78406 NOTE DE POLITIQUE NO. 37 MAI 2013 NOTE DE POLITIQUE COMMERCIALE DE L’AFRIQUE Mukhtar Amin et Mombert Hoppe Formalisation des procédures informelles - le commerce transfrontalier entre l'Afrique occidentale et centrale Introduction FAITS MARQUANTS La frontière entre le Cameroun et le Nigeria est aussi la frontière entre l'Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale, et les deux COMMERCE INFORMEL communautés commerciales régionales de la CEDEAO et de la VS. COMMERCE CEMAC. Malgré les tensions politiques dans le passé entre le FORMEL : Nigeria et le Cameroun, il existe un potentiel significatif Les estimations montrent d’échanges entre les deux blocs économiques. Bien que les une divergence statistiques officielles sur le commerce indiquent que les flux impressionnante entre le existants sont faibles, on constate que les flux commerciaux sont commerce officiel et le sous-déclarés jusqu'à un facteur de 50, et que les flux commerce observé, le commerciaux réels sont un multiple de ce que suggèrent les commerce observé données officielles. Une sous-déclaration similaire pourrait mesurant 40 fois les également exister le long d'autres frontières terrestres dans la estimations officielles. région. Cette note présente les principaux obstacles qui entravent le commerce entre le Nigeria et le Cameroun, décrit POINT DE CONTRÔLE les normes pratiques qui ont émergé en réponse à ces ET PAIEMENTS contraintes et recommande des réformes clés à entreprendre TRANSFRONTALIERS : pour les gouvernements. Les paiements informels aux points de contrôle et Le commerce existant et le commerce potentiel aux frontières peuvent représenter plus de 50 % Il est difficile d’avoir une image précise de l’amplitude des des coûts totaux de échanges transfrontaliers dans la plupart des pays en transfert le long du développement. Plusieurs facteurs y contribuent, dont la corridor d'Enugu (Nigeria) faiblesse des institutions étatiques, les pratiques largement - Bamenda (Cameroun). répandues chez les commerçants de sous-déclarer leurs échanges pour éviter des impôts élevés, et la porosité de frontières difficiles à contrôler facilitant la non-comptabilisation du commerce transfrontalier. En conséquence, les statistiques officielles du commerce sont peu fiables et donnent une image très inexacte des flux commerciaux réels. Dans le cas du Cameroun et du Nigéria, les flux commerciaux WORLD BANK bilatéraux officiels enregistrés (hors pétrole) représentent une fraction minime des échanges globaux entre les deux pays. 1| www.worldbank.org/afr/trade En 2010 et 2011, les statistiques commerciales comptabilisées officiellement montrent que les flux commerciaux hors pétrole du Nigéria vers le Cameroun représentaient 1 à 10 millions de dollars US, tandis que le Cameroun exportait environ 10 à 30 millions de dollars vers le Nigéria. Pour mettre ces montants en perspective, il faut souligner que les données commerciales enregistrées ne représentent respectivement que 1,5 % et 0,4 % des exportations hors pétrole du Cameroun et du Nigéria. Toutefois, via un ensemble de techniques destinées à quantifier le commerce transfrontalier réel, un rapport récent estimait que les exportations hors pétrole nigérianes vers le Cameroun étaient de plus de 213 000 tonnes en volume et de 769 millions de dollars US en valeur1. Globalement, ceci témoigne d’une divergence majeure entre les données officielles du commerce et le commerce observé, le commerce observé étant 40 fois supérieurs aux estimations officielles. Il est important de souligner que certaines de ces exportations concernent des marchandises que le Nigéria importe d’autres pays pour les réexporter ensuite vers le Cameroun, une pratique courante en Afrique de l’ouest. Toutefois, nos estimations indiquent que même en excluant les réexportations, la valeur des exportations de biens fabriqués au Nigéria, principalement des cosmétiques et des plastiques ménagers, est de 176 millions de dollars US – soit une estimation plus de 20 fois supérieure aux statistiques d’importations rapportées par le Cameroun. De même, les exportations hors pétrole camerounaises à destination du Nigéria sont imprécises. Nous avons déterminé que le Cameroun exportait environ 160 000 tonnes de marchandises chaque année pour une valeur de 226 millions de dollars US. Les produits d’origine camerounaise, principalement du riz paddy produit dans le nord du pays, du savon, des fruits et légumes représentent 62 millions de dollars US de ces exportations. Si l’on considère que les statistiques officielles excluent les réexportations, nos estimations signifient que les exportations camerounaises sont environ 40 fois supérieures aux statistiques officielles des importations nigérianes en provenance du Cameroun. Notre analyse souligne que les politiques économiques et commerciales de ces deux pays et leur mise en œuvre, risquent d’empêcher l’émergence d’un commerce bilatéral plus important entre eux. Pour les producteurs camerounais, le vaste marché nigérian, avec plus de 158 millions de consommateurs, constitue une opportunité considérable. Du côté du Nigéria, il existe aussi une marge de manœuvre significative pour développer les exportations d’un certain nombre de biens manufacturés produits localement vers le Cameroun. En nous appuyant sur un modèle de gravité, un outil bien connu destiné à analyser l’amplitude des flux commerciaux entre pays, nous avons estimé qu’en 2009, la valeur enregistrée des exportations nigérianes hors pétrole vers le Cameroun représentait moins de 8 % de leur potentiel, tandis que les exportations camerounaises vers le Nigéria constituaient moins de 2 % de leur niveau potentiel. Le ratio entre le commerce potentiel et le commerce réel estimé, qui tient compte du commerce non enregistré, pourrait être plus faible. Néanmoins, il existe toujours un écart considérable, ce qui suggère qu’il existe des coûts significatifs pour les échanges liés aux problématiques frontalières, au transport et aux obstacles au-delà de la frontière. Des transactions commerciales opaques et imprévisibles En analysant les transactions commerciales réelles et le rôle des différentes parties prenantes dans les relations commerciales bilatérales, nous avons constaté que les 1 Trois méthodes d’estimation ont été utilisées : (i) la quantification des stocks dans les principaux marchés ; (ii) la collecte de données commerciales auprès des fonctionnaires des douanes en poste aux points de passage des frontières et ; (iii) l'estimation du nombre et de la taille des camions franchissant les postes frontaliers en utilisant les informations recueillies auprès des opérateurs privés et de leurs agents. 2| www.worldbank.org/afr/trade procédures commerciales étaient fortement opaques et impliquaient de multiples paiements formels et informels. Ces relations, tout comme les barrières commerciales, sont complexes et varient selon un certain nombre de caractéristiques, qui rendent presque impossible de décrire une transaction « standard ». Ainsi, les procédures frontalières et les nombreux obstacles que rencontrent les commerçants diffèrent selon les lieux (caractéristique géographique de la zone frontalière), le climat (variation saisonnière), l’heure, les points de passage des frontières, l’étendue de l’opération, le type de produit et les personnes impliquées. La forme spécifique que prend la transaction commerciale est en fait déterminée au cas par cas à la suite d’interminables négociations contribuant à réduire la transparence, compliquant la planification prospective et augmentant le coût pour de nouveaux entrants sur le marché. Les politiques commerciales demeurent restrictives, les deux pays appliquant chacun la clause de la nation la plus favorisée (NPF) sur leurs importations respectives. Ceci a pour conséquence que les biens nigérians importés au Cameroun supportent en moyenne des droits statutaires de 19,1 % (ainsi qu’une TVA de 17, 5% et autres taxes diverses) — qui correspondant globalement au tarif extérieur commun (TEC) appliqué par la CEMAC. Les importations vers le Nigéria font face quant à elles à des droits statutaires de 11,9 % sur la base du TEC en cours de finalisation de la CEDEAO, auxquels s’ajoute une TVA de 5 %. En outre, il existe des interdictions officielles d’importations pour un certain nombre de produits d’exportation du Cameroun. Ces politiques commerciales ainsi que d’autres réglementations en vigueur, telles que des normes sur les produits, sont inégalement appliquées par la multitude d’agences étatiques présentes aux frontières et dans les points de contrôle le long des corridors de l’arrière-pays. Du côté du Nigéria, elles comprennent la SON (Standards Organization of Nigeria), la NAFDAC (National Agency for Food and Drug Administration and Control), le NAQS (Nigeria Agricultural Quarantine Service), diverses agences de sécurité, des unités anti-drogue et des fonctionnaires issus des gouvernements locaux et de l’immigration. La situation est identique au Cameroun où, aux côtés des douaniers qui officient aux niveaux fédéral et étatique, agissent des unités de contrôle des produits forestiers dépendant du Ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF), l’inspection phytosanitaire rattachée au Département de la Règlementation et du Contrôle de qualité des Intrants et Produits Agricoles du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, les fonctionnaires de l’immigration, les autorités municipales le long du corridor et diverses unités policières et autres organismes. En principe, les organismes d’État sont présents aux frontières afin de promouvoir des objectifs légitimes de politique publique et appliquer les règles existantes. En pratique, à la plupart des points de passage frontaliers, les politiques commerciales officielles ne sont pas mises en œuvre. Au contraire, les procédures appliquées ne sont que partiellement fondées sur les règles et règlementations étatiques existantes. Elles résultent d’un long processus de négociations répétitives entre commerçants et représentants du Gouvernement, qui jugent tous nécessaire d’élaborer des normes hors des règles et règlementations officielles. La façon dont ces normes sont ensuite appliquées dépend d’un équilibre des forces entre les différents acteurs, de leurs options alternatives et certains autres facteurs. Les bureaux de douanes doivent répondre aux objectifs de recettes fixés par l’Administration régionale (ou légèrement les dépasser afin de démontrer leur bonne performance et recevoir éventuellement un bonus), mais perçoivent aussi des paiements informels significatifs pour eux-mêmes. Les acteurs du secteur privé, de leur côté, ont habituellement le choix entre plusieurs itinéraires (et donc plusieurs postes de douane) ou peuvent opter pour le commerce informel et décomposer leur fret en petites cargaisons en les passant clandestinement en moto ou à dos d’âne. 3| www.worldbank.org/afr/trade Un nombre limité de commerçants (ou leurs agents) traverse la frontière de manière répétée. De fait, la relation qu’ils entretiennent entre eux, avec les douanes et autres organismes, peut être décrite comme un jeu répété, résultat d’un mélange de procédures frontalières formelles et informelles. La menace de détourner des flux de biens vers d’autres postes de douanes ou en dehors du circuit formel créé un contre-pouvoir aux autorités douanières et les pousse à limiter le poids des taxes sur les commerçants. De ce fait, les commerçants sont davantage des partenaires que des « victimes » dans cette relation et semblent disposer d’une position avantageuse dans les négociations qui déterminent les montants à payer. D’un autre côté, le manque de transparence dans les procédures formelles et la crainte que les organismes d’État décident d’appliquer les politiques publiques dans leur ensemble à n’importe quel moment créent de l’incertitude (et des coûts) pour les commerçants. Il en résulte un schéma de négociation structuré entre les fonctionnaires des douanes et les commerçants ou leurs représentants. Les commerçants plaident leur cause auprès des douanes au nom de leurs marges limitées et de la pauvreté qui prévaut dans la région. Les fonctionnaires assurent être conscients de ces conditions et ont intérêt à maintenir la fluidité des échanges passant à travers leurs postes de douane pour faire ainsi croître leurs revenus. Un des effets de cet accord tacite, cependant, est que les objectifs de la politique publique, tels que la sécurité alimentaire, ne sont pas atteints puisque les agences gouvernementales se concentrent sur la collecte de recettes (de manière informelle) auprès des commerçants au lieu d’appliquer effectivement les règles. Des mécanismes informels effectifs et officiellement reconnus Pour tenir compte de cette réalité et influencer les résultats de ces arrangements tacites, les bureaux régionaux des douanes dans l’extrême Nord et l’ouest du Cameroun ont édités des directives pour évaluer un minimum de droits collecté par véhicule (du véhicule léger au camion de 22 tonnes) uniquement appliquées sur les frontières terrestres, rendant ainsi les échanges commerciaux terrestres compétitifs par rapport aux importations transitant par les principaux ports du pays. Cet ensemble de valeurs minimales peut servir d’incitateur pour estimer la valeur totale des paiements formels et informels effectués aux frontières terrestres, ceux-ci étant généralement négociés entre fonctionnaires et commerçants, souvent longtemps à l’avance. Une fois un accord trouvé sur le montant total des paiements, les déclarations en douanes sont remplies « à rebours » de façon à calculer la valeur des produits en fonction du paiement final. Par conséquent, les déclarations en douanes apparaissent parfaitement conformes et tous les paiements sont effectués. Nous estimons toutefois que la valeur des marchandises est sous-déclarée d’un facteur allant jusqu’à 50. Les fonctionnaires régionaux des douanes savent que ces valeurs minimales fonctionnent comme des valeurs cibles puisqu’ils les ont récemment réduites pour stimuler le commerce avec le Nigéria. En général, les commerçants payent plus que les valeurs minimales requises par camion, mais significativement moins que les taux de droits statutaires de la CEMAC. Sur la base d’interviews et des formulaires actuels de déclaration auprès des douanes, on estime que le montant des paiements effectués de manière formelle et informelle aux divers organismes douaniers par les commerçants ne représente pas plus de 10 à 20 % des taux de droits statutaires de la CEMAC. Les paiements formels sont inférieurs 4| www.worldbank.org/afr/trade à ce qui est stipulé par les directives régionales douanières, mais la somme de tous les versements informels est nettement supérieure aux droits de douane officiels2. Dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun, les paiements formels comme informels sont déterminés à l’avance pour tous les camions transitant par le corridor principal. Les taxes à la frontière et aux points de contrôles routiers le long du corridor sont fixées habituellement pour toute la saison. Mais si des fonctionnaires des douanes et de la police cherchent à les modifier à la hausse – dans le cas par exemple où l’administration centrale des douanes décide de réajuster les objectifs de recettes pour le passage d’une frontière spécifique par exemple –, ils informent les commerçants de cette intention. Ceci conduit alors à un nouveau cycle de négociations jusqu’à ce qu’un nouveau taux soit accepté par toutes les parties. Ces négociations sont habituellement couvertes par les médias publics. L’environnement commercial conduit à des spécialisations fonctionnelles élevées La plupart des opérateurs engagés dans les échanges commerciaux transfrontaliers entre le Nigéria et le Cameroun sont de petits commerçants, mais il est souvent difficile pour un opérateur individuel de transporter des biens. Typiquement, un camion de 40 tonnes qui circule le long des principaux corridors, transporte des marchandises de près de 100 opérateurs différents. Pour répondre à l’existence de nombreux barrages routiers et de multiples organismes gouvernementaux présents aux frontières, des groupes facilitant les échanges commerciaux ont développé de fortes spécialisations fonctionnelles. Ces groupes incluent les « chargeurs », « escortes », « passeurs » ou autres individus offrant des services spécialisés. Les chargeurs ou les transitaires, habituellement des hommes, s’assurent que les marchandises sont transportées de leur point de collecte jusqu’au marché final. Ils ont une connaissance étendue des processus complexes que nécessite le transport transfrontalier de marchandises. Ils louent les camions nécessaires au transport de biens, négocient les paiements aux points de contrôle et souvent, recrutent des « escortes » qui accompagnent la livraison des marchandises depuis leur premier point de chargement jusqu’à la frontière ou depuis la frontière jusqu’au lieu de livraison. Ces escortes voyagent souvent avec les camions, mais elles les précèdent parfois afin de procéder aux paiements aux points de contrôle sur les routes avant l’arrivée des biens. Dans tous les cas, elles ont la responsabilité de négocier les versements aux points de contrôle successifs établis le long des routes. Les escortes sont relativement répandues sur une partie de la frontière sud qui sépare le Cameroun du Nigéria. Dans le nord, les transitaires incluent la fonction « escortes » dans leurs opérations. Le commissionnaire, ou le courtier en douane, agit à titre d’agent de dédouanement, avec pour responsabilité première la gestion des procédures d’import/export propres au transport de marchandises de part et d’autre de la frontière. Le commissionnaire a tendance à vivre près des zones frontalières, où il entretient des relations nourries avec les multiples fonctionnaires gouvernementaux présents dans les postes-frontières. 2 Par exemple, un directeur des douanes nouvellement arrivé dans un poste frontière a été ouvertement critiqué par ses collègues pour insister sur la perception des droits à l'importation prévus par la loi. Les recettes de ce poste frontière ont chuté de plus de 50 %, tandis que celles des douanes voisines augmentaient en conséquence. Si d’autres raisons peuvent expliquer le déplacement du trafic, cette anecdote démontre que la circulation de biens, dès lors que les taux pratiqués par un poste de douane sont perçus comme trop élevés, se déplace vers d'autres postes de douane. 5| www.worldbank.org/afr/trade Ces prestataires de service spécialisés sont capables de réduire les coûts en négociant les paiements formels et informels à l’avance, compensant ainsi en partie les coûts élevés générés par le manque de transparence. L’accès aux réseaux de ces prestataires de service permet aux commerçants de surmonter certaines des barrières à l’entrée auxquelles ils doivent faire face, telles que l’accès limité à l’information, l’application des contrats et le harcèlement de la part des autorités. Ces réseaux sont largement déterminés par des groupes ethniques dont le rôle dans le commerce est important, mais l’accès y apparaît de fait restreint, les nouveaux opérateurs devant y être introduit par des « initiés ». Le manque de transparence accroît les coûts des échanges. Les prestataires de service spécialisés peuvent réduire ces coûts, collectant ce faisant des rentes, mais l’opacité des procédures rend difficile l’entrée effective de nouveaux acteurs opérant le long de ces routes. Des règlementations et infrastructures défaillantes contribuent à maintenir des coûts de transport élevés. Le prix du transport par tonne-kilomètre le long des principaux corridors est nettement plus élevé que dans d’autres régions. Une des principales raisons à cela tient aux réglementations empêchant efficacement les camions de faire la livraison transfrontalière de marchandises, alors même qu’aucune restriction de jure ne semble exister. Les marchandises sont habituellement déchargées à la frontière, puis rechargées sur d’autres camions dans le pays où elles sont importées. Il en résulte que la manière dont les réglementations actuelles sont appliquées empêche l’émergence de prestataires de services de transport intégrés, augmentant par conséquence les coûts logistiques, en particulier pour les denrées périssables. Les coûts élevés de transport s’expliquent aussi par l’état des routes, particulièrement dans les zones frontalières, qui augmente les coûts réels et génère des opportunités pour extorquer des rentes. Même durant la saison sèche, lorsque l’état des routes (généralement des pistes) est relativement bon, la circulation en direction des frontières est peu fluide. Les pannes de camions sont fréquentes, et les coûts de maintenance élevés deviennent par conséquence la norme. Durant la saison des pluies, beaucoup de ces routes deviennent impraticables. Traverser la frontière peut alors devenir extrêmement contraignant et affecter particulièrement le commerce de denrées périssables. Alors que la plupart des routes est en mauvais état, le principal corridor entre Bamenda et Enugu est en voie de réhabilitation (son achèvement est prévu pour 2014), ce qui pourrait diminuer les coûts de transports supportés par les opérateurs jusqu’à 70 %. Cependant, il sera nécessaire de revoir la réglementation des transports pour favoriser une concurrence accrue le long des corridors et s’assurer qu’une baisse des coûts de transports bénéficie effectivement aux utilisateurs de services de transports. Les coûts de transports sont également élevés le long des corridors en raison du grand nombre de points de contrôle/barrages routiers où des paiements informels sont requis. Les organismes gouvernementaux justifient leur présence sur ces lieux par la prétendue nécessité d’y assurer la sécurité et d’empêcher la circulation illégale de marchandises non autorisées et de personnes. Ils affirment que ces points de contrôle sont nécessaires pour s’assurer que les commerçants s’acquittent des droits à la frontière, et pour intercepter des produits qui auraient échappé aux contrôles au passage des frontières. Toutefois, ces points de contrôles routiers échouent à remplir les objectifs attendus de politique publique puisqu’il suffit que les opérateurs payent davantage de droits de passages informels pour pouvoir passer leurs marchandises. La fréquence des points de contrôles le long des corridors et le montant des paiements réclamés varient de façon importante. Les camions porteurs d’une immatriculation étrangère (dans les cas rares où ils parviennent à passer la frontière) sont soumis à des paiements très élevés aux barrages routiers. Le Tableau 1 montre le nombre de points de contrôle le long 6| www.worldbank.org/afr/trade des principaux corridors, ainsi que la moyenne des coûts associés supportés les transporteurs. Sur la frontière nord, nous avons compté des points de contrôles, en moyenne, tous les 11 kilomètres contre une moyenne de un tous les 15 kilomètres sur le corridor Enugu-Bamenda. Toutefois, les barrages routiers ne sont pas uniformément distribués le long des corridors, leur fréquence s’accentuant à l’approche de la frontière où on en trouve tous les cinq kilomètres, voire moins. Les paiements moyens exigés à chaque arrêt varient aussi significativement en fonction des corridors, allant de 40 dollars sur le corridor Maga-Limani à 169 dollars le long du corridor Garoua-Densa (voir Tableau 1). 3 Tableau 1 : Fréquence des contrôles routiers et coûts associés Nombre de Coût moyen Taille du Distance Corridor points de par camion camion (en Km) contrôle (en dollar US) (en t) Ekok - Mamfé - Bamenda 250 12 633 20 Abonshie-Kombo-Bamenda 220 11 581 20 Maga - Limani 150 13 521 40 Boukoula - Guideré
 80 7 290 40 Demsa - Garoua 45 4 676 40 Onitsha – Mfum 320 25 461 20 Globalement, les coûts informels dans les zones frontalières entre le Cameroun et le Nigéria sont significativement plus élevés à charge équivalente qu’en Afrique de l’Est et que le long d'autres corridors en Afrique centrale. Les paiements informels aux points de contrôles et à la frontière peuvent représenter plus de 50 % des coûts totaux de transferts le long du corridor Enugu (Nigéria) - Bamenda (Cameroun). Une étude récente a conclu que les pots- de-vin représentaient une part des coûts variables totaux allant de 0 à 2 % dans l’Afrique australe et de l’Est, de 6 % en Afrique de l’Ouest mais de 3 à 27% en Afrique Centrale4. Des travaux complémentaires en Afrique de l’Est ont montré que, même en ajoutant les impôts locaux, souvent légaux jusqu’à une certaine limite, le poids des frais informels ne dépassaient pas les 9,7 % des coûts totaux de transfert au Kenya, 3,5 % en Tanzanie et 4,2 % en Ouganda5. Conclusions et recommandations La suppression des obstacles au commerce entre les deux blocs économiques en Afrique de l’Ouest et centrale est d'une importance stratégique pour une intégration économique plus étroite entre les pays de ces deux régions et établir une zone de libre-échange à l'échelle de l'Afrique d'ici 2017, objectif approuvé par les gouvernements africains. L'intégration des différents groupes économiques à travers l'amélioration des infrastructures, un meilleur accès au marché, une plus grande transparence et des procédures frontalières simplifiées, pourrait également accélérer les réformes nationales et les initiatives visant à éliminer les obstacles internes au sein de la CEDEAO et de la CEMAC où les progrès ont été lents. La suppression des obstacles au commerce entre les deux blocs sera particulièrement bénéfique pour les populations vivant dans les zones frontalières. Les zones frontalières au Cameroun et au Nigeria sont relativement éloignées et à l’écart des centres économiques 3 Les données du Tableau 1 « Fréquence des contrôles routiers et coûts associés » ont été collectées dans le contexte de cette étude auprès de chauffeurs de camion durant des séjours au Cameroun entre novembre 2011 et mars 2012. 4 Teravaninthorn et Raballand, 2009, « Transport Prices and Costs in Africa: A Review of the International Corridors ». Banque mondiale, Washington, D.C., USA. 5 Banque mondiale, 2009. « East Africa: A Study of the Regional Maize Market and Marketing Costs ». Rapport nº 49831 AFTAR, Washington, D.C., USA 7| www.worldbank.org/afr/trade dans leurs pays respectifs. Générer des liens entre ces zones relativement isolées peut accroître les choix des consommateurs et permettre aux producteurs de bénéficier de plus grands marchés, d’un meilleur accès aux intrants intermédiaires dont ils ont besoin, et leur permettre de tirer parti des économies d'échelle. Ceci pourrait générer des opportunités significatives de revenus et d'emplois pour les populations des zones frontalières, mais également au-delà. Ceci pourrait également contribuer à faire baisser les coûts des produits clés tels que les aliments de base échangés à travers les frontières, et à assurer un approvisionnement plus fiable et abordable des aliments et d'autres produits essentiels, notamment pour les membres les plus vulnérables de la population. D’importantes réformes de politique sont nécessaires pour le Cameroun et le Nigeria et par extension les régions de la CEDEAO et de la CEMAC pour réaliser leur vaste potentiel commercial. Toutefois, il sera essentiel de veiller à ce que les réformes politiques soient entreprises de telle manière que les coûts globaux des échanges n’augmentent pas à la suite de ces réformes. Ainsi, si les politiques réglementaires devaient être pleinement appliquées, le commerce transfrontalier diminuerait probablement de manière significative. Les paiements pour les importations au Cameroun augmenteraient d'au moins cinq à dix fois, stoppant probablement le commerce transfrontalier, tandis que l'application effective des interdictions d'importation au Nigeria empêcherait l’entrée de produits clés comme le riz. Afin de faciliter les échanges bilatéraux et d'éviter les changements de politique affectant négativement le commerce, il sera donc important de se concentrer sur la formalisation des normes et des modalités pratiques qui existent déjà, tout en éliminant les paiements informels aux frontières et points de contrôle derrière la frontière. En outre, il sera également important d'éliminer les interdictions d'importation existantes au Nigeria. Dans le même temps, les deux pays devraient examiner et rationaliser les procédures frontalières existantes et permettre de déléguer des responsabilités de façon à réduire le nombre d'organismes présents à la frontière. Cela permettrait de réduire le nombre de fonctionnaires interagissant avec les commerçants à chaque transaction et de diminuer les coûts et les délais tout en renforçant l'application des réglementations et exigences visant à la réalisation d’objectifs légitimes de politique publique. Les gouvernements devraient également se concentrer sur la diffusion et l’accessibilité plus aisée à toutes les procédures, aux paiements et aux réglementations pour accroître la transparence aux frontières et réduire les occasions pour les agences frontalières d’extorquer des rentes. Cet examen et la rationalisation des agences et des procédures seront une condition préalable essentielle pour le poste-frontière commun en cours de construction à Ekok-Mfum, sous la supervision des commissions de la CEDEAO et de la CEMAC dans le cadre du projet de réhabilitation du corridor pour la de réduction des délais et des coûts commerciaux. Les investissements d'infrastructures en cours devraient permettre de réduire les coûts de transport que les opérateurs encourent, mais ces investissements d’infrastructures doivent être complétées par des réformes visant à éliminer les paiements informels et autres contraintes réglementaires. Ce point sera important pour maximiser l'impact économique de ces investissements. Une part significative des coûts est encourue aux points de contrôle le long des principaux corridors de transport ; notre analyse montre que l’élimination totale de tous les paiements informels est susceptible de permettre une réduction des coûts globaux du commerce comparables à celle qui résulterait de l'amélioration des infrastructures en cours. Aborder la question des paiements informels, dans la mesure où ceci est faisable politiquement, présente une opportunité d’amélioration rapide et devrait donc être traité comme une priorité. Dans le cadre de l'accord de financement pour la réhabilitation du corridor Bamenda-Enugu, les deux Gouvernements se sont déjà engagés à réduire le nombre de barrages routiers approximativement de trente à deux, mais un plan d’ensemble pour résoudre ce problème est encore nécessaire. Une étape importante consistera à examiner l’économie politique 8| www.worldbank.org/afr/trade expliquant la présence persistante de ces barrages routiers. Une telle initiative devra être complétée par la mise en place d'un système de suivi et d'un mécanisme de règlement des différends impartial et efficace pour que les barrages routiers ne réapparaissent pas une fois que l'attention des décideurs politiques se sera déplacée sur d'autres questions. Des réformes réglementaires supplémentaires visant à accroître la concurrence dans les services logistiques transfrontaliers seront également essentielles pour s’assur er que la réduction des coûts d'exploitation se répercute sur les utilisateurs. Pour ce faire, il sera essentiel d’acquérir une meilleure compréhension de la manière dont l'application des réglementations en vigueur empêche l'émergence de prestataires de services logistiques intégrés et d'examiner comment celles-ci peuvent être révisées pour accroître la concurrence et réduire les prix de transport. Une telle réforme d’ensemble peut à la fois diminuer les coûts globaux des commerçants tout en augmentant les recettes officielles de l'État et réduire le montant des bénéfices que les fonctionnaires recueillent de façon informelle aux frontières et aux barrages routiers. Il est probable que ces mesures rencontreront une forte résistance des acteurs qui bénéficient du contexte commercial incertain qui prévaut à l’heure actuelle, mais la mise en œuvre prudente de ces réformes représente un potentiel d'augmentation notable du commerce tout en contribuant à une amélioration globale de la gouvernance dans les deux pays. Au sujet des auteurs Cette note est tirée d’un rapport de la Banque mondiale qui présentera prochainement une analyse détaillée de la façon dont les échanges transfrontaliers s’opèrent sur le terrain entre le Nigeria et le Cameroun. Mukhtar Amin est économiste à Associates for International Resources and Development de Boston et Mombert Hoppe est économiste du commerce à la Région Afrique à la Banque mondiale. Cette note a été éditée par Paul Brenton et Catherine Sear (Banque mondiale). 9| www.worldbank.org/afr/trade