20888 RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2000 2001 / C O M B AT T R E L A PA U V R E T É Abrégé BANQUE MONDIALE WA S H I N G T O N © 2001 Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale 1818 H Street, N.W., Washington, D.C. 20433, États-Unis d’Amérique Maquette de couverture : Tomoko Hirata. Illustration : « Voyage au nouveau monde » de Manuel Cunjama. Conception et photocomposition : Communications Development Incorporated, Washington. Fait aux États-Unis d’Amérique Premier tirage : septembre 2000 Le présent résumé est extrait du Rapport sur le développement dans le monde, 2000/2001 publié par les Éditions Eska pour la Banque mondiale. Ce rapport est une étude des services de la Banque mondiale, et les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de ses Administrateurs ou des gouvernements qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exac- titude des données figurant dans la présente publication et n’accepte aucune responsabilité quant aux conséquences de leur utilisation. ISBN 0-8213-4825-6 Imprimé sur du papier recyclé conforme aux normes des États-Unis. (American Standard for Permanence of Paper for Printed Library Material Z39.48-1984) Table des matières du Rapport sur le développement dans le monde /2001 2000 Abrégé Combattre la pauvreté : Opportunités, insertion et sécurité matérielle L’histoire de Basrabai La pauvreté dans un monde d’inégalités Une stratégie de lutte contre la pauvreté De la stratégie à l’action Travailler ensemble pour combattre la pauvreté Première partie Cadre général Chapitre 1 La nature et l’évolution de la pauvreté Les multiples dimensions de la pauvreté Mesurer la pauvreté dans sa multiplicité L’évolution de la pauvreté Chapitre 2 Les causes de la pauvreté et cadre d’action Les causes de la pauvreté Cadre d’action Deuxième partie Opportunités Chapitre 3 Croissance, inégalité et pauvreté Croissance économique et lutte contre la pauvreté Les déterminants de la croissance économique Pourquoi des taux de croissance analogues vont-ils de pair avec des taux de réduction de la pauvreté différents ? Croissance économique et aspects de la pauvreté autre que le revenu Chapitre 4 Rendre le fonctionnement des marchés plus favorable aux pauvres La libéralisation stimule-t-elle la croissance ? La libéralisation est-elle bénéfique pour les pauvres ? Utiliser les forces du marché au profit des pauvres Chapitre 5 Accroître les actifs des pauvres et réduire les inégalités Les actifs et leurs synergies Que peut faire l’État pour faciliter l’accumulation d’actifs ? La redistribution des dépenses publiques Réformer les institutions pour améliorer les services : la gouvernance, les marchés et la concurrence Participation : choix, suivi et responsabilité Le caractère complémentaire des interventions de l’État iii i v Abrégé Troisième partie Insertion Chapitre 6 Rendre les administrations publiques plus attentives aux pauvres Les administrations publiques et la lutte contre la pauvreté Les pauvres et l’État de droit Rendre la décentralisation bénéfique pour les pauvres Les enjeux politiques de la lutte contre la pauvreté : les alliances pour la défense des pauvres Les régimes politiques et la pauvreté Chapitre 7 Éliminer les barrières sociales et renforcer les institutions sociales La discrimination fondée sur le sexe et la pauvreté Les hiérarchies sociales et la pauvreté La fragmentation sociale et les conflits Renforcer les institutions sociales et le capital associatif Quatrième partie Sécurité matérielle Chapitre 8 Aider les pauvres à gérer les risques Une typologie des risques La nature et l’ampleur de la précarité Comment les familles et les communautés font-elles face aux risques ? Que peuvent faire les autorités pour améliorer la gestion des risques ? Chapitre 9 Gérer les crises économiques et les catastrophes naturelles Prévenir et gérer les crises économiques Réduire la vulnérabilité face aux catastrophes naturelles Cinquième partie Mesures d’envergure internationale Chapitre 10 Maîtriser les forces mondiales en faveur des pauvres Faciliter l’accès aux marchés des pays à revenu élevé Atténuer les risques de crise économique Produire des biens publics internationaux utiles pour les pauvres Donner aux pauvres la possibilité de s’exprimer dans les instances mondiales Chapitre 11 Repenser la coopération pour le développement dans l’optique de la lutte contre la pauvreté Faire en sorte que l’aide extérieure soit un facteur de lutte contre la pauvreté Alléger le fardeau de la dette des pays pauvres Notice bibliographique Indicateurs du développement dans le monde Abrégé L es pauvres ne jouissent pas des libertés essentielles d’action et de choix que l’on tient généralement pour ac- économiques, politiques et sociaux qui interagissent et, souvent, se renforcent les uns les autres, aggravant quises1. Beaucoup d’entre eux ne peuvent pas se nourrir, se ainsi le dénuement dans lequel vivent les pauvres. Le loger, s’éduquer ni se soigner convenablement et n’ont par manque d’actifs, des marchés inaccessibles et des pos- conséquent aucune possibilité d’épanouissement personnel. sibilités d’emploi rares condamnent les gens à la pau- Ils sont aussi extrêmement exposés aux maladies, aux boule- vreté matérielle. C’est pourquoi la création versements économiques et aux catastrophes naturelles. d’opportunités pour les pauvres est un élément essen- Enfin, ils sont souvent maltraités par les institutions de tiel de la lutte contre la pauvreté. Pour créer ces op- l’État et de la société et n’ont aucune influence sur les portunités, il faut stimuler la croissance économique, grandes décisions qui modèlent leur existence. Tous ces rendre le fonctionnement des marchés plus favorable handicaps représentent chacun une dimension de la aux pauvres et aider ceux-ci à accumuler des actifs. pauvreté. Mais ce n’est pas tout. Dans un monde où la ré- Au quotidien, ces multiples privations sont aussi intenses partition du pouvoir politique est inégale et souvent que douloureuses, comme en témoignent éloquemment calquée sur celle du pouvoir économique, le mode de les réflexions des pauvres sur leur vie (encadré 1). Il peut fonctionnement des institutions publiques peut être sembler à ceux qui vivent dans la misère qu’ils ne con- particulièrement désavantageux pour les pauvres. Aussi naîtront jamais autre chose. Mais ce n’est pas le cas. L’his- est-il fréquent, par exemple, que ces derniers ne toire de Basrabai, présidente d’un conseil de village en Inde, profitent pas des investissements publics dans l’édu- illustre simultanément les nombreuses facettes de la pau- cation et la santé. De plus, ils sont souvent victimes vreté et les potentialités d’action (page 2). de la corruption et de l’arbitraire de l’État. Les normes L’histoire de Basrabai sert de toile de fond à l’étude et valeurs sociales et les mœurs — qui font que, au sein de la nature et des causes de la pauvreté et de ce que de la famille, de la communauté ou sur le marché, les l’on peut faire. La pauvreté résulte de phénomènes femmes, certains groupes ethniques ou raciaux, ou les 1 2 Abrégé L’histoire de Basrabai Basrabai habite à Mohadi, un village situé à 500 km d’Ahmedabad, dans peuvent continuer à pêcher tant qu’ils graissent la patte des fonction- l’État indien du Gujarat, au bord de la mer d’Oman2. Elle est la première naires bien placés. femme à devenir sarpanch du panchayat (présidente du conseil local), Tout à coup, un grand fracas se fait entendre. Le frère de Basrabai à la suite d’amendements constitutionnels qui réservent aux femmes a reçu un coup de corne au visage en essayant de séparer deux vaches un tiers des sièges au conseil et un tiers des présidences. qui se battaient. Si la blessure n’est pas traitée immédiatement, elle risque Après un long trajet, nous franchissons un étroit bras de mer par une fort de s’infecter, mais il est tard et le médecin le plus proche réside dans route impraticable à marée haute et nous arrivons au village. Le premier une agglomération située à 10 km de là. En temps normal, il aurait été bâtiment qui s’ offre à nos regards est une nouvelle construction en impossible de rien faire, mais, par chance, notre Jeep est là et l’on peut béton : l’école primaire. L’année dernière, le pire cyclone qu’on ait conduire le frère de Basrabai chez le docteur. connu de mémoire d’homme a emporté les paillotes des villageois et Pendant notre séjour, nous avons l’occasion de voir les broderies et ceux-ci ont dû chercher refuge dans le seul bâtiment intact : l’école. les batiks artisanaux que les femmes du village produisent depuis des Lorsque les secours sont arrivés, les villageois ont demandé d’autres con- générations. La demande est forte, grâce à l’engouement international structions en béton et l’on en compte aujourd’hui une douzaine. pour l’artisanat indien et la redécouverte de leurs racines par les nou- Nous arrivons chez Basrabai, une maison en béton d’une pièce con- velles classes moyennes du pays. Mais, profitant de l’isolement des struite à côté d’une paillote. Après les salutations d’usage, nous en femmes, les commerçants réussissent à obtenir les articles à bas prix. venons à parler de l’école. Puisque c’est un jour de classe, nous de- Les autorités nationales et territoriales ont mis en place toutes mandons si nous pouvons assister à un cours. Basrabai nous apprend sortes de programmes de soutien en faveur de l’artisanat traditionnel, que le maître n’est pas là et qu’il n’est pas venu depuis un certain mais aucun n’est vraiment efficace. Aussi, SEWA a-t-elle pris l’initiative temps. En fait, il ne vient qu’une fois par mois, et encore. Protégé par d’organiser les travailleuses à domicile et de leur donner directement accès le responsable éducatif du district, il agit plus ou moins comme bon lui aux marchés internationaux. Nous examinons une broderie qui vaudrait semble. 150 roupies sur le marché international, 60 roupies dans un magasin Le maître vient le lendemain. La rumeur lui a appris que des visiteurs d’État et 20 roupies si elle était vendue à un commerçant. étaient arrivés au village. Il entre chez Basrabai et nous commençons à Le dernier jour, nous nous rendons au champ de Basrabai, à une parler de l’école et des élèves. Pensant trouver une oreille compatissante heure de marche de chez elle. Les aléas de l’agriculture ne sont que trop auprès de ces visiteurs instruits, il s’épanche sur ses problèmes et sur évidents. Faute de pluie, le sol est dur et desséché. S’il ne pleut pas d’ici la difficulté de faire la classe aux enfants, des sauvageons sortis de la quelques jours, la récolte de mil de Basrabai sera perdue et elle aura payé jungle selon lui. inutilement un conducteur de tracteur pour labourer son champ, dépense C’en est trop pour Meeraiben, membre de l’Organisation des tra- financée par la vente de ses articles d’artisanat. Quand nous la retrou- vailleuses indépendantes (SEWA), l’organisatrice de cette visite. Elle fait vons à Ahmedabad quelques jours plus tard, il n’a toujours pas plu. remarquer au maître qu’il gagne 6 000 roupies par mois (plus de six fois Nos entretiens avec Basrabai et avec les milliers de pauvres qui ont le seuil de pauvreté en Inde), qu’il a un emploi sûr et que la moindre des été consultés pour la préparation de ce rapport mettent en lumière les choses serait qu’il assure son service. Les parents veulent que leurs en- thèmes récurrents et familiers que sont le manque d’opportunités de fants apprennent à lire et à écrire, même si cela empêche les garçons revenu, l’insuffisance des liens avec le marché et le peu d’attention ap- d’aider leur père à pêcher et les filles d’aider leur mère à aller chercher porté aux besoins des pauvres par les institutions d’État. C’est aussi l’in- de l’eau et du bois et à travailler dans les champs. sécurité (risques de santé, risque de chômage et risques agricoles) qui Plus tard dans la soirée, Basrabai préside la réunion du village. Le fait que tout progrès est précaire. De tous les horizons, des villages de premier des deux points principaux est l’indemnisation des victimes du l’Inde aux favelas de Rio de Janeiro, en passant par les bidonvilles de cyclone : en dépit des programmes de secours annoncés en grande Johannesburg et les fermes de l’Ouzbékistan, les problèmes présentés pompe dans la capitale de l’État, les choses laissent fortement à désirer dans les récits se font écho. au niveau local, où les fonctionnaires jouent l’ignorance. Les membres Mais les conversations avec Basrabai et d’autres révèlent également de SEWA relèvent le nom de ceux qui n’ont pas encore reçu les in- des possibilités. Même si les fonctionnaires locaux et les structures of- demnisations auxquelles ils ont droit et il est convenu que Basrabai et ficielles ne sont pas encore comptables de leurs actes devant Basrabai elles rencontreront les fonctionnaires locaux la semaine prochaine. et son village, une politique volontariste a permis que Basrabai soit élue Le deuxième grand point est l’interdiction de pêcher dans les eaux sarpanch, illustrant l’influence de l’État. SEWA aussi montre comment côtières imposée par l’État pour protéger les stocks de poissons. Les les pauvres peuvent se faire entendre en s’organisant pour défendre leurs gros chalutiers sont responsables de la surexploitation mais ce sont les droits, profiter des opportunités offertes par le marché et se protéger petits pêcheurs qui sont pénalisés. Les patrons des gros chalutiers contre les risques. Abrégé 3 Encadré 1 La Parole est aux pauvres L’étude intitulée La Parole est aux pauvres, fondée sur l’expérience vécue pas beaucoup, nous n’achetons presque rien ; nous man- de plus de 60 000 femmes et hommes défavorisés dans 60 pays, a été quons de tout, il n’y a pas d’argent et nous nous trouvons réalisée en préparation du Rapport sur le développement dans le pauvres. S’il y avait de l’argent… monde 2000/2001. Elle comporte deux volets : une analyse des études — Un groupe de femmes et d’hommes pauvres, Équateur sur la pauvreté effectuées récemment dans 50 pays, portant sur quelque 40 000 personnes, et une nouvelle étude comparée menée Quand mon mari tombe malade, c’est une calamité. Notre en 1999 dans 23 pays, en consultation avec environ 20 000 femmes vie s’arrête jusqu’à ce qu’il guérisse et retourne au travail. et hommes démunis. L’étude révèle que les pauvres agissent active- — Une femme pauvre, Zawyet Sultan, Égypte ment dans le cours de leur existence, mais qu’ils sont souvent incapables d’influer sur les facteurs sociaux et économiques qui déterminent leur La pauvreté, c’est l’humiliation, le sentiment de dépen- niveau de vie. dance, être obligé de subir le mépris, les insultes et l’in- Les citations ci-dessous illustrent ce qu’être pauvre veut dire. différence quand on cherche de l’aide. — Une femme pauvre, Lettonie La pauvreté ? Ne me demandez pas ce que c’est : vous l’avez ren- contrée devant ma porte. Regardez la maison, comptez les trous. Au début, j’avais peur de tout et de tout le monde : de mon Regardez mes affaires et les vêtements que je porte. Regardez tout mari, du sarpanch du village, de la police. Aujourd’hui, je ce qu’il y a ici et écrivez ce que vous voyez. C’est ça la pauvreté. n’ai peur de personne. J’ai mon propre compte en banque, — Un homme pauvre, Kenya je suis responsable du groupe d’épargne de mon village, …je parle de notre mouvement à mes sœurs. Et nous avons Evidemment, nos champs ne nous rapportent guère ; tous un syndicat de 40 000 adhérents dans le district. les produits, les articles achetés dans les magasins coûtent — Un groupe de femmes et d’hommes pauvres, Inde cher ; la vie est dure : nous travaillons et nous ne gagnons Source : Narayan, Chambers, Shah et Petesch, 2000 ; Narayan, Patel, Schafft, Rademacher et Koch-Schulte, 2000. personnes socialement défavorisées sont exclus — in- 2,8 milliards, soit presque la moitié, ont moins de deux fluent puissamment sur le résultat des activités de lutte dollars par jour pour vivre, et 1,2 milliard (un cinquième), contre la pauvreté. C’est pourquoi les mesures visant à dé- dont 44 % habitent en Asie du Sud, moins d’un dollar marginaliser les pauvres, en rendant les institutions par jour (figure 1). Dans les pays riches, moins d’un en- publiques et sociales plus attentives à leurs besoins, sont fant sur 100 meurt avant l’âge de cinq ans. Par contraste, aussi un élément essentiel de la lutte contre la pauvreté. dans les pays les plus pauvres, jusqu’à un enfant sur cinq risque de ne pas atteindre son cinquième anniversaire. Tan- La vulnérabilité des pauvres face à des événements ex- dis que, dans les pays riches, moins de 5 % des enfants térieurs qui échappent en grande partie à leur contrôle, de moins de cinq ans souffrent de malnutrition, ce tels que la maladie, la violence, les chocs économiques, problème peut toucher jusqu’à 50 % d’entre eux dans les le mauvais temps, les catastrophes naturelles, contribue pays pauvres. à leur mal-être, aggrave leur situation matérielle et tourne Ce dénuement perdure quand bien même les condi- les rapports de force à leur désavantage. C’est pourquoi tions de vie se sont améliorées davantage durant le siècle renforcer la sécurité matérielle, en réduisant les risques écoulé que pendant tout le reste de l’histoire de l’humanité. de guerre, de maladie, de crise économique et de cata- La richesse mondiale, les liaisons internationales et les ca- strophe naturelle est aussi un ingrédient clé de la lutte pacités techniques n’avaient jamais connu un tel contre la pauvreté, tout comme réduire la vulnérabilité développement. Pour autant, on ne peut qu’être frappé des pauvres et mettre en place des mécanismes visant à par l’inégalité de la répartition de ces bienfaits. Le revenu les aider à faire face aux chocs défavorables. moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres (cet écart a doublé La pauvreté dans un monde au cours des 40 dernières années). La situation des diverses d’inégalités régions du monde a évolué de façon fort différente (figure 2 ; voir également le tableau A.1 à la fin de La pauvreté extrême voisine dans le monde avec l’abon- l’Abrégé). En Asie de l’Est, le nombre de gens qui sub- dance. Sur les 6 milliards d’habitants de la planète, sistent avec moins d’un dollar par jour est tombé 4 Abrégé d’environ 420 millions à quelque 280 millions entre 1987 et 1998, cela en dépit des ravages de la crise fi- nancière3. En Amérique latine, en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, en revanche, le nombre des per- La situation est tout aussi contrastée au niveau des pays sonnes défavorisées a augmenté. Quant aux pays d’Eu- et pour les minorités ethniques et les femmes. La crois- rope et d’Asie centrale en transition, ils ont vu se multiplier sance ne profite pas également à toutes les régions d’un par plus de 20 le nombre des pauvres vivant avec moins même pays, tant s’en faut. Ainsi, au Mexique, la pauvreté d’un dollar par jour4. totale a reculé, quoique modérément, au début des an- On observe de la même façon des avancées majeures nées 90, mais elle s’est aggravée dans le sud-est, plus pau- contrastant avec des revers sérieux dans certains aspects vre. Il existe également des inégalités entre groupes non monétaires de la pauvreté. En Inde, le nombre des ethniques. Dans certains pays africains, la mortalité in- filles scolarisées a nettement progressé et, dans l’État le fantile a baissé dans les groupes qui jouissent d’une grande plus avancé, le Kerala, l’espérance de vie est plus grande influence politique et, en Amérique latine, les taux de sco- qu’en d’autres points de la planète jouissant d’un niveau larisation des groupes autochtones atteignent souvent de revenu maintes fois supérieur (tels que la ville de moins des trois quarts des taux moyens observés chez les Washington). Parallèlement, dans les pays africains touchés non-autochtones. Enfin, les femmes restent plus désa- de plein fouet par l’épidémie de VIH/SIDA, comme le vantagées que les hommes. En Asie du Sud, le nombre Botswana et le Zimbabwe, un adulte sur quatre est in- d’années de scolarisation des femmes ne représente qu’en- fecté, la charge représentée par les orphelins du sida de- viron la moitié de celui des hommes et les taux de sco- vient rapidement insupportable, tant pour les mécanismes larisation féminins au niveau secondaire n’atteignent que de soutien traditionnels que pour les mécanismes officiels, les deux tiers des taux masculins. et tous les progrès réalisés dans l’allongement de l’es- Devant ce constat de pauvreté et d’inégalité et à la suite pérance de vie depuis le début des années 50 sont sur le de diverses conférences organisées par les Nations Unies point d’être anéantis. Les disparités dans les taux de mor- pendant les années 90, la communauté internationale s’est talité infantile autour du globe (celui de l’Afrique sub- fixé plusieurs objectifs à atteindre dans les premières an- saharienne est 15 fois plus grand que celui des pays à nées du siècle (encadré 2). Les objectifs internationaux revenu élevé) donnent une idée de la multiplicité des de développement, à réaliser pour la plupart d’ici à 2015, situations (figure 3). comprennent la lutte contre la pauvreté absolue et de Abrégé 5 posé de 2,7 % par an sur les 25 années de la période. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale, elle n’a diminué que d’environ 1,7 % par an entre 1990 et 1998. La lenteur des progrès observés dans certaines régions est due au fait qu’elles ont connu des taux de croissance faibles ou négatifs. Dans certains cas, la montée des in- égalités a amplifié cet effet, particulièrement dans certains pays de l’ex-Union soviétique. Au rythme actuel de sco- larisation, il est peu probable que l’enseignement primaire devienne universel dans le délai fixé, notamment en Afrique subsaharienne. Pour que la mortalité infantile baisse des deux tiers entre 1990 et 2015, il aurait fallu qu’elle recule de 30 % entre 1990 et 1998, alors que le taux de réduction effectif n’a été que de 10 %. Dans cer- taines régions de l’Afrique subsaharienne, la mortalité in- fantile est même en recrudescence, en partie à cause de l’épidémie de sida. Enfin, les taux de mortalité maternelle eux aussi baissent plus lentement qu’il ne faudrait. La réalisation des objectifs internationaux de développe- ment passe par des mesures visant à stimuler la croissance économique et à réduire les inégalités de revenu. Toute- fois, même une croissance équitable ne suffira pas à as- surer la réalisation des objectifs éducatifs et sanitaires. On ne pourra réduire la mortalité infantile et juvénile des deux nombreuses formes de dénuement (les chiffres de référence tiers que si l’on parvient à stopper la propagation du sont ceux de 1990) : VIH/SIDA, à renforcer les capacités des systèmes de I Réduire de moitié la proportion de la population vi- santé publique des pays en développement et à faire vant dans l’extrême pauvreté (moins d’un dollar par bénéficier les pays en développement des progrès de la jour). médecine5. S’agissant de la parité entre garçons et filles I Assurer l’enseignement primaire universel. dans l’éducation, les gouvernements devront prendre des I Assurer la parité des sexes dans l’enseignement primaire mesures spécifiques en vue d’éliminer les obstacles cul- et secondaire (d’ici à 2005). turels, sociaux et économiques qui éloignent les filles de I Réduire des deux tiers les taux de mortalité infantile l’école6. Par ailleurs, les mesures visant à protéger l’envi- et juvénile. ronnement de manière plus durable contribueront à I Réduire des trois quarts les taux de mortalité mater- développer les actifs des pauvres et à réduire l’incidence nelle. de la pauvreté sur le long terme7. Ces mesures opéreront I Offrir l’accès universel aux services de santé génésique. en synergie pour faciliter la réalisation des objectifs. C’est I Appliquer des stratégies nationales de développement pourquoi la stratégie de lutte contre la pauvreté doit être durable d’ici à 2005, de manière à inverser les pertes à la fois plus vaste et plus intégrée. de ressources environnementales d’ici à 2015. Rappelons, dans ce contexte, que la population aug- Une stratégie de lutte mentera d’environ 2 milliards de personnes, dont contre la pauvreté 1,94 milliard dans les pays actuellement en développe- ment, au cours des 25 prochaines années. Les études ef- À mesure que la complexité du processus de développe- fectuées sur le rythme des progrès à accomplir pour ment apparaissait plus clairement, on a été conduit à atteindre ces buts révèlent toute l’ampleur du défi. Par repenser les méthodes de lutte contre la pauvreté. Pen- exemple, pour que la pauvreté baisse de moitié entre dant les années 50 et 60, on pensait communément que 1990 et 2015, il faudrait qu’elle recule à un taux com- les gros investissements dans le capital physique et les 6 Abrégé Encadré 2 Un monde meilleur pour tous : les objectifs internationaux de développement Ces objectifs internationaux de développe- ment visent l'aspiration la plus chère de tout être humain, un monde libéré de la pauvreté et des souffrances qu'elle cause. Chacun des sept objectifs vise un aspect précis de la pauvreté. Il faut les considérer comme un tout, dans la mesure où ils se ren- forcent les uns les autres. L'augmentation des taux de scolarisation, chez les filles surtout, entraîne une réduction de la pauvreté et de la mortalité. L'amélioration des soins de santé de base permet d'accroître la scolarisation et de réduire la pauvreté. Beaucoup de pauvres tirent leur subsistance de l'environnement. Il faut donc progresser dans la réalisation de chacun de ces objectifs. Au cours des 10 dernières années, les pays n’ont pas atteint, en moyenne, les ry- thmes de progrès nécessaires pour réaliser les objectifs, mais les avancées obtenues dans certains pays et régions montrent que ce n’est pas une utopie. La Chine a ramené le nombre des pauvres de 360 millions en 1990 à 210 mil- lions environ en 1998. Maurice a réduit son bud- get militaire et a fortement investi dans la santé et l'éducation. À l'heure actuelle, tous les Mauriciens bénéficient d'installations d'as- sainissement, 98 % ont l'eau potable, 97 % des naissances sont assistées par des profession- nels qualifiés. Beaucoup de pays d'Amérique latine se sont considérablement rapprochés de la parité dans le domaine de l’éducation. Conclusion : si certains pays ont pu pro- gresser aussi vite pour réduire la pauvreté sous ses nombreuses formes, les autres le peuvent aussi. Mais les conflits réduisent à néant les pro- grès en matière de développement social dans de nombreux pays d'Afrique subsaharienne. La progression du VIH/SIDA fait basculer les in- dividus, les familles et les communautés dans la pauvreté sur tous les continents. Et la crois- sance économique durable, sans laquelle on ne parviendra pas à réduire la pauvreté sur le long terme, reste une vue de l’esprit dans la moitié des pays du monde. Dans plus de 30 pays, le revenu réel par habitant a reculé au cours des 35 dernières années. Et lorsqu’il y a croissance, cela ne suffit pas : encore faut-il en répartir plus équitablement les fruits. Néanmoins, ces objectifs de développe- ment peuvent être atteints à condition que de bonnes politiques nationales se conjuguent à une action internationale efficace. Note : Les chiffres portent sur les pays à revenu faible et intermédiaire, à l’exception des chiffres concernant les stratégies environnementales, qui ont trait à tous les pays. Source : FMI, OCDE, ONU et Banque mondiale 2000 (www.paris21.org/betterworld/). Abrégé 7 infrastructures étaient le principal ressort du développe- portunités et de dédommager les perdants éventuels ment. de la transition. Plus une société est inégalitaire, plus Au cours des années 70, on s’est rendu compte que cela il est urgent de renforcer l’équité si l’on veut réduire ne suffisait pas et que l’importance de la santé et de rapidement la pauvreté. C’est là qu’intervient l’État l’éducation était au moins aussi grande. De fait, le pour faciliter le développement humain, l’accumula- Rapport sur le développement dans le monde ,1980 expo- tion d’actifs fonciers et la création d’éléments d’infra- sait cette conception nouvelle et soutenait que l’amélio- structure appartenant aux pauvres ou accessibles pour eux. ration de la santé et de l’éducation n’était pas seulement I Insertion. Pour que les mesures publiques répondent importante en soi, mais également en tant que facteur aux besoins des pauvres, il importe de les sélectionner d’augmentation du revenu des pauvres. et de les mettre en œuvre en fonction de l’interaction La crise de l’endettement et la récession mondiale des des processus politiques, sociaux et institutionnels au années 80, et le contraste entre la situation en Asie de l’Est sens large. L’accès aux marchés et aux services du d’une part, et en Amérique latine, en Asie du Sud et en secteur public est souvent déterminé en grande par- Afrique subsaharienne d’autre part, ont donné lieu à une tie par les institutions publiques et sociales, qui doivent remise en question des priorités. Il est apparu qu’il fal- être attentives aux besoins des pauvres et responsables lait améliorer la gestion économique et laisser aux forces vis-à-vis d’eux. C’est une démarche essentiellement du marché un plus large champ d’action. Dans cette op- politique, qui implique une étroite collaboration entre tique, le Rapport sur le développement dans le monde , les pauvres, les classes moyennes et d’autres com- 1990 : La Pauvreté proposait une double stratégie : pro- posantes de la société. Une collaboration active peut mouvoir une croissance axée sur la main-d’œuvre par l’ou- être grandement facilitée par des réformes rendant verture des économies et par des investissements dans les l’administration publique, les institutions juridiques infrastructures, et fournir aux pauvres des services essentiels et la prestation des services publics plus efficaces et plus dans les domaines de la santé et de l’éducation. responsables vis-à-vis des citoyens et par le renforce- Pendant les années 90, les regards se sont tournés vers ment de la participation des pauvres aux processus poli- la gestion des affaires publiques et vers les institutions, ainsi tiques et aux décisions locales. Tout aussi importante que vers la précarité aux niveaux local et national. Le rap- est l’élimination des obstacles sociaux et institution- port de cette année s’inspire des stratégies antérieures, à nels érigés par les distinctions de sexe, d’appartenance la lumière des événements et de l’expérience des ethnique et de statut social. Des institutions compé- 10 dernières années. Il tient également compte de l’évo- tentes et attentives sont non seulement bénéfiques lution de la conjoncture internationale et propose une pour les pauvres, mais également essentielles dans le stratégie visant à combattre la pauvreté sur trois fronts : processus de croissance en général. le développement des opportunités, l’insertion et la sécu- I Sécurité matérielle. Atténuer la vulnérabilité (aux chocs rité matérielle. économiques, aux catastrophes naturelles, à la mau- I Développement des opportunités. Les pauvres insistent vaise santé, à l’invalidité et à la violence physique) fait sans exception sur l’importance des opportunités intrinsèquement partie de l’amélioration du bien-être matérielles. On entend par là l’emploi, le crédit, les et encourage les investissements dans le capital humain routes, l’électricité, les marchés pour écouler leurs et dans des activités à plus haut risque et plus produits, et les écoles, l’eau, l’assainissement et les profitables. À cet effet, il appartient à l’État de services de santé, qui conditionnent la santé et les prendre des mesures efficaces pour gérer le risque de qualifications, deux actifs essentiels pour les travailleurs. chocs économiques généraux et d’instaurer des mé- Sans croissance économique, il ne saurait y avoir créa- canismes efficaces atténuant les risques auxquels sont tion d’opportunités. Mais on ne saurait pour autant confrontés les pauvres, y compris ceux liés à la santé négliger les modalités ou la qualité de la croissance. et aux conditions météorologiques. Il faut aussi dévelop- L’ouverture sur le marché est certes indispensable pour per les actifs des pauvres, diversifier les activités des mé- élargir les opportunités offertes aux pauvres, mais les nages et offrir un choix de mécanismes d’assurance en réformes doivent tenir compte de l’état des institutions cas de choc préjudiciable, comme les travaux d’uti- et des structures locales. Il faut aussi mettre en place lité collective, les programmes de maintien à l’école et des mécanismes capables de créer de nouvelles op- l’assurance maladie. 8 Abrégé Ces trois volets ne sont pas cités par ordre d’impor- les trois fronts (opportunités, insertion et sécurité tance. Ils ont en effet un caractère profondément com- matérielle), en raison de leur caractère complémentaire. plémentaire. Chacun influe sur les causes sous-jacentes Les mesures que prendront les pays développés et les de la pauvreté auxquelles s’attaquent les deux autres. Par organisations multilatérales seront décisives. Parmi les exemple, lorsqu’on accroît les opportunités en élargissant forces qui déterminent le cours de l’existence des pauvres, l’accès aux actifs et aux marchés, les pauvres deviennent beaucoup échappent à leur influence ou à leur contrôle. plus indépendants et sont en meilleure position pour À eux seuls, les pays en développement ne peuvent pas négocier avec l’État et la société, et donc mieux à même assurer la stabilité financière internationale, par exemple, de maîtriser leur destin. La sécurité matérielle s’en trouve ou accomplir des progrès majeurs dans la recherche médi- simultanément renforcée, dans la mesure où une réserve cale et agricole et dans l’ouverture des opportunités com- d’actifs suffisante amortit les chocs défavorables. Il en est merciales. C’est pourquoi l’action de la communauté de même du renforcement des institutions démocra- internationale et la coopération pour le développement tiques et de l’insertion des femmes et des groupes ethniques demeureront essentielles. et raciaux défavorisés qui, en éliminant notamment la dis- Voici les domaines d’action que nous suggérons, crimination juridique à leur endroit, élargissent les op- d’abord au niveau national puis au niveau international. portunités économiques des pauvres et des marginaux. Des organisations de pauvres plus fortes peuvent exiger la Opportunités fourniture des services publics et faire en sorte que les dé- Pour créer des opportunités il faut prendre des mesures cisions gouvernementales répondent aux besoins des complémentaires visant à stimuler la croissance en général, pauvres. Elles peuvent aussi limiter la corruption et l’ar- à rendre le fonctionnement des marchés favorable aux bitraire dans l’action des autorités. Par ailleurs, si les pau- pauvres et à développer leurs actifs. Cela englobe la vres participent davantage au suivi et au contrôle de la réduction d’inégalités profondément ancrées dans la prestation des services sociaux au niveau local, ils auront répartition d’avantages tels que l’éducation. plus de chances de profiter des dépenses publiques en pé- Encourager les investissements privés rentables. L’in- riode de crise. Enfin, aider les pauvres à faire face aux chocs vestissement et l’innovation technique sont les principaux et à gérer les risques les met mieux à même de profiter moteurs de croissance de l’emploi et du revenu du tra- des opportunités créées par le marché. C’est pourquoi, vail. Pour stimuler l’investissement privé, il faut réduire dans ce rapport, nous préconisons une approche intégrée les risques supportés par les investisseurs privés par une du combat contre la pauvreté. politique financière et monétaire stable, par un régime des investissements constant, par des systèmes financiers ra- De la stratégie à l’action tionnels et par une législation commerciale claire et trans- parente. Cela implique également le règne de l’état de droit Il n’existe pas de formule simple et universelle pour passer et la lutte contre la corruption : il faut émonder les à l’action. Les pays en développement doivent déter- branches d’activité s’appuyant sur la corruption, le traite- miner eux-mêmes les mesures les plus appropriées pour ment privilégié des gros investisseurs, les conditions lutter contre la pauvreté, compte tenu des priorités na- préférentielles et les monopoles protégés. tionales et des réalités du terrain. Les décisions seront dic- Dans de nombreux pays, il faut prendre des mesures tées par le cadre économique, socio-politique, structurel spéciales pour que les microentreprises et les petites en- et culturel des différents pays, voire même des différentes treprises, qui sont souvent les principales victimes des tra- communautés. casseries administratives et de l’achat de privilèges par les Nous proposons dans ce rapport une approche plus gens bien placés, puissent participer effectivement aux ac- globale, mais les priorités devront être établies dans les tivités du marché. Ces mesures comprennent l’accès au cas particuliers en fonction des ressources et de l’état des crédit, par la diversification des marchés des capitaux et institutions. On peut remédier à certains aspects de la mi- la réduction des causes de défaillance des marchés ; sère sans remédier à tous. Par exemple, on peut réduire l’abaissement des coûts de transaction associés aux activités sensiblement la mortalité infantile par des campagnes de d’exportation en élargissant l’accès à l’internet, en or- réhydratation orale, même si le revenu des pauvres reste ganisant des salons de l’exportation et en offrant des for- inchangé8. Mais, dans la plupart des cas, il faut agir sur mations aux techniques modernes de gestion des Abrégé 9 entreprises ; et la construction de routes pour réduire les faut faire face à chacune séparément. barrières physiques. La dérégulation et des réformes Développer les actifs des pauvres. Pour créer des actifs institutionnelles complémentaires peuvent contribuer à humains, physiques, naturels et financiers à l’intention instaurer un climat d’affaires favorable aux pauvres et aux des pauvres, qu’ils en soient propriétaires ou non, il faut petites entreprises. On pense, par exemple, à la réduction agir sur trois fronts. On s’efforcera, dans un premier des restrictions imposées au secteur informel, surtout temps, de mieux centrer les dépenses publiques sur les celles qui affectent les femmes, et à l’élimination des pauvres, de développer l’offre de services économiques et carences de la législation foncière qui découragent les sociaux essentiels et d’alléger les contraintes qui pèsent petits investissements. sur la demande (par exemple en offrant des bourses Il convient que les investissements publics complètent d’étude aux enfants pauvres). Dans un deuxième temps, les investissements privés, de manière à renforcer la con- on veillera à ce que les services fournis soient de bonne currence et à créer de nouvelles opportunités commer- qua-lité, en prenant des mesures institutionnelles axées ciales. À cet égard, les investissements publics dans les sur une bonne gestion des affaires publiques et l’utilisa- infrastructures et les télécommunications et dans le per- tion des marchés et d’agents multiples. À cet effet, il fau- fectionnement de la main-d’œuvre sont particulièrement dra peut-être simultanément faire des réformes du service importants. public (comme dans l’éducation) ou privatiser en veillant Expansion sur les marchés internationaux. Les marchés à ce que les services soient étendus aux pauvres, ce qui internationaux offrent des possibilités prodigieuses de est souvent la démarche la plus logique dans le domaine croissance de l’emploi et des revenus, que ce soit dans de l’eau et de l’assainissement urbain. Enfin, on veillera l’agriculture, l’industrie ou les services. Tous les pays qui à ce que les communautés et les ménages pauvres aient sont parvenus à réduire notablement la pauvreté absolue leur mot à dire dans le choix et dans la mise en œuvre des ont un commerce extérieur actif. Mais l’ouverture au services, ainsi que dans leur suivi, afin que les prestataires commerce extérieur n’est pas dépourvue de risques et elle soient comptables de leurs activités, comme cela a été tenté ne produit d’avantages substantiels que si les pays pos- dans le cadre de projets en El Salvador, en Ouganda et sèdent les infrastructures et les institutions nécessaires pour en Tunisie. Parmi les programmes visant à développer les soutenir une forte réaction au niveau de l’offre. Le proces- actifs des pauvres, on peut citer l’expansion de l’éduca- sus d’ouverture doit donc être soigneusement pensé et les tion avec la participation des parents et des commu- législateurs doivent accorder une attention particulière aux nautés, des programmes de maintien des élèves dans le conditions propres au pays et aux obstacles institution- système éducatif, tels que ceux du Bangladesh, du Brésil, nels et autres. Les mesures doivent être échelonnées de du Mexique et de la Pologne, des programmes de nutri- façon à encourager la création d’emplois et à gérer la dis- tion, de protection maternelle et infantile, de vaccination parition d’emplois. Un processus de libéralisation favo- et autres interventions sanitaires, et des programmes dé- rable aux pauvres n’est pas forcément plus lent, car une centralisés de protection des ressources en eau et d’autres évolution rapide peut offrir plus d’opportunités aux éléments du milieu naturel. pauvres. Quant aux coûts transitoires pour les pauvres, ils doivent être expressément compensés, comme cela a Il existe d’importantes synergies entre les mesures re- été fait dans le cas des petits producteurs de maïs mexi- latives aux différents domaines d’action. Par exemple, vu cains, à qui des indemnités ont été versées à la suite de les liens étroits qui unissent les actifs humains et physiques, la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain on peut, en offrant aux pauvres de meilleurs services (ALENA). d’énergie ou de transport, améliorer leurs possibilités L’ouverture du compte de capital doit être gérée avec d’éducation et la rentabilité de celle-ci. La préservation prudence, au rythme du développement du secteur fi- de l’environnement peut également influer de façon mar- nancier national, pour réduire les risques de forte volati- quée sur la pauvreté. Cela n’est plus à démontrer, par lité des mouvements de capitaux. Si les investissements exemple, dans le domaine de la santé : la réduction de la directs à long terme peuvent s’accompagner d’externa- pollution de l’air et de l’eau a des effets majeurs sur cer- lités positives, notamment le transfert du savoir, les ap- taines des principales maladies affectant les pauvres, no- ports à court terme, en revanche, s’accompagnent parfois tamment les affections diarrhéiques des enfants et les d’externalités négatives, principalement l’instabilité. Il infections respiratoires. 10 Abrégé Remédier à l’inégalité de la répartition des actifs entre les changement met en cause des valeurs sociales ou des in- sexes, les groupes ethniques, les races et les catégories sociales. térêts puissants. Les gouvernants peuvent faire beaucoup Des mesures particulières s’imposent souvent pour lut- pour influer sur le débat public et sensibiliser l’opinion ter contre les inégalités d’origine sociale dans ce domaine. aux bienfaits de l’action de l’État en faveur des pauvres Il est difficile de faire évoluer les mentalités, pour des et pour gagner son soutien. raisons d’ordre aussi bien politique que social, mais on Jeter les bases politiques et juridiques d’un développement trouve néanmoins de nombreux exemples de méca- bénéfique pour tous. Les institutions publiques doivent être nismes qui fonctionnent, combinant dépenses publiques, ouvertes et responsables vis-à-vis de tous les citoyens. changements institutionnels et concertation. C’est le cas Autrement dit, elles doivent être transparentes et les mé- des réformes foncières complétées par des mesures offi- canismes de décision et de suivi des décisions doivent être cielles visant à appuyer les petits paysans, comme au démocratiques et participatifs. Il faut en outre que le nord-est du Brésil et aux Philippines. La scolarisation des système juridique sur lequel elles sont fondées favorise lui- filles est un autre exemple. Certains pays, comme le même la croissance économique et l’équité. Étant donné Bangladesh, le Brésil et le Mexique, donnent aux familles que les pauvres n’ont ni les ressources ni l’information de l’argent ou des vivres pour qu’elles scolarisent les nécessaires pour s’adresser au système juridique, l’assis- filles ; d’autres, comme le Pakistan, recrutent des femmes tance judiciaire et la diffusion d’informations sur les enseignantes. Le soutien aux programmes de microcrédit procédures juridiques, entre autres — comme le fait l’or- axés sur les femmes est un autre type de mesure efficace. ganisation Ain-O-Salish Kendra (ASK) au Bangladesh — Fournir des infrastructures et du savoir aux zones de sont particulièrement utiles pour créer des systèmes ju- pauvreté, rurales et urbaines. Il faut prévoir des mesures ridiques plus proches des citoyens et plus responsables. spécifiques à l’intention des zones défavorisées, où le Instituer des administrations publiques favorisant la manque d’actifs de toutes sortes, au niveau des commu- croissance et l’équité. Les administrations publiques qui nautés ou au niveau régional, peut empêcher les pauvres fonctionnent efficacement, exemptes de corruption et de d’améliorer leur niveau de vie. Là encore, le soutien de chicaneries, aident le secteur public à mieux servir les l’État est indispensable et il importe de combiner dif- citoyens et facilitent l’expansion du secteur privé. On en- férentes approches institutionnelles et participatives. On couragera les administrations publiques à être respon- veillera à mettre en place des infrastructures sociales et sables et attentives à leur clientèle par des systèmes d’inci- économiques, telles que les services de transport, les télé- tations appropriés. L’accès à des informations telles que communications, l’électricité, des écoles et des centres sa- les budgets, les mécanismes participatifs de budgétisation nitaires dans les zones éloignées et défavorisées. C’est ce et le classement de la performance des services publics sont que fait la Chine, dans le cadre de son programme d’aide autant d’outils qui permettent aux citoyens d’influer sur aux régions pauvres. Dans les quartiers défavorisés, on met- les prestations du secteur public et d’exercer un certain tra en place des services urbains essentiels dans le cadre contrôle, tout en limitant les possibilités de corruption. d’une stratégie globale de développement urbain. Il im- Les réformes qui rendent les administrations et d’autres porte également d’aider les villages pauvres à accéder à l’in- entités publiques, comme la police, plus responsables et formation, afin qu’ils puissent participer à la vie plus attentives aux besoins des pauvres, peuvent avoir un économique et surveiller les activités des autorités locales. impact majeur sur la vie quotidienne de ces derniers. Promouvoir une décentralisation et un développement Insertion communautaires bénéfiques pour tous. La décentralisation Les institutions de l’État et de la société déterminent en peut rapprocher les prestataires de services des commu- grande partie les potentialités de croissance économique nautés et des individus défavorisés et donc, théoriquement, et de lutte contre la pauvreté. Les mesures améliorant le permettre aux pauvres d’avoir plus d’influence sur les ser- fonctionnement de ces institutions stimulent la croissance vices auxquels ils ont droit. À cet effet, on devra renforcer et accroissent l’équité, car elles abaissent les barrières ad- les capacités locales et transférer les ressources financières ministratives et sociales qui entravent l’activité économique nécessaires. On veillera également à ce que les classes et la mobilité sociale. Cependant, il est certain que, sans privilégiées locales n’accaparent pas les ressources et les une ferme volonté politique, il est difficile de formuler services. La décentralisation doit aller de pair avec la et d’appliquer ce type de mesures, surtout lorsque le mise en place de mécanismes efficaces de participation Abrégé 11 populaire et de suivi des organismes gouvernementaux par Bangladesh et dans la quasi-totalité des lieux où cette ques- les citoyens. On pense, par exemple, à des réformes per- tion a été étudiée). mettant aux collectivités de décider de l’utilisation des Abaisser les barrières sociales. Les structures et les ressources et de jouer un rôle dans la mise en œuvre des institutions sociales forment la trame des relations projets. Par ailleurs, diverses options permettent de faire économiques et politiques et engendrent un grand nombre participer les collectivités et les ménages à certaines ac- des dynamiques qui créent et font durer la pauvreté ou tivités sectorielles. Ainsi, les parents aux questions qui la réduisent, selon le cas. Les structures sociales qui d’éducation et les associations d’utilisateurs aux ques- contribuent à l’exclusion et à l’inéquité, telles que la tions d’approvisionnement en eau et d’irrigation. stratification des classes ou les divisions fondées sur le sexe, Promouvoir la parité des sexes. L’inégalité dans les re- sont des obstacles majeurs à la promotion sociale des lations hommes-femmes s’inscrit dans le contexte plus pauvres. Le gouvernement peut encourager l’évolution de vaste des inégalités fondées sur les normes et les valeurs la société en promouvant le débat sur les pratiques ex- sociales. Mais le dossier de la parité hommes-femmes est clusionnistes ou sur certains sujets tabous, et en facilitant présent dans tant de domaines d’activité qu’il mérite une l’engagement et la participation de groupes représentant attention particulière. Les manifestations de l’inégalité les exclus de la société. Pour aider les catégories qui se heur- entre hommes et femmes varient considérablement d’une tent à une discrimination active, les législateurs peuvent société à une autre, mais, dans presque tous les pays, la adopter à titre sélectif des mesures de discrimination majorité des femmes et des filles ont relativement moins positive. S’agissant des divisions sociales, on peut les at- de pouvoir et de contrôle sur les ressources matérielles ténuer en mettant les parties adverses en présence dans (dans la plupart des pays, les droits fonciers sont l’apanage le cadre de forums formels et informels et en canalisant des hommes), ce qui aggrave souvent leur insécurité (par les énergies par le biais des processus politiques, plutôt exemple, en cas de décès de leur mari). Les femmes pau- que de leur laisser l’affrontement ouvert comme seul vres sont donc doublement désavantagées. De plus, le exutoire. On peut envisager également d’éliminer les dis- manque d’autonomie des femmes a des conséquences néga- positions législatives et les procédures juridiques péna- tives non négligeables sur l’éducation et la santé des enfants. lisant les individus pour des raisons liées à l’origine eth- Une plus grande égalité entre hommes et femmes est nique, à la race et au sexe, et d’encourager les femmes et souhaitable non seulement en soi, mais également parce les groupes ethniques et raciaux à siéger et à se faire en- qu’elle se traduit par des avantages économiques et so- tendre au sein des organisations locales et nationales. ciaux sur le terrain de la lutte contre la pauvreté. Certains Promouvoir le capital associatif des pauvres. Les normes progrès ont été réalisés, dans les domaines de l’éducation sociales et les réseaux sont des formes de capital essentielles et de la santé, par exemple, mais il reste beaucoup à faire. pouvant aider à arracher les individus à la pauvreté. C’est L’expérience prouve qu’il faut combiner des mesures poli- pourquoi il est important de travailler avec les réseaux de tiques, juridiques et des interventions directes du gou- pauvres et de les soutenir, ainsi que de renforcer leurs po- vernement. Trente-deux pays, de l’Argentine à l’Inde, tentialités, en les reliant à des organisations intermédiaires, ont légiféré pour accroître le nombre de femmes siégeant à des marchés plus vastes et aux institutions publiques. dans les assemblées locales et nationales. D’ores et déjà, Ce faisant, on doit également améliorer le contexte ju- cela a transformé la vie des femmes, qui peuvent désor- ridique, réglementaire et institutionnel dans lequel opèrent mais participer à la vie publique et aux processus de dé- les représentants des pauvres. Étant donné que les or- cision. Certains pays rectifient des dispositions juridiques ganisations de pauvres ont généralement un caractère défavorables aux femmes, comme la Colombie dans le cas localisé, il faut aussi les aider à se doter des moyens d’in- de la Loi agraire de 1994. Au Bangladesh et au Pakistan, fluer sur les politiques aux niveaux des collectivités ter- l’expérience montre que les subventions publiques en ritoriales et de la nation, par exemple en mettant les faveur de l’éducation des filles sont rentables. On a con- organisations locales en rapport avec des entités plus staté que diverses mesures de stimulation des activités pro- vastes. ductives, notamment les microcrédits et les intrants agricoles, avaient permis d’accroître les rendements (au Sécurité Kenya, par exemple), de renforcer l’autonomie des femmes Avant de pouvoir renforcer la sécurité, il faut savoir com- et d’améliorer l’état nutritionnel des enfants (au ment l’insécurité affecte l’existence et les perspectives des 12 Abrégé pauvres. Là aussi, différents types de mesures doivent être Élaborer des systèmes nationaux de gestion des risques combinés pour faire face aux risques de portée nationale sociaux favorisant la croissance. De nombreux pays ont be- ou régionale et pour aider les pauvres à affronter l’adversité soin de systèmes nationaux de gestion des risques soci- au niveau individuel. aux. La difficulté consiste à les formuler de façon qu’ils Aider les pauvres à gérer les risques par une approche mo- ne portent pas atteinte à la concurrence et que les dulaire. Différentes interventions sont à prévoir, au niveau pauvres en bénéficient. Voici quelques exemples : des des communautés, du marché et de l’État, selon le type systèmes qui fournissent parallèlement une assurance de risque et le segment de la population considérés. Un aux non-pauvres et une aide sociale aux pauvres (Chili) ; panachage de mesures diverses pourra aider les commu- une assurance maladie offrant une couverture en cas de nautés et les ménages à gérer les risques, selon le type de maladie catastrophique susceptible de réduire à néant les risque et les capacités institutionnelles du pays. Des pro- actifs familiaux (Costa Rica) ; et l’assurance chômage et grammes de micro-assurance articulés sur les organisations les aides qui n’encouragent pas la marginalisation. Pour de femmes peuvent compléter des programmes de que les programmes de ce type portent tous leurs fruits, microcrédit à l’intention des femmes défavorisées, comme il importe toutefois que les pays soient à même de les gérer dans le cas des programmes dirigés par SEWA dans le efficacement. secteur informel en Inde. On peut développer les pro- S’attaquer au problème des conflits civils. Les conflits civils grammes de travaux d’utilité collective à la suite de chocs sont dramatiques pour les pauvres : la majorité des con- locaux ou nationaux. Les programmes de distribution de flits, pour la plupart des guerres civiles, se déroulent dans vivres et les fonds sociaux conçus pour financer les pro- des pays défavorisés : plus de 85 % de tous les conflits jets des communautés peuvent aussi constituer un moyen ont eu pour théâtre le territoire national entre 1987 et d’action efficace en cas de catastrophe. 1997. Outre les pertes en vies humaines, ces conflits Élaborer des programmes nationaux en vue de prévenir sont désastreux sur les plans social et économique et lais- les chocs (financiers et naturels) au niveau macroéconomique, sent derrière eux de profondes cicatrices psychologiques de s’y préparer et d’y réagir. Les chocs qui frappent un pays et sociales. Des enfants sont souvent recrutés comme tout entier sont souvent ceux auxquels les communautés combattants, comme en Sierra Leone, et les perspectives et les ménages pauvres ont le plus de mal à faire face, d’avenir de tous les enfants sont irrémédiablement as- surtout lorsque ces chocs sont répétitifs, profonds ou sombries par la perte de leurs proches, la perturbation de persistants. Pour gérer les risques liés à des chocs fi- leur scolarité et les séquelles psychologiques. nanciers et aux termes de l’échange, rien ne remplace une Bien entendu, la reconstruction de la société après un bonne politique macroéconomique et des systèmes fi- conflit est la principale priorité, comme au Cambodge et nanciers solides. Mais cela doit aller de pair avec une ou- au Rwanda, mais il est tout aussi urgent de prendre des verture mesurée du compte de capital, qui permet de mesures en vue d’éviter les conflits. L’expérience semble réduire le risque de mouvements volatiles à court terme. prouver que le renforcement des institutions pluralistes Il convient en outre de prendre des mesures visant à est un facteur de paix non négligeable. Il faut aussi ten- soutenir le niveau des dépenses affectées aux programmes ter d’amener les différents groupes à nouer des relations importants pour les personnes défavorisées en période de dans le cadre d’institutions politiques plus intégratrices récession, à savoir les programmes sociaux et les transferts et plus participatives, et par l’intermédiaire des institu- ciblés, étant entendu qu’on devra faire face à des besoins tions civiles. Comme on le verra ci-dessous, la commu- accrus. On n’oubliera pas non plus les filets de protec- nauté internationale doit également agir pour limiter tion anticycliques, de caractère permanent, mais utilisés l’accès aux ressources qui financent les conflits et pour ré- en cas de choc à l’échelle nationale. Ces mesures, ainsi que duire les ventes internationales de matériel militaire. Si d’autres, peuvent aussi être utiles lors de catastrophes les pays parviennent à s’engager dans la voie d’un naturelles. Les caisses de financement des interventions développement économique bénéfique pour tous, ils en cas de catastrophe peuvent financer les opérations de peuvent passer d’un cercle vicieux à un cercle vertueux. secours et aider les pays à se doter de moyens modernes Les conflits violents constituent l’un des domaines d’évaluation des risques. Investir et s’assurer en période d’action les plus urgents et les plus épineux, et af- de calme peut réduire les coûts personnels quand survient fectent certains des individus les plus démunis de la une catastrophe. planète. Abrégé 13 Lutter contre l’épidémie de VIH/SIDA. Le VIH/SIDA des opportunités en ouvrant plus complètement leurs est d’ores et déjà l’un des principaux facteurs d’insécurité marchés aux exportations des pays pauvres, en particulier dans les pays les plus gravement touchés d’Afrique. Si dans l’agriculture, les produits manufacturés à forte in- l’épidémie exerce ses ravages les plus immédiats au niveau tensité de main-d’œuvre et les services. On estime que les des individus et des ménages, elle n’en a pas moins des droits de douane et les subventions de l’OCDE se conséquences beaucoup plus vastes, dont pâtissent des traduisent par des pertes de bien-être annuelles de l’or- communautés et des nations entières. Ainsi, elle met à rude dre de 20 milliards de dollars pour les pays en développe- épreuve les systèmes traditionnels d’accueil des enfants, ment, soit l’équivalent d’environ 40 % de l’aide extérieure impose des pressions intolérables aux systèmes de santé de 1998. Beaucoup de pays en développement pensent publique et fait perdre de nombreux travailleurs pro- que, alors même qu’ils libéralisent leurs régimes com- ductifs. Plus de 34 millions d’individus sont infectés au merciaux, d’importants aspects des régimes commerciaux VIH (90 % d’entre eux vivent dans les pays en développe- des pays riches opèrent à leur désavantage. Qui plus est, ment) et 5 autres millions contractent l’infection chaque les pays bailleurs de fonds pourraient aider les pays en année. Plus de 18 millions de personnes sont déjà mortes développement à mieux utiliser l’aide extérieure pour des maladies liées au sida. Pour ce qui est de l’avenir, il lutter contre la pauvreté, en donnant plus aux pays qui est impératif que la communauté internationale mette tout suivent des politiques propices à la réduction de la pau- en oeuvre pour découvrir un vaccin contre le sida, mais vreté, et en n’imputant pas le financement de l’Initiative l’expérience acquise dans différents pays montre que les renforcée en faveur des pays pauvres très endettés au facteurs les plus décisifs dans l’immédiat sont un leader- budget de l’aide extérieure. ship efficace et des changements de société qui prévien- Insertion. La communauté internationale peut agir nent la propagation du virus, ainsi que les soins donnés pour donner plus d’influence aux personnes et aux pays aux personnes atteintes. À cet effet, il faut, entre autres, pauvres au sein des forums nationaux et mondiaux. L’aide briser les tabous relatifs à la sexualité, fournir des infor- doit être fournie de manière que les pays bénéficiaires en mations et un soutien ciblés aux groupes les plus ex- soient maîtres et elle doit être canalisée vers des pro- posés, comme les prostituées, et traiter les malades avec grammes de lutte contre la pauvreté voulus par les pays humanité. Le Brésil, l’Ouganda, le Sénégal et la Thaïlande et axés sur les résultats. Ces programmes doivent être offrent de bons modèles de ce qui peut être accompli élaborés avec la participation active de la société civile et lorsqu’on décide d’agir énergiquement. des acteurs du secteur privé. La voix des individus et des pays pauvres doit résonner plus fortement dans les forums Mesures à prendre par la communauté internationaux, car c’est à cette condition que les prio- internationale rités, les accords et les normes internationaux refléteront Dans la plupart des cas, il ne suffira pas d’agir aux niveaux leurs besoins et leurs priorités, par exemple dans les national et local pour faire reculer rapidement la pauvreté. domaines du commerce et des droits de propriété Il existe de nombreux domaines où la communauté in- intellectuelle. ternationale, et particulièrement les pays industriels, doit Il convient que les institutions financières interna- intervenir pour que les pays pauvres et les habitants dé- tionales et les autres organisations internationales pour- munis du monde en développement connaissent un suivent leurs efforts pour appliquer des stratégies et des avenir meilleur. L’allégement de la dette et les mesures com- mesures entièrement transparentes, et pour mener un plémentaires visant à renforcer l’efficacité de l’aide au dialogue ouvert et régulier avec les organisations de la so- développement constituent un élément de réponse. Mais ciété civile, en particulier avec celles qui représentent les des mesures tout aussi importantes s’imposent dans pauvres. Les organisations internationales doivent soutenir d’autres secteurs, du commerce aux vaccins, en passant les coalitions mondiales de pauvres afin qu’elles puissent par des interventions visant à combler l’écart dans les do- être entendues dans le débat mondial. Les sociétés multi- maines de l’information et du savoir, qui pourraient nationales peuvent aussi agir pour démarginaliser les améliorer les opportunités, l’insertion et la sécurité pauvres, par exemple en appliquant des méthodes d’in- matérielle des pauvres. vestissement éthiques et en adoptant des codes du travail. Opportunités. Dans le cadre d’un système commercial Sécurité matérielle. Il faut réduire les risques nés de forces fondé sur des règles, les pays industriels pourraient créer internationales adverses. En concertation avec les 14 Abrégé gouvernements et le secteur privé, les institutions finan- hommes, et surtout à ceux qui appartiennent à des caté- cières multilatérales doivent renforcer l’architecture fi- gories pauvres et marginales de la société. Les institutions nancière internationale et améliorer sa gestion pour et services décentralisés doivent être organisés compte tenu atténuer la volatilité économique, qui peut être cata- des paramètres locaux, des structures sociales, et des strophique pour les pauvres. Les gouvernements des pays normes et de l’héritage culturels de la société considérée. industriels devraient aussi appuyer davantage la produc- Les institutions internationales doivent être à l’écoute des tion de biens publics internationaux, en coopération pauvres et promouvoir leurs intérêts. Les pauvres sont les avec le secteur privé dans bien des cas, par exemple la principaux acteurs de la lutte contre la pauvreté et, à ce recherche et la distri-bution de vaccins contre le titre, ils doivent être au cœur des stratégies antipauvreté, VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme, et la recherche que ce soit au stade de la conception, de l’exécution ou et la diffusion de techniques agronomiques avancées du suivi. pour les climats tropicaux et semi-arides. La communauté Les pays riches et les organisations internationales ont internationale peut protéger l’environnement de façon à un rôle important à jouer à cet égard. Les pays en réduire les effets néfastes de la dégradation environ- développement appliquant un programme de lutte nementale, qui peut affecter sévèrement certains pays contre la pauvreté voulu par eux, cohérent et efficace, mé- pauvres. Enfin, la communauté internationale devrait ritent un soutien énergique qui les aidera à apporter la s’efforcer de mettre fin aux conflits armés, qui frappent santé et l’éducation à leur population et à éliminer le be- les pauvres de plein fouet, en prenant des mesures pour soin et la précarité. Parallèlement, il faut mettre les forces limiter le commerce international des armements, pro- du monde entier au service des pauvres et des pays défa- mouvoir la paix et soutenir la reconstruction physique et vorisés, pour qu’ils ne restent pas en marge des progrès sociale après les conflits. de la science et de la médecine. Promouvoir la stabilité financière et environnementale au niveau planétaire et Travailler ensemble pour combattre abaisser les obstacles opposés aux produits et aux services la pauvreté en provenance des pays pauvres doivent constituer des éléments fondamentaux de la stratégie. La stratégie exposée dans ce rapport repose sur le principe Un monde divisé ou un monde accueillant pour tous ? que la pauvreté ne signifie pas seulement un revenu ou Un monde où sévit la pauvreté ou un monde exempt de un développement humain insuffisants, mais également pauvreté ? Par un ensemble de mesures visant à pro- la précarité et l’impossibilité de s’exprimer, d’agir et d’être mouvoir les opportunités, l’insertion et la sécurité représenté. Cette vision des nombreuses facettes de la pau- matérielle, nous pouvons créer une nouvelle dynamique vreté implique nécessairement des stratégies de lutte con- de changement qui permettra de lutter contre le dénue- tre la pauvreté d’une plus grande complexité, dans la ment et d’instaurer des sociétés justes ainsi que concur- mesure où elles doivent tenir compte d’un plus grand rentielles et productives. Si le monde en développement nombre de facteurs, tels que les forces sociales et culturelles. et la communauté internationale unissent leurs efforts pour De ce point de vue, l’action passe par l’insertion et la mettre des ressources réelles, tant financières que celles participation, au niveau local, national et international. qui sont incarnées par les gens et les institutions — leur Les gouvernements nationaux doivent rendre pleine- expérience, leur savoir et leur imagination — au service ment compte à leurs citoyens de la voie qu’ils ont choisie de cette vision, le XXIe siècle sera une époque de pour parvenir au développement. Les mécanismes par- progrès rapide dans le combat pour l’élimination de ticipatifs peuvent donner la parole aux femmes et aux la pauvreté. Abrégé 15 Tableau A.1 Pauvreté absolue par région, années diverses, 1987–98 Population ayant fait l’objet d’au Nombre de gens vivant avec moins d’un dollar par jour moins une enquête (millions) Région (%) 1987 1990 1993 1996 1998a Asie de l’Est et Pacifique 90,8 417,5 452,4 431,9 265,1 278,3 Chine non comprise 71,1 114,1 92,0 83,5 55,1 65,1 Europe et Asie centrale 81,7 1,1 7,1 18,3 23,8 24,0 Amérique latine et Caraïbes 88,0 63,7 73,8 70,8 76,0 78,2 Moyen-Orient et Afrique du Nord 52,5 9,3 5,7 5,0 5,0 5,5 Asie du Sud 97,9 474,4 495,1 505,1 531,7 522,0 Afrique subsaharienne 72,9 217,2 242,3 273,3 289,0 290,9 Total 88,1 1 183,2 1 276,4 1 304,3 1 190,6 1 198,9 Chine non comprise 84,2 879,8 915,9 955,9 980,5 985,7 Part de la population vivant avec moins d’un dollar par jour (%) Région 1987 1990 1993 1996 1998a Asie de l’Est et Pacifique 26,6 27,6 25,2 14,9 15,3 Chine non comprise 23,9 18,5 15,9 10,0 11,3 Europe et Asie centrale 0,2 1,6 4,0 5,1 5,1 Amérique latine et Caraïbes 15,3 16,8 15,3 15,6 15,6 Moyen-Orient et Afrique du Nord 4,3 2,4 1,9 1,8 1,9 Asie du Sud 44,9 44,0 42,4 42,3 40,0 Afrique subsaharienne 46,6 47,7 49,7 48,5 46,3 Total 28,3 29,0 28,1 24,5 24,0 Chine non comprise 28,5 28,1 27,7 27,0 26,2 Note : Le seuil de pauvreté est de 1,08 USD par jour au PPA de 1993. Les estimations de la pauvreté reposent sur les données relatives au revenu ou à la consommation des pays de chaque région pour lesquels on disposait d’au moins une enquête pendant la période 1985-98. Lorsque l’année de l’enquête ne correspond pas à celles du tableau, nous avons corrigé les estimations compte tenu de l’enquête la plus proche et du taux de croissance de la consommation fourni par les comptes nationaux. Nous fondant sur l’hypothèse que l’échantillon de pays couverts par les enquêtes est représentatif de l’ensemble de la région, nous avons estimé le nombre de pauvres de chaque région. Cette hypothèse est évidemment moins solide dans les régions où les enquêtes ont été le moins nombreuses. Pour plus de renseignements sur les données et les méthodes de travail, voir Chen et Ravallion (2000). a. Chiffres préliminaires. Source : Banque mondiale 2000b. Notes les chiffres pour 1998 sont incomplets, vu le nombre li- mité d’enquêtes auxquelles on a pu se référer . 1. Sen 1999. 5. Hanmer et Naschold 1999. 2. Il s’agit d’une visite effectuée par Ravi Kanbur, qui 6. Hanmer et Naschold 1999 ; McGee 1999. a dirigé la rédaction du rapport jusqu’en mai 2000. 7. On trouvera une analyse des liens entre l’environ- 3. 1998 est l’année la plus récente sur laquelle des don- nement et la croissance au chapitre 4 de Banque mon- nées soient disponibles. Cependant, les chiffres relatifs à diale (2000a). 1998 ont un caractère préliminaire. 8. On trouvera des renseignements supplémentaires 4. Ces chiffres donnent une idée des grandes ten- dans la base de données statistiques de l’UNICEF dances, mais il convient de les manier avec prudence en (www.unicef.org/statis). raison des lacunes signalées au chapitre 1, d’autant que 16 Abrégé Références Hanmer, Lucia et Felix Naschold. 1999. « Are the International Development Targets Attainable? » Insti- Banque mondiale. 2000a. The Quality of Growth. New tut du développement outre-mer, Portland House, York : Oxford University Press. Londres. ———. 2000b. World Development Indicators 2000. McGee, Rosemary. 1999. « Meeting the International Washington. Development Targets: What Are the Prospects and Key Chen, Shaohua et Martin Ravallion. 2000. « How Did Challenges? Uganda Country Study. » Christian Aid, the World’s Poorest Fare in the 1990s? » Document Londres. de travail consacré à la Recherche sur les politiques de Narayan, Deepa, Robert Chambers, Meera K. Shah et développement. Banque mondiale, Washington. Patti Petesch. 2000. Crying Out for Change: Voices FMI (Fonds monétaire international), OCDE (Organi- of the Poor. New York : Oxford University Press. sation de coopération et de développement écono- Narayan, Deepa, avec Raj Patel, Kai Schafft, Anne miques), ONU (Organisation des Nations Unies) et Rademacher et Sarah Koch-Schulte. 2000. Can Any Banque mondiale. 2000. 2000 : Un monde meilleur one Hear Us? Voices of the Poor. New York : Oxford pour tous — Poursuite des objectifs internationaux de University Press. développement. Washington. Sen, Amartya. 1999. Development as Freedom. [www.paris21.org/betterworld/]. New York : Knopf. Pour obtenir un exemplaire de la version intégrale du Rapport, prière de prendre contact avec l’éditeur à l’adresse ci-dessous. Éditions ESKA 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris, France Tél. : 33 (1) 42 86 55 73 Fax : 33 (1) 42 86 45 31