« Le Groupe de la Banque mondiale après la crise » Available in: English, 日本語, руÑ?Ñ?кий, Bahasa (Indonesian), Türkçe, ‫العربية‬, Español, 中文, Português, Deutsch Assemblées annuelles Conseil des gouverneurs du Groupe de la Banque mondiale Allocution de Robert B. Zoellick Président du Groupe de la Banque mondiale Istanbul, Turquie 6 octobre 2009 « Le Groupe de la Banque mondiale après la crise » Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Gouverneurs, Mesdames et Messieurs, Je vous remercie d’être venus participer à ces Assemblées annuelles. Je voudrais en par ticulier remercier le Président du Conseil des gouverneurs, M. Nguyen Van Giau, et M. Agustín Carstens pour son rôle à la tête du Comité du développement. La collaboration qui s’est instaurée entre Agustín et moi n’a cessé de se renforcer ces deux dernières années. J’ai acquis un grand respect pour ses compétences de ministre et de leader avisé, et j’ai beaucoup appris de notre relation de partenariat et d’amitié. Bien que cette réunion soit la dernière à laquelle Agustín participe en qualité de président du Comité du développement, je sais que je ne manquerai pas de solliciter son avis et ses conseils à l’avenir. Je me réjouis à la perspective de travailler avec M. Al-Khalifa du Bahreïn, qui a bien voulu assumer la présidence du Comité. M. Al-Khalifa et moi-même avons déjà eu l’occasion de collaborer lorsque nous exercions des fonctions différentes, et je suis ravi qu’il ait accepté de nous rejoindre à ce moment critique. Je tiens également remercier mon collègue Dominique Strauss-Kahn. Nos deux institutions ont coopéré étroitement durant l’année écoulée, et j’attache un très grand prix à sa profondeur de vue, à son réalisme et à son sens de l’humour. Je voudrais aussi exprimer ma gratitude au gouvernement et au peuple turcs, qui ont été des hôtes exemplaires durant ces Assemblées annuelles. Nous avons été fascinés par la capitale de ce pays qui a tant accompli. Je tiens par-dessus tout à remercier les habitants d’Istanbul et de la Turquie pour leur merveilleux accueil. J’aimerais également profiter de cette occasion pour évoquer le souvenir d’un ancien président de la Banque mondiale, Robert McNamara, qui, pendant 13 années exceptionnelles, a dirigé et façonné la Banque. Il a apporté à cette institution une formidable énergie et la ferme conviction que des solutions pouvaient être trouvées aux problèmes du monde en développement. Le bilan de son action est impressionnant : sous sa présidence, la Banque a combattu la cécité des rivières en vue d’éradiquer et de prévenir cette maladie ; elle a accordé son premier prêt en faveur de la nutrition ; elle a appelé l’attention sur les pauvres en milieu rural ; elle a augmenté ses prêts à l’agriculture ; elle a publié le tout premier Rapport sur le développement dans le monde; et elle a noué des relations avec la Chine à un moment crucial du processus de développement de ce pays — ce palmarès en dit long sur sa clairvoyance et ses qualités de dirigeant. Robert McNamara a réorienté l’action du Groupe de la Banque mondiale vers un nouvel objectif : éradiquer la pauvreté dans le monde. Cette mission fondamentale reste la nôtre aujourd’hui et garantit la pérennité de la contribution de M. McNamara au processus de développement international — et à l’œuvre du Groupe de la Banque mondiale. Les dernières années de sa vie, lorsque je m’entretenais avec lui, M. McNamara se remémorait avec émotion le personnel d’exception du Groupe de la Banque, véritable palette de talents issus de divers horizons culturels et géographiques. Ses successeurs ont exprimé la même estime pour les agents de l’institution. Je voudrais à mon tour leur exprimer ma reconnaissance. Le personnel du Groupe de la Banque mondiale a su se montrer à la hauteur des défis rencontrés durant l’année écoulée — avec énergie, créativité et une idée bien précise de la tâche à accomplir pour les pays et les populations que nous avons le privilège de servir Nous sommes profondément attristés par le récent décès du ministre de la République démocratique du Congo, M. Futa. Après le Président, je tiens à mon tour à présenter mes condoléances à sa famille et au gouvernement de la RDC. Je voudrais également présenter mes plus sincères condoléances à la famille de l’ex-ministre japonais des Finances, M. Nakagawa. ***** ***** ***** Il y a un an, nous nous réunissions en pleine tempête . Aujourd’hui, ces turbulences sont loin d’être apaisées. D’après nos estimations, à cause de la crise mondiale, 90 millions de personnes de plus basculeront dans l’extrême pauvreté d’ici la fin de l’année prochaine ; jusqu’à 59 millions de personnes de pl us perdront leur emploi cette année ; et entre 30 000 et 50 000 nourrissons de plus mourront en Afrique subsaharienne. Derrière ces statistiques se cachent des drames humains : — Aoy Puon travaille dans une fabrique de vêtements au Cambodge. Depuis que la crise a éclaté, son salaire mensuel a été réduit de moitié. Ce qu’elle gagne aujourd’hui ne lui permet plus d’envoyer de l’argent à sa famille, qui dépend de son revenu. Quarante-huit fabriques de vêtements ont dû fermer au Cambodge durant l’année écoulée, et 62 000 employés – dont 90 % de femmes – ont perdu leur emploi. Aoy redoute maintenant de perdre le sien. — Zagd est berger en Mongolie, où la crise financière a entraîné la chute des prix du bétail. Pendant ce temps, le prix des denrées alimentaires augmente tous les jours, si bien que Zagd n’a plus les moyens d’acheter de la farine, du riz ou du sucre. Les bergers comme Zagd ne peuvent compter ni sur une pension, ni sur des aides sociales – lorsque leur revenu diminue, ils n’ont d’autre solution, que de réduire leur consommation. Comme l’explique un berger, « Je n’achète pas de sucre parce que c’est cher. Nous ne mangeons pas de légumes. Nous ne sortons pas, donc nous n’avons pas besoin de beaucoup de vêtements... En hiver, nous n’achetons pas de bois n i de charbon ». — Lindiwe a 28 ans et habite un bidonville d’Afrique australe. Elle est séropositive et a contracté la tuberculose. Elle ne peut plus recevoir de traitement au dispensaire de l’ONG qui soigne ces maladies, car la crise a tari les financements des donateurs, et l’ONG a épuisé son stock de médicaments. Il y a peu de chances que des ressources supplémentaires soient fournies : d’après une enquête récente de la Banque mondiale et d’ONUSIDA, un pays en développement sur cinq a dû réduire ses programmes de traitement antirétroviral, et 33 pays s’attendent à une aggravation de la situation l’année prochaine. Pour Lindiwe, le temps presse : « J’ai peur de mourir et de laisser ma petite fille seule au monde », confie-t-elle. Des emplois perdus et des vies détruites. Des filles contraintes de quitter l’école. Des familles qui doivent décider quel repas sauter dans la journée. Des enfants qui souffrent de malnutrition. Un retour irrémédiable en arrière sur le plan humain. Pendant que nous parlons de reprise, les pauvres souffrent autour de nous. Des villes et des bourgs, des vallées et des plaines ; des rues principales et des quartiers sans voirie, monte la même supplique : « Faites que cela ne se reproduise jamais plus. » C’est malheureusement une promesse que nous ne pouvons pas faire. Il n’est pas en notre pouvoir d’assurer que le monde ne connaîtra plus jamais de crise. Bien au contraire, s’il est une chose dont nous pouvons être sûrs, c’est que d’autres bouleversements se produiront. Mais s i nous nous y attelons résolument et si nous coopérons, nous pouvons tirer les leçons des crises antérieures et nous tourner vers l’avenir. Nous devons agir, pas seulement dans l’urgence, mais dans la durée, agir pour « reconstruire, plus solidement ». Cette tâche nous incombe, à nous tous ici présents. Il est facile de coopérer en temps de crise. C’est lorsque le péril s’éloigne que la coopération devient difficile. Les germes de la crise Avant de nous tourner vers l’avenir, nous devons comprendre le passé . Les bouleversements auxquels nous assistons aujourd’hui n’ont pas surgi du néant. Ils existaient en germe dans des événements antérieurs. Au cours des 20 dernières années, l’économie mondiale a connu de profondes mutations. L’effondrement des économies planifiées de l’Union soviétique et des pays d’Europe centrale et orientale, les réformes économiques engagées par la Chine et l’Inde, et les stratégies de croissance tirée par les exportations mises en Å“uvre par les pays d’Asie de l’Est sont autant d’éléments qui ont contribué à porter le nombre de participants à l’économie mondiale de marché à 4 ou 5 milliards de personnes, contre environ 1 milliard précédemment. Cette transformation offre d’énormes possibilités, mais elle ébranle aussi un système économiq ue international conçu au milieu du XXe siècle sur un modèle qui a été maintes fois rapiécé depuis. À certains égards, les germes des problèmes actuels ont été semés par les mesures qui ont été — ou n’ont pas été — prises en réponse aux crises financières de la fin des années 90. Après la crise asiatique, les pays en développement ont décidé qu’ils ne voulaient plus jamais être exposés aux tempêtes de la mondialisation. Nombre d’entre eux se sont « assurés » contre ces risques en administrant leurs taux de change et en constituant d’énormes réserves en devises. Certaines de ces mesures ont contribué à créer des déséquilibres et des tensions dans l’économie mondiale, mais pendant des années les gouvernements s’en sont accommodés dans un contexte général de croissance vigoureuse. Les banques centrales n’ont pas su voir les risques qui s’accumulaient dans la nouvelle économie. Après avoir maîtrisé, semblait-il, l’inflation des prix à la production dans les années 80, elles ont pour la plupart décidé que la politique monétaire ne permettait pas d’identifier et de limiter facilement les bulles des prix des actifs, et qu’une fois que ces bulles auraient éclaté, elles pourraient limiter les dommages occasionnés à l’emploi, à la production, à l’épargne et à la consommation dans l’« économie réelle » en abaissant résolument les taux d’intérêt. Les événements leur ont donné tort. Les organes de régulation et de supervision des institutions financières n’étaient plus ancrés dans la réalité. Dopée par la concurrence et l’innovation financière, l’offre de services – notamment à des entreprises et à des ménages souvent laissés pour compte dans le passé – a explosé, mais le principe de « rationalité du marché », séduisant dans sa simplicité, a poussé les régulateurs à faire abstraction des réalités psychologiques, des comportements institutionnels, des risques systémiques et de la complexité des marchés et de l’être humain. Alors même que nous apprenons ces leçons difficiles, nous devons prendre les devants et construire pour l ’avenir. En 1944, les participants à la conférence de Bretton Woods ont saisi la chance qui s’offrait à eux d’instaurer de nouveaux arrangements mondiaux. Ils ont passé trois semaines dans le New Hampshire à élaborer des règles, des institutions et des procédures qui régiraient les relations financières et commerciales de l’économie mondiale. Le monde a connu de profonds changements au cours des 65 dernières années – dont les transformations de 1989 n’étaient pas les moindres. La crise actuelle vient une fo is de plus modifier la donne. Des changements se profilent déjà, qu’il s’agisse de la répartition du pouvoir, des institutions ou de la coopération internationale. Ces évolutions dépendront de plusieurs facteurs, notamment de la manière dont les diverses parties s’adaptent à la nouvelle donne ; de la rapidité de la reprise ; de la nouvelle répartition des capitaux, des technologies et des ressources humaines à l’échelle mondiale et de ce qu’en font leurs nouveaux détenteurs ; et de la manière dont les pays décident — ou non — de coopérer. Un environnement en mutation Il y a peine plus de 10 ans, durant la crise financière qui a secoué l’Asie, le monde se préoccupait essentiellement de savoir si la Chine maintiendrait l’ancrage de son taux de change pour aider à stabiliser des économies s’effondrant comme des dominos. Aujourd’hui, la Chine est l’une des principales économies mondiales et joue un rôle de stabilisateur au plan international. La Chine et l’Inde représentent à elles deux 8,5 % de la production mon diale et, tout comme d’autres pays en développement, affichent une croissance beaucoup plus forte que celle des pays développés. Les États-Unis ont été durement touchés par la crise. Mais ils savent s’adapter. L’avenir de ce pays sera déterminé par ce qu’il fera pour résorber d’énormes déficits, assurer une reprise sans provoquer une inflation qui pourrait compromettre son crédit et sa monnaie, et réformer en profondeur son système financier pour maintenir sa volonté d’innovation dans un contexte toutefois plus sûr et solide. Il lui faudra aussi aider sa population à s’adapter au changement afin de préserver son plus grand atout : son ouverture au commerce, aux investissements, aux êtres humains et aux idées. Le Japon est la première grande puissance industrielle où la crise a été suivie de profonds bouleversements politiques. L’élection qui a donné le pouvoir au Parti démocratique japonais pourrait avoir jeté les fondations de la première démocratie bipartite viable de l’histoire du pays. Il n’est pas évident que le modèle traditionnel de croissance nourrie par l’exportation répondra aux besoins du Japon et du reste du monde ou qu’il restera viable dans une économie mondiale plus « équilibrée » qui ne s’appuiera plus dans une mesure aussi considérable sur le consommateur américain. Un Japon vieillissant aura de nouveaux besoins de consommation. Une économie mondiale multipolaire pourrait lui offrir de nouveaux débouchés, notamment si l’on considère sa capacité remarquable à utiliser l’énergie de manière ration nelle. Les économies d’Europe centrale et d’Europe de l’Est ont été durement frappées. Et elles sont encore loin d’avoir réglé leurs problèmes. Sur le plan stratégique, il faut se féliciter de ce que, par delà tous leurs débats et leurs négociations internes, les États européens sont conscients de leur interdépendance. Cette fois, l’Europe sous pression ne s’est pas disloquée. La crise pourrait aussi donner un coup de fouet à l’Asie du Sud -Est — cela dépendra de la manière dont sont saisies les opportunités. La région se trouve à la croisée des chemins entre l’Inde et de Chine, deux puissances en mouvement. L’ANASE semble avoir compris l’importance du moment et a pris des mesures pour approfondir son intégration tout en tendant la main à d’autres pays. Étant donné la place non négligeable occupée par l’Indonésie et l’influence croissante du Viet Nam, les solides résultats qu’ils affichent sur un fond de tourmente économique offrent un contraste frappant avec la situation dans laquelle ils se trouvaient il y a une dizaine d’années. Pour d’autres pays, l’impact à long terme de la crise peut dépendre des prix des produits de base, en particulier du pétrole, qui ont récemment généré d’importantes rentrées. Lorsque le baril de pétrole coûte 100 dollars, ces pays sont dans une position forte. Lorsqu’il coûte 30 dollars, la plupart sont dans une situation très difficile. Cette dépendance à l’égard du pétrole et des produits de base offre une assise économique précaire dans un monde qui s’évertue à devenir moins tributaire des combustibles fossiles, et dans lequel les cours des produits de base montent et descendent au gré des préférences des investisseurs pour une « classe d’actifs » ou une autre. Les pays utiliseront-ils ces rentrées de manière judicieuse — pour diversifier leur économie et promouvoir un développement plus largement réparti ? Ce sont là des questions auxquelles la Russie, les pays du Golfe, et certains pays d’Amérique latine et d’Afrique doivent trouver une réponse. Les taux de croissance d’un certain nombre de pays africains atteignaient régulièrement des niveaux élevés avant la crise. Après celle-ci, de nouvelles opportunités pourraient se présenter. Certaines entreprises manufacturières chinoises envisagent d’installer leurs capacités de production d e base en Afrique. Il est probable que la Chine ne sera pas le seul pays à poursuivre des entreprises en Afrique, notamment la mise en valeur de ressources et des projets d’infrastructures. Le Brésil envisage de partager son expérience dans le domaine du d éveloppement agricole. L’Inde construit des voies ferrées. Nous assistons à l’amorce d’un phénomène qui ira en s’amplifiant. Il est absolument essentiel de comprendre l’évolution des rapports de force pour bâtir l’avenir ; les délégués de Bretton Woods l’avaient bien compris. La base politique de ce système est la résultante de l’expérience partagée d’une abdication des responsabilités après la Première guerre mondiale et d’une évaluation lucide des rapports de force après la Deuxième guerre mondiale. Maintenant que ces rapports se modifient, en même temps que la nature des marchés qui relient les parties en présence, le système ne semble plus être adapté à la réalité. Et maintenant, une mondialisation responsable ? L’ancien ordre international n’est plus. Ne perdons pas notre temps et notre énergie à le regretter. Nous devons maintenant bâtir un monde nouveau. Nous pouvons aujourd’hui mettre en place les fondations d’une « nouvelle normalité » de la croissance et d’une mondialisation responsable. La mondialisation a contribué à la poursuite d’une croissance économique soutenue dans de nombreux pays et a permis à des centaines de millions d’êtres humains d’échapper à la pauvreté. Toutefois les liens qui se tissent entre les économies ont également contribué de manière déterminante à transformer une crise financière dans les pays développés en une crise mondiale qui fait retomber des millions d’êtres humains dans la pauvreté. Le changement climatique s’accélère, et ce sont les pays les plus pauvres qui sont les plus durement touchés. Des maladies comme le SRAS en 2004, ou la grippe H1N1 cette année, se déclarent initialement dans des foyers locaux mais deviennent rapidement des menaces à l’échelle mondiale. L’augmentation des déplacements et l’ouverture des fron tières ne font qu’accroître leur virulence. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, prendre la mondialisation à contre-courant. Ce n’est d’ailleurs pas ce que l’humanité nous demande. Mais nous pouvons, et nous devons, l’accompagner de réformes pour limit er les dommages qu’elle peut causer tout en accroissant les avantages considérables qu’une mondialisation responsable peut apporter à des millions d’êtres humains. Que faut-il faire pour assurer une mondialisation responsable ? Nous devrons, avant tout, reconnaître que, sans les pays en développement, il ne sera pas possible de trouver une solution aujourd’hui, de réaliser des progrès demain et d’assurer la prospérité au cours des années qui viennent. Il y a deux semaines à Pittsburgh, les dirigeants mondiaux ont décidé de faire du G-20 la grande instance de coopération économique internationale des pays industrialisés avancés et des puissances montantes. C’est un bon début. Mais le G-20 ne peut pas fonctionner comme un comité indépendant. Il ne peut pas non plus faire abstraction des besoins des plus de 160 pays qui n’en font pas partie. Il doit fonctionner comme un « groupe directeur » pour un réseau de pays et d’institutions internationales qui représentent un plus grand nombre de parties prenantes. Il doi t reconnaître que certaines questions sont étroitement liées et promouvoir des domaines d’intérêt mutuel sans être hiérarchique ou bureaucratique. Et il doit opérer en liaison avec le G-186 représenté ici. Les prévisionnistes s’attendent à ce que la croiss ance reste morose et que le chômage demeure élevé pendant un certain nombre d’années. Le consommateur américain ne sera plus le principal moteur de la demande économique. Les possibilités semblent limitées en Europe et au Japon ; la Chine pourrait avoir un impact, mais il se peut qu’elle se heurte, l’année prochaine, à des problèmes dus à l’expansion du crédit. D’autres économies en développement pourront contribuer à la reprise mondiale à condition, toutefois, qu’elles puissent obtenir des financements. Un grand nombre d’entre elles ont l’espace budgétaire nécessaire pour pouvoir emprunter, mais elles ne peuvent pas se procurer les volumes de capitaux dont elles ont besoin à des prix raisonnables sans évincer leur propre secteur privé. Le Groupe de la Banque mondiale et les banques régionales de développement peuvent jouer un rôle utile à cet égard. Un renforcement de la supervision et de la réglementation financière ayant pour effet d’éliminer les incitations à jouer au capitalisme casino à court terme pour réaliser des investissements productifs à long terme aura des effets positifs. Deuxièmement, les dirigeants doivent faire clairement ressortir le fait que le modèle de croissance serait plus équilibré et solidaire à l’échelle mondiale s’il était multipolaire ; cela ne veut pas dire qu’il suffit d’y inclure la Chine et l’Inde. Les pays d’Amérique latine, d’Asie et du grand Moyen -Orient pourront contribuer à l’avenir pour peu qu’ils investissent dès à présent. À terme, les investissements en Afrique, qui com pte près d’un milliard de consommateurs potentiels, aideront le continent à intégrer ses marchés et à devenir un autre pôle de croissance. Pour établir de multiples pôles de croissance, nous devons éliminer les goulets d’étranglement, stimuler la productivité par le biais d’investissements dans les infrastructures et l’énergie, l’expansion du secteur privé et une intégration régionale associe à des marchés ouverts. De nouveaux pôles de croissance peuvent offrir des débouchés aux biens d’équipement, aux services et aux technologies des pays développés. Troisièmement, les dirigeants doivent s’engager à assurer la viabilité de la croissance. Comme l’indique le Rapport sur le développement dans le monde que vient de publier la Banque mondiale sur le thème du développement et du changement climatique, les pays en développement devraient subir entre 75 et 80 % des dommages provoqués par le changement climatique mais plus d’1,6 milliard de leurs habitants n’ont toujours pas l’électricité. Les pays en développement — et leurs intérêts — doivent être représentés à la table des négociations. Il importe de leur fournir des incitations et des financements afin de promouvoir une croissance sobre en carbone en adoptant des technologies, en utilisant l’énergie de manière rationnelle et en investissant dans des activités de boisement. Quatrièmement nous devons mettre en place des mécanismes pour protéger les plus vulnérables. Il y a deux semaines, lors du sommet de Pittsburgh, les dirigeants du G-20 ont réitéré leur appui à une nouvelle initiative lancée lors de la réunion du G-8 en Italie, financée à hauteur de 20 milliards de dollars, pour assurer la sécurité alimentaire. Ils ont demandé au Groupe de la Banque de collaborer avec des bailleurs de fonds et des organisations pour constituer un fonds fiduciaire multilatéral afin de considérablement accroître la portée de l’aide à l’agriculture dans les pays à faible revenu. Trop souvent, l’aide bilatérale concentre ses re ssources sur des secteurs et des pays particuliers. En revanche, grâce à cette approche multilatérale, plus globale, nous pourrons regrouper les ressources et mieux appuyer les efforts novateurs pour nous attaquer à la question de la sécurité alimentaire tout au long de la chaîne et mettre en place des systèmes agricoles viables. Toutefois, tant que les engagements restent des engagements, ils ne permettent pas de planter des semences ou de nourrir les affamés. La faim et la famine sont des menaces permanentes, comme en témoigne la sécheresse qui sévit actuellement en Afrique de l’Est. Nous devons donc agir rapidement pour traduire cette initiative dans les faits. La crise des prix alimentaires, la crise des prix des combustibles et, maintenant, la crise financière ont mis un terme aux progrès en direction des objectifs de développement pour le Millénaire et ont réduit à néant les accomplissements de nombreuses années. Nous devons remédier à une insuffisance de l’architecture financière mondiale en offrant l’assurance aux pays les plus pauvres qu’ils ne seront pas laissés sans défense face a d’immenses défis. Le Groupe de la Banque mondiale s’emploiera à préciser le projet de Fonds de financement des ripostes à la crise, entériné par le G-20 et le Comité du développement, conçu pour pouvoir apporter une aide rapide et efficace aux pays les plus vulnérables et fragiles qui, pour beaucoup, sortent d’un conflit. Que ce soit par le biais de filets de protection ciblés, des PME ou de la microfinance, nous pouvons co ntribuer à amortir l’impact des grands bouleversements sur ceux qui sont le moins protégés. Nous devons également nous employer à préparer le passage d’une politique de relance budgétaire de l’État à une relance par la demande du secteur privé, les investissements et le commerce en offrant un contrepoids au protectionnisme financier et commercial. L’IFC vient de constituer une nouvelle Société de gestion d’actifs qui est chargée de gérer des fonds pour financer des investissements dans des banques, des prises de participation, des opérations d’infrastructures et des restructurations de dettes. Nous pouvons aider à développer les marchés financiers des pays en développement tout en acheminant des ressources provenant de fonds souverains, de caisses de pension et d’autres fonds de gestion de patrimoine vers les secteurs privés productifs de ces pays. L’an passé, le Groupe de la Banque a redoublé d’effort face à la crise et fourni des concours financiers qui ont atteint le montant sans précédent de 59 milliards de dollars. Les engagements de la BIRD ont quasiment triplé pour représenter 33 milliards de dollars, et ceux de l’IDA ont totalisé la somme record de 14 milliards de dollars ; plus de 50 % des nouveaux projets de l’IFC sont allés à des pays IDA. Les programmes d’appui à l’infrastructure – d’une importance capitale pour la reprise et la création d’emplois – ont totalisé 21 milliards de dollars ; nous avons aussi affecté un montant supplémentaire de 4,5 milliards de dollars au financement de filets de sécuri té et d’autres programmes de protection sociale à l’intention des plus vulnérables. L’IFC sait à la fois innover résolument et mobiliser des ressources ; nous avons lancé plusieurs initiatives à l’appui de la recapitalisation des banques, du financement du commerce, de l’infrastructure et de la microfinance. D’après nos projections, la BIRD devrait battre un nouveau record cette année avec des engagements d’au moins 40 milliards de dollars. Il apparaît désormais clairement que la demande de financements de la BIRD sera bien supérieure aux 100 milliards de dollars indiqués l’année dernière dans le communiqué du Comité du développement. Les pays IDA sont eux aussi confrontés à d’importants déficits de financement. Selon nos estimations, les besoins de financement non couverts des pays les plus pauvres pour les dépenses essentielles de santé, d’éducation, de protection sociale et au titre de l’infrastructure représenteraient quelque 11,6 milliards de dollars. Je sais que les pays développés sont confrontés à des contraintes budgétaires. Mais il ne saurait y avoir de mondialisation responsable sans que les parties prenantes assument leurs responsabilités. Nous pouvons et nous devons faire plus. Quel pourrait être le rôle du Groupe de la Banque dans le monde qui naîtra de la crise ? S’il disposait d’un niveau élevé de fonds propres, le Groupe de la Banque mondiale serait bien placé pour impulser la recherche de solutions aux problèmes posés par la mondialisation, le développement et la crise financière. Nous avons un rayonnement mondial, nous sommes présents sur le terrain et nous intervenons dans de nombreux secteurs. Notre savoir-faire nous permet de travailler avec le secteur public et le secteur privé, avec les pays à revenu intermédiaire et les pays à faible revenu. Nous avons construit un référentiel des meilleures pratiques internationales dans le domaine du développement que nous ne cessons d’enrichir ; nous avons des compétences hors pair en matière bancaire et de gestion des risques ; et nous pouvons exercer un effet de levier sur notre bilan. Nous jouons un rôle moteur dans la promotion d’un nombre grandissant de biens publics mondiaux, et un rôle de catalyseur et de mobilisation des ressources à l’échelle mondiale. Autant d’éléments qui font la spécificité du Groupe de la Banque mondiale comparé aux autres banques multilatérales de développement. Le rôle du Groupe à l’issue de la crise sera probablement dicté par quatre grands principes : Le premier concerne le financement du développement, qui devra faire appel à des instruments classiques, mais aussi à l’innovation. Les clients du Groupe de la Banque expriment vigoureusement le souhait de voir l’institution émerger de la crise avec un niveau élevé de fonds propres et les moyens de continuer de fournir un volume critique de financement pour soutenir la croissance économique mondiale et éradiquer la pauvreté. Le Groupe de la Banque mondiale peut assurer cette fonction de diverses manières. Nous pouvons appuyer les mesures de relance par voie budgétaire et protéger les dépenses essentielles des pays qui ne sont pas en mesure d’appliquer des politiques anticonjoncturelles ; nous pouvons contribuer à stimuler la demande mondiale afin de soutenir une relance planétaire ; nous pouvons financer et soutenir les échanges ; nous pouvons aider le secteur privé à prendre la relève de l’État qui, face à la crise, était monté au créneau ; et nous pouvons aider à créer plusieurs pôles de croissance, caractérisés par des secteurs publics responsables et diligents et des secteurs privés dynamiques. Le deuxième porte sur l’offre de conseils. Le Groupe de la Banque est un référentiel des meilleures pratiques internationales dans le domaine du développement, fondé sur des données d’expérience, des travaux de recherche et l’acquisition de connaissances émanant tirées à la fois du secteur public et du secteur privé. C’est pourquoi les clients attendent précisément de nous que nous fassions la synthèse des connaissances pratiques et des idées nouvelles émanant de ces diverses sources et que nous les adaptions à leurs besoins. Le troisième a trait à la promotion des biens publics mondiaux associés à des enjeux pressants, comme le changement climatique et les maladies transmissibles, qui exigent d’intervenir dans plusieurs secteurs et da ns le cadre de missions consultatives et d’opérations d’investissement d’envergure mondiale, mais ancrées dans des programmes nationaux. Le Groupe de la Banque a déjà entrepris de mobiliser des ressources importantes par le biais des Fonds d’investissement climatiques. Nous pouvons contribuer de manière décisive au transfert de technologie, en aidant les clients à élaborer des stratégies de croissance à faible intensité de carbone et en renforçant les systèmes de santé, domaine dans lequel nous redoublons actuellement d’effort. Le Groupe de la Banque peut également promouvoir des biens publics, tels que des systèmes financiers et commerciaux solides et dynamiques, dans un cadre de règles multilatérales. Le quatrième principe concerne les crises à venir — celles que nous ne pouvons prévoir aujourd’hui, mais dont nous savons qu’elles se produiront : une pandémie, une catastrophe naturelle ou d’origine anthropique, ou une crise économique ou sociale. En cas de crise, la Banque peut mettre toute la panoplie de co mpétences et d’instruments dont elle dispose au service des actionnaires, comme elle l’a fait récemment pour venir en aide aux victimes des crises alimentaires, du tsunami dans l’océan Indien ou des crises financières au Mexique et en Asie de l’Est. La Banque mondiale envisage de prendre diverses mesures financières pour exploiter au maximum sa base de capital, notamment de relever le tarif des prêts ; de collaborer avec les pays pour pouvoir utiliser leur part du capital en monnaie nationale ; de procéder à une augmentation sélective du capital dans le contexte de la réforme de la voix ; de faire preuve de rigueur budgétaire ; et éventuellement de majorer le prix des prêts à long terme. Il est donc particulièrement important que tous les membres contribuent et assument leur part de responsabilité. Mais ces mesures risquent de ne pas être suffisantes. Si la BIRD continue d’accorder des prêts au rythme actuel, elle atteindra les limites de sa capacité financière vers le milieu 2010. L’IFC éprouve déjà des d ifficultés de cet ordre. Il ne fait aucun doute que l’avenir est incertain. Dans l’hypothèse où la reprise connaîtrait des à -coups ou manquerait simplement de souffle, pouvons-nous prendre le risque que le Groupe de la Banque mondiale, déjà sollicité à l’extrême, n’ait pas les moyens de jouer son rôle d’entraînement ? Face à la prochaine crise – une autre situation d’urgence alimentaire, la prochaine épidémie — pouvons-nous raisonnablement envisager un Groupe de la Banque mondiale contraint à l’inaction ? Je voudrais remercier le Comité du développement qui s’est engagé hier à assurer que le Groupe de la Banque mondiale dispose de ressources suffisantes pour faire face aux problèmes de développement qui se poseront à l’avenir, et à trancher cette question av ant le printemps 2010. Cet engagement marque un pas important en direction de la première augmentation générale du capital de la Banque mondiale depuis vingt ans. Le programme de réformes Le monde a besoin d’institutions agiles, souples, compétentes et com ptables de leurs actions. Le Groupe de la Banque mondiale confortera sa légitimité, améliorera son efficacité et son efficience, accroîtra sa transparence et élargira encore le champ de sa collaboration avec l’ONU, le FMI, les autres banques multilatérales de développement, les bailleurs de fonds, la société civile et les fondations qui sont des acteurs du développement de plus en plus importants. Nous sommes tout à fait conscients de l’importance de procéder à de multiples réformes pour répondre aux demandes de nos actionnaires, améliorer nos résultats et obtenir l’appui de vos parlements. Nous nous employons, notamment, à : • Améliorer l’efficacité du développement, en mettant particulièrement l’accent sur la politique de résultat, la décentralisation, la parité hommes-femmes, la refonte du modèle de prêt à l’investissement, et les ressources humaines ; • Promouvoir la transparence et une bonne gouvernance, notamment dans le cadre de nos efforts de lutte contre la corruption dans le monde, de l’amélioration de notre politique de transparence et d’information, et des recommandations de la Commission Zedillo qui sont sur le point d’être publiées ; et • Continuer d’améliorer le rapport coût-efficacité. Mais nous devons faire plus. Le système de Bretton Woods a été forgé par 44 pays à une époque où le pouvoir était aux mains d’un petit nombre d’États. Les vagues de la décolonisation commençaient juste à se former ; les quelques pays en développement étaient considérés comme des objets, et non des sujets, de l’histoire. Cette époque est depuis longtemps révolue. Les nouvelles réalités de l’économie politique exigent un système différent. Pour que les pays en développement puissent contribuer à l’apport d’une solution, il faut qu’ils participent aux négociations. Le système international a besoin d’un Groupe de la Banque mondiale qui est adapté aux réalités économiques internationales du XXIe siècle, reconnaît le rôle et les responsabilités de parties prenantes de plus en plus importantes, et permet à l’Afrique de mieux se faire entendre. La première phase des réformes engagées pour renforcer la voix et la représentation des pays en développement et en transition au sein du Groupe de la Banque a pris fin il y a un an avec la création d’un siège supplémentaire d’administrateur pour l’Afrique subsaharienne et le relèvement à 44 % de la part des voix collectivement détenues par les pays en développement à la BIRD. Je suis heureux que le Comité du développement ait souligné, hier, l’importance d’obtenir un accroissement supplémentaire des droits de vote des pays en développement d’au moins 3 % – qui porterait donc à 47 % leur part dans le total des voix, en vue de prendre une décision définitive lors des Réunions du printemps 2010. Nous devons continuer d’être ambitieux. Nous devrions tenter de voir s’il nous serait possible de rapprocher progressivement cette part de 50 %, sachant que les économies émergentes seront en partie responsables de la fourniture d’une aide au développement des pays plus pauvres. Le Groupe de la Banque mondiale doit mieux représenter le monde qui nous entoure. Conclusion Monsieur le Président : l’ancien ordre économique international avait déjà du mal à suivre l’évolution mondiale avant la crise. Les bouleversements que nous connaissons aujourd’hui ont ré vélé de profondes carences et des besoins criants. Il est temps de procéder aux changements nécessaires et d’aller de l’avant. Nous avons besoin d’un système d’économie politique internationale qui reflète une croissance devenue multipolaire. Ce système doit associer les puissances économiques montantes en leur qualité « de parties prenantes responsables » tout en reconnaissant qu’elles comptent toujours des centaines de millions pauvres et qu’elles sont confrontées au défi redoutable du développement. Il doit mobiliser les énergies et l’appui des pays développés, dont les populations ressentent le lourd fardeau de la dette, craignent la concurrence et estiment que les nouvelles puissances doivent assumer une part des responsabilités. Il doit aussi permettre de tendre la main aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables, aux 900 millions d’êtres humains qui n’ont toujours pas accès à de l’eau potable et au « milliard d’habitants le plus pauvre » condamné à la pauvreté par les conflits et la désintégratio n de la gouvernance. Ce système ne se mettra pas en place de lui-même. La question fondamentale consiste à déterminer si les dirigeants pourront collaborer pour promouvoir ce changement. Ils seront motivés par les intérêts des citoyens qu’ils représentent, comme il se doit. Mais ils devront aussi reconnaître les intérêts communs et les promouvoir, non seulement au cas par cas, mais aussi par l’intermédiaire d’institutions reflétant d’une « mondialisation responsable ». Nous assistons actuellement à la refonte de Bretton Woods. Il faudra, pour mener cette opération à son terme, plus longtemps que les trois semaines consacrées autrefois à la création du système dans le New Hampshire. Les parties en présence seront plus nombreuses. Mais cette réforme est tout aussi nécessaire. Les prochains bouleversements, où qu’ils se produisent, sont en gestation. Nous pouvons les guider ou les laisser nous emporter.