modèles mentaux gique, par exemple par des commentaires comme « nous et, de ce fait, il peut leur arriver de mal identifier les causes n’avons pas de rêve ni d’imagination » ou « nous vivons des comportements et de passer à côté de solutions poten- au jour le jour » (Bernard, Dercon et Taffesse, 2011, 1). tielles à des problèmes de développement. Les organisa- En 2010, des ménages sélectionnés aléatoirement ont tions de développement pourraient être plus efficaces si Abrégé 5 les praticiens prenaient conscience de leurs propres biais succinctement. La plupart des individus se voient psychologiques et sociaux et si les organisations mettaient comme des sujets pensant de manière essentiellement en place des procédures pour en atténuer les effets. réfléchie  – mais naturellement ils pensent en général à Les praticiens du développement qui conçoivent des leurs propres processus de pensée de façon automatique politiques publiques doivent adopter une démarche et sous l’influence de modèles mentaux reçus sur ce qu’ils plus empirique et expérimentale pour pouvoir identifier les facteurs psychologiques et sociaux influençant les Encadré O.1 L’évolution de la pensée économique comportements et élaborer des mesures qui fonctionnent avec eux – et non contre eux. Parce qu’une décision sur la prise de décision des individus individuelle est le fruit d’un processus extrêmement complexe, il est très difficile de prévoir comment Depuis les travaux fondateurs d’Adam Smith ([1759, 1776] 1976), les économistes les bénéficiaires d’une intervention vont y réagir. La ont exploré des facteurs psychologiques et sociaux influençant la prise de décision conception et la mise en œuvre des politiques de individuelle. John Maynard Keynes a mis en évidence « l’illusion monétaire » – la développement gagneraient à ce que les déterminants tendance à voir la valeur nominale de l’argent au lieu de sa valeur réelle – et l’a utilisée des comportements (voir « Spotlight 4 ») soient mieux dans sa proposition de solution au chômage. Il a également fait apparaître que bon diagnostiqués et à ce que les fondements des programmes nombre de nos investissements à long terme résultent d’« instincts animaux  » – les soient testés en amont afin qu’il soit possible d’anticiper intuitions et les émotions – et non pas d’un calcul mûrement réfléchi. Gunnar Myrdal a les échecs et de créer des boucles de retour de étudié la stagnation culturelle. Herbert Simon et F. A. Hayek ont fondé une bonne partie commentaires permettant aux praticiens d’améliorer de de leurs travaux sur le constat que les êtres humains ne peuvent traiter qu’une certaine manière continue, par touches successives, le contenu quantité d’informations à la fois et ne sont pas capables de peser soigneusement des interventions. les coûts et les bénéfices de chaque effet possible de leurs décisions. Pour Albert Hirschman, il était utile de rappeler que les individus ont des motivations complexes et Trois principes de prise qu’ils apprécient la coopération et la loyauté. de décision individuelle Cependant, durant une bonne partie du XXe siècle, à travers les travaux de Paul La première partie du Rapport est organisée autour de trois Samuelson et beaucoup d’autres, il y a eu « une tendance constante à  rejeter les principes de prise de décision : la pensée automatique, la éléments hédonistes, introspectifs, psychologiques » (Samuelson, 1938,  344). Milton pensée sociale et la pensée par modèles mentaux. Bien Friedman, dans ses célèbres « Essais d’économie positive » (1953), et d’autres écono- que ces principes soient basés sur des études récentes très mistes ont soutenu avec vigueur dans les années 50, à partir des données disponibles novatrices dans divers domaines des sciences sociales, à l’époque, que les économistes n’avaient pas besoin d’intégrer les facteurs psycho- il convient de souligner que ces nouvelles études, d’une logiques dans leurs prévisions du comportement du marché. L’acteur économique certaine manière, nous ramènent au point de départ de la individuel pouvait être considéré comme un agent impassible, rationnel et uniquement science économique avec Adam Smith à la fin du XVIIIe motivé par son intérêt personnel dans la mesure où les individus ne rentrant pas dans siècle, et à des perspectives qui dominaient au début et au ce schéma seraient exclus du marché par ceux qui se comportaient de cette manière. milieu du XXe siècle (encadré O.1). Dans de nombreux cercles, on en est arrivé à tenir pour acquises les hypothèses du calcul parfait et des préférences fixes et entièrement égocentriques sur lesquelles Premier principe : la pensée automatique reposaient les modèles économiques standard. Selon les hypothèses simplificatrices employées dans Les 30 dernières années de recherches sur la prise de décision dans différentes un certain nombre de modèles économiques, les acteurs sphères des sciences comportementales et sociales ont amené les économistes à  un économiques étudient la totalité des informations et stade où ils mesurent et formalisent les aspects psychologiques et sociaux de la prise des signaux contextuels à leur disposition et regardent de décision que bon nombre d’éminents fondateurs de la science économique jugeaient loin dans le futur pour prendre au moment présent importants. Des études empiriques montrent que les individus ne prennent pas leurs des décisions raisonnées, censées les faire progresser décisions en tenant compte de tous les coûts et de tous les bénéfices attendus. L’être vers les objectifs figés qu’ils se sont fixés à long terme. humain veut se conformer aux attentes sociales. Ses goûts ne sont pas figés ni ne Bien entendu, dans la réalité, les individus ne procèdent changent de manière arbitraire. Les préférences individuelles dépendent du contexte où presque jamais ainsi lorsqu’ils doivent prendre une elles sont invoquées ainsi que des institutions sociales qui ont formé les cadres interpré- décision (voir par exemple Gilovich, Griffin et Kahneman, tatifs à travers lesquels les individus voient le monde (Basu, 2010 ; Fehr et Hoff, 2011). 2002 ; Goldstein, 2009). En général, ils disposent de plus L’économie est donc revenue à son point de départ. Après un répit d’environ 40 ans, d’informations que ce qu’ils peuvent traiter. Il existe une le monde est en train de réinventer une science économique fondée sur une trop grande quantité de façons d’organiser les informations compréhension plus réaliste des êtres humains. Mais cette fois, elle s’appuie sur qui influent sur pratiquement n’importe quelle décision. une importante somme d’informations empiriques – des éléments au niveau micro Ainsi, les psychologues distinguent depuis longtemps provenant de diverses sciences comportementales et sociales. Contrairement à un deux types de processus que les individus utilisent ordinateur, l’esprit humain n’est pas logique, mais psychologique ; il n’est pas rigide, lorsqu’ils pensent : les processus qui sont rapides, automa- mais malléable. Il est certainement rationnel de traiter d’une manière identique des tiques, dénués d’effort et associatifs ; et les processus lents, problèmes identiques, mais souvent les individus ne procèdent pas ainsi ; ils modifient réfléchis, laborieux, séquentiels et réflexifs. Les psycho- leurs choix lorsque la solution par défaut ou l’ordre des choix sont modifiés. Les logues décrivent les deux modes, métaphoriquement, individus font appel à des modèles mentaux qui sont fonction du contexte et de la comme deux systèmes distincts dans le cerveau  : le culture pour interpréter les situations et prendre des décisions fonction du contexte Système 1, le « système automatique », et le Système 2, « le et de la culture. Ce Rapport montre qu’une perspective plus interdisciplinaire sur le système réfléchi » (Kahneman, 2003). Le chapitre 1 traite de comportement humain peut améliorer la capacité prédictive de la science économique cette division plus en détail, mais le tableau O.1 la présente et apporter de nouveaux outils pour les politiques de développement. 6 Rapport sur le développement dans le monde 2015 d’intérêt dépasserait  400 % si on le multipliait sur une Tableau O.1 Les individus ont deux année. Pourtant, les emprunteurs ne sont souvent pas systèmes de pensée conscients du coût réel de ces crédits. Aux États-Unis, des Les individus ont deux systèmes de pensée : le système sociétés de prêt sur salaire accordent des crédits de courte automatique et le système réfléchi. Le système automatique durée à des salariés jusqu’au jour où ils reçoivent leur paye influence presque tous nos jugements et nos décisions. suivante. Le coût du prêt est généralement présenté sous la forme de frais forfaitaires pour chaque prêt – par exemple Système automatique Système réfléchi 15 dollars pour chaque centaine de dollars empruntée sur Examine ce qui vient Examine un vaste ensemble de deux semaines – au lieu d’un taux d’intérêt annuel effectif, automatiquement à l’esprit facteurs pertinents (cadre large) ou du coût total si le prêt était prolongé. (cadre étroit) Une expérience réalisée en conditions réelles aux Ne demande pas d’effort Demande un effort États-Unis a démontré le rôle joué par la formulation en testant une intervention où le coût de l’emprunt était Basé sur les associations Basé sur le raisonnement présenté de manière plus transparente (Bertrand et Intuitif Réflexif Morse, 2011). Un groupe de personnes a reçu l’enveloppe Sources : Kahneman, 2003 ; Evans, 2008. standard de la société de prêt sur salaire, comprenant l’argent liquide et les formulaires à remplir pour le crédit. L’enveloppe indiquait le montant dû et la date d’échéance, sont et sur la manière dont l’esprit humain fonctionne. En comme au panneau a de la figure O.2. Un autre groupe a réalité, le système automatique influence la plupart de nos reçu une enveloppe d’argent liquide qui indiquait aussi jugements et de nos décisions, souvent beaucoup, voire le cumul des frais en dollars si le crédit était prolongé totalement. La plupart du temps, une grande majorité pendant trois mois, en le comparant aux frais facturés d’individus ne sont pas conscients de quantités d’éléments pour un emprunt du même montant avec une carte de qui influencent leurs décisions. Une personne qui pense crédit (figure O.2, panneau b). Les personnes qui avaient automatiquement à un moment donné peut faire ce qu’elle reçu l’enveloppe dans laquelle les coûts du crédit étaient estime elle-même être des erreurs importantes et systé- reformulés en montants cumulés en dollars avaient 11 % matiques ; c’est-à-dire qu’une personne peut se retourner de probabilités en moins d’emprunter à une société de prêt sur les choix qu’elle a faits en pensant automatiquement sur salaire dans les quatre mois suivant l’intervention. et regretter de ne pas avoir pris d’autres décisions. L’étude illustre une conséquence essentielle du chapitre 1, à Le mode de pensée automatique nous conduit à savoir que le fait de modifier légèrement les informations simplifier les problèmes et à les voir dans un cadre étroit. fournies et la forme sous laquelle elles le sont peut aider Nous complétons les informations manquantes à partir les individus à prendre de meilleures décisions. des suppositions que nous faisons sur le monde et nous évaluons les situations en nous fondant sur des Second principe : la pensée sociale associations venant automatiquement à l’esprit et sur des Les individus sont des animaux sociaux qui sont systèmes de croyance que nous prenons pour acquis. Ce influencés par des préférences sociales, des réseaux faisant, nous pouvons mal interpréter une situation, de la sociaux, des identités sociales et des normes sociales : même façon qu’une personne qui regarde un square par la plupart des gens se soucient de ce que les personnes une petite fenêtre peut croire qu’elle se trouve dans un autour d’eux font et de la façon dont ils s’intègrent dans lieu plus bucolique (figure O.1). leur groupe, et imitent le comportement des autres Le fait que les individus pensent automatiquement presque automatiquement (figure O.3). Beaucoup d’indi- a d’importantes conséquences pour comprendre les vidus ont des préférences sociales pour l’équité et la réci- problèmes de développement et élaborer les meilleures procité et ont un esprit de coopération. Ces traits peuvent mesures pour y remédier. Si les responsables publics produire des effets collectifs à la fois bons et mauvais ; les révisent leurs hypothèses sur le degré de réflexion des sociétés où règne un haut niveau de confiance, comme individus lorsqu’ils doivent prendre une décision, ils celles où la corruption est répandue, nécessitent une pourront peut-être concevoir des interventions telles qu’il quantité importante de coopération (voir « Spotlight 1 »). sera plus simple et plus facile aux individus concernés de Le chapitre 2 est consacré à la « pensée sociale ». choisir des comportements en accord avec les résultats La socialité des êtres humains (la tendance qu’ils ont à se qu’ils recherchent et leur intérêt. préoccuper des autres et à s’associer entre eux) ajoute À titre d’exemple, les responsables publics peuvent aider un degré de complexité et de réalisme à l’analyse de la en accordant beaucoup d’attention à des facteurs comme la prise de décision et du comportement des individus. De formulation des choix et les solutions par défaut – ce que nombreuses politiques économiques partent du principe l’on appelle « l’architecture des choix  » (Thaler et Sunstein, que les individus sont des décideurs autonomes et 2008). La manière dont le coût d’un emprunt est formulé soucieux avant tout de leur propre intérêt, c’est pourquoi peut influer sur le montant d’un prêt à taux d’intérêt elles sont souvent axées sur des incitations matérielles élevé que les individus vont choisir de souscrire. Dans externes, comme les prix. Cependant, la socialité de l’être beaucoup de pays, certaines des personnes les plus pauvres humain a pour conséquence que son comportement considèrent inéluctable de souscrire régulièrement des est également influencé par les attentes sociales, la petits crédits de courte durée sans garantie dont le taux reconnaissance sociale, les schémas de coopération, la Abrégé 7 sollicitude à l’égard des membres de son groupe et les proposé dans huit pays. Il montre que même si la normes sociales. D’ailleurs, la manière dont les institu- proportion entre les « coopérateurs conditionnels » et les tions sont conçues et dont elles organisent les groupes « individualistes » varie selon les pays, les coopérateurs et utilisent les incitations matérielles peut refouler ou conditionnels sont le type dominant dans les huit pays. susciter la motivation à réaliser des tâches coopératives En d’autres termes, la théorie classique du comportement comme la participation au développement local et la économique ne tient dans aucune des sociétés où ce surveillance des écoles. comportement a été étudié (Henrich et al., 2001). Les individus se comportent souvent comme des Les préférences et les influences sociales peuvent coopérateurs conditionnels – c’est-à-dire qu’ils préfèrent mener les sociétés à des schémas collectifs de compor- coopérer tant que les autres coopèrent. La figure O.4 tement qui s’auto-renforcent. Très souvent, ces schémas montre les résultats d’un « jeu sur les biens publics » sont hautement souhaitables, car ils représentent des La pensée automatique nous donne une vision partielle du monde Figure O.1  Pour apprécier une situation et prendre une décision, dans la plupart des cas, nous pensons automatiquement. Nous utilisons un cadre étroit et nous nous servons de suppositions et d’associations par défaut, ce qui peut nous donner une idée fausse de la situation. Même des détails apparemment inutiles sur la manière dont une situation est présentée peuvent influer sur la perception que nous en avons, car nous avons tendance à tirer immédiatement des conclusions à partir d’informations limitées. 8 Rapport sur le développement dans le monde 2015 Figure O.2 La reformulation des décisions à prendre peut améliorer les conditions de vie : le cas du prêt sur salaire a L’enveloppe standard Un salarié qui demande un prêt sur salaire reçoit son argent dans une enveloppe. L’enveloppe standard ne contient qu’un calendrier et la date d’échéance du crédit. b. L’enveloppe qui compare le coût du prêt sur salaire et le coût d’un prêt par carte de crédit Lors d’une expérience réalisée en conditions réelles, des emprunteurs choisis aléatoirement reçoivent des enveloppes indiquant le cumul des frais en dollars si le prêt sur salaire a une échéance de trois mois, comparé aux frais facturés pour un emprunt du même montant avec une carte de crédit. Ce qu’il vous en coûtera si vous empruntez 300 USD PRÊT SUR SALAIRE Carte de crédit (15 USD de frais pour 100 USD empruntés) (pour un taux annuel de 20 %) Si vous remboursez dans : Si vous remboursez dans : 2 semaines 45 USD 2 semaines 2,50 USD 1 mois 90 USD 1 mois 5 USD 2 mois 180 USD 2 mois 10 USD 3 mois 270 USD 3 mois 15 USD Les emprunteurs ayant reçu l’enveloppe précisant le coût des prêts en dollars avaient 11 % de probabilités en moins d’emprunter dans les quatre mois suivants que le groupe ayant reçu l’enveloppe standard. Le nombre de prêts sur salaire a diminué lorsque les consommateurs ont pu réfléchir plus généralement au coût véritable de l’emprunt. Source : Bertrand et Morse, 2011. Abrégé 9 modèles de confiance et de valeurs partagées. Mais dont nous faisons partie, nous tirent vers certains cadres lorsque les comportements de groupe influencent les et schémas de comportement collectif. préférences individuelles et que les préférences indivi- À l’inverse, la prise en compte du facteur humain de la duelles se combinent pour constituer des comportements socialité peut aider à imaginer de nouvelles interventions de groupe, les sociétés risquent aussi de coordonner et à rendre plus efficaces celles qui existent déjà. En leur activité autour d’un thème commun négatif, voire Inde, des chercheurs ont suivi un groupe de clients de destructeur pour la communauté. La ségrégation raciale services de microfinance désignés aléatoirement pour ou ethnique et la corruption en sont deux exemples se rencontrer toutes les semaines au lieu d’une fois par (voir « Spotlight 1 »). Lorsque des « points coordonnés » mois ; ils avaient davantage de contacts sociaux informels qui s’auto-renforcent apparaissent dans une société, ils entre eux deux ans après la fin du cycle de crédit, étaient peuvent être très résistants au changement. Les signi- plus disposés à mutualiser les risques, et avaient trois fications et les normes sociales, et les réseaux sociaux fois moins de probabilités de ne pas rembourser leur Ce que les autres pensent, attendent et font influe sur nos préférences et nos décisions Figure O.3  L’individu est par nature un être social. Nos décisions sont souvent influencées par ce que les autres pensent et font et ce qu’ils attendent de nous. Les autres peuvent nous tirer vers certains cadres et schémas de comportement collectif. 10 Rapport sur le développement dans le monde 2015 deuxième prêt (Feigenberg, Field et Pande, 2013). En habitants ont constitué des réserves d’eau. Se rendant Ouganda et au Malawi, on a constaté que les activités compte du problème, les autorités de la ville ont modifié de vulgarisation agricole donnaient de bien meilleurs leur stratégie de communication, envoyé des bénévoles résultats lorsque les formations faisaient appel à d’autres pour indiquer à la population les mesures d’économie agriculteurs (Vasilaky et Leonard, 2013 ; BenYishay les plus efficaces, et commencé à publier tous les jours et Mobarak, 2014). En général, les individus veulent les consommations d’eau et le nom des personnes qui rembourser leurs prêts et adopter des technologies plus coopéraient ou pas. Le maire est apparu dans un spot performantes, mais ils peuvent avoir du mal à se motiver télévisé en train de prendre une douche avec sa femme, pour le faire. Une intervention peut s’appuyer sur des expliquant que l’on pouvait fermer le robinet pendant que motivations sociales pour les aider à atteindre leurs l’on se savonnait et suggérant de prendre des douches objectifs et protéger leurs intérêts. à deux. Ces stratégies ont renforcé la coopération, et Le cas d’une situation d’urgence survenue à Bogotá, en les habitants ont continué à consommer moins d’eau Colombie, montre qu’une action publique peut avoir un longtemps après la réparation du tunnel. effet positif ou négatif sur les comportements coopératifs Le principe de la pensée sociale a plusieurs consé- selon la manière dont elle est conçue (voir « Spotlight 5 »). quences sur le plan de l’action publique. Le chapitre  2 En 1997, une partie d’un tunnel alimentant la ville en eau étudie l’étendue des incitations économiques et sociales s’est effondrée, provoquant une pénurie d’eau. Le premier possibles dans un monde où la socialité de l’être humain geste de la mairie a été de décréter l’état d’urgence et de constitue un facteur essentiel qui influence notre lancer une campagne de communication pour prévenir comportement ; il montre également comment les les habitants de la crise à venir. Alors que cette mesure institutions et les interventions peuvent être conçues était censée encourager les économies d’eau, elle a eu de manière à  favoriser les comportements coopératifs, l’effet inverse : la consommation d’eau a augmenté et les et comment les réseaux sociaux et les normes sociales Figure O.4 Dans des situations expérimentales, la plupart des gens se comportent comme des coopérateurs conditionnels plutôt que comme des individualistes Le modèle économique standard (panneau a) suppose un comportement individualiste. Les données de l’expérience proprement dite (panneau b) montrent que dans les huit sociétés, la plupart des gens se comportent comme des coopérateurs conditionnels plutôt que comme des individualistes lorsqu’ils jouent au jeu sur les biens publics. Le modèle individualiste n’était soutenu dans aucune des sociétés étudiées. a. Modèle économique b. Données de l'expérience standard 100 Pourcentage de population présentant 90 80 70 le comportement 60 50 40 30 20 10 0 Colombie Viet Nam Suisse Danemark Fédération États-Unis Autriche Japon de Russie Individualiste Coopérateurs conditionnels Source : Martinsson, Pham-Khanh et Villegas-Palacio, 2013. Note : Les autres joueurs ne rentraient dans aucune des deux catégories, ce qui explique que la somme des barres ne fasse pas 100 %. Abrégé 11 orientent le comportement et peuvent servir de base à de leurs communautés – qui sont autant d’exemples de nouveaux types d’interventions. modèles mentaux. Les modèles mentaux influent sur ce que les individus perçoivent et comment ils interprètent ce qu’ils perçoivent, comme le montre la figure O.5. Il existe Troisième principe : la pensée par modèles des modèles mentaux sur le niveau de conversation que mentaux l’on peut avoir avec les enfants, sur les risques à assurer, Lorsque les individus pensent, ils ne recourent sur les raisons d’épargner, sur les caractéristiques du généralement pas à des concepts qu’ils ont inventés climat, ou encore sur les causes des maladies. Beaucoup eux-mêmes. Ils utilisent au contraire des notions, des de modèles mentaux sont utiles ; d’autres ne le sont pas catégories, des identités, des prototypes, des stéréotypes, et contribuent à perpétuer la pauvreté d’une génération des relations causales et des visions du monde issus de à l’autre. Les modèles mentaux proviennent du côté Figure O.5 La pensée a recours à des modèles mentaux Les individus ne réagissent pas à une situation objective, mais à des représentations mentales de la situation. Pour construire leurs représentations mentales, les individus ont recours à des cadres interprétatifs fournis par les « modèles mentaux ». Ils ont accès à de nombreux modèles mentaux, souvent contradictoires. Le fait d’utiliser un modèle mental différent peut modifier ce qu’une personne perçoit et comment elle l’interprète. 12 Rapport sur le développement dans le monde 2015 cognitif des interactions sociales, ce que l’on appelle la caste supérieure alors qu’ils n’étaient pas mélangés souvent « la culture ». La culture influence la prise de aux garçons de la caste inférieure, les garçons de la caste décision individuelle parce qu’elle constitue un ensemble supérieure ont fait moins bien, peut-être parce que cette de systèmes de signification interdépendants que les révélation a déclenché un sentiment de valorisation et individus utilisent lorsqu’ils agissent et font des choix. Ces l’idée que le test était inutile. La simple présence d’un systèmes de signification fonctionnent comme des outils stéréotype peut contribuer à produire des différences qui autorisent et guident nos actions (DiMaggio, 1997). de capacité mesurées, qui peuvent à leur tour renforcer Les modèles mentaux et les croyances et pratiques le stéréotype et servir à justifier la différenciation et sociales deviennent souvent profondément ancrés dans l’exclusion : un cercle vicieux s’installe. les individus. Nous avons tendance à intérioriser certains Trouver des moyens de briser ce cycle pourrait aspects de la société en les considérant comme des beaucoup améliorer les conditions de vie des individus vérités sociales inéluctables, allant de soi. Les modèles marginalisés. D’après des observations réalisées dans mentaux des individus influencent la représentation différents contextes, il semble possible de neutraliser des qu’ils ont de ce qui est juste, de ce qui est naturel et de ce stéréotypes et d’accroître les aspirations en invoquant qui est possible dans la vie. Les relations et les structures des identités positives. Amener les individus à considérer sociales, à leur tour, forment la base du « bon sens », une leurs points forts s’est traduit par une amélioration construction sociale qui représente les informations, les idéologies et les aspirations que les individus tiennent pour acquis et dont ils se servent pour prendre des Figure O.6 Révéler une identité stigmatisée décisions – et qui dans certains cas augmentent les diffé- ou valorisée peut influer sur les performances rences sociales. De nombreux écrits d’anthropologues des élèves et d’autres chercheurs en sciences sociales soulignent Des garçons d’une caste supérieure et d’une caste inférieure que ce que les gens prennent pour des évidences et du habitant des villages en Inde ont été répartis aléatoirement bon sens (leurs modèles mentaux élémentaires de leur dans différents groupes où l’identité de caste était ou non monde et de son fonctionnement) découle souvent de révélée. Dans le groupe où la caste n’a pas été révélée, relations économiques, d’affiliations religieuses et d’iden- l’aptitude des garçons des deux castes à résoudre des labyrinthes était statistiquement indiscernable. Le fait de révéler tités sociales (Bourdieu, 1977 ; Kleinman, 2006). Selon les castes dans les classes où les deux castes étaient mélangées une bonne partie de ces travaux, lorsque des modèles a entrainé une baisse des résultats des garçons de la caste mentaux ont été intériorisés, obtenir un changement inférieure. En revanche, lorsque les castes étaient révélées dans social peut nécessiter d’influer non seulement sur le les classes où les deux castes étaient séparées – un indicateur processus décisionnel cognitif d’individus particuliers, d’appartenance à la classe supérieure – les résultats ont été mais aussi sur les pratiques et les institutions sociales. moins bons à la fois chez les garçons de la caste supérieure et chez ceux de la caste inférieure ; une fois de plus, leurs Le stéréotype est un exemple classique de modèle performances étaient statistiquement indiscernables. mental : c’est un modèle mental de groupe social. Les stéréotypes ont un impact sur les opportunités acces- 7 sibles aux individus et influent sur les processus d’inté- gration et d’exclusion sociale. Du fait des stéréotypes, les personnes appartenant à des groupes défavorisés 6 ont tendance à sous-estimer leurs capacités (Guyon et Nombre de labyrinthes résolus Huillery, 2014) et peuvent même faire moins bien dans des situations sociales où on leur rappelle à quel groupe 5 elles appartiennent. De cette manière, entre autres, les stéréotypes peuvent s’auto-réaliser et renforcer les diffé- rences économiques entre les groupes (voir par exemple 4 Ridgeway 2011 sur les stéréotypes liés au genre). Dans une expérience réalisée en Inde, les garçons 3 d’une caste inférieure arrivaient globalement aussi bien à résoudre des puzzles que les garçons d’une caste supérieure lorsque l’appartenance aux castes n’était pas 2 dévoilée (figure O.6). En revanche, dans les groupes de castes mélangées lorsque les castes des garçons étaient révélées avant le début des exercices, les résultats 1 montraient un écart important (23%) entre les castes en défaveur des garçons de la caste inférieure, en tenant compte d’autres variables individuelles (Hoff et Pandey, 0 2006 et 2014). Mettre en avant les castes auxquelles les Caste Caste révélée, Caste révélée, garçons appartenaient les a renvoyés à leur identité, non identifiée groupes de castes groupes séparés ce qui a eu une incidence sur leurs performances. Les mélangées résultats des garçons de la caste inférieure dévalorisée Caste supérieure Caste inférieure ont diminué par rapport à celles des garçons de la caste supérieure. Lorsque la caste était révélée aux garçons de Source : Hoff et Pandey, 2014. Abrégé 13 des résultats scolaires chez des minorités à risque aux Action publique et facteurs États-Unis, un plus grand intérêt envers des programmes de lutte contre la pauvreté chez les pauvres, et une psychologiques et sociaux probabilité plus élevée de trouver du travail chez les Très souvent, une meilleure compréhension de la prise de chômeurs au Royaume-Uni (Cohen et al., 2009 ; Hall, décision individuelle peut aider les sociétés à atteindre des Zhao et Shafir, 2014 ; Bennhold, 2013). objectifs largement partagés, comme augmenter l’épargne Ces considérations enrichissent la panoplie d’outils des ou améliorer la santé, et permettre ainsi aux individus responsables publics par d’autres voies également. Une de vivre mieux. Le tableau O.2 présente des exemples catégorie d’interventions de plus en plus importante dans d’interventions fondées sur une compréhension plus le domaine du développement fait intervenir les médias. réaliste du comportement humain en prenant en compte Les œuvres de fiction, comme les feuilletons, peuvent les facteurs humains. Exploiter les apports des sciences modifier les modèles mentaux (voir « Spotlight  2  » sur comportementales et sociales modernes peut déboucher l’éducation par le divertissement). Par exemple, dans des sur de nouveaux types d’intervention très efficaces par sociétés à taux de fécondité élevé, on a fait regarder à un rapport à leur coût. groupe de personnes des séries télévisées prenantes sur Mieux comprendre le comportement humain peut des familles ayant peu d’enfants ; les taux de fécondité ont améliorer les politiques de développement. Alors que la diminué dans ce groupe de personnes (Jensen et Oster, première partie du Rapport est structurée suivant les 2009 ; La Ferrara, Chong et Duryea, 2012). principes du comportement humain, la deuxième partie Les modèles mentaux communs sont vivaces et est organisée par problème de développement et illustre peuvent exercer une influence majeure sur les choix comment ces principes peuvent s’appliquer à un certain individuels et les effets sociaux cumulés. Dans la nombre de domaines de politique publique. mesure où les modèles mentaux sont dans une certaine mesure malléables, les interventions peuvent les cibler Pauvreté pour promouvoir des objectifs de développement. Les La pauvreté ne désigne pas seulement un manque de individus ont de nombreux modèles mentaux différents ressources matérielles, mais également un contexte et concurrents auxquels ils peuvent faire appel dans dans lequel des décisions sont prises. Elle peut imposer n’importe quelle situation ; celui qu’ils vont utiliser aux individus une charge cognitive telle qu’il leur est est celui que le contexte va activer. Les politiques qui particulièrement difficile de penser de manière réfléchie confrontent les individus à de nouvelles façons de penser (Mullainathan et Shafir, 2013). Les personnes qui doivent et à d’autres manières de voir le monde peuvent élargir mobiliser beaucoup d’énergie mentale pour simplement l’ensemble de modèles mentaux disponibles et jouer ainsi satisfaire des besoins quotidiens, comme la nourriture un rôle important dans le développement. et l’eau salubre, en ont moins à consacrer à une réflexion Tableau O.2 Exemples d’interventions comportementales très efficaces par rapport à leur coût Intervention Description Résultat Rappels Des SMS ont été envoyés chaque semaine aux patients pour leur Observance d’un traitement médical rappeler de prendre leurs médicaments contre le VIH au Kenya. Les rappels hebdomadaires ont amélioré le taux d’observance thérapeutique (de 40 % au départ, il est passé à 53 %). Cadeaux non monétaires De petites récompenses et incitations non financières – comme Taux de vaccination des lentilles et des assiettes en métal – ont été combinées à un Chez les enfants âgés de 1 à 3 ans, les taux de vaccination complète ont dispositif de vaccination fiable au sein de la communauté en Inde. été de 39 % avec les lentilles, contre 18 % dans le groupe ayant seulement bénéficié du dispositif de vaccination fiable. Dans les zones sans intervention, le taux de vaccination complète était de 6 %. Avis au public De petits autocollants ont été placés dans des autobus sélectionnés Accidents de la circulation aléatoirement pour encourager les passagers à interpeler les Les taux de sinistres annuels pour des accidents ont baissé, passant chauffeurs lorsqu’ils conduisaient imprudemment au Kenya. de 10 % à 5 %. Produits plus pratiques Des distributeurs de chlore ont été mis à disposition gratuitement Adoption de la chloration à utiliser à des sources d’eau locales, et des agents ont été recrutés pour Le taux d’adoption a été de 60 % dans les foyers possédant un aller dans les habitations inciter les ménages à traiter leur eau distributeur, contre 7 % dans le groupe de contrôle. au chlore au Kenya. Messages stimulants On a présenté à des ménages pauvres des vidéos montrant des Aspirations et investissements gens comme eux qui avaient échappé à la pauvreté ou amélioré Les aspirations pour les enfants ont augmenté. Le total de l’épargne leur situation socioéconomique en Éthiopie. et des investissements dans les études avait augmenté après six mois. Calendrier des transferts Une partie d’un transfert monétaire conditionnel était Scolarisation dans l’enseignement supérieur monétaires automatiquement épargnée et versée en une fois au moment où les Le taux de scolarisation a augmenté l’année scolaire suivante, et il n’y familles devaient décider d’inscrire les enfants à l’école en Colombie. a pas eu de baisse de la fréquentation durant l’année. Sources : Pop-Eleches et al., 2011 ; Banerjee et al., 2010 ; Habyarimana et Jack, 2011 ; Kremer et al., 2009 ; Bernard et al., 2014 ; Barrera-Osorio et al., 2011. 14 Rapport sur le développement dans le monde 2015 approfondie que ceux qui, simplement parce qu’ils vivent Développement de l’enfant dans une région dotée d’infrastructures et d’institutions Des niveaux de stress élevés et une stimulation de qualité, peuvent se consacrer à investir dans une socioémotionnelle et cognitive insuffisante dans la entreprise ou à participer à des réunions de commissions petite enfance, généralement associés à la pauvreté, scolaires. Les pauvres sont donc parfois contraints peuvent compromettre le développement du mécanisme de faire encore plus appel au processus de décision de décision automatique (l’aptitude à maîtriser le stress automatique que les autres (chapitre 4). par exemple) et du mécanisme de réflexion (la capacité En Inde, par exemple, les producteurs de canne à d’attention). Le chapitre 5 examine ces questions. sucre perçoivent généralement leur revenu une fois par Dans tous les pays étudiés à ce jour, qu’il s’agisse de an, au moment de la récolte. L’écart substantiel entre le pays à revenu faible, intermédiaire ou élevé, on observe revenu dont ils disposent à la veille et au lendemain de dès l’âge de trois ans un écart entre les compétences, la récolte influe sur leurs décisions financières. Juste cognitives et non cognitives, des enfants de ménages avant la récolte, ils auront bien plus probablement situés dans la partie inférieure de la distribution des contracté des prêts et donné en gage une partie de leurs richesses nationales et de ceux de ménages occupant la biens. Ces difficultés financières mettent alors leurs partie supérieure. Cette disparité procède en partie de ressources cognitives à rude épreuve (Mani et al., 2013). problèmes auxquels l’action publique peut remédier. Ils obtiennent de plus mauvais résultats sur les mêmes Le problème concernant la stimulation insuffisante séries de tests cognitifs avant d’avoir perçu le revenu des enfants est particulièrement préoccupant pour les de  leur récolte qu’après – un écart équivalent à quelque pays à faible revenu. Une étude portant sur les soins 10 points de QI. En ce sens, la pauvreté impose une prodigués par les mères à leurs enfants dans 28 pays « taxe cognitive ». en développement a constaté que les activités d’éveil socioémotionnel ne variaient pas sensiblement en fonction du niveau de développement. En revanche, la Les sciences comportementales et stimulation cognitive exercée par les mères est systéma- tiquement inférieure dans les pays dont les indicateurs sociales modernes peuvent inspirer sur les variables économiques, sanitaires et éducatives de l’Indice de développement humain (IDH) des Nations de nouvelles formes d’intervention Unies sont les plus faibles (figure O.7). Dans cette étude, le degré de stimulation cognitive a été mesuré par le susceptibles de présenter un très bon nombre de fois que la personne qui s’occupe de l’enfant lui lit des livres, lui raconte des histoires et lui apprend rapport coût-efficacité. à nommer les choses, à compter ou à dessiner. Quand la stimulation cognitive des nourrissons est faible, les interactions linguistiques dont ils bénéficient sont moins Une politique de développement visant à réduire ou nombreuses et moins complexes, ce qui peut compro- à supprimer la taxe cognitive sur la pauvreté pourrait mettre leur aisance linguistique et leur réussite scolaire tenter de décaler le moment où les décisions critiques sont ultérieures. prises de manière à ce qu’elles n’interviennent pas durant D’après une étude de vingt ans conduite en Jamaïque les périodes où un faible niveau de capacité cognitive et (Gertler et al., 2014), la stimulation dans la prime enfance d’énergie (« bande passante ») est prévisible (en reportant influe considérablement sur la réussite de l’adulte sur par exemple la décision d’inscrire les enfants à l’école le marché du travail. Des agents de santé de proximité à une période où les revenus sont plus élevés), ou d’axer se sont rendus une fois par semaine chez des mères son assistance sur les décisions susceptibles d’exiger pour leur montrer comment jouer et communiquer beaucoup de bande passante (comme le choix d’un régime avec leurs enfants de manière à favoriser leur dévelop- d’assurance-maladie ou l’inscription à un programme pement cognitif et émotionnel. Les enfants sélectionnés d’enseignement supérieur). de manière aléatoire pour participer au programme Les études psychologiques et anthropologiques gagnaient, une fois parvenus à l’âge adulte, un salaire indiquent par ailleurs que la pauvreté produit un modèle supérieur de 25 % à ceux du groupe de contrôle – mental au travers duquel les pauvres se voient et voient pourcentage suffisant pour combler l’écart de revenu avec leurs possibilités. Elle peut notamment émousser la une population non défavorisée. capacité à imaginer une vie meilleure (Appadurai, 2004). Les données montrent également que les interventions Situation financière des ménages et politiques qui modifient ce modèle mental de manière Il est difficile de prendre des décisions financières à permettre aux individus de prendre plus facilement avisées. Cela suppose que les individus prennent conscience de leur propre potentiel – ou qui évitent au la juste mesure du coût ultérieur de l’argent, qu’ils moins de rappeler aux pauvres leur dénuement — peuvent tiennent impartialement compte des gains et des pertes, améliorer des résultats fondamentaux du développement résistent à la tentation de trop consommer et évitent de comme les taux de réussite scolaire, de participation au temporiser. De nouveaux éclairages comportementaux marché du travail et d’adoption des programmes de lutte et sociaux mettent en évidence les difficultés que cette contre la pauvreté. démarche comporte, et offrent dans le même temps Abrégé 15 aux responsables publics de nouveaux moyens d’aider personnes à faible revenu ont été invitées à choisir, les individus à prendre des décisions qui servent leurs parmi une liste aléatoire de produits de crédit similaires intérêts et leur permettent de réaliser leurs objectifs à ceux disponibles localement, le meilleur produit de (chapitre 6). prêt de 10 000 pesos (environ 800 dollars) sur un an. L’endettement élevé des consommateurs est souvent Une récompense leur était offerte si elles identifiaient le le fruit d’un mode de pensée automatique, qui veut que produit le moins coûteux. Comme l’indique le panneau les individus attachent beaucoup plus d’importance à la a de la figure O.8, 39 % seulement des personnes ont été consommation courante moyennant un emprunt qu’à la en mesure d’identifier ce produit après consultation des perte de consommation qui interviendra ultérieurement, brochures publiées par les banques à l’intention de leur quand ils devront rembourser le prêt. Certains types de clientèle, mais elles ont été beaucoup plus nombreuses réglementation financière peuvent les aider à formuler (68 %) à pouvoir le faire d’après un récapitulatif fonctionnel leurs décisions d’emprunt dans un cadre plus large, établi par le Bureau national de crédit à la consommation qui ne se limite pas à la consommation immédiate. (figure O.8, panneau b). Ces réglementations les aident à prendre des décisions Un autre jeu d’interventions a porté sur l’épargne. financières qu’ils auraient probablement privilégiées s’ils Certains programmes ont aidé les individus à atteindre avaient réfléchi de manière analytique et non automatique. leurs objectifs d’épargne au moyen de rappels ciblés. Une expérience conduite auprès d’une population Une série d’études conduites en Bolivie, au Pérou et aux à faible revenu au Mexique montre comment les Philippines montre que l’envoi régulier de messages contraintes de bande passante peuvent limiter le simples rappelant aux personnes qu’elles doivent écono- traitement de l’information financière par les individus miser améliore les taux d’épargne conformément aux (Giné, Martinez Cuellar et Mazer, 2014). À Mexico, des objectifs qu’elles se sont fixés (Karlan, Morten et Zinman, Figure O.7 Les activités d’éveil cognitif varient davantage d’un pays à l’autre que les activités socioémotionnelles Les activités d’éveil cognitif, qu’illustrent les barres foncées, sont généralement beaucoup plus répandues dans les pays occupant un rang élevé dans l’Indice de développement humain que dans ceux classés dans les rangs inférieurs, bien que les différences entre pays soient faibles en ce qui concerne les activités socioémotionnelles (barres claires). La hauteur des barres où figurent des bébés indique le nombre moyen d’activités d’éveil cognitif signalées par les parents dans les pays figurant dans les parties inférieure et supérieure de l’indice. Activités d’éveil cognitif Activités d’éveil socioémotionnel Classement inférieur dans l’IDH Classement intermédiaire dans l’IDH Classement supérieur dans l’IDH 3 Nombre moyen d’activités d’éveil 2 1 0 Togo Gambie Côte d’ivoire Guinée-Bissau République centrafricaine Sierra Leone Thaïlande Belize Jamaïque République arabe syrienne Mongolie Viet Nam Ouzbékistan Kirghizistan Tadjikistan Yémen Ghana Bangladesh Monténégro Serbie Bélarus Macédoine Albanie Kazakhstan Bosnie-Herzégovine Source : Bornstein et Putnick, 2012. Note : Les graphiques à barres indiquent le nombre d’activités d’éveil cognitif signalées par les mères au cours des trois jours précédents et se fondent sur des données comparables de 28 pays en développement figurant dans l’Indice de développement humain des Nations Unies (IDH). Trois catégories d’activités ont été mesurées : lire des livres à l’enfant, lui raconter des histoires et nommer les objets, compter et dessiner avec lui. 16 Rapport sur le développement dans le monde 2015 Productivité Figure O.8 La simplification d’un formulaire peut La pensée automatique, la pensée sociale et penser avec aider les emprunteurs à trouver un produit de prêt les modèles mentaux influent aussi considérablement plus intéressant sur la motivation des travailleurs et les décisions Des habitants à faible revenu de la ville de Mexico ont été invités à choisir le prêt d’investissement des agriculteurs et des entrepreneurs le moins coûteux parmi cinq produits proposant 800 dollars (10 000 pesos) (chapitre 7). Même quand les incitations financières pour une échéance d’un an. Les bonnes réponses pouvaient être récompensées. sont fortes, les individus ne déploient pas toujours En utilisant la description des produits fournie par les banques, à peine 39 % autant d’efforts qu’ils le prévoyaient, à moins que ou d’entre eux ont pu déterminer lequel était le moins onéreux. En se fondant jusqu’à ce que l’échéance ou le jour de paie approche. Par sur une fiche de synthèse plus facile à comprendre, 68 % ont été en mesure exemple, les salariés peuvent parfois agir dans un cadre de le faire. Chaque individu a examiné un ensemble différent de cinq produits de pensée limité en organisant leur travail du moment, représentatifs de la répartition réelle des produits de prêt offerts par les banques à Mexico. et donc manquer leurs propres objectifs (ce qu’on désigne autrement par hiatus entre intention et action). a. Brochures des banques b. Fiche de synthèse L’écart entre intentions et actions a inspiré une intervention qui offrait à des opérateurs de saisie en Inde la possibilité d’opter pour un contrat en vertu duquel chacun d’eux pouvait se fixer pour objectif un nombre de champs correctement saisis. Si l’opérateur réalisait son objectif, il était payé au tarif normal à la pièce, mais dans le cas contraire, il était payé à un tarif inférieur. Dans les cas où les individus sont capables de concrétiser leurs intentions, ce type de contrat ne présente aucun avantage parce que les travailleurs n’augmentent pas leur salaire s’ils remplissent leur objectif, mais le diminuent dans le cas contraire. Mais s’ils sont conscients d’un écart entre leurs intentions et leurs actions, le contrat avec engagement peut servir une finalité utile. Comme l’effort a un coût dans le présent, et qu’il est récompensé à terme, les individus risquent de consacrer moins de temps à leur travail que leur esprit délibératif ne le voudrait. Le contrat avec engagement les incite à travailler plus dur qu’ils ne le feraient peut-être au moment où le travail doit être exécuté. Dans l’exemple ci-dessus, un tiers des opérateurs ont choisi le contrat avec engagement – ce qui indique 39 % des personnes ont su identifier 68 % des personnes ont su identifier l’existence d’une demande en ce sens chez certains. Leur le produit de prêt le moins onéreux le produit de prêt le moins onéreux d’après productivité a augmenté d’un volume équivalent à celui d’après les brochures d’information la fiche de synthèse uniformisée des banques qui aurait résulté d’une hausse de 18 % du salaire à la pièce (Kaur, Kremer et Mullainathan, 2014). = 10 personnes La façon dont un salaire identique est présenté peut également agir sur la productivité. Prenons le cas de la rémunération en fonction des résultats des enseignants, Source : Giné, Martinez Cuellar, et Mazer 2014. selon laquelle ces derniers perçoivent en fin d’année une prime qui dépend des résultats ou des progrès scolaires 2012). D’autres programmes ont permis aux individus de leurs élèves. Une intervention de cette nature, conduite d’augmenter leur épargne en proposant des dispositifs dans les quartiers à faible revenu de la ville de Chicago d’engagement en vertu desquels les consommateurs (États-Unis), n’a pas réussi à améliorer les notes des renoncent volontairement à puiser dans leurs économies élèves aux examens (Fryer et al., 2012). Une variante du tant qu’ils n’ont pas atteint le niveau d’épargne visé. programme, en revanche, a modifié le calendrier des Quand des comptes d’épargne sans possibilité de retrait primes et les a présentées sous forme de pertes et non pendant six mois ont été proposés aux Philippines, de gains. Au début de l’année scolaire, les enseignants près de 30 % des personnes à qui ils ont été offerts ont ont perçu une prime d’un montant correspondant à celui accepté cette formule (Ashraf, Karlan et Yin, 2006). Un de la prime moyenne prévue par les administrateurs. an plus tard, le taux d’épargne des personnes qui avaient Si, à la fin de l’année, les résultats de leurs élèves étaient souscrit ces comptes avait augmenté de 82 % de plus que supérieurs à cette moyenne, les enseignants percevaient celui du groupe de contrôle à qui ces comptes n’avaient une prime majorée, mais dans le cas contraire, ils devaient pas été proposés. Ces études et d’autres montrent que rembourser la différence entre la somme perçue en des facteurs psychologiques et sociaux perturbent les début d’année et la prime dont ils auraient bénéficié si décisions financières et que les interventions qui ciblent leurs élèves avaient obtenu des résultats supérieurs à la ces facteurs peuvent aider les individus à réaliser leurs moyenne. Cette formulation de la prime sous forme de objectifs financiers. perte a sensiblement amélioré les notes aux examens. Abrégé 17 Comme le montrent ces exemples, des interventions bien pour un enfant souffrant de diarrhée consiste à réduire conçues, qui tiennent compte des tendances des individus l’absorption de liquides, ce qui est logique si le modèle à penser de manière automatique, sociale, et selon des mental dominant attribue la cause de la diarrhée à une modèles mentaux, peuvent favoriser la productivité. quantité excessive de liquide (de sorte que l’enfant a des « fuites ») (Datta et Mullainathan, 2014). Or, il existe un Santé traitement peu coûteux et extraordinairement efficace Les décisions que les individus prennent concernant leur contre la diarrhée : la thérapie par réhydratation orale santé et leur corps procèdent d’informations multiples, de (TRO). Cette dernière sauve des vies en empêchant la disponibilité et des prix des produits et services de santé, la déshydratation, mais comme elle n’arrête pas les des normes et pressions sociales, des modèles mentaux symptômes de la diarrhée, ses bienfaits sont moins faciles concernant les causes des maladies et de la disposition à percevoir. Le Comité bangladais pour le progrès rural à tester certaines interventions. En tenant compte de a levé les obstacles à l’adoption de la TRO en préparant ce large éventail de facteurs humains, la politique de un programme d’assistance à domicile dans le cadre développement en matière de santé peut dans certains cas duquel des agents sanitaires de proximité enseignaient améliorer considérablement ses résultats (chapitre 8). aux mères à préparer des solutions de TRO chez elles et Prenons le problème de la défécation à l’air libre. leur expliquaient directement l’intérêt de la thérapie. Un milliard de personnes environ la pratiquent dans Cette campagne et d’autres actions de même nature ont le monde. La défécation a été associée à des infections favorisé l’adoption de la TRO au Bangladesh et dans toute infantiles qui ont provoqué des retards de croissance l’Asie du Sud. et, dans certains cas, des décès. Un moyen courant Les projets visant à développer l’utilisation des d’aborder le problème consiste à fournir des informa- produits et des services sanitaires font souvent appel tions et des produits à prix subventionnés – dans ce cas, à des subventions, autre domaine dans lequel les pour construire des toilettes. Néanmoins, même après facteurs psychologiques et sociaux interviennent. Les application de ces mesures, de nouvelles normes d’assai- individus sont parfois disposés à adopter et à employer nissement s’imposent pour mettre fin à cette pratique les produits sanitaires si ces derniers sont gratuits, mais insalubre. Au Zimbabwe, des représentants de l’État ont refusent presque tous de les utiliser quand leur prix est mis sur pied des « clubs de santé communautaires » ne serait-ce que légèrement supérieur à zéro (Kremer et pour créer des structures de proximité qui ont favorisé Glennerster, 2011). Cette attitude tient à ce que les prix des l’adoption collective de nouvelles normes d’assainis- produits sanitaires, outre la somme requise dans le cadre sement (Waterkeyn et Cairncross, 2005). d’une transaction, ont de nombreuses significations. Un Une méthode apparentée à la définition de nouvelles produit gratuit déclenche une réaction émotionnelle et normes qui, d’après des observations ponctuelles, paraît peut véhiculer une norme sociale selon laquelle tout le prometteuse est celle de l’assainissement total piloté monde devrait l’utiliser et l’utilisera. La fixation d’un par la communauté (ATPC). Un élément central de cette prix nul risque cependant de favoriser le gaspillage si approche est la collaboration des responsables de l’ATPC les individus prennent le produit, mais ne l’utilisent avec les membres de la communauté pour établir des pas. Les études conduites à ce propos dans les pays en cartes des habitations et des sites de défécation en plein développement sont récentes, mais le message qui s’en air. L’animateur fait appel à divers exercices pour aider les dégage est que si les produits sont suffisamment utiles habitants à percevoir ce qu’impliquent leurs observations pour être subventionnés, l’établissement d’un prix nul, en termes de propagation des infections et à définir de et pas seulement proche de zéro, peut apporter des nouvelles normes en conséquence. Une étude récente et bénéfices substantiels. systématique de l’ATPC en Inde et en Indonésie apporte Les choix effectués par les prestataires de soins des preuves de son utilité et de ses faiblesses. Partant de dérivent aussi d’un enchevêtrement complexe de niveaux très élevés, les programmes ATPC ont diminué la facteurs, notamment les informations scientifiques dont défécation à l’air libre de 7 % en Indonésie et de 11 % en ils disposent, leur mode et niveau de rémunération et Inde, par rapport aux villages de contrôle. Or, dans les les normes professionnelles et sociales. Pour améliorer endroits où l’ATPC a été associé à des subventions pour la ces choix, il suffit de leur rappeler les attentes sociales construction de latrines, son effet sur la disponibilité de suscitées par leur intervention. En Tanzanie par exemple, toilettes dans les ménages a été nettement supérieur. Ces les médecins en milieu urbain ont sensiblement intensifié observations laissent entendre que l’ATPC peut compléter, leurs efforts après avoir été simplement priés d’améliorer mais ne remplacera peut-être pas les programmes qui leur pratique à l’occasion d’une visite d’évaluation (Brock, fournissent les moyens nécessaires à la construction de Lange et Leonard, à paraître), alors même que cette visite latrines (Patil et al., 2014 ; Cameron, Shah et Olivia, 2013). n’apportait aucune information nouvelle, ne modifiait pas Les modèles mentaux concernant le corps peuvent les incitations et n’avait aucune répercussion concrète. également influer sur les choix et comportements Il n’est certes pas facile d’élaborer et de renforcer les sanitaires. Les croyances relatives aux causes de stérilité, normes professionnelles et sociales en matière de soins, d’autisme et d’autres affections influencent la décision et une solution donnée ne fonctionnera pas partout, des parents de faire vacciner leurs enfants et d’adopter mais il existe de nombreux cas dans lesquels l’impulsion les thérapies appropriées. En Inde, entre 35 et 50 % des politique a modifié les attentes sociales et amélioré les femmes pauvres estiment que le traitement indiqué résultats. 18 Rapport sur le développement dans le monde 2015 Changement climatique deux aspects corrélés de la pratique du développement. La lutte contre le changement climatique est l’un des D’abord, les experts, les responsables politiques et les enjeux décisifs de notre époque. Les pays et les commu- professionnels du développement sont comme tout le nautés pauvres sont généralement plus vulnérables aux monde à la merci des biais cognitifs et des erreurs suscep- effets de ce phénomène et devront en outre assumer des tibles de dériver de la pensée automatique, de la pensée coûts substantiels pendant la transition à une économie sociale et des modèles mentaux. Il leur faut prendre sobre en carbone. Pour combattre le changement clima- davantage conscience de leurs a priori, et les organismes tique, les individus et les sociétés doivent non seulement de développement doivent mettre en œuvre des procé- surmonter des problèmes économiques, politiques, dures visant à les atténuer. Ensuite, des détails de technologiques et sociaux complexes, mais aussi maîtriser conception apparemment anodins ont parfois des effets divers biais et illusions cognitifs (chapitre 9). Les individus déterminants sur les choix et les actions des individus. fondent leur opinion du climat sur leur vécu météorolo- Par ailleurs, des problèmes similaires peuvent avoir des gique récent. Les appartenances idéologiques et sociales causes sous-jacentes distinctes ; les solutions apportées peuvent donner lieu à un biais de confirmation, à savoir à un problème dans un contexte ne fonctionnent pas la tendance des individus à interpréter et à filtrer les forcément dans un autre. La pratique du développement informations de manière à conforter leurs préjugés ou appelle donc un processus itératif de découverte et hypothèses. Les êtres humains sont enclins à ignorer ou à d’apprentissage. De multiples facteurs psychologiques sous-évaluer les informations présentées dans les proba- et sociaux peuvent influer sur la réussite d’une mesure ; bilités, y compris les prévisions de précipitations saison- certains seront connus avant sa mise en application, nières et d’autres variables climatiques. Ils s’intéressent d’autres pas. Un processus itératif d’apprentissage est beaucoup plus au présent qu’à l’avenir ; et bon nombre des donc nécessaire, qui suppose de répartir les ressources pires conséquences du changement climatique pourraient (temps, argent et expertise) sur plusieurs cycles de se manifester dans de nombreuses années. Les êtres conception, d’exécution et d’évaluation. humains ont tendance à éviter d’agir face à l’inconnu. Le biais d’autocomplaisance — la tendance des individus à Professionnels du développement préférer les principes, en matière d’équité notamment, Alors que l’objectif du développement est d’éradiquer la qui servent leurs intérêts — fait obstacle à la conclusion pauvreté, les professionnels ne parviennent pas toujours d’accords internationaux concernant la répartition de la à pronostiquer correctement en quoi la pauvreté façonne charge de l’adaptation au changement climatique et de les mentalités. L’équipe du Rapport sur le développement l’atténuation de ses effets. dans le monde 2015 a mené une enquête aléatoire pour Les nouvelles théories psychologiques et sociales examiner le processus de jugement et de décision chez élargissent aussi la gamme des solutions envisageables le personnel de la Banque mondiale. Alors que 42 % des pour remédier au changement climatique. Une effectifs ont prédit que la plupart des personnes vivant possibilité consiste à encourager de nouveaux modes dans la pauvreté à Nairobi (Kenya) se rangeraient à l’avis de consommation énergétique. Une étude portant sur selon lequel « les vaccins sont dangereux parce qu’ils l’impact de huit mois de rationnement obligatoire de peuvent causer la stérilité », 11 % seulement des pauvres l’électricité au Brésil a montré que cette mesure s’est composant l’échantillon (définis dans ce cas comme le soldée par une réduction persistante de la consommation tiers inférieur de la distribution des richesses de la ville) électrique qui, dix ans après la fin du rationnement, se sont en fait déclarés d’accord. L’enquête a pareillement demeurait inférieure de 14 %. Les informations relatives démontré que le nombre de résidents pauvres de Jakarta au nombre d’appareils électriques possédés par les (Indonésie) et Lima (Pérou) ayant exprimé un sentiment ménages et à leurs habitudes de consommation indiquent de désarroi et d’impuissance face à l’avenir était que la baisse de la consommation tient essentiellement à nettement inférieur au chiffre anticipé. Ce constat incline la modification des habitudes (Costa, 2012). à penser que les professionnels du développement voient Un programme d’économies d’énergie aux États-Unis parfois dans les pauvres des êtres moins autonomes, illustre la façon dont les comparaisons sociales peuvent moins responsables, moins confiants et moins informés aussi influer sur la consommation énergétique. L’entre- qu’ils le sont en réalité. De telles perceptions des prise qui administre le programme, Opower, a envoyé situations de pauvreté déterminent les choix politiques. à des centaines de milliers de ménages des rapports Il convient de confronter les modèles mentaux de la personnalisés qui comparaient leur consommation à celle pauvreté à la réalité (chapitre 10). d’autres habitants du quartier durant la même période. L’enquête a également examiné en quoi les points Cette seule information a entraîné une réduction de 2 % de vue idéologiques et politiques influent sur l’inter- de la consommation énergétique, baisse équivalente prétation des données par les services de la Banque à  celle résultant d’augmentations à court terme de 11  à mondiale. L’équipe a présenté aux personnes interrogées 20  % et d’une hausse à long terme de 5 % des prix de des données identiques dans deux contextes différents et l’énergie (Allcott, 2011 ; Allcott et Rogers, 2014). leur a demandé d’identifier la conclusion qu’elles corro- boraient le mieux. Le premier contexte était neutre sur le Le travail des professionnels plan politique et idéologique : il s’agissait d’une question du développement visant à définir laquelle de deux crèmes de soins pour La prise en considération du facteur humain dans le la peau était la plus efficace. Le second était plus chargé processus de décision et le comportement influe sur sur ces deux plans : il s’agissait de déterminer si les lois Abrégé 19 portant sur le salaire minimum diminuent la pauvreté. le cadre de l’exécution. En tout état de cause, au lieu de L’enquête a conclu que les membres du personnel de la pénaliser l’échec ou de négliger les enseignements à en Banque mondiale étaient plus susceptibles de donner tirer, les organismes de développement doivent recon- la bonne réponse dans le premier contexte que dans le naître que les véritables échecs sont les programmes dont second, bien que les données soient les mêmes dans aucun enseignement n’est dégagé. les deux cas. On serait tenté d’ajouter que ce résultat Pour constater l’utilité de cette approche, examinons le a été observé alors même que de nombreux membres problème de la diarrhée et quelques expériences conduites des services de la Banque mondiale sont des experts au Kenya pour trouver des méthodes économiques d’y chevronnés de la pauvreté, mais en réalité il l’a été préci- remédier (Ahuja, Kremer et Zwane, 2010). La charge sément pour cette raison. Confrontés à un calcul difficile, bactérienne des eaux est en grande partie responsable ils ont interprété les nouvelles données dans la logique de de la charge de morbidité infantile et peut provoquer des leurs appréciations antérieures, dont ils se sentaient sûrs. troubles physiques et cognitifs à vie. Le manque d’accès Cette étude a suivi l’approche mise au point par Kahan à une eau salubre a été incriminé. Une première inter- et al. (2013). vention s’est donc employée à améliorer l’infrastructure Pour parer aux déficiences de jugement naturelles aux sources d’eau des ménages, qui sont des sources des professionnels du développement, on pourrait emprunter certaines méthodes au secteur de l’industrie et les adapter. Le dogfooding est une pratique du secteur Les experts, les responsables politiques technologique en vertu de laquelle les salariés de l’entre- prise utilisent eux-mêmes un produit pour le tester et et les professionnels du développement en découvrir les défauts. Ils corrigent ses imperfections avant de le diffuser sur le marché. Les responsables des politiques publiques pourraient essayer de suivre le sont eux-mêmes à la merci des biais processus d’inscription à leurs propres programmes, ou d’accéder aux services existants de manière à diagnos- cognitifs et des erreurs susceptibles de tiquer directement les problèmes. De même, la pratique du red teaming, utilisée dans l’armée et dans le secteur dériver de la pensée automatique, de la privé, pourrait dévoiler les failles des arguments avancés avant que des décisions majeures ne soient prises et pensée sociale et des modèles mentaux. les programmes élaborés. Elle consiste à demander à  un groupe externe de critiquer les plans, procédures, Il leur faut prendre davantage conscience capacités et hypothèses d’un concept opérationnel, l’objectif étant d’adopter le point de vue de partenaires de leurs a priori, et les organismes de ou d’adversaires potentiels. Le red teaming est fondé sur la notion, issue de la psychologie sociale, selon laquelle développement doivent mettre en œuvre un dispositif de groupe incite les individus à débattre vivement. La délibération en groupe entre des personnes des procédures visant à les atténuer. qui ne sont pas d’accord, mais qui ont pour objectif commun d’établir la vérité permet de répartir effica- cement les tâches cognitives, d’accroître les chances que naturelles. Celles-ci étaient exposées à la contamination, la meilleure idée se dégage, et d’atténuer les effets de la celle des matières fécales de l’environnement immédiat « pensée de groupe ». par exemple. Pour réduire la contamination, les sources ont été recouvertes de béton de manière à ce que l’eau Conception évolutive, interventions s’écoule d’une conduite en surface au lieu de jaillir évolutives directement du sol. Si cette mesure a considérablement Comme plusieurs facteurs concurrents peuvent influer amélioré la qualité de l’eau à la source, elle n’a eu que des sur les décisions dans un contexte particulier, et comme effets modérés sur la qualité de l’eau consommée dans les les professionnels du développement peuvent eux-mêmes ménages, celle-ci étant facilement contaminée à nouveau être victimes de certains préjugés quand ils évaluent une pendant le transport ou le stockage. situation, le diagnostic et l’expérimentation devraient Le problème a donc été redéfini de la façon suivante : s’inscrire dans un processus permanent d’apprentissage les ménages ne traitaient pas correctement l’eau chez (chapitre 11). Les mécanismes institutionnels régissant eux. Un autre cycle d’expériences a démontré que la les études et politiques de développement devraient livraison gratuite de chlore ou l’offre de bons de réduction prévoir les moyens nécessaires pour établir un diagnostic échangeables chez les commerçants locaux se traduisait solide et des boucles de retour efficaces afin d’adapter les dans un premier temps par un taux d’utilisation élevé programmes en fonction des données recueillies pendant du produit, mais ne parvenait pas à pérenniser ce l’exécution. Pour cela, une modification des modèles résultat. Les ménages devaient chlorer l’eau lorsqu’ils la mentaux institutionnels et une plus grande tolérance des rapportaient de la source, et se rendre au magasin pour organismes concernés à l’échec seront éventuellement racheter du chlore quand leur stock initial était épuisé. nécessaires. Souvent, le diagnostic initial est incorrect ou Ces résultats ont permis de reformuler le problème : les partiellement satisfaisant, ce qui n’apparaîtra que dans ménages ne peuvent assurer durablement le traitement 20 Rapport sur le développement dans le monde 2015 de l’eau. Ce diagnostic a conduit à installer des distribu- Avant de lancer des projets destinés à aider les teurs de chlore gratuits à proximité de la source. Cette individus à prendre des décisions, les responsables démarche a conféré au traitement de l’eau une forte publics devraient se poser une question normative  : visibilité (les distributeurs rappelaient aux habitants pourquoi les pouvoirs publics devraient-ils influer qu’il fallait traiter l’eau au moment même où ils la collec- sur les choix des individus ? Comme indiqué au taient) et simplifié la procédure (les gens n’avaient pas à « Spotlight  6  », il y a trois raisons fondamentales. se rendre au magasin et le processus à suivre pour que le Premièrement, en influant sur leurs choix, on peut chlore fonctionne automatiquement – agitation et délai aider les individus à réaliser leurs propres objectifs. Les d’attente – intervenait pendant le trajet de retour). Elle a messages rappelant à des individus absorbés par la vie également fait du traitement de l’eau un acte public, qui quotidienne qu’ils doivent constituer une épargne ou pouvait être observé par quiconque se trouvait près de la prendre leurs médicaments les aident à atteindre des source au moment de la collecte, ce qui a permis le renfor- objectifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés. Les contrats avec cement social du traitement de l’eau. Les distributeurs engagement, que les marchés ne proposent pas en nombre se sont avérés la méthode la plus économique et efficace suffisant, peuvent conforter les décisions d’adopter des de développer le traitement de l’eau et de prévenir les comportements sains. En faisant coïncider la date des incidents diarrhéiques (Abdul Latif Jameel Poverty Action transferts sociaux avec celle du paiement des inscriptions Lab, 2012). scolaires, ou en facilitant l’achat d’engrais à l’époque de la récolte, quand les agriculteurs disposent de liquidités, on peut aider les individus négligents ou manquant de volonté De multiples facteurs comportementaux (c’est-à-dire nous tous) à combler l’écart entre l’intention et l’action. Beaucoup de politiques de développement opérant et sociaux peuvent influer sur la réussite à la frontière de l’économie et de la psychologie peuvent être appréhendées en ces termes. d’une mesure. Un processus itératif de Deuxièmement, les préférences et objectifs immédiats des individus ne favorisent pas toujours leurs propres découverte et d’apprentissage est donc intérêts. Ils pourraient procéder à d’autres choix, plus compatibles avec leurs aspirations les plus élevées, s’ils nécessaire, qui suppose de répartir les avaient plus de temps et une plus grande marge de réflexion. Troisièmement, les pratiques socialement renforcées et les modèles mentaux peuvent faire obstacle ressources (temps, argent et expertise) à des choix qui renforcent l’autonomie et favorisent le bien-être, et empêcher ainsi les individus d’envisager sur plusieurs cycles de conception, même certains modes d’action ; c’est par exemple le cas lorsque la discrimination les conduit légitimement à d’exécution et d’évaluation. entretenir de faibles aspirations. Les autorités doivent intervenir quand un engagement insuffisant, le cadrage situationnel et les pratiques sociales affaiblissent l’auto- De tels résultats, de même que le processus de nomie et créent ou perpétuent la pauvreté. Les acteurs recherche permanente appliqué pour les obtenir, sont du développement affichent certes des divergences d’opi- encourageants, tout comme l’est le constat qu’une prise nions justifiées sur certaines de ces questions et accordent en compte plus complète des facteurs psychologiques un poids différent aux libertés individuelles et aux et sociaux intervenant dans le processus de décision objectifs collectifs, mais les droits de l’homme adoptés et offre des solutions accessibles – à savoir la mise en ratifiés par de nombreux pays peuvent servir de principe œuvre de mesures relativement peu coûteuses qui directeur pour gérer ces arbitrages. obtiennent des résultats relativement importants. Cela Les facteurs psychologiques ou sociaux n’appellent dit, comme de légères modifications de conception et pas tous un renforcement de l’action gouvernementale  ; d’exécution peuvent avoir des conséquences notables sur certains appellent à la diminuer. Les responsables la réussite d’un programme, le processus d’expérimen- politiques étant eux-mêmes susceptibles de biais tation continue revêt une importance cruciale. L’analyse cognitifs, ils doivent rechercher et s’appuyer sur des de données et d’observations de terrain, existantes ou preuves solides de ce que leurs interventions ont les effets nouvelles, produira des hypothèses susceptibles d’éclairer souhaités et permettre au public d’examiner et d’analyser la conception d’interventions éventuelles. Les inter- leurs politiques et interventions, surtout celles qui visent ventions plurielles — qui font varier un certain nombre à influer sur les choix des individus. Cela ne veut pas dire de paramètres, comme la fréquence des rappels, ou la pour autant que lorsque les autorités évitent d’intervenir, méthode de récompense de l’effort — peuvent mettre les individus effectuent des choix libres et cohérents en lumière les mesures les plus efficaces pour réaliser favorisant leur propre intérêt, sans aucune influence l’objectif social visé. Les connaissances acquises durant extérieure. Diverses parties intéressées exploitent leur leur exécution doivent alors être utilisées pour redéfinir, tendance à penser de manière automatique, à succomber rediagnostiquer et refondre les programmes dans le cadre aux pressions sociales et à recourir à des modèles d’un processus d’amélioration permanente (figure O.9). mentaux (Akerlof et Shiller, à paraître), notamment les Abrégé 21 Figure O.9 Comprendre le comportement et identifier des interventions efficaces sont des processus complexes et itératifs Dans le cadre d’une approche qui intègre les aspects psychologiques et sociaux du processus de décision, le cycle d’intervention revêt une forme différente. Des moyens plus importants sont consacrés à la définition et au diagnostic, ainsi qu’à la phase de préparation. Plusieurs interventions sont mises à l’essai durant la période d’exécution, chacune étant fondée sur des hypothèses de choix et de comportements distinctes. L’une des interventions est adaptée et utilisée pour étayer un nouveau cycle de définition, de diagnostic, de conception, d’exécution et de mise à l’essai. Le processus de perfectionnement se poursuit après la transposition de l’intervention à une échelle plus grande. ition et diagnostic ition e t nouveau diagn Défin défin ostic Re n tio pta Ada Conceptio n n et évaluation cutio Exé Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2015. prêteurs sur gages, les publicitaires et les élites de tous Allcott, Hunt. 2011. “Social Norms and Energy Conservation.” bords. Dans ce contexte, l’inaction gouvernementale ne Journal of Public Economics 95 (9): 1082–95. doi: 10.1016/ donne pas forcément à la liberté individuelle la possibilité j.jpubeco.2011.03.003. de s’exercer, mais peut marquer l’indifférence face à la Allcott, Hunt, and Todd Rogers. 2014. “The Short-Run perte de liberté (Sunstein, 2014). and Long-Run Effects of Behavioral Interventions: Ce Rapport a pour ambition d’accélérer le processus Experimental Evidence from Energy Conservation.” d’application des nouvelles découvertes concernant le American Economic Review 104 (10): 3003–37. doi: 10.1257 processus de décision aux politiques de développement. /aer.104.10.3003. Les possibilités et les limites de cette démarche — qui est Appadurai, Arjun. 2004. “The Capacity to Aspire: Culture and fondée sur une conception plus intégrale des individus the Terms of Recognition.” In Culture and Public Action, et reconnaît que des forces psychologiques et sociales edited by Vijayendra Rao and Michael Walton, 59–84. influent sur leur perception, leur cognition, leurs Palo Alto, CA: Stanford University Press. décisions et leurs comportements — ne sont pas encore Ashraf, Nava, Dean Karlan, and Wesley Yin. 2006. “Tying pleinement élucidées. L’étude présentée dans le Rapport Odysseus to the Mast: Evidence from a Commitment porte sur un domaine dynamique, prometteur et évolutif. 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Table des matières du Rapport sur le développement dans le monde 2015 Table des matières Avant-propos Remerciements Abréviations  Abrégé : Politiques de développement et prise de décision individuelle Partie 1 : Mieux comprendre le comportement humain pour assurer le développement économique : un cadre conceptuel 1 Pensée automatique 2 Pensée sociale Spotlight 1 : Quand la corruption est la norme 3 Pensée par modèles mentaux Spotlight 2 : L’éducation par le divertissement  Partie 2 : Action publique et facteurs comportementaux et sociaux 4 Pauvreté Spotlight 3 : Comprenons-nous bien les situations de pauvreté ? 5 Développement du jeune enfant 6 Situation financière des ménages 7 Productivité Spotlight 4 : L’ethnographie pour comprendre le milieu professionnel 8 Santé 9 Changement climatique Spotlight 5 : Promouvoir la conservation de l’eau en Colombie Partie 3 : Améliorer le travail des professionnels du développement 10 Les biais cognitifs des professionnels du développement 11 Conception évolutive, interventions évolutives Spotlight 6 : Pourquoi les pouvoirs publics doivent-ils façonner les choix individuels ? Index ECO-AUDIT Déclaration des avantages environnementaux La Banque mondiale s’attache à préserver Économies réalisées : les forêts menacées et les ressources arbres : 24 •   naturelles. Le Bureau des publications énergie totale : •   a décidé d’imprimer le Rapport sur le 11 millions BTU développement dans le monde 2015 : gaz à effet de serre : •   Pensée, société et comportement — Abrégé 938,03 kg sur papier recyclé constitué à 50 % de fibres eaux usées : •   provenant de déchets de consommation 42 464,749 litres conformément aux normes recommandées déchets solides : •   par l’Initiative Green Press, programme sans 340,65 kg but lucratif visant à encourager les éditeurs à utiliser des fibres ne provenant pas de forêts menacées. Pour en savoir plus, visiter le site www.greenpressinitiative.org. PENSÉE, SOCIÉTÉ ET COMPORTEMENT Il est temps de repenser l’économie et les politiques de développement. Ces dernières décennies, la recherche sur les sciences naturelles et sociales a développé des théories stupéfiantes sur la façon dont les individus pensent et prennent des décisions. Alors que la première génération de politiques de développement posait comme hypothèse que les décisions sont prises de façon délibérative et autonome, selon des préférences logiques et des intérêts personnels, de récents travaux montrent qu’il n’en est presque jamais ainsi : on pense de façon automatique – au moment de prendre une décision, les individus utilisent généralement ce qui vient naturellement à l’esprit ; on pense de façon sociale – les normes sociales influent en grande partie sur notre comportement et bon nombre de personnes préfèrent coopérer tant que les autres coopèrent ; et on pense par modèles mentaux – ce que les individus perçoivent et la façon dont ils interprètent ce qu’ils perçoivent dépendent de visions du monde et de concepts issus de leurs sociétés et d’histoires communes. Le Rapport sur le développement dans le monde 2015 montre de façon concrète comment ces théories s’appliquent aux politiques de développement. Il montre qu’une meilleure compréhension du comportement humain peut aider à atteindre des objectifs de développement à beaucoup d’égards – développement du jeune enfant, situation financière des ménages, productivité, santé et changement climatique. Il montre également qu’une vision plus subtile du comportement humain génère de nouveaux outils d’intervention. En apportant même de légers ajustements au contexte décisionnel, en préparant les interventions sur la base d’une compréhension des préférences sociales et en exposant les individus à de nouvelles expériences et de nouveaux modes de pensée, on peut créer de meilleures conditions de vie. Le Rapport ouvre de nouvelles pistes pour l’action de développement. Il fait valoir que la pauvreté ne désigne pas simplement un manque de ressources matérielles, mais qu’elle se réfère également à une « taxe » sur les ressources cognitives qui a une incidence sur la qualité de la prise de décision. Il souligne qu’au moment de penser, les spécialistes et les responsables politiques sont, comme tout être humain, sujets à des biais psychologiques et sociaux, et que les organismes de développement pourraient tirer avantage de procédures qui améliorent leurs délibérations internes et leur processus décisionnel. Il démontre la nécessité de faire plus de place aux découvertes, à l’acquisition des connaissances et à l’adaptation durant la conception et la mise en œuvre des politiques. Cette nouvelle approche de l’économie du développement recèle d’immenses promesses et son champ d’application est vaste. Le Rapport dévoile un nouveau chantier important pour la communauté du développement. GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE SKU 32880