86179 La Révolution Inachevée Créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens Revue des politiques de développement La Révolution Inachevée Créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens May 2014 Revue des politiques de développement Rapport No. 86179-TN TUNISIE : Revue des politiques de développement La Révolution Inachevée Créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens 24 Mai 2014 Poverty Reduction and Economic Management Department Middle East and North Africa Region Currency Equivalents (As of May 1, 2014) Currency Unit = Tunisian Dinar (TND) USD 1 = TND 1.6305 Acronymes et Abréviations ACRLI Centre Arabe pour le Renforcement de l'Etat de Droit et de CNICM Commission nationale d'investigation sur la corruption et la l'Intégrité malversation ADSL Asymmetric Digital Subscriber Line / Ligne d'abonnés CNRPS Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale numérique à débit asymétrique CNSS Caisse National de Sécurité Sociale AFI Agence Foncière de l’Industrie CNUC Commission Nationale de l'Urbanisme ALC Amérique Latine et Caraïbes CNUCED Conférence des Nations Unies sur le commerce et le ALMPs Politiques Actives du Marché de l'Emploi développement AMC Société de Gestion des Actifs CSI Commission supérieure d'investissement ANETI Agence Nationale pour l’Emploi et le Travail Indépendant CTN Compagnie Tunisienne de Navigation API Agence pour la Promotion de l’Industrie DCTFA Accord de libre-échange approfondi et complet APIA Agence pour la Promotion de l’Investissement Agricole ECA Europe et Asie Centrale APII Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation ECN Réseau Européen de Concurrence EFT Enquête sur les Forces de Travail ASAB Accord de Services Aériens Bilatéraux ENE Enquête National des Entreprises BAD Banque Africaine de Développement EP Entreprises Etatiques / Publiques BCT Banque Centrale de Tunisie ETAP Entreprise Tunisienne d'Activités Pétrolières BFPME Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises FAMEX Fonds d'Accès aux Marchés d'Exportation BH Banque d’Habitat FAO Organisation des Nations Unies pour l 'Alimentation et l'Agriculture BIAT Banque Internationale Arabe de Tunisie FCPR Fonds Commun de Placement à Risque BNA Banque Nationale Agricole FIPA Agence pour la Promotion de l’Investissement Etranger BoP Balance des Paiements FMI Fonds Monétaire International BPO Externalisation du processus d'entreprise (BPO) FOPRODEX Fonds de Promotion des Exportations BT Banque de Tunisie FOPRODI Fonds de Promotion et de Décentralisation Industrielle CC Conventions Collectives FSAP Programme d’Evaluation du Secteur Financier CCG Conseil de Coopération du Golfe FTA Accords Commerciaux Extérieurs/Etrangers CCSP Coopérative Centrale de Semences et de Plantes GIFF Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance CDC Caisse des Dépôts et Consignations GPL Gaz de Pétrole Liquéfié CEPEX Centre de promotion des exportations HC Capital Humain CGE Équilibre général calculable HS Système Harmonisé CII Code d’Incitation aux Investissements IDE Investissement Direct Etranger CMI Centre pour l’Intégration Méditerranéenne IDM Indicateurs du Développement dans le Monde / World CNEA Centre National des Etudes Agricoles Development Indicators (WDI) IFAD Fonds International pour le Développement Agricole SICAR Société d’Investissement à Capital Risque IFC Société Financière Internationale SL Services de Localisation ILMLR Index de Liaisons Maritimes par Lignes Régulières SMIG Salaire minimum interprofessionnel garanti IMR Impôt Minimum de Remplacement SOBs Banques Publiques INS Institut National de la Statistique SOTUGAR Société Tunisienne de Garantie IRP Impôt sur le Revenu des Personnes SPC Sous-Traitance de Procédés de Compétences ITCEQ Institut Tunisien de la Compétitivité et des Etudes SPLT Société pour la Promotion du Lac de Tunis Quantitatives STAM Société tunisienne d'acconage et de manutention MAP Matrice d'Analyse de Politique STB Société Tunisienne de Banque MC Coût Marginal STEG Société Tunisienne de l’Electricité et du Gaz MCC Millenium Challenge Corporation STIR Société Tunisienne des Industries de Raffinage des produits MDCI Ministère du développement et de la coopération pétroliers internationale STRI Indice de Restrictivité des Echanges de Services (IRES) MENA Région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord TACT Association Tunisienne Pour la Communication et la MFN/NPF Nation la Plus Favorisée Technologie MICs Pays à Revenu Moyen TAF Fonds d’Assistance Technique MPC Marges Prix-Coûts TFP Productivité Totale des Facteurs Mtn Mesures Non Tarifaires TIC Technologie de l’Information et Communications MVNO Opérateur de Réseau Mobile Virtuel TIMSS Etude Internationale sur les Mathématiques et les Sciences NAFTA Accord de Libre-Echange Nord-Américain (ALENA) TMIR Taux Marginal d'Imposition Réel NPL Créances douteuses / crédits non-productifs TND Dinar Tunisien NPV Valeur Actuelle Nette TRI Taux de Rendement Interne OCDE Organisation de Coopération et de Développement TT Tunisie Télécom Economiques TTR Taux Global d'Imposition OIT Organisation Internationale du Travail TVA Taxe sur la Valeur Ajoutée OLS Moindres Carrés Ordinaires (MCO) TVET Formation Technique et Professionnelle OMC Organisation Mondiale du Commerce UE Union Européenne ONTT Office National du Tourisme Tunisien UGTT Union Générale Tunisienne du Travail PAFTA Accord de Libre Échange Arabe (ACLA) UHT Ultra-Haute Température PCM Prix-Coût Marginal UMA Union du Maghreb Arabe PIB Produit Intérieur Brut U-MICs Les Pays à Revenu Intermédiaire et Elevé PME Petites et Moyennes Entreprises UTICA Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de PS Product Space (Analyse de l’Espace des Produits) l'Artisanat R&D Recherche et Développement VC Capital Risque RAM Royal Air Maroc VET Formation Professionnelle RCA/ ACR Avantage Comparatif Révélé VNO Réseau Mobile Virtuel RMP Réglementation des Marchés de Produits WDI World Development Indicators / Indicateurs du Développement dans le Monde (IDM) RNE Répertoire National des Entreprises WITS World Integrated Trade Solution (Solution Commerciale ROAC Rentabilité des Capitaux Employés Moyens Intégrée de la Banque mondiale) RPD Revue des Politiques de Développement Table des Matières Remerciements 13 Résumé 18 Introduction 23 Chapitre Un : Une économie performant en-deçà de sa capacité 35 1.1 / Une dynamique macroéconomique entravée : Chômage persistant, faible productivité, mauvaise affectation des ressources, changement structurel faible, et faible performance des exportations 36 1.2 / Paralysie du secteur privé : Dynamique des entreprises en Tunisie 59 1.3 / Conclusions 69 Chapitre Deux : L’ouverture des marchés :Création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi 79 2.1 / Quel est le degré d’ouverture des marchés tunisiens ? 82 2.2 / Est-ce que le cadre de politique de concurrence tunisien est efficace dans la lutte contre les distorsions de marché associées avec le comportement anti-concurrentiel des entreprises et éliminer la réglementation anti-concurrentielle ? 95 2.3 / La Tunisie bénéficierait-elle d’une augmentation des pressions concurrentielles sur les marchés ? 96 2.4 / Un programme de réformes pour augmenter la concurrence en Tunisie : Ouverture des marchés à de nouvelles opportunités d’investissement et d’emploi 99 2.5 / Conclusions 102 Chapitre Trois : Copinage, performance économique, et inégalité des chances 109 3.1 / Copinage, corruption, et prédation en Tunisie 110 3.2 / Comment extraire des rentes en Tunisie ? L’utilisation de la règlementation 115 3.3 / Impact sur le développement du secteur privé : Faire face à la prédation et au copinage 123 3.4 / Impact du copinage et de la prédation sur l’économie tunisienne 124 3.5 / Conclusions 125 Chapitre Quatre : Cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé 133 4.1 / Cadre de la politique pour l’investissement en Tunisie 134 4.2 / Cadre réglementaire lourd et complexe pour les investissements et les activités du secteur privé 145 4.3 / Programme de réforme pour améliorer l’environnement des investissements 156 4.4 / Conclusions 162 Chapitre Cinq : Dysfonctionnements du marché de l’emploi 169 5.1 / Un marché du travail caractérisé par des emplois de mauvaise qualité et précaires 171 5.2 / L’amélioration du niveau d’éducation est vitale pour la croissance future 173 5.3 / Les politiques et institutions du marché font partie du problème 178 5.4 / Plan de réformes pour améliorer les résultats du marché du travail : Vers un nouveau « Pacte Social » 187 5.5 / Conclusions 191 Chapitre Six : Un secteur financier en déroute 199 6.1 / Faible performance du secteur financier 200 6.2 / Les défis affectant le secteur financier : Concurrence limitée et gouvernance faible dans les banques publiques 208 6.3 / Un programme de réformes pour le secteur financier 213 6.4 / Conclusions 215 Chapitre Sept : Une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations 221 7.1 / Potentiel inexploité : Un secteur industriel prêt à gravir l’échelle de valeur ajoutée 222 7.2 / Passer à une politique industrielle plus efficace 233 7.3 / Conclusions 239 Chapitre Huit : Des rentes à la concurrence : Exploiter le potentiel du secteur tertiaire en Tunisie 245 8.1 / Le rôle des services et du commerce des services dans la performance économique globale de la Tunisie 247 8.2 / Réformer le secteur des services : Le rôle des réformes unilatérales et l’intégration commerciale régionale 251 8.3 / Conclusions 254 Chapitre Neuf : Libérer le potentiel de l’agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l’intérieur 259 9.1 / La performance du secteur agricole est en-dessous de son potentiel, et semble biaisée en faveur de la production de biens pour lesquels il n'est pas compétitif 260 9.2 / Une politique agricole de distorsion, coûteuse et injuste 265 9.3 / Distinguer entre la sécurité alimentaire et l'autosuffisance alimentaire 271 9.4 / Calendrier des réformes : Libérer le potentiel du secteur agricole 272 9.5 / Conclusions 276 Chapitre Dix : Attaquer les disparités régionales 281 10.1 / Les disparités régionales en Tunisie 284 10.2 / Comment expliquer d’aussi grandes variations entre régions et à l’intérieur des régions en termes de revenus et d’emploi 284 10.3 / Stimuler les dotations et valoriser les rendements dans les zones défavorisées : 289 Un rôle clair pour le gouvernement 10.4 / Attaquer les disparités régionales : Trouver un équilibre entre l’équité spatiale et l’efficacité économique 291 10.5 / Conclusions 295 Chapitre Onze : Synthèse et recommandations de politique 299 11.1 / Le paradoxe économique Tunisien : D’une bonne performance à l’impasse du modèle économique 300 11.2 / Qu’est-ce qui ne va pas dans les politiques économiques passées de la Tunisie ? 303 11.3 / L’impasse économique en Tunisie est le résultat de ces politiques 308 11.4 / La Tunisie se trouve aujourd’hui à un carrefour 315 11.5 / L’avenir : Un agenda de réformes pour réaliser le plein potentiel de la Tunisie 317 11.6 / Conclusion 329 Tableaux Tableau 1.1 : Taux de croissance annuel moyen du PIB réel par habitant Tableau 4.3 : Principales réductions d’impôt brut, 2008-2011 (moyenne (en %) annuelle) Tableau 1.2 : Part des IDE par secteur en Tunisie (moyenne 2006-2012) Tableau 4.4 : Types de pratiques de la part des concurrents qui portent Tableau 1.3 : Part des IDE par secteur industriel en Tunisie (moyenne préjudice à votre entreprise 2006-2012) Tableau 5.1 : Matrice de Transition : Changement du statut d’emploi de la Tableau 1.4 : Parts des exportations et importations de la Tunisie par main d’œuvre (âgée de 15 à 64) entre 2010 et 2011 destination en 2007 Tableau 5.2 : Matrice de Transition : Changement de types de contrats Tableau 1.5 : Transitions d'emploi entre 2010 et 2011 Tableau 1.6 : Création d'emplois nette et orientation internationale Tableau 6.1 : Indicateurs de concurrence pour certains pays MENA Tableau 1.7 : Asymétrie des grands exportateurs Tableau 7.1 : Synthèse de l’analyse du Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance (première étape) Tableau 1.8 : Croissance des exportations au niveau de l'entreprise Tableau 9.1 : Contribution de produits individuels à la croissance du Tableau 2.1 : Liste des produits assujettis à un contrôle des prix / marges secteur agricole Tableau 2.2 : Relation entre concurrence (PCMs) et productivité du travail Tableau 9.2 : Exportations vers l'UE de produits choisis sous quota, 2010 Tableau 2.3 : Etendue de l’actionnariat public dans le secteur du gaz et 2011 secteur et du transport aérien en Tunisie Tableau 9.3 : Composition des transferts budgétaires au secteur agricole Tableau 2.4 : Les gains attendus en productivité du travail suite à une (en millions de TND) baisse de 5 % de MPC (concernant la moyenne 2003-2010 par sous- Tableau 9.4 : Effets de la libéralisation du commerce des produits secteur) agricoles sur l'économie dans son ensemble Tableau 4.1 : Investisseurs marginaux et non marginaux par type Tableau 9.5 : Gagnants et perdants d'une réforme des politiques agricoles d’entreprise en Tunisie Tableau 4.2 : Coût total net des incitations en 2009 (millions de TND) Figures Figure 1.1 : Taux de croissance réel par habitant 1990-2010 Figure 1.19 : Croissance des exportations de la Tunisie dans un contexte Figure 1.2 : Flux d'IDE à travers les secteurs, Tunisie et Maroc (2008-2010 global moyenne) Figure 1.20 : EXPY prévu Vs réel en 2009 en Tunisie et pays de référence Figure 1.3 : Expansion de l’éducation supérieure en Tunisie, 1990–2009 et Figure 1.21 : Valeur ajoutée en Tunisie, par secteur d'exportation 1950–2010 Figure 1.22 : Exportations nettes par secteur en Tunisie 2007 Figure 1.4 : L’explosion des jeunes en Tunisie et chômage des diplômés Figure 1.23 : Concentration des exportations de la Tunisie par pays en du supérieur 2007 Figure 1.5 : Taux de chômage chez les jeunes de 15 à 29 ans en 2005, Figure 1.24 : Répartition de l'emploi et taille des entreprises (1996-2010) 2010 et 2011 Figure 1.25 : Emploi et distribution par taille d'entreprise (sauf le travail Figure 1.6 : Taux de chômage par région en 2005 et changement en 2011 indépendant) en République Tchèque, en Estonie, au Maroc et en Tunisie Figure 1.7 : Croissance de l’emploi, 2005-2010, et déficit annuel Figure 1.26 : Schémas globaux de création d'emplois d’emplois, 2007-2010 Figure 1.27 : Création nette d'emplois en Tunisie par taille et âge de Figure 1.8 : Création annuelle nette d’emplois par secteur, 2007 et 2010 l'entreprise, 1997-2010 Figure 1.9 : Croissance de la productivité totale des facteurs (avec travail Figure 1.28 : Création nette d'emplois au Maroc par taille (sauf ajusté au capital humain) 1980-2010 travail indépendant) et âge de l'entreprise, 1985-2006 (Vert=positive, Figure 1.10 : Productivité agricole de la Tunisie en comparaison Rouge=négative) internationale (2009) Figure 1.29 : Taux d'entrée des entreprises, divers pays, 2004-2009 Figure 1.11 : Taux de croissance annuelle moyenne de production par Figure 1.30 : Productivité par taille d'entreprise de l'industrie travailleur, 2000-2010 manufacturière tunisienne 1997-2010 Figure 1.12 : Productivité sectorielle de la main d'œuvre et emploi en Figure 1.31 : Rendement de la main d'œuvre et évolution de la PTF (1997- 2009 2007) par activité d'industrie manufacturière Figure 1.13 : Contribution des données démographiques, de l'emploi, et Figure 1.32 : Décomposition de la croissance de la productivité dans le de la productivité de la croissance du PIB par habitant en Tunisie, 2000- temps 2010 Figure 2.1 : Nombre de services exclusifs par profession en Tunisie : Figure 1.14 : Contribution sectorielle à la croissance du PIB en Tunisie, Comparaison avec les moyennes de l’OCDE et les cinq premiers pays les 2000-2010 plus performants de l’OCDE Figure 1.15 : Changement sectoriel et structurel en Tunisie, 2000-2010 Figure 2.2 : Nombre de secteurs ayant au moins une entreprise publique Figure 1.16 : Degré « d'ouverture » de la Tunisie et de l'Indice de : Tunisie en comparaison avec les pays de l’OCDE, non-OCDE et Europe Restriction Réglementaire des IDE 2012 Centrale et de l’Est (ECE) Figure 1.17 : Flux des IDE et Indice de Restric tion Réglementaire 2012 Figure 2.3 : Etendue de l’actionnariat public dans le secteur du gaz Figure 1.18 : Evolution de la valeur des exportations des biens et services secteur et du transport aérien en Tunisie (1990 = 100), 1990-2010 Figure 2.4 : Les gains attendus en productivité du travail suite à une baisse de 5 % de MCP (concernant la moyenne 2003-2010 par sous- Figure 6.3 : Frais généraux/ actifs totaux 2010, (%) secteur) Figure 6.4 : Actifs totaux par taille de banque, (%) Figure 3.1 : Importance économique des entreprises bien introduites Figure 6.5 : Salaires/employé/taille de banque 2006 - 2010 (en million de Figure 3.2 : Copinage et réglementation en 2010 TND) Figure 3.3 : Prévalence des changements juridiques (nouvelles Figure 6.6 : Revenu/frais généraux /taille de banque en 2010 (%) réglementations) à travers les secteurs par présence des entreprises Ben Figure 6.7 : Rendement de l’actif moyen pour certains pays de la région Ali, 1994-2010 Moyen-Orient et Afrique du Nord en 2010, (%) Figure 3.4 : Preuve d’évasion tarifaire en Tunisie, 2001-2011 Figure 6.8 : Rendement du capital moyen par taille de banque en 2010, (%) Figure 3.5 : Relation entre la classification erronée et (i) le niveau moyen Figure 6.9 : Crédit observé et crédit potentiel (référence) par rapport au des droits de la douane et (ii) la concentration sur le marché PIB, 2000-2010, (%) Figure 4.1 : Distribution géographique des incitations accordées dans le Figure 6.10 : Crédit privé par rapport au PIB de la Jordanie, le Maroc et la cadre du Code des Incitations aux Investissements, 2008-2011 (en million Tunisie, et les pays de l’OCDE à revenu élevé, 2009 à 2011 (%) de TND) Figure 7.1 : Représentation dynamique des changements dans l’espace Figure 4.2 : Importance des différents facteurs pour les investisseurs en des produits tunisiens, de 2000-2002 à 2007-2009 Tunisie Figure 7.2 : Evolution de la marge intensive et extensive du produit Figure 4.3 : Importance des incitations fiscales dans la décision d’investir 2002-2011 en Tunisie et distribution des investisseurs marginaux par secteur Figure 7.3 : Principales exportations de la Tunisie et évolution du Figure 4.4 : Coût net des avantages fiscaux en % du PIB et en % des commerce mondial, 2002-2011 recettes totales Figure 7.4 : Index de pénétration des exportations, 2002-2011 Figure 4.5 : Taux effectif marginal d’imposition pour les projets Figure 7.5 : Exportations de la Tunisie et importations des régions en d’investissement en Tunisie (onshore et offshore) par rapport à d’autres 2007 (en US$ courants) pays de référence Figure 7.6 : Les exportations de la Tunisie vers l’UE et les importations UE Figure 4.6 : Facteurs qui constituent un obstacle à la croissance des par pays en 2007 entreprises en Tunisie Figure 8.1 : Une grande dépendance vis-à-vis des services de voyages et Figure 4.7 : %age de temps passé par les hauts responsables à s’occuper de transport de la réglementation Figure 8.2 : Une performance relativement faible dans les autres services Figure 4.8 : Les pertes dues à la faiblesse du climat d’investissement Figure 8.3 : Performance des exportations de services commerciaux (en % de vente) 2002-2012 (Index 2002 = 100) Figure 4.9 : Perception de la corruption parmi les entreprises dans la Figure 8.4 : Distribution par secteur d’entrée d’IDE et par %age d’emplois région Moyen-Orient et Afrique du Nord et % des demandes informelles de créés en Tunisie en 2012 paiement pour « accélérer les choses » Figure 8.5 : Indice de restriction au commerce des services (IRCS) par Figure 4.10 : Prévalence de la petite corruption et les retards de services secteur et par région Figure 4.11 : Perception de la corruption parmi les entreprises tunisiennes Figure 9.1 : Prix international d’une sélection de produits agricoles et (2010) d’engrais, 2000-2014 Figure 4.12 : Identifier la nature de la corruption Figure 9.2 : Exports vers l'UE de produits choisis en %age du quota, en Figure 4.13 : Comparaison du temps d’immobilisation des cargaisons et 2010 et 2011 ratio entre le temps d’attente le plus long/temps d’attente moyen Figure 9.3 : Composition des transferts budgétaires au secteur agricole Figure 5.1 : Surplus et manque de main-d’œuvre par spécialité en Tunisie en Tunisie, 2000-2009 en 2011 Figure 10.1 : Densité de la population par kilomètre carré en Tunisie, 2012 Figure 5.2 : Situation de travail des individus employés en 2010 Figure 10.2 : Densité des entreprises par kilomètre carré en Tunisie, 2012 Figure 5.3 : Transitions de la population employée entre 2010 et 2011 Figure 10.3 : Taux de pauvreté par région en 2010 (%age de la Figure 5.4 : Compétences en maths et logarithme du PIB par habitant, population vivant en dessous du seuil de la pauvreté) résultats de PISA en 2009 Figure 10.4 : Ecart de prospérité entre les régions en 2005 (%age de Figure 5.5 : Répartition des étudiants inscrits dans les institutions l’écart de consommation) universitaires (Année universitaire 2010/11) Figure 10.5 : Taux de chômage par gouvernorat et par région en 2010 Figure 5.6 : Situation professionnelle par type de diplôme (pour la (%age) promotion 2004 des diplômés tunisiens) Figure 10.6 : Ecart de prospérité dans les régions en 2005 (zones Figure 5.7: Résultats d’emploi par type de diplôme (pour un groupe de urbaines vs zones rurales) diplômés tunisien de 2004) Figure 10.7 : Niveau d’éducation de la population par région en 2011 Figure 5.8: Coin fiscal en comparaison internationale et par niveau Figure 10.8 : Mortalité maternelle par région en 2008 académique en Tunisie Figure 10.9 : Accessibilité du marché à travers la Tunisie Figure 5.9 : Cotisations au régime de sécurité sociale par catégorie Figure 10.10 : Décomposition Oaxaca-Blinder entre les zones rurales et Figure 5.10 : Le salaire minimum en Tunisie, par rapport aux pays de les zones urbaines dans chaque région comparaison Figure 10.11 : Décomposition Oaxaca-Blinder entre les zones phares et Figure 5.11 : Conventions collectives sur les salaires accordés aux les zones défavorisées (et zones rurales Vs zones urbaines) professionnels/techniciens (BAC+) pour certains secteurs, 2011 Figure 10.12 : Décomposition Oaxaca-Blinder à travers les zones Figure 5.12 : Réforme proposée des cotisations de sécurité sociale urbaines (par rapport au Grand Tunis) Figure 6.1 : Marge nette d’intérêt en Tunisie, 2006-2012, (%) Figure 10.13 : Prix internationaux de transport routier de marchandises, Figure 6.2 : Marge nette d’intérêt dans divers pays en 2010, (%) en cent US par tonne-km Encadrés Encadré 0.1 : Bilan en matière de réduction de la pauvreté en Tunisie Encadré 5.2 : Durabilité financière du régime de retraite tunisien Encadré 0.2 : Ce que la Banque Mondiale a appris de la Tunisie Encadré 5.3 : Un processus rationalisé aiderait les entrepreneurs tunisiens à rentrer dans le secteur formel Encadré 0.3 : Pourquoi les Tunisiens ont-ils fait la révolution? Encadré 5.4 : Un équilibre - entreprises à s'adapter au travail Encadré 1.1 : La Participation des femmes au marché du travail est très nouvellement affirmée en Tunisie faible Encadré 6.1 : La structure du système financier tunisien Encadré 1.2 : Qu'est-ce que la productivité et pourquoi elle est importante ? Encadré 6.2 : Les politiques de crédit prudentes, un obstacle pour les startups tunisiennes Encadré 1.3 : Décomposition du PIB et la mesure du « changement structurel » dans l'économie Encadré 6.3 : Secteur du tourisme en Tunisie : Chronique d’une mort annoncée ? Encadré 1.4 : La dichotomie offshore-onshore de la Tunisie Encadré 6.4 : Mécanismes de financement et d’incitation pour la R&D et Encadré 1.5 : L'intégration commerciale mitigée apporte des résultats l’innovation en Tunisie mitigés : Contraste de l'expérience de réformes en Tunisie par rapport aux pays d'Europe Centrale Encadré 7.1 : Rôle du gouvernement dans le développement des exportations clés pour lesquelles la Tunisie détient un grand potentiel Encadré 1.6 : Quelles entreprises créent le plus d'emplois en Tunisie ? Encadré 7.2 : Analyse de l’espace des produits Encadré 2.1 : Expérience internationale sur l’impact de la concurrence sur la croissance, la productivité et la création d’emploi Encadré 7.3 : Devenir leader européen en matière de valeur ajoutée : la stratégie de la République slovaque Encadré 2.2 : Investir dans l’avenir : La technologie mobile face aux règlementations complexes du secteur financier en Tunisie Encadré 7.4 : Le débat en cours sur l’efficacité de la politique industrielle Encadré 2.3 : Aperçu comparatif de la performance du secteur des Encadré 7.5 : Expérience de Singapour en matière de création de règles télécom en Tunisie de jeu équitables et attractives pour les affaires et de choix stratégiques pour appuyer les créneaux à haute valeur à travers des politiques Encadré 2.4 : Utiliser la technologie pour économiser l'argent du industrielles horizontales « douces » contribuable Encadré 9.1 : Méthodologie de l'analyse de la compétitivité des produits Encadré 2.5 : Les entreprises et banques publiques en Tunisie agricoles en Tunisie, 2000-2008 Encadré 2.6 : Open Sky – Des résultats économiques plus grands que les Encadré 9.2 : Fort potentiel non-exploité d'exportation d'huile d'olive et défis pour l’entreprise en place d'agrumes Encadré 3.1 : Définitions de « copinage », « corruption » et « prédation » Encadré 9.3 : Savoir-faire mais pas de soutien – les agriculteurs Tunisiens Encadré 3.2 : Deux exemples de politiques interventionnistes qui ont luttent afin de grimper dans la chaîne de valeur abouti au copinage et à des distorsions : Secteur du tourisme et industrie Encadré 9.4 : Une vue à partir de l’exploitation des problèmes du secteur automobile agricole et des priorités pour l'intervention de l'Etat Encadré 3.3 : Protection des producteurs de bananes tunisiens ? Encadré 10.1 : La décomposition Oaxaca-Blinder: Dotations ou marchés ? Encadré 3.4 : L’Explosion du commerce informel sur les frontières Encadré 10.2 : La recherche d’emploi : Migration interne en Tunisie terrestres de la Tunisie Encadré 10.3 : Les transferts budgétaires interrégionaux peuvent faire Encadré 3.5 : Exemples d’accès privilégié aux biens publics converger les niveaux de vie mais échouent quand il s’agit d’influencer Encadré 4.1 : Attractivité des investissements du Chili l’activité économique Encadré 4.2 : Obstacles au commerce entre les entreprises onshore et Encadré 11.1 : Ce que la Banque Mondiale a appris de la Tunisie offshore Encadré 4.3 : La bonne pratique : Davantage de paperasse, moins de ventes sur le marché local tunisien Encadré 4.4 : Etudes internationales sur l’impact des incitations aux investissements Encadré 4.5 : La bureaucratie un coup de massue pour Rugby Tunisie Encadré 4.6 : La logistique est un goulot d’étranglement en Tunisie Encadré 4.7 : Règlements fastidieux laissent un goût amer aux fabricants de bonbons tunisiens Encadré 4.8 : Prêt à importer – Comment les règlementations à l’import étouffent les fabricants locaux Encadré 4.9 : Leçons tirées de l’expérience des pays ayant « grimpé l’échelle de la valeur ajoutée » : Cas de la Malaisie Encadré 5.1 : Un modèle de réussite d’un PPP dans l’enseignement supérieur Liste des Annexes (Disponible en ligne sur www.worldbank.org/en/country/tunisia/publication/Unfinished-Revolution) Annexe I.1 : La viabilité des finances publiques en Tunisie : Gérer la Annexe 4.1 : Vue d’ensemble du régime d’investissement en Tunisie pression budgétaire et améliorer l’équité dans les dépenses publiques Annexe 4.2 : Description de l’enquête de motivation des investisseurs Annexe 1.1 : Méthodologie de la comptabilité de la croissance par le Groupe de la Banque Mondiale en 2012 Annexe 1.2 : Données de base pour méthodologie de la comptabilité de Annexe 4.3 : Description du processus administratif pour le lancement la croissance d’un processus d’investissement en Tunisie Annexe 1.3 : Analyse détaillée du « Changement Structurel » avec une Annexe 4.4 : Description de l’enquête de l’entreprise effectuée par le décomposition de 90 secteurs Groupe de la Banque Mondiale en 2012 Annexe 1.4 : Comparaison du changement structurel de la Tunisie par Annexe 4.5 : Recommandations pour la réforme du Code d’Incitation à rapport à des pays donnés l’Investissement Annexe 1.5 : Dynamique des entreprises Tunisiennes par rapport à des Annexe 4.6 : Réforme des incitations fiscales à l’investissement en pays donnés Tunisie Annexe 2.1 : Questionnaires et méthodologie de Réglementations du Annexe 5.1 : Tendances du chômage après la révolution Marché de Produit (RMP) Annexe 5.2 : Preuves préliminaires de la segmentation du marché du Annexe 2.2 : Prix-Coût Marginal (PCM) en tant que mesure de la travail entre les secteurs publics et privés concurrence de marché Annexe 7.1 : Le Code d’Incitation à l’Investissement dans le contexte de Annexe 2.3 : Liste détaillée des amendements nécessaires au Code de la politique industrielle en Tunisie depuis l’indépendance Concurrence Annexe 7.2 : Politique industrielle en Tunisie : Un arsenal d’interventions Annexe 3.1 : Evaluation de l’ampleur du copinage et l’impact sur la performance économique Annexe 7.3 : Avantage Comparatif Révélé des exportations Tunisiennes en 2010 Annexe 3.2 : Statistiques descriptives des entreprises confisquées Vs. autres entreprises Annexe 7.4 : Discussion brève des tendances de l’Avantage Comparatif Révélé en Tunisie par rapport aux pays de benchmark Annexe 3.3 : Analyse économétrique des écarts de performance des entreprises confisquées Annexe 7.5 : Synthèse de l’analyse du Cadre d’Identification et de Facilitation de Croissance (CIFC) (Première Etape) avec définition des Annexe 3.4 : Une analyse des changements au Code d’Incitation à secteurs au niveau 4-Digits l’Investissement dans le temps Annexe 9.1 : Défis clés du secteur agricole en Tunisie Annexe 3.5 : Régressions des lacunes commerciales avec niveaux de tarifs et la prévalence du soutien aux entreprises confisquées la présence d’une importante évasion par les entreprises de copinage Annexe 3.6 : Analyse du manque dû à l’évasion et la propriété des entreprises par Ben Ali par secteur Remerciements La présente Revue des Politiques de Développement a été élaborée par Antonio Nucifora (Economiste principal, Banque Mondiale) et Bob Rijkers (Economiste, Banque Mondiale) sous la direction de Bernard Funck (Responsable de secteur, Banque Mondiale). L’équipe comprend un grand nombre de membres du personnel du Groupe de la Banque Mondiale, ainsi que d’experts et d’académiciens tunisiens dont tous les noms n’ont pu être mentionnés ci- dessous. Bien que chacun d’eux ait contribué à des parties spécifiques du rapport, ils ne souscrivent pas tous nécessairement avec la totalité de l’étude et ses conclusions, et n’assument pas non plus de responsabilité quant aux erreurs ou omissions que le rapport pourrait contenir et qui demeurent l’unique responsabilité de l’auteur. L’équipe du Groupe de la Banque Mondiale comprend: Jean-Luc Bernasconi (Economiste principal), Erik Churchill (Conseiller), Doerte Doemeland (Economiste senior), Caroline Duclos (Consultante), Diego Angel-Urdinola (Economiste senior), David Robalino (Economiste principal et Chef de l’équipe des marchés de l’emploi), Gael Raballand (Economiste senior), Martha Martinez Licetti (Economiste senior et Chef de l’équipe de politique de concurrence), Georgiana Pop (Economiste), Laurent Gonnet (Spécialiste senior du secteur financier), Olivier Cattaneo (Consultant), Natsuko Obayashi (Consultante), Ann Hilger (Consultant), Arvo Kuddo (Economiste senior en matière du travail), Jan Rukowsky (Economiste principal), Gustavo De Marco (Economiste principal), Carlo Maria Rossotto (Expert principal en TIC), Magdi Amin (Responsable, Climat d’investissement dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord), Amina Khaled El Zayat (Chargé de l’investissement), Mohamed El Shiaty (Chargé de l’investissement), Sebastian James (Spécialiste senior en fiscalité), Arbind Modi (Spécialiste senior en fiscalité), Marc Schiffbauer (Economiste), Hania Sahnoun (Economiste), Cedric Mousset (Spécialiste principal du secteur financier), Djibrilla Adamou Issa (Spécialiste senior du développement du secteur privé), Mehdi Benyagoub (Economiste), Daniela Marotta (Economiste senior,), Giuliana Cane (Spécialiste du développement du secteur privé, Société Financière Internationale, IFC), Jaafar Sadok Friaa Spécialiste principal urbain), Somik V. Lall (Economiste urbain principal), Nancy Lozano-Gracia (Economiste urbaine senior), Alexandra Le Courtois (Expert urbain), Lana Salman (Economiste), Tara Vishwanath (Economiste principale en matière de pauvreté), Heba Elgazzar (Economiste senior), Bill Sutton (Economiste agricole principal), Markus Kitzmuller (Economiste), Claude Menard (Professeur d’économie à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne), Cyrille Bellier (Chef du Département de la recherche économique et sociale, Agence Française de Développement), Will Stebbins (Chargé senior de la communication), Besma Saadi Refai (Assistante de l’équipe), Narjes Jerbi (Assistante de l’équipe), Donia Jemail (Adjoint en communication), Sadok Ayari (Adjoint en communication), Ashraf Al-Saeed (Chargé de la communication en ligne), Sophie Brown (Consultante), Matej Bajgar (Consultant), Tanja Goodwin (Consultante). Du côté tunisien, l’équipe comprend, Abdel-Rahmen El Lahga (Professeur adjoint en économie, Université de Tunis), Sofiane Ghali (Professeur en économie et directeur de l’ESSEC, Université de Tunis), Mohamed Ali Marouani (Professeur adjoint en économie, Université de Paris , Panthéon-Sorbonne), Ghazi Boulila (Professeur en économie, Université de Tunis), Moez El Elj (Professeur adjoint en économie, Université de Tunis), Rim Mouelhi (Professeur en économie, ISCAE Campus Universitaire la Manouba, Université de Tunis), Mongi Boughzala (Professeur en économie, Université de Tunis El Manar), Samir Ghazouani (Professeur en économie, Université de Tunis Carthage), Fathi Lachab (Consultant, Banque Mondiale), Hamouda Chekir (Consultant, Banque Mondiale), Majdi Hassen (Directeur exécutif, Institut Arabe des Chefs d’Entreprises), Jamel Boumediene (Institut Arabe des Chefs d’Entreprises), Ramzi Labidi (Consultant, Banque Mondiale), Hassen Arrouri (Statisticien principal, Institut National de la Statistique, INS), Ali Bouzeyani (Directeur des statistiques d’entreprises, INS), Adel Souiden (Directeur des comptes la révolution inachevée 13 nationaux, INS), Yamen Hellel (Directeur des enquêtes sur la main-d’œuvre, INS), Fadia Boughacha (Statisticienne, INS), Mohamed Amara (Consultant, Banque Mondiale), et Leila Baghdadi (Maître assistante, Université de Carthage). Les remarques et les conseils de Abdelhamid Triki (ancien Ministre du Plan et de la Coopération Internationale) nous ont été très bénéfiques comme ceux de nos évaluateurs : Ann Harrison (Professeur en gestion à Wharton School, Université de Pennsylvanie), Phil Keefer (Economiste principal, Banque Mondiale), Celestin Monga (Economiste conseiller, Banque Mondiale), et Vincent Palmade (Spécialiste principal du secteur privé, Banque Mondiale). D’excellents commentaires nous sont également parvenus de la part de Shanta Devarajan (Economiste en Chef de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Banque Mondiale), Caroline Freund (Ancienne Economiste en Chef de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Banque Mondiale), Manuela Ferro (Ancienne directrice du Département de la réduction de la pauvreté et des politiques économique, Région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Banque Mondiale), Simon Gray (Directeur pays pour le Maghreb, Banque Mondiale), Eileen Murray (Représentante Résidente pour la Tunisie, Banque Mondiale), Najy Benhassine (Responsable du climat d’investissement, IFC) Melise Jaud (Economiste, Banque Mondiale), James Trevino (Consultant, DECOS), Chunlin Zhang (Spécialiste principal du secteur privé, Banque Mondiale), Mustapha Kamel Nabli (Ancien gouverneur de la BCT), Radhi Meddeb (Président IPEMED et président d’Action et Développement Solidaire), Nejmeddine Hamrouni (Ancien conseiller auprès du Chef du Gouvernement), Elyès Jouini (Vice-Président, Université de Paris-Dauphine), Aziz Mbarek (Co-Fondateur et Directeur Général Tuninvest/Groupe Africinvest), Kamel Laazar (Fondateur et président, Swicorp), Jamel Bel Haj (Directeur Général, Caisse des dépôts et des consignations, Tunisie), Sami Zaoui (Partenaire, Ernst & Young), Fares Mabrouk (Directeur, Yunus Social Business Tunisie), Mondher Khanfir (Président de Tunisian American Young Professionals Tunisia Chapter), Maher Kallel (Président, Forum Nou-R), Anis Dakhli (Conseiller, Présidence du gouvernement), Nizar Alaya (Conseiller, Présidence du gouvernement), Zakaria Belkhoja (Ancien conseiller auprès du Ministre de l’Investissement et de la Coopération Internationale), Ahmed Bouzguenda (Président de l’Institut Arabe des Chefs d'Entreprises, IACE), Majdi Hassen (Directeur exécutif, IACE), Anouar Ben Kaddour (Secrétaire général adjoint, Union Générale Tunisienne du Travail, UGTT), Mongi Smaili (UGTT), Hichem Elloumi (Premier Vice-Président, Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, UTICA), Kais Sellami (UTICA), Nafaa Ennaifer (UTICA), Abdelaziz Halleb (UTICA), Lofti Bouzaiane (Professeur en économie, IHEC Carthage, Université de Tunis 7 Novembre), Taoukif Rajhi (Conseiller économique, Banque Africaine de Développement), Zouhour Karray (Professeur adjoint, Université d’économie et de gestion de Nabeul), Moez Labidi (Professeur en économie, Université de Monastir), Mohamed- Safouane Ben Aissa (Professeur en économie, Université de Tunis El Manar), Ali Chebbi (Professeur en économie, Institut Supérieur de Gestion de Tunis, Université de Tunis), Mohamed Haddar (Président, Association Tunisienne des Economistes, ASECTU), Mohamed Kriaa (Professeur adjoint, Institut Supérieur de Gestion de Tunis, Université de Tunis), Mohamed Goaied (Professeur en économétrie appliquée, statistique et microéconomie, IHEC Carthage, Université de Tunis 7 Novembre), Asma Bouraoui Khouja (Forum économique maghrébin, et Association Tunisienne des Economistes, ASECTU), Lamia Zribi (Directeur général du plan, Ministère de l’Economie), Hmida Kelifi (Directeur Général de l’IEQ, Ministère de l’Economie), Moussa Maaref (Directeur et économiste principal à l’IEQ, Ministère de l’Economie), Jalleledine Ben Rejeb (Ancien Directeur Général, INS), Mustapha Bouzayane (Directeur de l’analyse économique, INS), Taha Khsib (Directeur de la démographie, INS), Abdelmalek Saadaoui (Directeur Général de l’équilibre budgétaire, Ministère de l’Economie), Fatma Moussa (Directeur Général de l’Observatoire National d'Emploi et des Qualifications, Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle), Imed Turki (Chef de Cabinet, Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle), Ridha Klai (Directeur de l’Industrie, ministère de l’Industrie), Ridha Karoui (Directeur Général de la 14 acknowledgments fiscalité, Ministère des Finances), et Fattouma Zakhama (Directeur de la recherche, APII). Par ailleurs, le rapport a été, fortement consolidé à travers l’excellent apport obtenu de manière formelle ou informelle lors de son élaboration. Nous sommes infiniment reconnaissants aux nombreux représentants du gouvernement, de la société civile et des universités qui ont pris part aux deux séminaires consacrés à la discussion de la note de synthèse en juin et juillet 2012 et aux quatre ateliers réservés à la discussion de l’analyse préliminaire de la transformation structurelle, la dynamique des entreprises et les marchés de l’emploi et la concurrence en février et mars 2013. Nous présentons également nos remerciements aux divers participants du gouvernement, du milieu universitaire, du secteur privé, de la société civile et les partenaires bilatéraux et multilatéraux à la présentation et la discussion du projet de rapport en novembre 2013. Nos remerciements s’adressent aussi à la Commission des Finances, de Planification et du Développement de l’Assemblée Nationale Constituante, au Département des études et de la recherche de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), au Comité des affaires économiques de l’Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA), à l’Institut Arabe des Chefs d’ Entreprise (IACE) et à l’Institut Tunisien de la Compétitivité et des Etudes Quantitatives (ITCEQ) pour leurs commentaires et remarques à l’occasion de la présentation et de la discussion du projet initial du rapport entre novembre 2013 et mars 2014. Enfin, nous tenons à exprimer notre gratitude à nos collègues de l’Institut National de la Statistique (INS) qui ont collaboré dans une grande partie de l’analyse et n’ont cessé de nous soutenir et de nous faciliter l’accès à leurs bases de données sans lesquelles il n’aurait pas été possible de réaliser cette étude. Comme déjà mentionné ci-dessus, nous tenons à exprimer notre reconnaissance pour toutes les contributions et l’appui reçus sans pour autant impliquer que les experts et/ou les institutions ayant contribué sont d’accord avec l’analyse et les conclusions de l’étude pour laquelle nous assumons l’entière responsabilité. Nous tenons aussi à remercier Eileen Byrne (journaliste freelance) pour avoir préparé les récits qui sont inclus dans les différents chapitres pour illustrer les défis auxquels les tunisiens font face au quotidien. La présente Revue des Politiques de Développement (RPD) se base sur des rapports de la Banque Mondiale élaborés parallèlement à la RPD et sur des rapports de base préparés spécifiquement pour alimenter la présente RPD : Le Premier Chapitre se base sur les rapports de base préparés pour cette RPD par, respectivement, Bob Rijkers sur la Paralysie du secteur privé: La dynamique des entreprises en Tunisie (Banque Mondiale 2014b) et Doerte Doemeland et Caroline Duclos sur la Transformation structurelle de la Tunisie : Evolution de la productivité, de l’emploi et des exportations (Banque Mondiale 2014d). Le Chapitre Deux se fonde sur le rapport de base relatif à la Libéralisation des marchés devant les nouveaux investissements et les opportunités d’emploi en Tunisie (Banque Mondiale 2014a) élaboré par une équipe du Département du climat d’investissement de l’IFC sous la direction de Martha Martinez Licetti et Georgiana Pop. Le Chapitre Trois est basé sur plusieurs études qualitative et quantitative conduites par Bob Rijkers, Gael Raballand, Claude Menard, et Hamouda Chekir sur le copinage et la corruption en Tunisie. Le Chapitre Quatre s’est inspiré de divers rapports analytiques préparés par l’équipe de l’IFC chargée du climat d’investissement sous la direction de Magdi Amin et comptant Mohamed El Shiaty, Amina Khaled El Zayat, Sebastian James, et Arbind Modi. Le Chapitre se fonde aussi sur la récente Evaluation du climat d’investissement en Tunisie effectuée par Djibrilla Issa et Mehdi Benyagoub (Banque Mondiale 2014e). Le Chapitre Cinq s’inspire du rapport de base sur la Création d’emplois de qualité en Tunisie: Réviser les résultants du marché de l’emploi, ses contraintes et ses institutions (Banque Mondiale 2014c) élaboré par Diego Angel Urdinola, avec David Robalino, Ann Hilger, Arvo Kuddo, Jan Rukowsky, et Gustavo De Marco. la révolution inachevée 15 Le Chapitre Six se fonde sur l’étude de base préparée par Laurent Gonnet et Samir Ghazouani, et aussi sur le rapport du Programme d’Evaluation du Secteur Financier (FMI et Banque Mondiale 2012), dirigé, du côté de la Banque Mondiale, par Cedric Mousset. Le Chapitre Sept se base de l’analyse et des documents établis sur l’exportation des produits industriels de la Tunisie par Doerte Domeland, Caroline Duclos, Marc Schiffbauer, et Hania Sahnoun. Le Chapitre Huit s’inspire du chapitre relatif à la libéralisation des services dans le rapport intitulé L’intégration mondiale de la Tunisie (Banque Mondiale 2014h) établi par Olivier Cattaneo et Daniela Marotta. Le Chapitre Neuf s’appuie sur un ancien rapport de la Banque Mondiale sur le secteur agricole (Banque Mondiale 2009d) élaboré par Bill Sutton et mis à jour et étendu par Fathi Lachab. Le Chapitre Dix se base sur le prochain document intitulé Revue de l’urbanisation en Tunisie: Reconquérir la gloire de Carthage (Banque Mondiale 2014g) et préparé par l’équipe d’urbanisme présidée par Jaafar Sadok Friaa et comptant Somik Lall, Nancy Lozano-Gracia, Alexandra Le Courtois, Lana Salman, et Tara Vishwanath. 16 executive summary Résumé La Tunisie possède un potentiel économique énorme mais a connu une performance économique mitigée, dont un taux de chômage élevé et des emplois de qualité médiocre, qui continuent à peser très lourd sur les perspectives du pays. Jusqu’en 2010, le Forum Economique Mondial a classé la Tunisie plusieurs fois comme étant l’économie la plus concurrentielle en Afrique, alors que le FMI et la Banque Mondiale présentaient la Tunisie comme un modèle pour les autres pays en développement. Et pourtant le modèle tunisien avait de graves lacunes. La création insuffisante d’emplois, notamment pour les diplômés, et les grandes disparités régionales ont été à l’origine d’une frustration grandissante à travers le pays qui a mené à la révolution de janvier 2011. Ce rapport vise à démontrer qu’au-delà de la façade reluisante présentée souvent avant la Révolution, l’environnement économique de la Tunisie a été, et demeure encore, profondément défaillant. Notre analyse fait ressortir une économie qui reste figée sur des activités à faible valeur ajoutée et dans laquelle les entreprises stagnent en termes de gains de productivité et de création d’emplois. Ce rapport conclut que la prospérité en Tunisie est freinée par des politiques qui ont réduit la performance économique globale du pays. Cette faible performance est le résultat de divers obstacles qui ont mis des freins au fonctionnement du marché et des distorsions introduites par les politiques économiques erronées, même si souvent bien intentionnées. Il s’agit plus spécifiquement d’un environnement réglementaire protectionniste, qui annihile la concurrence et donne lieu à une bureaucratie étouffante, d’un secteur financier entravé par les défaillances de gouvernance, d’un droit du travail qui paradoxalement promeut la précarité, de mesures réglementaires qui limitent la concurrence et de politiques industrielles et agricoles qui introduisent des distorsions et aggravent les disparités régionales. Tous ces éléments contribuent directement à l’impasse économique dans laquelle se trouve la Tunisie. Ces politiques se déployaient dans l’ère prérévolutionnaire au sein d’un espace politique et social fortement contrôlé dans lequel le soutien public au parti au pouvoir était très bénéfique, pour ne pas dire un impératif absolu pour l’inclusion sociale, que ce soit pour un recrutement dans le secteur public, pour accéder au financement ou la participation à l’action sociale dans l’espace très réduit laissé à la société civile. Les restrictions imposées à la participation économique causaient non seulement l’exclusion sociale mais décourageaient aussi la performance économique. Les restrictions imposées à nombre d’entreprises autorisées à opérer sur le marché intérieur (secteur onshore) conjuguées aux divers monopoles légaux (publics) et aux contraintes réglementaires excessives ont limité gravement la concurrence de façon à ce que l’investissement se trouve encore face à des restrictions dans plus de 50 pourcent de l’économie. Ces obstacles à l’entrée aux marchés et leur contestabilité (introduits par la Loi sur la Concurrence, le Code des Incitations aux Investissements, le Code du Commerce et d’autres réglementations sectorielles régissant notamment le secteur tertiaire dont tout particulièrement les télécommunications, la santé, l’éducation et les services professionnels) étouffent la croissance économique en entravant l’initiative privée et en décourageant l’innovation et la recherche de gains de productivité. L’absence d’incitation à la performance créée normalement par la concurrence, donne lieu à une plus faible productivité, moins d’emplois et des coûts plus élevés qui doivent être payés par les consommateurs et les entreprises. Le prix, par exemple, des appels téléphoniques internationaux est 10 à 20 fois plus élevé que dans la plupart des pays de l’OCDE et celui des billets d’avion est estimé de 30 à 50 pourcent plus cher qu’il ne devrait l’être. L’accès au marché ayant été lourdement réglementé, et il s’est donc créé des opportunités pour l’extraction de rentes par les agents bénéficiant d’un accès privilégié à certaines activités lucratives. la révolution inachevée 17 La réglementation étatique lourde faisait office d’écran de fumée pour des pratiques de copinage qui a porté atteinte à la performance du secteur privé et de toute l’économie aux dépens de ceux qui n’avaient pas de bonnes relations et des liens avec les politiciens ou avec l’administration. Plus pernicieusement, le rapport démontre que les réglementations elles-mêmes étaient, en fait, adaptées en fonction d’intérêts personnels et pratiques corrompues. . Ceci reflète un environnement qui existe largement encore trois ans après la révolution, et dans lequel l’extraction des rentes (plutôt que la concurrence et la performance) constituent le moteur de la réussite économique. Le poids de la réglementation étouffe aussi bien les opportunités que l’initiative, et permet aux entreprises peu performantes de bénéficier d’avantages indus à travers les privilèges et la corruption. Le coût de conformité aux diverses réglementations équivaut à une taxe imposée aux entreprises tunisiennes de l’ordre de 13 pourcent de leurs revenus. Par ailleurs, plus du quart de toutes les entreprises déclarent avoir effectué une sorte de paiement informel à l’administration pour “accélérer les choses” ce qui constitue un des pourcentages les plus élevés au monde. Ceci traduit une application arbitraire et discrétionnaire des règles accordant un fort avantage indu aux entreprises les mieux connectées. Nous constatons aussi l’application discrétionnaire de la réglementation douanière, et une évasion tarifaire qui provoque annuellement une perte de recette d’au moins 100 millions US$ (ou 0.22 pourcent du PIB). Il est même probable que ces problèmes aient empiré depuis la révolution. Ces pratiques ont un coût qui va au-delà de la corruption elle- même. En effet, elles empêchent la réussite des sociétés les plus performantes et baissent par conséquent la performance de toute l’économie. Le secteur bancaire constitue un exemple des effets que le manque de concurrence peut avoir, sachant que ce même problème affecte plusieurs autres secteurs de l’économie. Les défaillances au niveau de la gouvernance touchant les grandes banques étatiques entravent la concurrence dans le système bancaire et résultent en une performance faible et très peu d’efficacité dans la transmission de l’épargne vers les entreprises et les projets. Les banques tunisiennes ont financé des projets appartenant à la famille du président déchu Ben Ali à hauteur de 2.5 pourcent du PIB, c.- à-d. l’équivalent de 5 pourcent de tous les financements accordés par le secteur bancaire tunisien. En outre, près de 30 pourcent du financement a été accordé sans garanties de remboursement. De telles défaillances de gouvernance sont à la base du grand pourcentage de créances accrochées présentes dans les bilans des banques et tranchent avec le fait que les entreprises tunisiennes déclarent avoir des difficultés pour accéder aux crédits auprès des banques; ce point est même jugé comme étant une contrainte majeure par 34 pourcent des entreprises. En fait, les cercles proches du pouvoir ont eu un accès sans limite aux crédits (à des taux intéressants et des garanties faibles) alors que les entreprises ordinaires éprouvaient de grandes difficultés à accéder au financement. Le résultat est un coût élevé que le pays doit supporter aussi bien directement en terme de pertes accumulées par les banques publiques (estimées à 3-5 pourcent du PIB jusqu’à la fin de 2012) qu’indirectement en renforçant l’environnement anti-concurrentiel pour le secteur privé. La politique d’investissement qui s’articule autour d’un traitement différencié pour les sociétés produisant pour le marché local (onshore) et celles qui produisent pour l’exportation (offshore), est à l’origine des problèmes de développement auxquels le pays fait face aujourd’hui. Cette segmentation qui sépare entre les entreprises appartenant aux deux régimes a donné lieu à d’importantes importations de produits intermédiaires et moins de produits fabriqués en Tunisie (c.-à-d. moins de valeur ajoutée en Tunisie). La dichotomie onshore-offshore a été initialement pertinente dans les années 70 mais elle contribue actuellement à garder les deux côtés de l’économie pris dans le piège d’une productivité faible. D’un côté le secteur onshore, très protégé, est caractérisé par des entreprises à faible productivité qui survivent en grande partie grâce aux privilèges et à l’extraction des rentes (émanant des obstacles à l’entrée auxquels les concurrents font face). D’un autre côté, 18 executive summary les entreprises qui fonctionnent dans les 50 pourcent de l’économie ouverts à la concurrence (le secteur offshore) sont lésées par le fait que les services et les biens intermédiaires produits dans le secteur onshore soient de qualité médiocre et/ou aient des prix non-concurrentiels. Pour être compétitives et pouvoir vendre leurs produits sur le marché mondial, ces entreprises ne peuvent recourir à une telle qualité ni à des intrants aussi chers dans leurs processus de fabrication et se tournent donc vers l’importation de presque tous les intrants dont elles ont besoin. Par conséquent, les entreprises dans le secteur offshore sont également bloquées dans une productivité faible et des activités à faible valeur ajoutée et se focalisent surtout sur l’assemblage de produits intermédiaires importés de France et d’Italie où est concentrée la majeure partie du processus de production. Ce n’est donc pas un hasard si ces deux pays représentent plus de 55 pourcent des exportations totales. En effet, les entreprises dans ces pays attirées par le régime offshore très favorable, la disponibilité de ressources humaines peu qualifiées et à bas coûts et un approvisionnement en énergie subventionné, ont externalisé l’assemblage et d’autres tâches à faible valeur ajoutée vers la Tunisie. Ainsi, alors que plus de la moitié des exportations tunisiennes est constituée de produits finis dont plusieurs produits de haute technologie tels que les machines à coudre, les téléviseurs et les instruments médicaux de précision, la Tunisie ne produit de fait qu’une partie mineure de ces produits liée à l’assemblage de pièces fabriquées à l’étranger. Par conséquent, les emplois créés sont limités et la demande pour embaucher les nombreux diplômés qualifiés est réduite. Et étant donné que la valeur ajoutée apportée par les travailleurs tunisiens aux produits exportés est limitée, les salaires payés pour ces emplois sont aussi faibles. En outre, les incitations généreuses offertes par la Tunisie pour attirer les investissements vers les sociétés exportatrices (offshore) sont coûteuses, généralement peu efficaces et ont paradoxalement accentué les disparités régionales. Le coût direct des incitations à l’investissement est élevé (estimé à 2.2 pourcent du PIB, ou près de 1 milliard US$ chaque année). De plus, 79 pourcent de ce montant est gaspillé puisqu’il bénéficie à des entreprises qui auraient investi même en l’absence de telles incitations. Par conséquent, chaque emploi additionnel créé grâce aux incitations à l’investissement coûte 20 000 US$ par an. Par ailleurs, plus de 85 pourcent des projets et des emplois bénéficiant des incitations ont été créés dans les régions côtières, là où les entreprises exportatrices s’installent naturellement. Les règles et les institutions du marché du travail ont exacerbé le biais en faveur des activités à faible valeur ajoutée tout en échouant à protéger les employés et les emplois. La dichotomie entre les règles rigides relatives au licenciement dans le cas des contrats à durée indéterminée et la “flexibilité sauvage” dans le cas des contrats à durée déterminée encouragent de façon indirecte la précarité et l’insécurité de l’emploi puisque les entreprises évitent les contrats à durée indéterminée pour bénéficier de la flexibilité qui leur est offerte. Cet environnement réglementaire favorise les abus et a donné lieu à des pratiques d’exploitation de la main d’œuvre, un phénomène connu en Tunisie sous la forme de “sous-traitance” ou d’externalisation des emplois vers des entreprises externes qui offrent généralement des salaires faibles, très peu d’opportunités d’avancement et aucune sécurité de l’emploi. Le secteur tertiaire a une performance limitée à cause des politiques économiques qui ont favorisé les obstacles à la création d’entreprises aux dépens du consommateur et de l’économie dans sa totalité. Le secteur des services en Tunisie reste parmi les plus protégés et les plus inefficaces au monde (aussi bien le commerce de détail et la distribution que les services dorsaux des entreprises comme, par exemple, la logistique, les télécommunications et le transport aérien) ce qui porte préjudice à la compétitivité de toute l’économie tunisienne. Des études précédentes ont conclu que la Tunisie possède un grand potentiel dans les TIC, l’« offshoring », les services professionnels, le transport aérien, maritime et la logistique, le tourisme, la santé et l’éducation. la révolution inachevée 19 La politique agricole est également inefficace et inéquitable puisqu’elle contribue au délaissement des cultures à forte intensité en main-d’œuvre produites dans les régions de l’intérieur, et contribue ainsi de façon paradoxale à augmenter le chômage et les disparités régionales. La Tunisie n’a pas, en fait, une politique agricole mais plutôt une politique de sécurité alimentaire qui ne fait, en pratique, qu’entraver le développement de son secteur agricole. Le système actuel d’intervention de l’Etat a bloqué le secteur agricole et l’a contraint à s’éloigner des produits méditerranéens dans lesquels la Tunisie détient un avantage comparatif naturel, vers des produits continentaux pour lesquels le pays n’est pas très compétitif mais qui sont essentiels pour la sécurité alimentaire. Le coût global de l’appui agricole en Tunisie est estimé à près de 4 pourcent du PIB et implique pour le pays une perte nette en prospérité et le déplacement de main d’œuvre des régions de l’intérieur vers les régions côtières. Les subventions agricoles existantes ne sont pas non plus équitables bénéficiant en grande partie à un nombre réduit de propriétaires terriens (qui produisent du blé, du lait et du sucre) essentiellement sur le littoral sans apporter une aide significative aux petits paysans. La Tunisie à la croisée des chemins La révolution de janvier 2011 traduit l’échec de ce modèle économique. Mais d’autres voies existent pour la Tunisie. Depuis la révolution, la Tunisie a réalisé dans avancées au niveau politique avec l’adoption consensuelle d’une nouvelle constitution et l’émergence d’une société civile très dynamique. Néanmoins, le système économique qui existait sous le régime Ben Ali n’a pas vraiment changé et les revendications des Tunisiens pour accéder à de meilleures opportunités économiques ne sont pas encore satisfaites. La transition postrévolutionnaire représente une occasion unique, pour les Tunisiens, de revoir leur système économique et convenir de changements audacieux visant à offrir à tous les citoyens les mêmes opportunités économiques, à accélérer la croissance, à en partager les fruits plus équitablement , à créer des emplois de qualité et à promouvoir le développement régional. Ceci nécessite un dialogue social national pour discuter des changements profonds nécessaires pour la création d’un environnement économique plus sain et à même de promouvoir les investissements, ainsi que de permettre aux entreprises de développer leur productivité et d’être compétitives pour créer des emplois de qualité. Les Tunisiens ont besoin, en même temps, de prendre une décision quant au niveau approprié de redistribution pour partager de manière équitable les avantages de la croissance économique et de garantir que personne ne soit laissé pour compte. Le présent rapport a pour objectif de contribuer à ce dialogue. Il fournit une évaluation des politiques tunisiennes de développement et offre une vision d’un modèle de développement différent, qui permettrait à la Tunisie de passer d’un système se basant sur les privilèges à un autre se fondant sur la concurrence et à même de créer des emplois de qualité et la prospérité pour tous les citoyens. Ce rapport fait valoir que pour réaliser son potentiel économique, la Tunisie doit adopter des règles de jeu équitables en libéralisant l’économie et en retirant les trois dualités qui existent dans le pays, à savoir la division onshore-offshore, la dichotomie entre les régions de l’intérieur et celles de le Côte et la segmentation du marché du travail. Il est également nécessaire de disposer d’une politique sociale forte qui devrait être conçue pour accompagner la croissance induite par le secteur privé. Il est primordial d’entamer des réformes économiques profondes pour permettre une transformation structurelle de l’économie tunisienne et lui permettre de décoller. En plus de préserver la stabilité macroéconomique (ce qui nécessite des ressources pour les réformes des investissements publics et le contrôle des dépenses publiques qui ne sont pas abordées dans cette étude), le changement de la dynamique de l’économie nécessitera une série de réformes économiques audacieuses. Les points suivants ne sont qu’une ébauche préliminaire des principaux axes de ces réformes qui devrait permettre à la Tunisie d’atteindre un sentier de croissance plus élevé sur le long terme : 20 executive summary • Eliminer les obstacles à la concurrence et améliorer l’environnement réglementaire en matière d’investissement pour rehausser la compétitivité des entreprises et leur capacité à créer des emplois de qualité. Le retrait des obstacles à la concurrence sur le marché devrait être progressif en commençant par les secteurs constitutifs de l’épine dorsale de l’économie, avec un fort potentiel de création d’emplois. Notre analyse empirique révélé qu’une baisse de 5 pourcent dans les marges bénéficiaires des entreprises (causée par une plus grande concurrence sur le marché) donnerait lieu à une croissance supplémentaire du PIB réel de l’ordre de 4.5 pourcent et la création de près 50 000 emplois annuellement. Il est également primordial de réformer la loi sur la concurrence et le système des marchés publics pour augmenter la compétitivité du secteur local (onshore). Le gouvernement devrait aussi revoir le Code des Incitations à l’Investissement (CII) pour éliminer la dichotomie onshore-offshore et rendre équitables les règles du jeu afin de dynamiser les investissements et la création d’emplois. Ceci va nécessiter aussi la réforme des politiques fiscales, notamment en matière d’impôt sur les sociétés, puisque la dualité est en grande partie causée par la différentiation dans les régimes fiscaux entre les entreprises onshore et celles offshore. Il est enfin recommandé de procéder à la simplification et à la réduction des réglementations, qui coûtent au secteur privé l’équivalent de près de 13 pourcent de son chiffre d’affaire, et d’en réduire la marge de manœuvre discrétionnaire lors de l’application de ces réglementations. Il est notamment urgent d’améliorer le fonctionnement des administrations douanière et fiscale, ainsi que l’administration foncière et du cadastre. • Réformer le secteur financier pour permettre l’allocation de l’épargne vers les projets les plus productifs et augmenter le financement disponible pour l’investissement par le secteur privé. Un système bancaire plus performant pourrait se traduire par une augmentation des crédits au secteur privé d’au moins 10 pourcent du PIB, à même de générer en retour plus de 10 milliards US$ sous forme d’investissements supplémentaires sur les 10 ans à venir, permettant la création globale de 38000 emplois supplémentaires chaque année. Pour améliorer l’efficacité du système bancaire, la priorité devrait être accordée à l’application stricte des réglementations bancaires, à la révision des procédures relatives aux banques en difficultés et la restructuration des banques publiques. Revoir le rôle de l’Etat dans le secteur bancaire, qui a pendant longtemps servi d’outil d’extraction de rentes et de capitalisme de copinage, est vital. De plus, une réforme du cadre régissant les faillites (pour sauver les entreprises viables et permettre à celles non viables de quitter le marché) se révélerait être très bénéfique à la Tunisie. Nous estimons que la réforme du régime tunisien relatif à la faillite serait en mesure d’apporter 2.1 milliards US$ supplémentaires (ou 4.5 pourcent du PIB) des créances accrochées actuelles qui, en cas de réinvestissement, pourraient générer près de 80 000 emplois. En parallèle, résoudre le problème de l’endettement excessif du secteur touristique peut être abordé à travers l’établissement d’une société de gestion d’actifs totalement indépendante du gouvernement. • Renforcer le système de protection sociale, réformer le système fiscal et adopter une stratégie pour attaquer les disparités régionales afin de partager de manière équitable les fruits de la croissance économique et s’assurer que personne ne soit laissé pour compte. Le modèle actuel de protection sociale se fonde essentiellement sur des subventions non ciblées, en particulier pour la consommation d’hydrocarbures qui coûtent cher et sont inéquitables parce qu’elles bénéficient disproportionnellement aux riches. La réforme du système de protection sociale (dont les subventions des hydrocarbures) n’est pas discutée dans ce rapport parce qu’elle a fait l’objet d’une étude récente: Vers une meilleure équité en Tunisie (Banque Mondiale 2013). Le système fiscal (impôt sur les revenus des personnes physiques, impôt sur les sociétés, taxe à la consommation, impôt sur les salaires et taxe sur les échanges commerciaux) affecte aussi le processus de redistribution des richesses parmi les citoyens la révolution inachevée 21 et devrait donc compléter le système de protection sociale. En outre, l’évasion tarifaire et fiscale grandissante et la croissance de l’économie informelle donne lieu à des pertes massives dans les ressources de l’Etat et entrave la concurrence dans le secteur privé en accordant un avantage indu aux entreprises mieux introduites (et de plus grande taille). Alors même que les disparités régionales ne peuvent être éliminées, elles peuvent être minimisées à travers une restructuration des politiques de développement régional. L’expérience internationale montre, et celle tunisienne le prouve, que la solution ne se limite pas à prévoir des incitations fiscales et financières mais il importe plutôt d’améliorer la qualité de vie, l’accès aux services de base et la connectivité des régions de l’intérieur. Ceci nécessite aussi l’amélioration de la conception des projets d’investissement public, leur exécution et leur supervision. Il y a aussi lieu de garantir que les politiques économiques existantes ne soient pas biaisées au profit de certaines régions par rapport à d’autres (au lieu de favoriser les régions côtières comme cela est le cas actuellement). • Une deuxième phase de réformes devrait couvrir l’amélioration des règles régissant le marché du travail et de ses institutions, la rénovation de la politique industrielle y compris des stratégies pour soutenir l’innovation, et réorienter les politiques agricole et du secteur tertiaire pour accompagner la transformation structurelle de l’économie. agricole. Premièrement, en se basant sur le dialogue social tripartite et la signature du nouveau “pacte social” en janvier 2013, il devrait être possible de convenir d’une réforme globale et équilibrée du marché du travail qui favoriserait la compétitivité des entreprises et développerait donc les investissements et la création d’emplois, tout en protégeant mieux les travailleurs. Deuxièmement, la Tunisie devrait adopter une stratégie commerciale ouverte et offensive dans le secteur des services, pour lequel elle détient un avantage comparatif. Le fort potentiel de la Tunisie en matière de services pourrait conforter le processus de transformation structurelle et devenir une source de croissance dynamique et de création d’emplois notamment pour les diplômés. Troisièmement, notre analyse indique que la Tunisie possède plusieurs produits industriels et services dans lesquels elle a un potentiel pour devenir un acteur important sur la scène mondiale et monter en gamme au sein de chaînes de valeurs internationales. La réussite de la Tunisie dans le secteur offshore prouve que de telles opportunités peuvent être saisies et cette expérience doit être étendue maintenant à toute l’économie. Dans un tel contexte, la politique industrielle devrait mettre moins l’accent sur les subventions directes et les avantages fiscaux, et se réorienter sur la résolution des goulots d’étranglement aux niveaux des infrastructures et de la réglementation, des faiblesses de coordination des politiques, et aux aspects “intangibles” de l’environnement industriel. Quatrièmement, une réforme des politiques agricoles serait en mesure de révéler le potentiel agricole des régions de l’intérieur en recentrant l’appui agricole sur les produits méditerranéens à forte intensité de main-d’œuvre (blé dur, huile d’olive, fruits, légumes et produits de la pêche) dans lesquels la Tunisie détient un grand potentiel. En outre, l’appui devrait être canalisé vers l’amélioration de l’infrastructure et des services “lourds et légers/ matériels et immatériels” pour l’agriculture notamment la recherche et la sensibilisation, l’irrigation, le cadastre et l’accès à la terre, l’accès au financement et à l’assurance et l’infrastructure de transport qui sont essentiels pour l’agriculture. La rationalisation des processus institutionnel et bureaucratique est particulièrement urgente pour permettre l’investissement dans le secteur agricole. L’intégration commerciale internationale et régionale pourrait soutenir la transition vers une économie plus ouverte et plus compétitive y compris par l’application des réformes nécessaires. La Tunisie est devant une opportunité unique: elle se situe près d’un marché de grande taille composé de 28 pays européens et jusque-là elle n’a fait que gratter la surface des exportations potentielles vers l’UE (comme discuté, l’intégration commerciale de la Tunisie s’est limitée à l’assemblage et à la réexportation de produits vers la France et l’Italie). La plupart des réformes pour éliminer les goulots d’étranglement existants qui empêchent une plus grande intégration mondiale se trouvent au niveau interne et devraient être entreprises sur une base unilatérale puisqu’elles permettraient d’augmenter les investissements et le nombre d’emplois en Tunisie. Néanmoins, le processus d’intégration commerciale multilatéral ou régional pourrait aider à concentrer l’action de l’Etat comme déjà vu lors de l’intégration des pays de l’Europe Centrale et de l’est dans l’UE. En termes d’orientation stratégique, le potentiel de la Tunisie pour étendre ses exportations vers l’UE reste encore plus grand que celui de s’étendre vers la région Moyen-Orient et Afrique du Nord ou vers l’Afrique. Changer le modèle de développement ne sera pas tâche facile. Les privilèges et les rentes associés au système actuel sont très répandus et les groupes d’intérêt pèseront de tout leur poids contre le moindre changement qui risquerait de leur retirer leurs privilèges. De même, la progression dans les réformes économiques, approche tant plébiscitée par les politiciens et l’administration tunisienne avant la révolution, constitue un danger pour l’avenir de la Tunisie. Des changements marginaux dans les politiques économiques ne seront pas suffisants pour réparer les dysfonctionnements profonds du modèle économique discuté ci-dessus. Les réformes devront nécessairement être entreprises rapidement. Elles vont nécessiter du temps pour prendre effet et accélérer la création d’emplois et la croissance inclusive mais il ne faut surtout pas oublier que le temps ne fait qu’exacerber les risques de voir les intérêts acquis saisir toutes les opportunités pour extraire des rentes et tout faire pour empêcher les changements. En janvier 2011, les tunisiens ont pris le monde de court avec leur audace et leur révolution qui a mis fin au régime de Ben Ali. Cette même audace est maintenant requise pour entreprendre les réformes économiques. 24 introduction Introduction la révolution inachevée 25 Introduction Où en est la Tunisie aujourd’hui, quelle est sa destination pour demain ? D epuis les années 60 le développement économique de la Tunisie a été accompagné par un rôle actif assuré par l’Etat. Le modèle économique tunisien fut caractérisé par une gestion macroéconomique prudente, la segmentation de l’économie entre le secteur orienté vers l’exportation (secteur « offshore ») et celui orienté vers le marché intérieur (secteur « onshore »), une protection lourde et des restrictions à l’accès à une grande partie de l’économie en plus d’un rôle actif de l’Etat dans les secteurs clés.1 Pendant les années 70 et 80, ce modèle économique dual piloté par l’Etat a réussi à accompagner la transformation structurelle de l’économie. La dualité onshore-offshore a joué un rôle positif puisque le secteur offshore était relativement ouvert aux investisseurs étrangers et ramenait les devises dont le pays avait tant besoin, alors que le secteur onshore lourdement protégé facilitait le développement d’une base industrielle locale. Par conséquent, la Tunisie a connu une augmentation rapide de ses exportations et une sophistication croissante de son économie. En parallèle, les investissements publics et les entreprises publiques ont construit l’infrastructure et fourni les services de base (eau, électricité, télécommunications, transport et services logistiques) nécessaires pour accompagner la transformation économique du pays. Ce modèle de développement dirigé par le secteur public a bien profité à la Tunisie de différentes manières après l’Indépendance et a permis au pays de connaître une prospérité grandissante et une réduction rapide de la pauvreté (Encadré 0.1). La Tunisie a enregistré une croissance annuelle de son PIB de près de cinq pourcent depuis les années 70 ce qui en a fait un des pays les plus performants dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. La croissance était assez équitable parce que les 40 pourcent les plus pauvres de la population ont vu leur niveau de revenu s’améliorer rapidement tout au long de cette période.2 La réduction de la pauvreté a continué pendant ces dernières années, ce qui a permis à la Tunisie de baisser de moitié le taux de pauvreté passant de 32 pourcent en 2000 à 16 pourcent en 2010. De plus, la réduction de la pauvreté a été la plus grande dans les régions les plus défavorisées de sorte que les disparités régionales, quoique persistantes, ont baissé pendant cette période. La performance de la Tunisie était globalement bonne comme le montre la plupart de ses indicateurs de développement : les investissements et services publics ont contribué à des améliorations remarquables depuis 1990 pour réduire la mortalité infantile/maternelle et la malnutrition infantile, alors que les niveaux d’éducation ont augmenté de manière très claire. Encadré O.1 : Bilan en matière de réduction de la pauvreté en Tunisie Entre 2000 et 2010, la Tunisie a enregistré une moyenne annuelle de 4.4 pourcent de croissance de son PIB. Ce taux la place parmi les pays les plus performants dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Ce niveau de croissance fut accompagné par une réduction rapide de la pauvreté passant de 32 pourcent en 2000 à 16 pourcent en 2010 en se basant sur le seuil national de la pauvreté. De même, le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil international de pauvreté a baissé de 12.8 pourcent en 2000 à 4.3 pourcent en 2010. En effet, la croissance a été assez inclusive comme le montre le fait que les 40 pourcent les plus pauvres de la population ont vu leur niveau de revenu s’améliorer rapidement le long de cette période. 26 introduction Chiffres sur la pauvreteé en 2000, 2005 et 2010 Prosperité partagée en Tunisie, (en utilisant le seuil national de pauvreté) 2000 à 2010 50 2000 PIB par tête 2005 Consommation des ménages par tête, moyenne 2010 Consommation des ménages par tête, strate des 40% les plus pauvres 40 140 30 130 20 120 10 110 0 100 Tunisie Grand Nord Centre Sud Nord Centre Sud 2000 2005 2010 Tunis Est Est Est Ouest Ouest Ouest Source : INS, BAD et Banque Mondiale (2012) Source : Calculs des auteurs La Tunisie a également de bons indicateurs de développement. La croissance économique et les investissements publics en développement humain ont contribué à des améliorations significatives depuis 1990 pour réduire la mortalité maternelle et infantile et la malnutrition infantile au niveau national tout en augmentant l’accès aux services de base, notamment la connexion au réseau d’eau potable et à celui d’assainissement. Indicateurs 1990 2000 2010 Taux de scolarisation primaire (%) 92.4 95.6 98.7 Taux de progression vers le secondaire (% du primaire) - 75.3 74.5 Ratio filles/garçons à l’enseignement primaire et secondaire (%) 83.5 97.6 101 Prévalence de la malnutrition (retard de croissance %) - 16.8 10 Taux de mortalité infantile (pour 1000 naissances vivantes) 40.3 24.7 14.8 Taux de mortalité maternelle (pour 100 000 naissances vivantes) 130 84 56 Accès à une meilleure source d’eau (%) 81 90 96 Accès à de meilleures installations sanitaires (%) 74 81 94 Espérance de vie à la naissance (tous/femmes) 70/72 73/75 75/77 Mais malgré l’amélioration du taux global de la pauvreté et des indicateurs sociaux, les disparités régionales ont persisté. Des disparités claires ont continué à exister avec des taux de pauvreté en 2010 variant entre 8-9 pourcent dans le Centre-Est et dans le Grand Tunis et 26-32 pourcent dans le Nord-Ouest et le Centre-Ouest. De même, les indicateurs globaux de développement humain ont enregistré une amélioration, mais le progrès était limité dans les régions isolées. Dans les zones rurales, les enfants ont deux fois plus de risque d’être touchés par la malnutrition (10 pourcent dans les zones rurales contre 4 pourcent dans les zones urbaines); les femmes accèdent moins aux services prénataux ou aux soins en cas de grossesse à risque, et les taux de mortalité maternelle sont trois fois plus élevés (70 contre 20 décès pour 100 000 naissances vivantes; et seuls 50-60 pourcent de la population ont accès à l’eau potable saine et 40 pourcent à des installations sanitaires modernes (par rapport à un accès quasi-universel dans les zones urbaines). Sources: Estimations de la pauvreté: INS, Banque Mondiale et BAD (2012) ; Banque Mondiale, (2012e) ; Ministère de la Santé Publique/UNICEF (2012) ; Indicateurs de Développement Mondial (IDM). la révolution inachevée 27 Néanmoins, le modèle de développement économique tunisien souffrait de problèmes fondamentaux qui ont préparé le terrain à la révolution de janvier 2011. Bien que la croissance du PIB par tête de la Tunisie a été, depuis les années 90, la deuxième dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, elle est restée en deçà des taux de croissance observés dans les autres pays à revenu intermédiaire supérieur pendant cette même période et contrairement à d’autres pays, la Tunisie n’a pas connu un décollage économique pendant les deux dernières décennies. Par ailleurs, la Tunisie a été affectée par un chômage persistant parce que le taux de création d’emplois était insuffisant et la qualité des emplois créés demeurait faible. La plupart des emplois créés par l’économie l’étaient dans des activités à faible valeur ajoutée, surtout dans le secteur informel, n’offrant que de maigres salaires et un travail précaire, qui ne correspondaient pas aux aspirations du nombre grandissant de diplômés universitaires. Ainsi, ces dernières années, le chômage a surtout touché les jeunes et les diplômés ce qui traduit une inadéquation structurelle entre la demande de main-d’œuvre orientée vers les profils non qualifiés, et une disponibilité croissante de main-d’œuvre qualifiée3. De tels taux de chômage élevés et la mauvaise qualité des emplois disponibles sont à la base du mécontentement exprimé par les jeunes Tunisiens dans des mouvements sociaux de masse. Les choses ont encore empiré à cause de l’absence d’une participation adéquate, de transparence et de redevabilité dans la gestion des affaires publiques, facilitant la corruption, de sorte que les opportunités n’étaient plus égales pour tous, ce qui a exacerbé la frustration de la population tunisienne. La réglementation lourde conjuguée à une intervention persistante de l’état a favorisé la croissance de la corruption et du copinage (encadré O.2)4 qui ont vite envahi le quotidien tunisien, et ceux qui détenaient le pouvoir ont contourné les règles pour servir leurs propres intérêts. A la longue, l’extraction de rentes de la part du cercle proche du pouvoir politique a porté préjudice à l’économie qui ne pouvait plus décoller pour apporter la prospérité et des emplois de qualité pour tous. Toutefois, les pratiques de clientélisme ne se limitaient pas à la sphère d’influence du clan Ben Ali et ont imprégné toute la société tunisienne et continuent à constituer les fondements de l’architecture du système économique encore en place.5 Encadré O.2 : Ce que la Banque Mondiale a appris de la Tunisie Jusqu’en 2010, la Tunisie semblait bien se porter et était considérée comme un modèle à suivre par les autres pays en développement par la Banque Mondiale et le FMI, le Forum Economique Mondial a plusieurs fois classé la Tunisie comme étant l’économie la plus compétitive en Afrique. Comme l’a bien montré la révolution cependant, le modèle tunisien comptait de graves défaillances. La création inadéquate d’emplois, notamment pour les diplômés, et les grandes disparités régionales sont à l’origine d’une frustration grandissante à travers le pays qui a mené à la révolution de janvier 2011. En fait, comme le démontre ce rapport, au-delà de la façade brillante souvent présentée par l’ancien régime, l’environnement économique de la Tunisie a été, et reste encore, profondément défaillant. Fait encore plus important, l’infrastructure des politiques mise en place pendant la période Ben Ali a non seulement donné lieu à des résultats économiques inadéquats tout en soutenant un système basé sur les privilèges mais elle a aussi favorisé la corruption et a abouti à l’exclusion sociale de ceux qui ne sont pas bien introduits dans les sphères politiques. Cette évaluation sans complaisance n’est pas nouvelle. Les défaillances du modèle économique tunisien étaient, en fait, déjà visibles pendant l’ère Ben Ali. La transition vers l’économie des connaissances tant vantée pendant les dernières années de Ben Ali était perçue comme la solution pour augmenter la sophistication de la production tunisienne et pour employer le nombre grandissant des diplômés. La corruption n’était pas un secret non plus (voir par exemple, Hibou 2006; 2007) au point que l’affaire Wikileaks en 2010 n’a fait qu’ajouter des détails aux anecdotes qui avaient déjà circulé de manière informelle. En effet, la révolution a été sans aucun doute la manifestation ultime de la grogne populaire à l’encontre du système que le clan Ben Ali a créé car, 28 introduction même si la population tunisienne n’avait pas le droit d’en parler, elle savait ce qui se passait dans les coulisses. Et bien que les rapports précédents de la Banque Mondiale aient mis en relief de manière régulière les défaillances réglementaires, les obstacles à l’accès au marché et les privilèges de l’ancien système, cela était souvent fait sous couvert d’une terminologie bureaucratique qui n’attaquait pas le cœur de ce qui était clairement un système asphyxié par sa propre corruption. Avec du recul, la Banque a appris, que dans le cadre de ses efforts pour demeurer engagée et pour aider les démunis, elle peut facilement oublier le fait que son engagement peut mener à perpétuer le type de systèmes économiques qui maintiennent les pauvres dans la pauvreté. La leçon apprise nécessitera que la Banque Mondiale souligne inconditionnellement, pour elle-même et ses partenaires, l’extrême importance du droit à l’accès à l’information, la transparence et la redevabilité comme partie du programme de développement favorable aux pauvres, en Tunisie comme ailleurs. La principale contribution de ce rapport est d’aider à faire avancer la compréhension par le public du modèle économique tunisien en dépassant juste une explication des insuffisances pour examiner les causes profondes du problème. Il consolide de manière rétrospective les mécanismes du modèle économique tunisien en une histoire cohérente et systémique et explique les causes de sa faible performance notamment la création inadéquate d’emplois qualifiés et les grandes disparités régionales, démontrant que ces résultats sont le fruit direct de l’ensemble des politiques économiques actuelles (peu judicieuses). Il met en lumière et définit l’impact du système mis en place sous le régime Ben Ali qui se base sur les privilèges et le copinage aux dépens de la concurrence et de la performance. Il en a résulté un accès inéquitable aux opportunités ce qui a provoqué le ressentiment populaire. Un des mots les plus repris par les jeunes qui ont manifesté dans les rues début 2011 était celui de “dignité”. Ceci montre que les problèmes économiques et sociaux ont dépassé la dimension étroite de la pauvreté matérielle. Il s’agissait d’une révolution avant tout motivée par la lutte contre l’exclusion et l’absence d’accès aux opportunités économiques. L’absence d’opportunités économiques dans les régions intérieures du pays a exacerbé la frustration. Alors que la situation économique s’est améliorée pour tous, de grandes disparités ont persisté entre l’intérieur et le littoral. Les taux moyens de pauvreté sont restés quatre fois plus élevés dans l’intérieur par rapport aux zones côtières plus riches. Les politiques économiques ont contribué à maintenir ces disparités puisque la majeure partie des investissements allaient vers le secteur des exportations installés naturellement le long du littoral près des infrastructures nécessaires. Le modèle économique de la Tunisie s’est finalement avéré incapable de relever des défis de développement en constante mutation. Le chômage grandissant des jeunes et l’accès inéquitable aux opportunités, conjugués au manque de transparence et aux pratiques de corruption des cercles proches du régime, ont exacerbé la frustration de la population et ont préparé le terrain pour la révolution de janvier 2011 (encadré O.3). Encadré O.3 : Pourquoi les Tunisiens ont-ils fait la révolution? Les enquêtes de l‘Arab Barometer conduites pendant le printemps et l’été 2011 ont examiné les causes de la révolution. Arab Barometer est une enquête représentative conduite auprès de 1196 personnes en Tunisie en utilisant les techniques d’échantillonnage aléatoire. Les résultats indiquent en Tunisie des griefs se rapportant, à part égale, aux faibles opportunités économiques et aux défaillances en matière de gouvernance, avec une légère prévalence des doléances se la révolution inachevée 29 rapportant aux problèmes de gouvernance. Parmi ceux qui ont pris part à la révolution tunisienne, 58 pourcent pensent que les rasions sont essentiellement économiques (mais tout ce groupe a placé la gouvernance en deuxième position, 32 pourcent ont parlé de corruption et 26 pourcent de manque de libertés civiles et politiques comme motivations secondaires). Environ 36 pourcent des sondés ont présenté essentiellement les défaillances de gouvernance comme motivation principale pour prendre part à la révolution, dont 21 pourcent ont cité le manque de libertés civiles et politiques (la corruption en second lieu) et 15 pourcent ont mentionné essentiellement la corruption (les considérations économiques en second lieu). Et enfin 6 pourcent ont cité l’établissement d’un régime islamique comme étant leur première motivation pour participer à la révolution. Vers un nouveau modèle de développement: Offrir des opportunités à tous les Tunisiens L’économie tunisienne a besoin de croître plus rapidement que son rythme des dernières années pour pouvoir réduire le chômage de manière substantielle. Accélérer la croissance économique et la création d’emplois va nécessiter l’augmentation des investissements (par rapport à leurs niveaux historiques). Bien que la Tunisie ait encore de la marge pour augmenter le niveau des investissements publics et améliorer leur efficacité, à terme il y a des limites inhérentes à l’expansion favorable à la croissance dans l’investissement public. Les limites du financement sur emprunt dans l’investissement privé prennent leur source aussi bien dans les contraintes de durabilité fiscale puisque les investissements publics pèsent sur le budget national et il y a donc des limites aux montants qui peuvent être dépensés, que dans les effets d’éviction à savoir l'effet du besoin croissant du gouvernement d’emprunter de grands montants sur les marchés intérieurs des capitaux pour financer les investissements publics, les taux d’intérêt risquent de devenir très élevés avec un impact négatif sur l’investissement privé (Banque Mondiale 2012e). De même, l’investissement privé étranger est à long terme limité parce que la hausse qui en résulte au niveau du déficit extérieur courant et de la dette extérieure rendrait l’économie vulnérable et dépendante de l’entrée des capitaux étrangers. Ainsi, l’investissement public et celui étranger ont un grand rôle à jouer mais l’ingrédient clé requis pour dynamiser, à long terme, la croissance économique et la création d’emploi est l’investissement privé intérieur. Libéraliser l’investissement privé se présente donc comme le défi le plus grand pour accélérer la croissance durable et la création d’emplois en Tunisie. La Tunisie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins et a besoin d’un nouveau modèle de développement. La Tunisie doit revoir ses politiques économiques pour que le décollage économique devienne possible. Le pays peut choisir de continuer avec le même modèle piloté par l’Etat, qui est très vulnérable à l’extraction des rentes, ou de suivre la voie suivie par les autres pays à revenu intermédiaire supérieur (PRIS) qui ont enregistré pendant les deux dernières décennies une meilleure performance que celle de la Tunisie, à la faveur d’une véritable intégration dans l’économie mondiale. Le nouveau modèle devrait éliminer les privilèges, ouvrir les opportunités économiques à tous les tunisiens et augmenter la prospérité à travers le pays. Ceci nécessite d’abandonner l’idée d’un Etat providence, qui a permis de donner naissance au clientélisme et aux privilèges au profit des élites pour passer à un système dans lequel l’Etat œuvre à établir et faire respecter des règles de jeu équitable, à favoriser l’initiative privée (à travers tout le pays et pas uniquement le long de la côte) et à apporter un soutien ciblé et efficace aux plus défavorisés. Il est clair que le choix qui s'impose à la Tunisie doit faire n’est pas une simple question de politique économique. Il s’agit d’abord et surtout du choix d’un modèle sociétal. La Tunisie se trouve à la croisée des chemins pour choisir parmi plusieurs valeurs, normes et croyances. Il y a lieu de discuter 30 introduction et de débattre pour choisir une vision pour la société qui déterminera par la suite les politiques économiques pour les décennies à venir. Le présent rapport offre un diagnostic nouveau de la performance et des défaillances du modèle économique tunisien en vue d’alimenter le débat avec des idées et des données nouvelles. Divers autres ouvrages et études publiés ces dernières années constituent aussi une riche contribution à ce débat (voir inter alia, Achy 2011; Meddeb 2011; BAD/ MCC/MDCI 2013; et Jouini 2014). Le présent rapport commence par établir un diagnostic de la situation économique avant de passer aux défis que la Tunisie doit relever. • Le Premier Chapitre contient une analyse détaillée de l’évolution structurelle de l’économie au niveau macroéconomique et en terme de dynamique des entreprises, mettant en exergue une évolution structurelle bloquée, dans laquelle les entreprises stagnent tant en matière de croissance que de création d’emplois ou de productivité. Les chapitres de la première partie du rapport cherchent à identifier les obstacles qui empêchent la création d’un environnement économique plus dynamique. • Le Chapitre Deux montre que les marchés tunisiens se caractérisent par un manque de concurrence qui, en plus de renforcer l’extraction des rentes et le copinage, entrave la performance de l’économie, freine la croissance de la productivité et la création des emplois. • Le Chapitre Trois explique comment un ensemble complexe d’interventions étatiques dans l’économie s’est traduit par l’émergence d’opportunités nombreuses (et coûteuses) de corruption et de clientélisme qui ont, à leur tour, exacerbé l’inégalité des chances. • Le Chapitre Quatre met en exergue la politique d’investissement (à travers le Code des Incitations à l’investissement) qui a segmenté l’économie en secteurs onshore et offshore, au détriment de la performance dans les deux secteurs, et a contribué à bloquer l’économie dans une production à faible valeur ajoutée. • Le Chapitre Cinq montre comment les politiques régulant le marché du travail, tout en étant bien intentionnées, ont encouragé les entreprises à poursuivre des activités à faible valeur ajoutée exacerbant ainsi le chômage des diplômés et la précarité de l’emploi. • Le Chapitre Six discute de l’incapacité du secteur financier à diriger les ressources vers les projets les plus productifs. Les chapitres suivants examinent les politiques à même d’orienter l’économie vers une croissance plus rapide et plus inclusive. • Le Chapitre Sept plaide en faveur d’une politique industrielle en mesure de créer des règles de jeu équitables et de permettre au pays d’augmenter la teneur en valeur ajoutée de ses produits clés. • Le Chapitre Huit montre que la libéralisation du secteur des services pourrait apporter de nombreux bénéfices à la Tunisie. La majeure partie des réformes requises à cette fin ont trait au marché intérieur, et il est dans l’intérêt du pays de les mettre en œuvre sans attendre les négociations commerciales avec l’UE. • Le Chapitre Neuf montre que la politique agricole n’est pas actuellement orientée dans le sens qui permettrait à la Tunisie de tirer profit de ses avantages comparatifs et de saisir les opportunités d’exportation vers l’UE. Quoique prévue pour soutenir les agriculteurs, la politique la révolution inachevée 31 agricole a fait du tort au secteur en soutenant les produits pour lesquels la Tunisie n’est pas compétitive. Paradoxalement, cette situation est en train de pénaliser les régions de l’intérieur. • Le Chapitre Dix examine les options offertes pour soutenir le développement des régions intérieures et réduire les disparités régionales. Le dernier chapitre fait une synthèse du rapport et présente ses recommandations de politique. • Le chapitre de conclusion compile les diverses parties de l’analyse en un aperçu cohérent des défis économiques structurels de la Tunisie et fournit un ensemble de réformes stratégiques prioritaires pour la création d’emplois de bonne qualité et pour apporter plus de prospérité à tous les tunisiens. Ce rapport ne prétend pas être exhaustif; plusieurs aspects importants du modèle de développement tunisien ne sont pas abordés dans l’étude. En premier lieu, la poursuite de politiques macroéconomiques saines et le maintien de la soutenabilité des finances publiques est indispensable pour encourager les investissements et la création d’emplois. Dans le cas de la Tunisie, il y a deux aspects-clés de politique macroéconomique qui devraient être discutés dans un sens “structurel”: la soutenabilité des finances publiques et la gestion du compte en capital de la balance des paiements. La gestion macroéconomique a été saine pendant la période Ben Ali mais la pression sur les dépenses publiques s’est accumulée dans le secteur public (de la part des entreprises publiques, de la masse salariale de la fonction publique, des subventions pour les produits alimentaires et les hydrocarbures, et des assurances sociales) de telle sorte qu’il est maintenant nécessaire de réformer ces aspects de l’intervention de l’Etat pour pouvoir maintenir la stabilité des finances publiques. Bien qu’assurer la soutenabilité des finances publiques nécessite des réformes structurelles difficiles, cette dimension n’est pas examinée en en détail dans ce rapport que nous avons choisi de nous focaliser essentiellement sur les obstacles à la croissance du secteur privé et à la création d’emplois. Toutefois, la viabilité des finances publiques est de plus en plus incertaine depuis la révolution et c’est pour cela que nous avons joint en annexe I-1 une courte note sur cette question. De plus, le compte en capital de la balance des paiements demeure fermé et constitue un obstacle à une intégration économique plus profonde. La libéralisation (prudente) du compte en capital peut aider à rendre plus disponible le capital aux investissements financiers et à l’innovation, tout en élargissant les opportunités de mutualisation des risques et le lissage de la consommation (Agénor 2003; Edison, et al. 2004). La libéralisation du compte en capital nécessite aussi un taux de change plus flexible, dans la mesure où un taux flottant permet plus de liberté pour répondre aux chocs exogènes en particulier les mouvements de capitaux privés potentiellement à court terme, même si de fortes fluctuations du taux de change comportent elles-mêmes des risques. La libéralisation du compte en capital n’est pas analysée dans ce rapport parce qu’elle a été discutée en détails dans la dernière Revue des Politiques de Développement (Banque Mondiale, 2010a). En outre, le renforcement du système tunisien de protection sociale est un complément nécessaire aux réformes favorables à la croissance pour offrir une protection adéquate aux pauvres et les défavorisés afin que personne ne soit laissé pour compte. L’équité et l’efficacité du système de protection sociale ne sont pas examinées ici. Mais il va sans dire que ces aspects constituent un aspect fondamental du modèle de développement tunisien et doivent donc nécessairement compléter la discussion entamée par ce rapport. Ce sujet a été séparément traité dans le rapport intitulé « Vers une meilleure équité en Tunisie » (Banque Mondiale 2014f), préparé parallèlement à la Revue des Politiques de Développement. Comme le montre ledit rapport, le système actuel de sécurité sociale en Tunisie ne protège actuellement pas les plus pauvres et profite paradoxalement aux nantis, contribuant ainsi à exacerber l’inégalité et la tension sociale. Le modèle actuel se base surtout sur des subventions non ciblées pour les produits alimentaires et énergétiques qui sont donc coûteuses et injustes parce 32 introduction qu’elles profitent surtout aux riches.6 En parallèle aux prix internationaux des produits alimentaires et des hydrocarbures, la charge budgétaire des subventions a rapidement augmenté pendant ces dernières années, atteignant sept pourcent du PIB en 2012.7 Comme discuté ci-dessus, ces coûts conjugués aux pertes des fonds de protection sociale (retraites et assurance maladie), nous montrent clairement qu’il faut penser d’urgence à une réforme globale du système tunisien de protection sociale. L’expérience des programmes de sécurité sociale au Brésil, au Mexique et dans plusieurs autres pays à travers le monde montrent que des programmes de protection sociale bien conçus sont en mesure de soutenir un développement économique inclusif et juste. Par ailleurs, en se penchant sur les défaillances soulignées dans ce rapport et en commençant à migrer d’une économie à faible valeur ajoutée et à faible coût vers une plus grande valeur ajoutée, la Tunisie doit mettre en place des mécanismes qui lui permettront de passer vers une économie à forte intensité de connaissances. La création d’un environnement qui favorise l’innovation et l’adoption de la technologie n’est pas discutée dans ce rapport parce qu’elle a fait l’objet du rapport de la Revue des Politiques de Développement 2010: Vers une croissance créée par l’innovation (Banque Mondiale, 2010a). L’étude contient une discussion détaillée des principaux problèmes et des défis à relever pour atteindre cette cible. C’est pour cela que l’étude a discuté des politiques d’innovation pouvant faciliter la transformation structurelle de l’économie. Pour conclure, il y a aussi d’autres aspects qui ne sont pas traités ou ne sont pas discutés en profondeur dans ce rapport. La présente étude met l’accent sur le rôle du secteur public pour permettre au secteur privé de créer la richesse et les emplois. Néanmoins, les sociétés modernes se rendent de plus en plus compte de l’importance grandissante de ce qu’on appelle le troisième secteur, le secteur social ou secteur à but non lucratif, qui est la sphère des activités sociales entreprises par les organisations non gouvernementales devenant ainsi des prestataires de services. Alors que le troisième secteur, à lui seul, ne pourra offrir à la Tunisie la solution miracle pour accéder à ses aspirations de développement, il peut contribuer largement à l’activité économique et au bien-être. Ce secteur n’est pas analysé dans le présent document parce que d’autres études ont déjà abordé ce sujet et son rôle potentiel en Tunisie (Meddeb, 2011). La réforme de l’administration publique n’est également pas discutée parce qu’elle constitue un thème complexe à aborder séparément. Ceci dit, il serait difficile d’améliorer l’environnement du secteur privé sans un programme de modernisation de l’administration publique : l’objectif ne doit pas être de limiter la taille de l’administration mais d’améliorer sa qualité. La politique commerciale n’est discutée que brièvement dans le Chapitre Un et le Chapitre Sept mais elle fait l’objet de tout un rapport de la Banque Mondiale élaboré parallèlement à ce rapport : Tunisia Advancing Global Integration (Banque Mondiale 2014h). Enfin, la réforme du système éducatif (à tous les niveaux) n’est discutée que brièvement dans le Chapitre Cinq et mérite être traitée en profondeur parce qu’elle est primordiale pour l’avenir de la Tunisie. la révolution inachevée 33 Notes 1 Dans ce rapport, les termes de “modèle de développement” Moyen-Orient et Afrique du Nord et la région méditerranéenne et de “modèle économique” sont utilisés indifféremment pour (Banque Mondiale 2009a). désigner un ensemble de politiques socio-économiques, qui réglementent la création et la distribution de richesses dans 6 Les subventions des hydrocarbures sont particulièrement un pays donné. inéquitables avec 70 pourcent des avantages allant pour les 20 pourcent de la population qui sont les plus riches (Banque 2 Ces chiffres se basent sur le seuil national de pauvreté mis Mondiale 2014f) —en fait, seuls 7 pourcent des avantages des à jour par l’Institut National de la Statistique en 2012, avec subventions des hydrocarbures atteignent les 50 pourcent les l’assistance technique de la Banque Mondiale et la Banque plus pauvres de la population. Alors que les subventions des Africaine de Développement. De même, le pourcentage produits alimentaires sont beaucoup moins inéquitables, elles de la population vivant en dessous du seuil international de bénéficient quand même plus aux riches. pauvreté (2 US$ par jour) est passé de 12.8 pourcent en 2000 à 4.3 pourcent en 2010. 7 Les dépenses pour les subventions des produits alimentaires et pour les hydrocarbures ont augmenté passant de 1 pourcent 3 Banque Mondiale (2010). Examen de la politique de du PIB en 2000-2004 à 5 pourcent du PIB en 2012. En outre, développement: Vers une croissance fondée sur l’innovation. comme discuté ci-dessous, un système caché de subventions Rapport No. 50847-TN. Banque Mondiale, Washington D.C. croisées aux entreprises étatiques (STIR et STEG) masque toute l’étendue réelle des subventions à l’énergie. Le coût 4 La performance tunisienne a été généralement médiocre de ces subventions cachées a été estimé en 2012 à environ dans tous les aspects de gouvernance et de lutte contre la 2.2 pourcent du PIB. Ainsi, le coût total des subventions à la corruption. Global Integrity et Freedom House ont accordé Tunisie est de plus de 30 pourcent plus élevé que ce qui est à la Tunisie la mention “très faible” ou “pas libre” en ce qui inscrit au budget national, atteignant plus de 7 pourcent du PIB concerne presque tous les aspects de gouvernance. La Tunisie (Banque Mondiale 2013e). avait surtout d’importantes défaillances en rapport avec l’absence de représentation et de redevabilité, un processus de prise de décision très centralisé qui entrave le système de contrepoids (qui n’existait que sur le papier) et plus généralement un pouvoir discrétionnaire fort dans l’application des lois. 5 En fait, ce problème affecte la majeure partie de la région Références Achy, Lahcen. 2011. “Tunisia’s Economic Challenges.” Inégalités et de la Polarisation en Tunisie.” Institut National de Carnegie Middle East Center, December. la Statistique, November 2012. AfDB/MCC/MDCI. 2013. Towards a New Economic Model for Jouini, Elyès. 2014. Tunisie L'espoir: mode d'emploi pour une Tunisia, Identifying Tunisia’s Binding Constraints to Broad- reprise. Tunis: Cérès éditions. Based Growth. Joint Study by the African Development Bank, the Government of Tunisia, and the Government of the United Meddeb, Radhi. 2011. “Ensemble: construisons la Tunisie de States (Millennium Challenge Corporation). demain, Modernité, solidarité et performance”, Octobre 2011.” Action et Développement Solidaire, Tunis. Agenor, Pierre-Richard. 2003. "Benefits and Costs of International Financial Integration: Theory and Facts." The Ministry of Public Health and UNICEF. 2012. Multiple Indicator World Economy 26(8): 1089-1118, 08. Cluster Survey (MICS4), Tunisia. Edison, Hali J., Michael W. Klein, Luca A. Ricci, and Torsten UNICEF. 2009. State of the World’s Children Report. New York: Slok. 2004. “Capital Account Liberalization and Economic UNICEF. Performance: Survey and Synthesis.” IMF Staff Papers 51 World Bank. 2009a. From Privilege to Competition: Unlocking (June): 220-56. Private-Led Growth in the Middle East and North Africa. Hibou Béatrice. 2006. “Surveiller et Réformer. Economie MENA Flagship Development Report. Washington, DC: Politique de la Servitude Volontaire en Tunisie.” Paris: La World Bank. http://documents.worldbank.org/curated/ Découverte. en/2009/01/11409150/privilege-competition-unlocking- private-led-growth-middle-east-north-africa Hibou Béatrice. 2007. “Domination & Control in Tunisia: Economic Levers for the Exercise of Authoritarian Power.” World Bank. 2010a. Tunisia Development Policy Review: Review of African Political Economy 108: 185-206. Towards Innovation-Driven Growth. World Bank, Washington, DC. INS, AfDB, and World Bank. 2012. “Mesure de la Pauvreté, des 34 introduction World Bank. 2012e. Program Document: Governance, World Bank. 2014f. Towards Better Equity: Evaluation of Energy Opportunity and Jobs DPL. Report No. 71799-TN, October. Subsidies and Targeting in Tunisia. (Vers une Meilleure Equité: Les Subventions Energétiques, le Ciblage et la Protection World Bank. 2013e. La nécessite d’une meilleure gouvernance Sociale en Tunisie). World Bank, Washington, DC. des entreprises publiques en Tunisie. Report No.78675-TN, World Bank, Washington, DC. World Bank. 2014h. Tunisia Advancing Global Integration. World Bank, Washington, DC. la révolution inachevée 35 Une économie avec des dysfonctionnements profonds, qui sont à l’origine d’une faible performance dans la création d’emplois de bonne qualité 36 une économie performant en-deçà de sa capacité Une économie performant en-deçà de sa capacité 01 la révolution inachevée 37 Une économie performant 01 en-deçà de sa capacité C e Chapitre évalue la santé de l'économie tunisienne. Il met en lumière une économie avec des dysfonctionnements profonds, qui sont à l’origine de la faible performance de création d'emplois de qualité. La première partie du chapitre porte sur l'analyse de la transformation structurelle de la Tunisie. Elle analyse le taux de croissance de la productivité et la dynamique de la réaffectation des ressources vers les secteurs les plus productifs. L'analyse met en lumière une économie caractérisée par un changement structurel limité et indique que le la performance économique a été essentiellement tirée par un secteur public grandissant. Elle suggère également l'existence de distorsions importantes qui ont contribué à une affectation sous-optimale des ressources, maintenant une performance économique en-dessous du potentiel. L'analyse de la dynamique des entreprises présentée dans la seconde partie du chapitre met en lumière la paralysie des entreprises du secteur privé et souligne également l'existence de distorsions significatives qui sont à l’origine de la sous- performance des entreprises privées. Elle met en évidence une économie où la dynamique de création et de croissance des entreprises est entravée et caractérisée par une productivité stagnante, une faible création d'emplois et faible performance des exportations – le tout attestant des limites de l'environnement économique tunisien actuel. 1.1 / Une dynamique macroéconomique entravée : Chômage persistant, faible productivité, mauvaise affectation des ressources, changement structurel faible, et faible performance des exportations L es résultats de la croissance en Tunisie de 1990 à 2010 étaient bons par rapport à ses pairs dans la région, mais Tableau 1.1 : Taux de croissance annuel moyen du PIB réel par habitant (en %) substantiellement inférieurs à d'autres pays à revenu intermédiaire, notamment de 2000 Tunisie PRIS à 2010. La Tunisie a connu une croissance à 1990-2010 3.4 3.8 environ 3.4 pourcent par an en valeur réelle 2000-2010 3.5 5.2 par habitant au cours de 1990 et 2010 et représentait la deuxième croissance la plus Source : Indicateurs du Développement dans le Monde (IDM) Figure 1.1 : Taux de croissance réel du PIB Tunisien (en %) 1990-2010 Taux de croissance réel du PIB Tunisien (en %) 1990-2010 Taux de croissance réel du PIB par habitant 8% 7% (en %) 1990-2010 Taux de croissance annuel réel du PIB 7% Taux de croissance annuel réel du PIB par habitant 6% 6% Tunisie Union Européenne 5% Pays à revenu intermédiaire supérieur (PRIS) MENA 5% 4% 4% 3% 3% 2% 2% 1% 1% 0% 0% 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 -1% Source : Indicateurs du Développement dans le Monde (IDM); calculs des auteurs. Remarque : MENA fait référence aux pays MENA sans richesses en pétrole. Les taux de croissance dans les graphiques ont été lissés avec un filtre HP. 38 une économie performant en-deçà de sa capacité rapide de la Région MENA depuis 1990. Néanmoins, les autres pays à revenu intermédiaire supérieur (PRIS) ont, en moyenne, connu une croissance 1.5 fois plus rapide Tableau 1.2 : Part des IDE par secteur en Tunisie au cours de la dernière décennie (tableau 1.1 et figure (moyenne 2006-2012) 1.1). Les PRIS à bonne performance tels que la Bosnie- Herzégovine et la Chine ont bénéficié d'une croissance à deux chiffres au cours de la même période. Moyenne 2006-2012 Industrie manufacturière 25.7 Cette modeste performance résulte du fait que la Tunisie Energie, Pétrole et gaz 60.4 souffre d'un niveau d’investissement structurellement Tourisme et habitat 3.5 faible et d'un investissement privé intérieur particulièrement bas. L'investissement a stagné autour Agriculture 0.5 de 24 pourcent du PIB au cours de la période 2000- Services 9.9 2010, ce qui est bas par rapport aux autres PRIS et pays Total IDE 100.0 émergents. Le niveau de l'investissement intérieur privé Sources : Données fournies par les autorités Tunisiennes est particulièrement bas à environ 15 pourcent en Tunisie (Agence pour la Promotion des Investissements Etrangers-FIPA) au cours de la période. De plus, l'investissement privé intérieur est resté concentré sur l'immobilier (considéré comme étant moins vulnérable à la prédation du clan Ben Ali – voir Chapitre Trois). En termes de secteurs, Tableau 1.3 : Part des IDE par secteur industriel en Tunisie la plus grande part de l'investissement privé intérieur (moyenne 2006-2012) (54 pourcent) est concentrée dans le secteur des services, qui est fortement protégé de la concurrence internationale (voir Chapitre Huit). Moyenne 2006-2012 Les Flux d'IDE étaient significatifs, mais essentiellement Industries diverses 6.0 portés sur le secteur de l'énergie, alors que les Agroalimentaire 5.5 investissements dans les industries manufacturières Matériaux de construction 16.0 demeuraient concentrés dans les activités à faible Mécanique, électrique et électronique 28.6 valeur ajoutée et d'assemblage. Les Flux d'IDE vers la Chimie et caoutchouc 21.7 Tunisie ont atteint 3,7 pourcent du PIB en moyenne au Textiles et habillement 11.7 cours de la période 2000-2010 en comparaison avec Cuir et chaussures 4.9 3,1 pourcent en moyenne pour les PRI et 3.3 pour les Plastique 6.7 PRIS. En réalité, le succès apparent de la Tunisie dans l'attraction des IDE cache un paradoxe. Alors que la Total industrie 100.0 Tunisie est géographiquement bien positionnée et Sources : Données fournies par les autorités Tunisiennes (FIPA) bien dotée en ressources humaines qualifiées, elle a toutefois essentiellement attiré des IDE visant le secteur énergétique , à 60 pourcent en moyenne au cours de la période 2006-2012 (tableau 1.2). De fait, les IDE Figure 1.2 : Flux d'IDE à travers les secteurs, Tunisie et dans les industries manufacturières ont chuté de moitié Maroc (moyenne 2008-2010) entre 2000 et 2006 et se sont stabilisés autour d'une moyenne de 26 pourcent des IDE au cours de la période 2006-2012. De plus, les IDE dans les secteurs industriels 100% sont restés concentrés sur les industries à faible valeur ajoutée, notamment le câblage électrique, les matériaux 80% de construction et les textiles (tableau 1.3).1 En outre, 60% Service contrairement aux récentes tendances observées au Industrise Manufacturières Energie et Mines Maroc, les IDE dans le secteur des services continuent à 40% stagner en-dessous de 10 pourcent, même si le secteur 20% tertiaire est essentiel pour améliorer l'emploi des diplômés (figure 1.2). 0% Tunisie maroc De 1990 à 2010, la Tunisie a rapidement étendu l’accès Sources : Données fournies par les autorités tunisiennes (FIPA) et les à l’éducation, en particulier l’éducation supérieure.2 autorités marocaines En conséquence, des progrès impressionnants ont été la révolution inachevée 39 Figure 1.3 : Expansion de l’éducation supérieure en Tunisie, 1990–2009 et 1950–2010 a) Taux bruts de scolarisation dans le supérieur en Tunisie, 1990–2009 b) Part de la population diplômée de l’éducation supérieure, 1950–2010 20% Population ayant une éducation Tunisie supérieure (% de population) 45 18% UE 11 40 Femme 16% Egypte 35 Homme Maroc 14% Jordanie 30 12% 25 10% % 20 8% 15 10 6% 5 4% 0 2% 0% 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 00 05 10 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 Source : World Bank EdStats. Source : Barro et Lee (2010) http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTEDUCATION/EXTDA- Remarques : EU11 fait référence aux nouveaux états membres, à TASTATISTICS/EXTEDSTATS/0,,contentMDK:21528247~menuPK:3409442~- l’exclusion de Chypre et Malte et incluant la Croatie pagePK:64168445~piPK:64168309~theSitePK:3232764,00.html réalisés dans la scolarisation et l’achèvement des études dans l'enseignement secondaire et supérieur. En particulier, les taux bruts de scolarisation dans le secondaire ont augmenté de 52 pourcent au début des années 1990 à 89 pourcent en 2009, et les taux bruts de scolarisation supérieur ont augmenté de 8 pourcent au début des années 1990 à 34 pourcent en 2009. Ces augmentations ont permis à certains résultats d’éducation pour les filles –telles que l’accès à l'enseignement supérieur - de dépasser ceux des garçons (figure 1.3). Comme indiqué dans le Chapitre Cinq, cependant, les défis demeurent pour assurer la qualité des diplômes de l'enseignement supérieur en Tunisie. Parallèlement, le taux de chômage est resté élevé de manière persistante et a touché de façon croissante les jeunes diplômés. Le chômage a oscillé autour des 13 pourcent au cours des deux dernières décennies3. Entre 1990 et 2010, la part de la population âgée de 15 ou plus ayant un niveau d'enseignement supérieur a presque quadruplé de 3.7 pourcent à 12.3 pourcent. Comme l'économie Figure 1.4 : L’explosion des jeunes en Tunisie et Chômage des diplômés du supérieur a) Changements démographiques en Tunisie b) Evolution du chômage par niveau d’éducation 80+ 1980 2010 20% 30 75-79 70-74 En milliers de TND constants 65-69 25 60-64 15% Taux de chômage 55-59 20 50-54 40-44 35-39 10% 15 30-34 25-29 10 20-24 5% 15-19 10-14 5 5-9 0-4 0% 0 19 4 19 7 19 9 19 4 19 5 19 6 19 7 98 99 20 0 20 1 20 2 20 3 20 4 20 5 20 6 20 7 20 8 20 9 10 % % % % % 5% 0% 5% 8 8 8 9 9 9 9 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 20 15 10 10 15 19 19 20 Chômage avec niveau primaire ou moins Source : Institut National de la Statistique (INS) ; calculs des auteurs. Chômage avec niveau secondaire Remarque : Un changement de la définition du chômage a été introduit en 2008 pour Chômage avec diplôme universitaire aligner la Tunisie avec la définition de l’OIT et a mené à une réduction approximative de PIB par habitant (axe droit) 1,5 point de %age des niveaux de chômage. Production par employé (axe droit) 40 une économie performant en-deçà de sa capacité est restée bloquée dans les activités à faible productivité, elle n'a pas pu absorber cette augmentation rapide des diplômés. Beaucoup de ces diplômés ont largement été recrutés par le secteur public, qui en 2010 employait plus de 60 pourcent de tous les diplômés. Malgré cela, le taux de chômage des travailleurs qualifiés a augmenté régulièrement. Jusqu'aux années 1990, le chômage des diplômés était négligeable, mais à la fin de l'année 2012 plus de 30 pourcent des diplômés n'avaient pas d'emploi (figure 1.4). La Tunisie souffre de taux élevés et en croissance de chômage des jeunes et des diplômés, surtout parmi les femmes et dans les régions intérieures rurales. Bien que le stock de chômeurs soit encore composé pour la plus grande part d'hommes peu qualifiés, la caractéristique la plus inquiétante du marché du travail tunisien est peut-être le fort taux de chômage parmi les jeunes diplômés, et surtout les femmes, dont beaucoup sont devenues des chômeurs de longue durée. Le taux national de chômage, qui a atteint un pic de 18.9 pourcent en 2011 au lendemain de la révolution, a baissé à 15,3 pourcent à compter de Décembre 2013 (voir détails au Chapitre Cinq). Il est bien plus élevé parmi les femmes avec 21.9 pourcent (en augmentation par rapport à 15,4 pourcent en 2005), en comparaison des 12,9 pourcent observés chez les hommes. Le chômage se concentre de plus en plus chez les jeunes et les diplômés (de 13,3 pourcent en 2005 à 31,9 pourcent en Décembre 2013), qui tendent à être le groupe le plus productif de la population. Le niveau est critique pour les femmes diplômées – 41.9 pourcent des femmes diplômées étaient au chômage en décembre 2013. De plus, une part nombre anormalement importante de la population en âge d’activité, en particulier des femmes, n'est pas comptabilisée dans les statistiques de chômage car ces personnes ne recherchent pas d'emploi de manière active (encadré 1.1). Le chômage est géographiquement concentré dans le Nord-Ouest (à 20,3 pourcent) et l'intérieur au Sud du pays (à 23,5 pourcent). Les niveaux de chômage sont inférieurs le long des régions côtières du nord-est (à 12,5 pourcent à la mi-2013). Figure 1.5 : Taux de chômage chez les jeunes de Figure 1.6 : Taux de chômage par région en 2005 et 15 à 29 ans en 2005, 2010 et 2011 changement en 2011 Chômage en 2005 Changement du chômage entre 2005 et 2011 2005 2010 2011 60 50 40 30 % 20 10 0 e re es re e ur m ai ai m m rie nd im m Fe pé Ho Pr co Su Se n io n n at io io uc at at Ed uc uc Ed Ed Source : Calculs des auteurs sur la base des Enquêtes nationales sur la Source : Calculs des auteurs sur la base des Enquêtes nationales sur la Population et l’Emploi en Tunisie 2005, 2010 et 2011 Population et l’Emploi en Tunisie 2005 et 2011 Remarque : Les chiffres entre parenthèses en dessous de la figure 1.6 représentent les taux de chômage (en %age). la révolution inachevée 41 Encadré 1.1 : La participation des femmes au marché du travail est très faible En dépit de récentes améliorations, les taux de participation a marché du travail demeurent faibles pour les femmes. Les données de l'enquête nationale sur la population et l’emploi (ENPE) indiquent que les taux de participation ont augmenté entre les années 2005 et 2011, en particulier dans les zones rurales et parmi les jeunes et les segments ayant un meilleur niveau d'éducation de la population. Avec 27 pourcent, cependant, les niveaux de participation féminine demeurent faibles selon les normes internationales, même si ces taux demeurent comparables à ceux observés dans la Région MENA. Selon les données de KILMnet de l'OIT pour 2008, les taux participation féminine étaient de 51.6 pourcent dans le monde, de 28.1 pourcent en Afrique du Nord, et de 25.4 pourcent au Moyen Orient. Les taux de participation des femmes jeunes et diplômées sont plus élevés que pour les femmes plus âgées et ayant un niveau d'éducation moins élevé (de 54 pourcent des femmes ayant un niveau d'enseignement supérieur). Figure B1.1.1 : Taux de participation féminine sur le marché de l’emploi en 2010 25-34 35-54 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0%v EAC Mashreq ALC Maghreb Tunisie Source : Banque Mondiale 2013 et Enquête de main d'œuvre 2010. Remarque : EAC = Europe et Asie Centrale; ALC = Amérique Latine et Caraïbes. En Tunisie, et dans le contexte MENA, les faibles taux de participation féminines peuvent être attribués à la fois aux facteurs sociaux et économiques (Banque Mondiale 2014c). Au-delà des normes sociales qui tendent à privilégier l'emploi des hommes, un certain nombre de facteurs économiques entrave la décision des femmes de rejoindre le marché du travail. . Des salaires de réserve élevés – c'est-à-dire, le minimum accepté pour un emploi particulier – résultent du faible accès au aux services de garde d'enfant ou d’aide-ménagère ou à leur coût élevé, ainsi que de l’existence d’obstacles de transport, de qualité d'emploi ou de la sécurité des emplois disponibles. De manière spécifique, les facteurs les plus importants qui affectent la décision femmes tunisiennes de participer au marché du travail sont : • Niveau d’éducation: Un examen plus approfondi du profil de la participation à la main d'œuvre révèle que les faibles taux de participation en Tunisie sont déterminés principalement par une très faible participation des femmes ayant un niveau d'éducation inférieur (de 20 à 26 pourcent). En fait, la participation des femmes titulaires de diplômes universitaires (53 pourcent) est légèrement en-dessous de celle dans des pays plus développés. A l'examen des facteurs de détermination de la participation féminine au marché du travail avec un modèle de régression probit, les résultats indiquent (si l'on tient compte des autres facteurs), qu'une femme titulaire d'un diplôme universitaire a 64 pourcent plus de chances de participer au macrhé du travail qu'une femme qui a uniquement achevé des études primaires. Fait intéressant, obtenir un diplôme secondaire au lieu d'un diplôme primaire augmente la probabilité pour une femme de faire partie de la main d'œuvre de 16 pourcent seulement (Banque Mondiale 2014c). 42 une économie performant en-deçà de sa capacité • Age et état civil : Par ailleurs, les résultats indiquent que la participation des femmes tend à être supérieure dans les zones urbaines, parmi les populations jeunes (25–34 ans), et parmi les femmes qui ne sont pas mariées. En effet, l'analyse de régression indique que le mariage est un facteur essentiel de la réduction de la participation des femmes à la main d'œuvre. Le fait d'être mariée réduit la probabilité pour une femme de participer à la main d'œuvre de 31 pourcent en comparaison aux femmes célibataires (toutes choses étant égales par ailleurs). Comme indiqué, à la fois des normes sociales et des facteurs économiques sont susceptibles de contribuer à ce résultat. Pour corroborer cette affirmation, les données de l'enquête de main d'œuvre de 2010 révèlent que les raisons familiales sont les plus citées par les femmes en tant que cause de leur non-participation à la main d'œuvre. En comparaison, la maladie et l'éducation sont les principales raisons de non-participation des hommes à la main d'œuvre. • Nombre de personnes à charge dans le foyer : Le nombre d’enfants en bas âge dans le foyer (généralement un important facteur de détermination de la participation féminine au marché du travail) joue un rôle moins important en Tunisie (Banque Mondiale 2014c). En effet, l'analyse de régression indique que la présence d'un enfant en bas âge dans le foyer (c'est à dire, un enfant de moins de 6 ans) réduit la participation des femmes de 4 pourcent uniquement (en comparaison à des taux de 10 à 15 pourcent dans des pays tels que la Turquie ; voir Banque Mondiale 2009b). Le nombre des seniors (âgés de 65 et plus), au contraire, a un effet limité mais positif sur la participation à la main d'œuvre. Ces personnes semblent donc jouer un rôle de soutien (par exemple, aider pour les tâches ménagères et les enfants), au lieu de nécessiter de l'attention pour eux-mêmes. Ceci dit, l'effet de la composition des ménages sur la participation des femmes demeure limité. •Education du chef de famille : Les caractéristiques du chef de famille (habituellement l’homme) influencent également la décision de la femme de travailler. Fait étonnant, les résultats indiquent qu'un niveau d'éducation élevé pour le chef de famille est associé de manière négative à la participation des femmes. Cela peut être dû à deux facteurs. D'une part, il est plus probable qu'un chef de famille ayant un niveau d'éducation supérieur soit employé et gagne suffisamment d'argent. D'autre part, il est plus probable qu'un chef de famille ayant un niveau d'éducation inférieur travaille dans une entreprise familiale ou dans l'agriculture, auquel cas la femme aide souvent au sein de l'entreprise familiale ou à la ferme. Si le chef de famille est une femme, la probabilité qu'une autre femme vivant dans le foyer participe au marché du travail augmente de 8 pourcent. • Education du conjoint du chef de famille : Les femmes ayant un rôle modèle peuvent influencer la décision d'une autre femme à chercher du travail, en particulier dans les sociétés poussées par les différentes préférences et valeurs culturelles. Les femmes observent le comportement d'autres femmes dans le foyer en tant que modèles, influençant ainsi leurs préférences. Par exemple, l'éducation du conjoint du chef de famille est associée de manière positive à la participation des femmes à la main d'œuvre. Les femmes vivant dans un ménage où le conjoint chef de famille possède un diplôme universitaire ont 12 pourcent de plus de probabilité de participer à la main d'œuvre que les femmes vivants dans un ménage avec un conjoint qui a atteint une éducation primaire tout au plus. • Conditions du marché du travail local : Les conditions du marché du travail local (telles que la prévalence du chômage) peuvent également influencer la participation des femmes à ce marché. Les femmes peuvent être moins motivées afin d'intégrer la main d'œuvre si elles ont le sentiment qu'il existe des opportunités d'emploi limitées (c'est-à-dire, découragement). Par exemple, les femmes vivant dans des localités où le taux de chômages des femmes est plus important sont moins à même de participer au marché du travail (une augmentation du taux de chômage régional des femmes de 1 pourcent réduit la probabilité de participation pour une femme par environ 1 pourcent). Au contraire, dans les régions où le taux de chômages des hommes est plus important, les taux de participation féminine ont tendance à être supérieurs. Ceci s'explique par le fait que les salaires de réserve des femmes baissent si les hommes dans le foyer sont inactifs, rendant ainsi nécessaire pour le foyer d'avoir des sources supplémentaires de revenu (une augmentation du taux de chômage régional des hommes de 1 pourcent augmente la probabilité de participation pour une femme d'environ 1 pourcent). la révolution inachevée 43 Figure 1.7 : Croissance de l’emploi, 2005-2010, et Figure 1.8 : Création annuelle nette d’emplois par déficit annuel d’emplois, 2007-2010 secteur, 2007 et 2010 0,2 Main d’œuvre Total 18,4 Primaire Emploi Urbain 13,5 Primaire 1,5 Rural 4,9 3,1 Agriculture 15-24 0,7 Industrie manufacturières Secondaire Bâtiment 3,1 25-34 14,8 Secondaire Hôtels/Restaurants Transport/Comms 9,1 35-54 1,9 Services Financiers Supérieur Administration publique/Services sociaux 6,8 55-64 1 Primaire -4,2 2,3 Supérieure Total Secondaire 3,6 2,2 Supérieur 18,7 0 2 4 6 8 10 -5 0 5 10 15 20 -10 -5 0 5 10 15 20 Taux de croissance Déficit annuel d'emploi 2005-2010 (%) 2007-2010 (x1000) Source : Calculs des auteurs sur la base des Enquêtes Nationales sur la Population et l’Emploi en Tunisie 2005, 2007 et 2010 Alors que l'économie tunisienne a pu créer des emplois pour la main d'œuvre croissante, la croissance de l'emploi n'a pas été suffisante pour absorber tous les entrants (ni pour réduire l'important stock de chômeurs) et les emplois étaient pour la plupart de faible qualité. En dépit de la croissance positive de l'emploi, il y a un déficit annuel moyen net de l'emploi d'environ 18 milles emplois affectant de manière disproportionnée les jeunes travailleurs hautement qualifiés dans les zones urbaines (figure 1.6)4. En fait, la création d'emploi est concentrée sur les activités à faible productivité et de nombreux emplois créés pour les travailleurs hautement qualifiés sont plutôt de qualité précaire (comme discuté au Chapitre Cinq). A quelques rares exceptions (c.-à-d. télécommunications et services financiers), la création d'emploi est concentrée dans les secteurs à faible valeur ajoutée, tels que la construction, le commerce, et les services non-financiers (figure 1.7). La construction, l'industrie manufacturière, et les services (activités économiques qui démontrent des taux élevés d'informalité – tel qu'illustré ci-dessous) sont les principaux secteurs d'emploi pour les travailleurs peu et semi-qualifiés. Une économie affectée par une faible productivité, des distorsions et une mauvaise affectation des ressources Alors que la plupart des PRIS ont connu un décollage économique durant cette période, la Tunisie a été handicapée par l'incapacité d'adaptation de son modèle de développement. Une analyse de la décomposition de la croissance du PIB met en lumière que la croissance de la Tunisie au cours des deux dernières décennies a largement été favorisée par une accumulation de facteurs, avec seulement une faible contribution résultant de gains de la Productivité Totale des Facteurs (PTF).5 Ainsi, même si, comme discuté plus haut, les niveaux d'investissement et d'emploi demeurent insuffisants, leur augmentation explique la plus grande part de la croissance au cours des deux dernières décennies, suggérant l'existence de lacunes dans l'économie. Entre 1990 et 2010, l'accumulation de capital et de travail ont contribué en moyenne à 36 pourcent et 35 pourcent à la croissance, respectivement6. Seuls les 28 pourcent restants de croissance peuvent être attribués en moyenne aux améliorations de la Productivité Totale des Facteurs (PTF). Ceci correspond à un taux de croissance annuel moyen de la PTF d'environ 1.3 pourcent, ce qui est faible en comparaison aux pays à croissance rapide7. Ceci est important car la croissance de la PTF augmente en fin de compte la demande de main d'œuvre. De plus, après le contrôle du capital humain, la contribution à la croissance des facteurs capital, travail et capital humain en Tunisie devient 36 pourcent, 35 pourcent et 22 pourcent respectivement, de sorte que la contribution des gains de PTF se réduit à une moyenne de 5 pourcent au cours des deux dernières décennies (figure 1.9).8 En d'autres termes, une fois que l'on prend en compte l'amélioration de la qualité de la main d'œuvre, les améliorations de la productivité sont restées très limitées au cours des deux dernières décennies.9 44 une économie performant en-deçà de sa capacité Figure 1.9 : Croissance de la productivité totale des facteurs (avec travail ajusté au capital humain) 1980-2010 10,0% 8,0% Contribution à la croissance 6,0% 4,0% 2,0% 0,0% 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 -2,0% -4,0% Capital Capital Humain Main d’œuvre PTF -6,0% Source : INS; calculs des auteurs Un taux de croissance de productivité plus élevé est important car il implique une plus grande création de richesse par habitant, ce qui génère plus de créations d'emplois et une création d'emplois de meilleure qualité (encadré 1.2). Une stratégie de croissance économique impliquant une importante accumulation de facteurs est appropriée lorsqu'un pays possède un important stock de ressources humaines inexploitées, comme c'est le cas pour la Tunisie. Cependant la croissance de la productivité est nécessaire pour générer plus de richesses par habitant et en définitive une création d'emplois plus rapide. Le taux de croissance de la PTF est un bon indicateur de l'efficacité globale de l'économie – il mesure l'amélioration de l'efficacité dans l'utilisation de ces facteurs de production. Une faible croissance de la PTF suggère l'existence de barrières qui empêchent la réaffectation des ressources vers des activités plus productives et entravent la capacité de créer des richesses et des emplois. L'augmentation de la PTF (c’est-à-dire l’amélioration de l'efficacité dans l'utilisation des facteurs de production), peut avoir lieu au sein d’une activité de production ou d’un secteur donné, ou peut résulter de la réaffectation des ressources entre secteurs. Encadré 1.2 : Qu'est-ce que la productivité et pourquoi elle est importante? La productivité est un moteur clé de la création de richesses et d'emplois. Nous pouvons envisager la croissance économique comme le résultat de l’accumulation du capital matériel et humain – donc plus d'emplois (hautement qualifiés) et plus d'investissement – et une "productivité" accrue. La productivité porte sur l'efficacité avec laquelle les gens combinent les ressources afin de produire des biens et des services. Pour les pays, il s'agit de créer plus à partir des ressources disponibles – telles que les matières premières, la main d'œuvre, les compétences, les biens d'équipement, le terrain, la propriété intellectuelle, la capacité de gestion et le capital financier. Une meilleure productivité est donc synonyme d'une meilleure production, une meilleure création de valeur et un meilleur revenu. Par conséquence, plus la productivité d'un pays est élevé, plus le niveau de vie qu'il peut offrir est meilleur et plus il peut améliorer le bien-être de ses citoyens (par exemple à travers la santé, l’éducation, les routes et télécommunications, sécurité et un soutien social plus fort pour les personnes qui en ont besoin). Au niveau global (à l'échelle de l'économie), la productivité apporte également plus d'emplois et des emplois de meilleure qualité, car elle stimule une croissance supplémentaire en termes de revenus et de résultats afin de générer une croissance globale des emplois et permet aux entreprises de payer de meilleurs salaires. la révolution inachevée 45 Contrairement à des économies plus avancées, les pays en voie de développement tendent à être caractérisés par de larges différences dans la productivité à travers les secteurs. Les écarts de productivité persistent dans les pays en voie de développement à travers les secteurs et même à travers les entreprises (Hsieh et Klenow, 2009). Comme indiqué, des lacunes de productivité peuvent être indicatives de la mauvaise affectation des ressources. De larges lacunes de productivité à travers les secteurs suggèrent que la réaffectation des travailleurs de secteurs à faible productivité à d'autres secteurs à haute productivité peut être un important facteur de croissance.10 En fait, dans plusieurs pays à forte croissance, en particulier en Asie, la réaffectation des travailleurs à travers les secteurs a contribué positivement à la croissance au cours des vingt dernières années (McMillan et Rodrik 2011). Alors que la Tunisie présente des différences assez importantes dans la productivité à travers les secteurs, l’écart de productivité est étonnamment faible entre l'industrie manufacturière et l'agriculture, ce qui souligne la faible productivité de l'industrie manufacturière tunisienne. Cet écart de productivité entre agriculture et industrie manufacturière est très faible en Tunisie en comparaison à d'autres pays.11 En 2005, la productivité de la main d'œuvre dans l'industrie manufacturière en Tunisie était uniquement 1.7 fois supérieure à celle de l'agriculture – ceci est même inférieur à l’écart de productivité de 2.3 en Afrique Subsaharienne et bien en-dessous des 2.8 en Amérique Latine et 3.9 en Asie (McMillan et Rodrik, 2011).12 Bien que la productivité du secteur agricole en Tunisie soit alignée à celle d'autres pays (figure 1.9), la faible productivité du secteur des industries manufacturières est à noter. Dans la plupart des pays en voie de développement, l'agriculture est le secteur avec la plus faible productivité – cependant, en Tunisie, l'industrie manufacturière n'est pas bien plus productive que l'agriculture, et en fait le secteur des textiles est moins productif que l'agriculture.13 Comme exposé ci-dessous, ceci reflète le fait que, à quelques exceptions notables, l'industrie manufacturière en Tunisie tend à se concentrer sur le simple assemblage et d'autres activités à faible valeur ajoutée, ce qui explique la faible qualité d'emplois. En un sens, ces conclusions capturent l'essence du problème de l'économie tunisienne. La productivité de la main d'œuvre en Tunisie demeure faible et la Tunisie perd du terrain par rapport aux points de référence internationaux au cours de la dernière décennie. La croissance de la production par travailleur (que nous utilisons comme un indicateur de productivité de la main d'œuvre à travers le présent rapport) était autour de 2.5 pourcent en moyenne en Tunisie au cours Figure 1.10 : Productivité agricole de la Tunisie en Figure 1.11 : Taux de croissance annuelle comparaison internationale (2009) moyenne de production par travailleur, 2000-2010 6 Log agriculture valeur par employé 5 5% (constant en US$) 4 4% 3% 3 2% 2 1% 0% 1 e ie e oc ie e e e e e te al qu ui gn qu ré si si an ar g yp ar ai ni rq tu Co a lo hè lg rd M Ég al Tu ov r Tu Po Bu Po Tc Jo M Sl 0 ue ue iq 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 iq bl bl pu pu Ré Ré Log PIB par employé (constant en US$) Source : Indicateurs du Développement dans le Monde (IDM); calculs des Source : Indicateurs du Développement dans le Monde (IDM); des auteurs. Le point rouge représente la Tunisie. auteurs. Le point rouge représente Tunisie. Remarque : La mesure de la production par travailleur comprend l'impact Remarque : La mesure de la production par travail comprend l'impact des améliorations du stock de capital et du capital humain. des améliorations du stock de capital et du capital humain. 46 une économie performant en-deçà de sa capacité de la dernière décennie, en-dessous du benchmark de la plupart des pays MENA (tels que la Jordanie et le Maroc) et les pays en essor dans l'UE et l'Asie (figure 1.11). La faible productivité de la main d'œuvre reflète la structure de production de l'économie tunisienne qui est centrée sur des activités à faible valeur ajoutée et des emplois de faible qualité.14 Il convient de signaler, cependant, que les salaires ont augmenté de 2.1 pourcent en moyenne au cours de la période 2000-2009 (OIT 2011), en- dessous de l'augmentation de productivité de la main d'œuvre au cours de la période.15 La modération salariale a augmenté la compétitivité des entreprises Tunisiennes sur les produits à fort besoin en main d'œuvre, notamment les activités d'assemblage.16 Figure 1.12 : Productivité sectorielle de la main d'œuvre et emploi en 2009 a) Production par capital humain b) Production par unités de capital humain (CH) Valeur Ajoutée (axe gauche) Valeur Ajoutée ajustée au CH (axe gauche) 500% 30% 500% Unités de CH (axe droit) 30% Quotepart de l’Emploi (en %) Emploi (axe droit) 450% 450% Quotepart de CH (en %) Productivité Sectorielle (en % de productivité) 400% 25% 400% 25% (en % de moyenne) VA par unité de CH 350% 20% 350% 20% 300% 300% 250% 15% 250% 15% 200% 200% 150% 10% 150% 10% 100% 5% 100% 5% 50% 50% 0% 0% 0% 0% an ic ir e e an ic ir tu e co niq ec m s et can c Hô gr ram ue e e nq rt him s s P em ub d st he nts que ct ure co oniq Sec m s tr e e ur ce et can c Hô gr ram ue Tr us sta ire nq rt him s s et es es P em ub d rie e e ts e e tr e e ur ce Tr dus sta ire et es es et élé e et élé e m e Ba spo e c ant m e Ba spo e c ant En Ass om En Ass om li li im iqu ac ur im iqu u t qu t qu an êt e p an m agr cu m agr cu tio t m ub tio t m ub Co rièr Co rièr c in c in e er te er A cé q en liq é iq In t re nta In t re nta uf ult uf ult gi an gi an ur ch i ur ch li i i M M c c ur i ur et t p p u er ur er ur ct ar ct ar p é é ru -m ru -m a e e e c te oal te oal ue et ue et t e n n i t t an tr an tr no no rie e e e S n n t s s A ls ls es es ê h d u u v v st st du èc du èc s s ic ic uc uc s, s, ra ra rv rv o ile ile nf nf st Se Se de ctr de tr ns ns xt xt l'i l'i c ux Ele ux Ele Te Te et et in in n n es es tio tio rs rs uc uc ve ve ia ia tr tr Di Di ér ér ns ns at at Co Co M M Source : Calculs des auteurs sur la base des Comptes nationaux de l'INS et l’Enquête Nationale des Entreprises (ENE). Remarque : Dans le graphique à droite, les unités de capital humain sont calculées comme la moyenne pondérée du nombre d'employés, les pondérations étant déterminées par les années d'éducation et le retour annuel d'éducation. Nous utilisons les informations de l'ENE afin de déterminer la part des travailleurs avec un niveau d'éducation primaire, secondaire et universitaire pour effectuer ces calculs. L'axe gauche compare la valeur ajoutée par secteur en tant que part du capital humain (CH) à la valeur ajoutée moyenne en tant que part du CH. L'axe droit montre la part sectorielle de CH (de manière que la somme de toutes les valeurs de points rouges est de 100%). En fait, jusqu'à 77 pourcent de la main d'œuvre tunisienne est employée dans des secteurs à faible productivité. Les secteurs à faible productivité font ici référence aux secteurs ayant une productivité en-dessous de la moyenne qui en 2009 comprenaient l'agriculture, les textiles, la plupart des secteurs d'industrie manufacturière, du commerce, du secteur public et la construction et l'infrastructure publique (figure 1.11). Les secteurs de services à forte productivité, tels que le secteur bancaire, le transport et les télécommunications ont uniquement absorbé 7.7 pourcent du total de l'emploi. La part des travailleurs dans les secteurs à faible productivité est élevée en comparaison à d'autres pays en voie de développement.17 De plus, après avoir contrôler le facteur capital humain, l’analyse révèle une affectation encore plus inadéquate profonde du capital humain (figure 1.11). En 2009, jusqu'à 75 pourcent de la main d’œuvre augmentée du du capital humain a été employée dans des secteurs ayant une productivité en-dessous de la moyenne, dont 24 pourcent dans l'administration publique. De plus, ce schéma a persisté dans le temps, avec uniquement une réaffectation minimale à travers les secteurs dans le temps – et la réaffectation qui a eu lieu essentiellement de l'agriculture à faible productivité vers l'industrie manufacturière à faible productivité. Changement structurel limité 1990-2010: Une économie coincée dans les activités à faible productivité Afin d'évaluer le degré de contribution de la transformation structurelle à la croissance en Tunisie dans le passé nous avons effectué une décomposition différente de la croissance du PIB par habitant. Afin d'explorer la dynamique de l'économie tunisienne nous décomposons la croissance du PIB à la contribution des changements démographiques, le niveau d'emploi et le niveau de croissance de productivité (encadré 1.3).18 la révolution inachevée 47 Encadré 1.3 : Décomposition du PIB et la mesure du « changement structurel » dans l'économie L'une des idées clés de l'économie du développement est que la croissance est tirée par un changement du secteur de l'agriculture vers le secteur industriel. Ce processus de changement structurel tend à être reflété dans le schéma de l'emploi de sorte qu'avec le temps la main d'œuvre dans le secteur non-agricole augmente alors que l'emploi dans le secteur agricole baisse (Kuznets 1967). A mesure que l'emploi passe vers le secteur industriel, la productivité globale augmente et les revenus se développent. La réaffectation des travailleurs d'un secteur à un autre est donc un aspect important du développement économique. Les récentes recherches mettent en lumière que jusqu'à 85 pourcent de la variation internationale de la Productivité globale Totale des Facteurs (PTF) peuvent être attribué aux différences de l'efficacité relative à travers les secteurs, soulignant l'importance de créer un environnement économique dynamique (Chanda et Dalgaard, 2008). Traduisant l'observation ci-dessus, la croissance du PIB par habitant peut être décomposée selon les éléments suivants : (a) changement du taux de l'emploi, (b) changement dans la productivité du travail (que nous approximons par la variation de la production par travailleur) et (c) le changement dans la structure démorgaphique.. Chacune de ces composantes est importante en soi : le taux de l'emploi et la composante démographique reflètent le changement du nombre d'emplois, alors que la composante productivité recouvre les variations de création de valeurs de ces emplois, qui reflète normalement les salaires et la qualité des emplois. La productivité de la main d'œuvre peut être décomposée de plus en deux composantes supplémentaires : changements de la productivité au niveau du secteur (élément « interne ») et les changements découlant d'une réaffectation de la main d'œuvre entre les secteurs (élément « transversal »). Selon la décomposition Shapley (Shorrocks, 1999), cela se présente comme suit : ∆yt étant le changement de la productivité globale de la main d'œuvre entre t et t-k, θit est l'emploi dans le secteur i à l'instant t et y_it est le niveau de la productivité dans le secteur i à l'instant t. Le premier terme est la composante interne "au sein du secteur" et le second terme est la composante transversale "entre les secteurs". Ce dernier mesure la manière dont la réaffectation de la main d'œuvre a contribué à la croissance de la Tunisie dans le passé, soit la contribution du changement structurel à la croissance. Des décompositions similaires ont été utilisées par la Banque Mondiale (2009). Une méthodologie alternative pour la décomposition de la productivité de la main d'œuvre a été proposée par Pages (2010) et McMillan et Rodrik (2011), et est discutée dans le Rapport de Synthèse RPD sur la « Transformation Structurelle de la Tunisie: Evolution de la Productivité, de l'Emploi et des Exportations"» (Banque Mondiale, 2014d). Il est à souligner qu'au niveau sectoriel, la composante « interne» devrait également être considérée comme une mesure de la rentabilité du secteur dans le sens où elle mesure le retour sur les ressources investies dans ce secteur par unité d'emploi. Bien que nous utilisions ceci au titre d'une mesure de plus forte productivité, elle peut cependant également refléter la capacité des entreprises à extraire des rentes auprès des consommateurs. De même, il est important de souligner que tous les changements structurels ne sont pas forcément bons. Par exemple, la productivité peut être plus élevée dans les secteurs ayant un pouvoir de monopole et une réaffectation de ces secteurs contribuera positivement au changement structurel mais ne favorisera pas forcément la croissance ni le bien-être (pour une discussion plus détaillée, voir Lederman and Maloney 2012). 48 une économie performant en-deçà de sa capacité Figure B1.3.1 : Décomposition de la croissance du PIB Croissance du PIB par habitant Changement de Changement Changement du taux la production par de la structure d'emploi travailleur démographique Schéma sectoriel de Changements « dans » la création d'emploi les secteurs Changements « à travers » les secteurs (Changement structurel) Ce dernier peut ensuite être divisé en deux éléments supplémentaires : changements de productivité au niveau du secteur (élément « interne ») et changements découlant d'une réaffectation de main d'œuvre entre les secteurs (élément « à travers» l'élément), qui mesure la vitesse du changement structurel dans l'économie.19 Le changement démographique et l'augmentation de l'emploi représentent 1/3 de la croissance au cours de la dernière décennie. Comme mentionné ci-dessus, la Tunisie a connu une rapide augmentation de la population en âge de travailler au cours des deux dernières décennies (figure 1.3). Ce changement « démographique », mesuré en tant que croissance de la population en âge de travailler en pourcentage de la population totale, a contribué à environ 23 pourcent de la croissance réelle par habitant au cours de la période 2000-2010 (ou 0.8 pourcent de la croissance annuelle du PIB par habitant ; figure 1.13). De même, même si le taux de chômage a uniquement légèrement baissé, l'économie s'est assez bien comportée en termes d'absorption de son explosion de jeunes. Entre 2000 et 2010, la population active en tant que part de la population en âge de travailler a augmenté de 49.6 pourcent à 51.1 pourcent car le taux de chômage a légèrement baissé de 15.7 pourcent à 13.3 pourcent.20 Le changement de l'élément du « taux de l'emploi » a contribué à 10 pourcent de croissance par habitant au cours de la période 2000-2010 (ou 0.4 par an ; figure 1.13). Les résultats confirment que l'économie tunisienne a été caractérisée par une faible productivité et un changement structurel limité au cours de la dernière décennie. La décomposition de la production par travailleur en ses éléments « internes » et « transversaux » met en lumière qu'entre 2000 et 2010 la contribution du changement structurel à la croissance économique a été positive mais faible. Tel que susmentionné, la productivité de la main d'œuvre a augmenté à un taux de 2.5 pourcent par an, contribuant à environ 68 pourcent à la croissance du PIB entre 2000 et 2010.21 La plus grande part de cette croissance de productivité a eu lieu en « interne » des secteurs, représentant 60 pourcent de la croissance réelle du PIB par habitant au cours de la période (ou 2.2 pourcent par an ; figure 1.12). Le changement structurel, la réaffectation de la main d'œuvre des secteurs à faible productivité aux secteurs à forte productivité, a contribué uniquement à 8 pourcent au changement du PIB réel par habitant entre 2000 et 2010 (ou 0.4 pourcent par an ; figure 1.13). Pour comparaison, Macmillan et Rodrik (2011) ont calculé que pendant la période 1990 à 2005 l'élément « interne » en Chine, à Hong Kong SAR, en Inde, en Malaisie, à l'Ile Maurice, à Taiwan, en Chine et en Turquie était de 7.8 pourcent par an à 1.7 pourcent par an, alors que l'élément « changement structurel » représentait entre 1.4 pourcent par an et 0.4 pourcent par an (figure 1.13). Ils ont également observé que dans plusieurs pays d'Amérique Latine et d'Afrique Subsaharienne le « changement structurel » entre 1990 et 2005 était négatif, réduisant la croissance économique (McMillan et Rodrik, 2011). la révolution inachevée 49 Figure 1.13 : Contribution des données démographiques, de l'emploi, et de la productivité à la croissance du PIB par habitant en Tunisie, 2000-2010 Taux de croissance annuelle moyenne Contribution de chaque élément en tant que %age de la de chaque élément croissance du PIB par habitant 6% 5% 00-10 4% 06-10 3% 2% 03-06 1% 00-03 0% 00-03 03-06 06-10 00-10 -50% 0% 50% 100% 150% -1% Croissance de productivité interne aux secteurs Croissance de productivité interne aux secteurs Changement structurel Taux d’emploi Changement structurel Taux d’emploi Changement démographique Croissance moyenne Changement démographique Croissance moyenne Source : Calculs des auteurs sur la base des Comptes nationaux de l'INS et ENE. Remarque : Tel que discuté dans le texte, nous décomposons la croissance de productivité en « interne aux secteurs » et croissance de productivité qui est née de la réaffectation des entrants « à travers les secteurs » (que nous appelons « Changement structurel »). Ces résultats indiquent que l'économie tunisienne n'a pas réussi à réaffecter de manière efficace les ressources des activités à faible rendement vers des activités à fort rendement, mais ils soulignent également qu'en dépit d'une certaine réaffectation des ressources, l'économie dans sa totalité semble être restée dans une impasse de faible productivité. Ceci signifie que l'économie fonctionne en-dessous de son potentiel, ce qui est reflété dans le taux relativement faible de la croissance du PIB et une création d'emplois insuffisante et de faible qualité. La performance a été encore plus faible lorsqu'on prend en considération que notre mesure de productivité est accrue par le développement du secteur public. Une part importante de notre mesure de la productivité reflétant donc simplement l'augmentation de la taille de l'administration publique, il n’y a pas une réelle augmentation de la productivité, mais simplement une augmentation des dépenses publiques.22 De plus, une analyse de la décomposition du PIB au niveau sectoriel met en lumière que notre estimation de la productivité est accrue par les profits monopolistiques dans les secteurs du transport, des télécommunications et du commerce. La performance était également inférieure lorsque nous prenons en considération qu'au niveau du secteur, la productivité semble avoir augmenté le plus dans le transport, les télécommunications et le commerce (figure 1.14), reflétant largement les rentes qui existent dans ces secteurs en raison des barrières à l'accès – seules quelques entreprises ont reçu une licence pour opérer dans ces secteurs, qui représentaient en fait les principales cibles du Clan Ben Ali (voir Chapitre Trois).23 Comme cela sera discuté au Chapitre Deux et au Chapitre Trois, la concurrence limitée dans ces secteurs permet aux titulaires d'imposer des prix exorbitants aux consommateurs (et entreprises) Tunisiens, qui, en un sens, siphonnent la création de richesse du reste de l'économie. La contribution globale de l'industrie manufacturière à la croissance a été faible, faisant preuve d'un manque de croissance de la productivité et de l'emploi. Dans la continuité de nos discussions précédentes, la décomposition de la croissance sectorielle PIB confirme également que la contribution de l'industrie manufacturière à la croissance a été faible de manière générale, faisant preuve d'un manque de croissance de la productivité et de l'emploi. En fait, la productivité moyenne de l'industrie manufacturière secteur demeure très faible et ne dépasse pas de beaucoup le secteur agricole. La croissance globale de la productivité de la main d'œuvre dans le secteur de l'industrie manufacturière a uniquement contribué de 0.9 pourcent par an à la croissance réelle du PIB par habitant entre 2000 et 2010. Environ la moitié de cette croissance de productivité peut être attribuée à l'élément « interne » qui a contribué à hauteur de 5 pourcent au total à la Croissance du PIB par habitant pour la Tunisie au cours de la période 2000-2010 et la contribution « structurelle » représente 4.3 pourcent. Sa contribution à l'emploi a été négative, largement menée par la suppression d'emplois dans le secteur 50 une économie performant en-deçà de sa capacité Figure 1.14 : Contribution sectorielle à la croissance du PIB en Tunisie, 2000-2010 25% Contribution au sein du secteur Changement structurel 20% Contribution au changement de l’emploi Contribution totale 15% 10% 5% 0% Autres Services Industrie électronique et mécanique Transport et Telecom Secteur Public Agroalimentaire Banques e& Assurances Industries manufacturières diverses Matériaux de construction et céramique Hôtels & Restaurants Services Non-marchands Commerce Pêche et agriculture Bâtiments publics et infrastructure -5% Energie et Mines Industrie chimique Textile, vêtements et cuir -10% Source : INS; calculs des auteurs du textile qui luttait pour maintenir sa compétitivité suite à la mise en œuvre de l'accord multifibres en 2005 (figure 1.15).24 Le secteur de l'industrie manufacturière ayant la plus forte croissance de productivité était celui de l'industrie électronique et mécanique alors que la productivité a augmenté d'environ 30 pourcent au cours de cette période. La productivité du secteur chimique a perdu 33 pourcent au cours de cette période.25 Seuls quelques secteurs ont contribué positivement au changement structurel. La main d'œuvre est passée des secteurs du textile, du commerce et de l'agriculture aux secteurs du transport et des télécommunications, des hôtels et des restaurants, de l'industrie électronique et mécanique, et autres services (y compris les services aux entreprises). Ce changement structurel a contribué « positivement » à la productivité car il a entrainé une contraction dans les secteurs à productivité en- dessous de la moyenne ce qui a permis des gains en termes d'emploi dans des secteurs à productivité de niveau au-dessus de la moyenne et des emplois de meilleure qualité (figure 1.15). Ceci dit, tel que susmentionné, le taux global de changement structurel était limité. La comparaison du changement structurel en Tunisie avec celui de pays donnés confirme également la faible contribution de son secteur d'industrie manufacturière ainsi que les services financiers et aux entreprises (Annexe 1.4). Globalement, les secteurs dominés par les entreprises offshore ont eu, en moyenne, une faible croissance de productivité « interne », alors que les secteurs par les entreprises onshore ont été caractérisés par des extractions de rentes. Afin d'explorer les différences de performance entre les secteurs de l'onshore et de l'offshore (encadré 1.4; voir également Chapitre Quatre pour une analyse détaillée de la dichotomie onshore-offshore), nous avons effectué une décomposition de la croissance avec une distinction entre les secteurs où plus de 60 pourcent des entreprises sont totalement exportatrices (que nous considérons comme principalement comme des « secteurs offshore »; et qui, dans une large mesure, sont limités aux secteurs de l'industrie manufacturière) et autres secteurs (que nous considérons principalement en tant que « secteur onshore »). Comme anticipé, les secteurs offshore ont principalement eu une croissance de productivité "interne" en moyenne faible au cours de la dernière décennie, reflétant le fait que les entreprises offshore sont largement demeurées concentrées sur les activités à faible valeur ajoutée et d'assemblage. Globalement, l'économie offshore a en moyenne réduit l’emploi sans améliorer la productivité. Il est donc improbable que la révolution inachevée 51 le changement structurel positif dans ce secteur soit dû à la suppression d'emplois en faveur de secteurs plus productifs, mais reflète plutôt une perte possible de compétitivité. D'autre part, les secteurs onshore démontrent principalement une large contribution « interne » à la croissance. Comme indiqué ci-dessus, ceci reflète les rentes extraites dans les secteurs onshore clés suite à un accès limité au marché à quelques entreprises privilégiées (voir Chapitre Deux et Chapitre Trois). Le changement structurel a été négatif dans l'économie onshore au moment où les secteurs de service à forte productivité, tels que le service d'intermédiation financière, ont réduit les emplois et les secteurs à faible productivité, tels que les services aux entreprises, les a absorbé. Figure 1.15 : Changement sectoriel et structurel en Tunisie, 2000-2010 Changement de la part de l'Emploi 2000-2010 2,5 minIER 2 SERVICES Log (Productivité Sectorielle / Productivité Av. 2000) FINANCIERS 1,5 transport & autres services télécom 1 INDUSTRIES CHIMIQUES Hôtel & Restaurants commerce 0,5 AGRO-ALIMENTAIRE electrique et mécanique 0 -3,0% -2,5% -2,0% -1,5% -1% -0,5% 0,0% 0,5% 1% 1,5% 2,0% -0,5 -1 secteur public Textile -1,5 Agriculture bâtiment et travaux -2 publics -2,5 services non-marchants -3 Source : INS; calculs des auteurs beta = 8.439 Remarque : Les cercles représentent la part sectorielle de l'emploi pour l'année 2000. t-stat =0.63 Encadré 1.4 : La dichotomie offshore-onshore de la Tunisie L'environnement économique de la Tunisie est caractérisé par un traitement différentiel net des entreprises exportatrices et non-exportatrices. Déjà au début des années 1970, la Tunisie a adopté une stratégie de croissance orientée vers les exportations et a institué un régime fiscal spécial favorisant les entreprises exportatrices. Ce régime double a été consacré dans le Code d'Incitation aux Investissements de 1993. Alors que le Code a, sans aucun doute, réussi à attirer les investisseurs étrangers et à booster les exportations et a bien servi la Tunisie au cours des phases initiales de l'industrialisation après l'indépendance, le système économique double est au cœur des lacunes du modèle économique tunisien (voir Chapitre Quatre). Le Code d'Investissement distingue les entreprises « totalement exportatrices » des « non totalement exportatrices », désignées couramment comme entreprises « offshore » et « onshore ». Les entreprises « totalement exportatrices » bénéficient d'exonérations fiscales sur les revenus et sur les impôts sur les revenus au cours des dix premières années de leur activité, une réduction de 50 pourcent pour une autre période de dix années et une déduction fiscale totale des bénéfices réinvestis. L'état garantit également un accès hors-taxes à tous les produits intrants et équipements. Il offre également souvent l'infrastructure nécessaire et assume les contributions sociales des employeurs pendant 5 52 une économie performant en-deçà de sa capacité années. Ces sociétés bénéficient également de procédures douanières facilitées, qui correspondent à des économies de coûts significatives vu que l'administration locale est complexe, imprévisible et lourde. Une entreprise "totalement exportatrice" peut vendre jusqu'à 30 pourcent de son chiffre d'affaires sur le marché local. Des preuves anecdotiques indiquent que peu d'entreprises choisissent cette option, car la fraction de la production qui est vendue sur le marché local est exonérée des avantages "offshore". Cela implique que non seulement la fraction vendue sur le marché local est imposée sous le régime fiscal général mais est également assujettie à la procédure administrative locale standard. Les entreprises "non totalement exportatrices" peuvent exporter leur production cependant les entreprises sont souvent réparties en deux entités distinctes : l'une dédiée au marché onshore et l'autre "totalement exportatrice". Les biens intermédiaires importés requis par ces exportations sont exonérés des taxes à l'importation, si les exportations correspondantes ont lieu au cours d'une période de trois mois. Ceci entraine des procédures administratives couteuses, telle que l'obtention de certificats spécifiques des biens importés et exportés correspondants auprès des officiers de douanes qui doivent confirmer qu'ils ont effectivement vu les biens. Par conséquent, les entreprises locales qui commencent à exporter ont tendance à se diviser en deux entités distinctes : l'une dédiée au marché onshore et l'autre dans le cadre du régime offshore totalement exportateur. Les entreprises offshore représentent un peu plus que la moitié de l'ensemble des exportateurs (52 pourcent) mais près de trois-quarts (72 pourcent) de toutes les exportations. Vingt-trois pourcent des entreprises exportatrices appartiennent à des étrangers, et elles sont en grande partie des entreprises offshore. Environ 6 sur 10 entreprises offshore appartiennent en fait à des tunisiens. Bien que les entreprises offshore ne soient pas toutes étrangères et toutes les entreprises étrangères ne sont pas offshore, toutefois environ 45 pourcent de toutes les entreprises offshore (8,261 sur 18,211 entreprises offshore) sont étrangères, alors que 1.8 pourcent uniquement de toutes les entreprises sont étrangères, indiquant que le secteur offshore est un aimant à IDE. Les exportateurs étrangers offshore représentent 37 pourcent de toutes les exportations, représentant donc un peu plus de la moitié de toutes les exportations offshore (rappelant que les exportations offshore totales représentent 72 pourcent de toutes les exportations; 0.37/0.72=0.51). Les entreprises offshore représentaient à peu près 33 pourcent de tous emplois salariés en 2010, même si uniquement 6 pourcent de toutes les entreprises qui offrent des emplois salariés sont enregistrées en tant qu'entreprises offshore. (Freu, et al. 2013). Comme discuté en détails au Chapitre Quatre, la dichotomie offshore-onshore impose des coûts élevés à l'économie. D'abord, le secteur de l'industrie manufacturière est considéré important pour la croissance économique car il tend à avoir de forts liens en amont et en aval avec d'autres secteurs de l'économie. La dichotomie offshore-onshore a affaibli ces liens. Ensuite, elle affaiblit les liens dynamiques entre le marché local et le secteur de l'export. La profession de l'export pourrait jouer un rôle important pour soutenir le développement d'un réseau de fournisseurs locaux et offrir des incitations à l'innovation locale mais cela n'arrive pas en Tunisie en raison de la segmentation entre les deux régimes. De même, un marché local vibrant est souvent considéré comme une force d'entrainement pour la profession de l'export (Porter 1990), mais au lieu de cela la segmentation maintient le secteur onshore coincé dans une faible productivité et une faible croissance. De plus, le fardeau administratif complexe associé au régime ouvre la porte à la corruption (voir Chapitre Trois). En somme, l'économie tunisienne semble coincée dans un dilemme de faible productivité qui est reflétée dans la création limitée d'emplois et de faible qualité. L'analyse du changement structurel met en lumière une économie dont la performance est faible qui est reflétée par une croissance de productivité et une création de l'emploi relativement faible, en raison des caractéristiques de l’économie. Du côté offshore (c.-à-d. les sociétés exportatrices), la faible productivité résulte d'un secteur essentiellement centré sur des activités à faible valeur ajoutée et d'assemblage pour l'UE. Sur le marché onshore (c.-à-d. les sociétés qui produisent pour le marché national), l'extraction de rentes par le clan privilégié a freiné la croissance du reste de l’économie. Pire encore, il y a un manque de changement structurel, mettant en lumière une économie qui manque de dynamique vers un modèle plus productif. la révolution inachevée 53 La Faible performance des exportations tunisiennes, 1990-2010 En tant que petite économie avec des ressources naturelles limitées, l'intégration commerciale et la performance à l'export de la Tunisie sont essentielles à la prospérité. Les entreprises tunisiennes ont besoin de vendre sur les marchés étrangers pour se développer, profiter d'économies d'échelle et créer plus d'emplois. En fait, l'exportation est une manière de développer la demande de produits de fabrication locale et donc la demande de main d'œuvre locale. Plus généralement, les exportations sont un autre indicateur de productivité, puisque, par définition, les exportateurs font face avec succès sociétés internationales. La Tunisie demeure une économie relativement fermée et sa performance à l'export a été relativement faible. Bien que la perception en Tunisie soit que l'économie est ouverte et relativement bien intégrée, en fait en comparaison aux pays de référence, la Tunisie demeure moins ouverte (selon les mesures de la part des exportations et importations dans le PIB) et assez protégée. Sur la base PIB par habitant, la taille de la population et le fait qu'un pays soit enclavé ou pas, la Tunisie est moins ouverte que les pays à croissance rapide, tels que la République Tchèque, la Malaisie, la République de Corée ou la République Slovaque – mais plus ouverte que l'Egypte, le Maroc ou la Turquie (figure 1.16). Ceci reflète la discussion dans la section précédente que la plus grande part de l'économie onshore demeure protégée et sujet à de sévères restrictions d'accès au marché (voir également Chapitre Deux). Les mesures non-tarifaires restent courantes et sont utilisées afin de protéger le marché intérieur (encadré 1.5; Augier, et al. 2012). De même, la Tunisie continue à être classée très bas sur l'indice de restriction des IDE de l'OCDE, classée 42ème sur 51 pays pour lesquels l'indice existe, en-dessous de la moyenne non-OCDE et également bien en-dessous de l'Egypte et du Maroc (figure 1.17 et figure 1.18).27 Les gouvernements de la Tunisie dans le passé ont suivi une stratégie de croissance orientée vers les exportations (à travers le secteur offshore), cependant contrairement à la perception publique en Tunisie la performance des exportations a été faible.28 La croissance des exportations tunisiennes (en volume) au cours des 20 dernières années a été la deuxième plus faible de la région – juste avant la Jordanie – et représente la plus mauvaise performance en comparaison à d'autres pays de référence (figure 1.18). La croissance des exportations tunisiennes a été positive mais plus lente que la croissance des exportations dans plusieurs autres pays et également plus lente que la croissance du PIB tunisien.29 Par conséquent, les Figure 1.16 : Degré « d'ouverture » de la Tunisie et de l'Indice de Restriction Réglementaire des IDE 2012 Moyenne OCDE Moyenne Non-OCDE 100 Chine Indonésie 80 Mexique 60 Tunisie 40 Russie 20 Mongolie Kazakhstan 0 Pérou -20 l ie te e oc e e ue ie e e ga gn si ré u si Turquie qu an yp ar èq aq ni ai tu Co lo rd r M Eg al Tu h ov r Tu Po Po Tc Jo M -40 Maroc Sl e ue u iq iq Egypte bl -60 bl pu pu Ré Ré Afrique du Sud Source : Calculs des auteurs sur la base de l'IDM et des données de l'OCDE sur l'Indice de Restriction Réglementaire des IDE. Remarque : Dans le graphique gauche, « l'ouverture » est calculée en tant que reste d'une régression de l'OLS de la part des exportations et des importations du PIB (log), la population (log) et un échantillon des pays enclavés. 54 une économie performant en-deçà de sa capacité exportations de la Tunisie par rapport au PIB ont baissé de 38 à 35 pourcent au cours des deux dernières décennies, ce qui cache une augmentation au cours des années 1990 et une chute au cours de la dernière décennie. Ceci contraste avec l'augmentation de la part des exportations dans le PIB au cours de la période dans tous les autres pays de référence, sauf la Jordanie.30 La part des exportations de biens en Tunisie dans le commerce mondial décline depuis quelques années. Entre 2002 et 2010, la part du commerce tunisien a légèrement baissé alors que la plupart des pays de référence et tous les comparateurs régionaux ont augmenté leur part d'exportations dans le monde. De même, la régression de la croissance du PIB et de la croissance des exportations dans un certain nombre de pays montre que la Tunisie est en-dessous de la ligne de régression (figure 1.19), suggérant que ses exportations sont en sous-performance par rapport au reste de son économie, et que les exportations ont joué un rôle moindre en tant que moteur de la croissance en Figure 1.17 : Flux des IDE et Indice de Restriction Réglementaire 2012 1.20 2011 Stocks d’IDE internes (% du PIB) 1.00 0.80 Maroc 0.60 Tunisie Egypte (tous secteurs) 0.40 0.20 Tunisie (sans énergie) 0.0 0.00 0.05 0.10 0.15 0.20 0.25 0.30 0.35 0.40 0.45 2012 Indice RR IDE (fermé=1 ; Ouvert = 0) Source : Données de l'OCDE sur l'Indice de Restriction Réglementaire des IDE. Figure 1.18 : Evolution de la valeur des exportations des biens et services (1990 = 100), 1990-2010 a) Parmi les pays de référence (1990=100) b) Parmi les comparateurs régionaux (1990=100) 900 900 CZh SLK TUN MOR KOR MYS 800 EGY JOR 800 POL PRT TUK TUN 700 index 1990=100 index 1990=100 700 600 600 500 500 400 400 300 300 200 200 100 100 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Source : IDM; calculs des auteurs – Les évolutions sur le graphique ont été lissées avec un filtre HP. la révolution inachevée 55 Tunisie que dans d'autres économies. Comme exposé ci-dessous, une explication plausible de cette observation est que la croissance des exportations était en grande part menée par les importations, avec peu de valeur ajoutée en Tunisie, reflétant le fait que la dichotomie onshore-offshore atténue les liaisons en amont de l'IDE (voir discussion au Chapitre Quatre). Figure 1.19 : Croissance des exportations de la Tunisie dans un contexte global a) Croissance des exportations et croissance du PIB, 2000/2010 b) Evolution des exportations de biens en %age des exportations mondiales, entre 2002 et 2010 20 3,50 Moyenne Annuelle de croissance Moyenne Annuelle de croissance uga 3,00 2010 2002 15 mkd 2,50 réelle des exports réelle du PIB (%) khm egy 2,00 10 tza alb lbn bgd nic lao 1,50 bgr pak bra ken mar per jor 5 esttur 1,00 mex chi colcriecu swe sen tun prt esr mus bel slv nzl 0,50 gim mkd zaf yem dom 0 nor bwa cmr - 0 2 4 6 8 R YS L E K T Y O N R PO PR EG CZ SV KO JO TU M M Moyenne annuelle de croissance réelle du PIB (%) Source : Base de Données Dynamique des Exportateurs ; Source : WITS Comtrade; calculs des auteurs calculs des auteurs Faible sophistication et valeur ajoutée des exportations de la Tunisie La sophistication des exportations en Tunisie est faible par rapport aux pays de référence et a seulement légèrement augmenté au cours de la dernière décennie. Même si l'on tient compte du PIB par habitant, la sophistication des exportations en Tunisie est considérablement en-dessous de ce qui aurait été prévu selon son niveau de revenus, mesurée par un EXPY constaté de 6.26 par rapport à un EXPY prévu de 6.33 (figure 1.20).31 Des mesures supplémentaires de la sophistication des exportations confirment également que l'intensité de la technologie et l'intensité des compétences des exportations de la Tunisie n'ont que légèrement augmenté au cours de la dernière décennie.32 La légère amélioration reflète le fait que la Tunisie a développé ses exportations de biens dans les secteurs de haute technologie – notamment la récente augmentation des exportations d'appareils électroniques et la baisse des exportations du secteur du textile expliquent largement l'augmentation du EXPY en Tunisie.33 En fait, comme exposé ci-dessous, ces exportations sont en grande partie simplement assemblées en Tunisie, avec peu de valeur ajoutée et d'amélioration de la capacité de production. Les mesures de sophistication des exportations sont probablement trompeuses, car elles portent sur les exportations finales et ignorent le fait que la valeur ajoutée des exportations de l'industrie manufacturière en Tunisie est restée extrêmement faible. Les mesures ci-dessus de sophistication des exportations en disent peu à propos de la valeur ajoutée nationale d'un bien à l'exportation. La valeur ajoutée nationale ne dépend pas tellement du bien lui-même mais des processus et des volumes de production pour un bien dans un pays donné.34 En d'autres termes, l'examen des exportations de biens informe peu sur la valeur ajoutée nationale nette créée dans le pays. Sur la base de tableaux input- output pour chaque pays du G7, la valeur ajoutée des exportations a été estimée à environ 70-80 pourcent et baisse avec le temps (Hummels, Ishii, et Yi 2001; NRC 2006). Au contraire, les estimations de la valeur ajoutée des exportations de pays fortement engagés dans le commerce international (par exemple la Chine) sont de l'ordre de 50 pourcent (Koopman, Wang ad Wei 2008). Selon la même méthodologie, nous évaluons que la valeur ajoutée au ratio exportations des exportations tunisiennes 56 une économie performant en-deçà de sa capacité était de 33 pourcent uniquement en 2009.35 Ceci peut être comparé à un ratio de 43 pourcent pour la République Tchèque et de 38 pourcent pour la Hongrie (Johnson et Noguera, 2012). Figure 1.20 : EXPY Prévu Vs Réel en 2009 en Tunisie et Figure 1.21 : Valeur ajoutée en Tunisie, par secteur pays de référence d'exportation LEXPY estimé VA Exportations (en % de la VA totale des exportations) Egypte LEXPY observé 45% Exportations (en % du total des exportations) Maroc 40% 35% Tunisie 30% Malaisie 25% Chine 20% Turquie 15% Jordanie 10% République Slo- 5% vaque 0% x e ire c ile es rie ue Corée qu au ba rs xt iq ta ne tri ér Ta ve Te m en ffi ec in hi Portugal di du Ra im m él rie c s et al rie rie ts st rie ro ui du ue République Tchèque st st st Ag od iq du du In du an pr In In In éc Pologne es sm tr Au rie 6 6,2 6,4 6,6 st du In Source : WITS Comtrade; calculs des auteurs Source : Exporter Dynamics Database; Authors' calculations Plus de la moitié des exportations de la Tunisie sont des produits finis, dont beaucoup sont simplement assemblés en Tunisie. Il y a eu une légère augmentation des exportations de biens intermédiaires dans une certaine mesure reflétant l'augmentation des composants mécaniques et électriques. Bien que les secteurs du transport, des services immobiliers et des télécommunications créent une partie importante de la valeur ajoutée, leurs exportations nettes sont faibles (figure 1.21). Alors que les produits chimiques, les textiles, l'habillement et le cuir, et l'industrie mécanique et électrique contribuent le plus à la valeur ajoutée des exportations – comme indiqué ci-dessus, cependant, les contributions de ces secteurs à la valeur ajoutée globale est très faible (figure 1.22). Figure 1.22 : Exportations nettes par secteur en Tunisie 2007 5,2E+10 4,2E+10 3,2E+10 2,2E+10 1,2E+10 2E+09 -8E+09 -1,8E+10 tim ue ac ue m e (e res et uca ban s s ua ure e st nts re z e ile m e st rts s ge et re é ls s re ra ir éc al e tro s ns e s) s) l) ns atio Se ntr ms e pe elle re ga m alim ine e u ur ri ur cu ant i Cu ne Co ce ( gro o a ltu i ai ci , éd eur ris iq u xt q ka ne ca fra po o r t u a an t r dét aq ult rr pa Div uct iq ni ts ent Hô me - g m au on M et éc Te rt aur Co er voit s es ltur Pé cu ep oc ou hi n ric ( r i au Tél rs e s m hi f a cé t ce er ol Ag c es t e t tr e et tiv n ue s c Bâ niq t m e et tr d e ac tio r et M t él c Se tés o e n n t x ion Vê Agr et ct ui er Tr s e ti tio en ic po e m i m ec rod ct he rv ra l m es t e s m tru é t te en c P Co iq ic Pê a ns n tr rv ré co se M al et él de et tr e so rie is nt iau s in er Ve st ér m ili du io at As Ad ob at M In m ci Source : WITS Comtrade so Im la révolution inachevée 57 Encadré 1.5 : L'intégration commerciale mitigée apporte des résultats mitigés: Contraste de l'expérience de réformes en Tunisie par rapport aux pays d'Europe Centrale Les pays d'Europe de l'Est ont réduit les droits de douane et les barrières non-tarifaires très tôt dans leur processus de transition au cours des années 1990, et ont connu une réforme de libéralisation massive de leurs économies. Les réformes commerciales n'étaient qu'une partie d'un ensemble global de réformes mises en œuvre par ces pays. Ils ont mis en œuvre de larges réformes institutionnelles et structurelles qui comprennent la réglementation locale, certaines privatisations, et d'autres ajustements macroéconomiques. De plus, plusieurs de ces économies ont pu intégrer l'UE. Ces pays bénéficient aujourd'hui d'un environnement commercial libéral qui soutient leurs industries et a généré des augmentations rapides des exportations et des revenus par habitant. En revanche, en dépit des réformes de commerce introduites depuis le milieu des années 1990 la structure des droits de douane en Tunisie et le degré d'ouverture demeurent très restrictifs. Les réformes de tarifs douaniers ont progressivement réduit le tarif moyen de la « nation la plus favorisée » NPF (calculé comme étant la moyenne simple du niveau des obligations NPF à 6 chiffres HS) de 30 pourcent en 2002 à 16 pourcent en 2011, en fait le tarif moyen en Tunisie reste l'un des plus élevés parmi les pays comparables. La Tunisie possède également les plus grandes interférences (calculés comme étant la différence entre les taux NPF consolidés et les taux appliqués) dans la région MENA et parmi les pays membres de l’OMC, ainsi qu’une quotepart élevée de tarifs NPF appliqués de plus de 15 pourcent (au niveau de HS à 6 chiffres). En effet alors que les tarifs ont été progressivement réduits, en parallèle les barrières non- tarifaires sont devenues plus importantes. La Tunisie a une fréquence relativement basse de MNT (c.-à-d. mesures non-tarifaires) et de ratios de couverture mais elle possède des formalités de MNT très complexes (Augier, et al. 2012) i. Elle possède encore un niveau élevé d'inspection avant expédition et de mesures para-tarifaires. ii En fait, sa composition de MNT est plus proche de celle de l'Ouganda que d'autres pays émergents (qui ont tendance à avoir une plus grande partie des mesures techniques qui remplacent d'autres types de mesures non tarifaires). Les importateurs en Tunisie prennent neuf jours en moyenne pour le dédouanement au port, et la quotepart des exportations soumises à l'inspection atteint 10 pourcent, ce qui place la Tunisie parmi les pays Figure B1.5.1 Niveau de tarif moyen de MNT et Figure B1.5.2 Classement dans l’Index de quotepart des lignes tarifaires de plus de 15 % en Connectivité Maritime (sur 159 pays) 2011 20 45 18 Tarif moyen taux NPF appliqué (axe gauche) Egypte Droits de douanes >15% (axe droit) 40 16 35 Maroc 14 30 12 Turquie 25 10 Liban 20 8 15 Jordanie 6 4 10 Iran 2 5 0 0 Algérie Tunisie rie e Tu e c Jo ge Tu ie Af Me ie du e In Sud M ie e ili Ca aro si t ue qu si Ch an u s yp d ge ni né ai rq bo riq xi rd M Eg al Al do m 0 20 40 60 80 100 120 Source : OMC, Profils des Tarifs Mondiaux 2012. Sources : UNCTAD LSCI 2012. Remarque : Le taux tarifaire moyen NPF appliqué est calculé Remarque : L’Indice de Connectivité Maritime (LSCI) de la CNUCED comme la moyenne simple des droits ad valorem pour tous les évalue dans quelle mesure un pays est desservi par le transport de produits à 6 chiffres HS. La part de HS à 6 chiffres sous-titres conteneurs (les pays à forte activité ou d'hébergement de hubs soumise à des droits ad valorem de plus de 15 %. Toutes les maritimes ont un meilleur classement). données sont pour 2011, à l'exception de la Jordanie qui présente des données de 2010. 58 une économie performant en-deçà de sa capacité les moins performants de la région (voir Chapitre Quatre, Hoekman et Zarrouk 2009). En outre, la Tunisie continue d'appliquer plusieurs restrictions implicites, telles qu’un quota d'importation sur les voitures qui devait être supprimé après l’accord de libre-échange de 2008 avec l’Union Européenne, ou une enquête à l'importation de produits soumis à la surveillance, qui est de facto une autorisation pour l’importation. Ces restrictions font partie des réglementations complexes du pays, qui créent des distorsions de marché, augmentent les coûts pour les consommateurs et les entreprises tunisiennes, et créent le potentiel pour des rentes et des abus non-transparents de la réglementation (voir Chapitres Deux et Trois). En outre, les coûts réels du commerce en Tunisie sont estimés comme étant très élevés puisque Tunisie a l’un des niveaux les plus bas de connectivité maritime de la région. Au contraire, le Maroc et l'Egypte, qui ont fait d'importants investissements dans les activités de transbordement et sont parmi les pays ayant la meilleure connectivité maritime dans le monde. Le résultat de la différence de vitesse et de profondeur des réformes du commerce dans les pays d'Europe centrale par rapport à la Tunisie se reflète dans les grandes différences de performance dans les exportations et les niveaux de revenu. Les huit pays qui ont accédé à l'UE en 2004 (UE 8) ont augmenté l’exportation de marchandises de 26 pourcent du PIB en 1995 à 57 pourcent en 2011. En contraste, alors que la Tunisie avait un niveau plus élevé d’exportation de marchandises en 1995 avec 30 pourcent du PIB, elle a connu un progrès beaucoup plus limité avec des exportations représentant juste 39 pourcent du PIB en 2011. Le processus de libéralisation du commerce et d'intégration économique amena une croissance rapide dans les économies d'Europe centrale résultant en un accroissement du PIB par habitant. Par exemple, la Pologne était parmi les pays les plus pauvres (en termes de revenu par habitant) dans la région en 1995. Elle mit en œuvre les réformes les plus radicales et rapides et est aujourd’hui devenue l'un des pays les plus riches de la région. Ces exemples existent également dans d'autres parties du monde. Le Mexique a mis en œuvre de vastes réformes structurelles et réglementaires et éliminé de nombreux obstacles à l'investissement pour accompagner l'ouverture du commerce avec les États-Unis en vertu de l’accord NAFTA. Ces réformes ont permis d’attirer les IDE dans les années 1990 et ont contribué à construire le secteur de l'export du Mexique. Ainsi, alors que le niveau d’exportation par habitant du Mexique était à un niveau similaire à celui de la Tunisie dans les années 1990, il est aujourd’hui plus du double de celui de la Tunisie. Figure B1.5.3 Les MNT Vécues par les Sociétés Figure B1.5.4 Exigence d’inspection des envois Exportatrices comme BNT (basées sur une étude d’export (en %age) et quotepart des exportations d’ITC/UNCTAD), (en % de BNT) assujetties l’inspection Mesures techniques Mesures de contrôle de quantité Exigences d’inspection pour cargo à l’export (axe gauche) Inspection avant envoi Mesures para-tarifaires % d’exports assujetti à l’inspection (axe droit) Mesures financières Autres 120% 25% 100% 90% 100% 20% 80% 70% 80% 15% 60% 60% 50% 10% 40% 40% 30% 5% 20% 20% 10% 0% 0% 0% an rie en ie oc ie te an is yp ar b m Chili Philippines Thaïlande Tunisie Ouganda Sy n Li rd M Yé Eg Tu Jo Source : Données de Mimouni, Averbeck et Skorobogatova, 2009. Source : Données de sociétés d’enquête, Hoekman and Zarrouk 2009. Remarques : (i) La Tunisie a un indice de fréquence plus bas que le Maroc, mais impose plus de cinq types de mesures sur la majorité de produits sous MNTs, en contraste avec le Maroc qui impose uniquement plus de deux types de mesures (Olivier Cadot et Julien Gourdon, “Les Mesures non- tarifaires au Maroc: Note sur les nouvelles données”, Banque Mondiale 2011). (ii) Une enquête à l'échelle de l'entreprise menée par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) dans les pays exportateurs a montré que 63 % des MNT en Tunisie sont des mesures techniques, tandis que 23 % sont l'inspection avant expédition, et 5 % sont des mesures para-tarifaires. la révolution inachevée 59 La valeur ajoutée des secteurs à l'export avec Figure 1.23 : Concentration des exportations de la une forte part de biens à haute technologie Tunisie par pays en 2007 tend à être faible en Tunisie, confirmant que la sophistication des exportations demeure 100% 2% limitée. L'industrie alimentaire suivie du 9% secteur textile possède la plus forte valeur 90% 11% ajoutée nationale, mais ne produit aucun exportations de la Tunisie du total produit de haute technologie et n'emploient des exportations de la Tunisie 80% Destination des principales 70% pas de travailleurs hautement qualifiés (figure 1.22). Au contraire, l'industrie électrique 60% UE et mécanique est le secteur de l'industrie Afrique 50% MENA manufacturière contribuant la plus faible part Autres de valeur ajoutée, en dépit du fait que ce 40% secteur semble produire une part relativement 30% large des produits à haute technologie.36 Cette observation est cohérente avec les preuves 20% anecdotiques que la Tunisie a principalement 10% attiré des tâches d'assemblage dans la chaine de valeur de biens sophistiqués. Le 0% secteur chimique exporte la plus large part Source : WITS Comtrade; calculs des auteurs des produits à haute technologie mais la valeur ajoutée nationale ne représente que 22 pourcent de la production. En somme, Table 1.4 : Parts des exportations et importations de la alors que les exportations de la Tunisie Tunisie par destination en 2007 semblent avoir commencé à se diversifier EU MENA Afrique en des produits plus sophistiqués, en fait, Part des exportations de la Tunisie généralement seul l'assemblage de ces aux importations de la région 0.23% 0.25% 0.09% produits est effectué en Tunisie et il n'y a donc Part des importations de la région dans les exportations de la Tunisie 79% 11% 2% pas de réelle amélioration de la sophistication de la structure de la production. Source : WITS Comtrade ; calculs des auteurs Remarque : L'année 2007 a été choisie car elle est précédente à la crise fi- nancière globale. Les exportations de la Tunisie sont concentrées sur quelques pays, reflétant le fait qu'une large part des exportations tunisiennes est constituée par des biens assemblés pour la France et l'Italie. La diversification géographique des exportations a été très limitée, l'UE absorbant presque 80 pourcent des exportations de la Tunisie, et, au sein de l'UE, la France et l'Italie représentant près de 50 pourcent (figure 1.23 et tableau 1.4).37 Cette structure des exportations est cohérente avec la réalité de l'économie tunisienne. Dans un sens la Tunisie ne « produit » pas ses exportations d'industrie manufacturière – elle les assemble pour/vers la France et l'Italie. Les entreprises dans ces pays ont sous-traité les tâches d'assemblage et autres tâches à faible valeur ajoutée à la Tunisie, prenant avantage du très favorable régime fiscal offshore et de la disponibilité de ressources humaines peu qualifiées et pas chères. Ceci n'est pas un problème en soi; cependant, le défi est que l'économie tunisienne a été incapable d'aller au-delà de l'assemblage et des processus à faible valeur ajoutée. Comme discuté au Chapitre Quatre, ceci est largement le résultat de la dualité entre les secteurs onshore et offshore. La différence des régimes fiscaux, combinée au fardeau bureaucratique lourd, et à la concurrence limitée dans le secteur onshore, décourage les entreprises offshore d'interagir avec (et acheter ou vendre des intrants intermédiaires après de et aux) entreprises onshore, ce qui entraine une segmentation de l'économie et le manque de liens et de débordements entre ces deux parties de l'économie. Ceci signifie que le secteur offshore d'exportation utilise moins d'intrants intermédiaires « made in Tunisia », contribuant à maintenir l'économie tunisienne limitée à des tâches à faible valeur ajoutée et d'assemblage, et offrant essentiellement des emplois de faible qualité.38 60 une économie performant en-deçà de sa capacité 1.2 / Paralysie du secteur privé: Dynamique des entreprises en Tunisie 39 L a dynamique limitée de l'économie au niveau macroéconomique suggère que la performance des entreprises tunisiennes du secteur privé en termes de création d'emplois, de productivité et de croissance des exportations est faible. Dans cette section nous examinons la performance des entreprises privées tunisiennes en termes de création d'emplois, de productivité et de croissance des exportations, qui traceront la voie afin d'identifier les leviers politiques pour promouvoir la création d'emploi et la croissance. Nous portons d'abord notre attention sur ce qui est peut-être la question de politique la plus en vue, à savoir la création d'emplois, en examinant quelles entreprises créent le plus d'emplois. Ensuite, nous examinons les moteurs de croissance de productivité, qui sont peut-être le plus important facteur déterminant de revenus et de création d'emplois à long terme. Enfin, nous analysons la performance de commerce des entreprises tunisiennes, et nous ciblons les secteurs et les entreprises qui ont poussé la croissance des exportations. L'analyse des dynamiques d'entreprises peut éclairer la crise de l'emploi en Tunisie, car la croissance de l'emploi découle forcément de la création et de la croissance des entreprises. L'analyse nous permet d'évaluer si le processus de « destruction créative » fonctionne et pousse la croissance de productivité et la création d'emplois parmi les entreprises privées en Tunisie,40 et peut également nous aider à identifier les problèmes dans l'environnement professionnel dans lequel les entreprises opèrent. Faible entrée de nouvelles entreprises et manque de croissance entrainant une création d'emplois limitée Le secteur privé tunisien est orienté vers des activités à petite échelle. La répartition des entreprises du secteur privé par taille de l'emploi met en lumière que les entreprises unipersonnelles représentent la vaste majorité des entreprises; 86 pourcent de toutes les entreprises tunisiennes sont des entreprises unipersonnelles (signifiant le travail indépendant) et seul 0.4 pourcent de toutes les entreprises emploient plus de 100 travailleurs (figure 1.24). Ces entreprises de grande taille, représentent, cependant, plus du tiers de tous les emplois en Tunisie, plus que toutes les entreprises unipersonnelles mises ensemble. Comparant la répartition des tailles d'entreprises en Tunisie à celle de pays plus développés, nous remarquons qu'elle est orientée vers les petites entreprises – en fait, selon les normes internationales l'emploi en Tunisie se concentre dans des entreprises relativement petites (figure 1.25).41 En d'autres termes, la rareté des grandes et moyennes entreprises semble être une explication clé du faible niveau de création d'emplois. Cette observation est confirmée par l'analyse des dynamiques de création d'emplois des entreprises (encadré 1.6). Figure 1.24 : Répartition de l'emploi et taille des entreprises (1996-2010) Répartition par taille des entreprises et emplois (Toutes les entreprises privées formelles sauf les coopératives) 86% % quotepart de l'emploi % quotepart des sociétés 12% 29% 2% 13% 0% 20% 37% Une personne Micro (2-10 employés) Petites (11-10 employés) Grande (>100 employés) Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE. Remarque : Les entreprises unipersonnelles sont synonymes de travail indépendant. la révolution inachevée 61 Figure 1.25 : Emploi et distribution par taille d'entreprise (sauf le travail indépendant) en République Tchèque, en Estonie, au Maroc et en Tunisie République Tchèque, 2004-2008 Estonie, 2004-2008 39% Quotepart de l’emploi Quotepart de l’emploi 50% Quotepart des sociétés 100% Quotepart des sociétés 40% 41% 80% 46% 40% 64% 60% 30% 19% 13% 19% 40% 20% 28% 4% 1% 8% 10% 20% 0% 0% 2-10 2-10 11-100 11-100 >100 >100 Maroc, 1985-2006 Tunisie, 1996-2010 Quotepart de l’emploi 85% 100% Quotepart de l’emploi Quotepart des sociétés 100% Quotepart des sociétés 80% 48% 73% 80% 37% 60% 60% 53% 40% 15% 14% 24% 40% 19% 29% 3% 1% 20% 20% 0% 0% 2-10 2-10 11-100 11-100 >100 >100 Source : Les chiffres pour la République Tchèque, l'Estonie et le Maroc sont de: Hallward-Driemeier et Aterido (2014). Remarque : Les données pour la Tunisie sont les mêmes que celles présentées à la figure 1.23, mais nous excluons le travail indépendant afin de permettre la compa- raison avec les autres pays (pour lesquels les données sur le travail indépendant ne sont pas disponibles). Figure 1.26 : Schémas globaux de création d'emplois Création d'emplois nette (CEN) en Tunisie 1997-2010 Nombre d'emplois créés NEC EC Entrée EC Sortie NEC sans entrée NEC sociétés existantes Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE. 62 une économie performant en-deçà de sa capacité Encadré 1.6 Quelles entreprises créent le plus d'emplois en Tunisie ? Les petites entreprises contribuent le moins à la création d'emplois en Tunisie (en prenant en compte l'âge de l'entreprise). Plusieurs programmes de promotion des PME partent de la notion que les petites entreprises créent plus d'emplois que les grandes entreprises. Les résultats des régressions non-paramétriques, selon lesquelles nous régressons la croissance des entreprises, mesurée comme étant le changement de l'emploi entre la période t et t+1, sur la taille de l'entreprise et l'âge, sont présentées dans les figures ci-dessous. Comme montré ci-dessous lorsque nous prenons en compte l'âge des entreprises (les lignes vertes et mauves), la relation entre la taille et la croissance des entreprises montre que les petites entreprises sont celles qui créent le moins d'emploi. En d'autres termes, les petites entreprises croissent parce qu'elles sont jeunes, et non parce qu'elles sont petites per se. En fait, les jeunes entreprises enregistrent les plus forts taux record de création d'emplois nette. De plus, les résultats indiquent que, toutes choses étant égales par ailleurs, les grandes entreprises créent plus d'emplois que les petites entreprises. La promotion de plus d'entrées génère non seulement plus d'opportunités de travail à court terme, mais générerait également probablement plus d'emplois à moyen terme, car les jeunes entreprises croissent plus rapidement que les anciennes entreprises. La promotion de l'entrée des grandes entreprises apporterait un double-dividende car les grandes entreprises créent plus d'emplois dès le départ, et elles ont également une meilleure performance de dynamique et plus de création d'emplois dans le temps. Figure B1.6.1 : Création d'emplois nette par taille et âge d'entreprise Création d'emplois nette par taille de l'entreprise Toutes les entreprises 1997-2010 Taille (moyenne) Taille (de base) Taille (moyenne) + Age Source : Rijkers, et al. (2013). Remarques : La variable dépendante est le taux de croissance Davis-Haltiwanger-Schuh, qui permet un traitement intégré des contributions des entreprises nouvelles, des entreprises en activité et des entreprises sortantes. Les régressions sont pondérées et tiennent compte du secteur et des effets de l'année; les coefficients produits sont donc interprétables en tant que flux moyen conditionné d'emplois nets. Afin de minimiser l'impact des erreurs de mesure, nous basons nos modélisations de taille sur les catégories moyennes de taille. Puisque nous avons plus de 7 millions d'observations, toutes les variables de catégorie de taille sont significatives à un seuil de de 0.01. Figure B1.6.2 : Création d'emplois nette par âge de l'entreprise Création d'emplois nette par âge de l'entreprise Toutes les entreprises 1997-2010 Âge (taille moyenne emploi poids) Âge (taille de base emploi poids) Âge + Taille (moyenne) Âge + Taille (de base) Source : Rijkers, et al. (2013). Remarques : La variable dépendante est le taux de croissance Davis-Haltiwanger-Schuh, qui permet un traitement intégré des contributions des entreprises nouvelles, des entreprises en activité et des entreprises sortantes. Les régressions sont pondérées et tiennent compte du secteur et des effets de l'année; les coefficients produits sont donc interprétables en tant que flux moyen conditionné d'emplois nets. Afin de minimiser l'impact des erreurs de mesure, nous basons nos modélisations de taille sur les catégories moyennes de taille. Puisque nous avons plus de 7 millions d'observations, toutes les variables de catégorie de taille sont significatives à un seuil de de 0.01. la révolution inachevée 63 Figure 1.27 : Création nette d'emplois en Tunisie par Taille et Age de l'Entreprise, 1996-2010 Vert=positive Rouge=négative Net  Employment  Crea-on  by  Age    and  Size  1996-­‐2010   500000   (Using  the  Base  Size  Classifica-on)     (Green=Growth,  Red=Reduc-on)   Total  Net  Job  Crea-on   400000   Création totale nette d'emploi 300000   200000   100000   0     30 1   >=]   2   30 [2 20]   -­‐100000   [1 5]   [3,4]   1-­‐ [1 10   6-­‐ [5,9]   1 9   1-­‐ [10.19]   8   [20,49]   7   6   [50,99]   5    [100,199]   4    [200,999]   3   Taille Âge (années d'exploitation) >=1000   2   1   Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE. Size   Figure 1.28 : Création Nette d'Emplois au Maroc par Taille (sauf travail indépendant) et Age de l'Entreprise, 1985-2006 (Vert=positive, Rouge=négative) 70 000 60 000 50 000 Création totale nette d'emploi 40 000 30 000 20 000 10 000 0 30 > ] = 30 [2 ] 10 20 1- -10 000 [1 ] 9 15 2 6- 8 1- [3,4] 7 [1 -20 000 [5,9] 6 [10,49] 5 [50,99] 4 3 [100,199] 2 [200,999] 1 >=1000 Taille Âge (années d'exploitation) Source : Hayward-Driemeier and Aterido (2014). Remarque : Sauf travail indépendant. 64 une économie performant en-deçà de sa capacité La création d'emplois globale a été très décevante et mue essentiellement par l'entrée d'entreprises monopersonnelles (c.-à-d. travail indépendant). Une analyse de la création d'emplois nette au cours de la période 1997-2010 répartie par contributions des entreprises nouvellement créées, entreprises existantes et entreprises dans la continuité montre que la plupart des nouveaux emplois nets (à l'exception de 2001) ont été créés par des entreprises nouvellement créées (figure 1.26). En fait, sans ces entrants, la création d'emplois nouveaux nette au cours de la période aurait été négative. Cependant, le plus gros de la création d'emplois nette est poussée par l'entrée d'entreprises monopersonnelles, qui représente 74 pourcent de toutes les nouvelles créations d'emplois nettes. Les schémas de création d'emplois en moyenne annuelle par taille et âge d'entreprises au cours de la période 1997-2010 montrent que la contribution des startups en travail indépendant domine clairement la contribution de tous les autres groupes d'entreprise, et est en fait plus importante que la somme de tous les autres groupes combinés (figure 1.27). De plus, après l'entrée en activité, les entreprises monopersonnelles montrent, en moyenne, beaucoup moins de croissance, telle que la contribution nette de création d'emplois des entreprises unipersonnelles est bien plus modeste. Néanmoins, la moitié de tous les nouveaux emplois nets créés entre 1997 et 2010 étaient du travail indépendant. Il est également intéressant de noter que sur les groupes de taille, la création d'emplois nette est habituellement concentrée parmi les entreprises les plus jeunes; après environ quatre années, les entreprises commencent en moyenne à réduire des emplois. En fait, lorsque nous prenons en compte l'âge des entreprises, nous constatons que les entreprises jeunes créent le plus d'emplois. D'autres pays dans la région montrent des schémas similaires de création d'emplois. Cependant, lorsque nous observons des économies plus dynamiques et à croissance rapide, bien plus de la croissance nette des emplois a lieu à l'extrémité la plus large du spectre de la répartition de la taille des entreprises (figure 1.28, l’annexe 1.5 montre aussi une dynamique de création d'emplois nette au Chili, en République Tchèque, en Estonie et en Allemagne). Il apparait donc que le manque d'entrée (et de croissance) de nouvelles moyennes et grandes entreprises est à la base de la faible création d'emplois de la Tunisie (encadré 1.6). La création d'emplois est non seulement entravée par un nombre limité d'entrées d'entreprises, Figure 1.29 : Taux d'entrée des entreprises, divers pays, 2004-2009 mais également par un manque de mobilité (ascendante); très peu d'entreprises connaissent une croissance à la fois à court et à long terme. Les 6 taux de création d'emplois nette globale montre que la création d'emplois après l'entrée est faible 5 Densité d'entrée des sociétés à en moyenne (figure 1.27). En principe ceci n'est responsabilité limitée (2004-2009) pas incompatible avec un fort dynamisme; la 4 faible création d'emplois moyenne peut cacher une combinaison à la fois de l'expansion rapide d'un groupe d'entreprises à succès, et des taux 3 de sortie élevés des entreprises ayant moins de succès. À défaut, la faible création d'emplois 2 pourrait refléter la stagnation de façon générale. Afin de révéler quel mécanisme est responsable 1 du nombre de création d'emplois nette décevants nous examinons les transitions des entreprises 0 entre les groupes de taille (tableau 1.5). Le e ce tie e ili ne il d e e oc ie e te panneau supérieur du tableau 1.5 présente éz èg qu si ui si Su Ch an yp ar an ai oa ni né rq Br rv hè ic rd M du Eg Tu Fr Cr Tu do No in Tc Jo des preuves des transitions annuelles de taille, ue m In ue Do riq iq alors que le panneau inférieur présenté les Af ue bl pu iq bl Ré transitions entre 1996 et 2010, la plus longue pu Ré période disponible sur notre base données. Les matrices montrent respectivement la proportion Source : Klapper et Love 2010. d'entreprises d’un groupe de taille particulier Remarque : La densité d'entrée mesure le nombre de sociétés anonymes nouvellement établies par 1 000 personnes en âge de travailler (âgées de 15 à 64). passant à un autre groupe de taille en une année et, quatorze années plus tard. Le tableau reflète la révolution inachevée 65 que la plupart des entreprises ne connaissent pas de croissance, même à long terme. Quelques rares entreprises changent de groupe de taille, mais même au cours d'une période de quatorze années; les entreprises unipersonnelles (les travailleurs indépendants enregistrés) sont les moins à même de se développer en un groupe de plus grande taille, et très peu de micros et petites entreprises deviennent plus grandes. Par exemple, 2 pourcent uniquement de toutes les entreprises employant entre 10 et 50 personnes en 1996 employaient plus de 100 travailleurs en 2010. Les taux d'entrée autres que pour le travail indépendant sont très faibles – en d'autres termes la création de nouvelles entreprises en Tunisie est très faible en comparaison aux taux observés dans d'autres pays. La densité d'entrée des sociétés anonymes, suggère que la Tunisie bénéficie d'un taux d'entrée inférieur à celui des pays avancés et plusieurs autres pays en voie de développement (figure 1.29).42 Il s'agit là clairement d'un symptôme de l'environnement professionnel difficile du pays qui empêche l'entrée (ou la sortie) d'entreprises et donc crée une distorsion du processus de « destruction créatrice » qui mènerait à une croissance de la productivité, une création d'investissement et d'emplois plus rapides. Il est à noter cependant, que ces taux d'entrée (des sociétés anonymes), peuvent ne pas être de bons indicateurs du taux global d'entrée dans l'économie.43 Tableau 1.5 : Transitions d'emploi TRANSITIONS D'EMPLOI Court terme : Transitions annuelles 1996-2010 Taille de l'année t+1 Taille dans l'année t Sortie 1 [2-5] [5,9] [10.49] [49,99] [100,999] >=1000 1 6.51 91.98 1.34 0.10 0.06 0.01 0.01 0.00 [2-5] 8.16 7.82 79.61 3.93 0.44 0.02 0.01 0.00 [5,9] 6.91 1.30 14.18 68.75 8.71 0.10 0.04 0.00 [10.49] 3.79 0.90 1.80 8.76 80.51 3.73 0.49 0.00 [49,99] 2.72 0.61 0.43 0.50 16.04 67.84 11.84 0.01 [100,999] 1.83 0.37 0.21 0.26 1.91 8.31 86.56 0.56 >=1000 1.59 0.00 0.14 0.14 0.14 0.14 11.56 86.27 Long terme : 1996-2010 Taille en 2010 Taille en 1996 Exit 1 [2-5] [5,9] [10.49] [49,99] [100,999] >=1000 1 59.25 37.81 2.45 0.31 0.15 0.01 0.02 0.00 [2-5] 53.36 15.59 25.44 4.29 1.21 0.05 0.07 0.00 [5,9] 53.69 2.59 14.64 18.07 10.21 0.53 0.27 0.01 [10.49] 46.54 2.18 5.71 9.69 28.93 4.92 2.02 0.02 [49,99] 43.42 1.77 2.65 1.87 18.96 19.16 12.18 0.00 [100,999] 38.11 1.17 1.93 1.17 7.37 10.30 38.44 1.51 >=1000 18.75 0.00 0.00 0.00 3.13 0.00 37.50 40.63 Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE. 66 une économie performant en-deçà de sa capacité Les matrices de transition montrent également que les taux globaux de sorties semblent assez faibles, peut-être en partie en raison de la concurrence limitée (voir Chapitre Deux) et des procédures de faillite complexes (voir Chapitre Six). Alors que les faibles taux de sortie aident à préserver les opportunités d'emploi, ils sont également indicatifs d'une pression compétitive limitée et un manque de dynamisme. En d'autres termes, les entreprises non productives peuvent se maintenir en activité sur le marché sans ressentir de pression en vue d'améliorer leur performance. Cependant, le maintien indéfini en exploitation des entreprises à faible performance ne doit pas être interprété comme un élément positif – bien que les emplois dans les entreprises en place ne sont pas perdus, des entreprises nouvelles avec une meilleure performance sont incapables d'entrer et de croitre et donc de créer plus d'emplois de meilleure qualité. En somme, le manque de création d'emplois nette qui sous-tend les chiffres globaux décevants du chômage en Tunisie ne semble pas dû à la destruction excessive d'emplois, mais reflète plutôt l'entrée limitée, surtout des grandes entreprises, et un manque de mobilité ascendante (croissance limitée des entreprises). Ces schémas de mobilité, d'entrée et sortie des entreprises sont en porte-à-faux avec l'existence d'une dynamique à quitte ou double souvent observée dans les pays développés où les entrants tendent soit à survivre et croitre ou à sortir. Globalement ces conclusions sont indicatives de l'existence de sévères restrictions à l'accès au marché et des barrières à la concurrence, entravant la croissance de nouvelles entreprises et des entreprises existantes productives (voir Chapitre Deux).44 La suppression des barrières au marché et la promotion de plus d'entrées généreraient non seulement plus d'opportunités d'emplois à court terme, mais aiderait probablement également à générer plus d'emplois à moyen terme, car les entreprises jeunes croissent plus rapidement que les entreprises plus anciennes. Faible relation entre la productivité, la rentabilité des entreprises et la création d'emploi La croissance des entreprises est très faiblement liée à la rentabilité et à la` productivité – pointant du doigt des barrières sévères à la concurrence et la faiblesse du processus de réallocation. Etant donné la mobilité ascendante limitée, il est important d'examiner quelles entreprises peuvent développer l'emploi et quelles pourraient être les entraves à la croissance des entreprises. Les résultats des régressions indiquent que les entreprises productives et plus rentables développent l'emploi plus rapidement, mais la relation entre la productivité, rentabilité et la création d'emploi est faible. Même si nos modèles pour la productivité et la rentabilité peuvent souffrir d'importantes erreurs de mesure, prise à valeur nominale notre évaluation suggère que le doublement de la production par travailleur est associé uniquement à 1 pourcent à 5 pourcent de plus de croissance d'emplois. De même, monter d'un décile dans la répartition de rentabilité (par secteur et par an) est associé à une accélération de la croissance de l'emploi d'environ 1-2 pourcent uniquement.45 Les entreprises offshore connaissent une croissance plus rapide – car elles sont de plus grande taille, plus jeunes, détenues par des étrangers, et elles exportent et importent. Sur un certain nombre d'années, notamment entre 2006-2009, nous avons observés si les entreprises sont oui ou non détenues par des étrangers et si elles sont ou non dans le secteur offshore. En dépit de la chute du commerce de 2008-2009 due à la crise mondiale, les entreprises offshore dépassent toujours en performance les entreprises onshore en termes de création d'emplois nette (tableau 1.6). La performance supérieure de création d'emplois des entreprises offshore n'est pas due au fait qu’elles sont du secteur offshore mais est plutôt due au fait que les entreprises offshore étant plus grandes, plus jeunes, et plus à même d'être détenues par des étrangers et d'être exportatrices (tableau 1.6). Les entreprises qui font à la fois de l'importation et de l'exportation, ont la croissance la plus rapide. Lorsque nous mettons en interactions des modèles d'importation et d'exportation, nous observons que les entreprises qui font à la fois de l'importation et de l'exportation ont la croissance la plus rapide. Cette constatation souligne l'importance de liaison des chaînes de valeur globales et rejoint une documentation considérable sur les entreprises exportatrices qui établit que ces entreprises ont tendance à être plus productives et ont plus de chances de se développer. Ceci dit les entreprises importatrices semblent avoir une très bonne performance. Ceci peut être dû au fait de bénéficier la révolution inachevée 67 des licences exclusives d'importation et de distribution-vente de produits sur le marché local, qui permettaient l'extraction de rentes par les proches de l'ancien Président Ben Ali (voir Chapitre Trois). Autrement dit la meilleure création d'emplois par les entreprises uniquement importatrices peut être le symptôme d'un accès privilégié aux licences d'importation. Il est inquiétant de constater que le traitement de faveur systématique a survécu à la révolution de 2011 et les activités d'importation demeurent extrêmement vulnérables à la corruption. En somme, nos résultats concernant la dynamique des entreprises cadrent avec les conclusions de la stagnation structurelle au niveau macro: les entrées et sorties d'entreprises sont très réduites, et la mobilité est extrêmement limitée et peu liée à la productivité. Le fait que la croissance d'entreprise est très peu liée à la rentabilité et à la productivité révèle l'existence de barrières à la concurrence et des faiblesses sévères dans le processus de réallocation. Nous constatons également que les entreprises offshore ont les meilleures performances, essentiellement parce qu'elles sont plus grandes de taille, plus jeunes, détenues par des étrangers, et sont actives.46 Ceci dit, les entreprises uniquement importatrices semblent avoir une très bonne performance, reflétant peut-être les rentes liées aux licences d'importation et de distribution-vente de produits sur le marché local (qui étaient principalement un privilège octroyé aux proches de l'ancien-Président Ben Ali). Tableau 1.6 : Création d'emplois nette et orientation Internationale Création d'emplois nette et orientation Internationale Régressions d'OLS Variable dépendante : mesure de croissance DHS Taille Moyenne 1 2 3 4 5 6 Offshore 0.074 0.021 -0.054 -0.050 -0.095 -0.055 Etrangère 0.115 0.046 0.052 0.046 0.046 Exportatrice 0.046 0.006 -0.042 Importatrice 0.091 0.080 Exportatrice*Importatrice 0.053 Modèles de tailles d'entreprise Non Non Oui Oui Oui Oui Modèles d'âge d'entreprise Non Non Oui Oui Oui Oui Modèles année Oui Oui Oui Oui Oui Oui Modèles activité Oui Oui Oui Oui Oui Oui Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE Notes : La variable dépendante est le taux de croissance Davis-Haltiwanger-Schuh (DHS), qui permet un traitement intégré des contributions des entreprises nouvelles, des entreprises en activité et des entreprises sortantes. Les régressions sont pondérées et tiennent compte du secteur et des effets de l'année ; les coefficients produits sont donc interprétables en tant que flux moyen conditionné d'emplois nets. Noter que puisque nous avons plus de 400.000 observations, les évaluations de coefficients sont habituellement statistiquement significatives aux conventionnels niveaux de signification et nous ne signalons donc pas les écarts types. Un taux de croissance de productivité lent et les inefficacités de la répartition des ressources : Les preuves pour le secteur de l'industrie manufacturière47 La productivité des entreprises de l'industrie manufacturière tunisienne augmente avec la taille de l'entreprise et la propriété étrangère et elle plus élevée dans le secteur offshore. Comme indiqué à la Section Un, la productivité du secteur de l'industrie manufacturière est très faible, ceci est reflété dans les emplois de faible qualité. La productivité totale moyenne des facteurs augmente avec la taille de l'entreprise, les plus grandes entreprises étant les plus productives et les plus petites entreprises étant les moins productives (figure 1.30). En moyenne, les entreprises qui emploient plus de 200 employés sont à peu près deux fois plus productives que les entreprises employant entre 6 et 9 personnes. En 68 une économie performant en-deçà de sa capacité dépit du fait que les plus grandes entreprises sont plus productives, les données suggèrent cependant Figure 1.30 : Productivité par taille d'entreprise de l'industrie également que l'efficacité d'allocation est assez manufacturière tunisienne 1997-2010 basse; la dispersion de la haute productivité au sein 6,0 TFP moyenne dans l'industrie des catégories de taille est indicative de frictions et manufacturière par taille d'entreprise de distorsions. La productivité est également plus 5,9 élevée chez les entreprises offshore et étrangères (voir 5,8 aussi Ghali et Rezgui 2008).48 Les conclusions que les 5,7 entreprises offshore sont à la fois plus grandes et plus productives, même en tenant compte de leur taille, 5,6 attestent de l'existence d'une dualité, la segmentation 5,5 de l'économie entre les secteurs onshore et offshore. 5,4 Le taux de croissance de la productivité est en 5,3 stagnation.49 L'évolution de la productivité est peut- 5,2 être le facteur déterminant de revenu le plus important e ne de de tit à long terme. La croissance de la productivité en an an Pe oy Gr Gr totale des facteurs (PTF) et de la production par M ès Tr travailleur (comme modèle de productivité de la Source : Marouani et Mouelhi (2013). main d'œuvre) dans l'industrie manufacturière Remarque : Petite: 6-9 employés, Moyenne: 10-49 employés, Grande: 50-199 tunisienne (agroalimentaire, produits chimiques, employés, Très Grande: >=200 employés. textiles, chaussures, produits électroniques, produits céramiques) a stagné au cours de la période de 1995- 2010, le plus fort taux de croissance de la PTF du secteur étant de 1.5 pourcent pour les entreprises dans le secteur chimique et le taux de croissance annuel moyen de moins de 1 pourcent pour la plupart des secteurs (figure 1.31). Ceci est comparable à environ 10 pourcent de croissance de la production par heure/travailleur dans l'industrie manufacturière en République Tchèque ou environ 3 pourcent en France au cours de la période 2000-2007 (Bureau des Statistiques du Travail, 2012). La plus forte corrélation entre la productivité de la main d'œuvre et la croissance de la PTF reflète le fait que les entreprises n'en en moyenne pas augmenté le montant du capital par travailleur; en fait si elles l'avaient fait, on verrait des augmentations de la productivité de la main d'œuvre dans le temps.50 Ainsi, l'investissement dans le capital physique est limité. Les investissements dans l'innovation sont également en retard; selon l’Institut Tunisien de la Compétitivité et des Etudes Quantitatives (ITCEQ), les dépenses de R&D représentent 1.2 pourcent du PIB en 2009, alors que les Pays de l'OCDE dépensent en moyenne 2.3 pourcent de leur PIB en R&D (ITCEQ 2010; OCDE 2012). Le manque d'investissement cadre avec le manque de croissance des entreprises mis en évidence ci-dessus. L'inefficacité d'allocation persiste, car il n'y a pas eu de réaffectation des ressources significative vers des entreprises plus productives. La productivité par secteur est essentiellement une moyenne pondérée de la productivité de toutes les entreprises dans un secteur, les pondérations correspondant à la part de marché de chaque entreprise. Si les entreprises les plus productives ont les plus grandes parts de marché, la productivité moyenne pondérée sera supérieure à une simple moyenne non- pondérée. La différence entre la moyenne pondérée de productivité et la productivité moyenne (non- pondérée) est donc un modèle d'efficacité d'allocation; plus la différence est importante, mieux le marché alloue les ressources aux entreprises qui les utilisent de la manière la plus productive (voir Olley et Pakes, 1996). Le suivi de l'évolution de la différence entre la productivité pondérée et non-pondérée nous permet donc d'évaluer le degré de croissance de productivité poussée par l'augmentation de la productivité moyenne des entreprises – l'effet "interne" – et la réaffectation des ressources des entreprises les moins productives aux plus productives – l'effet "entre". L'évolution de ces mesures au cours de la période 1997-2007 pour les divers sous-secteurs de l'industrie manufacturière montre que l'écart entre la productivité pondérée et non-pondérée est faible et n'a pas augmenté de manière substantielle dans le temps (figure 1.32). Cela suggère que la croissance de productivité "interne" des entreprises a été le facteur dominant de la croissance de productivité limitée observée en Tunisie au cours de la dernière décennie; à l'opposé, la réaffectation des ressources des entreprises les la révolution inachevée 69 Figure 1.31 : Rendement de la main d'œuvre et évolution de la PTF (1997-2007) par activité d'industrie manufacturière IAA ICH ID moins productives aux plus productives 10 a été limitée, représentant uniquement 8 à peu près 9 pourcent de la croissance globale. Ceci est encore une preuve du 6 manque de « destruction créative » et de 4 stagnation structurelle, qui est à l’origine 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 de la faiblesse de l’économie et la création d'emplois de mauvaise qualité en Tunisie. IMCCV IME ITHC 10 En somme, ces résultats renforcent 8 la preuve de l'inefficacité persistante 6 d'allocation dans l'économie, qui rejoint 4 l'absence d'une forte corrélation au 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 niveau des entreprises entre la croissance Productivité de la main d'oeuvre PTF par secteur de l'emploi et la productivité présentée Source : Marouani and Mouelhi (2013). ci-dessus et également avec des preuves Remarque : Abréviation des Secteurs: Agroalimentaire (IAA); Industrie chimique (ICH); au niveau macro montrant un manque Industries diverses (ID); Industrie des matériaux de construction, céramique et verre (IMCCV); Industrie mécanique et électrique (IME); Industrie du Textile, de l'Habillement de changement structurel (voir section et des Chaussures (ITHC). précédente). Cela cadre également Figure 1.32 : Décomposition de la croissance de la avec la présence de relativement peu productivité dans le temps de grandes entreprises. D'un point de vue positif, cela suggère qu'il existe une IAA ICH ID 6 opportunité significative de croissance si les distorsions qui entravent l'efficacité 4 d'allocation et la réallocation peuvent 2 être supprimées (pour permettre la 0 réaffectation des ressources à travers 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 les secteurs et la croissance des sociétés productives). IMCCV IME ITHC 6 Performance des exportations des 4 entreprises 2 Les exportateurs tunisiens ont tendance à 0 opérer dans les secteurs ayant une faible 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 1995 2000 2005 2010 taille moyenne d'exportateur et sont en (moyenne) TFP sectorelle (moyenne) interne (moyenne) transversale fait plus grands en moyenne que leurs Source : Marouani and Mouelhi (2013). pairs dans des secteurs similaires dans Remarque : Abréviation des Secteurs : Agroalimentaire (IAA); Industrie chimique (ICH); Industries diverses (ID); Industrie des matériaux de construction, céramique et verre d'autres pays.51 L'analyse économétrique (IMCCV); Industrie mécanique et électrique (IME); Industrie du Textile, de l'Habillement montre que les exportateurs tunisiens et des Chaussures (ITHC). sont en fait en moyenne plus grands par rapport aux exportateurs dans le même secteur dans d'autres pays (les résultats sont présentés dans le Rapport de Synthèse RPD sur le « Secteur privé en Paralysie : Dynamique des Entreprises en Tunisie », Banque Mondiale 2014). Ils sont en moyennes sept fois plus grands sur tous les secteurs et 14 fois si nous utilisons plus de pondération sur les secteurs pour lesquels la Tunisie a de fortes exportations. Ces conclusions (correspondent à l'observation que la taille des entreprises du secteur privé tend à être plus petite en moyenne en Tunisie) et suggèrent qu'en fait les entreprises tunisiennes se répartissent dans les secteurs où les entreprises ont tendance à être petites. De plus en Tunisie les exportations sont moins concentrées dans un nombre relativement limité de « superstars de l'exportation » par rapport à d'autres pays (tableau 1.7).52 Ces conclusions cadrent avec les preuves que les entreprises essayaient de rester en-dessous du radar afin d'éviter la prédation par la famille de l'ancien-Président Ben Ali (voir Chapitre Trois). Les petits exportateurs ont plus de risques de disparaitre et ne connaissent presque jamais une grande croissance; les plus grands exportateurs commencent grands. En filigrane deces dynamiques 70 une économie performant en-deçà de sa capacité Tableau 1.7 : Asymétrie des grands exportateurs Concentration des exportations Part des meilleurs exportateurs au total des exportations top 25% top 5% top 1% Médiane de 44 pays 0.98 0.83 0.56 Tunisie 0.95 0.72 0.48 Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE. Tableau 1.8 : Croissance des exportations au niveau de l'entreprise %age en 2010 %age en 2000 Exited 0≤Q<25 25≤Q<50 50≤Q<75 75≤Q<95 95≤Q<99 top 1% 0≤Q<25 78.9% 7.8% 7.3% 4.2% 1.4% 0.3% 0.0% 25≤Q<50 72.8% 5.6% 9.2% 8.0% 3.4% 0.9% 0.0% 50≤Q<75 61.4% 2.9% 8.2% 15.0% 11.4% 1.1% 0.1% 75≤Q<95 58.0% 1.4% 2.4% 8.7% 23.4% 5.8% 0.5% 95≤Q<99 36.2% 1.4% 0.4% 2.2% 20.4% 14.4% 5.0% top 1% 38.0% 0.0% 0.0% 2.0% 7.0% 16.0% 38.0% Part des nouvelles entreprises pour le quartile 2010 qui n'existaient pas en 2000 82.3% 73.3% 65.3% 50.9% 35.0% 26.0% Source : Calculs des auteurs sur la base du RNE. globales d'exportation, nous observons beaucoup de déclin d’activité. Le tableau 1.8 montre comment les entreprises qui ont exporté en 2000 se portent dix ans après, la classification des entreprises dépendant de la valeur de leurs exportations en 2000. Il montre que seul environ un tiers des exportateurs a survécu et que la probabilité de survie à l'exportation augmente avec le volume initial des exportations; le taux de sortie des entreprises au bas du quartile d'exportation en 2000 est environ deux fois plus élevé que pour les exportateurs dans le top des 5 pourcent de la distribution de la valeur d'exportation. Par ailleurs, il montre que pratiquement tous les grands exportateurs (représentant la plus grande part des exportations) exportaient déjà de grandes quantités depuis longtemps, ou ont commencé à exporter de grands volumes dès le début (environ 26 pourcent des entreprises du top de 1 pourcent en 2010). Qualitativement, ces résultats rejoignent ceux observés pour la création d'emplois, où nous avons également observé que peu de petites entreprises se développent, que les petites entreprises courent plus de risques de cesser leurs activités et que la plupart des grandes entreprises étaient déjà grandes depuis quelques temps. Les exportateurs étrangers, plus grands, plus expérimentés et plus diversifiés sont plus à même de continuer à exporter. En fait les régressions de la survie à l'export (la probabilité qu'un exportateur qui exporte pendant l'année t exportera également pendant l'année t+1) montrent que la probabilité de survie à l'export augmente à la fois avec le volume des exportations initiales et avec l'expérience à l'export.53 Les chances de survie augmentent également avec le nombre de produits exportés ainsi que le nombre de destinations; les entreprises plus diversifiés s'en sortent mieux. Fait intéressant, les entreprises de propriété étrangère sont plus à même de continuer à exporter même si nous tenons compte de leur taille. À l'opposé, être une entreprise offshore n'est pas en soi lié à la survie à l'export. la révolution inachevée 71 Pour les entreprises survivantes, la croissance des exportations est plus élevée parmi les entreprises qui ont juste commencé à exporter, les entreprises qui peuvent facturer des prix unitaires plus élevés et les entreprises étrangères. Les résultats de cette régression de croissance rejoignent donc également ceux observés pour la création d'emplois nette, les exportateurs les plus jeunes étant ceux qui poussent la croissance (même si ce résultat est conditionné par la survie) et les entreprises étrangères dépassant en performance les entreprises nationales, soulignant l'importance d'attirer les IDE. 1.3 / Conclusions L 'économie tunisienne a enregistré quelques succès notables depuis les années 1970, mais s'est retrouvée de plus en plus bloquée dans une performance faible. Depuis les années 1970, la Tunisie a connu un niveau assez bon de croissance économique, l'un des plus rapides de la Région MENA, qui a été accompagné d'une rapide réduction de la pauvreté. De plus, les importants investissements publics dans l'infrastructure et l'éducation ont doté le pays d'un stock significatif de capital et de ressources humaines.54 Néanmoins, comme l'a montré la révolution de janvier 2011, des lacunes considérables entravent la performance économique de la Tunisie. Notamment, l'économie a été incapable d'accélérer la croissance et la création d'emplois, et est en fait restée bloquée dans des activités à faible productivité. Par conséquent un niveau élevé de chômage a persisté et est devenu plus concentré, avec le temps, sur le nombre croissant des diplômés, et la qualité des emplois créés était basse. Ce Chapitre a montré qu'en effet l'économie tunisienne n'est pas en bonne santé. Alors que les résultats de la croissance étaient bons selon les normes régionales, le PIB de la Tunisie par habitant depuis les années 1990 était bien en-dessous des taux de croissance observés dans d'autres pays à revenu intermédiaire. De plus, une large part de la « croissance » est mue par une expansion de la taille du secteur public et une certaine expansion dans le secteur offshore. Les exportations ont baissé par rapport au PIB et la part de la Tunisie dans les exportations mondiales a baissé au cours de la dernière décennie. Au niveau macroéconomique, l'économie tunisienne est caractérisée par la stagnation structurelle et une mauvaise affectation grave des ressources. Bien que l'écart de productivité entre les secteurs à la croissance la plus rapide et les secteurs les moins dynamiques est important, il y a eu peu de réaffectation des ressources des secteurs à faible productivité vers les secteurs à forte productivité – c'est-à-dire que la contribution du « changement structurel » à la croissance a été faible, reflétant la stagnation économique qui affecte le pays. De même, la croissance de productivité "interne des secteurs" et la création d'emplois dans les secteurs dominés par les entreprises privées a été faible. La Tunisie souffre d'une croissance de productivité faible dans les secteurs clés, surtout dans l'industrie manufacturière, ce qui se reflète ensuite dans la création limitée d'emplois et les emplois de faible qualité. Globalement, nos résultats suggèrent que la Tunisie souffre d'une mauvaise allocation de la main d'œuvre et du capital humain. Aujourd'hui, 77 pourcent des travailleurs tunisiens et 75 de son capital humain de la main d'œuvre ajusté dans les secteurs avec des niveaux de productivité en- dessous de la moyenne. Ces symptômes sont indicatifs de barrières à la concurrence et d'importantes distorsions qui entravent la transformation structurelle de la Tunisie et empêchent une meilleure efficacité de l'affectation des ressources – et entrainant une croissance ralentie et une création d'emplois de moindre qualité. Cette stagnation est reflétée par une dynamique d'entreprises ralentie: la Tunisie passe par une paralysie du secteur privé. La croissance de productivité au niveau de l'Entreprise a été très faible. Les entreprises demeurent actives dans des secteurs à faible productivité – la mobilité est extrêmement limitée et faiblement liée à la productivité, reflétant l'inefficacité d'allocation constatée au niveau macro. La stagnation structurelle prévaut. En termes de création d'emplois, la création d'emplois nette la plus importante a lieu dans les jeunes entreprises qui sont âgées de un à deux ans. Cependant, très peu d'entreprises entrent sur le marché, et en particulier très peu de nouvelles grandes entreprises sont créées. La plupart des entreprises stagnent et quelques rares entreprises 72 une économie performant en-deçà de sa capacité connaissent la croissance. Ainsi la création d'emplois nette globale a été décevante. Ceci en dépit des faibles taux de sortie des entreprises, qui sont eux-mêmes une manifestation de la pression concurrentielle limitée. L'analyse a montré que le secteur privé tunisien est orienté de manière sous-optimale vers des entreprises petites et relativement non-productives. Les entreprises tunisiennes sont en moyenne petites relativement à leurs contreparties dans d'autres pays et les très grandes entreprises sont rares, à la fois dans l'absolu et en termes relatifs. Ceci est important car les résultats indiquent également que, toutes choses étant égales par ailleurs, les grandes entreprises en Tunisie ont une meilleure performance et créent plus d'emplois que les petites entreprises. Les plus grandes entreprises ayant une performance supérieure (en termes de productivité, des exportations, et de création d'emplois), leur rareté est un symptôme de la performance du secteur privé tunisien. Les entreprises exportatrices se spécialisent dans des produits pour lesquels les entreprises ont tendance à être plus petites que dans d'autres secteurs, mais au sein de ces secteurs elles sont plus grandes que leurs pairs dans d'autres pays. Ceci suggère que la spécialisation sectorielle n'est pas due aux imperfections des marchés financiers (qui limitent l’accès au crédit dans certains secteurs) et en fait reflète des distorsions plus profondes dans lesquelles le secteur privé fonctionne, qui entravent la performance des entreprises (et de l'économie). Une partie de l'explication de ces conclusions paradoxales pourrait être que les entreprises (onshore) essaient de rester en-dessous du radar afin de minimiser le risque de prédation pendant l'ère de Ben Ali. De manière globale, les preuves indiquent que le processus de « destruction créatrice », qui est un important moteur de croissance de productivité et de performance économique, est limité en Tunisie, entrainant une paralysie du secteur privé. La performance des entreprises est également est gênée par la dualité onshore-offshore. L'analyse apporte également des preuves d'une dualité significative entre les secteurs onshore et offshore, qui se traduit entre autres par les différences de la répartition de la taille des entreprises, la productivité moyenne et la performance des exportations. Le secteur offshore a eu une meilleure performance que le secteur onshore en tant que moteur de création d'emplois et de croissance des exportations, découlant dans une large mesure de sa capacité à attirer les IDE. Cependant, les entreprises offshore dépendent largement des apports importés, car elles œuvrent essentiellement sur les activités d'assemblage à faible valeur ajoutée, avec des liens limités à l'économie nationale. Les résultats soulignent également que les entreprises importatrices sont parmi les entreprises ayant une meilleure performance en termes de rentabilité, reflétant probablement les rentes extraites par conséquent des licences exclusives d'importation. Il était habituel sous le régime Ben Ali que des licences exclusives d'importation (pour l'importation et la distribution des produits spécifiques) soient octroyées à des proches et des membres de la famille. Plus généralement, comme discuté au Chapitre Deux et au Chapitre Trois, il est indéniable que le système économique double, impliquant des restrictions à l'accès au marché et un contrôle réglementaire surtout dans le secteur onshore, a été systématiquement abusé par les proches afin de recevoir des privilèges spéciaux et extraire des rentes, entravant ainsi la concurrence et l'investissement. Le Chapitre a également montré que, bien que la perception en Tunisie est que l'économie est ouverte et intégrée avec l'UE, en fait les indicateurs internationaux suggèrent qu'elle demeure très protégée et fermée au commerce international. La performance des exportations a été faible, surtout en termes de valeur ajoutée. En fait plus de la moitié des exportations de la Tunisie sont des produits finis, dont la plupart sont simplement assemblés en Tunisie. La sophistication des exportations est faible en comparaison aux pays de référence et n'a que légèrement augmenté au cours de la dernière décennie. La valeur ajoutée des secteurs d'exportation ayant une part élevée de biens de haute technologie tend à être réduite en Tunisie, confirmant que la sophistication des exportations demeure limitée. Bien que la Tunisie peut sembler intégrée avec l'UE, en vérité les exportations tunisiennes sont concentrées presqu'uniquement sur la France et l'Italie. Dans un sens la Tunisie ne produit pas ses exportations, mais assemble plutôt des composants de et vers l'UE (et largement pour la France et l'Italie). Cette intégration commerciale superficielle reflète le fait que les entreprises tunisiennes ont été incapables d'aller au-delà de l'assemblage et des processus à faible valeur ajoutée. En étayant les symptômes de stagnation, ce chapitre souligne l'importance de reformer l'environnement législatif afin de promouvoir la concurrence et supprimer les barrières à l'accès au marché. Le rythme la révolution inachevée 73 ralenti du « changement structurel » suggère la présence de barrières au bon fonctionnement des marchés qui empêche la réaffectation des ressources vers les secteurs plus productifs. Au niveau des entreprises, certains faits suggèrent l'existence de distorsions graves qui atténuent le processus de destruction créatrice. Afin de faciliter un environnement économique plus dynamique et libérer la croissance du secteur privé, il faut porter cibler la manière de supprimer les restrictions à l'accès aux marchés et les barrières à la concurrence, qui entravent la croissance de productivité et in fine la création d'emplois, ainsi que la promotion de l'entrée de nouvelles entreprises, surtout les grandes entreprises, et la suppression des contraintes à la croissance des entreprises afin de permettre aux petites entreprises de se développer. Les preuves présentées au présent chapitre mettent également en lumière le fait que certaines actions législatives plus ciblées seraient utiles en Tunisie. L'analyse a souligné que le niveau d'IDE st faible et limité à quelques secteurs de l'économie — la Tunisie pourrait tripler son niveau d'IDE afin d'atteindre les mêmes niveaux que le Maroc si elle réduisait les barrières réglementaires et les barrières à l'entrée des investisseurs étrangers. La promotion à l'entrée des grandes entreprises apporterait un double avantage puisque les grandes entreprises créent plus d'emplois dès le départ, et ont également une performance dynamique et une création d'emplois supérieures dans le temps. La conclusion que, toutes choses étant égales par ailleurs, les grandes entreprises créent plus d'emplois que les petites entreprises est également pertinente aux stratégies de mise à niveau industrielle car elle remet en question l'utilité de cibler les petites entreprises, comme c'est souvent le cas pour des programmes tels que le Programme de Mise à Niveau et le FAMEX. Par ailleurs, le succès du secteur offshore (par rapport au secteur onshore) à générer des emplois et attirer l'investissement étranger suggère que dans le cadre des réformes réglementaires afin de minimiser la dualité entre les secteurs onshore et offshore il est important de minimiser les distorsions et de lever les contraintes qui entravent la croissance des entreprises nationales. Il existe un ensemble de raisons qui créent dans une économie une productivité aussi faible et l'absence de destruction créatrice. Comme discuté dans les prochains chapitres, l'environnement économique en Tunisie est caractérisé par des barrières répandues à l'entrée et à la concurrence, qui génèrent des rentes et des privilèges pour une minorité aux dépends de la majorité des Tunisiens. Comme discuté au Chapitre Deux, les restrictions de l'accès au marché et la prévalence des monopoles réglementaires ont fermé l'économie nationale à la concurrence et ont créé un environnement onshore qui stagne en termes de productivité tel que, comme le montre le présent chapitre, les bonnes entreprises ne peuvent se développer. De plus, comme le montrera le Chapitre Trois, ces rentes ont été capturées par les proches de l’ancien président, créant un système qui est non seulement inefficace, mais également fortement injuste. Les chapitres suivants discuteront également de la manière dont les politiques actuelles d'investissement, l'environnement réglementaire bureaucratique, les politiques du marché du travail, et l'incapacité du secteur financier à orienter les ressources vers des projets productifs, tous ces facteurs contribuent à créer des distorsions et à entraver la performance du secteur privé en Tunisie, et maintiennent donc l'économie en-dessous de son potentiel. 74 une économie performant en-deçà de sa capacité Notes 1 Il est important de souligner que ces investissements la Malaisie était de 1.5 et 1.7 pourcent respectivement (Banque étrangers sont désirables et créent des emplois; le défi pour Mondiale, 2010a). la Tunisie est comment attirer les investissements dans des activités à plus forte valeur ajoutée qui créent plus de richesse 8 Malheureusement aucune comparaison de pays ne peut être et peuvent employer des travailleurs qualifiés. Comme discuté effectuée au niveau de la PTF avec le travail ajusté au capital dans les prochains chapitres, l'ensemble actuel des politiques humain, car les estimations ne sont pas encore disponibles économiques entrave la capacité de la Tunisie à attirer des pour la plupart des pays. activités à plus forte valeur ajoutée. 9 Il est à noter que le rôle du capital humain peut être surestimé 2 Le système d’éducation supérieure en Tunisie offre divers dans notre analyse car, tel que discuté de manière plus chemins: programmes de deux ans offrant une formation détaillée au Chapitre Cinq, beaucoup de diplômés sont sous- professionnelle (Technicien Supérieur, BAC+2), des employés (c'est-à-dire ils ont un travail qui est en-dessous de programmes de licences de trois ans (Licence beaux-arts, leur qualification) et/ou employé inadéquatement (c'est-à- BAC+3), des programmes de quatre ans pour les sciences dire qu'ils travaillent dans une spécialité autre que celle pour humaines (Maîtrise; BAC+4), et des programmes de 5 ans (par laquelle ils sont qualifiés). exemple : les médecins, ingénieurs et architectes ; BAC +5). 10 La productivité de la main d'œuvre dans le secteur minier, le 3 Alors que les séries statistiques suggèrent une réduction du secteur le plus productif en Tunisie était 12.9 fois supérieure à chômage de 16 pourcent en 1989 à environ 13 pourcent en la productivité dans les secteurs avec la plus basse productivité 2010, en fait la réduction du chômage a été moins importante, en 2005. En comparaison, ce ratio est de 12.7 en Turquie et car environ 1,5 pourcent de la réduction du taux de chômage 11.2 au Chili (McMillan et Rodrik, 2011). peut être attribué au changement de la définition du chômage 11 Cette analyse est basée sur la productivité moyenne. Dans introduite en 2008 afin d'aligner la Tunisie avec la définition de un contexte de concurrence parfaite, la productivité marginale l'OIT. Plus récemment, le chômage a atteint 18,9 pourcent en de la main d'œuvre doit s’égaliser. En supposant une fonction 2011 suite à la révolution et a baissé à 15,3 pourcent à compter constante de production, puisque la part de l’emploi n’est pas de Décembre 2013. forcément corrélée de manière négative avec une productivité 4 L'économie tunisienne crée des emplois pour les individus peu moyenne, d’importants écarts de productivité moyenne qualifiés à des taux plus rapides que leur arrivée dans la main peuvent refléter d’importants écarts de la productivité d'œuvre, contribuant à une baisse générale du chômage parmi marginale de la main d'œuvre. Il existe certaines réserves. Par les individus peu qualifiés. exemple, une productivité moyenne élevée de la main d'œuvre dans les secteurs à forte intensité de capital, tels que le secteur 5 Notre méthodologie de calcul de croissance est décrite à minier, peut simplement refléter le fait que la part de l’emploi l'Annexe 1.1 et les données sous-jacentes à l'Annexe 1.2. y est faible. La Productivité Totale des Facteurs (PTF) est une mesure de productivité couramment utilisée. En résumé, la PTF est 12 Une possibilité est de surestimer la productivité dans le secteur calculée comme étant la croissance résiduelle qui ne peut agricole car l'emploi dans le secteur agricole ne peut être bien être attribuée à une utilisation accrue de main d'œuvre ou capturé dans l'Enquête Nationale des Entreprises (ENE) ni de capital. Autrement dit, tout ce qui n'est pas saisi par les le Répertoire National des Entreprises (RNE). Cependant, à variations de main d'œuvre ou de capital est capté par la la fois l'ENE et le RNE comprennent des informations sur les croissance de la PTF. Ceci comprend les erreurs de mesure microentreprises et les entreprises personnelles. et les changements des taux d'utilisation des facteurs de 13 Il est à noter que ce résultat n'est pas causé par les conditions production. Il est à noter que l'estimation du stock de capital climatiques favorables pour une année donnée. La productivité est jalonnée de problèmes. Nous utilisons la Méthode de dans l'agriculture (production par travailleur) a été plus élevée l'Inventaire Permanent pour estimer le stock de capital grâce que dans le secteur du textile au cours de toute la décennie aux données de l'investissement depuis 1960. Les données 2000-2010 avec une plus forte variation depuis le milieu de la disponibles ne nous ont pas permis de différencier les décennie. Ce résultat suggère que les textiles en Tunisie ont investissements privés des investissements publics. Il est à une très faible productivité. Une explication différente pourrait noter qu'il est possible d'établir que la Productivité Totale des être que les entreprises internationales qui opèrent une partie Facteurs est une composante de la productivité de la main de leur production en Tunisie pratiquent le « prix de transfert », d'œuvre (ce qu'on discutera ci-dessous), mais que les deux ne de manière qu'une partie de la valeur créée en Tunisie est en coïncident pas car cette dernière est également influencée par fait comptabilisée à l'étranger. le volume de capital par travailleur. 14 De plus, au cours des deux dernières décennies, la Tunisie est 6 Il est à noter que l'importante contribution de l'accumulation graduellement passée en bas du groupe reflétant la stagnation de capital à la croissance du PIB a été largement entrainée par structurelle de l'économie dans les secteurs à faible productivité les IDE dans le secteur offshore qui, comme indiqué plus haut, (voir le Rapport de base de la RPD sur « Transformation représente pour beaucoup les investissements dans le secteur Structurelle de la Tunisie: Evolution de la Productivité, de de l'énergie et les activités à faible productivité avec quelques l'Emploi et des Exportations », Banque Mondiale, 2014). débordements limités (tels que le secteur textile). 15 La contrainte de salaire a facilité l'importante subvention par 7 Plusieurs pays développés ont connu une croissance de la la politique de l'Etat du prix des produits alimentaires de bases PTF de plus de 50 pourcent entre 1950 et 1970 (Christenson, et des carburants et de maintenir les prix des services publics Caves and Swanson 1980), avec des taux de croissance de la à un niveau abordable (notamment le transport public, l'eau, PTF de plus de 2 pourcent par an. Le taux de croissance de l'électricité et le gaz). De plus, l'accès à l'éducation et aux soins la PTF annuel de la République de Corée du Sud a atteint une était à un prix raisonnable. Même au-delà des services publics, moyenne record de 4 pourcent au cours des années 1980, alors la Tunisie a l'un des plus faibles coûts de vie en Afrique. qu’elle aensuite « ralenti » à 2.6 pourcent au cours des années 1990 et 1.9 pourcent au cours de la période 2001 à 2006. Au 16 Les résultats de l'Enquête de Motivation des Investisseurs cours de la même période, le taux de croissance de la PTF de effectuée en Tunisie par le Groupe Banque Mondiale en 2012 la révolution inachevée 75 indiquent que la disponibilité de main d'œuvre bon marché La famille du Président Ben Ali détenait des parts dans les est l'une des premières motivations des entrepreneurs pour opérateurs Ooredoo (auparavant dénommée Tunisiana) et investir en Tunisie (voir Chapitre Quatre). En fait la compétitivité Orange. Néanmoins, les prix des télécommunications en Tunisie de Tunisie au cours des deux dernières décennies a été centrée demeurent parmi les plus élevés dans le monde (voir Chapitre sur la disponibilité de main d'œuvre bon marché et la fourniture Deux), reflétant le pouvoir monopolistique de ces opérateurs d'incitations généreuses pour attirer l'investissement dans qui ont la capacité d'extraire d'énormes rentes auprès des le "secteur offshore" orienté à l'export à faibles impôts (voir consommateurs – voir également le Rapport de base de la encadré 1.3). RPD sur « l'Ouverture des Marchés aux Nouvelles Opportunités d'Investissement et d'Emploi en Tunisie » (Banque Mondiale, 17 La part moyenne des travailleurs dans les secteurs à faible 2014) productivité de 7 pays d'Amérique Latine (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Mexique et Repùblica Bolivariana 24 Comme indiqué, tous les changements structurels ne sont de Venezuela) était de 66 pourcent en 2005, allant de 53 pas forcément bons. Dans le cas de la Tunisie, le déclin de pourcent au Mexique à 81 pourcent en Repùblica Bolivariana l'emploi dans le secteur du textile à faible productivité a de Venezuela. En Asie, la part des travailleurs dans le secteur considérablement contribué au changement structurel positif à faible productivité était élevée en Inde, représentant 84 en Tunisie. Cependant, afin de pouvoir juger si ce changement pourcent, mais bien inférieure aux pays ayant une forte base a amélioré le bien-être et favorisé la croissance une analyse d'industrie manufacturière tels que la Malaisie (64 pourcent), plus approfondie serait nécessaire, examinant la productivité la Corée (66 pourcent), Taiwan (56 pourcent) et la Thaïlande marginale du secteur et le réemploi des ressources de main (70 pourcent). d'œuvre dans d'autres activités économiques. 18 Pour une discussion des sources de données utilisées 25 Une analyse détaillée du « changement structurel » avec une dans cette analyse voir le Rapport de base de la RPD sur la ventilation sur 90 secteurs est présentée à l'annexe 1.3 et dans « Transformation structurelle de la Tunisie: Evolution de le Rapport de base de la RPD « Transformation Structurelle la Productivité, de l'Emploi et des Exportations » (Banque en Tunisie: Evolution de la Productivité, de l'Emploi et des Mondiale, 2014). Exportations » (Banque Mondiale, 2014). 19 Il est à noter que cette méthodologie ne prouve pas de 26 En vue d'enrichir l'analyse de cette section, nous comparons relations causales mais reflète plutôt des associations entre la la Tunisie à un ensemble de pays de référence dans la région variable d'intérêt, tel que le changement démographique et la et au niveau international. Les pays de référence comprennent croissance. ceux qui sont 100-300 pourcent plus riches que la Tunisie, ont connu une croissance dynamique au cours des vingt dernières 20 Aux fins de cette analyse, l'élément de « taux de l'emploi » années et ont des dotations factorielles similaires. Ces critères saisit l'effet combiné des changements du taux de participation sont en ligne avec les critères clés de sélection pour les pays à la main d'œuvre, c.-à-d. la population active en tant que de référence proposés dans le Cadre d'Identification et de part de la population en âge de travailler et le taux réel de Facilitation de Croissance (voir Chapitre Sept; Lin et Monga l'emploi (c.-à-d., employée en tant que part de la population 2012). Ces critères s'appliquent à la République Tchèque, la active). Nous surestimons probablement l'impact de l'élément Malaisie, la Pologne, la République Slovaque et la Turquie. Les du « taux de l'emploi » puisque, tel que susmentionné, taux de croissance moyens de ces pays étaient de 4.3 pourcent, approximativement 1.5 pourcent de la réduction du taux de similaires au taux de croissance de la Tunisie mais supérieurs chômage est dû à un changement de la définition introduite en à la croissance médiane des autres pays ayant un niveau 2008 en vue d'adopter la définition de l'OIT du chômage. de revenu similaire. Les pays ayant des taux de croissance supérieurs dans cette catégorie de revenus comprennent, par 21 En fait cette contribution comprend à la fois l'impact de exemple, le Chili, le Liban et le Panama, qui ont une structure l'augmentation du stock de capital et du capital humain. économique très différente de celle de la Tunisie. Par ailleurs, 22 La difficulté de mesurer la productivité du secteur public alors qu'en Tunisie les exportations réelles ont connu une est reconnue de manière notoire car il produit des produits croissance de 3.7 pourcent en moyenne, les exportations de non marchands dont la valeur ne peut être observée de ces pays ont connu une croissance presque deux fois plus manière directe. Ainsi, la production du secteur public est rapide. Les pays de référence comprennent également la généralement calculée en l'assimilant à ses apports (c.-à-d., la Corée en tant que pays à performance élevée et le Portugal. somme dépensée pour la production de ce produit, qui consiste La structure économique du Portugal d'il y a vingt ans était très pour une grande part en salaires). La logique économique similaire à la structure économique actuelle de la Tunisie. Les derrière l'assimilation du produit et de l'apport est que les comparateurs régionaux sont l'Egypte, la Jordanie et le Maroc gouvernements « rationaux » dépensent jusqu'au point où (voir Chapitre Sept). l'avantage marginal des dépenses est égal au coût marginal. 27 Au sein de la Région MENA, les IDE au Maroc et en Egypte Ceci implique que les augmentations des dépenses publiques par exemple rencontrent beaucoup moins de restrictions, y se traduisent automatiquement par des augmentations compris dans les secteurs agricoles et des services. Le Maroc individuelles de production, rendant une analyse de la permet une plus grande flexibilité aux IDE dans le secteur productivité du secteur public sur la base des données des des services (voir également Figure 1.2). Par ailleurs, l'ALE comptes nationaux insignifiante. En d'autres termes, dans entre les Etats-Unis et le Maroc a réussi à clarifier le régime notre analyse l'augmentation de valeur ajoutée du secteur des investissements au Maroc, car il a fait l'inventaire des public reflète simplement une augmentation des dépenses restrictions aux IDE sur la base d'une liste négative. Le Maroc budgétaires au titre des salaires. s'est graduellement dirigé vers les meilleures pratiques 23 L'expansion dans les secteurs des télécommunications a internationales concernant la transparence et le dialogue avec également découlé de la croissance du marché mobile au cours les investisseurs. Leur application est en cours d'extension à de la période. En 2002, la Tunisie a permis au fournisseur privé des champs plus larges relatifs aux IDE y compris d'autres pays. Ooredoo Tunisie (qui jusqu’en Avril 2014 s’appelait Tunisiana), Ainsi, l'IDE au Maroc est bien plus diversifié qu'en Tunisie. une entreprise en partenariat entre la société égyptienne 28 Pour une discussion détaillée de l'évolution des exportations Orascom et la société Koweitienne Wataniyya, de pénétrer le tunisiennes voir également El Elj (2012) secteur de la téléphonie mobile, entrainant une baisse notable des prix et une augmentation des taux de couverture. Une part 29 La croissance des exportations était essentiellement mue par de 35 pourcent du capital de Tunisie Telecom a été privatisée une expansion des équipements électriques et les exportations en 2006. Une nouvelle licence mobile et 3G a été octroyée en des combustibles fossiles qui compensent une contraction 2008 à un consortium mené par la société française Orange. rapide (30 pourcent) des exportations d'habillement non 76 une économie performant en-deçà de sa capacité tissés. Les exportations d'autres secteurs importants tels Les pays comme la Tunisie peuvent démontrer d'importantes que l'habillement tissé et les chaussures n'ont connu qu'une différences de l'intensité des intrants intermédiaires importés légère baisse. La mauvaise performance de ces secteurs dans la production des exportations industrielles par rapport à est probablement due en grande partie au démantèlement la production des ventes finales intérieures et des exportations progressif de l'accord multifibre achevé en 2005, qui signifiait non- industrielles. Koopman, Wang et Wei (2008) montrent que que les exportateurs d'habillement tunisiens devaient faire face pour ces pays la formule ci-dessus résultera probablement en à la concurrence de la Chine et d'autres pays. une surestimation considérable de la valeur ajoutée nationale des exportations. Alors que plus de la moitié des exportations 30 En général, la performance des exportations des pays de la Tunisie sont des produits finis, en fait plusieurs de ces MENA est faible. Les modèles standard de gravité concluent produits sont simplement assemblés en Tunisie. Etant donné que les pays MENA exportent considérablement moins cette part importante d'exportations industrielles, la valeur que leur potentiel, ce qui serait attendu étant donné leurs ajoutée réelle des exportations peut même être inférieure. caractéristiques économiques, culturelles et géographiques (Bhattacharia et Wolde, 2010; Behar et Freund, 2011). Les 36 Une large partie de la valeur ajoutée nationale des exportations des pays de référence de l'Europe de l'Est tels que exportations tend à être créée dans le secteur des services, la République Tchèque, la Pologne et la République Slovaque en particulier le transport, les services immobiliers et les se sont accélérées au cours des années 1990 au cours de leur télécommunications. La décomposition de la chaîne de valeur transition de régimes communistes en économies de marché. nationale en éléments sectoriels serait donc importante afin de La croissance de leurs exportations a gagné plus en vitesse comprendre les impacts directs et indirects du commerce pour lorsqu'ils ont intégré l'Union Européenne. La performance de l'emploi. la Corée était exceptionnelle, la valeur de ses exportations a presque quadruplé au cours de la même période. 37 Néanmoins, comme discuté au Chapitre Sept, l'UE reste le marché ayant le plus grand potentiel d'absorption des 31 L'indice EXPY a été développé par Hausmann, Hwang et exportations tunisiennes. Rodrik (2004). L'EXPY est lié au niveau de productivité du pays exportant ces biens, s'appuyant sur l'hypothèse que les produits 38 Ceci dit, il faut également noter que la politique de l'UE d'exportation produits principalement par des pays à revenus est également de décentraliser uniquement les emplois à élevés seront plus probablement associés à des niveaux plus faible valeur ajoutée, et ces pays résistent férocement à élevés de productivité. L'EXPY est basé sur le PRODY. Le PRODY toute tentative des entreprises de sous-traiter les emplois de d'un bien exporté est calculé par rapport au PIB par habitant qualité supérieure. La politique de la Tunisie, cependant, va de chaque pays exportant le bien pondéré par l'exportation de exactement dans le sens de la stratégie l'UE. chaque pays donné comme part de la somme de toutes les 39 L'analyse dans cette section utilise les données du Répertoire parts d'exportations. Les biens essentiellement exportés par National des Entreprises (RNE), une base de données de des pays plus riches sont supposés être plus sophistiqués et l'administration comprenant des informations concernant reçoivent un meilleur PRODY. L'EXPY d'un pays est donc calculé toutes les entreprises établies du secteur privé, y compris les comme le PRODY de chaque bien que le pays exporte pondéré entreprises unipersonnelles, gérée par l'Institut National de la de la part de ces biens dans le panier des exportations du pays. Statistique. A noter que les entreprises unipersonnelles sont La Jordanie est le seul pays MENA à avoir un EXPY supérieur à synonymes de travail indépendant; il s'agit d'entreprises qui ce qui est prévu étant donné son niveau de PIB par habitant ne recrutent pas d'employés rémunérés et dont le propriétaire (les deux plus grands secteurs d'exportation en Jordanie sont le fournit tout le travail. secteur pharmaceutique et les minéraux). 40 Le terme de « destruction créatrice » a été développé par 32 La sophistication des exportations peut être mesurée selon l'économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950). plusieurs dimensions. Pour une discussion détaillée de la Il fait référence à l'idée que la croissance économique est le sophistication des exportations de la Tunisie voir Ghali (2012). résultat d'un système dynamique, en évoluant – elle résulte 33 Les produits qui ont la plus forte contribution à l'EXPY de la d'un changement technologique et des innovations de biens Tunisie sont le pétrole, les appareils électroniques et l'huile et services nouveaux qui émergent des cendres des industries d'olive. Le pétrole et l'huile d'olive tendent à être exportés obsolètes. Le paradigme a ensuite été élaboré dans Aghion et par pays à revenu élevé et ont donc un meilleur PRODY. Ces Howitt (1992). Il repose fondamentalement sur trois idées sous- trois produits à eux seuls ont contribué à environ 28 pourcent jacentes. Premièrement, une croissance à long terme repose à l'EXPY de la Tunisie en 2010. Au contraire le PRODY des sur les innovations de processus, notamment pour augmenter produits textiles tend à être faible. la productivité des facteurs de production et/ou les innovations organisationnelles afin de rendre la combinaison des facteurs de 34 L'un des exemples les plus célèbres, dans ce contexte, est production plus efficace. Deuxièmes, es innovations résultent celui des exportations chinoises d’iPad. La valeur à l'export des investissements, des investissements des entreprises de la Chine d'un iPad est de 499 USD, mais la valeur ajoutée dans les compétences et la recherche de nouveaux marchés nationale par iPad est uniquement de 10 USD (2 pourcent), qui sont motivés par la perspective de rentes de monopole car le rôle de la Chine sur l'iPad se limite à l'assemblage du pour les innovateurs accomplis. Troisièmement, les nouvelles produit final. Les liens commerciaux développés entre les pays innovations tendent à rendre les anciennes innovations, s'accompagnent d'une fragmentation de la production (Jones anciennes technologies, et anciennes compétences obsolètes, et Kierjowski 2001). Les biens et services qui étaient avant de telle sorte que la croissance, implique un conflit entre produits dans un seul pays font maintenant partie d'une chaine l'ancien et le nouveau: les innovateurs d'hier résistent aux de production qui se déroule dans différents pays autour du nouvelles innovations qui rendent leurs activités obsolètes. globe. Aujourd'hui, le commerce d'intrants intermédiaires Le paradigme de croissance de Schumpeter place donc les représente environ les deux tiers du commerce international. entreprises et les entrepreneurs au cœur de la performance économique et du processus de croissance et stipule que le 35 En fait cette évaluation surestime probablement progrès économique résulte de changements continus dans la considérablement la part de la valeur ajoutée nationale dans structure de l'économie. le cas des exportations de la Tunisie. Une hypothèse clé de l'approche développée par Hummels, Ishii, et Yi (2001) est que 41 Par exemple, aux Etats-Unis, jusqu'à 48 pourcent de tous les l'intensité de l'utilisation d'inputs importés est la même entre emplois sont générés par des entreprises employant plus de la production des exportations et la production des ventes 10 000 travailleurs (Haltiwanger et al. 2013), alors qu'aucune intérieures. Il est peu probable que cela soit le cas dans les entreprise de ce type n'est observée dans nos données, avec pays avec beaucoup d'exportations industrielles, importation la taille maximale d'emplois observée entre 1996 et 2010 était pour exportations, ce qui est le cas du secteur offshore tunisien. de 9 222 travailleurs. la révolution inachevée 77 42 Dans notre échantillon de pays émergeants, seuls l'Inde et donnent pas la même relation monotone entre productivité, l'Indonésie avaient une densité d'entrée plus faible que les pays modélisée par production par travailleur, et taille d'entreprise, MENA essentiellement en raison des parts élevées de population reflétant plus probablement l'impact des erreurs de mesure et rurale et d'entreprises (informelles) non-enregistrées de l'Inde des différences dans la composition par secteur (voir Rijkers et l'Indonésie. et al., 2013). 43 Les données fiables de plusieurs pays sur les taux d'entrée sont 49 L'analyse des facteurs de croissance de la Productivité Totale difficiles à obtenir. A l'interprétation de la figure il est important des Facteurs (PTF) et de l'efficacité de l'allocation nécessite de garder à l'esprit que les sociétés anonymes comprennent des données au niveau de l'entreprise concernant le capital, la uniquement un sous-ensemble de toutes les entreprises et les main d'œuvre et la valeur ajoutée qui ne sont disponibles que chiffres peuvent donc ne pas être représentatifs du secteur pour les entreprises de l'industrie manufacturière, comptant à privé à une échelle large. peu près un cinquième des emplois et des résultats cumulés. Cette section utilise les données de l'Enquête Nationale des 44 Le manque de mobilité peut également en partie être mu Entreprises (ENE) qui est une enquête annuelle des entreprises par les réglementations de travail restrictives qui rendent qui couvre environ un tiers de toutes les entreprises d'industrie le licenciement de travailleurs titulaires de contrats à durée manufacturière; les principales conclusions sont brièvement indéterminée couteux et difficile (voir Chapitre Cinq), et par présentées ici (et sont détaillées dans Marouani et Mouelhi, les marchés financiers qui n'ont pas su canaliser les ressources 2013). vers des projets productifs (voir Chapitre Six). 50 Ceci correspond aux résultats de la décomposition de la 45 Pour gagner de la place, les résultats ne sont pas présentés croissance présentée à la Section Un, où nous voyons que ici, mais sont discutés en détail dans Rijkers et al. (2013). les contributions de l'augmentation du capital et de la main 46 La performance relativement meilleure du secteur offshore d'œuvre à la croissance du PIB ont à peu près similaires. montre les vertus d'un environnement économique ouvert et 51 Avec les exportations représentant un peu plus de la moitié concurrentiel. Alors que la performance du secteur offshore du PIB, les entreprises actives dans le commerce international est restée bloquée, le secteur offshore, par rapport au reste sont une importante source de revenus et d'emplois. de l'économie, a été un moteur pour la création d'emplois Uniquement 8 pourcent des entreprises qui offrent des emplois et la croissance des exportations, découlant dans une large rémunérés sont impliquées dans l'exportation et 5 pourcent mesure de sa capacité à attirer les IDE. Par exemple, selon dans l'importation. Les entreprises qui exportent (importent) la spécification à la colonne 6 du tableau 1.5, les entreprises représentent un tiers (la moitié) de tout l'emploi. En fait, il est qui ont un capital étranger ont des taux de création d'emplois à noter que les entreprises offshore, qui portent principalement qui sont 4.6 pourcent plus élevés que les autres entreprises. sur l'exportation, représentaient environ 33 pourcent de Il est donc important de ne pas perdre de vue le fait que les tous les emplois rémunérés en 2010, même si 6 pourcent entreprises offshore ont en moyenne une bien meilleure uniquement de toutes les entreprises qui offrent des emplois performance en termes de création d'emplois, de productivité rémunérés sont établies en tant qu'entreprises offshore. et d'exportations, par rapport aux entreprises dans le secteur onshore protégé. 52 Dans un pays type, les premiers 1 pourcent des entreprises représentent 56 pourcent de toutes les exportations, et les 47 Cette section se base sur le travail de Marouani et Mouelhi premiers 25 pourcent représentent presque toute la valeur (2013). L'analyse utilise les données de l'Enquête Nationale d'exportation (Freund et Pierola, 2012). des Entreprises (ENE), qui comporte des informations sur les entreprises de l'industrie manufacturière de plus de 5 employés. 53 Voir les détails dans le Rapport de synthèse RPD sur le « Secteur privé en Paralysie: Dynamique des Entreprises en 48 Marouani et Mouelhi (2013) estiment que les entreprises Tunisie », Banque Mondiale (2014). offshore sont environ 18 pourcent plus productives en moyenne que les entreprises onshore, même en tenant compte du fait 54 Comme discuté au Chapitre Dix ; cependant, des différences que les entreprises offshore tendent à être plus grandes. Il significatives d'infrastructure et de capital humain persistent est à noter, cependant, que les données fiscales officielles ne dans les régions. Références Aghion, P., and P. Howitt. 1992. “A Model of Growth through International Monetary Fund, Washington, DC. Creative Destruction.” Econometrica 60: 323-351. 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Les entreprises stagnent en termes de croissance, de création d’emplois et de productivité. Le manque persistant de croissance des sociétés, conjugué avec des taux de sortie faibles, est révélateur de concurrence limitée sur les marchés tunisiens. Cette absence de transformation structurelle et de « destruction créatrice » est à l’origine de la faible performance économique de la Tunisie et le rythme insuffisant de création d’emplois. Ce chapitre aborde les obstacles au fonctionnement efficace des marchés tunisiens. Il présente également une analyse des avantages escomptés d’une concurrence accrue sur la productivité des entreprises tunisiennes et souligne que la Tunisie récolterait des gains importants (en termes de rythme de croissance et et de création d’emplois) en permettant une plus grande rivalité sur les marchés.2 Les avantages économiques de la concurrence sur la croissance, la productivité et la créationd’emplois sont bien documentés par des études empiriques internationales (encadré 2.1). Les entreprises opérant dans un environnement concurrentiel sont plus susceptibles d’innover et d’accroitre leur productivité et créer des emplois. La concurrence stimule l’investissement, crée des emplois et accélère en fin de compte la croissance économique et améliore le bien-être global. La pression concurrentielle dans les marchés des facteurs de productions (en amont), tels que le transport, les services financiers, l’énergie, les télécoms et les services de bâtiment, sont un facteur clé de l’efficacité et de la croissance de la productivité dans les secteurs en aval – les utilisateurs de ces intrants. Une compétitivité internationale accrue est un autre effet important et positif associé à une concurrence accrue sur les marchés internes. Enfin, les consommateurs bénéficient de prix plus bas, d’économies directes et d’améliorations sur la variété et la qualité des biens et services. Les consommateurs trouvent aussi de meilleures opportunités d’emplois et de revenus supplémentaires en tant qu’investisseurs. Comme indiqué dans ce chapitre, l’environnement économique de la Tunisie n’est cependant pas fondé sur la concurrence. Ce n’est pas un environnement dans lequel les entreprises les plus productives peuvent réussir, croître et créer des emplois. Une raison clé pour le statu quo est l’absence d’un environnement concurrentiel dans lequel les entreprises qui réussissent à prospérer et à croître, et que les entreprises les moins productives sont finalement poussées hors du marché et les ressources qu’elles utilisent sont facilement réaffectées vers de nouvelles activités plus productives. Ceci est en grande partie le résultat d’un environnement réglementaire qui ne soutient pas la concurrence et est au contraire basé sur les restrictions à l’accès qui, comme on le verra dans le Chapitre Trois, produit la recherche du profit et le copinage – et sur le rôle prépondérant que les entreprises publiques jouent dans l’économie et qui faussent la concurrence puisque les entreprises publiques bénéficient d’avantages déloyaux de l’Etat. Il est aussi important de souligner qu’il y a une étroite connexion entre l’analyse de ce chapitre sur l’ouverture des marchés et celle du chapitre précèdent sur les emplois et la productivité. En fait l’existence de monopoles et d’oligopoles (qui sont le résultat des barrières à la concurrence) augmente les coûts pour le reste de l’économie, réduisant les retombées (création d’emplois) et les 82 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Encadré 2.1 : Expérience internationale sur l’impact de la concurrence sur la croissance, la productivité et la création d’emploi Les avantages économiques de la concurrence sont bien documentés. Les entreprises opérant dans un environnement concurrentiel/compétitif ont plus de probabilité d’innover (Bassanini et Ernst, 2002; Bloom, Draca et Van Reenen) et d’augmenter leur productivité (Acemoglu et al. 2007; Aghion and Griffith, 2005). La concurrence stimule l’investissement (Alesina et al. 2005), génère de l’emploi et en conclusion accélère la croissance économique et améliore le bien-être général. La concurrence dans les marchés des intrants (en amont), tels que le transport, les services financiers, l’énergie, les télécommunications et les services de bâtiment, est un moteur principal des gains d’efficacité et de productivité dans les secteurs en aval—les utilisateurs de ces intrants. Les preuves empiriques appuient fortement les effets positifs de l’application des politiques de concurrence sur la croissance de la productivité (Voigt, 2009; Buccirossi et al. 2009). Une sanction stricte des pratiques des cartels, basée sur des lois anticartels bien conçues, par exemple, constitue un outil efficace pour réduire l’impact négatif des comportements anti-concurrentiels (Symeonidis, 2008; Alexander, 1994). Une compétitivité internationale accrue – et donc des termes de l’échange plus favorables – est un autre effet important et positif associé avec plus de concurrence sur les marchés domestiques. Et en fin de compte, les consommateurs bénéficient de prix plus bas, des économies directes et des améliorations sur la variété et la qualité des biens et services. Les consommateurs trouvent aussi des occasions d’emplois améliorées et un revenu supplémentaire en tant qu’investisseurs. Les pratiques anti-concurrentielles mènent aussi à une perte de bien-être pour l’économie en général. Les accords de fixation de prix entre les concurrents imposent des coûts importants à la société. Connor (2010) examine des études et des décisions judiciaires sur 381 marchés cartellisés autour du monde et estime un excès de prix médian de 23,3 pourcent des prix au-dessus des niveaux concurrentiels. Les estimations de la Commission Européenne (2008) suggèrent que la productivité moyenne baisserait de 13 pourcent en présence d’accords de cartels de partage de marché entre les états membres. Une récente étude sur le marché international de graines de café a trouvé que la composition du cartel explique 49 points de pourcentage de la baisse de 75 pourcent dans le prix réel du café entre 1988 et 2001(Igami 2011). En plus d’augmenter le cout des biens et services pour conduire des affaires, les cartels sont aussi associés à une faible productivité du travail et des incitations réduites pour innover (Broadberry et Crafts, 2001; Evenett, Levenstein et Suslow 2001; Symeonidis, 2003). Dans une étude de 42 pays, Kee et Hoekman (2007) ont trouvé que les secteurs où les règles de la concurrence sont activement appliquées, l’application des lois anti-trust a augmenté le nombre d’entreprises nationales de 7,2 pourcent. De même, 20 pourcent d’augmentation sur une échelle d’index – approximativement équivalents au passage d’un niveau de d’application des règles de concurrence de la République Tchèque à celui du Royaume Uni – résulte en une croissance supplémentaire plus rapide de la productivité total des facteurs de 1 pourcent. L’expérience internationale a montré que l’introduction d’un cadre de politique de concurrence national général peut donner des avantages économiques importants. L’Australie est l’un des pays qui sont un exemple de la mise en œuvre réussie d’un cadre national de politique de concurrence. Les estimations suggèrent que les réformes de la politique de concurrence ont poussé le PIB de l’Australie de au moins 2.5 pourcent ou 20 milliards US$ suite à leur effet sur les gains de productivité et des prix plus bas pendant les années 90. De même, des estimations prudentes pour le Royaume-Uni suggèrent que les économies directes pour les consommateurs résultant de l’application de la loi sur la concurrence équivalent 112 millions US$ par an. Dans le cas des Pays Bas, l’impact positif de l’action de l’agence pour la concurrence sur l’économie nationale est estimé à 426 millions de dollars (moyenne mobile sur 3 ans). Pour conclure, des études récentes ont aussi fourni la preuve que les crédits budgétaires aux agences et institutions pour la concurrence donnent des bénéfices en termes de croissance économique améliorée puisqu’elles sont associées avec des niveaux plus élevés de croissance de PIB par habitant. la révolution inachevée 83 améliorations de l’investissement et de la productivité. De plus, les résultats montrés dans le Chapitre Un ont souligné que l’élimination des restrictions à l’accès augmente directement la croissance de l’emploi – ceci parce que la croissance de l’emploi en Tunisie vient en grande partie à travers la création (c.-à-d.- l’entrée ) de nouvelles sociétés, de telle manière que les restrictions à l’entrée minent la création d’emploi. 2.1 / Quel est le degré d’ouverture des marchés tunisiens ? D epuis les années 1970 la Tunisie a adopté un modèle de développement basé sur le secteur public qui a vu l’Etat jouer un rôle actif dans les secteurs stratégiques et pour imposer des obstacles à l’accès dans de très larges secteurs de l’économie. La Tunisie s’est bien développée pendant les années 70 lorsque des mesures limitées ont été prises pour ouvrir l’économie, notamment avec la création du régime « offshore » (voir Chapitre Un), associée à des politiques d’état proactives d’industrialisation. Dans les années 1980, cependant, les limites du modèle économique planifié ont commencé à apparaitre lorsque la Tunisie a été impactée par une crise économique grave. Certains secteurs de l’économie ont été libéralisés à la fin des années 1980 et dans les années 1990 avec la consolidation du secteur « offshore » dans le cadre d’un processus de plus grande intégration avec l’Union Européenne (UE). Cependant, la base du modèle économique est restée fondamentalement inchangée, avec un Etat qui a conservé un contrôle étroit d’une grande partie de l’économie nationale. De ce fait, à la fin des années 1990, l’économie avait de plus en plus de mal à progresser et la performance économique est demeurée insuffisante.3 Defait, comme nous le verrons ci-dessous, jusqu'à présent, plus de 50 pourcent de l’économie tunisienne demeure soit fermée soit soumis à des restrictions d’accès, et de nombreux règlements et interventions gouvernementaux mènent à la distorsion du développement du marché et créent des obstacles indésirables. Précisément, nous constatons que les marchés tunisiens fonctionnent de façon sous-optimale en raison de : (a) l’existence de restrictions sur le nombre de sociétés autorisées à opérer sur le marché, les restrictions sur les activités du secteur privé, y compris des restrictions aux investisseurs étrangers, et la prévalence de monopoles légaux ; (b) l’absence de conditions équitables et de non-discrimination entre les entreprises ; et (c) le contrôle sur les prix et autres variables du marché qui augmentent le risque de l’entreprise et réduisent la capacité concurrentielle des entreprises. Nous passons en revue chacun de ces trois facteurs ci-dessous. Des restrictions généralisées au nombre d’entreprises, des restrictions à l’égard des activités du secteur privé, en particulier pour les investisseurs étrangers, et la prévalence de monopoles légaux entravent la concurrence en Tunisie. En Tunisie, les restrictions sur le nombre d'entreprises autorisées à opérer sur les marchés sont couplées avec de nombreux monopoles légaux (publics) et des contraintes réglementaires excessives dans les industries de réseau. Les obstacles règlementaires découragent les investisseurs, aussi bien tunisiens qu’étrangers, de créer de nouvelles entreprises et d’agrandir les entreprises existantes, et les empêchent donc d'embaucher plus de personnel (voir encadré 2.2 et encadré 2.4). En fait, les secteurs dans lesquels l'investissement est confronté aux restrictions représentent près de 50 pourcent de l'économie tunisienne, et ce à travers le Code d'incitation aux investissements, la Loi sur la Concurrence ou la législation sectorielle spécifique qui régulent les secteurs des services, notamment les télécommunications, la santé, l’éducation, et les services professionnels. Le nombre de concurrents est explicitement restreint par la loi ou la réglementation dans certains marchés (par exemple : l’eau, l’électricité, les télécommunications, le transport routier, le transport aérien, le transport ferroviaire, le tabac, la pêche, le tourisme, la publicité, la santé, l'éducation, la formation professionnelle et la formation, l’immobilier, les services d’information agricole, le commerce de 84 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Encadré 2.2 : Investir dans l’avenir: La technologie mobile face aux règlementations complexes du secteur financier en Tunisie TUNIS – Cela fut une lutte acharnée pour l’expatrié tunisien Ramzi El Fekih à son retour, pour faire démarrer son activité bancaire par téléphone mobile, Viamobile. Tout d'abord, il lui a fallu trouver une banque locale avec qui faire équipe. Conformément à la législation tunisienne actuelle, les services bancaires mobiles ne peuvent être fournis que par l'intermédiaire d'une banque. Contrairement à l’Europe, ou encore la République Arabe d’Egypte, la Jordanie ou le Maroc, le cadre juridique en la matière est en retard par rapport aux développements technologiques, nous explique El Fekih. Viamobile permet aux clients d'ouvrir des comptes auxquels ils peuvent accéder à partir de leurs téléphones mobiles. En plus des populations urbaines très occupées, il espère attirer les personnes vivant dans les zones rurales qui ouvrent un compte bancaire pour la première fois. Partout où ils ont été mis en place les services bancaires mobiles ont été bénéfiques pour les consommateurs et les détaillants en particulier dans les régions rurales et éloignées, parmi les moins bien desservies par les systèmes bancaires traditionnels. Idéalement son réseau de distribution ne se déploierait pas à travers une banque classique avec pignon sur rue, dit El Fekih. «Un système de paiement mobile doit être présent partout - ce qui n'est pas le modèle bancaire classique. Nos prix ne sont pas chers, et la seule façon pour être rentables est de faire du volume. ». Après avoir sécurisé le partenariat de la Banque Internationale Arabe de Tunisie (BIAT), une des principales banques du secteur privé du pays, la société d’El Fekih, Creova se prépara à démarrer le service en 2009. Le lancement prévu avait peut-être attiré l'attention de Sakhr El Materi, gendre du président d'alors, Zine El Abidine Ben Ali. Il se raconte dans les milieux financiers tunisiens qu’El Materi avait prévu un service de banque mobile pour sa propre Banque Zitouna. Trois semaines avant le lancement prévu de Viamobile, la BIAT a été notifiée par la Banque Centrale qu’elle ne devait pas poursuivre le démarrage de l’activité jusqu'à nouvel ordre. Aucune raison n'a été donnée, El Fekih dit : « Nous avions tout fait dans les règles de l’art, donc il n'y avait donc aucune raison de l'arrêter. Nous savions qu’il se tramait quelque chose. » La Banque Centrale a promis à plusieurs reprises une clarification, qui n'a jamais été donnée. Ce n'est qu'après la révolution de 2011 qui a brusquement mis fin à l'influence des milieux d'affaires proches de la famille Ben Ali, y compris la confiscation et la vente de la Banque Zitouna, que la Banque Centrale a finalement donné le feu vert à Viamobile. Cependant « Le canal de distribution demeure un obstacle majeur encore. C'est notre plus grande plainte des utilisateurs », explique El Fekih. En 2012, des fonctionnaires du Ministère de la Technologie et de la Banque Centrale se sont réunis pour trouver une solution pour les paiements mobiles. L’une des idées a été de mettre la distribution et la vente entre les mains de personnes approuvées qui seraient des agents certifiés, a déclaré El Fekih. Mais encore une fois, il n’y a eu aucune communication sur la réflexion des officiels, et il n'est pas sûr de savoir où en sont les choses. La Société Monétique de Tunisie, qui est détenue par les principales banques du pays et dispose d'un monopole sur le traitement des paiements par carte de crédit, ne devrait pas voir son chiffre d'affaires miné par Viamobile, déclare El Fekih. «Je vois Viamobile comme un service complémentaire, parce que les utilisateurs ont accès à une carte de crédit émise par la BIAT. » Il estime que les ventes de Creova, avec moins de 1 million de dinars (environ $625,000) en 2013, aurait pu être le double de cela si la question de la répartition avait été résolue. En fait, les experts du secteur financier estiment que la banque mobile a un grand potentiel en Tunisie et que dans trois à cinq ans elle pourrait atteindre plus d’un million de personnes non-bancarisées et générer plus de 1 milliard de dollars en transactions. « Les règlements n'ont pas changé depuis la révolution. La volonté de changer est absente. Les choses sont encore coincées. » Source : Entretien avec M. Ramzi El Fekih, Tunis, Mai 2014 la révolution inachevée 85 détail et de la distribution, et autres) de telle manière que beaucoup de ces secteurs à l'heure actuelle restent de facto fermés à la concurrence. Le fonctionnement des marchés en Tunisie est également limité par des restrictions réglementaires sur le nombre de concurrents dans les industries de réseau et autres activités et services à l’entreprise, qui limitent l'accès libre. Les secteurs de réseau tels que le gaz et l'électricité, la collecte de l'eau, la purification et la distribution, le transport ferroviaire (exploitation des infrastructures, transport de passagers et de marchandises) ainsi que d'autres secteurs tels que l’approvisionnement en tabac sont des monopoles légaux ou étatiques. En outre, les obstacles réglementaires sur les télécommunications internationales et le transport aérien se traduisent par des monopoles ou des oligopoles de facto aussi dans ces secteurs. Il n’est pas inhabituel dans le monde de voir des monopoles (publics) dans les services de réseaux de base, notamment l’eau, le gaz et l’électricité (bien que dans certains pays certains segments de ces marchés et services ont été ouverts à des opérateurs supplémentaires). En Tunisie, cependant, même les marchés des transport et des services de télécommunication, où la participation du secteur privé est habituelle, sont demeurés fermés en comparaison avec des pays comparables. Le secteur des télécoms est caractérisé par des niveaux bas de concurrence dus à l’accès restreint au marché et à des réglementations qui n’encouragent pas la concurrence entre les entreprises en place et mènent à des prix très élevés pour les entreprises et consommateurs tunisiens. L’opérateur étatique, Tunisie Télécom (TT), jouit d’un monopole sur les communications par ligne de téléphone fixe, et possède une des trois licences de téléphonie mobile et licence 3G dans le pays. Dans le marché national, tous les opérateurs utilisent l’infrastructure de connexion nationale (backbone) de Tunisie Telecom, y compris l’administration et les sociétés privées. Tunisie Télécom est aussi propriétaire de toutes les stations d’atterrissement des câbles sous-marins internationaux et a de facto une position de quasi-monopole dans la location de lignes nationales et internationales. Il y a deux autres opérateurs de téléphonie mobile et 3G, nommément Ooredoo (dont la raison sociale était Tunisiana jusqu’à avril 2014) et Orange. En 2012 Ooredoo détenait approximativement 53 pourcent du marché mobile ; alors que Tunisie Télécom détenait approximativement 36 pourcent et Orange détenait les 11 pourcent restants. En réalité le marché des télécommunications peut être décrit comme un duo- monopole. De fait, étant donné l’environnement réglementaire restrictif qui limite la concurrence, cela prendra des années avant que le troisième opérateur mobile, Orange, puisse concurrencer sur un pied d’égalité Tunisie Telecom et Ooredoo.5 Sur le marché des télécommunications internationales, les trois mêmes opérateurs (Tunisie Telecom, Ooredoo et Orange) ont le droit d’offrir la communication voix depuis la Tunisie. En comparaison, les pays d’Europe de l’Est ont en moyenne 10 opérateurs de communications internationales ayant leurs propres installations. En outre, lorsqu’il s’agit de communication voix internationale, les trois opérateurs offrent les services de communications internationales uniquement à leurs clients d’accès (c.-à-d. Ooredoo ne peut pas offrir des services de communication internationales aux abonnés d’Orange et Tunisie Télécom ainsi de suite).6 Les bonnes pratiques requièrent la libéralisation de ce segment (puisque typiquement un grand nombre d’opérateurs opèrent dans ce segment) et de permettre aux opérateurs de s’adresser à toute la base d’abonnés d’un pays donné.7 Il résulte de la concurrence limitée dans la plupart des segments du marché des télécommunications, que les consommateurs tunisiens paient des prix très élevés, ce qui affecte négativement la compétitivité des entreprises tunisiennes (encadré 2.3).8 Il convient de préciser que, si certains segments du marché des télécoms souffrent de restrictions à l'accès, notamment dans les télécommunications internationales, les autres segments - par exemple les communications par téléphone cellulaire - sont naturellement limitées par la petite taille du marché tunisien. Cependant, même lorsque le nombre de fournisseurs ne peut être augmenté, il est important de réglementer ces marchés afin de favoriser la concurrence (par exemple, parmi les trois fournisseurs dans le marché des téléphones portables) et de supprimer les possibilités de profits oligopolistiques (qui sont obtenus au détriment des consommateurs tunisiens, les entreprises et de l'économie au sens large). 86 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Encadré 2.3 : Aperçu comparatif de la performance du secteur des télécom en Tunisie Alors que la Tunisie ambitionne de devenir un acteur compétitif dans le marché mondial, les consommateurs et le secteur privé tunisiens font face aux coûts les plus élevés au monde pour les communications. La référence pour les appels « Skype Out » (qui reflètent généralement les prix les plus compétitifs pour les télécommunications internationales) montre qu'un appel international entrant en Tunisie coûte US$ 0,40/minute - presque vingt fois le prix du marché international et environ deux fois le prix payé dans les pays de la région MENA voisins (Le Maroc est de 0,25 $, l'Algérie, l’Egypte et la Libye sont entre US$ 0,15 cents et 0,20 US$, la Turquie est à US$ 0,04 ; la France est de 0,02 US$ ; voir encadré B 2.3.1 ). Par exemple, un appel de Paris à Tunis est 11 fois plus cher qu'un appel de Paris à Istanbul (la Turquie étant un modèle de réussite de la réforme). Les prix des appels internationaux sortants, sont un peu moins chers, mais restent plus de dix fois supérieurs aux prix internationaux de référence. En conséquence, les tunisiens évitent de communiquer par appels internationaux : les minutes d’appels internationaux par habitant en Tunisie n’atteignent que la moitié de la moyenne de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), ils sont 7 fois plus bas que la moyenne de la région MENA et 3 fois moins que la moyenne de l’Europe de l'Est en minutes d'appels internationaux (voir le tableau B2.3.1). Tableau B2.3.1 : Statistiques comparatives sur les communications internationales Année de libéralisation Communication par habitant Croissance cumulée en 2010 (minutes) 2004-2010 Moyenne MENA 2006 181 10% Moyenne AMU 2006 48 11% Moyenne Europe de l’Est 2002 73 8% Tunisie En attente 25 1% Figure B2.3.1 : Cout des appels des USA vers les Figure B2.3.2 : Utilisation de la bande pays utilisant Skype out passante internationale d’internet US$ cents/minute 45 60 000 Bande Passante Internet Internationale 40 53 027 (bits par personne) (2010) 35 50 000 30 40 000 25 20 30 000 28 244 20 567 21 401 15 20 000 17 169 10 10 000 5 4 853 0 0 Tunisie Bulgarie Roumanie Lituanie Lettonie Estonie re ie n Rw te da oc d Sé al Tu l e Co r o e il ga a és M nisi ng ui Ira ha p ar Lib yp Re mm ar an Né né rq Br Tc lg M Eg é Tu Bu ya ch p. ar M Source : Gelvanovska, Rogy, et Rossotto (2014). Source : Base de Données Telegeography Globalcomms, septembre . 2011 et WDI Figure B2.3.3 : Ticket d’entrée à la connectivité Figure B2.3.4 : Nombre de fournisseurs de internationale ($/Mbps/mois), 2011 bande passante internationale, 2011 9.9 Offres d’entrée de gamme de l’opérateur historique - 10 Prix mensuel par Mbps (US$, 2011) 9 20 8 $ 17.24 7 15 6 5 4 10 4 3 2.5 3 1.5 5 $ 4.60 $ 4.24 2 1 $ 2.32 $ 2.55 $ 0.68 1 0 0 Tunisie Bulgarie Roumanie Lituanie Lettonie Estonie Europe MENA UMA Turquie Maroc Tunisie de l’Est Source : Base de données Telegeography Globalcomms, Source : Gelvanovska, Rogy, et Rossotto (2014) septembre 2011 et WDI. la révolution inachevée 87 En outre, les communications internationales de et vers la Tunisie stagnent, alors qu’elles augmentent dans d'autres pays, qui les utilisent comme un comme un outil naturel pour une meilleure intégration de leurs économies dans le marché mondial. Encore une fois, la raison principale est le coût élevé des appels internationaux en raison du monopole en Tunisie, alors que la région MENA et de l'UMA ont commencé la libéralisation du secteur en 2006. De même, malgré les prix élevés facturés aux consommateurs pour les services ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, ADSL), la couverture reste limitée et de faible qualité, ce qui a freiné le développement de l'ADSL (Banque Mondiale, 2012a). Même avec un revenu par habitant beaucoup plus faible que la Tunisie, l'Egypte et le Maroc et sont mieux positionnés pour devenir des plateformes régionales dans le secteur, avec respectivement trois et sept opérateurs. Ces chiffres sont encore beaucoup plus faibles par rapport aux pays plus intégrés comme l’Europe de l'Est (10 fournisseurs par pays en moyenne) (voir la figure B2.3.4). Les prix élevés des communications découragent l’investissement direct étranger (IDE), le commerce et l'intégration régionale et sont particulièrement dommageables pour la compétitivité de technologies de l’information et des communications (TIC) et l’offshoring des services, ils portent aussi des coûts sociaux pour les tunisiens résidents en Tunisie et à l’étranger. Encadré 2.4 : Utiliser la technologie pour économiser l'argent du contribuable TUNIS - C'est avec le sentiment d'une occasion perdue que les gestionnaires de NGI Maghreb ont appris début mai 2014 que des milliers de voitures officielles fournies au personnel ministériel et aux hauts fonctionnaires seraient remplacées par des indemnités. Dans le cadre de la réduction des coûts, les bons d'essence remis aux fonctionnaires seraient également remplacés par des indemnités en espèces plus modestes pour couvrir les achats à la pompe, selon une décision du gouvernement. «Au lieu de simplement éliminer toutes les voitures, ils auraient pu utiliser nos services de gestion de flotte pour surveiller le kilométrage, l'emplacement et la consommation d'essence », a déclaré Mohamed Chouchane, associé-gérant de la société. Il s'agissait d'un exemple clair de la façon dont les solutions technologiques développées par le secteur privé pourraient favoriser une allocation efficace des ressources publiques, fait-il valoir. NGI Maghreb, qui emploie 70 personnes dans ses bureaux de Tunis, est la succursale locale du Groupe NGI France. Elle offre une gamme de services basés sur la localisation (LBS), et souhaiterait participer aux appels d’offres du secteur public qui sont essentiels à sa stratégie de croissance en Tunisie. La société estime qu’en moyenne, l'utilisation de ses services de gestion de flotte mène à une réduction de 18 à 20 pourcent la consommation de carburant (qui est l'économie la plus facile à suivre). Ils voient la possibilité de faire de très larges économies, au sein du Ministère de l’Agriculture par exemple, qui dispose d'une flotte de plus de 8000 véhicules de divers types. La législation tunisienne n'a cependant pas réussi à suivre le rythme des évolutions techniques dans ce domaine en évolution rapide, dit Chouchane. Avec un nouveau cadre juridique encore en discussion, tout ministère pensant à lancer un appel d'offres pour un opérateur du secteur privé pour fournir des services de localisation devra mettre cette idée en attente pour le moment. Alors que les discussions se poursuivent, Chouchane est préoccupé qu’un cadre réglementaire qui pourrait comprendre des décisions officielles sur la tarification des services LBS pourrait « empêcher les entreprises de trouver des solutions à des coûts qui sont alignés avec ceux pratiqués ailleurs dans le monde ». NGI Maghreb n'en est pas à sa première expérience avec les obstacles administratifs. Avant la révolution de 2011, il a dû surmonter la mentalité très orientée vers la sécurité de l'époque où, en partenariat avec l'opérateur de téléphonie mobile Tunisiana elle avait lancé Weenee (qui signifie « Où suis-je ? » en dialecte tunisien). Weenee devait être le premier service de GPS commercialisé pour le public tunisien. Son lancement a été retardé de quelques mois en 2008, après que le Ministère de l'Equipment ait obtenu une injonction le bloquant pour des raisons de sécurité nationale. Chouchane se rappelle d’avoir à expliquer au Ministère, que les images du palais présidentiel, par exemple, étaient déjà disponibles sur Google Earth. C'est seulement après que NGI Maghreb ait contesté avec succès l'injonction devant les tribunaux que le lancement a pu aller de l'avant comme prévu. Source : Entretien avec Mohamed Chouchane, Tunis, Mai 2014. 88 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Dans le secteur du commerce de détail, de nombreuses restrictions réglementaires distordent Figure 2.1 : Nombre de services exclusifs par profession en Tunisie : les conditions de marché. Le secteur du commerce Comparaison avec les moyennes de l’OCDE et les cinq premiers pays les plus performants de l’OCDE de détail semble être polarisé et comprend beaucoup de micro-commerces et trois enseignes de grandes surfaces9 (ces dernièrres détiennent près 12 Comptables de 16 pourcent des parts de marché, et vendent 10 principalement des produits alimentaires, atteignant 8 près de 62 pourcent de leurs ventes) ; les prix des produits alimentaires vendus par les grandes surfaces 6 semblent être en moyenne 10-15 pourcent plus bas 4 que ceux dans les autres magasins, étant donné les 2 économies d’échelle.10 Afin de tenter de maintenir un certain équilibre entre les grandes surfaces et les 0 ne e uv Pa rk Zé s Au de Es lie M lle gne ne ne Fr D iq lov e Tc ie Po ue Gr l Tu e e ili petits commerçants, la cadre règlementaire a introduit a Ba Da and c èc si EC Ch ug én a an ra n en ag q ni m la A a hè O el ys rt st Irl p oy m une autorisation supplémentaire par la Commission S le ue Nationale de l'Urbanisme (CNUC) (tel que spécifié dans bl No pu Ré le Code d’Urbanisme) pour l’ouverture de grandes 12 Architectes surfaces/hypermarchés (de plus de 1500 m2) et des centres commerciaux (de plus de 3000 m2.) et des 10 exigences administratives supplémentaires pour les 8 investisseurs étrangers (carte de commerçant).11 Alors 6 que le rôle du CNUC est de s’assurer du respect des dispositions légales sur l’urbanisme et les questions 4 environnementales, la procédure pour obtenir cette 2 autorisation est très lourde et crée des obstacles 0 inutiles à l’accès.12 Une restriction supplémentaire lie Pa nde Zé as Ro S e um de m ni ne bl nn nie Sl CD ue ile él Tc ce Tu e e nd qu si ra Al e U dans la même réglementation oblige les fournisseurs à B ue Grè ra Ch ya uè ag aq ni ue OE pu ye ové a la hè Is ys st nl ov Au e l Fi le S vendre leurs produits aux détaillants par l’intermédiaire le el iq uv iq o bl M de grossistes ou de grandes surfaces qui agissent No pu Ré Ré comme des grossistes, limitant ainsi les incitations Number of exclusive services 12 Ingénieurs pour les fournisseurs de développer leurs activités et obtenir des marges plus élevées. Dans certains cas, 10 les producteurs peuvent distribuer leurs produits, 8 mais uniquement après l’approbation du Ministère 6 du Commerce. En outre, comme nous le verrons plus loin, certains produits agricoles (par exemple 4 les céréales et la viande importée) ne peuvent être 2 distribués que par des entités étatiques (“Offices”) à 0 des prix contrôlés.13 Be alie ne e Fi ark Fr e Irl e Sl de Ré oy lem ie Ré bliq ne ne iq Tch D Sl que Tu e Es e e Ho e rie Da iqu d c u si ni èc C A vén an an an pu en ag aq ng ni pu ue OE to m r Gr è lg st nl ov o Au En comparaison aux meilleures pratiques M l ue internationales, la Tunisie impose aussi des bl restrictions sévères à la concurrence sur les marchés Source : Enquête 2012 sur la Tunisie faite par la Banque Mondiale selon le modèle OCDE PMR et les données des services professionnels. L’autoréglementation internationales viennent de la base de données PMR de l’OCDE pour 2013 excepté pour la Pologne pour laquelle les dernières données PMR disponibles remontent à 2008. et la réglementation d’Etat des professions ont le Remarque : (i) Les cinq pays les plus performants sont les pays OCDE (sur 34 pays OCDE) qui ont peu ou pas de limites réglementaires dans ce domaine. Typiquement, les limites règlementaires pour les professions potentiel de créer des effets anti-concurrentiels libérales sont conçues pour assurer un certain niveau de qualité de service et non pour imposer des restrictions qui ne bénéficient et ne protègent pas les sur les variables de marché (tels que les prix, le nombre de fournisseurs de services) (ii) L’exclusivité des services légaux est plus ou moins comparable aux autres pays OCDE. Donc, nous consommateurs. Il existe un consensus général n’avons pas inclus les chiffres, nous concentrant plutôt sur les trois catégories professionnelles (services) où l’exclusivité est plus problématique. que les réglementations professionnelles la révolution inachevée 89 qui créent des structures anti-concurrentielles ou Figure 2.2 : Nombre de secteurs ayant au moins une permettent un comportement anti-concurrentiel entreprise publique : Tunisie en comparaison avec les doivent être éliminées.14 Des contraintes structurelles pays de l’OCDE, non-OCDE et Europe Centrale et de et comportementales spécifiques sur les pratiques l’Est (ECE) professionnelles devraient être éliminées puisqu’elles Royaume Uni n’ont aucun avantage pour le bien-être des consommateurs, ou que leurs bénéfices ne dépassent Estonie pas les couts qu’elles induisent. Dans plusieurs pays, Pays Bas l’autoréglementation professionnelle a des effets Irlande directs ou indirects de restriction de la concurrence Danemark sur les marchés concernés, augmentant les prix et Japon limitant la variété et l’innovation dans les services professionnels. L’élimination des réglementations Corée qui facilitent le comportement coordonné servira Etats Unis à réduire les couts des services professionnels. Canada Premièrement, toutes les professions peuvent offrir Allemagne ces services exclusifs élargis pour la fourniture Islande des services concernés, et seules les entreprises tunisiennes peuvent fournir ces services exclusifs République Slovaque (excepté le conseil en investissement qui peut être Chili fourni par des opérateurs étrangers). De plus, il y a Autriche une interdiction totale de publicité pour les catégories Belgique professionnelles concernées (architectes, ingénieurs, Portugal services juridiques et comptables). Pour certaines professions, les prix sont aussi règlementés. Il faut Moyenne OECD signaler que bien qu’il ne soit pas inhabituel au sein de Australie l’EU et de l’OCDE que certaines professions jouissent Finlande de l’exclusivité ou les droits exclusifs partagés pour Nouvelle Zélande fournir des services spécifiques, la Tunisie semble être République Tchèque beaucoup plus restrictive et protectrice des privilèges professionnels (figure 2.1). La majorité (plus de 60 Crèce pourcent) des pays de l’OCDE et de l’UE n’ont aucune Hongrie réglementation de prix dans ces professions. Israél L’ouverture aux IDE est particulièrement restreinte Suisse en Tunisie et des règles de jeu équitables entres les Slovénie entreprises nationales et les entreprises étrangères, France n’est pas garanti par la réglementation. Les limites Italie réglementaires ou autres limites légales sur le nombre Espagne ou la proportion d’actions qui peuvent être acquises par un investisseur étranger sont fréquentes en Suède Tunisie (voir aussi Chapitre Quatre). Pour 49 secteurs Tunisie (qui couvrent 38 pourcent de l’économie), les projets Norvège d’investissement sous soumis à l’autorisation de 0 5 10 15 20 la Haute Commission de l’Investissement lorsque l’actionnariat étranger dépasse 50 pourcent. Tel que Source : Banque Mondiale enquête sur la Tunisie 2012 et base de données mentionné ci-dessus, les restrictions sur l’actionnariat OCDE PMR 2008 pour l’Italie, le Japon, la République de Corée, Le Luxembourg, le Mexique la Pologne, le Brésil et les Etats-Unis ; base de étranger existent pour toutes les professions libérales données PMR de l’OCDE pour 2013 pour tous les autres pays. (juridique, comptabilité, architectes, ingénieurs), ce qui rend difficile l’entrée des investisseurs étrangers 90 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi sur ce marché. Aussi, le commerce de gros est uniquement autorisé pour les entreprises tunisiennes. Dans le secteur du transport, selon l’accord sur les concessions de transport terrestre, les étrangers doivent entrer en partenariat avec des citoyens tunisiens pour fournir des services de transport terrestres. Plus généralement, les entreprises étrangères n’ont pas de possibilité de recours à travers le droit privé en Tunisie.15 Au-delà des restrictions à l’accès et des monopoles publics, les entreprises d’Etat continuent à jouer un rôle dominant en Tunisie, où le gouvernement contrôle des entreprises dans des marchés qui sont typiquement ouvert à la participation du secteur privé. Les entreprises publiques représentent approximativement 13 pourcent du PIB (ONUDI 2006) et près de quatre pourcent de l’emploi total dans le pays (encadré 2.5). Selon les informations disponibles, le gouvernement contrôle au moins une entreprise dans 19 secteurs en comparaison à une moyenne de 12 secteurs pour les pays de l’OCDE, une moyenne de 7 secteurs dans les cinq pays les plus performants au sein de l’OCDE (figure 2.2).16 Dans le secteur de l’infrastructure, il y un nombre estimé de 32 entreprises publiques,17 alors qu’en comparaison dans les pays de l’UE il y a en moyenne 9 entreprises publiques dans les secteurs de l’infrastructure (base de données PMR de l’OCDE). L’Etat est actif particulièrement dans le domaine des services publics (électricité, eau, traitement des eaux, transport des passagers) ainsi que dans l’importation de certains produits de base considérés sensibles, tels que les céréales, le thé, le café, l’huile végétale, le fer et les produits pharmaceutiques (ACRLI 2008). En Tunisie, les entreprises publiques détiennent entre 50 pourcent et 100 pourcent des marchés du gaz, de l’électricité, du transport ferroviaire, du transport aérien, et des services de télécommunication de ligne fixe, alors que plusieurs entreprises publiques jouissent de monopoles pour la production, l’importation et la distribution de divers produits (p. ex. les céréales, l’huile, la viande ou le sucre ; figure 2.3).18 Il est important de préciser d’emblée, cependant, que la propriété de ces entreprises par l’Etat n’est pas le problème en soi. En termes de fonctionnement des marchés ce qui est important, c'est que ces entreprises doivent fonctionner efficacement en étant assujetties à des règles de gouvernance d'entreprise adéquates (qui comprennent l'indépendance par rapport au gouvernement et à l'administration publique). Par ailleurs, ces entreprises publiques ne devraient pas bénéficier d’avantages déloyaux et privilèges de l'État (voir ci-dessous).19 Encadré 2.5 : Les entreprises et banques publiques en Tunisie Le rôle des entreprises publiques en Tunisie était historiquement important et le demeure encore en termes de leur contribution à l’activité économique, l’emploi et la fourniture de services vitaux. A la fin 2011, il y avait 104 entreprises publiques dans le portefeuille du gouvernement, dans 14 secteurs pour un total estimé de près de 120,000 emplois (ou presque quatre pourcent de l’emploi total). En plus des services publics, les principaux secteurs dans lesquels la présence des entreprises publiques est importante sont le transport, l’infrastructure, l’industrie et la banque. Les entreprises publiques ont tendance à être vulnérables aux problèmes de gouvernance et de clientélisme. La performance des entreprises publiques en Tunisie souligne qu’en général les entreprises publiques tunisiennes souffrent de problèmes liés à leur gouvernance interne et externe.i Il en résulte qu’en Tunisie l’accès privilégié aux actifs propriété de l’Etat était une cible importante des chercheurs de rente, tel que décrit en détail dans le rapport de la Commission nationale d'investigation sur la corruption et la malversation (CNICM) publié en Novembre 2011.ii Généralement, les entreprises publiques sont habituellement sous-performantes et plusieurs accusent des pertes financières malgré la protection de la concurrence et un appui important du gouvernement. Au cours des dernières années les transferts annuels prévus au budget vers les entreprises publiques déficitaires se sont montés à 0,8 pourcent du PIB en moyenne. Les pertes supplémentaires étaient financées par l’accès au crédit (ou reportées dans le futur) mais il n’y la révolution inachevée 91 pas d’estimation exacte de ces passifs. De plus ces coûts financiers devraient être augmentés par tous les transferts implicites dont bénéficient les entreprises publiques, par exemple en termes de position monopolistique sur le marché, qui leur permet d’extraire des rentes de situation (à témoin, par exemple, le coût exorbitant des appels internationaux vers et de la Tunisie ou le coût élevé des billets d’avion de et vers la Tunisie), ou en termes d’accès aux ressources naturelles à un prix moindre que les prix du marché (voir ci-dessous). Tel que discuté dans le texte principal, en Tunisie ces généreuses subventions signifient que les entreprises publiques profitent d’avantages anti-concurrentiels, de telle sorte que leur gestion mène à des conditions de concurrence inégales qui pénalisent les entreprises les plus efficaces, bloquant leur croissance (et par conséquent la création d’emplois). De plus, tel que démontré dans la Section 2.3 de c rapport, les entreprises publiques imposent des coûts économiques graves à l’économie, aussi bien directement qu’indirectement. La fourniture insuffisante d’intrants et de services essentiels augmente les coûts pour les entreprises locales, limite leur expansion, et restreint leur compétitivité et la croissance en général.iii En plus des transferts officiels vers les entreprises publiques, les subventions croisées cachées masquent l’inefficacité de certaines entreprises publiques, à un énorme coût pour le pays. Par exemple, dans le secteur de l’énergie, l’entreprise pétrolière nationale ETAP importe du pétrole et du gaz pour le compte de la société de raffinage , la STIR, et de la société responsable de la production d’électricité, la STEG. L’ETAP importe du pétrole brut et le vend à moins d’un tiers du prix du marché international. Donc, les bénéficies de l’ETAP (et donc les revenus pour le budget) sont plus bas à cause de ce transfert caché pour la STIR. Le montant des transferts cachés est encore plus élevé pour le gaz naturel, qui est vendu à la STEG à hauteur de 10 pourcent du prix international. Globalement, le montant total des subventions cachées à la STIR et la STEG est estimé à approximativement 2,2 pourcent du PIB en 2009 (ou 1,5 milliards de TND). De plus, puisque la production est insuffisante pour satisfaire la demande interne, une grande partie de la consommation nationale de GPL, d’essence et de diesel est importée (jusqu’à 72 pourcent en volume en 2008). Les coûts sont couverts par l’Etat mais personne n’a une connaissance totale de l’efficacité des procédures d’achats pour les importations et l’efficacité de la société. Ce modèle semble être cher et non-transparent, puisque les pertes financières n’apparaissent pas explicitement. De même, en Tunisie,l les banques publiques (BP) ont accumulé de larges passifs, et requièrent maintenant un transfert massif du budget de l’Etat. Les proches de Ben Ali ont utilisé les banques publiques pour obtenir un accès privilégié aux crédits à des conditions avantageuses. De plus, les banques publiques ont donné des crédits aux entreprises publiques pour financer leurs activités, masquant ainsi leurs pertes, alors que les entreprises ne pouvaient pas (ou ne voulaient pas) repayer leurs crédits. Ces défaillances en matière de gouvernance ont empêché le secteur financier de canaliser ses ressources vers les projets économiquement les plus rentables et a affaibli la stabilité du secteur financier, de telle sorte qu’il requiert aujourd’hui un effort de recapitalisation (voir Chapitre Six). Le report du FSAP 2012 de la Banque et du FMI a estimé que les créances accrochées (NPL) accumulées par les banques publiques requièrent une recapitalisation des ces banques de l’ordre de trois à cinq pourcent du PIB, dans le cadre du scénario de référence. Source : Banque Mondiale (2013). La nécessite d’une meilleure gouvernance des entreprises publiques en Tunisie. Report N.78675-TN, Washington DC. Remarque : i Notamment, le manque de transparence et une comptabilité, des fonctions de reporting et de budgétisation faibles; faible fonction de la propriété de l'état; faiblesse de la gouvernance interne de l’entreprise, caractérisé par des conseils d’administration faibles prolifération des contrôles mais avec une efficacité limitée. ii Plusieurs pratiques sont récurrentes concernant les entreprises publiques : (a) accès aux terres publiques à des conditions hors marché, ce qui était très lucratif dans un contexte où le secteur de l'immobilier est en plein essor; (b) utiliser des renseignements d'initiés sur les actifs à être privatisés et restructurés pour acquérir des participations à des conditions hors-marché ; (c) l'exploitation abusive des services et des biens publics à des fins privées, comme Karthago Airlines, qui a utilisé les services d'entretien et de catering de Tunisair sans payer; (d) rachat des actions dans des secteurs stratégiques tels que les banques et l'utilisation des services publics privatisés pour donner aux entreprises de la famille dirigeante un avantage comparatif dans certains secteurs. En outre, les proches de l’ex-Président ont utilisé les banques publiques pour obtenir un accès privilégié au crédit à des conditions avantageuses. Dans l'ensemble, pendant ce temps, il était bien connu que les nominations des Présidents Directeurs Généraux ont été « politisées» et de grandes quantités de ressources publiques ont été transférées à des proches. iii Sekkat (2009) a démontré pour l'Egypte que l'importance d'une entreprise publique dans un secteur donné est corrélée négativement avec la productivité totale des facteurs, expliquant ceci principalement par le fait que les entreprises publiques bénéficient d'une rente indépendamment de leur productivité. 92 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Figure 2.3 : Etendue de l’actionnariat public dans le secteur du gaz secteur et du transport aérien en Tunisie Plus grandes entreprise dans le secteur du gaz (%) Plus grand transporteur aérien (combinaison du trafic domestique et international) 100 100 80 Production/Import 80 Transmission 60 Distribution 60 40 40 20 20 0 0 République Tchèque Tunisie Pologne Russie Turquie Estonie Australie Moyenne OECD Meilleure OECD Slovénie Hongrie Belgique République Slovaque Canada Allemagne Islande Tunisie Plogne Russie République Slovaque Slovénie Hongrie Moyenne OECD Meilleure OECD République Tchèque Estonie Australie Canada Japon Nouvelle Zélande Source : Les données sur la Tunisie viennent d’une enquête de 2012 faite par la Banque Mondiale selon le format de l'indicateur de règlementation des Royaume Uni marchés de produits (OCDE) ; les données pour le autres pays viennent de la base de données PMR de l’OCDE pour 2013, excepté pour la Pologne pour qui les dernières données disponibles sont celles de 2008. Remarque : Dans le secteur du gaz, pour la Tunisie le schéma montre uniquement l’importateur de gaz qui est une Entreprise d’état. Ce qui est inhabituel c’est le fait qu’en Tunisie la présence des entreprises publiquesest relativement grande dans les secteurs tels que l’industrie manufacturière, le transport, le tourisme et les loisirs et autre services qui sont clés pour les entreprises privées. Alors que, telle que mentionnée ci-dessus, la présence d’entreprises publiques n’est pas inhabituelle dans certains segments des industrie dites de de réseau, l’Etat tunisien est aussi présent dans d’autres secteurs pour lesquels l’implication de l’Etat est difficile à justifier. L’Etat contrôle des entreprises dans divers sous-secteurs de production et service, tels que les hôtels, restaurants et autres activités commerciales. De plus, trois entreprises publiques fournissent des services de golf et douze entreprises publiques sont actives dans le secteur de l’immobilier (figure 2.2). La présence des entreprises publiques dans ces secteurs est contraire aux pratiques internationales et ne répond à aucune logique économique. Certains segments dans le domaine des services de transport, qui pourraient desservis par les opérateurs privés, sont encore contrôlés par des entreprises publiques dominantes avec une part de marché de plus de 50 pourcent. Deux entreprises publiquesdominantes fournissent respectivement des services de transport maritime et gère les opérations portuaires. La Compagnie Tunisienne de Navigation (CTN) assure le transport de passagers à travers le port de la Goulette (le transport de marchandise dans ce port est limité aux frêt en vrac et en dégroupage), alors que la STAM est un monopole de facto qui assure les opérations de transitaire et de manutention dans le port de Rades. Ce dernier est le plus important port marchand —95 pourcent des containers passent par le port de Rades— mais son infrastructure n’est pas adéquate pour le transport des containers et la manutention de l’infrastructure du port requiert des améliorations. La compagnie possède un fort pouvoir de fixer les prix puisque ses tarifs sont apparemment 30 à 50 pourcent plus élevés que ceux de ses concurrents. De même, dans le transport aérien, la compagnie nationale, Tunisair, cumule diverses fonctions : services de transport aérien ainsi que les services de fret et manutention à l’aéroport. La plupart du transport de passagers est assuré par Tunisair sur les liaisons internationales régulières et charters - représentant approximativement 63 pourcent de tous les sièges disponibles sur le marché. Les services de cargo et de manutentions sont aussi dominés par Tunisair. A part Air France, qui est actionnaire de Tunisair, le marché est demeuré relativement fermé aux autres compagnies aériennes. Le cadre réglementaire protégeant Tunisair empêche les autres compagnies aériennes d’offrir des alternatives viables de transport, ce qui résulte en des prix plus élevés et des services de moindre qualité pour les consommateurs tunisien, et a aussi des répercussions négatives sur plusieurs secteurs la révolution inachevée 93 clé tels que le tourisme, tout en entravant la compétitivité et la création d’emploi à travers toute l’économie. Contrairement à plusieurs pays de l’OCDE, il n’y a pas d’accord régional sur le transport aérien entre la Tunisie et les autres pays de la région, de même la Tunisie n’a pas signé un accord Open Sky UE-Tunisie (voir encadré 2.6).21 Encadré 2.6 : Open Sky – Des résultats économiques plus grands que les défis pour l’entreprise en place. Les expériences historiques sur les accords de Open Sky ont démontré leur contribution économique importante à plusieurs niveaux : sur le nombre de passagers aériens, sur la création d'emplois et la compétitivité dans l'industrie du transport aérien et des activités connexes, et sur le tourisme et sur les activités connexes. Alors que les discussions préalables à la négociation sur l’Open Sky avec l'UE ont été lancées avant la révolution, elles ont été mises en attente, en partie pour des raisons politiques, mais aussi en raison des préoccupations concernant la compétitivité de Tunisair par rapport à ses concurrents potentiels, les opérateurs low-cost européens. La libéralisation des services aériens pourrait être socialement difficile, car Tunisair aura à mettre en œuvre une nouvelle restructuration. Un Open Sky avec l'UE pourrait cependant mener à la création d’un nombre significatif d’emplois à travers l’économie, notamment dans le tourisme. Par exemple, le Maroc a réussi à stimuler son secteur du tourisme et sa compagnie aérienne, depuis l'accord d’Open Sky avec les États- Unis en 2000 et avec l'UE en 2006. Les accords d’Open Sky ont stimulé le trafic international : Le nombre de passagers a presque doublé entre 2006 et 2011, le nombre d'arrivées de touristes a augmenté de plus de 42 pourcent, et les recettes touristiques ont augmenté de 32 pourcent. En outre, la croissance annuelle de fréquences a atteint 12 pourcent en 2003 et 2010, de sorte que les entreprises marocaines ont gagné 402 fréquences supplémentaires en sept ans alors que les entreprises étrangères ont acquis 241 fréquences supplémentaires. Et bien sûr, les consommateurs (et le secteur du tourisme) ont énormément bénéficié, puisque l'augmentation de la concurrence a poussé les prix vers le bas de manière significative. En revanche, la Tunisie n’a augmenté le nombre de passagers que de 33 pourcent, le nombre d'arrivées de touristes de 5 pourcent et les recettes touristiques de 16 pourcent entre 2006 et 2010 (voir figure B2.6.1). En outre, l’accord d’Open Sky avec l'Union européenne a considérablement augmenté la compétitivité de la Royal Air Maroc (RAM), qui est presque entièrement propriété du gouvernement. La RAM domine encore le marché avec plus de 50 pourcent de parts de marché, malgré l'entrée en concurrence de 22 entreprises étrangères (dont 19 sont européennes) depuis 2004 (en plus des cinq entreprises locales, trois nouvelles compagnies aériennes low- cost marocaines ont été mises en place et quatre nouvelles licences ont été accordées pour les services de manutention dans les aéroports.). Les transporteurs européens low-cost ont augmenté leur part du marché de l'UE vers le Maroc, passant de 12 pourcent en 2006 à 40 pourcent en 2011. Fait intéressant, toutefois, la diminution de la part de marché de la RAM de 60 pourcent en 2004 à 53 pourcent en 2010, a été accompagnée par une augmentation spectaculaire du volume de passagers transportés de 820,240 en 1998 et 2003, à 8,6 millions en 2004 et 2010. En fait, la RAM a continué à rester compétitive et a gardé la plus grande part du nombre de passagers entre le Maroc et l'Europe de l’Ouest. Encouragée par les résultats positifs de l’accord d’Open Sky UE-Maroc, la Jordanie a signé un accord d’Open Sky avec l'Union européenne en 2010. De même, un accord d’Open Sky entre la Turquie et les États-Unis en 2000 a contribué à augmenter le trafic aérien et le tourisme en Turquie, avec 4,4 fois le nombre de passagers en 2011 qu'il y a une décennie, le nombre d'arrivées de touristes multiplié par 3,2 fois et les recettes touristiques multipliées par de 2,8. 94 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Figure B2.6.1 Recettes et arrivées touristiques au Maroc et en Tunisie, 2000-2011 Recettes, tourisme international au Maroc (millions US$ actuel) (axe droit) 10 000 10 000 Recettes, tourisme international en Tunisie (millions US$ actuel) (axe droit) Nombre d’arrivées, tourisme international au Maroc (milliers) (axe gauche) 9 000 Nombre d’arrivées, tourisme international en Tunisie (milliers) (axe gauche) 9 000 8 000 8 000 7 000 7 000 6 000 6 000 5 000 5 000 4 000 4 000 3 000 3 000 2 000 2 000 1 000 1 000 0 0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Source : Indicateurs de Développement Mondial (WDI) Encore plus important, il n’est pas inhabituel en Tunisie que les entreprises publiques reçoivent un traitement de faveur sous diverses formes, et ainsi des conditions équitables ne sont pas garanties pour tous les acteurs du marché, résultant en des distorsions et des pertes économiques. Les Entreprises d’Etat bénéficient régulièrement d’ « Aides de l’Etat » (c.-à-d. toute aide donnée par une entité gouvernementale et qui fausse la concurrence en favorisant certains marchés ou entreprises)22 telles que les injections de capital et les garanties pour les entreprises publiques en difficulté financière ou des prêts préférentiels émanant de banques publiques ou de l’Etat lui-même (voir encadré 2.3). L’Etat tunisien soutient souvent des entreprises publiques qui tournent à perte, aux frais du budget de l’Etat. Les diverses formes d’appui étatique sont fournies à travers un processus ad-hoc au lieu de se faire sur des critères clairement définis. Les meilleures pratiques exigent que, lorsque le gouvernement participe directement dans les marchés, il est important de garantir que les principes de neutralité compétitive soient mis en place. La neutralité compétitive requiert qu’aucune entité opérant sur un marché économique ne soit assujettie à des avantages ou désavantages compétitifs injustifiés.23 Controller l’aide de l’Etat et s’assurer de la neutralité concurrentielle aidera à éviter le favoritisme et à assurer des règles de concurrence égales entre les sociétés publiques et privées. Par exemple, au Brésil, la Constitution interdit explicitement l’octroi de privilèges fiscaux aux entreprises publiques, si de tels avantages ne sont pas offerts au secteur privé aussi. En Australie, les mesures de neutralité compétitive comprennent la taxation, la dette, et la neutralité règlementaire ainsi que l’application des taux commerciaux de rendement comme justification pour la rétention d’actifs dans le cas des entreprises publiques, et non le financement croisé ou les subventions cachées aux Entreprises d’Etat par les fonds publics. En Hongrie les réglementations légales qui ont été adoptées pour respecter les principes de neutralité compétitive dans le domaine de la neutralité financière, en relation avec « la transparence des relations financières entre les organes généraux du gouvernement et les entreprises publiques et la transparence financière au sein des entreprises » (Capobianco and Christiansen 2011). De plus, le contrôle étendu des prix et d’autres variables de marché augmentent les risques et réduisent la capacité concurrentielle des entreprises tunisiennes. En Tunisie, les contrôles des prix existe à tous les niveaux de production et distribution pour une large gamme de produits alimentaires et non-alimentaires, et de services. De même les marges de distribution de divers produits sont assujetties au contrôle de l’Etat (voir tableau 2.1). Une revue des pairs conduite sous l’égide de la CNUCED a montré que dans le secteur productif, les prix de 13 pourcent des produits sont encore la révolution inachevée 95 règlementés, en comparaison avec 20 pourcent dans le secteur de la distribution — le rapport a conclu qu’une partie non-négligeable de l’économie tunisienne n’est pas ouverte la concurrence libre et qu’il n’y a pas de signes d’améliorations à ce sujet (CNUCED 2006). Les secteurs où les prix sont contrôlés à tous les niveaux de distribution sont aussi associés à une présence significative d’ entreprises publiques représentant au moins 55 entreprises,24 en comparaison avec au moins quatre entreprises publiques dans les secteurs où les prix sont contrôlés au niveau de la production et au moins douze entreprises publiques dans les secteurs où les marges de distribution sont contrôlées.25 Les offices de commercialisation des produits agricoles continuent aussi à intervenir sur les opérations des marchés, contraignant la production locale et l’investissement. Il y a plusieurs entreprises publiques dans le secteur agricole qui détiennent des positions de monopole dans des chaines de valeur agricoles sur le marché national ainsi que sur le segment de l’import-export. L’Etat intervient dans le secteur de l’agriculture de diverses manières au-delà de programmes de subventions (qui ciblent le pain, les céréales, le couscous, les pâtes, les huiles, le lait UHT, et le concentré de tomate), plus exactement à travers l’exploitation et le contrôle de la production, la distribution et la commercialisation de divers produits agricoles. Par exemple, l’Office des Céréales intervient dans la collecte et le transport des céréales ainsi que dans l’importation ; l’Office du Commerce a un monopole sur les importations de sucre, café et pommes de terre; et l’Office National des Huiles importe les huiles et exporte l’huile d’olive (en gros, non-raffinée); il n’a pas l’exclusivité de l’exportation de l’huile d’olive mais il contrôle l’accès aux quotas de l’UE (surtout pour l’huile non-raffinée). Dans certains cas, tels que pour l’Office des Huiles, la part de marché que l’Etat contrôle est assez limitée, mais les Offices ont d’autres moyens de pressions à travers lesquels ils peuvent influencer les marchés, par exemple à travers la réglementation des marchés ou l’émission de certificats de qualité aux exportateurs privés. De même, pour les produits dont les prix sont typiquement déterminés par l’offre et la demande (légumes, viandes blanches, bœuf, agneau, œufs) l’intervention sur les prix peut se faire indirectement, par exemple à travers les importations, les fonds de stabilisation des prix et autres opérations de marché. C’est une question de l’étendue et du type d’intervention au-delà des subventions. Une décision unilatérale par le gouvernement de réduire les opérations ou interventions sur les marchés des offices donnerait un signal positif aux investisseurs privés dans ce secteur. En résumé, les marchés tunisiens sont caractérisés par de multiples restrictions à la concurrence qui résultent en un environnement dans lequel les entreprises ne peuvent pas être concurrentielles et ne peuvent pas croitre sur la base de leur capacité productive et/ou la qualité de leurs services. Nos conclusions soulignent que la concurrence est fortement contrainte en Tunisie, à cause d’un mélange d’obstacles réglementaire et monopoles légaux, un appui privilégié pour les entreprises publiques, et un contrôle des prix extensif. Tel que discuté dans le Chapitre Trois, les sociétés survivent en manipulant l’environnement réglementaire à leur avantage et au détriment des consommateurs et la performance économique générale. En fait, ces obstacles mènent à des prix plus élevés pour les consommateurs et les entreprises, comme le corroborent de nombreux exemples : le prix de la banane et le prix des grains de café torréfiés qui sont les deux à peu près deux fois plus cher en Tunisie par rapport au marché international, le prix des pneus de voiture, qui est de 30 à 50 pourcent plus élevé que le prix international, le prix des appels téléphoniques internationaux, qui est de 10 à 20 fois le prix du marché international, le prix des billets d'avion qui est estimé 30 à 50 pourcent plus élevé qu’ailleurs, ainsi de suite. Il faut noter que la plupart de ces obstacles à l’accès et à la concurrence concernent le secteur onshore. Cependant le secteur offshore — tout en réussissant mieux que le secteur onshore — souffre aussi de l’impact de ces réglementations (même si c’est indirectement). La faible efficacité des secteurs ‘onshore’, surtout les services d’épine dorsale (dits backbone) , affecte de manière négative la compétitivité de cette économie ‘offshore’, la condamnant à des activités à faible valeur ajoutée qui se basent principalement sur la main d’œuvre bon marché (pour l’assemblage de produits intermédiaires importés). En conséquence, l’impact de ces obstacles à la concurrence est à la base des carences du modèle économique tunisien. 96 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Il faut souligner que ces obstacles à la concurrence sont au cœur du système de clientélisme, d’extraction de rentes et d’exclusion sociale qui afflige la Tunisie. Tel que démontré dans le Chapitre Trois, l’architecture réglementaire existante est elle-même un produit du copinage – qui a mené à la prolifération de réglementations et restrictions. Dans ce contexte, l’élimination des obstacles à la pression concurrentielle et la simplification des procédures sont non seulement nécessaires pour arriver à une meilleure allocation plus efficace des ressources mais aussi pour assurer un accès plus équitable aux opportunités pour tous les tunisiens. En fait, l’analyse détaillée au chapitre suivant, montre qu’un effet secondaire du système tentaculaire de réglementations et restrictions à l’accès au marché est la culture d’exclusion (insider-outsider). Ce système permet de donner beaucoup de pouvoir discrétionnaire à l’administration, un pouvoir qui a été clairement abusé en Tunisie pour donner un accès privilégié et des avantages à ceux dans le cercle rapproché des pouvoirs politiques et administratifs. Tableau 2.1 : Liste des produits assujettis à un contrôle des prix / marges Produits et services dont les prix Produits et services dont les prix Produits assujettis au contrôle sur sont contrôlés à tous les niveaux de sont contrôlés au niveau de la les marges de distribution distribution production • Pain subventionné • Levure boulangère • Riz • Farine et semoule subventionnées • Bière • Fruits • Couscous et pâtes subventionnés • Barils et emballage métallique • Légumes, plantes et condiments • Huiles comestibles subvention- • Véhicules automobiles • Volaille nées • Chaux, ciment et ronds à béton • Œufs • Sucre • Gaz comprimé • Son et dérivés de mouture • Subventionné • Café torréfiée • Papiers, livres, cahiers et cahiers d’exercices subventionnés • Beurre • Thé • Concentré de tomates • Médicaments et procédures • Sucre en cubes médicales • Levure • Fuel • Bière • Electricité, eau et gaz • Tabac • Transport Passager • Sel • Lait reconstitué subventionné • Ciment Artificiel • Services postaux et de communi- • Ciment blanc cations (les taux pour les services de communication qui tombent • Ronds à béton sous le cadre des services de • Boites en métal • Télécommunications ne peuvent pas dépasser des plafonds maxi- • Véhicules automobiles mum) • Encre scolaire • Tabac, allumettes et alcool • Gaz comprimé • Services portuaires • Papier scolaire • Boissons chaudes (café et thé) • Livres scolaires servies dans les cafés et les bars • Lait en poudre pour enfants Source : Gouvernement tunisien, Décret No. 31-1996 du 23 Décembre 1991 (modifié par le Décret 95-1142) la révolution inachevée 97 2.2 / Est-ce que le cadre de politique de concurrence tunisien est efficace dans la lutte contre les distorsions de marché associées avec le comportement anti-concurrentiel des entreprises et la réglementation anti-concurrentielle ? M algré des améliorations successives, La Loi sur la Concurrence tunisienne continue à faire face à des lacunes fondamentales. La Loi sur la Concurrence tunisienne est largement inefficace puisqu’elle exclue des marchés clés de son application, et stipule le contrôle des prix administratif d’une large gamme de produits alimentaires et non-alimentaires et de services (bien au-delà des produits de première nécessité). En comparaison avec les meilleures pratiques (y compris dans d’autres pays OCDE, MENA et d’Europe Centrale et de l’Est (CEE)), La Loi sur la Concurrence tunisienne n’est pas applicable aux marchés clés limitant sa capacité à décourager les comportements anti-concurrentiels. De grandes exceptions du domaine d’application de la Loi comprennent des produits qui : (a) sont considérés de première nécessité; (b) font face à des difficultés de fournitures à long terme à cause des obstacles légaux/réglementaires (tels que les dattes et autres fruits et légumes durant les fêtes religieuses); ou (c) sont fournis par un secteur monopolisé.26 En fait la liste de produits exclus de la Loi sur la Concurrence tunisienne est très large en comparaison avec d’autres pays.27 De plus, la Loi sur la Concurrence tunisienne ne s’applique pas non plus aux monopoles légaux, limitant l’efficacité de la concurrence dans les secteurs clé tels que les intrants de l’agro-alimentaire, matériaux pour les activités minières et le bâtiment.28 Le cadre réglementaire entrave la capacité du Conseil de la Concurrence à lutter contre les pratiques et réglementations anti-concurrentielles. L'application efficace des règles et politiques de concurrence peut progressivement transformer l'environnement concurrentiel en déclenchant des changements positifs dans la structure du marché et en réduisant la concentration. La lutte contre les cartels est essentielle pour dissuader les comportements anticoncurrentiels les plus nocifs. Un contrôle efficace des fusions peut empêcher les concentrations qui étouffent la concurrence, et l'application réelle de la loi antitrust envers les entreprises dominantes pour décourager les comportements qui entravent la concurrence. En termes de meilleures pratiques, cependant, le cadre actuel de la concurrence et sa mise en œuvre n'aborde pas les ententes. En fait, les dispositions de la loi sur la concurrence peuvent même encourager la création de nouvelles ententes au lieu d'encourager leur disparition. Le régime tunisien de contrôle des concentrations nécessite également diverses améliorations.29 En outre, les compétences de plaidoyer du Conseil de la concurrence semblent faibles. Outre la législation antitrust efficace, les mécanismes de plaidoyer sont essentiels pour minimiser la réglementation anticoncurrentielle, y compris les prix minimum and maximum et les contrôles des prix inutiles.30 En tant que partie des obligations sous l’Accord de Partenariat avec l’UE, la Tunisie doit mettre en place un cadre d’aides de l’Etat. Actuellement, en Tunisie le contrôle/vérification de l’aide de l’Etat, dons et subventions ne sont pas consolidées sous une loi ou une autorité spécifique.31 En Tunisie, chaque ministère peut approuver, de façon ad hoc et sans planification, sa propre aide d’état (qui peut être allouée à travers divers instruments ou objectifs). Le Ministère des Finances participe à chaque commission sectorielle où les aides d’Etat sont décidées.32 Les aides d’Etat peuvent prendre diverses formes en Tunisie, y compris : (a) des avantages fiscaux ; (b) des transferts de capitaux; et (c) des garanties pour les entreprises publiques en difficultés financières. Les avantages fiscaux prennent la forme d’exonération de taxes directes et d’impôts indirects avec des taux de TVA et des droits de douanes réduits. Les transferts de capitaux peuvent être sous forme d’injections basées sur la perspective stratégique et l’orientation sectorielle accordées par le Comité Général du Budget. En même temps, les entreprises contrôlées par l’état peuvent recevoir des financements (par exemple des crédits garantis par l’Etat, des prêts préférentiels des banques étatiques ou de l’état lui-même, 98 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi ainsi de suite) qui ne sont pas disponibles pour les sociétés privées. De plus, la Direction Générale des Dettes donne des garanties aux entreprises publiques en difficulté financière, dans le cadre de l’Accord d’Association avec l’UE de 1998. L’introduction d’un cadre global régissant les aides d’Etat renforcerait un terrain de jeu équitable pour les sociétés et éviterait l’utilisation des fonds publics pour des objectifs qui découragent l’investissement et l’entrée de nouveaux investisseurs. 2.3 / La Tunisie bénéficierait-elle d’une augmentation des pressions concurrentielles sur les marchés ? L e manque de pressions concurrentielles comporte des coûts importants pour l’économie tunisienne. La partie précédente a souligné que les obstacles à la concurrence sont omniprésents partout en Tunisie, partialement à cause du faible cadre réglementaire et légal. Il y a des preuves empiriques indiscutables que le manque de concurrence mène à de sévères pertes dans une économie, puisque les marchés ne peuvent pas fonctionner et allouer les ressources efficacement. Tel que résumé dans l’encadré 2.1, les entreprises opérant dans un environnement compétitif ont plus de chances d’augmenter leur productivité. Des incitations plus fortes pour innover à cause de fortes pressions concurrentielles ont un effet sur la croissance de la productivité à l’échelle du secteur. La concurrence stimule l'investissement, crée des emplois et accélère en fin de compte la croissance économique et améliore le bien-être global. La pression concurrentielle dans les marchés d'entrée (en amont), tels que les transports, les services financiers, l'énergie, les services de télécommunications et de construction, est un facteur clé de l'efficacité et de la croissance de la productivité dans les secteurs en aval –qui sont les utilisateurs de ces intrants. Au contraire, les pratiques anti-concurrentielles entraînent des pertes de bien-être pour l'économie dans son ensemble. Les accords de fixation des prix entre concurrents imposent des coûts importants à la société. En plus de l'augmentation du coût des biens et services pour faire des affaires, les cartels sont également associés à une faible productivité du travail et une réduction des incitations à innover. Dans cette section nous quantifions les implications du manque de pression concurrentielle sur le travail sur la croissance de la productivité en Tunisie et trouvons que plus de concurrence mènerait à des bénéfices importants pour les Tunisiens. Il a été démontré empiriquement que le niveau d’intensité de la concurrence affecte la décision des entreprises d’innover et donc de stimuler la croissance de la productivité (Aghion, Harris and Vickers 1997, Aghion and Griffith 2005 et Aghion, Braun and Fedderke 2008). Dans cette section nous appliquons le cadre empirique proposé par ces études, qui est basé sur la méthode des « Marges prix-coûts » (MPC) comme mesure des pressions compétitives sur les marché33 (Annexe 2.2; pour les détails voir rapport de base de la RPD sur « L’Ouverture des Marchés à de Nouveaux Investissement et Opportunités d’Emploi en Tunisie”, Banque Mondiale, 2014). Des marges plus élevées signifient un manque de concurrence, puisqu’elles reflètent le pouvoir de marché des entreprises à facturer des prix plus hauts. Notre analyse estime ainsi les effets de l’intensité de la concurrence sur croissance de la productivité du travail.34 Les résultats montrent qu'en moyenne une baisse de cinq points de pourcentage dans les marges prix- coûts d'un secteur donné (soit une augmentation de la pression concurrentielle) devrait résulter en une augmentation de la productivité du travail de cinq pourcent. L'analyse économétrique à partir de données de 2000 à 2010 pour plus de 90 secteurs différents de l'économie tunisienne souligne que des MPC plus élevées (ce qui implique des niveaux inférieurs de l'intensité de la concurrence) sont associées de façon significative avec une croissance plus faible de la productivité du travail dans l'année qui suit (tableau 2.2). Dans l'ensemble, les résultats montrent que la réduction de cinq points de pourcentage de la marge prix-coûts d'un secteur donné devrait générer une croissance supplémentaire moyenne de la productivité du travail de cinq pourcent. Le supplément de croissance de la productivité peut s’avérer être encore plus important selon les secteurs. Ce résultat demeure est robuste, après divers ajustements des spécifications la révolution inachevée 99 de l'analyse (pour plus de détails, voir le Rapport de base de la RPD sur « L'Ouverture des Marchés à de Nouvelles Opportunités d'Investissement et d’Emploi en Tunisie», Banque Mondiale, 2014). Ces résultats suggèrent que davantage de concurrence sur les marchés tunisiens se traduirait par des avantages significatifs en termes de croissance plus élevée et création d’emplois plus rapide. En termes de bénéfices à l’échelle de l'économie, nos résultats impliquent que la réduction de la marge prix-coût de cinq points de pourcentage dans tous les secteurs de l'économie stimulerait la croissance de la productivité du travail de cinq pourcent en moyenne et se traduirait par une croissance supplémentaire du PIB de l'ordre de 4,5 pourcent par an et environ 50 000 nouveaux emplois par an.35 Pour les secteurs manufacturiers et les secteurs sans entreprises publiques, les résultats suggèrent une augmentation respective de six et de 6,5 points de pourcentage de la croissance et de la productivité du travail. Comme indiqué au Chapitre Un, la croissance annuelle moyenne de la productivité dans tous les secteurs au cours des dix dernières années était d'environ 2,5 pourcent. Cela souligne que l'ampleur des changements attendus dans la croissance de la productivité du travail est importante par rapport aux taux de croissance habituels de la Tunisie, indiquant combien les marchés tunisiens sont affectés par le manque de concurrence.36 En outre, l'effet d’une concurrence très féroce sur la croissance de la productivité réduit (désigné dans le Chapitre Un comme «l’effet Schumpétérien») ne peut être identifié en Tunisie.37 Moins de pouvoir de marché semble toujours fournir aux entreprises d’avantage d’incitations à innover et à stimuler la croissance de la productivité, sans preuve d'une relation non-linéaire entre la MPC et la croissance de la productivité du travail (tableau 2.2). Une explication possible de ce résultat est que le niveau initial de la concurrence sur les marchés tunisiens est tellement faible que toute augmentation de l'intensité de la concurrence conduirait à des gains de productivité importants. Ces résultats suggèrent que la distance qui sépare les entreprises tunisiennes de la frontière technologique est encore grande et qu’il y suffisamment d’espace pour ‘échapper’ à la concurrence à travers l’innovation. Ces résultats sont cohérents avec les résultats présentés dans le Chapitre Un, qui soulignent que la corrélation entre la croissance de la productivité du travail et la productivité totale des facteurs (PTF) au niveau de l’entreprise est élevée dans le secteur manufacturier en Tunisie (calculs basés sur des données au niveau des entreprises collectées entre 1997 et 2007) – qui est une indication que l’investissement des entreprises en capital physique était limité et que les pressions du marché sur la performance des entreprises sont faibles. Ce résultat reflète un investissement limité en innovation – selon l’ITCEQ (2010), les dépenses en R&D en Tunisie représentent approximativement 1.2 pourcent du PIB en 2009, alors que les pays OCDE dépensent en moyenne 2,3 pourcent de leur PIB en R&D. La présence des Entreprises d’Etat semble miner les pressions concurrentielles et réduit les impacts bénéfiques de la concurrence sur la croissance de la productivité. Il faut noter que la relation limitée entre la croissance de la productivité et les MPC dans les secteurs ayant une présence accrue des entreprises publiques reflète probablement l’effet de frein que ces entreprises ont sur l’économie. Ceci laisse entrevoir les effets paralysants de la présence de l’Etat, qui comme cela a été discuté, est souvent associé à un niveau élevé de réglementation et des pratiques anti-concurrentielles (surtout pour l’utilisation des aides de l’Etat).38 De fait, ce n’est pas la propriété publique en elle-même qui est en cause, mais plutôt la structure compétitive du secteur, et qui réduit l’impact positif de la concurrence sur la croissance de la productivité. Les gains de productivité qui résultent d'une augmentation de la rivalité sur les marchés en Tunisie sont particulièrement élevés dans certains secteurs. L'impact attendu d'un changement de pouvoir de marché a été évalué pour des secteurs particuliers (à un niveau de 3 chiffres) en Tunisie (figure 2.4). Sans surprise, même les changements relativement mineurs dans la marge des secteurs qui souffrent notoirement d’obstacles à la concurrence en Tunisie (tels que l’agriculture et le secteur agro-alimentaire) devraient augmenter de manière significative la croissance de l'ensemble du secteur. Les secteurs qui 100 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi bénéficieraient le plus sont les services d’infrastructure (tels que les services de transport ou les services professionnels) qui sont particulièrement importants pour la compétitivité globale de l’économie. Une concurrence accrue constitue également une opportunité importante pour la croissance de la productivité dans les secteurs clés en amont, à savoir le transport urbain, maritime et aérien ainsi que l’immobilier, les services postaux et autres services aux entreprises.39 Il faut noter que ces résultats représentent une estimation très prudente de la croissance potentielle supplémentaire de la productivité. Tableau 2.2 : Relation entre concurrence (PCMs) et productivité du travail Données de référence- Secteurs Secteurs sans Tous secteurs manufacturies entreprises publiques linéaire non-linéaire (1) (2) (3) (4) PCM[t-1] -0.98 -1.24 -1.15 -1.25 † 0.00 0.05 0.01 0.02 PCM[t-1] 2 0.53 † 0.53 constant 0.63 0.59 0.19 0.35 † 0.00 0.00 0.00 0.00 Nombre d'Observations 888 888 455 528 Rcarré ajusté 0.08 0.09 0.12 0.09 Source : Calculs des auteurs Remarque : Résultats de la régression avec variable dépendante : croissance dans la productivité du travail réel (variation en %age). Remarque : † p-valeurs en deuxième ligne en dessous des coefficients, erreurs-types regroupées par secteurs; toutes les régressions avec effets fixes par année et par secteur. Figure 2.4 : Les gains attendus en productivité du travail suite à une baisse de 5 % de MPC (concernant la moyenne 2003-2010 par sous-secteur) Croissance attendue en productivité du 6 travail (points de %age) 4 2 0 s es s s es l ux s s s es r ain au ien se rie ale itie on ilé né re m ex tiv a ’e rb ér iliè im ur de iss on m m tiv gu td n or ta tu co i s ob on ni id bo an ac on p as é or or or ta am ts l de m sc sp i et de ice ur ct sp its sp m se se ité an u et po its its du an an rv n si od ale lle tio tiv Tr du les fru se Tr ité és ro Tr Pr re ica c ét p ro ta os tiv ed ta de ltu ég et tp os br p Ac lat se cu m n sv Fa es sp se tio re co ur s, nd se ité on va sir d te ts as via an tiv id er na loi en gr am s Ac g di e m on e in d es sd Or ali gg ie, tc ion ièr ité d’ er , lo te at at n tiv ot en rv tm ry tio in Ac se st em ica m se re on br de ait Fo ile tc Fa Tr hu ts te ui d’ en od n m pr tio ite ica de tra br n tio n, Fa tio ica uc br od Fa Pr Source : Calculs des auteurs Remarque : Le tableau montre des estimations prudentes de la croissance attendue de la productivité du travail (en points de %age), après une baisse de MPC de cinq % par rapport à la moyenne de 2003 à 2010. Étant donné que certains de ces résultats sont soumis à de grands intervalles de confiance, les valeurs présentées ici se réfèrent à une estimation prudente de l'augmentation attendue de la croissance moyenne de la productivité dans chaque secteur par rapport aux taux de croissance dans le secteur de référence (par exemple le transport par pipeline). Tous les effets de l'interaction signalés sont significativement différents de zéro (au niveau de signification de 1 %). la révolution inachevée 101 2.4 / Un programme de réformes pour augmenter la concurrence en Tunisie : Ouverture des marchés à de nouvelles opportunités d’Investissement et d’emploi T rois axes clé de réformes sont nécessaires pour apporter la concurrence aux marchés et entreprises tunisiennes, nommément pour éliminer les obstacles à l’accès au marché, améliorer la gouvernance des entreprises publiques, et renforcer le cadre légal de la concurrence. Premièrement, l’élimination de la plupart des obstacles à l’accès et à la concurrence, au niveau des secteurs, est un prérequis à une performance économique plus rapide (voir Chapitre Quatre). Tel que mentionné ci- dessus, près de 50 pourcent de l’économie tunisienne est assujettie à des restrictions à l’entrée sur le marché, y compris dans le secteur des services d’infrastructure (tels que les télécoms, transport aérien et maritime, services professionnels, commerce et distribution ainsi de suite), qui déterminent la compétitivité de toute l’économie, et aussi dans les secteurs ayant un potentiel élevé de croissance (tels que les services de santé, les services éducatifs ainsi de suite). Actuellement ces obstacles sont issus de diverses législations, notamment dans le Code d’Incitation aux Investissements, Le Code du Commerce, diverses législations sectorielles règlementant les secteurs des services, et sont aussi tolérée par la Loi sur la Concurrence. Il faut souligner que ces obstacles limitent en premier lieu l’investissement et l’initiative économique des tunisiens. La plupart des obstacles concernent l’entrée et les opérations sur marché du secteur onshore. Cependant, tel que discuté dans le Chapitre Quatre, il faut remarquer que l’efficacité réduite des secteurs onshore (et particulièrement dans les services d’infrastructure) affecte aussi négativement la compétitivité de l’économie offshore, la condamnant à des activités à basse valeur ajoutée qui dépendent largement sur la main d’œuvre pas chère (pour l’assemblage d’intermédiaires achetés à l’étranger). Autrement dit, la concurrence limitée dans l’économie, et notamment dans le secteur onshore, est à l’origine de la rareté et la mauvaise qualité des emplois disponibles pour les tunisiens. Au-delà de l'élimination des obstacles auxquels font face les investisseurs nationaux, les Tunisiens bénéficieraient de l'ouverture de l'économie aux investisseurs étrangers, pour permettre plus d'investissements, une création d'emplois plus rapide et l’accès à des connaissances, des normes d'efficacité et de qualité nouvelles. Comme indiqué dans le Chapitre Quatre, les barrières à l'accès limitent en grande partie les investisseurs étrangers au secteur « offshore ». En fait, cette politique d'investissement n'a pas réussi à attirer les investisseurs dans d’autres secteurs que l’énergie et l’industrie manufacturière à faible valeur ajoutée dans des activités de type assemblage. De plus, tel que présenté dans le Chapitre Quatre, la segmentation entre onshore et offshore a limité la possibilité d'établir une intégration verticale entre la production et la vente de biens intermédiaires. Deuxièmement, la réforme de la gouvernance des entreprises publiques et l’utilisation des aides d’Etat sont aussi essentielles. Il est important de préciser que l'amélioration du fonctionnement des marchés n'exige pas la privatisation des entreprises publiques. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que l’État abandonne la propriété des entreprises, cependant, il est important de s'assurer que la gouvernance des entreprises publiques leur permettent de fonctionner sur un pied d'égalité avec les entreprises privées et qu'elles sont exposées à la concurrence et ont des chances équitables avec les autres entreprises privées. Cela implique également la nécessité d'un encadrement global des aides d'État visant à assurer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises et d'éviter l'utilisation des fonds publics pour la distorsion à la concurrence, ce qui découragerait l'entrée de nouveaux investisseurs. La réduction de la participation directe de l'État (par le biais des entreprises publiques et autres opérations) devra également être envisagée en particulier sur les marchés en général compétitifs où il n'y a pas de justification claire pour la présence de l'État, notamment dans les industries manufacturières, le transport, le tourisme et les loisirs (hôtels et restaurants, terrains de golf), et le secteur de l’immobilier. 102 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi Troisièmement, des améliorations du cadre légal de la concurrence sont aussi requises. Un cadre de politique de concurrence plus efficace pourrait être obtenu en (a) augmentant l’efficacité de l’application des règles anti-trust; (b) poursuivant des activités de plaidoyer pour minimiser la réglementation anti-concurrentielle; (c) adoptant les meilleures pratiques pour le contrôle de l’aide de l’Etat; et (d) garantissant la neutralité compétitive entre les sociétés privées et publiques, et entre les entreprises privées. De telles reformes aiderait aussi à créer un environnement des affaires plus prévisible et plus transparent. Tel que souligné ci-dessous, des aspects clé de ces réformes légales et institutionnelles accompagnerait et renforcerait l’élimination des obstacles et des améliorations de la performance des entreprises publiques : • Éliminer les obstacles réglementaires pour stimuler la concurrence. La réduction du degré de restriction de la réglementation des marchés de biens exige des réformes durables visant principalement : (a) la réduction de l’intervention de l'Etat à travers les entreprises publiques et autres opérations en particulier dans les marchés particulièrement concurrentiels - ceci servira aussi à promouvoir une utilisation plus efficace des fonds publics à des objectifs de politiques alternatives ; (b) en minimisant la portée des prix administrés à tous les niveaux de la chaîne de valeur des produits et éliminer les plafonds sur les marges de distribution à la fois pour les produits alimentaires et non-alimentaires ; et (c) l'élimination du traitement discriminatoire envers les investisseurs étrangers, ainsi qu’entre les investisseurs nationaux dans les secteurs où de telles restrictions réglementaires créent un terrain de jeu inégal. Ceci est une occasion pour stimuler la concurrence et, partant de là, la productivité, par la réduction de la réglementation restrictive des marchés de produits et d'introduire une surveillance réglementaire appropriée dans les secteurs clés. Il est essentiel que le gouvernement élimine les interventions publiques distorsion et promeuve un environnement plus concurrentiel en particulier dans les secteurs ayant des retombées généralisées sur l'économie tunisienne. Ce rapport met en évidence que la concurrence est particulièrement limitée dans les services de transport (compagnies aériennes, chemins de fer, maritime, routier), les services de réseau (notamment l'électricité et du gaz) ; le secteur des télécommunications ; les services professionnels et dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture. Des évaluations détaillées de ces secteurs et des recommandations politiques pour surmonter les obstacles spécifiques à la concurrence pour chacun de ces secteurs sont décrits dans le Rapport de base de la RPD sur « L'ouverture des marchés à des Nouvelles Opportunités d'Investissement et d'Emploi en Tunisie» (Banque Mondiale, 2014). • La concurrence principale et les principes de neutralité concurrentielle dans les politiques gouvernementales. A moyen terme, le gouvernement tunisien pourrait évaluer la conception et l'adoption d'un cadre réglementaire complet pour atteindre la neutralité concurrentielle entre tous les acteurs du marché. • Accroître l'efficacité du cadre de la concurrence et sa mise en œuvre en modifiant la loi sur la Concurrence. Les amendements spécifiques de la Loi sur la Concurrence devront être principalement destinés à (a) limiter les exceptions des pratiques anticoncurrentielles ; (b) l'application des règles de concurrence à tous les participants du marché, qu'ils soient privés ou publics. Ceux-ci devront être complétés par l’élimination des contrôles de prix inutiles et des plafonds de marges de distribution. Il est également nécessaire de renforcer le contrôle des fusions et à renforcer le mandat de sensibilisation du Conseil de la Concurrence. L'annexe 2.3 présente une liste détaillée des modifications requises de la Loi sur la Concurrence et le cadre institutionnel pour l'application de la concurrence (et voir également le rapport RDPcirconstanciel sur " L'Ouverture des marchés à de nouvelles opportunités d'investissement et d'emploi en Tunisie » Banque Mondiale, 2014). la révolution inachevée 103 • Continuer les activités de sensibilisation pour minimiser les réglementations anti- concurrentielles. En renforçant sa méthode de plaidoyer, le Conseil de la Concurrence pourra prévenir et gérer toutes distorsions potentielles de concurrence dans les secteurs clés de l’économie (tels que les services d’infrastructure ou professionnels) et ouvrir les marchés à la concurrence. Le Conseil de la Concurrence pourrait aussi aider à décourager l’application de règlementations anti-concurrentielles en augmentant la conscience des autres agences gouvernementales et des régulateurs sur les effets de distorsions des provisions règlementaires spécifiques. Travailler en étroite collaboration avec les autres régulateurs sectoriels aidera aussi à éviter un chevauchement de capacités dans le domaine de la concurrence et faire face de manière plus efficace à la réglementation anti-concurrentielle. • Créer un inventaire des aides d'État et élaborer des dispositions relatives aux aides d'État destinées à minimiser les effets de distorsion potentiels sur la concurrence. L'introduction d'un encadrement global des aides d'État pourrait garantir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises et éviter l'utilisation de fonds publics pour soutenir des régimes d'aides d'État de distorsion qui découragent l'entrée de nouveaux investisseurs. La mise en œuvre d'un tel cadre permettrait de promouvoir un changement des aides d'État vers des objectifs «horizontaux» qui pourraient bénéficier des industries entières au lieu d’entreprises spécifiques. Cette approche réorienterait les aides vers des objectifs globaux de l'économie, tels que la R & D et l'innovation, le capital-risque, la formation, l’énergie renouvelable et le changement climatique et autres mesures pour la protection de l'environnement. La mise en place d'un inventaire des aides d'État contribuera à assurer la transparence et la redevabilité dans l'utilisation des fonds publics, tout en appliquant les critères de meilleures pratiques pour accorder une aide de l'Etat, permettrait de réduire les incitations de distorsion accordées aux entreprises spécifiques. • Réviser les règles sur les marchés publics pour augmenter la concurrence et l’efficacité, notamment dans les secteurs de l’ingénierie et du bâtiment. Ces réformes devront cibler une augmentation de l’efficacité, la transparence et redevabilité des marchés publics (voir Banque Mondiale 2012e, pour une discussion détaillée des réformes des contrats publics en Tunisie). Il est important de souligner que la transition vers un régime plus ouvert et concurrentiel sera très difficile. Il sera important de développer une stratégie pratique par étape pour savoir quelles barrières à l'accès faut-il démanteler et quelles restrictions à l'IDE faut-il éliminer. Avec un taux de chômage très élevé et les troubles sociaux récents, exposer les entreprises onshore à plus de concurrence et encourager l'accès dans des secteurs jusque-là protégés doivent être soigneusement exécutés. Si elles ne sont pas correctement séquencées, les réformes pourraient entraîner la perte d'emplois et des revirements politiques. Les questions qui pourraient être considérées comme faisant partie de cette stratégie sont les suivantes : • La promotion de l'entrée sans privatisation : Comme indiqué ci-dessus l'objectif principal n'est pas de privatiser, mais plutôt d’améliorer la performance des entreprises publiques et de niveler le terrain de jeu. Par exemple, la promotion des partenariats entre les entreprises d'État et les entreprises étrangères a été activement poursuivie en Chine pour les entreprises les plus viables avec d'excellents effets sur la performance. Cette approche a réduit au minimum les pertes d'emplois qui auraient pu accompagner une privatisation à grande échelle. • Concurrence progressive: La réduction des obstacles à l'accès et l’élimination des obstacles réglementaires pourraient être faites progressivement avec un séquençage pré-annoncé; en fait, la priorité devrait être d'accroître la concurrence dans les secteurs qui offrent des services aux entreprises (et aux citoyens tunisiens) tels les télécommunications, le transport aérien 104 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi et maritime, le commerce et de la distribution, ainsi de suite, puisque ces services affectent la compétitivité de toute l'économie ; il est tout aussi important d'éliminer les obstacles et permettre un plus grand investissement dans les secteurs qui ont un fort potentiel de croissance et les perspectives de création d'emplois en Tunisie tels que les services de santé, services d'éducation, les télécommunications et les services informatiques (voir Chapitre Huit). • Commencer par l'ouverture à la concurrence régionale : L'élimination des obstacles régionaux à la concurrence permettrait aux entreprises onshore de s'adapter à la concurrence en mettant l'accent sur la rivalité régionale d’abord, avant de passer au marché mondial. • Eviter une convergence des réglementations qui augmenteraient les obstacles au lieu de les supprimer : notamment dans les domaines liés à la réforme du marché du travail, il y a le risque que la convergence pourrait conduire à une augmentation de la réglementation. 2.5 / Conclusions L ’absence généralisée de pression concurrentielle qui caractérise l'environnement économique en Tunisie et est à l'origine de l'échec du modèle de développement actuel, notamment le manque d’emplois de qualité. Les obstacles omniprésents à l'accès sur les marchés et à leur contestabilité empêchent la transformation structurelle de l'économie et étouffent la croissance économique en entravant l'initiative privée, et découragent l'innovation et la productivité. Les restrictions à l'accès au marché (introduit par le Code d'Incitations aux Investissements ; le Code du commerce ; et d'autres législations sectorielles de régulation des secteurs de services, notamment les télécommunications, la santé, l'éducation et les services professionnels, et encouragées dans certains cas par la Loi sur la Concurrence) et la prévalence des monopoles légaux ont fermé l'économie nationale à la concurrence et ont créé un environnement onshore qui stagne en termes de productivité, étant donné que les bonnes entreprises sont incapables de croître (voir Chapitre Un). Il en résulte des prix plus élevés pour les consommateurs et les entreprises; le prix des appels téléphoniques internationaux, qui est 10 à 20 fois plus cher, et le prix des billets d’avion qui sont 30 à 50 pourcent plus chers. L’environnement des affaires récompense la recherche de rentes et le capitalisme de copinage à tel point que, tel que discuté dans le Chapitre Trois, la lourde réglementation d’Etat est devenue un paravent pour les pratiques de capitalisme de copinage, bloquant sévèrement la performance du secteur privé et de toute l’économie, en excluant ceux sans les bonnes connexions avec les politiciens ou l’administration. A leur tour, l’inefficacité et l’extraction de rentes par les proches dans l’économie onshore minent aussi la compétitivité du secteur offshore, qui est ainsi resté largement dominé par les taches à valeur ajoutée basse et d’assemblage. Les coûts économiques de ce modèle économique, qui mine la concurrence et encourage la recherche de rentes, sont donc immenses. Il y a de larges possibilités de réaliser des gains d'efficacité de politiques sectorielles favorables à la concurrence et une application plus efficace de la politique de la concurrence à l’économie tunisienne. Les données empiriques de par le monde documentent les avantages écrasants découlant d'une plus grande concurrence, puisque les entreprises sont incitées à investir davantage, innover et améliorer leur efficacité. En définitive, la concurrence génère de l'emploi et accélère la croissance économique et l'augmentation du bien-être global. Conformément à cela, l’analyse empirique présentée dans ce chapitre a montré que les gains d’une plus grande pression concurrentielle sur les marchés tunisiens seraient considérables, ce résultat n'est pas surprenant puisque les réglementations économiques ont systématiquement étouffé la concurrence en Tunisie. Les résultats de notre analyse économétrique qui se concentre sur la productivité du travail suggèrent que l’économie de la Tunisie pourrait croître beaucoup plus rapidement si les entreprises étaient incitées à éliminer les inefficacités dans le la révolution inachevée 105 processus de production et à investir davantage dans des innovations qui permettent de réduire les coûts de production. Poussée par la concurrence, une baisse de cinq points de pourcentage dans les marges d'un secteur (mesurée par les «marges prix-coût») pourrait augmenter la productivité du travail de cinq pourcent, en moyenne. Cela implique que la réduction de la marge prix-coût de cinq points de pourcentage dans tous les secteurs de l'économie (stimulerait la croissance de la productivité du travail de cinq pourcent en moyenne) et se traduirait par une croissance supplémentaire du PIB de l'ordre de 4,5 pourcent par an et environ 50 000 nouveaux emplois par an. Par conséquent, l'augmentation de la pression concurrentielle pour réduire le pouvoir de marché des entreprises (et les majorations de prix, qu’ils peuvent obtenir par la suite) donnerait un sérieux coup de pouce pour réduire le taux de chômage de la Tunisie. En outre, les secteurs qui bénéficieraient le plus sont les services de base (tels que les télécommunications, les services de transport ou les services professionnels) et ceux-ci sont particulièrement importants pour la compétitivité de l'ensemble de l'économie (comme ils sont intensément utilisés comme intrants dans les chaînes de valeur). Afin de réaliser ce potentiel, il est nécessaire d'ouvrir le terrain économique à plus d’acteurs tunisiens et étrangers, afin d'élargir l'activité économique et la création de richesses. Il convient de souligner que la suppression des obstacles à la concurrence n’est pas destinée principalement pour permettre aux étrangers d'investir en Tunisie. L'analyse dans ce chapitre a mis en évidence que c'est d'abord et avant tout les Tunisiens eux-mêmes qui sont actuellement confrontés à de sévères restrictions pour accéder à une grande partie de leur économie. En outre, les Tunisiens devraient également envisager de supprimer (la plupart) des barrières à l'accès des investisseurs étrangers, et devraient même chercher à attirer les investisseurs étrangers, puisque les investissements supplémentaires apporteraient des emplois supplémentaires et la création de richesses. En outre, comme indiqué dans le Chapitre Un, les entreprises de propriété étrangère ont des taux de création d'emplois sensiblement plus élevés que les autres entreprises. L'élimination des obstacles à la contestabilité des marchés doit être progressive, en commençant par les secteurs essentiels et les secteurs qui détiennent un fort potentiel de création d'emplois. Les plus grands gains économiques découleraient de la concurrence accrue dans les secteurs qui offrent des services aux entreprises (et pour les citoyens tunisiens) tels que les télécommunications, le transport aérien et maritime, le commerce et la distribution, les services professionnels, etc., puisque ces services affectent la compétitivité de toute l'économie. En parallèle il y a de fortes raisons pour éliminer les obstacles et permettre un plus grand investissement dans les secteurs qui présentent un fort potentiel de perspectives de croissance en Tunisie, tels que les services de santé, les services d'éducation, et les télécommunications et services TIC (voir Chapitre Huit). Le modèle de développement actuel contrôlé par l'État, qui a servi la Tunisie dans les premières étapes de son développement économique, devient un frein croissant au développement de la Tunisie. Afin de permettre à la Tunisie de passer à la prochaine étape du développement économique, il est nécessaire d'ouvrir l’économie et uniformiser les règles du jeu pour favoriser l'entrée de nouveaux investisseurs et permettre aux plus productifs et innovants de réussir et attendre leurs travail, attendant ainsi l’activité économique et la création d'emplois. Pour que cela devienne possible, l'État doit assouplir les strictes limitations actuelles à l’accès aux marchés et réduire ses interventions directes dans les marchés, afin de minimiser les distorsions et la concurrence déloyale. Il est important de préciser, cependant, que l’ouverture de l’économie à une plus grande concurrence ne nécessite pas que l'État renonce à la propriété des entreprises publiques. Il y a certains sous- secteurs manufacturiers et de services dans lesquels l’Etat détient actuellement des entreprises publiques, telles que les hôtels, restaurants, terrains de golf et le secteur de l’immobilier, mais où il n'y a pas de justification claire de la présence de l'état. Au-delà de ces cas évidents, cependant, la recommandation n'est pas que les entreprises publiques doivent être privatisées. Ce qui est 106 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi important, est plutôt de veiller à ce que les entreprises publiques fonctionnent efficacement, et cet objectif peut être obtenu à travers l'adoption d'un solide cadre de gouvernance d'entreprise aligné avec les meilleures pratiques internationales. Il est également essentiel que les entreprises publiques ne reçoivent pas de traitement particulier ou des privilèges de l'État. Cela est nécessaire pour assurer des conditions de concurrence équitables entre tous les acteurs du marché, de sorte que les entreprises les plus performantes (quelles soient publiques ou privées) peuvent se développer et créer des emplois. Un nouveau économique modèle continuera à nécessiter un rôle actif et crucial de l’Etat. En conclusion, il faut souligner encore une fois que la discussion dans ce chapitre ne porte pas sur ‘la dérégulation’ ou sur ‘la réduction’ du rôle de l’Etat— ce rôle a cependant, besoin de changer afin de soutenir et non entraver le secteur privé. La vaste documentation sur les échecs des marchés montre que l’Etat a un rôle critique à jouer pour permettre le fonctionnement des marchés et encourager un secteur privé compétitif. Le défi est donc de passer d’un Etat paternaliste — qui cherche à tout contrôler et encourage l’inefficacité et qui a produit le copinage et les privilèges pour les élites—vers un système où l’Etat cible l’uniformisation des règles du jeu, permettant l’initiative privée (dans tout le pays, et non juste sur le littoral) et ouvrant les opportunités économiques à tous les tunisiens. la révolution inachevée 107 Notes 1 Ce chapitre s'appuie sur le Rapport de base de la RPD PR France Telecom pour les appels vers la Tunisie et pousser sur « L'ouverture des marchés à de nouvelles possibilités les prix vers le bas. Le régulateur est inquiet du potentiel d'investissement en Tunisie » (Banque mondiale 2014) qui de dominance de France Telecom malgré le fait que explique en détail le fonctionnement des marchés tunisiens Tunisie Telecom ait des câbles sous-marins avec de grands et examine le caractère restrictif de la réglementation concurrents de Orange dans le marché de gros (tel que gouvernementale et les politiques qui influent sur les Telecom Italia), et craint qu’une modification des licences marchés de produits, y compris l'efficacité de la concurrence existantes pourrait être reçue avec une opposition et même et le cadre de la concurrence. Le rapport de base comprend un défi légal de la part des autres opérateurs. D’un autre également une analyse de l'impact de l'augmentation de côté, ceci augmenterait effectivement la concurrence sur le la rivalité de marché sur la productivité et un aperçu des marché. (Banque Mondiale, 2012e; Gelvanovska et al. 2014). restrictions sur le marché dans certains secteurs (tourisme, agriculture, transport et télécommunications) qui nécessitent 7 L’introduction des licences Mobile Virtual Network Operator une attention particulière des décideurs. (MVNO) and Virtual Network Operator (VNO) pourrait augmenter les pressions concurrentielles dans le secteur, 2 Les politiques de concurrence sont définies comme surtout si ces services ne sont pas limités uniquement à l'ensemble des politiques et des lois assurant que la la communication par voix, mais soient étendus aussi aux concurrence sur le marché n'est pas limitée d'une manière données 3G et permettront aux opérateurs de fournir des qui réduise le bien-être économique. En termes pratiques, solutions VoIP. la politique de la concurrence implique généralement l'application de la législation anti-trust (généralement des 8 De même, l’élimination des restrictions existantes sur les règles contre la conduite et les fusions d'entreprise anti- marchés clés d’intrants, notamment le gaz et l’électricité, concurrentielles ) et la promotion de mesures pour permettre serait bénéfique pour un grand nombre de secteurs de l'entrée et la rivalité des entreprises, grâce à l'élimination l’économie, ainsi que pour les consommateurs. De même, de la réglementation restrictive des marchés de produits l’entrée dans la plupart des segments des services de et l'ouverture des marchés à la concurrence, généralement transports et l’accès à l’infrastructure clé de transport appelés les programmes de défense de la concurrence demeure limitée, résultant en des couts élevés pour les (Motta, 2004) . consommateurs et les entreprises. 3 En fait, tel que discuté dans le Chapitre Un, alors que la 9 UHD (Carrefour), Monoprix (Géant) et Magasin Général. De croissance réelle du PIB depuis les années 1990 était la plus, il y avait près de 232,000 micro-entreprises en 2010. seconde plus haute dans la région MENA, elle est demeurée 10 Boughzala, M. (2013), Background note pour le RPD : “Le bien en-deçà des taux de croissance observés dans les commerce en détail en Tunisie”, Mimeo, Avril, 2013. autres pays à revenu moyen pendant la même période – et à la différence de beaucoup de ses pairs la Tunisie n’a pas 11 Loi No. 69/2009, Août 12, 2009. vécu un décollage pendant les deux dernières décennies. 12 Une demande doit être soumise au Ministère du Commerce 4 Afin d’identifier les marchés où la concurrence est limitée qui ensuite transmet le dossier au Ministère de l‘Intérieur, et la réglementation anticoncurrentielle, l’analyse a utilisé Ministère de l’Equipment, Habitat et Planning, Ministère le Questionnaire sur les Indicateurs de la Réglementation de l’Environnement, Ministère des Affaires Sociales et développé pour l’Indicateur de réglementation des marchés le Ministère de l’Agriculture. L’autorisation est émise de produits (PMR) de l’OCDE. Le PMR mesure le degré uniquement si tous ces Ministères approuvent la demande. selon lequel les politiques servent à promouvoir ou inhiber Le gouvernement a récemment adopté le Décret 664/2013 la concurrence dans différents domaines des marchés de (sur les critères et procédures pour donner des autorisations produits. Chacun des domaines traités dans le questionnaire pour ouvrir de grandes surfaces/hypermarchés) afin PMR fait la lumière sur des restrictions spécifiques du cadre de clarifier les critères techniques et d’urbanisme pour réglementaire tunisien à l’échelle globale de l’économie et l’obtention de cette autorisation ; cependant ce décret ne dans des secteurs clés de l’économie. Les détails sont inclus fournit pas d’améliorations significatives en comparaison dans l’Annexe 2.1. avec les anciennes pratiques. 5 Ooredoo (anciennement Tunisiana) a obtenu une licence 13 Les règles concernant l’accès et l’opération de commerce de téléphonie mobile en 2002. Depuis elle a fortifié sa de détail (surtout les grandes surfaces) se sont avérées position dominante dans le marché de la téléphonie mobile augmenter les couts des activités dans le secteur du à travers la création d’offres dites de clubs (ex. les offres commerce dans plusieurs pays EU (y compris en Europe “amigos” ou “familia” en 2013) réduisant considérablement de l’Est). Les autorités de concurrence dans certains pays les incitations pour les membres de changer pour un réseau considèrent que les règlementations sur le commerce rendent concurrent, alors que Orange et Tunisie Telecom sont en difficile l’accès au marché pour les nouvelles entreprises et concurrence pour la demande résiduelle à travers des offres l’expansion pour les entreprises existantes, et causent des parfois agressives, souvent limitées dans le temps (telles effets négatifs et des distorsions. Voir European Competition que “Allo Lelkoll” en 2013) conçus pour attirer un nombre Network (ECN) Subgroup Food (2012), ECN Activités dans le minimum rentable de clients pour commencer. Secteur Alimentaire - Rapport sur l’application de la loi sur la concurrence et marché monitoring activités by Européenne 6 Orange a récemment proposé de permettre à tous les concurrence autorités dans le Secteur Alimentaire, Mai 2012, opérateurs de recevoir les services de communications page 11. Voir aussi Irish Competition Authority (2009), Retail internationales pour les clients d’accès. Orange a une related import and distribution study, pages ix et 35. petite base d’accès et bénéficierait d’accéder à la base de leurs concurrents pour atterrir les appels. Deuxièmement 14 Typiquement, l’autoréglementation des services ils peuvent bénéficier du pouvoir de marché global de professionnels inclut des mesures qui affectent l’entrée dans 108 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi la profession respective, le comportement des membres multiples accords de services aériens bilatéraux avec des de la profession, y compris le contrôle des prix, et l’octroi pays Européens, Arabes et Africains, mais la petite taille et de droits exclusifs de pratiquer certaines activités. La la nature restrictive des accords limitent leurs connectivites. Commission européenne a analysé les marchés dans lesquels les avocats, notaires, comptables, architectes, ingénieurs 22 Les types courants d'aide comprennent : le report du et pharmaciens opèrent dans l’Union européenne et a paiement des impôts, les subventions, les garanties, les identifié cinq catégories principales de législation nationale transferts ou locations, libre ou en dessous du prix de ou d’autoréglementation qui restreignent la concurrence: Marché, un accès privilégié à l’infrastructure, gratuitement fixation des prix; prix recommandés; restrictions sur la ou à un prix subventionné, les transferts directs ou de publicité; restrictions à l’entrée et droits réservés /exclusivité subventions, exonérations fiscales, des injections de capital, sur la fourniture de services; et les règlementations qui de participation et des prêts bonifiés. gouvernent la structure d’entreprise et les pratiques 23 La justification de la poursuite de la neutralité concurrentielle multidisciplinaires. Source : Commission Européenne (2004). est à la fois politique et économique. La principale raison 15 Tel que mentionné dans le Chapitre Un, les IDE au Maroc économique est l’amélioration de l'efficacité d'allocation et en Egypte par exemple font face à beaucoup moins de dans l’économie, où les agents économiques (publics ou restrictions, y compris dans les secteurs de l’agriculture privés) subissent un désavantage indu, les biens et services et des services. Au Maroc, le commerce est ouvert aux n’étant pas produits par ceux qui peuvent le faire le plus étrangers, et des concessions de 99 ans sont permises ce efficacement possible. Le raisonnement politique est lié au qui contribue à attirer les IDE dans l’agriculture. Le Maroc rôle des gouvernements en tant que régulateurs universels permet beaucoup plus de flexibilité aux IDE dans le secteur veillant à ce que les acteurs économiques « jouent franc jeu des services, à travers des accords bilatéraux basés sur le » (là où les actifs des sociétés d'État sont concernés et vis- principe de réciprocité pour plusieurs services professionnels. à-vis des autres participants du marché), tout en veillant à ce que les obligations de service public sont satisfaites. Voir 16 Les pays les plus performants sont les pays OCDE (sur OCDE (2012) 34 membres) où la présence des entreprises étatiques est limitée aux services publics essentiels, que l’on trouve 24 Basé sur des données reçues du Cabinet du Premier principalement dans les secteurs de l’infrastructure Ministre de Tunisie (2012). (électricité, gaz, eau). 25 Les contrôles des prix ne sont pas rares dans les secteurs 17 Ces entreprises publiques gèrent les services et qui sont typiquement des fournisseurs de services d’intérêt infrastructures de transport, font l’extraction, raffinent public, tels que la santé, l’éducation, le transport public, et distribuent le pétrole et le gaz et produisent ainsi que mais en Tunisie le contrôle des prix va bien au-delà de ces distribuent l’électricité. secteurs. 18 L’Entreprise Etatique STEG (Société Tunisienne de 26 Une politique de concurrence et une loi-cadre efficaces l’Electricité et du Gaz) a le monopole pour la fourniture incluent quatre éléments clés : (i) s'applique à toutes et la distribution du gaz et de l‘électricité. Deux sociétés les entreprises, qu'elles soient privées ou publiques ; (STEG, qui détient 80 pourcent des parts de marché et CPC, (ii) se concentre sur la lutte contre les pratiques anti- une société privée, qui détient 20 pourcent des parts de concurrentielles les plus nocives (telles que les cartels); marché) sont les producteurs d’électricité, mais la STEG a (iii) se concentre sur la dissuasion des comportements le monopole pour la distribution et la fourniture d’électricité. anti-concurrentiels et non sur le contrôle des prix et de la Dans le secteur du gaz, la production est assurée par cinq réglementation; et (v) est transparent et prévisible. Une sociétés (British Gas; ENI; PETROFAC; PERENCO; et Winstar), loi sur la concurrence bien conçue fait partie du cadre de alors que les importations sont effectuées par une Société la politique de concurrence. Néanmoins, la simple présence Etatique (ETAP). Les entreprises publiques Société du Réseau d'une loi sur la concurrence n'est pas toujours suffisante Ferroviaire Rapide de Tunis (SRFRT), Société des Travaux pour créer des conditions de concurrence équitables pour les Ferroviaires (STF) et Société Nationale des Chemins de Fer investisseurs. Ce qui importe le plus, c'est de l’appliquer de Tunisiens (SNCFT) sont les plus importantes entreprises dans manière effective et veiller à ce que les marchés permettent le secteur des transports ferroviaires. aux entreprises de soutenir la concurrence et améliorer la croissance de la productivité. 19 La Chine a adopté une approche double et graduelle pour la réforme des entreprises d’Etat basée sur la réduction des 27 Par exemple, une récente analyse comparative barrières à l’entrée des sociétés privées et l’encouragement internationale basée sur la base de données de l'OCDE sur les entreprises d’Etat viables à s’associer avec des la réglementation des marchés de produits (2008), a prouvé partenaires étrangers. que seuls 7 pays (Chine, Russie, Israël, Corée, Islande, Canada et Grèce) sur les 32 pays analysés appliquent un 20 Tunisair, est une entreprises publique créée sur la base certain type de contrôle de prix sur certains produits de base d’un accord entre le gouvernement tunisien et Air France en tels que le lait et le pain. 1948, qui contrôle 63 pourcent de ce marché fermé. Tunisair est propriété à 75 pourcent du Gouvernement tunisien, 20 28 Dans le cas des monopoles naturels, l'application de la pourcent sont cotés en bourse, et 5 pourcent sont propriété loi sur la concurrence devrait garantir un accès ouvert et d’Air France. équitable aux fournisseurs de services. En règle générale, les monopoles naturels, tels que ceux régissant la distribution 21 En plus d’un accord Open Sky avec l’UU, il y a un potentiel de gaz ou d’électricité, donnent lieu à un conflit potentiel pour encourager des conditions plus concurrentielles avec entre l'efficacité des coûts et de la concurrence, avec une des accords bilatéraux concernant les services aériens (BASA) augmentation du nombre de concurrents menant à une avec les pays de l’Europe de l’East, la Russie, l’Afrique Sub- perte d’économies d’échelle. Dans ces segments, l'entrée de Saharienne, ou l’Amérique du Nord, où la demande pour les nouveaux fournisseurs nécessite beaucoup d'investissement services de transport est en croissance, surtout concernant et l’introduction de la concurrence n'est pas toujours la l’augmentation des fréquences et des destinations multiples solution la plus efficace pour assurer un service universel et pour les compagnies aériennes. La Tunisie a signé de de haute qualité. Par exemple, l’UE a développé le concept la révolution inachevée 109 de la séparation juridique entre la disposition du réseau et les est définie comme la production totale de toutes les services commerciaux d’utilisation du réseau, introduisant entreprises d'un secteur. Elle comprend les ventes et les ainsi la concurrence dans le secteur. variations de stocks. La valeur ajoutée est la production et la consommation intermédiaire. Tant la valeur ajoutée que la 29 Voir les détails dans le Rapport de base de la RPD sur « production sont évaluées au prix de base (par opposition au l’Ouverture des Marchés aux Nouveaux Investissements et prix à la production). Opportunités d’Emploi en Tunisie », Banque Mondiale (2014). 34 Il est important de clarifier la relation entre les concepts de 30 Les groupes d’intérêt (ou parties intéressées) dans chaque marges prix-coût (MPC) au niveau des entreprises par rapport pays feront du lobbying avec les autorités compétentes à la mesure de la productivité totale des facteurs (PTF) pour l’imposition de mesures réglementaires servant leur au niveau agrégé de l’économie. Au niveau de l’ensemble intérêts, mais au détriment de la société dans son ensemble, de l'économie les marges dépassant le coût des intrants en particulier les consommateurs. reflètent la productivité (ou l’efficacité) de l’économie, ce qui correspond bien à la mesure de la PTF présentée dans 31 Comme discuté plus haut, les gouvernements offrent une le Chapitre Un. Au niveau des entreprises, cependant, des variété de subventions et d’aide directe aux entreprises dans marges plus élevées pourraient refléter l’amélioration de la l’économie, qui peuvent entraîner des distorsions importantes croissance de la productivité (par une plus grande efficacité sur la dynamique de la concurrence sur le marché. Les et innovation) ou elles pourraient plutôt être le résultat bénéficiaires qui reçoivent une aide de l'Etat jouissent d'un d’un pouvoir de marché (et donc d’extraction de rentes, avantage comparatif par rapport à leurs concurrents, qui au détriment du reste de l’économie). Dans l'analyse de n’est pas nécessairement associé à leur efficacité. Cette la concurrence au niveau de l'entreprise présenté dans ce situation est susceptible de fausser la concurrence en créant chapitre, nous cherchons à mettre l'accent sur l’extraction des barrières à l’entrée pour les concurrents, en augmentant des rentes. Pour ce faire, nous supposons que l’avantage- l’asymétrie entre les concurrents, en facilitant les pratiques coût acquis par l’innovation et l’efficacité peut générer d’exclusion anticoncurrentielles, et en affectant les flux des marges plus élevées quand on regarde des valeurs commerciaux. Les effets nocifs potentiels sur la concurrence contemporaines, mais ces marges seraient diminuées au comprennent: (i) l'appui à la production inefficace dans cours du temps dans un marché concurrentiel. Ainsi, dans les entreprises ou secteurs spécifiques, ce qui réduit notre analyse, nous lions les MPC de l'année précédente l'efficacité des structures de marché et de l'économie dans (désignée par « [t-1] ») et les variations de la croissance de son ensemble, par exemple, en sauvant des entreprises en la productivité contemporaine. difficulté financière, en soutenant les entreprises utilisant des technologies dépassées ou en aidant des industries 35 Il faut noter que ceci est un calcul simple qui ne prend pas qui ont déjà une capacité excédentaire; (ii) la distorsion en compte les effets secondaires potentiels des rigidités du des incitations dynamiques influençant potentiellement les marché du travail. décisions d’investissement des concurrents des bénéficiaires et éloignerait les investisseurs ou en réduisant les incitations 36 Il convient de souligner qu'une amélioration de 5 pourcent pour les bénéficiaires à devenir plus efficaces et (iii) une de la MPC peut facilement être atteinte en Tunisie. Au cours augmentation de la puissance de marché de l'entreprise des dix dernières années, les changements annuels dans la dominante à travers la création de barrières à l'entrée de MPC d'environ 5 points de pourcentage ont été enregistrés, concurrents. Notons cependant que tous les types d’aides par exemple, dans la fabrication d'appareils domestiques (en d’État ne sont pas contre-productifs. Les aides d'État et 2009), dans la fabrication de machines-outils (2008), dans les subventions peuvent également être fournies pour la coulée des métaux (2008, 2009) et plusieurs industries remédier aux défaillances du marché, par exemple, aide textiles (2007, 2008). La variation absolue moyenne en PCM par an se situe autour de 3 points de pourcentage. à soutenir l’éducation et favoriser l'innovation et protéger l'environnement – l’aide horizontale qui ne porte pas atteinte 37 La relation entre la concurrence et la productivité n'est pas à la concurrence pourrait inclure la R&D et l’innovation, nécessairement la même pour tous les niveaux d'intensité des mesures de capital-risque, la formation, les énergies de concurrence. Des études (Aghion et al. 2005, 2008) ont renouvelables et la lutte contre le changement climatique montré que lorsque la concurrence est extrêmement intense et d’autres mesures de protection de l’environnement qui (de sorte que les marges des sociétés sur leurs ventes sont disponibles pour toutes les entreprises sur les marchés. sont presque nulles), une concurrence accrue ne donne Source : Friederiszick, Roller, et Verouden (2007). pas d'incitations aux entreprises ayant une technologie dépassée pour innover plus, parfois même le contraire. Cet 32 Le site web du Ministère des Finances énumère tous effet modérateur est connu comme «l’effet de Schumpeter». les instruments légaux/réglementaires qui accordent un En permettant une relation non-linéaire entre le pouvoir de avantage fiscal ou financier. Voir http://www.portail.finances. marché et la croissance de la productivité, nous évaluons gov.tn/accueil_fr.php. si les marchés en Tunisie présentent une telle absence 33 La MPC est identifié comme étant la différence entre le de pouvoir de marché et si la pression concurrentielle prix et le cout marginal en tant que proportion du prix. Il supplémentaire pourrait nuire à la croissance de la peut servir à calculer l’index de Lerner et une mesure du productivité dans ces secteurs. pouvoir des marchés. Nous utilisons des statistiques à 38 Dans un sens, c'est l'absence de pression concurrentielle l’échelle des secteurs (à des niveaux à 2 ou 3 chiffres) et qui a poussé les gestionnaires des entreprises publiques calculons la différence entre la valeur ajoutée et les couts à préférer l’extraction de rentes plutôt que d'améliorer la de la main d’œuvre en tant que proportion de la production, productivité. faisant ainsi une approximation les couts marginaux avec les couts moyens. Ceci suit la méthodologie utilisée par 39 L'impact positif d’une plus grande rivalité entre les Aghion et Fedderke (2008), par exemple. Dans une autre entreprises, sur la productivité est également observable spécification et dans le but de vérifier la robustesse, nous dans les secteurs tunisiens dans lesquels il n'y a pas utilisons la différence entre la valeur ajoutée et les salaires d’entreprises publiques. Puisque les changements de la part en proportion du chiffre d'affaires (ventes). La production des entreprises publiques sur le marché peuvent fausser 110 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi la mesure de la croissance de la productivité, les estimations 40 En outre, comme on le verra dans le Chapitre Quatre, il spécifiques ont été menées dans des secteurs moins soumis est nécessaire de poursuivre une politique de simplification à la présence de l’Etat. Les résultats sont cohérents avec administrative et règlementaire très ambitieuse pour réduire l'importance de l'effet de la concurrence sur la croissance de la la marge d'appréciation dans l'application des règlements. productivité. L'impact positif de la pression concurrentielle sur la Comme on le verra dans le Chapitre Six, le secteur bancaire est productivité est clairement visible aussi dans un sous-ensemble un autre domaine qui se caractérise par la concurrence limitée, de secteurs tunisiens, dans lesquels seules les entreprises du notamment en raison de la faiblesse de la gouvernance dans la secteur privé opèrent et aucune activité d’entreprises d'État gestion des banques publiques. n’a pu être identifiée. Références Acemoglu, D., P. Antras, and E. Helpman. 2007. “Contracts Buccirossi P., L. Ciari, T. Duso, G. Spagnolo, and C. Vitale. 2009. and Technology Adoption,” American Economic Review 97(3): “Competition Policy and Productivity Growth: An Empirical 916-943. 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World Bank. 2012a. “Regional Economic Integration in the Middle East and North Africa: Going Beyond Trade Reforms.” Washington, DC: World Bank. 112 l’ouverture des marchés : création d’un environnement propice à l’investissement et la création d’emploi la révolution inachevée 113 50 50 114 copinage, performance économique et inégalité des chances Copinage, performance économique et inégalité des chances 03 Les barrières à l’accès au marché et les procédures administratives et bureaucratiques créent des rentes qui sont accaparées par les cercles proches du pouvoir la révolution inachevée 115 Copinage, performance économique 03 et inégalité des chances L e présent chapitre montre que l’environnement réglementaire en Tunisie offre un terrain fertile au copinage et d’autres pratiques anti-concurrentielles qui entravent la croissance du secteur privé et la création d’emplois dans le pays. Le Premier Chapitre a abordé la performance économique de la Tunisie caractérisée par un faible changement structurel et par la paralysie du secteur privé. Le Chapitre Deux a montré l’existence d’obstacles à la concurrence et un réseau de règlements et de restrictions introduits depuis l’indépendance, à travers des politiques économiques interventionnistes. Ce chapitre démontre que les nombreux obstacles à la concurrence dans l’économie tunisienne permettent aux entreprises peu performantes de continuer à exister malgré une faible productivité et font place libre au copinage et à l’extraction de rente. L’économie tunisienne croule, en effet, sous le poids d’un système de rentes et de privilèges qui prospère. Les inefficacités et les distorsions qui résultent d’un tel système pervers continuent à entraver le développement d’un environnement économique dynamique et à causer la stagnation économique de la Tunisie tel que décrit dans le Premier Chapitre. Ce chapitre explore les principaux canaux utilisés pour la recherche de rente et pour la prédation en vue d’expliquer, dans la mesure du possible, l’impact sur le développement du secteur privé. L’analyse se penche sur les instruments utilisés pour s’accaparer des privilèges et comment de tels instruments ont bénéficié aux entreprises dont la propriété revient aux cercles proches du pouvoir. Les résultats mettent en exergue également la corruption qui a causé une prolifération de réglementations stériles et a, par conséquent, donné lieu à une intervention préjudiciable de l’Etat freinant le développement des entreprises tunisiennes. La prévalence du copinage est antérieure à Ben Ali et continue à entraver le développement de l’économie tunisienne après son départ. Tout au long de la décennie écoulée, la corruption et les abus étaient associés aux activités entreprises par les amis du régime et les membres de la famille de l’ancien président Ben Ali (Hibou 2006 et 2007). Néanmoins, il faut rappeler ici que le clan Ben Ali est entré assez récemment sur la scène économique tunisienne alors que le système des privilèges caractérise l’environnement économique depuis le début de la période qui a suivi l’indépendance.1 Il serait également erroné de penser qu’après le départ du président Ben Ali et de sa famille le copinage et la recherche de rentes ont disparu du pays. La prédation a probablement disparu avec la sortie de Ben Ali et de sa famille mais la majeure partie du système des rentes et des privilèges demeure intacte. Les nombreuses restrictions d’accès au marché et l’application discrétionnaire d’un fardeau réglementaire excessif persistent en Tunisie, donnant l’occasion aux entreprises d’obtenir des rentes à travers le copinage et la corruption. En effet, selon les conclusions de ce chapitre, il y a lieu de croire que ces problèmes ont même empiré depuis la révolution. En somme, Ben Ali a été renversé mais la corruption et les abus réglementaires continuent à constituer des défis critiques au développement. Ce chapitre montre également que le système économique favorable aux rentes n’est non seulement inefficace mais aussi très inéquitable. L’inégalité des chances caractérise la Tunisie d’aujourd’hui parce que l’infrastructure institutionnelle actuelle crée une culture “d’inclus-exclus”. Au départ, les politiques interventionnistes ont été adoptées pour renforcer le développement du pays mais en pratique elles sont utilisées pour l’extraction de rentes et des privilèges au profit de ceux qui sont proches du pouvoir politique ce qui donne lieu à des inégalités et à l’exclusion de ceux qui n’ont pas de connivences politiques importantes. 116 copinage, performance économique et inégalité des chances 3.1 / Copinage, corruption et prédation en Tunisie L a corruption coûte à la Tunisie près de deux pourcent de son PIB par an. Global Financial Integrity a estimé les montants d’argent illégal que la Tunisie perd à cause de la corruption, de la subornation, des pots-de-vin, de la falsification des prix et des activités criminelles entre 2000 et 2008 à une moyenne de deux pourcent du PIB par an (approximativement 1.2 milliard de US$ par an). Avec une population de près de 10.6 millions, cela revient à dire qu’environ 110 $ par personne et par an sont perdus dans les transactions illicites (Global Financial Integrity 2011). Par ailleurs, suite à la révolution tunisienne, les avoirs du clan Ben Ali ont été confisqués. Le processus de confiscation a concerné 114 personnes dont Ben Ali lui-même, les membres de sa famille et de sa belle-famille pour la période allant de 1987 jusqu’à la révolution. La commission de la confiscation a estimé la valeur totale combinée des biens confisqués à environ 13 milliards US$ ou à plus du quart du PIB tunisien en 2011 (ce qui correspondrait à un transfert unique d’environ 1230 US$ par personne en Tunisie, environ un quart du revenu moyen).2 En fait, le copinage et la corruption coûtent à la Tunisie beaucoup plus cher encore, parce qu’ils entravent la création d’emplois et les investissements et contribuent à l’exclusion sociale. Bien avant le Printemps Arabe, la publication de la Banque Mondiale pour 2009 “Des privilèges à la concurrence : renforcer la croissance par le développement du secteur privé dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord”, a soutenu que l’une des principales raisons qui expliquerait le retard enregistré par le secteur privé est l’incertitude politique et l’application sélective des règles au profit des intrus proches du pouvoir politique. Encadré 3.1 : Définitions de “copinage”, “corruption” et “prédation” Dans ce chapitre, nous utilisons fréquemment ces trois termes et il serait donc utile de les définir à l’avance. Le copinage est la partialité envers des amis de longue date notamment en les nommant à des postes de responsabilité indépendamment de leurs qualifications ou en leur accordant des privilèges pour accéder à des opportunités économiques et/ou à un traitement de faveur lorsqu’il s’agit de traiter avec les procédures administratives. Dans la sphère économique, le « capitalisme de copinage » est un terme qui décrit une économie dans laquelle la réussite dans les affaires dépend des relations étroites entre les hommes et femmes d’affaires et les responsables gouvernementaux. Cela peut se traduire par le favoritisme dans l’obtention d’autorisations légales, les subventions gouvernementales et les allégements fiscaux ou d’autres formes d’interventionnisme étatique. La corruption est décrite comme étant l’utilisation illégitime du pouvoir public pour servir des intérêts privés. La corruption peut couvrir plusieurs activités dont la subornation et le détournement de fonds. La corruption gouvernementale ou politique a lieu lorsqu’un titulaire d’une fonction publique ou un employé gouvernemental agit en sa capacité officielle pour obtenir des gains personnels. La prédation prend plusieurs formes au-delà du simple vol. Dans plusieurs économies, les activités mafieuses sont omniprésentes. Les criminels extorquent l’argent et en perçoivent pour assurer la protection, assurent le recouvrement des dettes et le règlement des problèmes. Il existe une stratégie très répandue selon laquelle des intrus politiques possèdent des entreprises que les sociétés privées sont tenues de consulter et de rémunérer si elles veulent obtenir des marchés. Une autre stratégie consiste à forcer les entrepreneurs à établir des partenariats avec les criminels ou à vendre leurs entreprises aux criminels pour éviter des représailles. L’extorsion et d’autres formes de prédation réduisent la rentabilité des entreprises privées et faussent les incitations à l’investissement. la révolution inachevée 117 Les résultats d’une enquête qualitative (conduite par la Banque Mondiale en 2012 et faisant partie du présent rapport ; Chekir et Menard, 2013), suggèrent que la prédation, le copinage et les distorsions ont joué un rôle significatif dans la détermination du comportement des entreprises en Tunisie. Comme déjà discuté dans ce chapitre, les entreprises ont développé une panoplie de mécanismes d’évitement allant de la technique de passer en dessous du radar à celle de travailler exclusivement avec des partenaires étrangers et d’accepter de payer des taxes sous forme de subventions au profit des activités sociales des acolytes du régime. Ainsi, les distorsions ont considérablement influencé le comportement du secteur privé tunisien, en éloignant le choix des secteurs (et la préférence pour l’exportation) des secteurs dans lesquels la Tunisie possède un avantage comparatif, entravant, par conséquent, la croissance des entreprises productives et faisant obstacle au processus de destruction créatrice qui permet d’accroître la productivité. Il est difficile de démontrer clairement l’impact du copinage et de la prédation sur la croissance et les caractéristiques des entreprises parce que l’accès aux données pertinentes n’est pas aisé. Dans ce chapitre, nous axons notre analyse sur les entreprises confisquées au président Ben Ali et sa famille pour examiner l’étendue et l’impact de l’extraction de rente sur l’économie et nous cherchons par la suite à en déduire l’effet sur tout le secteur privé.3 Il est donc important de rappeler que notre analyse se limite au sommet de l’iceberg parce qu’en fait le copinage est un phénomène répandu en Tunisie (et à plusieurs parties de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord et plusieurs autres pays; Banque Mondiale 2009; Malik et Awadallah, 2012; voir aussi le magazine The Economist, article : « The New Age Of Crony Capitalism » du 15 mars 2014)4 et une grande partie du secteur privé a bénéficié de cette pratique à des degrés différents. L’étendue du problème et son impact toxique sur l’environnement économique sont donc beaucoup plus grands et pourraient concerner davantage de secteurs autres que ceux identifiés dans notre analyse quantitative. Quelle était la taille des intérêts de la famille Ben Ali et étaient-ils répartis de manière égale à travers l’économie ? Le copinage et la corruption prospèrent dans les secteurs caractérisés par une implication significative de l’Etat et offrant des espaces importants pour les décisions administratives discrétionnaires. Le rapport de la commission anti-corruption a fait ressortir les domaines les plus exposés sous le régime de Ben Ali. Il s’agit du secteur immobilier, des terrains agricoles, des entreprises publiques, des marchés publics et l’attribution de concessions, des grands projets d’investissement public, des privatisations, des TIC, du secteur financier et bancaire, des douanes, de la fiscalité, et de la justice (Commission nationale d'enquête sur la corruption et les malversations). L’Organisation de Coopération et Développent Economique (OCDE) a effectué une évaluation des risques de corruption en Tunisie et a trouvé des problèmes similaires (OCDE, 2012). Les résultats de notre analyse quantitative et qualitative présentés dans ce chapitre confirment globalement ce diagnostic. Les entreprises confisquées sont très importantes d’un point de vue économique global et semblent représenter une part énorme des bénéfices nets dans le pays.5 Des données détaillées sur les caractéristiques techniques des entreprises confisquées auprès de la famille élargie de Ben Ali sont présentées en annexe 3.2. Bien qu’elles ne représentent que moins de un pourcent de tous les emplois, les entreprises confisquées pèsent 3.2 pourcent de la production du secteur privé et un large 21.3 pourcent de tous les bénéfices nets du secteur privé tunisien (équivalent à 233 million US$ en 2010, correspondant à 0,5 pourcent de PIB ; figure 3.1).6 Qu’un groupe si limité de 114 entrepreneurs puisse s’approprier une aussi grande part de la création de richesse du pays prouve à quel point la corruption est synonyme d’exclusion sociale. De plus, étant donné que nous n’identifions que les entreprises ayant un lien direct avec la famille Ben Ali et non celles qui entretiennent des connexions bien établies, ce chiffre est probablement mieux interprété en tant que seuil inférieur de l’importance des connivences politiques. 118 copinage, performance économique et inégalité des chances Les résultats des régressions économétriques confirment la performance spectaculaire en moyenne des entreprises confisquées. Les entreprises confisquées sont beaucoup plus grandes que leurs pairs en termes de nombre de personnes employées et surtout en résultats et profits ; elles détiennent également plus de parts de marché (en moyenne 6.2 pourcent de plus que les autres entreprises - annexe 3.2). Les résultats, bénéfices et parts de marché élevés sont, en grande partie, associés à la grande taille de ces entreprises. Toutefois, même en contrôlant l’estimation par rapport aux facteurs taille et âge, les entreprises confisquées produisent encore 346 fois plus de résultats que les autres. Il est vrai qu’il s’agit de résultats bruts qui reflètent éventuellement des erreurs de mesure et que nous sommes en train d’utiliser la totalité des entreprises, mais ces résultats soulignent, en moyenne, la performance tout à fait supérieure Figure 3.1 : Importance économique des entreprises bien introduites des entreprises confisquées. En Tunisie, le copinage et la corruption vont de (Part de Ben Ali du Total) pair avec les restrictions à l’accès au marché et avec les lourdes contraintes réglementaires. Les 25% 21,3% résultats de notre enquête qualitative montrent 20% que le copinage et la prédation existent surtout dans: (a) les secteurs très réglementés dans 15% lesquels les acolytes pouvaient abuser de leur influence et de leur accès privilégié aux sphères de 10% prise de décision; (b) les entreprises qui se basent sur l’importation (par exemple l’habillement, 5% 3,2% l’importation des automobiles, les équipements 0,8% électroniques); et (c) l’acquisition des actifs de 0% Emplois Rendement Bénéfices nets l’Etat à des conditions hors marché ou avec des subventions (par exemple, des terrains pour des Source : Calculs des auteurs projets immobiliers). Les preuves quantitatives présentées dans ce chapitre corroborent encore ces résultats. En fait, les entreprises confisquées Figure 3.2 : Copinage et réglementation en 2010 à la famille Ben Ali se concentraient dans les secteurs qui offraient des marges de bénéfice Prévalence des restrictions règlementaires assez élevées et où les relations étroites avec à travers les secteurs des homologues gouvernementaux constituaient Secteurs avec des sociétés de BA un facteur déterminant de rentabilité notamment Secteurs sans sociétés de BA dans le secteur immobilier et le secteur des services 42,9% (59 entreprises), les services du personnel (20), 39,3% transport (16), commerce de gros (15), commerce des automobiles (11), construction/bâtiment (9), 24,3% les services financiers (8), l’agroalimentaire (7) les hôtels et restaurants (7), et 5 entreprises dans les 14,1% activités médiatiques (pour plus de détails, voir annexe 3.2).7 Les entreprises confisquées étaient opéraient le Autorisation Restrictions sur les IDE plus souvent dans les secteurs qui sont lourdement réglementés. Les entreprises bien introduites sont plus susceptibles de fonctionner dans des secteurs soumis à des réglementations spécifiques. Près de Source : Calculs des auteurs 40 pourcent des entreprises de Ben Ali faisaient la révolution inachevée 119 partie des secteurs soumis à des autorisations et à des restrictions pour les investissements directs étrangers (IDE). Lorsqu’on examine les entreprises qui n’ont pas de lien avec Ben Ali, nous trouvons que l’exigence d’autorisation ne s’applique qu’à 24 pourcent de tous les secteurs dans lesquels les entreprises Ben Ali ne sont pas présentes alors que les restrictions IDE sont applicables à environ 14 pourcent de ces secteurs (figure 3.2).8 En fait, il existe une relation étroite et statistiquement significative entre l’existence de restrictions réglementaires et la présence des entreprises Ben Ali. Les secteurs strictement réglementés couvraient le transport aérien et le transport maritime (les licences pour le ferry Sfax-Tripoli et la compagnie aérienne Nouvelair-Karthago), le transport routier, les télécommunications (les licences pour les télécommunications mobiles y compris les autorisations 3G ; les autorisations pour les fournisseurs Internet), la pêche, les services bancaires, le commerce et la distribution, l’immobilier, les hôtels et la restauration, et ainsi de suite. De même, les entreprises confisquées étaient plus susceptibles que d’autres d’importer et étaient orientées de manière disproportionnée sur le marché local. Bien que 35 pourcent des entreprises bien introduites aient été des importateurs actifs et représentaient globalement 2.7 pourcent des importations non pétrolières de tout le secteur privé pour l’année 2009, elles n’en étaient sont pas pour autant beaucoup plus susceptibles d’exporter : seules 14 entreprises étaient exportatrices (moins de sept pourcent des entreprises confisquées) et 8 seulement parmi elles (quatre pourcent des entreprises confisquées) opèraieent dans le secteur offshore. Cela est pour le moins surprenant dans la mesure où les entreprises confisquées étaient de plus grande taille que les autres entreprises non-introduites et que les plus grandes entreprises sont souvent plus enclines à exporter (voir le Premier Chapitre). Les entreprises confisquées sont donc orientées, de manière disproportionnée vers le marché interne ce qui est en cohérence totale avec leur capacité à échapper aux droits de douanes et à extraire des rentes des autorisations d’accès au marché (voir ci-après). Effectivement, les performances supérieures des entreprises Ben Ali sont surtout marquées dans les secteurs très réglementés. Les résultats de l’analyse quantitative le confirment quand nous contrôlons la réglementation (à un niveau à 5 chiffres), nous remarquons que la performance des entreprises Ben Ali est surtout marquée dans les secteurs strictement réglementés. Les restrictions à l’accès dans ces secteurs se sont traduites par une plus grande part de marché, des prix plus élevés et plus d’argent pour les sociétés de la famille élargie de Ben Ali, qui avait un accès privilégié. Alors que toutes les entreprises dans les secteurs qui exigent une autorisation ont tendance à produire davantage (comme le démontre le coefficient positif et statistiquement significatif sur l’activité dans les secteurs qui nécessitent une autorisation), ceci est surtout vrai pour les entreprises confisquées qui produisent, en moyenne, 205 pourcent plus que les entreprises non-introduites dans de tels secteurs réglementés alors que leur part de marché dépasse celle des autres entreprises dans ces secteurs de quatre pourcent en moyenne (annexe 3.3). Il s’agit d’une différence très sensible lorsque l’on considère que la part de marché moyenne des entreprises non-introduites dans les secteurs soumis à autorisation est de 0.27 pourcent. L’écart en part de marché entre les entreprises introduites et celles non-introduites en rapport avec les restrictions aux IDE est encore plus grand et arrive à 6.4 points de pourcentage. Fait intéressant, ces parts de marché et gains de productivité associés au fait d’avoir des connexions, ne sont significatifs que dans les secteurs soumis à des exigences d’autorisation et des restrictions aux IDE. Dans les secteurs couverts par le Code d'incitation aux investissements mais non soumis à ces exigences réglementaires, les différences en part de marché sont statistiquement négligeables une fois que le facteur taille des entreprises bien introduites est prise en considération. Il semble donc que leur part de marché plus grande est attribuable aux restrictions d’accès au marché. Des écarts de performance encore plus marqués sont observables remarquables entre les entreprises confisquées et leurs concurrents lorsque l’on examine les différentliels de profitibalité. Les entreprises de Ben Ali sont particulièrement plus rentables que les autres entreprises dans les secteurs soumis à 120 copinage, performance économique et inégalité des chances autorisation et à des restrictions aux IDE ; ces réglementations semblaient donc être très bénéfiques aux entreprises Ben Ali. Mais dans les secteurs non soumis à de telles restrictions, les entreprises Ben Ali engrangeaient sensiblement moins de bénéfices que leurs concurrents, ce qui dément l’hypothèse selon laquelle les membres de la famille Ben Ali auraient été généralemant dotés de meilleures qualités entrepreneuriales. Une explication pour le fait que les entreprises Ben Ali soient plus performantes que les autres lorsque le secteur est réglementé mais moins performantes dans les secteurs non réglementés est que la mauvaise gestion de la part des entreprises Ben Ali peut être compensée par les réglementations qui ciblent leurs concurrents. Par ailleurs, il se pourrait que ces profits reflètent le fait que ces entreprises n’aient été pas réellement actives mais servaient plutôt d’écran pour blanchir de l’argent et pour d’autres activités socialement non productives. En résumé, les écarts de performance entre les entreprises Ben Ali et leurs pairs sont beaucoup plus grands dans les secteurs soumis à des exigences d’autorisation et à des restrictions aux IDE. Les résultats montrent que ces réglementations sont associées à la taille plus grande des entreprises Ben Ali, à leur production plus importante, à leur part de marché et à leur rentabilité. Ces résultats témoignent aussi de l’emprise réglementaire appliquée dans lesdits secteurs.En terme de dynamique d’entreprise, l’analyse économétrique confirme aussi que les entreprises confisquées ont connu une plus grande croissance au niveau de leurs parts de marché, de leur production et de leurs bénéfices (annexe 3.3), quoique les différentiels de production entre les entreprises Ben Ali et leurs concurrents ne soient significatifs qu’au seuil de 10 pourcent. Néanmoins, quand on neutralise l’emploi initial, les bénéfices et la production, les entreprises confisquées connaissent une croissance beaucoup plus rapide de la production, de l’emploi et des bénéfices à des seuils de signification conventionnels. Il semblerait aussi que les entreprises Ben Ali dans les secteurs plus strictement réglementés présentent une croissance particulièrement plus rapide que les autres entreprises (annexe 3.3). 3.2 / Comment extraire des rentes en Tunisie ? L’utiliser de la règlementation N otre analyse a constaté que les entreprises bien introduites en Tunisie reçoivent des rentes énormes et réalisent des bénéfices stupéfiants, en partie parce qu’elles opèrent dans des secteurs plus porteurs qui ont tendance à être strictement réglementés par l’État. Nous allons maintenant examiner en détails les sources de ces rentes. Comme déjà discuté, les entreprises confisquées semblent se positionner de manière stratégique dans des secteurs pour lesquels les relations avec des homologues gouvernementaux constituent un facteur déterminant de rentabilité (par exemple, dans l’immobilier, la rentabilité dépend en partie de la capacité de l’entrepreneur à obtenir un terrain), les rentes sont importantes et il y a des économies d’échelle qui font que les marchés soient assez étroits avec un nombre réduit d’acteurs centraux (comme dans l’industrie du transport). En effet, il est prouvé que l’abus des interventions réglementaires de l’Etat constitue la principale voie, en Tunisie, pour l’extraction des rentes par les cercles proches du pouvoir. Les résultats de l’enquête qualitative indiquent que les pratiques les plus courantes utilisées pour extraire des rentes incluent l’abus des exigences “d’autorisations” (à savoir, des restrictions à l’accès aux marchés), la protection des importations et les licences d’importation, l’application discrétionnaire des règlements, l’abus de l’accès aux biens publics et aux entreprises publiques (y compris les terres publiques et les prêts auprès des banques publiques), l’utilisation de l’administration fiscale et douanière pour empêcher la concurrence et extraire des rentes, l’emprise sur les marchés publics (voir aussi Hibou, 2007). Dans ce paragraphe nous explorons trois différentes explications des rentes et notamment l’emprise réglementaire à travers les restrictions imposées aux investissements étrangers et les exigences de permis et licences, la fraude fiscale et tarifaire et l’abus d’accès aux biens publics.9 la révolution inachevée 121 L’utilisation abusive des politiques et réglementation sectorielles comme écran de fumée pour extraire des rentes La politique de forte intervention de l’Etat dans l’économie poursuivie depuis l’Indépendance a donné naissance à des opportunités de rente et au copinage. L’interventionnisme de l’Etat après l’indépendance a été motivée par une politique “d’industrialisation” initialement à travers le développement d’entreprises étatiques. L’intervention de l’Etat s’est vite étendue à d’autres secteurs et notamment au tourisme. Les politiques adoptées (telles que les exonérations fiscales et douanières ou l’accès privilégié au financement) ont provoqué d’importantes distorsions dans l’économie tunisienne (encadré 3.2). La stratégie gouvernementale de développement a également entrainé la protection du marché local. Au début des années 70, le gouvernement a poursuivi une stratégie pour le développement du secteur privé Encadré 3.2 : Deux exemples de politiques interventionnistes qui ont abouti au copinage et à des distorsions: Secteur du tourisme et industrie automobile Le gouvernement a accordé de grands avantages à ceux qui entraient dans le secteur du tourisme. Il a ouvert des lignes de crédit qui couvraient jusqu’à 90 pourcent du capital nécessaire, à des taux préférentiels, a accordé des exonérations d’impôt sur l’investissement et un accès privilégié aux domaines de l’état. Cela a provoqué plusieurs distorsions. D’abord, le secteur a attiré un grand nombre d’entrepreneurs “non compétents” qui ont créé des taux élevés de défauts de paiement (voir aussi Chapitre Six). Cette politique a ensuite favorisé les comportements spéculatifs surtout en matière de propriété de terrains. Elle a aussi donné lieu à la corruption puisque l’accès aux terrains était crucial pour entrer dans le secteur. Cette même politique a également maintenu un grand nombre de travailleurs non-qualifiés dans des emplois précaires sur une base saisonnière. L’industrie automobile est un autre exemple édifiant. Pendant l’ère du premier ministre Nouira, les autorités tunisiennes ont imposé aux fabricants de n’importer en Tunisie que des automobiles sans batteries et sans pneus et ont accordé des droits exclusifs (sur le marché local) à deux fabricants tunisiens de batteries et à un grand fabricant de pneumatiques. Une telle décision a rapporté à ces entreprises des rentes extrêmement importantes. Figure 3.3 : Prévalence des changements juridiques tunisien afin de satisfaire la consommation (nouvelles réglementations) à travers les secteurs par présence des entreprises Ben Ali, 1994-2010 locale. Cela comprenait un appui et une forte protection des entrepreneurs qui ont monté des projets permettant de remplacer l’importation. Une telle protection s’est vite transformée en Secteurs avec des sociétés de BA Secteurs sans sociétés de BA opportunités de rentes. 2,0% L’analyse des changements apportés au Code 1,6% d'Incitation aux Investissements à travers le temps montre de manière plausible que les amendements faits l’ont été suite à des 0,8% manipulations de la part du clan Ben Ali. Pour commencer, il faut rappeler que la relation 0,4% entre le copinage et la réglementation existait déjà depuis 1993 lorsque l’actuel Code Nouvelles Exigences Nouvelles Restrictions d'Incitation aux Investissements a été adopté ; d’Autorisation sur les IDE la prévalence des restrictions aux IDE et des Source : Calculs des auteurs exigences d’obtention d’autorisation était bien plus forte pour les secteurs dans lesquels se 122 copinage, performance économique et inégalité des chances trouvaient les entreprises Ben Ali. En outre, la prolifération des réglementations à travers le temps est étroitement liée avec la présence des entreprises dont la propriété revenait au clan Ben Ali. La liste des activités soumises à un agrément ou une autorisation a évolué avec le temps parce qu’elle a été complétée et amendée à travers des décrets totalisant plus de 73 amendements apportés au niveau de la NAT 96. Etant donné le lien étroit entre la réussite des entreprises confisquées et la densité réglementaire, la question important se pose de savoir si la famille Ben Ali aurait pu manipuler le Code d'Incitation aux Investissements pour servir ses intérêts.10 Nos constats sont limités mais il nous semble que des restrictions inédites auraient pu être spécialement introduites pour les secteurs dans lesquels des entreprises confisquées étaient déjà en activité.11 La probabilité d’introduction de nouvelles restrictions aux IDE et des exigences d’autorisation est beaucoup plus grande dans les secteurs comptant la présence d’entreprises confisquées que dans les secteurs qui ne comptent pas une telle présence. Les secteurs dans lesquels les entreprises Ben Ali sont actives sont deux fois plus susceptibles d’être soumis à de nouvelles exigences d’autorisation que les autres secteurs et sont 5 fois plus susceptibles d’être soumis à des restrictions aux IDE (figure 3.3; voir aussi annexe 3.4; et Rjikers, Freund et Nucifora, 2014).12 En résumé, si la réglementation ne protégeait pas un secteur lucratif donné, Ben Ali utilisait ses pouvoirs législatifs pour changer la législation en sa faveur. Application discrétionnaire de la réglementation fiscale et douanière Une autre méthode habituelle utilisée par les entreprises bien introduites pour obtenir des avantages, extraire des rentes et entraver la concurrence est l’abus de la réglementation fiscale (fisc et douane). L’enquête qualitative fait ressortir suffisamment de données prouvant de telles pratiques. Les répondants indiquent que de telles pratiques étaient dominantes surtout dans les sociétés résidentes (puisque les sociétés offshore bénéficient d’un régime fiscal allégé). Ces pratiques dépassaient la simple évasion fiscale en détournant le système des règlements et autorisations à leur avantage. Par exemple, les sociétés qui voulaient obtenir un marché public pouvaient être empêchées de concourir par l’administration fiscale qui avait la latitude de retarder l’émission du certificat qui prouvait que ladite société est en règle (donc que sa situation fiscale est en conformité) avec le fisc. Plusieurs répondants ont noté que l’administration fiscale pouvait prendre beaucoup de temps pour émettre les certificats en question surtout dans le cas des entreprises qui avaient pris la liberté de critiquer ses décisions. Dans certains cas, au retard venait s’ajouter la pression exercée par les acolytes pour écarter les concurrents qui présentaient un certain danger. Ces pratiques empêchaient la concurrence dans le cadre des marchés publics. De même, les importations qui devaient passer par des autorisations ou des permis (tels que les franchises pour la représentation des marques étrangères) offraient souvent pour les acolytes des opportunités d’extraction de rentes. Les exemples les plus édifiants sont les quotas imposés à l’importation des produits de luxe (qui donnaient lieu à d’énormes rentes à ceux qui détenaient les licences d’importation) tels que les automobiles, les camions et plusieurs autres produits manufacturés. Ces restrictions ont constitué un obstacle majeur à la concurrence et ont entravé le développement de plusieurs activités. L’évasion fiscale et douanière entrave la concurrence et accorde des avantages aux entreprises mieux introduites (et de plus grande taille). En utilisant les techniques d’analyse “statistiques-miroirs”, il en ressort des preuves de la mise en œuvre discrétionnaire de la réglementation douanière et d’évasion fiscale (annexe 3.1). La corruption dans le milieu des douanes a été abordée par les médias qui l’ont présentée comme l’un des mécanismes clés utilisés par le clan Ben Ali pour récolter des rentes. Nous constatons que la déclaration erronée des valeurs et les classifications inexactes (principaux outils utilisés pour ne pas s’acquitter des droits de douane) sont faites de manière subtile et se limitent à uniquement quelques lignes tarifaires. La figure 3.4 montre les différences calculées entre le total des statistiques miroirs et les importations déclarées (en rouge) et calculées à HS 6 chiffres qui sont ensuite exprimées en valeurs absolues (en bleu) en millions et en pourcentage des importations la révolution inachevée 123 totales. Il faudrait noter qu’en termes absolus, les déficits commerciaux (définis comme étant la différence entre les exportations vers la Tunisie déclarées par les pays d’origine et les importations déclarées en Tunisie) ont dépassé 10 milliards US$ en 2011 ou plus de 60 pourcent du total des importations (au niveau du code HS à 6 chiffres). On pourrait faire valoir que les écarts commercux (définis comme la différence entre les données déclarées par les exportateurs et la Tunisie) sont dus à des problèmes statistiques ou de déclarations. Néanmoins, un tel argument ne semble pas tenir puisque les écarts médians sont proches de zéro pour plus de 4,800 lignes sur une décennie. En effet, les plus grandes divergences (jusqu’à plus de 200 millions US$) se limitent à quelques chapitres et quelques lignes.13 Ces résultats sont confirmés à partir d’un examen des secteurs dans lesquels les écarts de flux commerciaux ou les divergences de données sont les plus élevés. Les divergences les plus importantes semblent toucher les chapitres 84-85 (machines, appareils électriques et autres), les chapitres 50- 63 (textile et habillement) et les chapitres 25-27 (minéraux). L’aggrégation à deux chiffres HS 2 et à quatre chiffres HS 4 sous-estime une partie significative des écarts (figure 3.1). En effet, dans la Figure 3.4, les plus grands écarts sont en vert et sont comptabilisés au niveau à 6 chiffres alors que dans le niveau à 2 chiffres (en bleu) les écarts sont bien plus faibles (parce qu’un plus est compensé par un moins dans une autre ligne tarifaire sous le même chapitre). L’analyse des écarts commerciaux montre que les différentiels les plus grands se trouvent au niveau des données les plus désagrégées, Figure 3.4 : Preuve d'évasion tarifaire en Tunisie, 2001-2011 Ecarts de données commerciales au niveau de 2, 4 et 6 chiffres HS pour les importations des "Machines et appareils mécaniques" (HS84, graphique à gauche) et des "Machines électriques, équipements et pièces de recharge" (HS85, graphique à droite). Différences en Valeur Absolue (millions USD) Différences en Valeur Absolue (millions USD) 2001 2001 A 2 chiffres HS A 2 chiffres HS 2002 A 4 chiffres HS 2002 A 4 chiffres HS 2003 A 6 chiffres HS 2003 A 6 chiffres HS 2004 2004 2005 2005 2006 2006 2007 2007 2008 2008 2009 2009 2010 2010 2011 2011 0 500 1,000 1,500 0 500 1,000 1,500 2,000 Ecarts de données commerciales au niveau de 2, 4 et 6 chiffres HS pour l’importation des ‘Articles d’habillement, articles en maille et bonneterie’ (HS61, graphique à gauche) et les ‘Articles d’habillement autres que la bonneterie’ (HS62, graphique à droite). Différences en Valeur Absolue (millions USD) Différences en Valeur Absolue (millions USD) 2001 2001 A 2 chiffres HS A 2 chiffres HS 2002 2002 A 4 chiffres HS A 4 chiffres HS 2003 A 6 chiffres HS 2003 A 6 chiffres HS 2004 2004 2005 2005 2006 2006 2007 2007 2008 2008 2009 2009 2010 2010 2011 2011 0 50 100 150 200 0 100 200 300 400 Source : Calculs des auteurs 124 copinage, performance économique et inégalité des chances ce qui revient à dire que la classification inexacte serait très probablement le problème le plus courant (figure 3.4). De plus, le phénomène semble avoir doublé ou même triplé pendant la décennie écoulée. En effet, 2011 été la pire année en termes de divergences de données pour les chapitres 85 et presque autant pour le chapitre 84 (figure 3.4).14 Les constations préliminaires donnent à penser que le niveau des fausses déclarations augmente en propotion du niveau des droits de douane à payer pour les produits importés dans des industries dominées par seulement quelques entreprises, chose qui corrobore la relation étroite entre d’un côté l’accès privilégié au marché à travers les “autorisations” et l’abus réglementaire d’un autre côté. La relation entre la classification inexacte et la moyenne des droits de douane est négative puisque plus ces droits sont élevés plus les fausses déclarations des importations grandissent. La différence entre les importations déclarées par la douane tunisienne et les exportations déclarées par ses homologues est davantage négative lorsque les droits de douane augmentent (figure 3.5). Ceci est tout à fait en cohérence avec les études sur la gouvernance et l’évasion tarifaire. Selon nos estimations, une telle évasion tarifaire donne lieu à une perte de revenus d’au moins 100 millions US$ par an (environ 0.15 pourcent du PIB).15 En utilisant les données sur les importations recueillies au niveau de l’entreprise, nous avons examiné aussi la relation entre la concentration sur le marché et la déclaration (en plus ou en moins) dans les secteurs sur lesquels planent des doutes, notamment les chapitres « textile et habillement" et « équipements électriques » et avons trouvé que les niveaux les plus élevés de déclarations erronées se trouvent dans les industries à haute concentration (figure 3.5). Par ailleurs, nous estimons que les importateurs en situation de monopole (les entreprises qui importent à elles seules des produits particuliers) font en moyenne de « sous-s déclarations » de l’ordre de 131 pourcent par rapport aux entreprises qui ne sont pas dans une situation monopolistique. En résumé, il apparait que la classification tarifaire inexacte (avec une éventuelle évasion tarifaire) est de plus en plus répandue en Tunisie et est encore plus significative dans certains secteurs tels que le commerce et l’importation des biens de consommation et des produits textiles là où se concentrent les entreprises bien introduites. Bien qu’il puisse y avoir des explications diverses pour ces résultats, les données dont nous disposons s’expliquent de manière la plus plausible quand elles sont rapportées à l’évasion tarifaire ce qui va également dans le sens de ce que nous connaissons tous des pratiques détournées de la famille Ben Ali. L’analyse des entreprises confisquées corrobore la thèse de la classification erronée et ses liens probables avec la corruption. Nous avons déjà mentionné que de Figure 3.5 : Relation entre la classification erronée et (i) le niveau moyen des droits de douane et (ii) la concentration sur le marché 1.5 Erreur de Classification vs Tarifs Moyens Erreur de Classification vs Concentration du marché 3 Erreur de Classification Erreur de Classification 1 2 0.5 1 0 0 -0.5 -1 -1 Tarifs Moyens Concentration du Marché (Herfindahl) Erreur de Classification = Importations déclarées – Miroir Erreur de Classification = Importations Déclarées (Tunisie)- Exportation déclarés (dans les pays d’envoi) Source : Calculs des auteurs la révolution inachevée 125 telles entreprises se focalisaient essentiellement sur l’import-export. Plus précisément, près de la moitié de tous les produits importés par les entreprises confisquées se classent dans les chapitres 84 et 85. Les résultats de la régression des déficits commerciaux par rapport aux niveaux des droits de douane et la prévalence des entreprises confisquées appuient la thèse de l’évasion tarifaire importante de la part des entreprises introduites. Une autre approche pour détecter, au niveau de l’entreprise, les différences en évasion tarifaire consiste à examiner si l’élasticité des prix et quantités importées par rapport aux droits de douane est plus élevée pour les entreprises confisquées que pour les autres entreprises. Une corrélation entre les droits de douane et les écarts commerciaux au niveau HS 6 pays-année laisserait suggérer une évasion tarifaire et du moment où les entreprises confisquées sont particulièrement susceptibles d’éluder les droits de douane, on devrait s’attendre à un écart spécialement significatif là où les entreprises confisquées sont présentes. Les résultats montrent que Encadré 3.3 : Protection des producteurs de bananes tunisiens ? BIR EL KASSAA, Tunis – Les magasins de grossistes en bananes sont situés au fond du marché de Bir El Kassaa, un lieu rempli d’énergie dès les premières heures du matin. Les porteurs font des allers retours, on boit du café et on échange des informations sur le marché. Devant l’un des magasins on brûle de l’encens dans un pot en terre. Cela amène des affaires, nous explique le grossiste. Deux inspecteurs du ministère du commerce viennent pour un brin de conversation comme ils font tous les matins. Aujourd’hui les cartons de bananes portent les marques Simba et Happy, du Costa Rica ou Joe, Dole et Ecuasabor de l’Equateur. Certains jours il y a des bananes mexicaines ou colombiennes, et vous pouvez voir quelques cartons d’ananas, mangues ou kiwi dans le coin du magasin. Mais pour une grande partie des ménages tunisiens, les bananes sont le seul fruit exotique que leur budget limité leur permette. Les importateurs (ou « hommes d’affaires » comme les grossistes les appellent) vendent leurs bananes chaque après-midi à partir de leurs « frigos » ou dépôts frigorifiques, près du port de la capitale, Rades, ou au sud à Sfax. Depuis 2007, les licences d’importations ne sont plus nécessaires pour importer les fruits. Cependant, il est de notoriété publique à Bir El Kassaa, que des contacts avec les membres du clan Ben Ali ont permis à un groupe d’importateurs de frayer leur chemin pour éviter le paiement de 36 % de droits de douanes sur les bananes, un droit qui reste en place bien que la Tunisie n’aie plus de production significative de bananes. Depuis la révolution de 2011, le cercle des importateurs s’est élargi à seulement six ou sept « hommes d’affaires », et toutes les têtes aux « frigos » à Tunis ou Sfax n’ont pas changé. Avec les containers de bananes qui arrivent directement sur les quais à travers des canaux plus réguliers, cependant les grossistes trouvent que les prix quotidiens fluctuent plus, reflétant les différences de prix en Amérique Centrale et du Sud. Mais tant que les tarifs sur les bananes importées demeurent beaucoup plus élevés qu’en Libye ou Algérie voisines, il y aura toujours de la contrebande, déclare un jeune grossiste à Bir El Kassaa. Dans les ports libyens, les bananes ne paient officiellement que 5,25 % de droits de douanes. Depuis 2011, les arrivages semblent avoir peu de difficulté pour atteindre la Tunisie par la route à travers le point de passage frontalier proche de Ben Guerdane dans le sud de la Tunisie. (Voir Ayadi, L., Benjamin, N., Bensassi, S., and G., Raballand (2013). Estimating Informal Trade across Tunisia's Land Borders, Le rapport de recherche de la Banque mondiale 6731). Une partie de ces bananes de contrebande, ainsi que des pommes, atteignent le marché de Bir El Kassaa. Mais depuis Mars 2014 des unités armées des douanes tunisiennes sont stationnées au marché, déclarent les grossistes. En effet, quatre officiers des douanes en blousons de cuir noirs étaient assis dans un véhicule tout terrain à l’entrée du marché. Ils nous ont confirmé qu’ils étaient prêts à intercepter tous camions qui tenteraient d’amener des pommes ou des bananes au marché sans la bonne documentation Source : Interviews avec des commerçants du marché, Avril 2014. 126 copinage, performance économique et inégalité des chances dans les lignes source de produit là où les entreprises confisquées sont présentes, il existe une relation positive et statistiquement significative entre l’évasion tarifaire, la part des entreprises importatrices dont la propriété revenait à la famille Ben Ali et la part de la valeur des importations que ces entreprises représentaient (annexe 3.6). Les régressions montrent également la robustesse de ce résultat eu égard au contrôle des droits de douane, qui comme déjà discuté auparavant, sont positivement et solidement corrélées à l’évasion tarifaire. Il s’avère également que les quantités déclarées en matière d’importation par les entreprises confisquées baissent de manière significative avec les droits de douanes et ce par rapport aux quantités moyennes des importations déclarées par les entreprises non introduites alors qu’aucun effet statistiquement significatif n’est observé pour les prix des importations. Tout compte fait, les preuves donnent à penser que les entreprises introduites sont plus susceptibles que les autres de se soustraire aux droits de douane. Alors même que les implications d’une telle évasion tarifaire paraissaient assez limitées d’un point de vue global puisque les entreprises confisquées ne réalisaient qu’une petite partie des importations totales effectuées vers la Tunisie. Les effets s’avèrent cependant beaucoup plus profonds lorsque l’on se penche sur l’impact plus général sur la création d’obstacles à la concurrence et l’extraction de rentes qui accompagnaient les abus et les violations de la réglementation qui sont les deux à la base de la paralysie du secteur privé et la stagnation structurelle de la Tunisie discutées dans le Premier Chapitre. Encadré 3.4 : L’Explosion du commerce informel sur les frontières terrestres de la Tunisie Le commerce informel entre la Tunisie, la Libye et l'Algérie s'est considérablement développé au cours des dernières années du régime précédent (Meddeb 2012). En fait, il existe des preuves anecdotiques abondantes que le clan Ben Ali s’en servait pour extraire des rentes en s’assurant que l'Etat fixait les tarifs d'importation très élevés et d'autres obstacles non-tarifaires à l'importation de divers produits de consommation en Tunisie, pour ensuite contourner ces obstacles en obtenant un passage privilégié par les douanes. Cela a permis aux proches du président de contrôler une part importante du marché tunisien pour divers produits de consommation. Tableau B3.4.1 : Prix de divers biens en Tunisie, Libye et Algérie Prix tunisien Prix libyen Prix algérien Produit Unit (en TND) (en équivalent TND) (en équivalent TND) Fromage (gruyère) kg 30 15 10 Huile de maïs 1 liter 3 1.2 - Bananes kg 3 1.5 - Pommes kg 4.5 2 Essence 1 liter 1.57 0.19 0.23 Gasoil 1 liter 1.17 0.19 0.20 Café kg 9 - 4 Thé kg 5 - 2.5 Jus 1 liter 2 - 1 Boissons gazeuses 1.5 liter 1.6 0.9 - Rond à béton per ton 1,600 - 900 Climatiseurs 12,000 BTU 900 560 450 TV 32" LCD per unit 770 450 - Vodka bottle 150 - 25 Cigarettes étrangères per packet 4.95 - 1 Source : Ayadi, et al. (2013). la révolution inachevée 127 Après le départ de Ben Ali et de son entourage proche le niveau du commerce informel semble avoir fortement augmenté. Une récente étude de la Banque Mondialei a constaté que le commerce informel en 2013, ne représente qu'une faible part du commerce tunisien dans son ensemble (environ 5 pourcent du total des importations), mais qu'il représente néanmoins au moins une valeur de TND 1,8 milliard (environ 1,2 milliards de dollars, ou 2,2 pourcent du PIB). En outre, ce type de commerce représente une part importante des échanges bilatéraux avec la Libye et l'Algérie, comptant pour plus de la moitié du commerce officiel avec la Libye et pour plus de commerce officiel total avec l'Algérie. Il est possible d'estimer que près de 20 pourcent du carburant consommé en Tunisie est sous forme d'importations informelles de l'Algérie. Les causes du commerce illégal : Les principales raisons de ce commerce informel à grande échelle sont le fait qu’il existe des différences dans les niveaux de subventions et/ou de fiscalité (droits de douanes et taxes à la consommation) de chaque côté de la frontière. Par exemple, le prix du carburant en Algérie est d'environ un dixième de celui de la Tunisie. Même si cela rend le pétrole plus abordable pour les ménages tunisiens, le commerce informel total conduit aussi à un manque à gagner pour les autorités tunisiennes estimé à environ 1,2 milliard de dinars (soit l'équivalent d'un quart du total des recettes douanières). Les estimations du commerce informel avec la Libye : Les informations recueillies au point de passage de Ras Jdir nous ont permis d’estimer le nombre de véhicules, camions, fourgonnettes, et les voitures qui passent la frontière chaque jour ainsi que ce qu'ils transportent. Le trafic est important : entre 200 et 300 de ces véhicules commerciaux traversent la frontière en Tunisie chaque jour. A ce chiffre, il faut ajouter les 500 à 600 (ou plus) voitures qui transportent du carburant et les marchandises de petite taille (pour la plupart des petits appareils électroniques et des vêtements) à travers la frontière. Enfin, autour de 150 à 200 camions libyens de 38 tonnes traversent également la frontière vers la Tunisie. Sur la base des données recueillies, il est possible d'estimer que le niveau des flux de commerce informel qui passent par le point de passage frontalier de Ras Jdir est important, avec des produits d’une valeur d'environ 600 millions de dinars entrant informellement en Tunisie, par an, de Libye par Ras Jdir. Cela donne aux commerçants impliqués dans ce commerce transfrontalier un bénéfice d'environ 120 millions de dinars, bien que la taille des bénéfices varie considérablement selon le type de bien transporté. Le commerce de carburant est l'activité dominante, représentant 10 pourcent de la valeur des ventes illégales et 30 pourcent des bénéfices. Cela dit d'autres produits sont également importants, notamment les bananes qui représentent 15 pourcent de la valeur des ventes et 10 pourcent des bénéfices. Les principales catégories de marchandises transitant par le poste frontalier de Ras Jdir sont les suivantes : carburant, pommes, bananes, textiles, chaussures, appareils électro-ménagers (TV LCD, récepteurs satellite), grands appareils électro-ménagers (réfrigérateurs, climatiseurs) et pneus. Les marchandises sont soit hautement subventionnées en Libye mais pas en Tunisie (ceci est le cas du carburant, pour lequel les subventions couvrent 80 pourcent du coût) ou sont beaucoup plus taxées en Tunisie qu’en Libye (tous les autres produits énumérés ci-dessus), donnant lieu à de grandes différences de prix (voir tableau B3.4.1). Les autres marchandises, en particulier le tabac, l’alcool, et les médicaments ne sont pas transportées travers le point de passage frontalier de Ras Jdir lorsqu’elles entrent en (pour le tabac et les médicaments) ou lorsqu’elles sortent (l’alcool et les médicaments) de Tunisie. Ces marchandises sont transportées à travers les frontières dans les deux sens à travers les parcours de contrebande à travers la route saharienne Tuniso-Libyenne en utilisant des convois de véhicules tout terrain. Les estimations du commerce informel avec l'Algérie : Dans le cas de l'Algérie, la forme la plus courante de transport utilisée dans ce type de commerce informel est la camionnette, avec 3000 de ces véhicules utilisés pour transporter des marchandises illégalement à travers la frontière algéro- tunisienne, selon ceux que nous avons interrogés. En moyenne, ces camionnettes font un passage par jour. De toute évidence, le commerce de carburant et le mazout est le plus important, impliquant 60 pourcent des véhicules qui prennent part à cette activité. Le trafic de cigarettes (qui n'a pas été vu sur la frontière tuniso-libyenne), représente près de 7 pourcent de l’activité des véhicules. Encore une fois l'existence de différences considérables dans les prix de certains produits semble être la raison principale pour le commerce informel transfrontalier dans la région (voir tableau). 128 copinage, performance économique et inégalité des chances Implications et la voie à suivre : Ce type de commerce a un impact économique et social important dans les régions frontalières. Dans plusieurs de ces régions, le commerce informel est l'une des plus importantes activités économiques, voir la plus importante, comme c'est le cas, par exemple, à Ben Guerdane. De nombreuses personnes et organisations sont impliquées dans le commerce informel. Alors que certaines sont très visibles, comme les transporteurs qui transportent les marchandises à la frontière, les vendeurs ambulants et les commerçants ad-hoc (connus officieusement comme «fourmis»), d'autres le sont moins, comme les grossistes, les changeurs de monnaie, et les fonctionnaires des administrations concernées qui sont prêts à fermer les yeux sur la pratique. Ce type de commerce permet également de garder de nombreux produits dans le budget des consommateurs tunisiens. Cette situation mène clairement à des relations tendues entre les autorités et les populations locales. Comme les populations locales dépendent du commerce transfrontalier pour générer des revenus, ils s'inquiètent si les autorités locales devaient prendre des mesures contre le commerce transfrontalier, comme cela est le cas dans l'ouest de la Tunisie. Dans le même temps, les agents des douanes sont préoccupés par le risque de manifestations locales si elles appliquent strictement les régimes tarifaires en vigueur, comme cela est le cas sur la frontière libyenne. La lutte contre le commerce informel n'est plus simplement une question d'augmenter le nombre de contrôles et de sanctions parce que, comme cela a été clairement montré dans un certain nombre de pays, de fortes différences de prix entre deux pays mèneront inévitablement au commerce informel (et à une augmentation de la corruption au niveau des autorités frontalières), même dans les cas où les sanctions sont sévères. Sans une plus grande harmonisation des prix au niveau régional, il y a de fortes chances que le niveau du commerce informel continuera à croître. Par conséquent, la première priorité est de poursuivre une coordination régionale plus étroite entre la Tunisie et ses voisins en termes de droits de douane, taux d'imposition et subventions. L'importance économique et sociale du commerce informel dans les régions signifie que toute tentative visant à renforcer les contrôles aux frontières coûterait probablement plus en termes d'équipements et d'infrastructure et conduirait probablement à des niveaux élevés de corruption parmi les fonctionnaires des douanes basés à la frontière, ce qui compromettrait davantage le contrôle de l’Etat. Cependant, il est également important de recueillir plus d'informations sur les flux commerciaux et le comportement des fonctionnaires afin de limiter les flux illégaux, autant que possible, car il existe des liens entre le commerce informel et les importations illégales, telles que les armes. Les expériences mondiales dans ce domaine ont montré que le renforcement des contrôles (en particulier avec plus de technologie) ne peut seul faire face à la contrebande. Une politique globale doit être entreprise qui devrait limiter les incitations à la contrebande, comme changer la politique tarifaire pour certains produits, renforcer les contrôles internes au sein des douanes pour limiter l'émergence de pratiques déviantes locales. En outre, il est très important de surveiller les données sur les saisies, le nombre de déclarations, la valeur moyenne et ainsi de suite. Dans ce but, il est important d’analyser, produit par produit les principaux moteurs de l'échange informel (par exemple, les crêtes tarifaires pour les bananes et le fromage ou l'interdiction d'importation de tapis et de pommes qui inondent les marchés parallèles, de toutes les manières). Pour de nombreux produits, tels que ceux mentionnés ci-dessus, une révision de la politique tarifaire ou des procédures d'importation est nécessaire et implique une décision politique il est également important de renforcer la coopération avec les pays voisins et considérer le commerce transfrontalier informel et la contrebande comme une préoccupation majeure au cours des différentes réunions bilatérales et multilatérales. À cet égard, l’harmonisation des politiques fiscales et des subventions devrait être un objectif commun pour lutter contre la contrebande et la fraude. Source : Ayadi, et al. (2013). Estimating Informal Trade across Tunisia's Land Borders. World Bank Policy Research Working Paper No 6731. December 2013, The World Bank, Washington D.C. Remarque : i. Cette étude se concentre uniquement sur le commerce informel et les frontières terrestres et non sur le secteur informel en général. Bien que certains des échanges informels en Tunisie passe par le port de Tunis, cette étude ne tient pas compte des marchandises entrant dans le pays de cette manière. Pour cette étude, le commerce informel est défini comme le flux de marchandises qui ne sont pas signalées ou mal signalées par les autorités douanières du pays. Cette définition couvre donc un certain nombre d’aspects différents : y compris le commerce des marchandises passant par les postes frontaliers avec des déclarations en douane falsifiées (en fonction du type ou de la quantité des marchandises concernées) ainsi que la contrebande (c’est à dire lorsque les marchandises franchissent la frontière à l'insu des autorités douanières) soit par les postes frontières ou ailleurs le long de la frontière. Cependant, cet article ne couvre pas les produits qui ne peuvent être licitement commercialisées dans le pays (comme les armes ou de la drogue). la révolution inachevée 129 Abus des biens, des entreprises et des banques publics L’accès privilégié aux biens publics a constitué aussi une cible importante pour l’extraction de rentes et la concurrence déloyale. Les informations compilées par l’enquête qualitative mettent en exergue l’abus des biens publics qui prend plusieurs formes: l’accès à des terrains publics à des conditions non commerciales (créneau particulièrement lucratif dans le contexte d’un secteur immobilier en plein essor); l’utilisation des informations d’initiés à propos des biens à privatiser et à restructurer pour y acquérir des intérêts à des conditions non commerciales; l’abus des services et des biens publics pour servir des intérêts privés (comme le cas de Karthago Airlines qui utilisait les services de maintenance et catering de Tunisair sans contrepartie); le rachat de parts dans des secteurs stratégiques tels que les banques privatisées et l’utilisation des services publics pour accorder aux sociétés de la famille au pouvoir un avantage comparatif dans certains secteurs. Les biens et les entreprises publics étaient utilisés pour la prédation des ressources et la prévention de la concurrence avec l’impact négatif sur la productivité (encadré 3.5).16 Encadré 3.5 : Exemples d’accès privilégié aux biens publics Après des enquêtes, des interviews et l’étude des archives et de documents internes, le rapport de la Commission Nationale Anti-corruption a exposé la manière dont les entreprises publiques avaient été utilisées pour créer des rentes au profit du clan Ben Ali. Les grandes entreprises publiques comme la STIR, Tunisie Telecom ou la STEG devaient passer des marchés publics avec les entreprises bien introduites. Les hommes d’affaires proches du président déchu pouvaient obtenir des droits exclusifs et bénéficiaient de contrats juteux de gré à gré. Souvent, le conseil d’administration n’était même pas informé des décisions et toute l’affaire se réglait entre le PDG, le Ministre de tutelle et les conseillers du Président. De même, les banques publiques étaient utilisées pour accorder un accès privilégié à des prêts à des conditions avantageuses au profit des acolytes. Les banques tunisiennes ont financés les entreprises liées à la famille du président Ben Ali à hauteur de 1,75 milliard de dinars (soit environ 2,5 pourcent du PIB), soit l'équivalent de cinq pourcent de tout le financement par le secteur bancaire tunisien, et près de 30 pourcent de l'argent était fourni sans aucune garantie de remboursement (Source : Communiqué de presse du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie en Février 2011). Selon GFI, la STB (Société Tunisienne de Banque) était la banque la plus exposée chose qui explique le fait que cette banque se retrouve aujourd’hui en possession de parts dans des centaines de sociétés après avoir transformé les prêts non- productifs en actions. La BNA (Banque Nationale Agricole) semble être aussi exposée et a accordé aux proches de Ben Ali des prêts à des taux préférentiels. la SPLT (Société pour la Promotion du Lac de Tunis) a été cédé à un prix extrêmement bas au profit du fils du président pour être ensuite revendu avec des profits énormes. L’autre exemple est celui de l’Agence Foncière d’Habitation qui a dû vendre des terrains à des acolytes à des prix très bas à la Marsa, banlieue résidentielle privilégiée, près de Tunis. Source : Rapport de la Commission Nationale Anticorruption (2012) La Commission Nationale Anti-corruption a aussi relevé plusieurs cas de marchés non conformes qui ont été passés au profit des proches du clan Ben Ali par le biais de diverses méthodes visant à éliminer les autres concurrents. En 2012, le gouvernement a mandaté le “Comité National de Coordination et de Suivi (CNCS)”, qui est un groupe de travail composé de représentants des gros acheteurs publics, organismes de contrôle, secteur privé, société civile et des académiciens pour conduire une auto- évaluation des systèmes nationaux d’approvisionnement (en utilisant la méthodologie OCDE-CAD). Les résultats montrent que la Tunisie a enregistré les scores les plus bas en intégrité et en transparence. 130 copinage, performance économique et inégalité des chances Les conclusions du rapport ont souligné le besoin de réorganiser les différents organismes de contrôle et ont mis en exergue la nécessité d’une refonte des mécanismes de recours (en cas de plaintes) ou de différends et de rehausser la transparence. 3.3 / Impact sur le développement du secteur privé : faire face à la prédation et au copinage L ’enquête qualitative révèle que les connexions étroites avec l’administration et le pouvoir politique constituent un moyen fort pour obtenir, en Tunisie, une protection et des avantages. Les preuves avancées ci-dessus montrent les nombreux avantages récoltés par les proches du clan au pouvoir. Les répondants n’ont pas montré beaucoup d’enthousiasme à aborder ce sujet mais plusieurs d’entre eux ont déclaré franchement qu’avoir un parent en tant que ministre de Ben Ali ou entretenir des relations proches avec la famille étendue du président déchu leur est venu en aide. Néanmoins, ils ont aussi indiqué qu’une telle approche avait le grand inconvénient de créer une dépendance à l’alliance et à l’appui du clan Ben Ali et que cette situation entrainait le risque d’une emprise et exposait aussi au danger d’aliénation politique. Ceux qui refusaient de coopérer avec les proches du pouvoir mais qui étaient disposés à entretenir des relations chaleureuses avec eux devaient payer le “prix“.17 La technique la plus répandue consistait à limiter sa visibilité et à vivre caché loin du cercle de la famille Ben Ali. Une telle situation a constitué des distorsions et a limité la performance du secteur privé de diverses manières. Primo, les entreprises nourrissaient volontairement un manque de transparence quant à la structure de leurs activités et filiales. Agir de cette manière permettait aux groupes familiaux d’augmenter leurs investissements tout en gardant la plupart de leurs activités à une taille relativement petite de façon à ne pas être capté par le radar des prédateurs.18 Dans cette optique, un nombre très limité d’entreprises publiaient la totalité de leurs rapports annuels ou présentaient toutes leurs activités. Deuxio, rester en dessous du radar entrainait le développement de stratégies d’affaires qui sont loin d’être optimales, généralement à travers la diversification des activités, la sélection des secteurs qui n’étaient dans la sphère d’intérêt de la famille Ben Ali et la limitation de la taille des entreprises. Une telle stratégie empêchait l’exploitation des économies d’échelle dans le paysage industriel tunisien. Elle nécessitait également de limiter les risques en confinant strictement la coopération parmi les pairs ce qui explique la présence diffuse des entreprises familiales en Tunisie. Les entretiens ont aussi confirmé que les entreprises évitaient les activités rentables dans les secteurs enracinés dans les intérêts ou connexions avec l’administration ou le pouvoir politique. Tertio, plusieurs répondants ont déclaré que quelles que soient les opportunités offertes, ils évitaient de recourir à l’appui financier auprès des banques. Quand ils ont besoin d’appui financier, ils se tournent vers les banques privées réputées pour avoir un niveau moindre de connexions et évitent les banques publiques à cause des risques d’exposition à la prédation. Quarto, même si plusieurs explications sont plausibles, l’environnement était défavorable aux fusions et aux acquisitions parce qu’elles pouvaient constituer, aux yeux des prédateurs, un indicateurs de succès des entreprises concernées.19 Une autre conséquence d’une pareille inhibition est le faible taux de restructuration et le manque de réaffectation efficace des facteurs parmi les entreprises tunisiennes, compromettant donc le développement de grands groupes et de “leaders nationaux”.20 La seule coopération envisagée était celle entretenue avec des partenaires étrangers qui offrait l’occasion de se prémunir contre les risques de prédation.21 Dans cette optique, le secteur offshore était préféré parce qu’il offrait plus de transparence et des règles de jeu équitables, le rôle/discrétion de l’administration était plus limité et la présence d’entreprises étrangères forçait la famille Ben Ali à modérer ses pratiques abusives. Hibou (2011) présente l’explication suivante: “Une fois [les entreprises étrangères] entrées en Tunisie, elles sont protégées contre les activités prédatrices des la révolution inachevée 131 intermédiaires cupides”. Toutefois, dans plusieurs secteurs la viabilité de cette stratégie était contrée par des restrictions draconiennes aux IDE. Pire encore, c’est justement dans les secteurs protégés que les entreprises Ben Ali pesaient le plus. En résumé, bien au-delà des pertes associées à la corruption et à l’extraction des rentes, le copinage, la concurrence déloyale et la possibilité de prédation ont impacté négativement la performance du secteur privé tunisien et ont ainsi freiné la croissance et la création d’emplois. Globalement, la conséquence de la concurrence déloyale alimentée par les distorsions administratives et la prédation est que les entreprises restent en deçà de leur potentiel, n’atteignent jamais leurs limites de production et croissent rarement de manière verticale sur la chaîne de valeur. Ainsi, il y a un coût économique significatif caché qui est inhérent à un secteur privé qui adopte une stratégie pour éviter ou limiter le risque de prédation et d’exposition aux acolytes. Bien qu’il n’existe pas de moyens pour quantifier facilement de tels coûts économiques, la perception des opportunités perdues par les entrepreneurs est très élevée.22 Une chose est claire, ce système était à la fois extrêmement inefficace et tout à fait inéquitable ; seule une petite minorité d’entrepreneurs pouvait aspirer de manière crédible au succès. 3.4 / L’impact du copinage et de la prédation sur l’économie tunisienne L a présence d’un copinage répandu et le risque de prédation aident à expliquer la paralysie du secteur privé tunisien. La faible dynamique du secteur privé tunisien décrite dans le Chapitre Un est le résultat de plusieurs problèmes. Comme discuté ci-dessous, le diagnostic présenté dans le Premier Chapitre est en cohérence avec les déclarations des entrepreneurs qui ont pris part à notre enquête qualitative et avec les données quantitatives disponibles sur l’impact du copinage présentées dans ce Chapitre. • Les données présentées dans le Premier Chapitre ont mis en exergue le fait que le secteur privé en Tunisie penche vers les activités de petite taille et que les grandes entreprises soient rares aussi bien en termes relatifs qu’absolus. L’absence d’entreprises relativement grandes est aussi apparente quand on se penche sur la distribution des exportations. En fait, les exportations tunisiennes sont bien moins concentrées que les autres pays. Le fait que le secteur privé tunisien soit spécialisé dans les activités de petite taille et caractérisé par un dynamisme limité est conséquent avec la stratégie adoptée par les entreprises pour tenter de passer inaperçues. • Nous avons pu constater aussi que la croissance des entreprises tunisiennes est très faiblement reliée à la productivité. En fait, la relation entre création d’emploi, productivité et rentabilité est très faible. Nous avons relevé que quelques petites entreprises ne grandissent jamais, que les petites entreprises sont plus susceptibles de disparaitre et que la majeure partie des grandes sociétés ont été grandes depuis un certain temps. Effectivement, la création d’emplois est freinée non seulement par l’accès limité au marché mais aussi par le manque de mobilité (vers le haut); très peu d’entreprises croissent à court et moyen termes ce qui ne cadre pas tout à fait avec la dynamique de croissance ou de disparition souvent remarquée dans les pays développés dans lesquels les nouveaux arrivants ont tendance soit à survivre et croitre ou à quitter le marché. D’un point de vue dynamique, la performance du secteur privé nous a semblé faible et le processus de destruction créatrice qui alimente la croissance de la productivité est fortement affaibli en Tunisie. Tout ce qui précède est en cohérence avec les impacts du copinage sur la dynamique des entreprises, tels que soulignés dans le présent chapitre. • Nous avons constaté également que l’économie tunisienne ne réaffecte pas rapidement les ressources vers les utilisations les plus productives et les plus rentables, chose qui cadre, 132 copinage, performance économique et inégalité des chances encore une fois, très bien avec le fait que le processus de destruction créatrice qui devrait alimenter la croissance de la productivité et inciter à la réaffectation soit fortement affaibli. De plus, la concurrence déloyale abordée dans ce chapitre a sans doute contribué à une telle situation. • Dans ce chapitre, nous avons aussi discuté la performance, relativement supérieure, du secteur offshore ce qui est une fois de plus en cohérence avec les éléments présentés selon lesquels les membres du clan Ben Ali se focalisaient essentiellement sur les entreprises locales. Le Code d’Incitation aux Investissements définit les secteurs ouverts aux investisseurs (en distinguant entre investisseurs tunisiens et étrangers) et accorde des avantages fiscaux et une procédure réglementaire simplifiée au profit des entreprises qui exportent au moins 70 pourcent de leur produit (entreprises offshore). Cette dualité servait en réalité de vitrine pour l’emprise réglementaire exercée par le clan au pouvoir. Dans ce chapitre, nous avons trouvé suffisamment d’éléments qui prouvent que ces restrictions sont, en pratique, utilisées pour extraire des rentes à travers un accès privilégié aux marchés locaux aux dépens de tout un pays.23 C’est ce qui explique finalement que le marché intérieur abonde en exigences réglementaires et que son accès soit sévèrement restreint ; de tels obstacles constituent des opportunités pour soutirer des avantages indus et extraire des rentes. 3.5 / Conclusions Ce chapitre a établi que les interventions de l’Etat et les obstacles à la concurrence ont provoqué de graves distorsions dans les choix des investisseurs privés et ont créé d’énormes opportunités d’extraction de rente pour les membres du clan au pouvoir endommageant gravement la performance du secteur privé tunisien. Les distorsions ont un impact profond sur le comportement des entreprises dont la croissance est bridée et le processus de transformation structurelle endigué. Plusieurs outils ont été mis en œuvre pour obtenir des avantages indus et extraire des rentes, tels que l’application discrétionnaire de la réglementation (notamment les obstacles à l’accès au marché, l’administration fiscale et les marchés publics) et l’abus des biens publics et des entreprises publiques (y compris les banques publiques). Toutes ces pratiques sont à même de miner la concurrence en favorisant les entreprises mieux introduites et celles qui s’adonnent à la corruption. Nos résultats montrent, tout particulièrement, que les exigences réglementaires d’autorisation préalable et les restrictions imposées aux investissements étrangers ont été détournées pour être utilisées en tant qu’outils d’extraction de rentes. L’empire commercial et financier confisqué à la famille Ben Ali était extrêmement lucratif et très significatif d’un point de vue macroéconomique— un petit groupe de 220 entreprises dont la propriété est reliée au clan Ben Ali et qui représente moins de 1 pourcent des emplois du pays s’accapare plus de 1/5 des bénéfices nets du secteur privé tunisien. Cette rentabilité extraordinaire des entreprise confisquées est, en grande partie, due à l’emprise réglementaire. Les sociétés de la famille Ben Ali sont plus susceptibles d’opérer dans des secteurs lucratifs (tels que le transport maritime et aérien, les télécommunications, le commerce et la distribution, l’immobilier, les hôtels et la restauration et les services financiers) là où la concurrence est restreinte par le truchement de l’exigence d’autorisation gouvernementale préalable et/ou les investisseurs étrangers n’ont pas la permission de détenir une majorité des actions. Les différences au niveau des performances entre les entreprises confisquées et les autres entreprises sont beaucoup plus grandes dans ces secteurs fortement réglementés. Nous montrons comment l’architecture réglementaire existante est encore plus pernicieusement, elle- même un produit du copinage, qui a donné lieu à la prolifération des réglementations et des restrictions. la révolution inachevée 133 La probabilité de l’imposition de nouvelles exigences d’autorisations et des restrictions aux IDE était bien plus grande lorsque les entreprises Ben Ali opéraient dans un secteur donné ce qui laisse croire que la politique tunisienne d’investissement ne servait pas à réaliser les objectifs soi-disant de création d’emplois et de stimulation des investissements.24 La réglementation servait, plutôt, les intérêts personnels de ceux qui étaient au pouvoir, aux dépens du principe d’offrir des chances égales à une vaste majorité des entrepreneurs tunisiens qui n’avaient pas des connexions politiques.25 Ceci dit, le problème du capitalisme de copinage ne se limite pas seulement à Ben Ali et son clan. Bien au contraire, ce problème demeure l’un des défis fondamentaux auxquels la Tunisie d’aujourd’hui fait face. A cause des données limitées dont nous disposons, l’analyse présentée dans ce chapitre a mis l’accent sur les entreprises confisquées au président Ben Ali et aux membres de sa famille. Le copinage est un phénomène répandu en Tunisie, bien avant l’arrivée de Ben Ali au pouvoir, qui s’infiltre à travers le secteur privé et il est incontestable qu’une vaste part de ce secteur a bénéficié, à différents degrés, du système. En fait, le clan Ben Ali ne possédait qu’une fraction des entreprises actives sur les marchés protégés par les obstacles à l’accès ; les autres entreprises qui opèrent dans le cadre de ces mêmes réglementations profitaient donc des mêmes privilèges. Il serait donc erroné de supposer qu’après le départ de Ben Ali et de sa famille, le copinage et la recherche de rentes ont disparu de Tunisie. En réalité, le système réglementaire qui permettait à la famille d’avoir une mainmise sur une aussi grande part de la richesse du pays reste, en grande partie, en place et se prête toujours aux abus.26 Ces réglementations continuent à offrir l’occasion à un petit nombre de privilégiés de s’accaparer la richesse du pays aux dépens de la majorité, entravant ainsi les investissements et empêchant la création d’emplois bien rémunérés que tous les tunisiens méritent d’avoir. Alors que les obstacles et les autorisations réglementaires sont souvent présentés comme étant un moyen de protéger les consommateurs tunisiens, ils sont en réalité un outil pour servir les intérêts d’une élite aux dépens de la vaste majorité des tunisiens.27 Les conséquences de l’utilisation de la réglementation pour extraire des rentes (c.-à-d. s’approprier des richesses) sont encore plus destructives que le simple coût de la petite corruption : les consommateurs s’acquittent des prix monopolistiques (c.-à-d des prix plus élevés) ; les entreprises ne sont pas encouragées à améliorer la qualité du produit et les gains en productivité et en innovation, qui devraient provenir des nouvelles entreprises, sont inhibés. En d’autres termes, la compétitivité de l’économie est minée et les investissements et la création d’emplois sont entravés. En pratique, la plupart des sociétés tunisiennes et des entreprises non introduites continuent à souffrir parce qu’elles font face à des obstacles pour accéder au marché et leurs efforts sont anéantis sous l’effet des avantages indus dont bénéficient les entreprises privilégiées. En outre, de telles réglementations perpétuent l’exclusion sociale puisque les opportunités économiques sont très limitées pour le tunisien normal. Le peu de tunisiens qui ont des connexions avec les gens au pouvoir et dans l’administration s’accaparent ces avantages alors que les autres sont exclus du système économique. C’est ainsi qu’une injustice sociale profonde s’est installée qui semble avoir nourri la frustration de la plupart des tunisiens qui ont senti et continuent à sentir qu’ils n’ont aucune chance de saisir une quelconque opportunité économique. Au-delà des obstacles à la contestabilité du marché, certains domaines de réglementation particuliers semblent être plus exposés notamment les administrations fiscale et douanière. Les constats présentés dans ce chapitre soulignent les avantages d’une réglementation légère et l’importance d’avoir des administrations douanière et fiscale dotées d’une capacité de supervision et de mécanismes forts de contrôle interne limitant les risques de comportements opportunistes. Ils trouvent également écho chez les partisans des tarifs douaniers uniformes et d’un système fiscal simplifié parce que les systèmes complexes semblent favoriser la corruption et le favoritisme des entreprises introduites politiquement. De manière plus générale, en plus de revoir les restrictions aux investissements et à 134 copinage, performance économique et inégalité des chances l’accès au marché, il est primordial d’entreprendre des réformes visant à réduire le cadre de la capture règlementaire dans les domaines suivants : la politique commerciale, les aides aux investissements et les incitations fiscales, la fiscalité et la douane, les entreprises publiques et les marchés publics.28 La plupart des réformes nécessaires sont politiquement sensibles et peuvent donc être soit motivées ou manipulées politiquement.29 Les réformes doivent être entreprises rapidement parce que l’infrastructure héritée de l’ère Ben Ali est en train de perpétuer l’exclusion sociale et appelle à la corruption. Au vu de l’héritage des relations corrompues entre l’Etat et le monde des affaires, il serait vital de retirer rapidement les obstacles qui entravent l’accès au marché et de réduire la marge de discrétion réglementaire. Uniformiser les règles du jeu et rehausser la transparence sont essentiels pour ne pas prendre le risque de voir les entrepreneurs tunisiens succomber au même type de prédation massive qui a fragilisé leur capacité à catalyser la croissance et à créer des emplois tout au long des années précédentes. Ces réformes nécessitent une détermination politique puisqu’elles pourraient faire face à une résistance organisée de la part des groupes d’intérêt. Il serait alors impossible de trouver une approche consensuelle à cause de la résistance féroce attendue de la part de ceux qui vont perdre les rentes et les privilèges. Néanmoins, si les réformes ne sont pas entamées, le risque de souffrir des anciennes tactiques de prédation sera de plus en plus grand. Le facteur temps joue en faveur des groupes d’intérêts qui pourront saisir les opportunités encore une fois afin d’extraire des rentes et occuper une position encore plus forte pour empêcher tout changement et perpétuer l’exclusion sociale. Les chapitres suivants examinent les contraintes possibles qui empêchent le bon fonctionnement de l’économie et bloquent le libre passage des facteurs économiques (main-d’œuvre, capital, terre, entrepreneuriat) vers les activités les plus productives. A travers les chapitres, il sera procédé à l’examen de certaines défaillances du marché et des distorsions sur le marché des facteurs de production qui sont induites par l’intervention politique et notamment au niveau du régime fiscal et réglementaire de l’investissement, dans le marché du travail et dans le secteur financier. Il sera démontré que les politiques économiques tunisiennes n’ont pas atteint les résultats escomptés (attirer des investissements, renforcer la création d’emplois de qualité et réduire les disparités régionales) mais ont plutôt contribué à la création d’un environnement politique favorable à l’installation d’obstacles au commerce et aux distorsions. Les politiques économiques ont faussé la répartition des ressources et ont étouffé le processus de destruction créatrice de façon à mobiliser les ressources vers les activités à productivité faible freinant ainsi la croissance, et partant de là, la création d’emplois. la révolution inachevée 135 Notes 1 Le copinage n’est pas un phénomène nouveau en Tunisie, 6 Il faudrait noter que cela est dû en partie aux nombreuses mais les abus associés aux amis du régime ont augmenté entreprises qui déclarent des pertes. Bien qu’elles soient pendant la décennie écoulée. Ce phénomène a existé sous le bien plus rentables en moyenne, un nombre important des régime du président Bourguiba mais se limitait généralement entreprises Ben Ali déclarent des pertes. En fait, les entreprises à un accès privilégié aux ressources et aux marchés publics. Ben Ali, bien qu’elles génèrent en moyenne de plus grands Toutefois, ces comportements de recherche de rente se sont bénéfices, sont plus susceptibles de déclarer des pertes développés avec le temps et ont préparé la voie à la prédation que les autres entreprises non pistonnées dans les sphères de l’économie par le président Ben Ali et sa famille élargie. politiques. Et il faut aussi dire que les données ont fait ressortir Les répondants dans le cadre d’une enquête qualitative un fait saillant: le taux de non-déclaration parmi les entreprises sur le copinage conduite par la Banque Mondiale en 2012 confisquées est très élevé. En 2010, qui est l’année la plus s’accordent à dire que la concurrence déloyale, le copinage et proche pour laquelle nous disposons de données, seules 122 la prédation ont augmenté de manière significative pendant entreprises ont déclaré employer des travailleurs payés, alors les dernières années du régime Ben Ali (Chekir and Menard, que seuls 91 entreprises ont déclaré des résultats positifs et 2013). Au début, le clan Ben Ali se faisait plutôt discret avec des bénéfices. Une large panoplie d’explications possibles peut un comportement de prédation qui monte sans prendre des justifier l’hétérogénéité du rendement des entreprises Ben Ali proportions démesurées. Mais avec le renforcement politique dont certaines seront examinées un peu plus loin dans ce du président Ben Ali au début des années 2000, le copinage et rapport. Mais une des explications les plus plausibles pour leur la prédation ont pris des proportions différentes. Le pouvoir du plus grande tendance à subir des pertes est le fait qu’une telle cabinet présidentiel a pris encore du poids après les élections situation pourrait minimiser leurs obligations fiscales et leur de 2004 et a donné lieu à des stratégies de prédation encore donnerait droit à différents types d’appuis gouvernementaux. plus répandues avec, parmi les acolytes, une course pour le contrôle des principaux biens publics. Cela a causé la montée 7 Quand on se focalise sur la part de production, emplois et de la prédation et des ingérences politiques avec, en parallèle, bénéfices que représentent les entreprises confisquées, une détérioration des règles institutionnelles (que plusieurs il s’avère que les simples chiffres n’indiquent pas répondants identifient en tant que ‘laissez-faire institutionnel’). nécessairement l’importance économique des entreprises; Presque toutes les personnes interviewées ont mis l’accent sur bien qu’on ne compte que 3 entreprises dans le secteur des ce glissement qui a eu un impact particulièrement important et postes et télécommunications, elles représentent à elles seules négatif sur les entreprises nationales. 43 pourcent de la production et 44 pourcent des bénéfices dans ce secteur. Les entreprises confisquées sont également 2 Parmi les biens saisis on compte 400 entreprises (dont importantes en termes de production dans le secteur du certaines à l’étranger), 550 propriétés, 48 bateaux et yachts, commerce et du transport. En fait, les catégorisations globales 40 portefeuilles d’actions et 367 comptes bancaires. embrouillent une importante variabilité à travers les secteurs puisque les entreprises confisquées sont souvent les principaux 3 Nous examinons ces questions en utilisant trois principales acteurs du marché qui représentent une part significative de lignes d’analyse: (a) Une enquête qualitative/ interviews avec la production, des emplois et des bénéfices dans leur activité les premiers responsables d’entreprises pour comprendre ou marché spécifique (par exemple, les secteurs de transport l’impact du copinage et de la prédation de Ben Ali sur le aérien et des télécommunications étaient totalement dominés comportement des entreprises; (b) Une analyse quantitative par les entreprises confisquées). Les tableaux en annexe des caractéristiques de 220 entreprises dont la propriété 3.2 donnent un aperçu sur les activités déployées par les revient à 114 membres de la famille Ben Ali et leurs amis entreprises confisquées en termes de production, emplois et proches ayant été confisquées après la révolution de 2011, bénéfices à travers les secteurs à 2 chiffres et à 5 chiffres. et ce par rapport à d’autres entreprises en Tunisie; (c) Une analyse quantitative des statistiques commerciaux miroirs 8 Si nous portons notre regard sur les entreprises dont pour les problèmes en rapport avec la performance douanière. les activités sont couvertes par le Code d'Incitation aux (Voir les détails en annexe 3.1). Investissements, nous remarquons qu’en 2010, presque 2/3 (64 pourcent) de toutes les entreprises confisquées sont 4 ‘The Economist’ a construit un indicateur pour mesurer dans des secteurs qui exigent des autorisations pour entrer l’étendue du capitalisme clanique à travers les pays et le en exploitation. De même, 2/3 (64 pourcent) des entreprises temps: http://www.economist.com/news/leaders/21598996- confisquées sont actives dans des secteurs qui interdisent la political-connections-have-made-many-people-hugely-rich- présence d’entreprises étrangères. Ces parts sont beaucoup recent-years-crony-capitalism-may plus élevées que celles des entreprises non-introduites qui 5 Notre mesure des résultats est le résultat d’exploitation sont de l’ordre respectivement de 45 pourcent et 36 pourcent. déclaré aux autorités fiscales qui est probablement sous- 9 La liste des mécanismes que nous analysons n’est évidemment déclaré et qui ne reflète pas de manière exacte les bénéfices pas exhaustive. Par exemple, l’enquête qualitative (et réels puisque les entreprises sont autorisées à réinvestir des certains articles de presse) a fait ressortir la collusion avec montants puisées dans leurs obligations fiscales. Toutes ces les entreprises publiques et le vol et extorsion purs et simples entreprises n’appartenaient pas totalement à la famille Ben Ali comme mécanismes de prédation et d’extraction de rentes. Un (et donc une partie de ces bénéfices revenait à des personnes autre exemple serait de bénéficier d’informations privilégiées autres que les membres de la famille), ces membres et de traitements de faveur dans les marchés publics. Mais de représentent peut-être le seuil minimum des bénéfices telles pratiques sont en dehors de la portée de notre analyse totaux dégagés par les entreprises bien introduites au niveau quantitative. politique parce que plusieurs entreprises ne déclarent pas des résultats positifs, ni l’emploi et ni les bénéfices. Par ailleurs, 10 Pour essayer d’éclairer cette question, nous tenons une nous ne comptabilisons pas les entreprises ayant bénéficié des base de données sur tous les changements apportés entre relations établies autres que les relations familiales. 1994 et 2010 au codeCode d'Incitation aux Investissements et 136 copinage, performance économique et inégalité des chances voyons si les révisions du code sont plus probables lorsque les 14 Dans cette même optique, nous avons également trouvé entreprises Ben Ali entreprennent une activité donnée. Entre que l’écart type des déficits commerciaux s’est accru de 1994 et 2010, il y a eu un total de 22 décrets signés par Ben Ali manière constante depuis 2000 (avec un pic en 2008) et a pour exiger une autorisation dans 45 différents secteurs et de été plus élevé en 2011 que dans les trois années précédentes nouvelles restrictions aux IDE dans 28 secteurs. (comptabilité pour tout le barème tarifaire de plus de 4,800 lignes à 6 chiffres). Ainsi, le niveau d’évasion tarifaire semble 11 Alors même que la valeur statistique n’est pas très avoir augmenté pendant la décennie écoulée et reste encore importante à cause du nombre relativement limité très élevé en 2011. d’observations en ce qui concerne les entreprises introduites et les changements réglementaires, nous relevons quelques 15 Il faut noter qu’il s’agit probablement d’une sous-estimation cas de simultanéités frappantes entre des changements de de l’ampleur de l’évasion tarifaire puisque nos estimations réglementation et le déploiement d’activités par les membres n’ont concerné que les produits pour lesquels nous disposons du clan. A titre d’exemple, le décret 96-1234 adopté en 1996 a d’informations tarifaires. amendé le Code d'Incitation aux Investissements en exigeant une autorisation pour les entreprises qui veulent s’engager 16 Sekkat (2009) a démontré qu’en Egypte l’importance d’une dans la manutention et le transfert des marchandises dans entreprise publique dans un secteur donné était négativement les ports, et le remorquage et sauvetage des navires. Le en relation avec le facteur total de productivité et a affirmé décret a également introduit des restrictions aux IDE pour les que cela reflétait les rentes des entreprises publiques entreprises actives dans le transport des viandes rouges. Cette indépendamment de leurs résultats de productivité. même année, Mohamed Afif Chiboub, oncle de Mohamed Slim 17 Les exemples cités pendant les entretiens incluent le co- Chiboub, gendre de Ben Ali, a constitué “La Méditerranéenne financement d’un jet privé; des subventions au profit de pour le Commerce, le Transport et la Consignation” une société clubs sportifs d’une ville dans laquelle un des acolytes se de navigation et de logistique spécialisée dans le transport présentait aux élections pour le poste de maire et la fourniture des produits frigorifiés. Le cas de “Carthage Cement” par d’innombrables services et produits gratuits. Belhassen Trabelsi, frère de la deuxième femme du Président a talonné le décret n° 2007-2311 qui stipule que les sociétés 18 Klai et Omri (2011) remarquent que même pour les de production de ciment doivent obtenir une autorisation entreprises cotées à la bourse de Tunis entre 1997–2007, les gouvernementale pour entrer en activité. problèmes de gouvernance en Tunisie ont affecté la qualité de présentation des résultats financiers par les entreprises. 12 Chaque année, 1.6 pourcent de tous les secteurs dans lesquels les entreprises Ben Ali sont actives sont soumis à 19 Plusieurs interlocuteurs ont déclaré qu’ils avaient eu des de nouvelles exigences d’autorisation alors que seuls 0.8 opportunités de fusion extrêmement intéressantes mais ont pourcent des secteurs dans lesquels les entreprises Ben Ali préféré décliner l’offre parce qu’ils hésitaient à développer ne sont pas présentes sont soumis à de nouvelles exigences une action collective et/ou parce que cela pouvait les rendre d’autorisation. Pour les restrictions aux IDE, la différence est visibles aux prédateurs. D’autres ont dit qu’entrer en bourse encore plus sensible avec deux pourcent des secteurs dans aurait pu leur permettre de développer sensiblement leurs lesquels les entreprises Ben Ali sont actives sont soumis activités et qu’ils auraient été en mesure, grâce à leur annuellement à de nouvelles restrictions par rapport à 0.4 réputation, d’entreprendre un tel processus mais ils ont pourcent des secteurs ne comptant pas d’entreprises Ben Ali. préféré ne pas recourir à de tels outils de financement à cause de la divulgation et de la communication qu’ils nécessitaient et 13 Souvent, lorsqu’une ligne tarifaire particulière semble les risques à prendre en s’exposant à la voracité des acolytes. “surévaluée” on peut toujours détecter des lignes tarifaires “sous-évaluées” dans le même titre ou sous-titre (ce qui 20 En effet, les enregistrements des transactions financières en expliquerait le fait que la classification inexacte puisse Tunisie sont limités: le nombre des fusions entre les industries constituer l’un des outils les plus importants pour l’évasion ayant de grandes synergies est restreint et le nombre des douanière); mais en utilisant les données globales, il serait processus de restructuration est aussi très petit. impossible de détecter de telles anomalies. En fait, au niveau global, la différence entre les valeurs déclarées (par 21 Etant donné que les entreprises étrangères étaient à les exportateurs) et les statistiques miroirs des importations l’abri des pratiques de prédation, les indicateurs tels que (déclarées par la douane tunisienne) semble être relativement Transparency International étaient relativement bons pour petite le long de la décennie écoulée parce que les “moins” la Tunisie à cause du biais de l’échantillon en faveur des sont souvent compensés par des “plus” dans le même chapitre. entreprises non tunisiennes. La présence sélective des écarts de classification erronée 22 Fait intéressant, lors des entretiens qualitatifs, un important corrobore l’hypothèse d’une évasion tarifaire substantielle. Le groupe industriel avec un chiffre d’affaires d’environ 500 fait que la classification inexacte se limitait à quelques lignes millions TND a estimé la perte subie à cause de l’arbitraire uniquement ne cadre nullement avec l’explication avancée à 30 pourcent de son potentiel; un autre groupe immobilier pour justifier les anomalies dans les statistiques miroirs important a estimé sa perte à près de 50 pourcent. comme quoi elles sont dues à un simple effet statistique ou aux compétences limitées dans l’administration douanière. S’il 23 De plus, on verra dans les chapitres suivants que le secteur existait un problème systémique de compétences statistiques onshore se focalise essentiellement sur des activités à ou professionnelles au sein de la douane, on aurait rencontré productivité faible et à faible valeur ajoutée ce qui est, sans beaucoup plus d’anomalies à travers tous les lignes tarifaires. doute, le résultat de plusieurs autres distorsions entrainées par De telles pratiques de classification erronée sont plutôt des des facteurs politiques. manipulations sophistiquées qui sont d’autant plus prouvées qu’elles ne puissent être détectées à travers les données 24 Notez que le succès des entreprises Ben Ali pour la promotion globales. Néanmoins, lorsque le même écart entre les chiffres de la croissance de l'emploi et de la production est un attribut déclarés et les statistiques miroirs est comptabilisé au niveau positif. En fait, il est tout à fait possible que le président et le plus décomposé (HS 6) et ajouté en valeurs absolues, l’écart ses alliés avaient acquis les entreprises les plus productives et s’avère beaucoup plus grand. rentables dans l'économie, et renforcé leur solide performance en adoptant des règlements sélectifs. Le point important est la révolution inachevée 137 que l'introduction sélective d'une nouvelle réglementation de télécommunications, secteur qui fut dominé par le clan Ben a renforcé leur position de monopole (au détriment des Ali, restent très élevés par rapport aux pays voisins. Comme consommateurs et du reste du secteur privé). le montre le Chapitre Deux, le prix des appels internationaux entrants est environ 20 fois plus élevé que le prix pratiqué sur 25 Les preuves obtenues sont en cohérence avec de le marché libre et les appels internationaux sortants à partir de nombreuses publications qui montrent que les pays qui la Tunisie coûtent presque 10 fois le prix du marché libre. De réglementent lourdement l’entrée des entreprises sur le tels prix élevés bénéficient aux sociétés de télécommunication marché ont tendance à réaliser une croissance plus lente aux dépens des consommateurs et des entreprises. et enregistrent des niveaux de corruption plus élevés (voir Djankov et al, 2002). Les résultats obtenus démontrent qu’en 28 Par exemple, un niveau inférieur d'incitations fiscales plus de perturber la croissance des entreprises et de créer pourrait être maintenu pour les activités à forte valeur ajoutée, des opportunités de subornation, de telles réglementations mais s'appliquer à toutes les entreprises offshore et onshore lourdes sont également susceptibles d’être systématiquement et être automatiquement approuvé afin d’éliminer toute violées par l’Etat lorsque les institutions sont faibles (Rjkers et possibilité de contourner la réglementation est possible (voir al, 2014). Chapitre Quatre). 26 Comme déjà discuté dans le deuxième chapitre, les 29 Une première tentative pour éliminer les problèmes de autorisations d’accès au marché et les restrictions imposées prédation qui ont caractérisé l’ère Ben Ali a été de changer aux investisseurs locaux et étrangers caractérisent encore les responsables dans l’administration, comme par exemple l’environnement des affaires en Tunisie. Actuellement, ces l’administration douanière. Mais changer des personnes sans obstacles existent à travers plusieurs textes de loi notamment accompagner ce mouvement de réformes complémentaires dans le Code d'Incitation aux Investissements, le Code du risque de ne pas donner les résultats escomptés parce que Commerce, plusieurs législations sectorielles qui régissent les problèmes de corruption sont systémiques. L’expérience le secteur tertiaire, (notamment les télécommunications, la internationale montre que le changement des incitations et santé, l’éducation et les services professionnels) et également du comportement au sein des agences gouvernementales dans la Loi sur la Concurrence. qui entament une réforme donne de meilleurs résultats. (Voir Rajaram, Raballand, et Palale, 2010). 27 A titre d’exemple, les prix à la consommation des services Références Ayadi, L., N. Benjamin, S. Bensassi, and G. Raballand. 2013. Meddeb, Hamza. 2012. “Courir ou Mourir: Course à El Khozba “Estimating Informal Trade across Tunisia's Land Borders.” et Domination au Quotidien dans la Tunisie de Ben Ali.” Ph.D. World Bank Policy Research Working Paper 6731. World Bank, dissertation, Institut d’Études Politiques, Paris. Washington, DC, December 2013. OECD. 2012. “Competitive Neutrality: Maintaining a Level Chekir, Hamouda, and Claude Menard. 2012. “Barriers to Playing Field between Public and Private Business.” OECD, Private Firms Dynamism in Tunisia: A Qualitative Approach.” Paris. Internal Mimeo, World Bank, Washington, DC, October 2012. Rajaram, Anand, Gael Raballand, and Patricia Palale. 2010. Djankov, Simeon, Rafael La Porta, Florencio Lopez-De-Silanes, Public Sector Reform-Changing Behavior with Cars and and Andrei Shleifer. 2002. “The Regulation of Entry.” The Computers? http://blogs.worldbank.org/africacan/public- Quarterly Journal of Economics CXVII (1) (February 2002). sector-reform-changing-behavior-with-cars-and-computers Hibou Béatrice. 2006. “Surveiller et Réformer. Economie Rijkers, Bob, Caroline Freund, and Antonio Nucifora. 2014. Politique de la Servitude Volontaire en Tunisie.” Paris: La “All in the Family: State Capture in Tunisia.” Policy Research Découverte . Working Paper 6810, World Bank, Washington, DC. Hibou Béatrice. 2007. “Domination and Control in Tunisia: Rijkers, Bob, Gael Raballand, and Leila Baghdadi. 2014. Economic Levers for the Exercise of Authoritarian Power.” “Political Connections and Tariff Evasion: Evidence from Review of African Political Economy 108: 185-206. Tunisia.” Internal Mimeo, World Bank, Washington, DC. Hibou Béatrice. 2011. The Force of Obedience. Cambridge, UK: Sekkat, Khalid. 2009. “Does Competition Improve Productivity Polity. in Developing Countries?” Journal of Economic Policy Reform 12 (2): 145-62. Global Financial Integrity (GFI). 2011. “Illicit Financial Flows from Developing Countries: 2000-2009.” Washington, DC: GFI. World Bank (2009a). From Privilege to Competition: Available online at: http://www.gfintegrity.org/wp-content/ Unlocking Private-Led Growth in the Middle East and North uploads/2011/12/GFI_2010_IFF_Update_Report-Web.pdf Africa. MENA Flagship Development Report. Washington, DC: World Bank. http://documents.worldbank.org/curated/ Klai, Nesrine, and Abdelwahed Omri. 2011. “Corporate en/2009/01/11409150/privilege-competition-unlocking- Governance and Financial Reporting Quality: The Case of private-led-growth-middle-east-north-africa. Tunisian Firms.” International Business Research 4 (1):158- 166. Malik, Adeel, and Bassem Awadallah. 2012. “The Economics of the Arab Spring.” World Development 45: 296–313. 138 copinage, performance économique et inégalité des chances la révolution inachevée 139 Les politiques d’investissement ont divisé l’économie entre les secteurs onshore et offshore, au détriment de la performance globale des deux secteurs de l’économie 140 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé 04 la révolution inachevée 141 Cadre réglementaire pour les 04 investissements dans le secteur privé C e chapitre s'appuie sur l'analyse des obstacles à la concurrence et le copinage en fournissant un exemple complet de la façon dont les politiques encore en vigueur contribuent également à entraver la productivité des entreprises, et en fin de compte nuisent à la croissance et la création d'emplois. Le chapitre met en évidence les éléments clés des efforts passés pour attirer les investissements et stimuler la création d'emploi, qui ont clairement échoué. Ce chapitre aborde le cadre réglementaire relatif aux investissements en mettant l’accent essentiellement sur le Code d’Incitations aux Investissements (CII). Il fait valoir que le Code d'Incitations aux Investissements est devenu un obstacle majeur à la croissance rapide et la création d'emplois en Tunisie. Cependant, ce n'est pas principalement en raison de problèmes avec le secteur offshore lui-même. Au contraire, la mise en place de l'offshore a solidifié le protectionnisme et l'inefficacité dans le secteur onshore, ce qui limite la compétitivité du secteur offshore. Toute l'économie en pâtit. L’impact du lourd fardeau réglementaire a déjà été discuté dans les Chapitres Deux et Trois et ici nous nous limitons à démontrer comment un tel fardeau s’applique à l’environnement de l’investissement privé. Aussi, nous discutons brièvement les aspects de l’impôt sur les sociétés parce qu’il touche directement le climat des investissements et caractérise la dichotomie onshore-offshore. Au-delà du Code d'Incitation aux Investissements, le chapitre souligne que l'environnement réglementaire en général est difficile, et peut gravement entraver l'investissement et la croissance des entreprises, même si le Code d'Incitation aux Investissements est entièrement remanié. Le chapitre met en évidence deux domaines prioritaires supplémentaires nécessitant une réforme dans l'environnement des affaires. L’impact du lourd fardeau réglementaire a déjà été discuté aux Chapitres Deux et Trois et nous nous limiterons ici à démontrer comment un tel fardeau s’applique à l’environnement de l’investissement privé. Aussi, nous discutons brièvement les aspects de l’impôt sur les sociétés parce qu’il touche directement le climat des investissements et caractérise la dichotomie onshore-offshore.1 4.1 / Cadre de la politique pour l’investissement en Tunisie L e cadre réglementaire tunisien pour les investissements est actuellement complexe, incomplet, peu transparent et donc source d’incertitude pour les agents économiques. La Tunisie compte un cadre réglementaire et des incitations pour les investissements qui se caractérisent par leur complexité, une bureaucratie et des pratiques discrétionnaires croissantes. Le cadre des investissements est entaché d’une complexité procédurale et d’un manque de visibilité quant à l’application des incitations. Un aperçu du régime tunisien d’investissement est donné en annexe 4.1 (et à l’encadré 1.3). Comme déjà mentionné dans le Premier Chapitre, la Tunisie a développé des industries manufacturières pour l’exportation basées sur un ensemble d’avantages généraux accordés aux sociétés exportatrices ("offshore"). En outre, la Tunisie offre plusieurs types d’incitations. Des incitations spécifiques sont accordées pour la promotion régionale, la technologie, la recherche et le développement (R&D), l’innovation, les petites et moyennes entreprises (PME) et les investissements dans certains secteurs (tels que l’éducation, le transport, la santé et la culture et la protection de l’environnement). En outre, les autorités ont établi deux “zones franches” qui assurent des avantages similaires à ceux offerts aux sociétés totalement exportatrices.2 En Tunisie, les systèmes multiples et enchevêtrés d’incitations douanières, fiscales et financières sont très complexes et difficiles à comprendre pour les investisseurs et, leur efficacité et intérêts réels pour l’économie ne sont pas clairs. A titre de comparaison, la politique couronnée de succès au Chili en matière de promotion des investissements se fonde plus sur des règlements transparents et non discrétionnaires plutôt que sur des incitations (encadré 4.1). 142 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Encadré 4.1 : Attractivité des investissements du Chili Le Chili est l’un des pays les plus attractifs pour les IDE. L’index d’attractivité pour les IDE de la CNUCED l’a classé, en 2001, au 6ème rang sur 181 pays alors que la Tunisie est classée 76ème (figure B4.1.1). Au Chili, le décret-loi 600 (DL-600), connu pour étant la Loi sur les Investissements Etrangers régissant les investissements étrangers, accorde aux investisseurs étrangers les mêmes droits et garanties que les investisseurs locaux (principe de non-discrimination) et l’existence de procédures claires, connues et transparentes assure un traitement équitable et impartial des investisseurs étrangers (principe de non dérogation). Selon le décret-loi DL-600, l’accès libre au marché est accordé aux investisseurs étrangers, sous réserve des dispositions légales. Les règles et les règlements du décret-loi DL-600 sont constitutionnels et impliquent un contrat entre l’Etat et l’investisseur avec les droits et les obligations de l’investisseur. Le Chili a un régime de change flexible et selon le DL-600, les investisseurs ont le droit de rapatrier le capital et le bénéfice net. En fait, le DL-600 se focalise plutôt sur la cohérence, les garanties et la sécurité des investissements que sur les incitations. Le taux d’imposition au Chili, les avantages fiscaux et les exonérations ne sont pas aussi généraux que dans d’autres pays émergents. Institutionnellement, la politique chilienne de promotion des investissements est mise en application, de manière complémentaire, par uniquement deux organismes publics avec des mandats clairs: le Comité des Investissements Etrangers qui agit pour attirer les IDE vers les secteurs conventionnels comme l’exploitation minière, et la Corporacion de Fomento de la Produccion (CORFO) qui travaille sur les secteurs non conventionnels comme la technologie, et est impliquée dans une pléiade de stratégies et d’initiatives. Les règlements ont aussi été renforcés par l’ALE avec les Etats-Unis qui est entré en vigueur depuis 2004 provoquant une augmentation des IDE du Chili de 216 pourcent le long des années 2000 alors que les IDE de la Tunisie n’ont augmenté que de 77 pourcent pendant la même période. De même, la valeur des exportations par habitant au Chili a augmenté de 19 pourcent par an en moyenne entre 2003 et 2011 contre 11 pourcent pour la Tunisie. Figure B4.1.1. Classement par Index d’Attraction des IDE (classement en 2011) Singapour 3 Chili 6 Pérou 17 Jordanie 30 Pologne 40 Chypre 43 Thaïlande 48 Estonie 51 Costa Rica 51 Mexique 61 Indonésie 72 Tunisie 76 Egypte 82 Turquie 88 Maroc 76 - 20 40 60 80 100 Source : CNUCED, 2012 Remarque : Le classement dans l’Index d’Attraction des IDE (sur 181 pays) est basé sur la moyenne des rangs centiles d'un pays dans les flux d'IDE et des entrées d'IDE en %age du PIB. la révolution inachevée 143 Plusieurs pans de l’économie restent fermés pour les investisseurs, notamment étrangers, comme par exemple, les secteurs exclus du Code d'Incitation aux Investissements ou ceux soumis à des restrictions et les nombreuses exemptions de la loi relative à la concurrence de 1991 (prix homologués, monopoles, secteurs stratégiques contrôlés par les entités publiques, etc. ; voir Chapitre Deux).3 Comme déjà discuté dans les Chapitres Un et Deux, même si certaines restrictions existent dans plusieurs pays, le nombre de secteurs concernés est très élevé en Tunisie. Ces restrictions, combinées avec la protection de la main d’œuvre et le contrôle du capital, empêchent la capitalisation sur de plus grandes opportunités IDE parce que les entreprises étrangères préfèrent continuer à opérer dans le cadre du régime offshore avec des industries à faible valeur ajoutée ou dans le secteur de l’énergie. La Tunisie ne permet que très peu de mobilité des capitaux. Le pays continue à gérer de manière rigoureuse sa monnaie à travers un contrôle strict du compte en capital. Même pour les sociétés non résidentes (offshore), le transfert des capitaux et des bénéfices est soumis à une autorisation. Bien que ce contrôle draconien protège la Tunisie contre les effets de contagion d’une crise financière, il constitue, en même temps, une contrainte importante pour les entreprises qui veulent investir en Tunisie. Il empêche également les sociétés tunisiennes d’investir à l’étranger ou les sociétés étrangères de s’étendre vers le marché régional. Code d'Incitation aux Investissements La politique et le cadre réglementaire propres aux investissements s’articulent autour du Code d'Incitation aux Investissements de 1993 (Loi 93-120 de décembre 1993) qui part, en fait, de l’introduction du régime “offshore” en 1972 (Loi 72-38 d’avril 1972). Comme déjà discuté dans le Chapitre Deux, le Code d'Incitation aux Investissements (CII) couvre tous les secteurs d’activité à l’exception de l’exploitation minière, l’énergie, le commerce intérieur et le secteur financier qui sont régis chacun par une réglementation spécifique.4 Sept objectifs prioritaires sont soutenus par une panoplie d’incitations fiscales et financières, dont certaines sont accordées sur la base d’une simple déclaration (notamment les incitations fiscales), alors que d’autres sont soumises à des approbations au cas par cas (les incitations financières). Des incitations supplémentaires spéciales peuvent être accordées à des projets d’investissements spécifiques (par exemple, pour les grands projets ou des projets d’importance nationale) et sont accordées par décret. Le CII a été amendé plus de soixante fois à travers les années ce qui en fait un code incohérent. Le Code d'Incitation aux Investissements distingue entre deux régimes de base pour les sociétés “totalement exportatrices” (ou offshore) et pour les sociétés “non exportatrices ou partiellement exportatrices” (ou onshore). Les sociétés “totalement exportatrices” bénéficient d’exonérations de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur le bénéfice pendant les 10 premières années de leur activité, de 50 pourcent de réduction pendant les 10 années suivantes, et d’une exonération fiscale totale pour les bénéfices réinvestis.5 L’Etat accorde également un accès en franchise de douane à tous les équipements et le matériel, met souvent à disposition l’infrastructure nécessaire et prend en charge la contribution sociale de l’employeur sur 5 ans. Ces sociétés bénéficient aussi de procédures douanières simplifiées ce qui correspond à une économie de temps et de coût énorme puisque l’administration locale est complexe, imprévisible et astreignante. Une société “totalement exportatrice” peut vendre jusqu’à 30 pourcent de son produit sur le marché local. Néanmoins, les données empiriques indiquent que peu de sociétés choisissent cette option puisque la partie de la production vendue sur le marché local est exempte des avantages “offshore”. Cela veut dire que la partie vendue sur le marché local est non seulement soumise au régime fiscal commun mais soumise aussi aux procédures administratives locales normalement pratiquées. Les sociétés “partiellement exportatrices” peuvent exporter leur production. Les biens intermédiaires importés nécessaires pour ces exportations sont exonérés des droits d’importation si les exportations correspondantes ont lieu dans un delà de trois mois. Cela donne lieu à des procédures administratives coûteuses pour l’obtention de certificats spécifiques des 144 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé biens importés et exportés correspondants auprès des services douaniers qui effectuent le contrôle physique des produits. Par conséquent, les sociétés locales qui commencent à exporter ont tendance à se diviser en deux entités distinctes : une entité qui se spécialise dans le marché local et une autre qui opère sous le régime offshore d’exportation. Le modèle onshore-offshore a initialement contribué au développement de la Tunisie pendant les années 70 et 80. La dualité onshore-offshore a contribué à la transformation économique de la Tunisie car le secteur offshore a attiré des investisseurs étrangers et a rapporté les devises dont le pays avait tant besoin alors que le secteur onshore lourdement protégé a facilité le développement d’une base industrielle locale. En fait, le régime offshore a été indéniablement un succès en termes d’attraction des investisseurs étrangers, d’appui à la création de nouvelles entreprises et de création d’emplois par rapport au reste de l’économie (voir Chapitre Un). Près de 45 pourcent des entreprises et 75 pourcent des emplois dans l’industrie appartiennent au secteur offshore. Il faut également noter que 40 pourcent des sociétés offshore sont la propriété de Tunisiens et donc les avantages directs ne bénéficient pas uniquement aux étrangers. Toutefois, ces résultats ont été chèrement payés et la performance économique faible enregistrée pendant la décennie écoulée montre que le modèle économique à deux niveaux n’est plus le modèle idoine pour soutenir le développement de l’économie tunisienne. Une analyse documentaire de plus de 70 études sur le Code d'Incitation aux Investissements tunisien révèle que la plupart des études jugent le CII comme étant obsolète et nécessitant une réforme (IFC et Ernst & Young, 2012). En fait, la plupart des études considèrent que le système double est devenu nocif, de plusieurs manières, au développement de la Tunisie. Comme déjà discuté dans certains chapitres, le secteur offshore est resté piégé dans des activités à faible valeur ajoutée et les proches du régime ont accaparé les rentes extraites grâce aux restrictions d’accès imposées dans le secteur onshore. Par ailleurs, comme discuté dans ce chapitre, le secteur onshore entraine des coûts budgétaires élevés (des incitations) qui ont donné des retours limités en termes d’attraction des investissements et de création d’emplois. En plus, le CII n’envoie pas un message positif et clair à la communauté des affaires locale et internationale, il est extrêmement complexe et manque de transparence chose qui décourage les investisseurs potentiels sans aborder les garanties légales accordées aux investisseurs. Les principales lacunes du CII sont discutées brièvement ci-après. Dualité et distorsions : Echec à soutenir une croissance économique rapide et inclusive Le Code d’Incitation aux Investissements a introduit des distorsions et une dualité dans l’économie tunisienne. Le Chapitre Un a démontré la présence d’une dualité lourde entre les secteurs onshore et offshore qui se manifeste à travers des différences dans la distribution de la taille des entreprises, la moyenne de la productivité et de performance à l’exportation. Ces différences reflètent le fait que la séparation entre les sociétés onshore et offshore a constitué un obstacle au transfert harmonieux de la technologie et du savoir-faire (c.-à-d. les retombées sur la productivité) dans l’économie donnant lieu à une productivité plus faible dans le secteur onshore. Plusieurs facteurs contribuent à cette segmentation. Le traitement fiscal inégal entre les exportateurs et les autres sociétés a causé des distorsions au niveau de l’économie et a empêché l’adoption de règles équitables pour tous les investisseurs. De plus, les contraintes réglementaires empêchent les sociétés offshorede travailler avec le secteur onshore qui est donc resté isolé du reste de l’économie en créant une “enclave” interne au lieu de constituer un moteur bénéfique pour toute l’économie. L’encadré 4.2 donne des détails sur les obstacles bureaucratiques à l’interaction entre les deux régimes. Les meilleures entreprises et notamment celles qui sont compétitives au niveau mondial ont choisi d’opérer dans le secteur offshore. Ces entreprises importent, en grande partie, leurs intrants intermédiaires, c’est à dire elles ne s’approvisionnent pas sur le marché local probablement à cause des coûts des transactions (en plus des contraintes réglementaires) et la faible compétitivité des matières la révolution inachevée 145 Encadré 4.2 : Obstacles au commerce entre les entreprises onshore et offshore L’échange entre les entreprises onshore et offshore est très limité malgré le fait que rien dans le Code d'Incitation aux Investissements n’empêche explicitement de tels échanges. En fait, les entretiens avec les opérateurs dans le secteur privé soulignent les contraintes dues à l’asymétrie dans (i) les taxes et (ii) les procédures douanières (qui n’apparaissent pas dans le CII): (i) Asymétrie des taxes : Toutes les transactions des entreprises offshore sont considérées comme étant des exportations/importations et si une entreprise onshore veut acheter des intrants auprès d’une entreprise offshore la transaction est une importation pour la société qui achète (et l’entreprise onshore doit payer des taxes sur une telle transaction) est une exportation pour la société qui vend. Et si, par contre, une société offshore souhaite acheter ses intrants auprès d’une société onshore, la transaction est une importation pour la société qui achète (et l’entreprise offshore n’est pas tenue de payer une taxe sur une telle transaction) et une exportation pour la société onshore. Cette situation crée certaines distorsions : (1) l’entreprise onshore est tenue de s’acquitter des taxes sur les importations et la TVA pour produire ses marchandises mais ne recevra ni taxes d’exportation ni TVA en échange si elle traite avec une société offshore. Partant de là, si une entreprise souhaite traiter avec des entreprises onshore et offshore, elle se divise en général en deux entités distinctes (une entité offshore et une autre onshore) pour contourner ce problème. (2) Etant donné que les entreprises offshore achètent les intrants sans payer de TVA, une société onshore qui voudrait vendre sa production à une société offshore doit demander auprès du Ministère des Finances (Directeur Général de la fiscalité) une autorisation pour acheter ses propres intrants sans payer de TVA—et le secteur privé trouve que cela constitue une procédure complexe et longue qui devient plus rapide pour les sociétés/PDG qui entretiennent des relations étroites avec le Ministère des Finances. La procédure est encore plus compliquée pour les entreprises de plus petite taille. Une solution possible serait de prélever les taxes et la TVA lorsque les produits sont vendus (et pas lorsque les intrants sont achetés). Cela pourrait faciliter aux entreprises onshore la vente de leur production aux entreprises offshore. La réforme du Code de la Douane en 2009 a créé un nouveau régime : ‘Régime de perfectionnement actif ou passif’ qui permet aux entreprises onshore d’importer les intrants sans payer ni taxes ni TVA — elles ne sont tenues de payer que si elles vendent leur production sur le marché local. La réforme étant relativement récente, son impact n’a pas encore été évalué. (ii) Procédures douanières : Les entreprises offshore bénéficient de procédures douanières allégées lors de l’exportation vers l’étranger. Mais les procédures sont différentes lorsqu’elles “exportent” en Tunisie. Pour exporter en Tunisie, elles doivent obtenir une autorisation du Directeur Général Régional des Douanes puis demander l’approbation du Directeur Général Central. En outre, si une entreprise offshore qui se trouve dans une région donnée souhaite traiter avec une entreprise onshore qui se trouve dans une autre région, il faut faire alors deux déclarations. De plus, la cargaison doit être vérifiée une fois avant de quitter la zone de production et une autre fois à la livraison. Donc si une entreprise offshore veut vendre sa production à différents endroits en Tunisie, elle doit payer un camion, un transporteur routier, etc. pour chaque destination. Finalement, malgré le fait que les entreprises offshore soient autorisées à vendre 30 pourcent de leur production (50 pourcent entre 2011-2012) sur le marché local, en pratique, la procédure qui permet de prouver le respect de ce seuil est complexe et décourage donc beaucoup d’entreprises de façon à ce que seuls 39 pourcent des sociétés offshore ont eu recours à cette possibilité. Source : Entretiens avec des représentants du secteur privé à l’UTICA intermédiaires produites par le secteur onshore. De manière analogue, à cause des restrictions imposées à la quantité des produits que les sociétés offshore peuvent vendre sur le marché local et du fait que le traitement avec les marchés étrangers soit plus facile et coûte moins cher, les entreprises offshore sont enclines à vendre leur production presque exclusivement à l’étranger (encadré 4.2 et encadré 4.3). On a constaté de manière anecdotique le paradoxe des sociétés tunisiennes qui réimportent souvent les produits tunisiens qui ont été fabriqués en Tunisie puis exportés par les 146 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé entreprises offshore. Il s’agit d’une mesure implicite des coûts élevés que supporte l’économie à cause de la bureaucratie excessive. Un tel coût inutile compromet la compétitivité des sociétés onshore qui sont déjà défavorisées par rapport aux entreprises offshore. Mettre fin donc à la dichotomie onshore- offshore devient vital pour que la Tunisie puisse bénéficier des avantages de l’intégration mondiale et pour renforcer sa productivité et sa performance économique. Encadré 4.3 : La bonne pratique : Davantage de paperasse, moins de ventes sur le marché local tunisien DIAR BEN SALEM, Nabeul - Les grandes baies vitrées du siège de La Pratique Electronique ont une vue sur le village de Diar Ben Salem jusqu’à la Méditerranée. A l'extérieur, l'homme qui garde la porte s'occupe également de quatre chiens d'arrêt dans un chenil - lorsqu'il n'est pas au travail, le directeur général de l'entreprise, Walid Benamor, aime à chasser le sanglier dans les bois de la péninsule du Cap Bon. Bien que solidement ancrée sur le sol tunisien, La Pratique Electronique est une société «offshore» : elle exporte au moins 70 pourcent de sa production et importe ses matières premières et composantes en franchise de droits. Les systèmes d'alarme et les unités d'éclairage à LED fabriquées ici sont utilisés dans les usines de montage de voitures, les aéroports et les supermarchés, principalement en France. Le partenaire français de la société à 50:50, SGAME, vend également au secteur pétrolier du Moyen- Orient, où les sites avec de longues clôtures de périmètre doivent être sécurisés. L’équipe de marketing de La Pratique Electronique a identifié des clients similaires dans le désert Sud tunisien, où la sécurité est aussi une préoccupation. La société est en croissance rapide, passant de seulement deux employés en 2001 à 70 actuellement. Les ventes annuelles sont € 500 000, et M. Benamor les voit doubler d'ici 2016. Cependant les règlements régissant le secteur «offshore» sont, illogiques, soutient-il, prenant une grande partie des revenus de l'entreprise sur les ventes intérieures. La Pratique Electronique a la droit de faire 30 pourcent de ses ventes en Tunisie, mais la réglementation en vigueur rend procéder à de telles ventes directes désespérément compliqué et difficile à faire à des prix compétitifs. Il présente, par exemple, une petite unité d'éclairage rectangulaire, conçue pour être installée sur le mur d'enceinte d'une usine. Elle est produite ici à Diar Ben Salem. Avant de vendre directement à un client tunisien, il devra rassembler tous les documents relatifs à la façon dont La Pratique Electronique a importé chaque matière première ou composante. La société importe tous ses intrants, et cette unité d'éclairage contient plus de 40 pièces différentes. Cela voudrait dire plus de 40 éléments séparés de documentation. Sur plusieurs semaines, les douanes tunisiennes vérifieraient les documents et par des calculs compliqués arriveraient à un montant de tarif non-payé à l'importation et applicable à chaque intrant, puis elles totaliseraient la taxe à percevoir sur chaque unité vendue en Tunisie. L'unité d'éclairage finirait par être plus chère que le même produit importé d'Europe. La Pratique Electronique a trouvé une solution, bien qu’insatisfaisante. Elle vend les unités d'éclairage, en franchise de droits, à une société de négoce dans le port français de Marseille. Le commerçant les envoie au client dans le sud tunisien comme une importation en provenance d'Europe à laquelle ne s’applique pas de lourds tarifs. La marge de la société de négoce prend donc une part importante du chiffre d’affaires de La Pratique Electronique sur la vente. M. Benamor estime le manque à gagner annuel pour son entreprise à € 100 000, soit un cinquième du total de ses ventes annuelles. Ces réglementations entravent les ventes intérieures des autres sociétés offshore en Tunisie, et pas seulement dans le secteur de l'électronique, mais aussi dans l'habillement et les chaussures, dit-il, ajoutant : « Tôt ou tard, ces règlements doivent être modifiés si les sociétés offshore seront amenées à répondre à la demande intérieure croissante. » Source : Entretien avec La Pratique Electronique, avril 2014. la révolution inachevée 147 Le modèle économique double a maintenu une grande partie de l’économie tunisienne locale (le secteur onshore) sous haute protection et fermé aux investisseurs étrangers ce qui a causé des pertes au niveau de la croissance et de la création d’emplois. Les études qui ont porté sur le climat des investissements en Tunisie et sur le cadre réglementaire soulignent que bien que la plupart des pays comparables à la Tunisie continuent à protéger leurs frontières et à réglementer les investissements étrangers, le niveau de protection et de réglementation en Tunisie reste sensiblement plus élevé. Comme déjà discuté dans le Chapitre Deux, la réglementation relative à l’accès au marché est draconienne dans plusieurs secteurs avec un lourd pouvoir discrétionnaire et des règlements pas clairs : (par exemple : le mandat de la Commission Supérieure d’Investissement ; la procédure complexe pour les autorisations ; les règlements séparés pour les activités relatives au commerce intérieur et au transport, ainsi de suite). Comme cela a été mentionné dans le Chapitre Deux il existe actuellement 15 secteurs et 20 activités dans lesquels l’investissement est soumis à une autorisation obtenue auprès des ministères compétents dont le tourisme, le transport (routier, aérien et maritime), l’artisanat, les télécommunications, l’éducation et la formation professionnelle, la santé, la publicité et les services de vulgarisation agricole. Il y a en plus 49 secteurs ou activités pour lesquels des autorisations préalables sont requises au cas par cas par la Commission Supérieure d’Investissement dans le cas où un étranger compte détenir plus de 49 pourcent du capital. Globalement, comme déjà discuté dans les chapitres précédents, le niveau de protection et de réglementation est sensiblement plus élevé que les pays voisins ce qui étouffe la concurrence et donne lieu au copinage, aux privilèges et à l’extraction de rentes. Une telle structure économique double a provoqué des distorsions profondes au niveau de l’économie et est actuellement inutile puisqu’elle ne permet plus au pays de faire face aux défis en matière de développement. Elle réduit les incitations à l’investissement dans l’économie onshore et réprime la demande en matière de main d’œuvre en subventionnant les intrants étrangers. En outre, cette structure a empêché l’intégration entre le marché local et les secteurs exportateurs chose nécessaire pour étendre les avantages de l’intégration commerciale, notamment le savoir-faire technologique et la croissance de la productivité à travers l’économie. Le CII a, au contraire, contribué à la segmentation de l’économie entre un secteur onshore qui reste fermé à la concurrence et caractérisé par les rentes, le copinage et une productivité faible et un secteur offshore confiné essentiellement dans des activités à faible valeur ajoutée et non exposé à la concurrence avec des effets limités en savoir-faire entre les deux secteurs. En plus, le régime fiscal généreux applicable aux entreprises offshore a attiré en majorité des investissements mobiles pour des usines de montage qui n’ont créé que des emplois précaires et non qualifiés. Comme discuté dans le Chapitre Un, le manque d’efficacité dans le secteur onshore a aussi miné la compétitivité du secteur offshore décourageant ainsi les investissements dans les activités à forte valeur ajoutée.6 En fait, il a été déjà mentionné dans le Chapitre Un que les IDE vers la Tunisie se sont focalisés essentiellement sur les projets énergétiques (à forte intensité de capital) et les industries manufacturières à faible valeur ajoutée (notamment le textile et les câbles électriques). Ainsi, l’économie de la Tunisie continue à présenter une faible performance, les exportations sont à faible teneur en valeur ajoutée et les emplois créés sont essentiellement de qualité limitée. Les incitations fiscales ont également été inefficaces quant à l’atténuation des disparités régionales et les ont même exacerbés puisque l’investissement est allé principalement vers les régions côtières. Les incitations ont surtout bénéficié aux zones côtières en grande partie à cause des incitations à la promotion des exportations, qui représentent la majeure partie des dépenses, qui sont allées presque en totalité aux zones côtières (figure 4.1). Le fait que le CII se focalise sur les entreprises exportatrices a contribué à exacerber la disparité économique entre la côte, là où se situent normalement les activités d’exportation, et l’intérieur beaucoup moins développé créant ainsi des tensions sociales. 148 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Figure 4.1 : Distribution géographique des incitations accordées dans le cadre du Code d'Incitation aux Investissements, 2008-2011 (en million de TND) Total des avantages Avantages obtenus pour Avantages obtenus pour obtenus le développement régional la promotion des exportations Source : Ministère du développement et de la coopération internationale (MDCI) Une telle distribution a fait que seuls 13 pourcent des entreprises étrangères et 16 pourcent des emplois se trouvaient à l’intérieur du pays. De plus, la focalisation sur l’octroi d’incitations signifie que les causes profondes de la disparité n’ont pas étés traitées et notamment l’infrastructure limitée et le faible niveau de vie. Le Chapitre Dix fait état de plusieurs expériences internationales qui prouvent que les incitations ne constituent pas une politique efficace pour la réduction des disparités régionales et qu’il fallait plutôt mettre l’accent sur l’amélioration de l’infrastructure physique et sociale. Utilisation inefficace des ressources publiques : Une grande duplication des incitations La Tunisie attire essentiellement des investissements de faible qualité parce que le pays présente, comme principaux arguments de vente, des incitations fiscales et une main-d’œuvre bon marché. Les résultats de l’enquête sur la motivation des investisseurs conduite en 2012 par le Groupe de la Banque Mondiale, en collaboration avec le gouvernement, a examiné les motivations des investisseurs pour venir en Tunisie (annexe 4.2). Les résultats montrent que les investisseurs en Tunisie sont essentiellement attirés par la main-d’œuvre bon marché (27 pourcent), les incitations fiscales généreuses (21 pourcent), et la proximité de l’Europe (12 pourcent) (figure 4.2). Le fait que ce soit là les points forts de la Tunisie aux yeux des investisseurs donne une réponse à la question qui se pose quant à l’attraction essentiellement d’investissements “mobiles” d’assemblage et autres activités de faible valeur ajoutée. la révolution inachevée 149 Néanmoins, la plupart des entreprises déclarent que les Figure 4.2 : Importance des différents facteurs pour incitations fiscales n’ont pas été le facteur critique dans leur les investisseurs en Tunisie décision d’investir en Tunisie. L’enquête sur la motivation des investisseurs comprend plusieurs questions pour évaluer l’importance des incitations fiscales dans les décisions 35% d’investissement. Lorsqu’interrogés sur l’importance des 30% incitations fiscales dans leur décision, 49 pourcent des 25% investisseurs répondent qu’ils auraient investi même s’il n’y 20% avait pas d’incitations fiscales alors que 51 pourcent répondent 15% qu’ils n’auraient pas investi. Une autre question est alors posée 10% pour vérifier “la véracité” de ces réponses en demandant aux 5% 0 répondants de citer les 3 facteurs les plus importants dans leur décision d’investissement. En Tunisie, “la question de at uv e ts ls ts s t al les é en ale cit œ t d ch re loc en oû ion re ca em ltu ar véracité” montre un impact limité de la taxe sur la décision In d‘ coû isc c m s ge m de cu -fi se ac sf ta on ain t u tis m ee pl rs rs sa an sn Em d’investissement avec uniquement 21 pourcent des entreprises eu es eu la enc Av cè nv ion ct ct Ac Fa Fa t sI pé at de qui n’auraient pas investi et qui placent les avantages cit m In Co at im fiscaux parmi les facteurs prépondérants dans leur décision Cl d’investissement (tableau 4.1 et figure 4.3).7 Ce résultat est en harmonie avec la tendance internationale qui prouve que les Source : Calculs effectués des auteurs utilisant les données de l’Enquête sur la Motivation des Investisseurs en Tunisie 2012. incitations aux investissements ne peuvent se substituer à un climat attractif pour les investissements (encadré 4.4). Tableau 4.1 : Investisseurs marginaux et non marginaux par type d’entreprise Investisseurs Investisseurs « marginaux » « non marginaux » (Supplémentaires) (indifférents aux incitations) Toutes les Incitations fiscales 21% 79% entreprises Incitations financières 14% 86% Incitations fiscales et financières 11% 89% Entreprises Incitations fiscales 36% 64% offshore Incitations financières 19% 81% Incitations fiscales et financières 19% 81% Source : Calculs des auteurs utilisant les données de l’enquête sur la motivation des investisseurs en Tunisie- 2012. Figure 4.3 : Importance des incitations fiscales dans la décision d’investir en Tunisie et distribution des investisseurs marginaux par secteur Importance des Incitations Fiscales Investisseurs Marginaux et Investisseurs (%age de sociétés) 40% Non-marginaux par secteur Plus marginal 80% 30% Yes No 70% 64% %age des entreprises 20% 60% 49% 51% 10% 50% 0% 40% 36% -10% PlusNon-marginal 30% -20% 20% re ue ue ile ire s ue s s e ue ice ile ism 10% tu ob iq iq ta iq xt iq rv ul ut n an en m ur Te m tro ric Se na to éc To 0% m hi Ag ec Au ro ali sC M El Aé Auraient investi même Mentionnent les taxes ro rie et Ag sans les incitations dans les trois facteurs st e du qu les plus importants In tri ec El Source : Calculs effectués des auteurs utilisant les données de l’enquête sur la motivation des investisseurs en Tunisie- 2012. Remarque : Les investissements infra marginaux sont les investissements qui seraient, de toutes les manières, venus. Le diagramme à droite est un calcul de (a) - (b), où : (a) est le %age des investisseurs marginaux pour chaque secteur divisé par le nombre total des investisseurs marginaux ; et similairement, (b) est le %age des investisseurs infra marginaux pour chaque secteur divisé par le nombre total des investisseurs infra marginaux. 150 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Encadré 4.4 : Etudes internationales sur l’impact des incitations aux investissements Une étude du Groupe de la Banque Mondiale en collaboration avec le FMI et l’OCDE (2008) sur l’efficacité des incitations fiscales pour attirer les investissements par rapport aux coûts totaux (par les investisseurs et les pays) exigées pour établir et gérer les incitations, a montré que: (a) les incitations fiscales, étant le principal instrument politique, ne sont pas suffisamment efficaces pour attirer les investissements; (b) les coûts de mise en œuvre de ces incitations sont très élevés pour les pays (et parfois les investisseurs ne bénéficient même pas de ces politiques); et (c) ces programmes d’incitations fiscales ne garantissent pas que les activités et les investisseurs attirés par ces incitations auront l’impact escompté sur le développement industriel durable ou sur l’activité économique à long terme. Un constat clé fait dans le cadre de cette étude est que la meilleure “incitation” consiste à créer un climat favorable aux affaires. Ceci dit, l’étude ne recommande pas forcément l’abolition de toutes les incitations fiscales mais elle fait un plaidoyer pour : (a) l’abolition des incitations fiscales telles que les congés fiscaux; (ii) la création d’incitations fiscales sous forme de crédit d’impôts pour les sociétés; (iii) l’utilisation d’incitations “intelligentes” ou d’incitations ciblées pour obtenir ou encourager les investissements. Par exemple, les incitations fiscales ciblées pourraient être utilisées pour encourager : (i) la formation du personnel et assurer une amélioration des compétences sur le marché du travail (incitations à la formation); (ii) la croissance dans certains secteurs clés de l’économie; et (iii) le développement de nouvelles industries durables comme les énergies renouvelables ou les Technologies d'Information et de Communication TIC. Quant à la recommandation d’une approche ciblée, l’étude met aussi l’accent sur l’importance de la transparence du processus d’octroi des incitations; la clarté et la simplicité des textes et des procédures légaux pour l’obtention de ces incitations; et l’expiration des incitations avec le temps pour assurer leur efficacité. Source : IFC (2009) Jusqu'à 79 pourcent des charges fiscales des incitations (avantages et pertes de recettes) sont gaspillées. Le Code d'Incitation aux Investissements représente une utilisation très inefficace des ressources publiques parce que le coût financier des incitations ne porte qu’un faible retour en termes d’attraction des investissements. Les résultats de l’enquête sur la motivation des investisseurs indiquent que 79 pourcent de toutes les entreprises auraient investi même en l’absence des incitations et que les avantages financiers dont elles bénéficient sont superflus, i.e., elles constituent un gaspillage des ressources publiques. Si l’on se penche sur les “investisseurs marginaux” (i.e., les 21 pourcent des entreprises qui n’auraient pas investi en l’absence des incitations) il s’avère qu’ils se trouvent essentiellement dans les industries électriques et électronique, les composants automobiles et l’industrie chimique (figure 4.3). Cela suggère qu’en réformant le CII, la Tunisie devrait soigneusement évaluer l’impact des incitations sur ces secteurs et éventuellement envisager la possibilité d’adopter des politiques pour retenir ces entreprises (et éviter la perte des emplois). Coûts budgétaires élevés des incitations et Tableau 4.2 : Coût total net des incitations en 2009 avantages8 (en million de TND) Une évaluation des coûts directs et des avantages du Code d'Incitation aux Investissements indique que le système Avantages fiscaux 1 198 92% des incitations aux investissements coûte très cher pour Avantages financiers APII 33 3% n’apporter à la Tunisie que très peu d’avantages. Une Avantages financiers APIA 54 4% étude conduite par IFC et ECOPA (2012) a mesuré les Avantages financiers ONTT 11 1% coûts directs du système d’incitations assuré par le CII en TOTAL 1 296 100% terme de coûts directs et de recette fiscale perdue et a Source : IFC et ECOPA (2012) comparé ces coûts avec les avantages générés en terme de création d’emplois et de génération d’investissement. la révolution inachevée 151 Le coût direct des incitations est élevé et peut atteindre Figure 4.4 : Coût net des avantages fiscaux en % du environ 2.2 pourcent du PIB.9 Le coût total des incitations PIB et en % des recettes totales fiscales et financières est estimé à 2.2 pourcent du PIB (ou 1296 millions de TND; environ 850 millions US$) en 2009, ou 8.5 pourcent des revenus totaux, ce qui constitue un grand 10 9,5 % PIB % Recettes montant (tableau 4.2 et figure 4.4).10 La perte de revenus à 8,5 cause des incitations fiscales représente la plus grande part des 8 7,5 coûts avec des avantages fiscaux qui arrivent à 92 pourcent 6 des coûts totaux en 2009. Parmi ces incitations fiscales, les avantages accordés aux sociétés exportatrices (offshore) sont 4 les plus chers et représentent 67 pourcent du coût total des 2 2 2,1 1,8 incitations fiscales et financières (tableau 4.3). Il est intéressant de noter que seuls quelques types d’avantages, les 4 premiers 0 2009 2010 2011 types d’incitations (sur 68 différents types), représentent près de 85 pourcent des incitations (tableau 4.3).11 En fait, plusieurs programmes d’incitations sont superflus puisqu’ils ne font que Source : IFC et ECOPA (2012) dupliquer l’appui à des objectifs similaires et restent inutilisés. Un nombre réduit de sociétés reçoivent la majeure partie des incitations ; et ces sociétés se concentrent dans des secteurs qui n’ont pas une forte intensité en main- d’œuvre, notamment le secteur de l’exploitation minière, l’énergie et les services bancaires. Plus de 90 pourcent des incitations fiscales et douanières ne bénéficient qu’à près de 2500 entreprises (ou seulement 10 pourcent du total des 24,000 bénéficiaires d’incitations fiscales). En termes de secteurs, le secteur minier est le principal bénéficiaire des incitations fiscales avec 21 pourcent du total, suivi par le secteur de l’énergie puis un certain nombre de secteurs tertiaires (notamment le secteur bancaire qui est un autre bénéficiaire majeur) et l’industrie (surtout le textile).12 Le fait que l’exploitation minière, l’énergie et les services bancaires, des activités qui bénéficient d’avantages exceptionnels, se trouvent parmi les secteurs qui tirent le plus profit des incitations s’inscrit dans le droit fil du constat général selon lequel l’impact des incitations sur l’économie n’est que très modeste (et sur la création d’emplois- voir ci-dessous). Ces résultats sont en cohérence avec les résultats de l’enquête sur la motivation des investisseurs qui indiquent que les investissement supplémentaires attirés par les incitations représentent 21 pourcent du Tableau 4.3 : Principales réductions d’impôt brut, 2008-2011 (moyenne annuelle) Type d'incitations CII Déductions % Cumulatif % (moyenne annuelle 2008-2011 en million de TND) Exportation totale (déduction de l’impôt sur la société) Oui 826.8 67.0% 67.0% Exportation (déduction de l’activité) Nno 97.4 7.9% 74.9% Exportation partielle (déduction de l’impôt sur la société) Oui 87.2 7.1% 82.0% Incitations publiques (Abattement de capital) Oui 25.9 2.1% 84.1% Développement régional prioritaire (10 premières années) (déduction de l’impôt sur la société) Oui 24.5 2.0% 86.1% Revenus et bénéfices Non 21.4 1.7% 87.8% Développement régional prioritaire (10 premières années) (Souscription) Oui 17.0 1.4% 89.2% Développement régional (Zone 1) (Abattement de capital) Oui 16.5 1.3% 90.5% Développement agricole ou pêche (déduction de l’impôt sur la société) Oui 15.8 1.3% 91.8% Réinvestissement SICAR, ou placement de fonds capital risque (75 % gratuitement) Non 11.8 1.0% 92.7% Appui à l’investissement (Abattement de capital) Oui 11.7 1.0% 93.7% Zones économiques franches (déduction de l’impôt sur la société) Oui 11.1 0.9% 94.6% Source : IFC et ECOPA (2012) 152 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé total des investissements, soulignant ainsi que 79 pourcent des investisseurs ne tiennent pas compte des incitations (ils auraient de toutes les manières investi). Les résultats en termes de création d’emplois sont très limités et le coût de chaque emploi créé est donc très élevé. A la lumière des coûts mentionnés ci-dessus, les avantages en terme de création d’emplois additionnels13 semblent très limités ne représentant que 2 pourcent du total des emplois dans les secteurs de l’industrie et des services. Par conséquent, le coût des incitations fiscales est estimé à 6362 TND/an/ emploi créé dans les sociétés qui bénéficient des incitations (environ 4200 US$ au taux de change de 2009). De plus, si nous ne prenons en considération que les emplois additionnels (i.e., ceux qui n’auraient pas été créés sans les incitations) le coût augmente pour atteindre environ 30,000 TND/emploi/an (près de 20,000 US$ au taux de change de 2009). Ce coût exceptionnellement élevé par emploi créé reflète l’impact généralement faible du système d’incitations. Il est à noter que des résultats similaires ont été obtenus en portant l'attention uniquement sur le secteur manufacturier. La part des investisseurs marginaux dans les secteurs manufacturiers en utilisant la “question de vérité” est de 28 pourcent (ce qui est un peu plus élevé que la part sur l'échantillon entier). La part des coûts en revenus pour le secteur manufacturier est de 25 pourcent des coûts budgétaires totaux, alors que les emplois créés par le secteur manufacturier représentent environ 64 pourcent des emplois dans leur totalité. Ainsi, alors que le coût de chaque emploi supplémentaire créé dans le secteur manufacturier est inférieur au coût de l'échantillon entier, il demeure très élevé à environ TND 12,000 par an (ou US$8,000 par an) pour chaque emploi supplémentaire. Plusieurs études ont également montré que la Tunisie ne bénéficie que faiblement des incitations qu’elle offre au secteur Figure 4.5 : Taux effectif marginal d’imposition pour les de l’exportation. Pendant des décennies, le gouvernement a projets d’investissement en Tunisie (onshore et offshore) utilisé les incitations fiscales pour encourager le secteur des par rapport à d’autres pays de référence exportations. Mais comme discuté dans le Chapitre Un, la Taux effectif marginal d'imposition (%) performance tunisienne en matière d’exportation n’a pas été exemplaire. De plus, la croissance des exportations a plafonné Serbie le long de la décennie écoulée alors que le coût budgétaire des Jordanie incitations semble avoir presque doublé (voir ci-dessus). Entre Maroc temps, le secteur non exportateur a dû supporter une charge fiscale plus lourde pour compenser la petite assiette fiscale. En Egypte pratique, le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) pour le Tunisie (onshore) secteur offshore tourne autour de cinq pourcent, le TEMI pour le Tunisie (offshore) secteur onshore est d’environ 31 pourcent.14 Sur le temps, une 0 5 10 15 20 25 30 35 telle situation a réduit la compétitivité du secteur non exportateur Source : Calculs des auteurs (figure 4.5) dont la croissance et le potentiel de création d’emplois ont été entravés. 4.2 / Cadre réglementaire lourd et complexe pour les investissements et les activités du secteur privé L a politique tunisienne d’investissement et son application sont très complexes et fragmentées. La “Commission Supérieure d’Investissement” détient un large pouvoir discrétionnaire quant à la décision relative aux projets d’investissement et a été associée à des abus notoires sous l’ancien président Ben Ali. Au niveau opérationnel, il y a un grand nombre d’agences séparées qui traitent des projets d’investissement (APII, APIA, ONTT, FIPA, CEPEX, etc.) et un nombre de fonds spécialisés dans le financement des projets (FAMEX, FOPRODEX, etc.). Cette multitude d’agences et de voies de la révolution inachevée 153 financement a donné lieu à une grande complexité qui caractérise le processus d’investissement en Tunisie. Il y a lieu de rationaliser, de restructurer et de consolider toutes les agences, idéalement dans un guichet unique, une “Agence des Investissements” et un “Fonds des Fonds” regroupant les divers institutions et programmes d’appui financier. Créer des projets d’investissement dans des secteurs et activités non soumis à une autorisation préalable est relativement simple en Tunisie ; mais dès que le projet devient soumis à une autorisation, l’affaire peut durer des mois et peut même aller jusqu’à 1 à 2 ans. Récemment, l’établissement d’un guichet unique a facilité de manière significative le processus d’investissement pour les projets qui ne nécessitent pas une autorisation préalable. Toutefois, le processus reste complexe et lourd pour les projets soumis à une autorisation préalable. La durée totale varie selon la nature et l’importance du projet. Les projets sont soumis à une autorisation si (i) des étrangers détiennent plus de 49 pourcent du capital pour les projets onshore ; ou (ii) pour les projets sur la liste restreinte des 15 secteurs et 20 activités (mentionnée ci-dessus); ou (iii) si le projet demande un avantage financier dans le cadre du Fonds de Promotion et de Décentralisation Industrielle (FOPRODI) et/ou le programme de développement régional. De telles restrictions touchent plus de 60 pourcent de l’économie.15 En pratique, il reste plusieurs obstacles substantiels à l’investissement dans l’économie. Les délais de traitement des demandes sont spécialement longs pour les projets qui nécessitent l’accès à un terrain, ce qui occasionne plusieurs restrictions supplémentaires.16 En outre, des retards importants persistent pour les projets qui ne sont pas couverts par le Code d'Incitation aux Investissements.17 Une représentation schématique du processus d’investissement en Tunisie est fournie en annexe 4.3. Un domaine particulièrement difficile dans le bourbier bureaucratique concerne l’acquisition des terrains, la construction et les transactions immobilières qui limitent l’arrivée de nouveaux investisseurs, notamment dans le secteur agricole, et entravent l’aménagement urbain. Alors que les problèmes liés à l'accès aux terrains sont extrêmement importants en Tunisie, ils ne sont pas discutés dans ce rapport car ils ont été évalués en détail dans d'autres études. Ainsi, la récente Revue d'Urbanisation de la Tunisie (Banque Mondiale 2014g) recommande l'assouplissement des réglementations régissant les transactions foncières et le renforcement des institutions pour une' évaluation foncière qui soit précise et systématique. La réglementation régissant l’enregistrement des propriétés et des transactions complique l’accès à la propriété pour les gens pauvres. Par exemple, pour enregistrer une propriété il faut débourser 6.1 pourcent de son prix en plus de 30 TND en redevance gouvernementale et entre 30 et 300 TND en honoraire d’avocat. Dans les pays de l’OCDE, le coût de l’enregistrement est de 4.5 pourcent du prix du bien. A titre de comparaison, en Géorgie, un pays qui a réduit les frais des transactions et la bureaucratie, l’enregistrement des terrains implique une seule procédure d’enregistrement du titre auprès du registre public qui nécessite en moyenne deux jours et ne coûte que 0.1 pourcent du prix du bien.18 Figure 4.6 : Facteurs qui constituent un obstacle à la croissance des entreprises en Tunisie Règlementation 6% 31% 33% 20% Pas du tout Faible Fiscalité 5% 21% 33% 20% Moyenne Assez importante Très importante « Paiements supplémentaires » 15% 17% 24% 18% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Source : Calculs des auteurs sur la base de l’enquête sur la motivation des investisseurs conduite, en 2012, par le Groupe de la Banque Mondiale. 154 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Globalement, le fardeau réglementaire est perçu comme étant un obstacle qui ralentit l’activité du secteur privé tunisien beaucoup plus que le niveau d’imposition ou de corruption. Le Rapport sur la Compétitivité Mondiale 2011-2012 a mis en exergue la bureaucratie lourde comme étant le facteur le plus problématique dans l’environnement des affaires. L’enquête sur la motivation des investisseurs conduite en 2012 par la Banque Mondiale a examiné les perceptions des investisseurs quant aux obstacles aux investissements en Tunisie. Fait intéressant, le secteur privé trouve que la charge réglementaire excessive constitue une barrière beaucoup plus problématique que l’imposition et la corruption.19 Environ 84 pourcent des investisseurs trouvent que la complexité de la charge réglementaire représente un problème important pour la croissance des entreprises en Tunisie (figure 4.6). Dans la plupart des pays, le secteur privé tend plutôt à se plaindre du niveau d’imposition mais en Tunisie, l’on se plaint plus du poids de la bureaucratie (voir encadré 4.5). Encadré 4.5 : La bureaucratie un coup de massue pour Rugby Tunisie LA CHARGUIA, Tunis - Pour le fabricant de vêtements Rugby, avoir certains grands ministères comme clients nécessite beaucoup de patience. Les niveaux de bureaucratie pour que la société soit payée pour un contrat exécuté peut signifier une longue attente qui pèse lourdement sur la trésorerie - surtout quand les temps sont incertains tels qu’ils l’étaient durant les trois années suivant la révolution de 2011. Le directeur général de Rugby Samir Mallek rappelle comment au début de 2013 l’entreprise était au bord du gouffre, et quelque 100 employés étaient à la maison à demi-solde, après qu’un ministère ait annulé une commande importante d’uniformes. Sur une autre commande qui avait déjà été livrée, le paiement avait été retardé en raison d'un problème sur l’approbation du budget alloué au ministère. En attendant, il a dû vendre sa maison et d'autres biens, qui étaient en garantie auprès de la banque. Retour dans les années 1930, le fondateur de Rugby avait sans doute également faire preuve de patience sur les comptes débiteurs quand il fournit chiffon pour le ménage du monarque, Ahmed Bey. Le père de Mallek, qui a acheté l'entreprise en 1947, a concentré ses affaires sur ce marché de niche , et toutes les activités présentes de de Rugby consistent à fournir des uniformes pour les soldats, policiers, douaniers et gardes forestiers tunisiens. Une brève incursion dans le travail en sous-traitance pour des clients européens à l'exportation n'a pas survécu à la forte concurrence de la Roumanie et de la Chine. Même dans le meilleur des cas, les fonctionnaires de certains ministères (pas le ministère de la défense, qui est plus rapide, Mallek dit) peuvent prendre entre un et quatre mois pour décider si des marchandises sont conformes aux spécifications. "Ensuite, une fois que nous soumettons une facture, celle-ci doit être envoyée au département des finances au ministère concerné. Puis ils la transmettent à la trésorerie générale au ministère des Finances, où ils peut « dormir »un peu plus longtemps," dit-il. Le ministère des Finances émet finalement un mandat à la Banque centrale, qui effectue le paiement. Rugby attend parfois 12 à 18 mois pour être payée. Avant la révolution, les ventes annuelles ont culminé à 3 millions de dinars (environ 1,35 millions d'euros). En 2012, elles étaient tombés à 700,000-800,000 dinars, alors que les employés de exigeaient des augmentations salariales. Rugby a également recours à l'affacturage avec ses banques, qui avancent l'argent comptant seulement après déduction des paiements d'intérêts à l'avance. «Ce sont les paiements d'intérêt qui nous ont vraiment touchés», dit Mallek. Et si le paiement n'est pas venu par après six mois, l'accord d'affacturage se présente comme un prêt en souffrance sur l'historique de crédit d'une entreprise. Les autorités fiscales ont fait preuve de souplesse, le cas échéant, sur le rééchelonnement des paiements, dit-il. La CNSS (Caisse Nationale de Sécurité Sociale) est moins souple, et a tenté de bloquer un paiement à venir à travers de l'un des clients du secteur public de Rugby - comme il en a la possibilité en vertu du droit tunisien - après que la compagnie ait pris du retard sur ses contributions à la CNSS. "C'est l’histoire de la poule et de l'œuf», dit Mallek. "Comment pouvons-nous combler les contributions dues si nos paiements entrants sont bloqués ?" Il a finalement reçu les fonds après un règlement à l'amiable avec la CNSS. Source : Entretien avec Samir Mallek, directeur général de Rugby, Avril 2014. la révolution inachevée 155 En fait, la bureaucratie et l’environnement impose une lourde charge aux entreprises en Tunisie. Les résultats Figure 4.7 : %age de temps passé par les hauts responsables à s’occuper de la réglementation de l’enquête 2012 de la Banque Mondiale font ressortir que les responsables passent près de 25 pourcent de 35 leur temps à répondre aux exigences bureaucratiques 30 29 et réglementaires, un pourcentage relativement élevé 25 25 25 par rapport aux normes internationales (figure 4.7 ; voir 20 19 annexe 4.4 pour les détails de l’enquête). Dans certains 16 15 13 cas, les entretiens sur terrain montrent que les entreprises 10 10 11 10 emploient des personnes spécialement pour ne s’occuper 5 0 1 que des exigences administratives et bureaucratiques. 0 Cette situation est surtout vraie pour les entreprises de e ie e e n oc e il e rie e moyenne et grande taille qui peuvent se permettre de és ré si ric gn si ui ba an ar gé ai ni rq Co Br au Li lo rd M al Tu Al Tu Po M Jo M tels frais. Il est également étonnant de découvrir que le Source : Banque Mondiale (2014), sur la base de l’enquête sur les entreprises temps passé à s’occuper des questions administratives et conduite en 2012 en Tunisie par la Banque Mondiale. de bureaucratie ne change pas selon les caractéristiques de l’entreprise (telles que la taille ou l’orientation du marché) mais selon la région. Dans le Grand Tunis, les Figure 4.8 : Les pertes dues à la faiblesse du climat responsables d’entreprises passent près de 35 pourcent de d’investissement (en % de vente) leur temps à remplir les exigences bureaucratiques alors que dans les autres régions, ce chiffre peut être aussi bas 25 que 7 pourcent. La qualité des services publics est donc 20 affectée par l’intensité de la demande mais probablement aussi par le degré de pouvoir discrétionnaire exercé dans 15 l’application de la réglementation. 10 5 La charge réglementaire coûte aux entreprises près de 13 pourcent de leur chiffre d’affaires. Les résultats 0 de l’enquête sur les entreprises réalisée par la Banque oc ie te e n rie e en q by si ba Ira Mondiale en 2012 mettent en exergue la “taxe” énorme an yp ar m Sy ni Li Li rd M Yé Eg Tu Jo imposée par la bureaucratie sur la compétitivité des Source : Banque Mondiale (2014 e), sur la base de l’enquête sur les entreprises entreprises. L’on estime à 13 pourcent des ventes conduite en 2012 en Tunisie par la Banque Mondiale. annuelles des entreprises les efforts déployés pour se conformer aux réglementations, lequel chiffre est obtenu en cumulant le coût d’interaction avec l’administration (coûts directs et indirects, y compris le temps passé à se conformer à la réglementation). En effet, la Tunisie fait partie des environnements les plus coûteux lorsqu’on se penche sur les comparateurs MENA avec un environnement bien plus coûteux que celui du Maroc et de la Jordanie (figure 4.8).20 Le coût élevé de conformité à la réglementation reflète, en partie, le pouvoir discrétionnaire significatif dans l’application des règles, ce qui donne lieu à la corruption et au copinage. Les grandes pertes provenant des faiblesses du climat d’investissement combinées à la grande part de temps consacré par les hauts responsables sont révélateurs du besoin d’une interaction plus fréquente pour satisfaire les exigences bureaucratiques. Ceci reflète la complexité et le pouvoir discrétionnaire dans l’environnement réglementaire en Tunisie (et plus généralement dans la région – Voir la Banque Mondiale 200a9). Les règlements peuvent sembler simples sur le papier, mais en pratique l’application est imprévisible, longue et coûteuse aux entreprises. Plusieurs problèmes sont résolus à travers la négociation reflétant une grande marge de pouvoir discrétionnaire ce qui favorise le copinage et la corruption (comme discuté dans le Chapitre Trois). 156 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé L’environnement bureaucratique et réglementaire est difficile pour les affaires en Tunisie. Près de 1/3 des entreprises passées en revue dans le cadre de l’enquête 2012 de la Banque mondiale se plaignent de la corruption avec 29 pourcent des responsables qui classent la corruption comme étant une contrainte sévère ou très importante (la plaçant à la 6ème position des principales contraintes identifiées dans une liste de 20). Au niveau régional, les entreprises tunisiennes ont tendance à moins se plaindre de la corruption (figure 4.9). Toutefois et selon les normes internationales, la prévalence de la corruption “pour accélérer les choses” en Tunisie est parmi les plus élevée (figure 4.9). Plus du 1/4 de toutes les entreprises dans l’enquête ont déclaré devoir faire une certaine forme de paiement informel pour accélérer une forme d’interaction avec l’administration (figure 4.10). Ces observations laissent croire que la prévalence de la corruption est associée à la réglementation et soulèvent la question de la grande marge de pouvoir discrétionnaire et à l’arbitraire dans l’application des règles. Cette observation rejoint les conclusions de l’étude de la Banque Mondiale 2009 “Des privilèges à la concurrence: renforcer la croissance par le développement du secteur privé dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord” selon lesquelles l’un des principaux obstacles à la croissance et au développement du secteur privé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord est l’incertitude politique, associée largement à l’application sélective des règles là où les opérateurs en place ont toujours eu un rôle de premier plan (Banque Mondiale 2009a). Figure 4.9 : Perception de la corruption parmi les entreprises dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord et % des demandes informelles de paiement pour “accélérer les choses” %age de directeurs qui classent la corruption comme %age de requêtes de paiements informels pour « une contrainte majeure ou importante accélérer les choses » Rep. du Yémen 74 35 Rep. Arabe Syrienne 67 29 30 Cisjordanie et Gaza 67 25 25 24 Liban 66 20 19 Algérie 64 15 13 Rep. Arabe d'Egypte. 44 10 10 11 Jordanie 38 10 Tunisie 29 5 Maroc 27 0 l rie e e n oc e e Oman 12 i és si ric si ui ba ar gé ai ni rq Br au Li M al Tu Al Tu M M 0 20 40 60 80 100 Source : Calculs des auteurs sur la base de l’enquête sur les entreprises 2012 Il semblerait que l’application de la réglementation soit très sélective ce qui favorise la petite corruption. Par exemple, une connexion électrique industrielle peut prendre jusqu’à 60 jours et près de 6 mois pour un permis de construction (figure 4.10). Plusieurs entreprises subissent également des demandes informelles de paiement allant de cinq pourcent pour les licences d’importation à 23 pourcent pour les permis de construction. Les résultats indiquent que la fréquence de ces demandes informelles de paiement varie selon le type de service et là où de longs retards sont fréquents, les cas de paiements informels sont plus importants. Par exemple, 23 pourcent des entreprises ont reçu des demandes de payements informels pour obtenir des permis de bâtir et 17 pourcent des entreprises ont reçu des demandes de payements informels pour une connexion électrique. la révolution inachevée 157 Plusieurs entreprises estiment que leurs concurrents ne sont pas soumis à ces types de coûts et de règlements auxquels elles sont elles-mêmes soumises, confirmant la perception selon laquelle les règles ne sont pas appliquées de manière homogène avec toutes les entreprises. Selon l’enquête sur les entreprises effectuée par la Banque Mondiale en 2012, seuls 27 pourcent des entreprises tunisiennes sentent que les règles et la réglementation régissant leurs principales activités sont imprévisibles alors que 42 pourcent des entreprises sentent que l’application sélective de ces règles et réglementation affecte leurs activités (encadré 4.6). Fait intéressant, les entreprises étrangères et les exportateurs sont moins concernés par une telle application sélective (30 pourcent et 32 pourcent respectivement), ce qui est en accord avec le fait que ces entreprises font généralement face Figure 4.10 : Prévalence de la petite corruption et les retards de services à un environnement réglementaire simplifié mais fait ressortir également 200 l’application sélective des règles. % de sociétés à qui on a demandé un cadeau Retard pour le service (jours) 150 L’application discrétionnaire et arbitraire des règlements contribue à freiner la concurrence en donnant 100 l’espace aux entreprises inefficaces pour obtenir des avantages indus à 50 travers les privilèges et la corruption. Comme discuté dans le Chapitre Trois, 0 ces pratiques ont un coût qui va au- delà de la corruption en elle-même en at n tir r e ité eu rt tio on empêchant la réussite des entreprises bâ n ic at ph po isa io tr de ér ec lé im or les plus performantes et en tirant op Té El is d’ Aut d’ rm e ainsi vers le bas la performance de Pe nc ce toute l’économie. Les investisseurs Li Source : Banque Mondiale, Enquête sur les entreprises 2012. Encadré 4.6 : La logistique est un goulot d’étranglement en Tunisie La Tunisie a traditionnellement été perçue en tant qu’exemple de bonnes pratiques en matière de logistique dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Selon l’Index de Performance Logistique 2012, la Tunisie a été classée 41ème au monde avec la meilleure performance dans la région notée 3.17 sur 5 (après les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite) alors que la République Arabe d’Egypte a obtenu 2.98, le Marco à 3.03 et l’Algérie 2.41.1 Figure B4.6.1 Index de performance logistique de la Tunisie 2012 et 2014 Douanes Ponctualité Infrastructure Suivi et Envois retraçage Internationaux Tunisie 2012 Tunisie 2014 Compétence Source : http://lpi.worldbank.org/ Logistique 158 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Mais il semblerait que le climat général des investissements et les indicateurs logistiques ne captent pas fidèlement la réalité sur le terrain tunisien. Les indicateurs généraux donnent effectivement une image positive alors que plusieurs importateurs locaux en Tunisie se plaignent de l’inefficacité du port de Radès (principal port tunisien; voir CONECT, 2012), de la corruption au niveau des douanes, et ainsi de suite. Il semble qu'ils avaient de bonnes raisons de le faire: la durée d’immobilisation qui constitue un bon indicateur de l’efficacité logistique est d’environ 3-4 jours dans les pays de référence dont le revenu est moyen alors qu’à Radès, principal port du pays, le temps d’immobilisation est d’environ six jours et de plus de neuf jours selon la dernière évaluation du climat des investissements (Banque Mondiale, 2014e) ce qui fait de Radès un port comparable à Mombasa au Kenya et pire que Durban en Afrique du Sud. Comment expliquer une telle situation ? Dans le contexte d’une “économie double” et dans un environnement où les connexions politiques sont cruciales, les résultats dépendent de la personne interrogée. Hibou (2011) a décrit comment les entreprises étrangères installées en Tunisie (qui opèrent presque totalement dans le secteur offshore) sont généralement exemptes des pratiques de prédation.2 Pour les entreprises locales, comme déjà expliqué dans le Chapitre Trois, le copinage et la corruption jouent un rôle important. Les indicateurs mondiaux tels que l’Indicateur de Performance Logistique (IPL) sont tributaires des informations obtenues auprès des opérateurs internationaux pour avoir une couverture mondiale, or ces opérateurs bénéficiaient en Tunisie de la “voie rapide” durant la période Ben Ali. Ces observations expliquent pourquoi les indicateurs tels que l’IPL ou l'Index Doing Business ont été relativement bons pour la Tunisie, chose attribuable au biais de l’échantillon en faveur des entreprises non tunisiennes. Comme déjà discuté dans le Chapitre Trois, l’application sélective et arbitraire de la réglementation a tout particulièrement affecté les entreprises onshore. Afin de comprendre l'environnement professionnel en Tunisie, il est donc nécessaire d’écouter les petites et moyennes entreprises locales (onshore) car il est moins probable qu'elles soient protégées politiquement et elles ont probablement plus de difficultés à se frayer un chemin dans les dédales de la bureaucratie tunisienne. Source : Raballand, Gael (2013). Remarques : 1 Pour plus de détails sur l’IPL voir : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTTRANSPORT/EXTTLF/0,,contentMDK:21514122~me- nuPK:3875957~pagePK:210058~piPK:210062~theSitePK:515434,00.html. 2 Hibou (2011) a expliqué : “Une fois que [les entreprises étrangères] ont dépassé le seuil en Tunisie, elles sont protégées des pratiques prédatrices des intermédiaires avides. Comme la plupart des entreprises investissaient dans des secteurs, qui étaient considérés comme étant de haute priorité par le pouvoir central, celui-ci était prêt à tout, afin de respecter les règles et même à fausser ou violer certaines de ces règles en faveur des étrangers”. perçoivent la douane et l’administration comme les principales institutions touchées par la corruption. Dans l’enquête sur le climat des investissements conduite en 2012 par l’ITCEQ, la majorité des entreprises jugent que l’administration publique est corrompue (figure 4.11). Les résultats indiquent que le problème devient encore plus aigu lorsqu’il s’agit de la douane et de l’administration fiscale chose probablement due à la prolifération de divers régimes fiscaux donnant lieu à une plus grande marge de manœuvre de la part des fonctionnaires. Des résultats similaires sont rapportés par l’enquête 2012 sur la motivation des investisseurs puisque plus de la moitié des personnes interrogées disent avoir payé des “extras” à la douane ou à l’administration pour pouvoir coopérer avec des montants qui varie entre 2 et 5 pourcent des revenus (figure 4.12). La perception parmi les investisseurs est que la corruption est moins récurrente dans le milieu politique et dans le système judiciaire. Dans l’enquête sur les entreprises- 2012, jusqu’à 49 pourcent des entreprises se plaignent de l’application inégale de la réglementation par l’administration fiscale. La perception de l’application inégale des règles et des règlements par la douane est de l’ordre de 37 pourcent des entreprises (tableau 4.4). La fraude douanière constitue un moindre problème pour les entreprises étrangères alors la révolution inachevée 159 Figure 4.11 : Perception de la corruption parmi les entreprises tunisiennes, 2010 100% 90% 80% 70% Non corrompu Peu corrompu 60% Moyennement corrompu 50% Corrompu 40% Très corrompu 30% 20% 10% 0% er s e s n e re ic ne lic al io ai ci bl sc at Po ua an c Pu di tr Fi Do in is Ju n es rF in io e ic m èm at eu rv Ad tr ct Se st is Se Sy in m Ad Source : ITCEQ, Enquête sur le climat des investissements 2012 Figure 4.12 : Identifier la nature de la corruption Oui Non Justice Personnes influentes Administration Douanes 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Source : Calculs des auteurs sur la base de l’enquête sur la motivation des investisseurs, conduite en Tunisie en 2012 par le groupe de la Banque Mondiale. que les sociétés non exportatrices le ressentent profondément, probablement parce que les sociétés étrangères sont en majorité des sociétés offshore et bénéficient donc d’exonérations douanières et de procédures rationalisées. Similairement, les problèmes fiscaux affectent moins les entreprises étrangères. La distinction reflète également l’expérience avec le remboursement de la TVA qui se caractérise par des procédures longues et compliquées. En moyenne, le remboursement de la TVA a lieu 200 jours après la soumission de la demande (représentant 15 pourcent du total des ventes). Les demandes de remboursement soumises par les grandes entreprises doivent probablement impliquer de plus grandes sommes et donc les délais sont plus longs pour les grandes entreprises (plus de 270 jours) que pour les petites (66 jours en moyenne). Cela semble peu logique parce que, pour des raisons de capacité, les grandes entreprises devraient être remboursées plus tôt. En tout état de cause, un ratio de 1 à 4 est difficile à expliquer sauf s’il s’agit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Un autre exemple d’application arbitraire et injuste des règlements est celui du temps d’immobilisation des marchandises, i.e., le temps nécessaire pour qu’un chargement quitte le port principal du pays (figure 4.11). En comparant la Tunisie avec d’autres pays, même dans la sous-région, la durée 160 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Tableau 4.4 : Types de pratiques de la part des concurrents qui portent préjudice à votre entreprise Toutes les entreprises Etrangères Non-exportatrices Evasion fiscale 49 34 50 Fraude douanière et barrières au commerce 37 17 35 Source : Banque Mondiale, Enquête sur les entreprises 2012 Remarque : % des sociétés qui le juge comme une contrainte principale ou très grave. d’immobilisation est la plus grande après l’Algérie (près de 10 jours), bien pire que le Maroc (moins de 5 jours) et semblable à l’Egypte et au Liban. Le pouvoir discrétionnaire et l’imprévisibilité semblent jouer également un rôle dans cette situation. Le rapport entre la durée d’immobilisation la plus longue et la moyenne pour toutes les sociétés interrogées devrait être proche de 1 puisque la plupart du temps les importateurs importent des cargaisons plutôt similaires. Encore une fois, ce ratio est le moins bon pour la Tunisie (figure 4.11). Cela signifie qu’il est possible pour un importateur de passer un temps d’immobilisation plus long que la moyenne et alors qu’un tel chiffre peut refléter plusieurs facteurs en général il est plus particulièrement indicateur d’un processus de marchandage pour réduire les redevances, les pots-de-vin et les charges. Il faut noter que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire cache souvent un écart entre la réglementation de jure et la performance de facto dans l’environnement des affaires, qui est difficilement discernable par les indicateurs classiques (encadré 4.3). La Tunisie a également été mieux classée par rapport aux pays de référence dans la région en matière de facilitation des affaires — le classement trading across border.21 Selon ce classement, la Tunisie occupe la 40ème place bien avant la Turquie (67ème place), le Maroc (72ème place) et l’Algérie (122ème place). Ainsi, l’environnement juridique de l’entreprise (règlementations de jure), qui est mesuré par les indicateurs de la Banque Mondiale Doing Business, ne peut dans les meilleurs des cas que donner une explication partielle de la performance tunisienne atone. L’application injuste de la règlementation semble aussi répandue entre les régions au détriment des régions moins développées. Par exemple, à Tunis plus de 66 pourcent des entreprises interrogées Figure 4.13 : Comparaison du temps d’immobilisation des cargaisons et ratio entre le temps d’attente le plus long/temps d’attente moyen (average) Benchmarking du temps d’immobilisation des marchandises Ratio entre les plus longs jours/moyenne 40 Moyenne de jours pour dédouanement (importations) 2,4 Maximum de jours pour dédouanement (importations) 2,2 30 2,0 Jours 1,8 20 1,6 10 1,4 1,2 0 1,0 oc e n te e e rie oc e n te e e rie si ré si si ré si ba ba yp yp ar ar gé gé ai ni ai ni Co Co Li Li M M Eg Eg al al Tu Tu Al Al M M Source : Banque Mondiale, Diverses enquêtes auprès des entreprises la révolution inachevée 161 Encadré 4.7 : Règlements fastidieux laissent un goût amer pour les responsables de bonbons tunisiens ARIANA, Tunis – De grosses boules de graines de sésame mélangées avec du nougat sont déposées au passage dans des boîtes portant l'image d'une gazelle. La betterave à sucre tunisienne et des graines de sésame soudanaises sont les principaux ingrédients de la halwa (ou Halva) produite à l'usine de Grande Fabrique de Confiserie Orientale (GFCO), qui fait partie du groupe familial Amen. Les Turcs ont laissé derrière eux un goût pour cette douceur traditionnelle en Libye et en Algérie également, et la halwa de GFCO a longtemps jouit d’une présence modeste sur ces deux marchés, nous explique, M. Moncef Ayoub, le directeur de l'entreprise. Toutefois, les formalités liées aux tests sur le produit avant exportation ont découragé GFCO de développer les exportations directes vers ces marchés. Au lieu de cela, depuis les révolutions tunisienne et libyenne de 2011, les exportations indirectes de halwa à ces deux marchés sont en plein essor, car les opérateurs "non officiels" transfrontaliers – autrement dit les trafiquants – ont profité de contrôles aux frontières laxistes. Rien que pour obtenir la documentation correcte pour une exportation officielle cela peut prendre deux semaines et consommer considérablement le temps de l'entreprise, nous dit M. Ayoub. "D'abord, vous produisez le produit, vous le stockez. Vous prenez rendez-vous pour un fonctionnaire du ministère du commerce pour venir le vérifier. "Ensuite, les fonctionnaires prennent des échantillons», poursuit-il. "Ils vont déposer ceux-là au laboratoire central d'analyses. Pour certains de ces tests que vous devez attendre une semaine ou plus pour les résultats. Ensuite, nous devrons retourner au Ministère du Commerce pour demander un certificat basé sur les tests », ce qui impliquerait une autre attente. Les analyses biologiques et chimiques sont requises en vertu d'un accord de commerce tuniso- libyen signé pendant les dernières années du régime de Kadhafi. M. Ayoub a entendu dire que du côté libyen, les fonctionnaires ne sont pas pour le moment prudents dans l'application des termes de l'accord. Il n’y a jamais eu de cas de contamination de la halwa de GFCO, nous dit-il. Si la halwa était exportée vers l'Europe, tous les tests se feraient sur le produit par les autorités de ces pays, lorsque le produit serait déjà sur le marché. Il critique une mentalité bureaucratique qui «pense que [son] rôle est d'imposer des sanctions, exprimer des exigences, demander des papiers, vous dire de revenir demain." Cette attitude a un peu diminué, "mais pas assez", au cours des dernières années, nous dit-il. Les procédures bureaucratiques lourdes sont une plainte fréquente chez les entreprises tunisiennes. Une enquête Doing Business a trouvé qu’une entreprise tunisienne doit remplir 19 procédures différentes, et prendre en moyenne de 94 jours pour obtenir un permis de construction. Quatre procédures et 65 jours sont nécessaires pour obtenir un branchement à l'électricité. GFCO vend sa halva en bonne et due forme en vente locale, avec 18 pourcent de taxe sur la valeur ajoutée, à des grossistes dans le sud et l'ouest. Ce que les grossistes font ensuite pour la vente à la frontière n'est pas clair, M. Ayoub dit, ajoutant. «Nous savons que ce n'est pas gratuit." L’Algérie et la Libye absorbent environ 25 pourcent de la halwa de GFCO, il estime, en augmentation de près d'un tiers par rapport à 2010. Environ 70 pourcent de cette quantité passent entre les mains de commerçants transfrontaliers "non officiels", estime-t-il. Source : Entretien avec M. Moncef Ayoub, directeur GFCO, Avril 2014 162 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Encadré 4.8: Prêt à importer – Comment les règlementations à l’import étouffent les fabricants locaux TUNIS - "Supposons que j'aie une machine qui tombe en panne à cause d'un petit circuit qui doit être remplacé», explique Belhassen Gherab. "Si je suis une société offshore, j’appelle DHL et je suis livré dans les 24 heures. Si je suis une entreprise onshore, d'autre part, je dois le faire à travers la douane. Je vais attendre peut-être 30 jours, avec l'ensemble de ma production arrêtée, juste pour un circuit imprimé ". Il est assis dans un bâtiment spacieux dans le nord de Tunis. Son escalier central est orné d'immenses affiches montrant des modèles de vêtements de mode. Le groupe dont M. Gherab est à la tête de, Aramys, est l'un des plus grands groupes textiles et d’habillement en Tunisie. Il possède des installations de fabrication à la fois onshore et offshore, et a également des points de vente, avec de nombreux magasins dans les rues commerçantes tunisiennes. Etant donné que les vêtements importés occupent actuellement près de 80 pourcent du marché local, selon les estimations de M. Gherab, les fabricants onshore en Tunisie doivent rapidement devenir plus compétitifs. Une révision de la règlementation pourrait aider. Il donne un autre exemple : «Pourquoi un petit fabricant local devrait-il se donner la peine d'importer seulement cinq rouleaux de tissu dont il a besoin, alors qu’il y a une société offshore à proximité, un importateur spécialiste, qui a mille rouleaux de ce même tissu en stock ? " Les règlements actuels rendraient un tel achat chronophage et d’un coût prohibitif, dit-il. L'absurdité ultime est que, au lieu de protéger les fabricants locaux tels qu'ils ont été conçus pour le faire il y a des décennies, les tarifs d'importation de la Tunisie créent aujourd’hui un désavantage pour les vêtements fabriqués en Tunisie et re-importé dans le pays. Gherab explique : une marque de mode européenne peut se procurer des chandails fabriqués au Maroc, en Roumanie, en Tunisie, en Turquie et en Chine. Il regroupe les chandails dans son entrepôt central en Europe, avant de les envoyer à ses points de vente à travers le monde, dont un en Tunisie. En raison de divers accords commerciaux, le chandail marocain est aujourd'hui soumis à un tarif zéro à la frontière tunisienne, tout comme le chandail fait en Roumanie. Mais l'article tunisien sera soumis à un tarif de 30 pourcent lorsqu’il revient dans le pays ! "Il est inutile d'essayer de comprendre la logique. Elle n'est pas logique», dit Gherab. Après la révolution de 2011, il a été élu à la tête de la Fédération Nationale du Textile qui fait du lobbying pour la mise à jour des règlements. Il est difficile de revenir en arrière après la hausse des importations de contrebande vécue au cours des dernières années du régime de Ben Ali. Mais un bon point de départ serait les prix de référence officiels utilisés dans le calcul des tarifs sur des articles d'habillement qui pourraient être révisés à la hausse, dit Gherab. Il pense que les prix de référence ont été maintenus artificiellement bas "par un système mafieux" qui était insensible aux intérêts des fabricants locaux. Le cadre réglementaire est basé sur les besoins protectionnistes des années 1970, il ajoute: "Le modèle offshore-onshore ne doit pas être abandonné, mais nous avons besoin de revenir à la case de départ et de le remanier complètement. L’ idée de l’offshore a fonctionné, mais la réglementation pour les fabricants onshore ne répond pas à nos besoins actuels ». Source : Entretien avec Belhassen Gherab, textiles Aramys, Avril 2014 la révolution inachevée 163 pensent que les règlements sont appliqués de manière équitable alors que ce chiffre tourne autour de 40 pourcent dans les régions moins développées de Jendouba, Béjà, le Kef, Siliana, Sidi Bouzid, Kasserine et Kairouan. Il est évidemment nécessaire de conduire d’autres études mais d’emblée il nous apparait que l’imprévisibilité de l’application des règlementations est ressentie davantage dans les régions éloignées. Ainsi, les investisseurs à l’intérieur sont non seulement en face d’une infrastructure plus faible et des services plus limités mais ils sont également lourdement défavorisés par l’application discrétionnaire des formalités administratives et de la bureaucratie. 4.3 / Programme de réforme pour améliorer l’environnement des investissements Réforme du Codes d'Incitation aux Investissements E n 2012, le gouvernement avait annoncé son intention de réviser le Code d'Incitation aux Investissements.22 Le nouveau code devrait préparer le terrain pour la création d’un environnement favorable à la croissance économique et en mesure de pallier les insuffisances relevées dans le passé. Comme déjà discuté dans ce chapitre, la dualité onshore-offshore bien que bénéfique au tout début du développement du pays, est devenue maintenant un obstacle à un développement économique plus rapide (voir encadré 4.8). En fait, les Chapitres Sept et Huit vont se pencher sur la performance de plusieurs secteurs à fort potentiel qui ont été anéantis sous l’effet d’une réglementation lourde et de nombreux obstacles dans le secteur onshore. Une telle situation a, à son tour, étouffé la croissance des entreprises offshore. Les caractéristiques du régime offshore les plus favorables à la croissance des entreprises devraient être généralisées à tous les pans de l’économie. Comme discuté dans le Chapitre Un, il importe de ne pas perdre de vue le fait que les entreprises offshore présentent, en général, une meilleure performance en terme de création d’emplois, de productivité et d’exportation que les entreprises dans le secteur onshore protégé. Même si la performance du secteur offshore est restée faible, ce secteur continue à constituer, par rapport au reste de l’économie, un moteur de création d’emplois et de croissance des exportations. Cette observation souligne les vertus d’un environnement économique libre et concurrentiel. La réforme du CII devrait donc viser à capitaliser, et à étendre au reste de l’économie, les facteurs positifs qui ont permis au secteur offshore de réaliser une meilleure performance et plus spécifiquement la contestabilité du marché et des règles de jeu équitables, avec une réduction substantielle du degré de réglementation, un niveau d’imposition et de droits tarifaires plus bas et l’ouverture sur les investissements étrangers tout en corrigeant les distorsions créées du fait de la segmentation de l’économie et de l’encouragement des activités à faible valeur ajoutée et des emplois de mauvaise qualité. Le nouveau Code des Investissements devrait également s’atteler aux défis spécifiques à la Tunisie en matière de développement, notamment en ce qui concerne (a) le renforcement du développement dans les régions défavorisées ; (b) la promotion des investissements dans les activités à forte valeur ajoutée; et (c) la facilitation de l’emploi des diplômés.23 Partant de là, il est suggéré que le nouveau code se concentre sur 4 objectifs essentiels : (a) augmenter l’accès au marché; (b) simplifier et réduire les incitations fiscales et financières aux investisseurs; (c) consolider les garanties des investisseurs; et (d) rationaliser le cadre institutionnel régissant les investissements. Les éléments clés sont discutés ci-dessous (voir les détails en annexe 4.4) : i. Améliorer l’accès au marché et permettre un investissement libre : Le code devrait affirmer le principe de la liberté d’investir et retirer les obstacles d’entrée imposés aussi bien aux investisseurs locaux qu’internationaux. Il devrait retirer les obstacles à l’investissement dans presque tous 164 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé les secteurs, y compris pour les étrangers, afin de renforcer la concurrence, l’innovation et la qualité. Il y a lieu de réduire le nombre des activités pour lesquelles une autorisation préalable est exigée des investisseurs locaux et internationaux (actuellement au nombre de 15 secteurs et 20 activités) à certaines activités stratégiques en rapport avec la fabrication des armes, l’alcool et le tabac.24 Pour simplifier l’accès, le code devrait passer de l’autorisation à une simple déclaration quand possible, précisant de manière claire le rôle de l’état et limitant son pouvoir discrétionnaire (y compris le rôle de la Commission Supérieure d’Investissement). Les restrictions supplémentaires se rapportent aux étrangers uniquement. Néanmoins, les activités restreintes pour les étrangers ne devraient pas être nombreuses puisqu’il serait illogique d’empêcher les investissements et la création d’emplois.25 Il est également recommandé de revoir et réduire la liste actuelle qui compte 49 secteurs restreints pour s’assurer que toutes les activités ayant un effet d’entrainement sur l’économie soient ouvertes à tous les investisseurs (notamment le transport, les télécommunications, l’éducation, la publicité, les services juridiques et d’audit). Les activités qui peuvent, à raison, être réglementés par rapport aux étrangers sont celles ayant des effets limités ou impliquant des éléments culturels ou du patrimoine (musées, librairies, théâtre, etc.). Dans le cas de la Tunisie, et surtout en ce qui concerne les services (comme les banques et assurances, le transport, les télécommunications, le tourisme et activités connexes...) devraient être ouverts à tous les investisseurs privés.26 Certaines multinationales voudraient investir dans le pays mais trouvent des difficultés à identifier le bon partenaire, par exemple, dans le domaine des produits cosmétiques. Ainsi, la politique devrait s’orienter vers la permission aux investisseurs étrangers de détenir la majorité des parts même si la limitation au niveau de la participation est maintenue. Dans ce contexte, il est tout aussi important de réduire la portée du décret 14/1961 qui réduit sérieusement l’accès au marché pour les activités commerciales et de services, ce qui limite la portée du Code des Investissements par rapport à un grand nombre de segments de l’économie qui sont critiques pour le développement économique de la Tunisie. Afin de faciliter les projets d’investissements, le Code devrait permettre le recrutement d’experts expatriés par les multinationales surtout pour des postes de responsabilité. L’expérience internationale montre que les meilleurs résultats en termes d’attraction d’investissements et de création d’emplois locaux sont obtenus lorsqu’il n’y a pas de limites pour le recrutement d’étrangers. Les limites imposées à l’emploi des étrangers ne garantissent pas un nombre plus grand d’emplois pour les Tunisiens mais découragent plutôt les investissements étrangers et réduisent le nombre d’emplois disponibles sur le marché. Les compétences exigées pour certains postes ou pour certaines prestations de service sont de plus en plus pointues. La rotation temporaire du personnel clé devrait être permise à des étapes critiques de la vie de l’entreprise et pourrait être assortie par l’obligation de former le personnel local si l’objectif est de renforcer les compétences locales. Une solution intermédiaire pourrait être, par exemple, d’assouplir les restrictions relatives à l’emploi des travailleurs étrangers pour admettre le plafond de 30 pourcent du nombre total d’employés (à ramener à 10 pourcent sur 5 ans).27 Les restrictions sur l’accès à la propriété foncière pour les étrangers découragent inutilement les investisseurs sans aucun avantage pour la Tunisie en termes de souveraineté. Dans plusieurs pays, la propriété n’est pas accessible aux investisseurs parce que considérée comme une question de souveraineté nationale, alors que dans certains pays l’Etat est l’unique propriétaire foncier. Pour ne pas décourager les investisseurs étrangers, il est suggéré que la Tunisie devrait, au moins, permettre aux investisseurs d’obtenir des baux fonciers de 50 ans renouvelables une fois sans procédures contraignantes.28 ii. Simplifier et réduire les incitations fiscales et financières aux investisseurs : il est important de réduire et de simplifier drastiquement l’offre d’incitations financières pour arriver à un cadre simple et transparent pour les investisseurs et d’éviter le bourbier bureaucratique du passé. Le nouveau la révolution inachevée 165 régime fiscal devrait être simple et transparent, sans pouvoir discrétionnaire entre les mains des autorités gouvernementales. De plus, le code devrait aborder le problème de la dichotomie entre les régimes onshore et offshore pour créer des règles de jeu équitables à même de revigorer l’investissement, renforcer la création d’emplois de bonne qualité et faciliter l’intégration de l’économie tunisienne. Quant à la dichotomie dans le taux d’imposition des sociétés, elle sera discutée séparément ci-après. Toutes les incitations pourraient être éliminées à l’exception de celles qui créent des effets externes positifs telles que les incitations pour encourager la R&D et le recrutement d’employés qualifiés.29 Afin d'éviter l'emprise réglementaire, les incitations pourraient être maintenues à un niveau minimal pour les biens à valeur ajoutée mais s'appliquent de manière globale sur des sites offshore et onshore, et seront automatiquement approuvées afin d'éviter l'emprise réglementaire. Alors que l’opportunisme politique peut nécessiter l’inclusion des incitations régionales, en pratique, l’expérience du recours à des instruments fiscaux pour agir sur le développement régional a montré ses limites et son inefficacité parce que cela ne s’attaque pas aux causes profondes du problème (infrastructure limitée, mauvaises conditions de vie). Il faudrait envisager un maximum de deux “régions” : les régions développées et les régions sous-développées et offrir un avantage fiscal simple et uniforme aux entreprises qui s’installent dans les régions moins développées. Quoique non recommandé en priorité, le Code des Investissements pourrait aussi envisager des incitations spécifiques temporaires pour se focaliser sur des secteurs stratégiques (encadré 4.9).30 iii. Consolider et renforcer les garanties des investisseurs : Les principales garanties et principaux droits des investisseurs qui sont actuellement accordés dans les divers accords bilatéraux et multilatéraux, devraient être consolidés et affirmés dans le nouveau Code des Investissements et s’appliquer à tous les investisseurs. Un important goulot d’étranglement dans l’application des garanties concerne les procédures de rapatriement de capitaux et de bénéfices qui sont complexes et soumises à la discrétion de l’administration de la Banque Centrale. La difficulté dans le rapatriement du capital et du bénéfice fait l’objet des plaintes les plus récurrentes par les investisseurs offshore en Tunisie. Il faudrait que la Banque Centrale simplifie les procédures de rapatriement de capital et de bénéficie pour les rendre aussi claires et automatiques que possible (en révisant le décret 77-608) iv. Harmoniser le cadre institutionnel : Le Code devrait consolider et simplifier le cadre régissant la politique d’investissement et sa mise en application dans le pays. Il devrait abolir la “Commission Supérieure d’Investissement” qui a été associée à des abus notoires pendant l’ère Ben Ali, et mettre en place un nouveau cadre institutionnel de haut niveau qui régit les décisions d’investissement. Un Comité de haut niveau présidé par le gouvernement avec la participation des secteurs public et privé devrait être établi pour discuter des politiques visant à faciliter les activités d’investissement. A un niveau opérationnel, le Code devrait rationaliser, restructurer et consolider toutes les agences et fonds spécialisés en une seule “Instance Nationale d’Investissement”, chargée des fonctions de promotion des investissements et des fonctions réglementaires. Le nouveau cadre institutionnel pour les investissements devrait viser à améliorer l’expérience de l’investisseur, à intégrer les différentes fonctions (réglementation, élaboration des politiques, promotion, mise à disposition d’incitations, etc.) et en charger les institutions qui possèdent un mandat clair et une structure de gouvernance. 166 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Encadré 4.9 : Leçons tirées de l’expérience des pays ayant “grimpé l’échelle de la valeur ajoutée”: Cas de la Malaisie L’expérience des pays asiatiques en matière d’adaptation de leurs politiques d’incitations à l’investissement peut être utile pour la Tunisie. La Corée du Sud, Singapour, Taiwan et la Malaisie ont tous apporté des changements clés à leurs systèmes d’incitations lorsqu’ils ont décidé de changer leurs modèles de croissance. La Malaisie est probablement l’exemple le plus pertinent pour la Tunisie parce que son revenu par habitant (6000 US$ en 2010) est le plus proche du niveau de la Tunisie. En 1991, la Malaisie a éliminé les incitations régionales et les subventions à l’exportation et a introduit de fortes incitations pour encourager les projets de haute technologie et les projets stratégiques ainsi que des incitations qui visent à renforcer la recherche et le développement et la formation industrielle. Le deuxième schéma directeur industriel a complété le système par l’introduction de la promotion des parcs technologiques, l’intégration/unification des services et secteurs manufacturiers dans le code et le retrait des restrictions devant le capital étranger (les investisseurs étrangers peuvent maintenant détenir 100 pourcent du capital). Les incitations introduites pour la promotion d’une plus grande sophistication dans la production sont : Le statut “stratégique à base de connaissances " qui permet l’éligibilité à : • Une déduction fiscale de 60 pourcent à 100 pourcent sur les dépenses en capital “ à base de connaissances” faites sur 5 ans dans tous les secteurs ; • un statut de pionnier avec une exonération fiscale sur 5 ans ; Des incitations spécifiques pour renforcer la recherche et le marketing • Une société qui offre des services de R&D à une autre société (locale ou étrangère) et dont le revenu est d’au moins 70 pourcent de R&D est éligible à : - Un statut de “pionnier” avec une exonération fiscale pendant 5 ans ; - Une exonération fiscale à hauteur de 100 pourcent des dépenses en capital pour 10 ans ; • Pour encourager la commercialisation du produit de la recherche des instituts publics : - Une société qui investit dans une filiale qui travaille pour la commercialisation du produit de la recherche est éligible à une exonération fiscale égale au montant investi dans ladite filiale ; - Une filiale qui travaille sur la commercialisation du produit de la recherche est éligible au statut de “pionnier” avec une exonération d’impôt sur le bénéficie des sociétés de 100 pourcent sur 10 ans. • Les incitations ci-dessus sont soumises aux conditions suivantes : - Au moins 70 pourcent de la société mère et de la filiale appartiennent à des malaisiens ; - La société mère doit détenir au moins 70 pourcent des intérêts dans la filiale (qui commercialise les résultats de la recherche) ; - La commercialisation de la recherche doit être effectuée dans un an de la date d’approbation des incitations. Des incitations spécifiques pour la promotion des TIC • L’éligibilité à l’exonération fiscale “accélérée” sur les dépenses pour l’acquisition d’ordinateurs et d’équipement TIC y compris les logiciels (20 pourcent pendant la première année et 40 pourcent après); • L’exonération de l’impôt sur le revenu pour 50 pourcent de l’augmentation dans les exportations de valeur TIC. Alors que la Malaisie est encore derrière la Corée, Singapour et le Japon en termes d’effort et d’investissement en innovation, le pays passe pour avoir connu des changements structurels parmi les plus drastiques dans le monde sur les 25 dernières années. Par exemple, l’industrie électronique malaisienne se classe parmi les plus grands exportateurs mondiaux de semi-conducteurs, d’équipements et d’appareils électriques. De même, l’industrie malaisienne d’huile de palme est devenue leader mondial en huiles et graisses après avoir exporté pendant 30 ans des produits non traités et non emballés. la révolution inachevée 167 La réforme du système fiscal (pour les sociétés) Le système fiscal tunisien continue à présenter des lacunes majeures ce qui affecte négativement la performance de l’économie. La charge globale des impôts sur les sociétés après ajustement des exonérations nécessaires (appelé également Taux d’Imposition Global, TIG) en Tunisie a été estimé à 62.9 pourcent dans le rapport de la Banque Mondiale 2012 “Facilité à faire des Affaires”. La Tunisie se classe 158ème sur 183 pays ce qui signifie que son TIG est très élevé par rapport aux normes internationales. De même, le système d’impôt sur les sociétés est caractérisé par plusieurs exonérations et incitations ce qui érode l’assiette fiscale et génère plusieurs distorsions. Un système fiscal faussé risque de générer de grandes pertes en termes d’efficacité économique, il est important pour la Tunisie d’entreprendre une réforme fiscale globale dans le cadre de la révision du Code d'Incitation aux Investissements. La charge du lourd impôt sur les sociétés est surtout mal répartie sur les entreprises et comme déjà discuté il est essentiel de retirer, de manière graduelle, la dichotomie onshore-offshore en égalisant les taux d’imposition des régimes onshore et offshore. Le système actuel réprime de manière implicite la demande en main-d’œuvre en élevant son coût par rapport à d’autres intrants. La charge de l’impôt sur le revenu des particuliers (IRP) en plus des charges sociales est relativement lourde, ce qui mine la compétitivité de la main- d’œuvre tunisienne. En plus, les matières premières importées ne sont pas taxées si elles sont utilisées pour produire des biens à l’exportation alors que la main-d’œuvre est taxée. Cela contribue à comprimer la demande de main-d’œuvre.31 Il est possible de développer la demande de main-d’œuvre sans réduire l’investissement et la production en corrigeant cette distorsion dans le coût relatif de la main-d’œuvre en réduisant l’impôt sur la main-d’œuvre et les prélèvements en faveur de la sécurité sociale, tout en réduisant implicitement les subventions à la matière première comme le carburant. Etant donné que la main-d’œuvre est composée de Tunisiens, cela pourrait avoir un effet multiplicateur significatif sur l’économie locale puisqu’une plus forte demande sur la main-d’œuvre produirait l’augmentation de la demande intérieure. Une réduction des impôts sur les sociétés peut être aussi envisagée pour revigorer les investissements. La décision d’investir est déterminée par la valeur actualisée nette du capital-investissement (VAN). L’impact négatif d’un déficit budgétaire élevé sur la VAN vient de deux sources, à savoir un taux d’escompte plus élevé et un bénéfice net réduit à cause d’un versement d’intérêts plus élevés. Le taux d’escompte pour déterminer la VAN du capital propre est tributaire du taux effectif marginal d’imposition (TEMI) sur le capital propre,32 le rendement après impôt sur la dette et la prime de risque pour le capital-investissement. Il augmente au fur et à mesure de l’augmentation du TEMI sur le capital propre et le rendement après impôt de la dette (i.e., l’intérêt net de l’impôt). Similairement, le TEMI augmente avec l’augmentation du taux d’impôt sur les sociétés. Toutefois, toute réduction du taux de l’impôt sur les sociétés augmentera la Valeur Actuelle Nette (VAN) et le Taux de Rendement Interne (TRI) du capital-investissement déclenchant ainsi l’investissement privé. En outre, selon la loi fiscale tunisienne, l’intérêt est déductible lors de la détermination du bénéfice alors que les dividendes ne le sont pas. Par conséquent, le TEMI sur le financement du capital propre est relativement plus élevé que le TEMI sur la dette et il y a un biais inhérent contre le capital propre. Une réduction du taux d’impôt sur les sociétés réduira ce biais. Ces dernières années, les taux d’impôt sur les sociétés dans la plupart des pays ont tourné autour de moins de 25 pourcent. Ce taux va même jusqu’à moins de 20 pourcent dans certains pays de l’Europe de l’Est. La Tunisie doit passer vers un taux compétitif pour devenir une destination favorable aux investissements. La convergence vers un taux unique d’impôt sur les sociétés d’environ 15-20 pourcent assurerait la compétitivité de la Tunisie tout en réduisant les distorsions et en éliminant la dualité. En se basant sur les simulations des recettes fiscales effectuées en 2013, il serait possible d’éliminer la dualité structurelle de l’économie et d’adopter un taux unique d’imposition aussi bien pour le régime onshore 168 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé que celui offshore, qui serait aux alentours de 15-20 pourcent vers lequel les deux secteurs pourraient converger dans un délai de 2 ans. En fait, les simulations montrent que le taux proposé pourrait être aussi bas que 15 pourcent. Il serait toutefois peut-être plus opportun de commencer initialement par un taux de 20 pourcent qui permettrait parallèlement la réduction des contributions sociales (comme discuté dans le Chapitre Cinq), encourageant par la même occasion la création d’emplois. Cette réforme du système d’imposition pour les sociétés permettrait de réduire les distorsions actuelles, d’améliorer nettement la VAN et TRI, d’éliminer ou de réduire le parti pris contre le capital propre et de stimuler la demande sur la main-d’œuvre qui aura à son tour des effets multiplicateurs sur toute l’économie. Par exemple, adopter en 2014 un taux de 25 pourcent pour le secteur onshore et 10 pourcent pour le secteur offshore et en 2015 les deux secteurs convergeront vers 20 pourcent (ou moins).33 Ce taux impliquerait un TEMI de 21 pourcent pour les secteurs onshore et offshore de façon à ce que toute l’économie tunisienne soit plus compétitive que ses voisins dans la région (voir figure 4.5 ci-dessus).34 Le taux unique d’impôt sur les sociétés pourrait être révisé encore une fois dans trois à cinq ans une fois les effets initiaux de la réforme sont clairement ressentis. Les incitations déjà accordées devraient être consignées comme droits acquis (i.e., pas de retrait rétroactif des incitations) de façon à ce qu’en pratique très peu des exportateurs offshore n’aient à payer des impôts dans le futur proche.35 Le passage progressif vers la simplification et l'unification des réglementations et impôts sur les secteurs offshore et onshore est conforme aux meilleures pratiques et a été suivi par de nombreux pays, y compris récemment la Chine qui a supprimé les congés fiscaux pour les investisseurs étrangers afin d’aplanir les disparités. Une note détaillée sur la réforme proposée de l'impôt sur le bénéfice en Tunisie est présentée à l'Annexe 4.6. Les éléments présentés ci-dessus pourraient constituer une partie essentielle de la réforme fiscale mais il est primordial d’aborder et de réformer le système fiscal dans sa totalité. Dans ce rapport, nous n’apportons qu’un aperçu sur les réformes nécessaires en nous focalisant sur le Code d'Incitation aux Investissements. Une évaluation globale du système fiscal a été conduite par le FMI en 2012 (FMI 2012). Plusieurs aspects de l’impôt sur le revenu des particuliers et la TVA ont également besoin d’une réforme urgente et tout particulièrement le "Régime Forfaitaire" dont l’objectif est d’assujettir les micro-entreprises à un faible impôt forfaitaire, mais qui, en pratique, semble être gravement abusé par 98 pourcent des contribuables qui se cachent derrière le régime forfaitaire (pour les personnes physiques réalisant un chiffre d’affaires de moins de 100 000 TND). La réforme du régime forfaitaire pour réduire la marge d’abus augmenterait la conformité fiscale et réduirait le biais réglementaire vers la production de petite échelle. En outre, le système fiscal utilise beaucoup la fiscalité anticipée la collecte des impôts donnant lieu à d’énormes engagements de l’Etat (qui avoisinent maintenant la totalité de la perception de l’impôt sur les sociétés pour une année). Théoriquement l’Etat a suffisamment de réserves fiscales pour rembourser ces “dettes”, mais en pratique les trop-perçus ne sont pas remboursés aux contribuables mais reconduits. Ce grand montant d’obligations constitue de plus en plus une contrainte (inutile) pour le refinancement des activités des sociétés. Simplification des procédures réglementaires Il faut encore rappeler que la convergence des taux d’imposition des sociétés ne produira l’impact nécessaire sur l’activation des investissements et de la création d’emplois que si elle est accompagnée par une simplification réglementaire significative pour soutenir l’intégration entre les secteurs onshore et offshore. Les enquêtes auprès des investisseurs montrent que ces derniers se font plus de soucis concernant leurs relations avec l’administration que concernant le payement d'impôts. Le régime onshore fait actuellement face à des procédures complexes et croule sous le poids de la paperasse et de l’application sélective de la réglementation (causant des fois la corruption), y compris la fiscalité et la douane mais également en rapport avec d’autres permis, autorisations et formalités. Ainsi et comme indiqué ci-dessous, il est essentiel de simplifier de manière radicale le cadre réglementaire tunisien. la révolution inachevée 169 Un effort colossal pour simplifier davantage les licences et permis au niveau sectoriel sera nécessaire pour retirer effectivement les obstacles d’entrée en Tunisie. Pendant plus d’une décennie, la Tunisie a mis en œuvre plusieurs réformes visant à simplifier la lourdeur administrative mais les résultats ont été limités. Le processus par lequel de telles réformes ont été conçues a contribué à limiter leur impact et leur crédibilité dans les yeux des investisseurs et des citoyens : une faible participation de la part des utilisateurs, absence d’une approche systémique et coordonnée ainsi qu’un manque de communication et de transparence dans les mesures des résultats et de la qualité de service. De plus, l’attention a souvent été portée à la simplification des procédures sans poser systématiquement la question quant à l’objectif social derrière les règlementations existantes. Par conséquent, le cadre réglementaire continue à souffrir de l’application inéquitable et discrétionnaire des règles, du copinage et des privilèges dans les sphères aussi bien économique qu’administrative. Après la révolution, la limitation du pouvoir discrétionnaire, du copinage et de l’arbitraire dans l’environnement administratif et réglementaire s’impose comme une priorité et les attentes sont particulièrement élevées. La simplification de la réglementation est une composante critique de la réforme globale de l’environnement des investissements. Alors que les problèmes de pouvoir discrétionnaire et d’arbitraire dans l’application des règlements nécessitent des réformes institutionnelles plus profondes et à plus long terme, la simplification de la réglementation pour réduire les opportunités d’exercice de pouvoir discrétionnaire aidera énormément à traiter ce problème.37 En 2012 le gouvernement a lancé une réforme générale et participative pour la simplification de la réglementation (la "guillotine") dans 9 ministères qui ont une grande interface avec le secteur privé. La réforme est inspirée d’expériences similaires dans les pays OCDE (Mexique, Norvège ou Suède) et dans les pays ayant vécu des transitions substantielles économiques ou politiques (Croatie, République Tchèque, République de Corée ou Ukraine). L’objectif étant de rationaliser les procédures, d’améliorer la transparence et de réduire la marge d’arbitraire et de pratiques discrétionnaires dans les domaines en rapport avec l’investissement privé.38 4.4 / Conclusions L e modèle onshore-offshore a initialement contribué au développement de la Tunisie dans les années 70 et 80 mais la faible performance économique pendant la dernière décennie prouve que le modèle économique double n’est plus adapté pour soutenir le développement de l’économie tunisienne. Le secteur offshore a attiré les investisseurs étrangers et a ramené les devises tant convoitées alors que le secteur onshore, lourdement protégé, a facilité le développement d’une base industrielle locale. Le régime offshore a réussi à attirer les investisseurs étrangers en encourageant la venue de nouvelles sociétés et la création d’emplois et ce par comparaison avec le reste de l’économie (voir le Chapitre Un) — et la performance relativement meilleure du secteur offshore donne la preuve que la Tunisie peut potentiellement rattraper les pays développés et croître rapidement pourvu que les incitations soient harmonisées. Mais comme déjà mentionné dans le présent chapitre (et comme corroboré par la revue documentaire de plus de 70 études sur le Code Tunisien des Incitations à l’Investissement ; IFC et Ernst & Young, 2012), en plus de son coût financier élevé, le système double a également introduit une série de distorsions profondes qui freinent de plus en plus et de différentes manières le développement de la Tunisie. Le présent chapitre a expliqué comment le Code d'Incitation aux Investissements a segmenté l’économie en secteurs onshore et secteurs offshore, limitant les interactions entre les entreprises et restreignant la concurrence. Le régime à double niveau d’imposition des sociétés a contribué à une telle segmentation 170 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé et la concentration sur des incitations uniquement fiscales et financières a attiré des investissements “mobiles” dans des activités à faible valeur ajoutée. L’analyse a mis en exergue plusieurs points : • Le système dual introduit par le Code d'Incitation aux Investissements est au cœur de plusieurs des échecs développementaux que la Tunisie vit aujourd’hui, notamment la disparité régionale persistante et l’orientation vers des activités à faible valeur ajoutée et des emplois de qualité limitée. Plus de 85 pourcent des projets et emplois bénéficiant des incitations ont été créés dans les régions côtières, exacerbant par la même occasion les disparités par rapport aux régions de l’intérieur. Et il a également été démontré que près de 10 pourcent des entreprises éligibles reçoivent près de 90 pourcent des incitations. Ces entreprises se concentrent aussi dans des secteurs qui ne sont pas à forte intensité de main-d’œuvre comme l’exploitation minière, l’énergie et les services bancaires. • A cause de la segmentation onshore-offshore, quelques acolytes ont mis la main sur l’essentiel des rentes extraites des restrictions d’accès au marché des secteurs onshore alors que le secteur offshore est resté confiné dans des activités à faible valeur ajoutée. Plus de 60 pourcent de l’économie tunisienne sont à présent fermés, de facto, à la concurrence, alimentant ainsi le système de copinage et d’extraction de rentes. • Les incitations offshore impliquent un coût budgétaire élevé sans donner des résultats en termes d’attraction des investissements et de création d’emplois. L’analyse des coûts et des avantages du Code a montré que le coût total des incitations est d’environ 2.2 pourcent du PIB et que 79 pourcent de ce montant sont gaspillés parce qu’ils bénéficient à des sociétés qui auraient investi en Tunisie même en l’absence des incitations. En fait, le coût de chaque emploi supplémentaire créé est extrêmement élevé pour la Tunisie : près de 20 000 US$ par emploi supplémentaire. • Il y a lieu de simplifier au maximum le système des incitations, en retirant les incitations inutiles (qui sont en plus coûteuse en termes de lisibilité et d’administration). En fait, les 4 premiers types d’incitations (sur 68 différents types) absorbent près de 85 pourcent des incitations et autant d’incitations sont redondantes et restent inutilisées. • Finalement, la discussion dans ce chapitre a souligné le fait que la réussite de la réforme du Code d'Incitation aux Investissements soit étroitement liée à, au moins, deux réformes parallèles qui sont également au cœur de l’environnement des investissements : la réforme de l’imposition des sociétés et la simplification de la réglementation qui afflige les activités et l’investissement dans le secteur privé. La révision du Code d'Incitation aux Investissements pour en retirer la dichotomie onshore-offshore et assurer des règles de jeu équitables serait à même de revigorer les investissements et la création d’emplois. Il est important d’ouvrir substantiellement le marché aux investisseurs et d’harmoniser la procédure avec celles utilisées pour les secteurs/activités qui ne nécessitent pas d’autorisation. En d’autres termes, il faudrait retirer la dichotomie onshore-offshore. Mettre un frein à la générosité des incitations est également justifié puisque ces dernières coûtent très cher par rapport à leur impact limité et, bien sûr, il existe une grande marge de simplification du système en retirant les incitations peu ou pas du tout utiles (mais qui coûtent cher en terme de lisibilité et d’administration). La réforme en cours du Code d'Incitation a avancé un peu mais les problèmes fondamentaux n’ont pas encore été abordés. Une révision ambitieuse du Code 'Incitation aux Investissements dans le but de créer un environnement économique libre et favorable aux investisseurs avec un taux d’imposition la révolution inachevée 171 compétitif et des procédures simples et transparentes pourrait aider à franchir des pas de géant vers le développement des investissements et la création d’emplois en Tunisie. L'unification et la simplification progressive proposée du code fiscal est conforme aux meilleures pratiques actuelles et a été suivie par de nombreux pays, y compris récemment la Chine qui a supprimé les vacances fiscales pour les investisseurs étrangers afin aplanir les disparités. Ce chapitre a également fait ressortir le lourd poids que la réglementation et la bureaucratie ont un coût important pour l’entreprise, chose partiellement due à l’application discrétionnaire des politiques et des réglementations. La charge de la réglementation coûte aux entreprises près de 13 pourcent en moyenne de leur chiffre d’affaires et ce chiffre est encore plus grand pour les entreprises onshore. Comme déjà discuté dans le Chapitre Deux, l’environnement réglementaire est en train d’étouffer la concurrence en permettant à des entreprises inefficaces de profiter d’avantages indus à travers des privilèges et par le biais de la corruption. Dans le Chapitre Un, on a vu que ces pratiques ont un coût qui va au-delà de la corruption elle-même en empêchant la réussite des sociétés les plus performantes et en décourageant l’entrée de nouvelles sociétés de façon à bloquer le processus de destruction créatrice et à retirer vers le bas la performance de l’économie entière. L’application discrétionnaire des règlements semble être plus présente dans la douane et l’administration fiscale ce qui suggère que ces services ont besoin de toute urgence d’une réforme pour simplifier les règlements qui les régissent afin de limiter la marge de manœuvre qui leur est disponible. Plus généralement, il est primordial de procéder à une simplification drastique de la réglementation en vue de réduire le pouvoir discrétionnaire au niveau de l’application et ce pour aboutir à l’amélioration de l’environnement dans lequel meut le secteur privé tunisien, ce qui devrait être réalisé parallèlement à la réforme du Code d'Incitation aux Investissements.39 Les deux prochains chapitres vont examiner les distorsions spécifiquement induites par des considérations politiques respectivement sur le marché du travail et dans le secteur financier. Comme déjà discuté dans les Chapitres Deux et Trois, l’existence d’obstacles à la contestabilité du marché freine la productivité et donne naissance à des opportunités d’extraction de rentes. Dans ce chapitre, nous avons abordé les politiques tunisiennes d’investissement qui ont introduit davantage de distorsions. Il est vrai que ces politique ont contribué au développement du pays dans les années 70 mais plus maintenant dès lors qu’elles sont devenues plutôt des obstacles. Les deux chapitres suivants vont se pencher sur comment les politiques qui régulent le marché du travail et le secteur financier sont en train également de miner la performance économique du pays et contribuent à freiner la création d’emplois de bonne qualité. 172 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé Notes 1 Nous n'évaluons pas l'application des lois (p.ex. application puisqu’ils nécessitent une application simple de la part de des contrats et droits de propriété ), qui a été examinée l’investisseur. En fait, la proportion des entreprises offshore dans le rapport 2013 AfDB/MCC/MDCI sur le Diagnostic de qui évaluent positivement l'administration tunisienne et le Croissance – ce rapport établit de manière indiscutable que les système fiscal est bien plus importante que le pourcentage manquements dans l'environnement juridique constitue une d’entreprises onshore (70 pourcent Vs. 38 pourcent). véritable barrière à l'investissement et la croissance. 12 Alors que les secteurs d’exploitation/extraction minière, 2 Les zones économiques libres (zones franches) se trouvent l’énergie et les services financiers ne sont pas couverts par le à Zarzis et à Bizerte. Les entreprises opérationnelles dans le Code d’Incitations aux Investissements, la législation régissant cadre de ces zones sont soumises au même régime fiscal et ces secteurs leur accorde des incitations presque similaires. régime de change que les sociétés totalement exportatrices. 13 Il ne s’agit que des emplois qui n’auraient pas été créés sans 3 En plus et comme discuté dans le Chapitre Trois, le les incitations. copinage permettait, sous l’ancien régime, aux sociétés des amis et membres du clan Ben Ali de bénéficier de plusieurs 14 Le taux effectif marginal d’imposition est un indicateur exonérations et incitations. anticipé qui mesure les incitations à l’investissement dans un secteur donné telles que prévues dans les lois fiscales 4 Il convient de noter que de telles lois sectorielles spécifiques compliquées. Le taux effectif marginal d’imposition des imposent souvent de lourdes restrictions à l’investissement et revenus du capital est le taux de rendement prévu avant au bon fonctionnement du marché, le secteur du commerce impôt auquel on soustrait le taux de rendement après impôt au détail qui impose des restrictions draconiennes à sur un nouvel investissement marginal, divisé par le taux de l’établissement de gros détaillants (voir aussi le Chapitre rendement avant impôt. Deux). 15 En fait, 33 pourcent de la valeur ajoutée sont dans les 5 L’impôt sur les sociétés pour les sociétés onshore est secteurs pour lesquels une approbation préalable est exigée actuellement de l’ordre de 30 pourcent des bénéfices dans par le CSI et encore 18 pourcent sont ouverts aux Tunisiens la plupart des secteurs sauf pour le secteur financier, les mais pas aux étrangers (seul un contrôle minoritaire est télécommunications et les hydrocarbures avec un taux à 35 permis). pourcent et l’agriculture, la pêche et l’artisanat avec un taux à 10 pourcent. 16 L’investissement n’est permis que dans certains domaines et la propriété ou location de terrain pour les étrangers sont 6 Comme discuté dans le Chapitre Cinq, le Code du travail a fortement limitées En pratique, le texte du code en ce qui également contribué à ce décalage parce qu’il permettait le concerne la propriété foncière pour les étrangers n’est pas recours à des contrats flexibles à court terme pouvant aller clair et peut affecter la prévisibilité pour les investisseurs : jusqu’à 4 ans mais se montre d’une extrême rigidité lorsqu’il "La propriété du terrain et des lieux par les investisseurs s’agit de renvoyer des travailleurs employés avec un CDI ce étrangers dans les domaines autres que ceux mentionnés ci- qui, implicitement, favorise les emplois peu qualifiés et de dessus sont régis par la législation en vigueur ". courte durée. 17 L’Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation (APII) 7 Des résultats similaires sont obtenus lorsqu'on traite du est en train d’examiner la possibilité d’avoir un guichet unique secteur manufacturier uniquement. La part des investisseurs pour les entreprises non soumises à la déclaration. dans les secteurs manufacturiers qui ont déclaré qu'ils n'auraient pas investi sans incitations (investisseurs 18 Pour une discussion détaillée de l'accès aux terres agricoles marginaux) est de 52 pourcent (ce qui est légèrement au- voir cette note préparée par le FAO: Propriété Privée, dessus de la part de l'échantillon dans sa totalité). Le recours à Collective et Publique en Tunisie; disponible sur http://www. la "question de véracité" montre que 28 pourcent des sociétés fao.org/docrep/w8101t/w8101t07.htm#TopOfPage ; pour une manufacturières n'auraient pas investi (puisqu’ils mentionnent discussion de l'accès aux terres dans les zones urbaines voir les avantages fiscaux comme étant l'une des trois plus la discussion sponsorisée par le Centre Méditerranéen pour importantes raisons de leur décision d'investissement). l'Intégration (CMI) disponible sur http://cmimarseille.org/FR/E- letter_16-4.php#sthash.BTpc6U1g.dpuf 8 Ce sous-paragraphe se base sur l’étude de l’IFC et ECOPA (2012). 19 Dans l’enquête sur la motivation des investisseurs (2012), près de 42 pourcent des entreprises déclarent que la corruption 9 Il faut noter que ce ne sont que les coûts directs. Les coûts constitue un obstacle très/moyennement important à leur économiques globaux pourraient être encore plus élevés à croissance. La Tunisie a été classée 77 sur 177 économies cause des coûts indirects en termes d’incitations faussées. dans l’index de perception de la corruption de Transparency International (2013). 10 Aucune évaluation globale n’a été effectuée avant 2012 mais certaines études ont essayé de quantifier les coûts 20 Il faut noter que plus de la moitié des coûts sont provoqués des incitations. L’OMC (2001) estime les coûts budgétaires par les pertes associées au vol et au gaspillage (phénomène à 557 millions TND en 2000 (ou près de deux pourcent du répandu après la révolution). Sans cela, la Tunisie serait PIB). Le FMI (2005 et 2012) estime les dépenses fiscales en légèrement en deçà de ses voisions dans la région, à égalité matière d’incitations à environ 0.75 pourcent du PIB en 2005. avec l’Egypte mais toujours plus que le Maroc et la Jordanie. Ghazouani (2011) estime le coût des incitations à 2.9 pourcent du PIB. 21 Ce classement se base sur plusieurs indicateurs tels que le nombre de jours et de documents aussi bien pour l’importation 11 Ces montants sont étroitement liés à la réussite du régime que pour l’exportation et les coûts sur la base d’entretiens “offshore”. Les avantages fiscaux sont largement utilisés avec plusieurs professionnels dans le pays. la révolution inachevée 173 22 En effet, plusieurs des études et analyses discutées dans 30 Encourager stratégiquement les entreprises onshore pour ce chapitre ont été élaborées dans le cadre des travaux l’exportation pourrait développer la production et les revenus. et analyses préparatoires pilotés par le MDCI avec l’appui Pour que les entreprises onshore soient compétitives sur les technique de la SFI. marchés de l’exportation, il serait souhaitable d’améliorer les incitations à l’investissement au profit de ces entreprises, par 23 Les priorités sectorielles sont bien moins faciles à exemple, en leur permettant un accès moins cher aux intrants déterminer, mais le débat tourne autour du développement étrangers. Afin de s’assurer de la neutralité du coût de ces de secteurs stratégiques à haut potentiel d’et à forte valeur incitations, il importe de les orienter vers les secteurs et les ajoutée, notamment dans l’industrie de fabrication électrique, activités qui sont actuellement dominés par les entreprises mécanique et électronique, dans les TIC (notamment dans la offshore et vers ceux dans lesquels la Tunisie a un potentiel délocalisation et éventuellement dans le développement de latent non réalisé puisque dans de tels secteurs il n’y aura pas logiciels) et dans le tourisme. une perte significative de revenu fiscal net. 24 Par exemple, la Pologne a opté pour la liberté des 31 De plus, comme déjà discuté dans le Chapitre Cinq, le investissements dans tous les secteurs. Une autorisation système de sécurité sociale est de plus en plus déficitaire. ministérielle préalable est exigée dans seulement 5 secteurs Les contributions sociales sont collectées auprès d’une (liste négative). assiette étroite avec un des taux les plus élevés et incluent 25 Bien que certains pays disposent d’un système similaire le financement de divers articles (par exemple, des fonds à celui de la Tunisie, le nombre des secteurs à propriété de formation) qui ne devraient pas être financés à travers restreinte est plus petit qu’en Tunisie. l’imposition de la main-d’œuvre. Il y a lieu de réformer le système pour assurer sa durabilité fiscale tout en baissant les 26 Plusieurs études ont démontré les avantages pour la Tunisie impôts sur la main-d’œuvre en faveur de la création d’un plus qu’amènerait une ’ouverture des secteurs des services en grand nombre d’emplois. abandonnant les contraintes existantes en terme d’exigence d’autorisation et de limites sur les parts qui reviennent aux 32 Le TEMI sur le capital propre est le taux composé sur les étrangers dans le capital. Mais les groupes de pression au bénéfices et la taxe sur l’impôt de distribution de dividende sur sein des secteurs concernés ont réussi jusqu’ici à maintenir le produit marginal du capital-investissement, exprimé en tant les privilèges et les rentes au détriment d’investissements plus que pourcentage du produit marginal. consistants à travers le pays, d’une croissance plus rapide et 33 En coopération avec le Ministère des finances, les experts de la création d’emplois. Un autre argument utilisé de manière fiscaux du Groupe de la Banque Mondiale et du FMI ont effectué fréquente est que le gouvernement ne peut pas libérer les une simulation sur les données de plus de 55 000 entreprises marchés pour ne pas entraver le processus de négociation de en Tunisie pour s’assurer que la convergence des taux onshore l’accord de libre-échange avec l’UE. Néanmoins, différentes et offshore soit possible et sans incidence sur les recettes à études ont montré que dans plusieurs de ces secteurs, la Tunisie partir de la première année. Ceci nécessite l’introduction de possède un fort potentiel de croissance et devrait adopter une mesures complémentaires, notamment l’introduction d’un politique commerciale “offensive” et ne plus rester passive en impôt sur les dividendes à la source et un plus grand impôt attendant les négociations avec l’UE (Banque mondiale, 2008). minimum de remplacement (IMR) sur le chiffre d’affaires. En fait, le Maroc a récemment libéré les investissements dans L’annexe 4.6 fournit une explication détaillée de la réforme les services pour les investisseurs étrangers (entre autres proposée pour l’imposition des sociétés. dans le secteur financier, les logements, l’import-export, l’industrie, l’artisanat, l’éducation, le transport et la production 34 Le TEMI en Tunisie après la réforme serait de 21 pourcent cinématographique) et a vu une augmentation rapide des alors qu’il est de 24 pourcent au Maroc et en Egypte. investissements dans le pays. Toutefois, en termes d’incitations aux exportateurs, le Maroc deviendrai marginalement plus attractif. Les incitations 27 Les entreprises offshore sont actuellement autorisées à fiscales aux entreprises exportatrices au Maroc incluent une avoir 4 employés non tunisiens en tant que responsables exonération fiscale totale pendant les cinq première années superviseurs et sont obligés d’avoir des employés tunisiens de fonctionnement de la société et un taux réduit de 8.75 dans les organes de gouvernance dans plusieurs activités. Alors pourcent pour les 20 années qui suivent pour les sociétés que les compétences et le transfert du savoir-faire deviennent opérationnelles dans les zones franches. Les investisseurs de plus en plus un facteur clé de la concurrence mondiale normaux sont assujettis à un taux de 30 pourcent. Ainsi, pour l’innovation, les règlements tunisiens qui s’opposent aujourd'hui, les exportateurs en Tunisie bénéficient au recrutement des étrangers limitent la mobilisation de d'incitations fiscales plus généreuses que les exportateurs au l’expertise. La position favorable dont jouissent les pays de Maroc, mais dans le cadre du régime proposé, les nouveaux l’Europe de l’Est quant à l’attraction des investissements exportateurs en Tunisie auront moins de chance. technologiques est partiellement due à la mobilité de la main- d’œuvre avec l’Europe de l’Ouest. Plusieurs pays de l’Asie de Donc à présent les exportateurs jouissent en Tunisie l’Est ont également instauré des incitations spécifiques et d’incitations fiscales plus généreuses qu’au Maroc, mais sélectives pour attirer l’expertise et promouvoir le transfert du dans le cadre du nouveau régime proposé, les nouveaux savoir-faire. Singapour a, par exemple, élaboré une stratégie exportateurs en Tunisie seraient un peu moins bien lotis. globale pour attirer les talents afin de développer la R &D. 35 Comme les incitations déjà accordées seront maintenues, 28 Au Maroc, la propriété des terres agricoles est interdite aux il n’y aura pas de gains immédiats en recette à cause étrangers comme c’est le cas en Tunisie, mais le pays permet de l’élimination des incitations. Toutefois, la réduction des baux de 99 ans (contre 40 ans en Tunisie). significative des taux d’imposition des sociétés provoquera une baisse immédiate dans la recette fiscale que l’Etat ne 29 Dans ce contexte et pour être en phase avec les pratiques peut se permettre. Afin donc de neutraliser l’érosion de internationales, il est recommandé de sortir toutes les l’assiette fiscale, il est nécessaire d’introduire la retenue incitations fiscales et financières du nouveau Code des sur les dividendes à la source et un impôt minimum de Investissements et de les placer dans le cadre du droit commun remplacement (IMR) sur le chiffre d’affaires. Le taux d’IMR pour pouvoir les réviser, dans l’avenir, avec la loi de finances. est étalonné de façon à assurer le maintien des recettes 174 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé même pendant la première année de la réforme. En plus, identifiées dans l’administration fiscale et la douane, seules 7 la réduction significative dans les taux d’imposition des pourcent ne seront pas touchées alors que près de 8 pourcent sociétés améliorera nettement la compétitivité de l’économie seront éliminées et 85 pourcent devront être profondément tunisienne et pourra être considéré comme un pas géant vers simplifiées. La même approche méthodologique a été étendue l’établissement d’un système fiscal moderne créant un climat à encore 8 ministères qui interagissent avec les investisseurs favorable aux investissements et assurant leur viabilité à long privés, amenant le total des “formalités” identifiées pour terme. La réforme proposée se focalise essentiellement sur simplification à plus de 1500. Suite à l’identification des l’élargissement de l’assiette fiscale et la réduction générale du procédures, l’administration se propose, en partenariat avec taux d’imposition des sociétés afin d’éliminer les distorsions le secteur privé, de revoir chacune de ces procédures dans le dans l’économie, améliorer l’équité fiscale et rehausser la but de l’éliminer ou de la simplifier. Chaque agence concernée conformité. La réforme devrait être accompagnée d’une taxe devra justifier chacune des réglementations ou procédures sur les dividendes et un impôt minimum de remplacement sur qu’elle gère dans un délai supervisé par le cabinet du premier le chiffre d’affaires pour maintenir la neutralité budgétaire. ministre. La même justification sera également demandée au secteur privé. Sur la base de la synthèse des deux points de 36 Cela comprend le développement d’initiatives d’e- vue, un rapport sera établi avec des recommandations pour la gouvernement ou le remplacement des autorisations simplification réglementaire. préalables pour l’installation d’entreprises avec des systèmes déclaratifs soumis à des spécifications sectorielles prédéfinies. 39 Un argument peut être développé en faveur de la suppression des incitations fiscales à l'offshore après 37 La transparence et la simplicité peuvent aider à endiguer l’amélioration du climat des affaires. En fait, compte tenu des la corruption—le contexte de l’économie politique pourrait intérêts particuliers qui cherchent à perpétuer le régime hors- impliquer que les règles relativement sophistiquées, qui sont taxes pour les entreprises offshore, il est recommandé que les théoriquement supérieures, peuvent s’avérer en pratique deux aspects de la réforme soient mis en œuvre en parallèle , inférieures aux règles plus simples qui sont plus faciles à à travers une convergence progressive des taux d'imposition superviser et à appliquer (et moins vulnérables à la corruption). entre les secteurs onshores et offshore, qui augmenteront 38 Un premier jet de réformes a commencé en mai 2011 également la demande pour les avancées dans la simplification lorsque le Ministère des finances a lancé un processus de réglementaire. réforme réglementaire systémique et participatif visant à simplifier les procédures administratives et la bureaucratie et à réduire l’arbitraire et les pratiques discrétionnaires dans les douanes et l’administration fiscale. Sur les 446 ‘formalités’ Références AfDB/MCC/MDCI (2013). Towards a New Economic Model for new Investment Code (Comité Exécutif pour l’Elaboration du Tunisia, Identifying Tunisia’s Binding Constraints to Broad- nouveau code de l'investissement). République Tunisienne, Based Growth. A joint study by the African Development Bank, Ministère de l’Investissement et de la Coopération the Government of Tunisia and the Government of the USA Internationale, October (Millennium Challenge Corporation), 2013.. IMF (International Monetary Fund). 2005. Tunisia: The reform CONECT. 2012. “Etude Portant sur la Performance du Port de of the Tax System (Tunisie : La réforme du système fiscale). Rades. ” Rapport d’étude, COMETE ENGINEERING, February Fiscal Affairs Department report by George T. Abed, Mario 2012. Mansour, Ludvig Söderling, Maureen Kidd, and Jean-Luc Schneider. Washington, DC: International Monetary Fund. Ghazouani, Kamel. 2011. “Evaluation des Incitations à l’Investissement Privé : Cas du Code d’Incitation à IMF (International Monetary Fund). 2012. Tunisia: Proposed l’Investissement. ” CTEE (Centre Tunisien des Etudes Reforms for a Simpler and More Equitable Tax System (Tunisie : Economiques). Institute Arabe des Chefs d’Entreprise. Proposition de reformes pour un systeme fiscal plus simple et plus equitable). Fiscal Affairs Department report by Mario Hibou Béatrice. 2011. The Force of Obedience. Cambridge, UK: Mansour, Ernesto Crivelli, Gérard Chambas, and Alain Jousten. Polity. Washington, DC: International Monetary Fund, December. IFC (International Finance Corporation). 2009. Incentives and ITCEQ. 2012. “Rapport Annuel sur la Compétitivité 2011.” Investments: Evidence and Policy Implications. Washington, Institut Tunisien de la Compétitivité et de l’Economie DC: IFC. Quantitative, Tunis. IFC and ECOPA. 2012. Tunisie: Coût/bénéfice des Incitations Raballand, Gael. 2013. “Global Indicators vs. Some Realities on Fiscales et Financières à l’Investissement. Preliminary report, the Ground.” Blog on Future Development, October 16. http:// World Bank, Washington, DC, November. blogs.worldbank.org/futuredevelopment/global-indicators-vs- IFC and Ernst & Young. 2012. “Elaboration du nouveau code some-realities-ground. de l'investissement : Synthèse des travaux et études sur la World Bank. 2008a. “Etude sur la Compétitivité des Entreprises politique & le cadre d’investissement en Tunisie. ” Unpublished Tunisiennes.” Unpublished report prepared by LINPICO, World Report to the Executive Committee for the Preparation of the Bank, Washington, DC. la révolution inachevée 175 World Bank. 2009a. From Privilege to Competition: Unlocking World Bank. 2014e. Tunisia Investment Climate Assessment. Private-Led Growth in the Middle East and North Africa. Washington, DC: World Bank. 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G/SCM/N/71/ TUN, June. 176 cadre réglementaire pour les investissements dans le secteur privé la révolution inachevée 177 178 dysfonctionnements du marché de l'emploi Dysfonctionnements du marché de l’emploi 05 Paradoxalement le code du travail contribue à l’exploitation des travailleurs et à la précarité de l’emploi la révolution inachevée 179 Dysfonctionnements du 05 marché de l’emploi L e marché du travail tunisien se caractérise par de grandes précarités qui sont à l’origine d’une économie à faible productivité et qui génèrent surtout des emplois de qualité médiocre et insécurisés. L’économie tunisienne se doit de créer davantage d’emplois – étant donné que le pays a surtout besoin d’emplois qualifiés pour recruter le nombre croissant de diplômés universitaires au chômage. Le taux de chômage croissant des diplômés universitaires, qui s’était accumulé lors de la dernière décennie, reflète le décalage structurel entre une main-d’œuvre qualifiée sans cesse croissante et une économie qui a été handicapée par des activités peu productives (comme discuté dans le Chapitre Un). Les postes disponibles sont de mauvaise qualité, pour ce qui est de la valeur ajoutée (donc la rémunération) ainsi que la sécurité, plutôt réduite, de la pérennité de ces postes. En outre, les emplois offerts proviennent de plus en plus du secteur informel et se font sur la base de contrats à durée déterminée, ce qui signifie que les travailleurs ne peuvent bénéficier d’aucune protection et que ceci se traduit par un système de rotation trop élevée – dans ses aspects les plus inhumains, et surtout ceux liés aux accords professionnels dégradants et inhérents aux activités de sous-traitance du secteur d’assemblage en Tunisie, et c’est ce même système économique en Tunisie qui est à l’origine de l’exploitation des travailleurs – et qui est connu en Tunisie sous le nom de phénomène de ‘sous-traitance’. Les taux élevés de chômage et des emplois au sein du secteur informel, qui s’en sont dégagés, ont creusé l'écart entre l’offre et la demande, au niveau du marché ainsi que le taux élevé de chômage, et expliquent le grand malaise social qui a été exprimé si violemment par les jeunes Tunisiens. Ces résultats sont, en partie, issus des politiques réglementant le marché de l’emploi en Tunisie. Comme discuté dans les chapitres précédents, la faible performance économique et la création insuffisante d’emplois ainsi que la qualité faible de ceux créés sont le corollaire d’un environnement économique entaché de distorsions, d’obstacles à la concurrence et d’une bureaucratie excessive donnant lieu à une productivité faible à l’extraction de rentes de la part des acolytes et des proches du Néanmoins, et alors que les politiques relatives au marché de l’emploi ne semblent pas être la principale contrainte à la création d’emplois, en Tunisie, ce chapitre soutient que la création d’emplois de qualité est menacée, aussi bien par les politiques régissant le marché de l’emploi en Tunisie, que par les entraves imposées par le Code du Travail, le régime de sécurité sociale et les mécanismes de négociations des salaires. Le régime de sécurité sociale en Tunisie ne permet pas de protéger les travailleurs et aggrave beaucoup les risques de chômage. Les réglementations et institutions de l’emploi en Tunisie sont propices à l’insécurité de l’emploi et au biais en faveur de postes de travail à faible qualification. Ce chapitre démontre aussi qu’en dépit des bonnes intentions, l’orientation des règlementations et des institutions régissant l’emploi a été contreproductive, du fait que la combinaison de rigidité et de flexibilité excessives, entrave l’investissement dans les activités et innovations à grande valeur ajoutée, tout en permettant des abus dans les relations de travail. Ainsi, et de manière non négligeable, le Code du Travail, le système de sécurité sociale et le mécanisme de négociation salariale en vigueur en Tunisie aujourd’hui, ont contribué à créer et perpétuer des inégalités, notamment en défaveur des jeunes. Le chapitre examine les voies d’action possible pour accélérer la création d’emplois en nombre et en qualité, tout en assurant une meilleure protection des personnes sans emploi. Le chapitre commence par une mise en exergue des carences qui caractérisent le marché du travail tunisien en termes de création insuffisante d’emplois et de mauvaise qualité, ainsi que l’inadéquation grandissante des compétences et la forte mobilité du travail. La deuxième partie du chapitre se focalise sur le régime de sécurité sociale, les réglementations et institutions du travail, et le rôle du secteur public, tout en mettant en exergue la manière dont ces facteurs ont entravé le fonctionnement du marché du travail et entrainé un taux de chômage élevé plutôt que de le réduire. 180 dysfonctionnements du marché de l'emploi 5.1 / Un marché du travail caractérisé par des emplois de mauvaise qualité et précaires L e marché du travail tunisien se caractérise par un grand nombre d’inadéquations, et notamment le u surplus de main-d’œuvre qualifiée et le déficit de main-d’œuvre semi-qualifiée et non- qualifiée. Pour quantifier les inadéquations des compétences au sein de l’économie, on peut recourir à la comparaison entre les nouveaux emplois générés par l’économie par secteur d’emploi, et la spécialisation déclarée par la population de chômeurs.1 Les résultats dégagés indiquent que les travailleurs qualifiés et semi-qualifiés en Tunisie font défaut, alors qu’il y a une offre excédentaire de techniciens et les professionnels souffrent d’un ‘surplus’ (figure 5.1).2 Evidemment, il n’y a pas de manque de main-d’œuvre non qualifiée et semi-qualifiée actuellement en Tunisie, et il ne risque pas d’en exister dans un avenir proche. Ce qu’on peut déduire du graphique, toutefois, c’est l’inadéquation au niveau des compétences : la structure professionnelle du chômage est bien différente de celle des emplois créés (c.-à-d. la demande de main d’œuvre). Ceci implique que le chômage (structurel) persistera même lorsque l’économie parviendra à générer davantage d’emplois. Plus précisément, le pays continuera à souffrir d’un surplus d’offre, au niveau de la main d’œuvre diplômée du supérieur vu que l’économie requiert actuellement avant tout de la main-d’œuvre moins qualifiée.3 Figure 5.1 : Surplus et manque de main-d’œuvre par spécialité en Tunisie en 2011 Non qualifiés Manque 0 Surplus Operateurs -40 Artisanat -27 % des demandeurs d’emploi qui ne trouvent Ventes -21 pas un nouveau poste dans leur spécialité Agents 0 % de nouveaux emplois qui Techniciens ne peuvent pas être occupés 39 par les chômeurs de la même spécialité Professionnels 53 -60 -40 -20 0 20 40 60 Source : Calculs des auteurs basés sur l’enquête nationale d'emploi en Tunisie, en 2011 En plus de la rareté des emplois offerts pour la main-d’œuvre qualifiée, il faut également signaler que la qualité des emplois disponibles est faible et que le travail informel est très répandu en Tunisie. A peu près la moitié des salariés (45 pourcent) sont employés sans avoir signé un contrat de travail. Le taux d’informalité est élevé parmi les jeunes et les travailleurs moins qualifiés.4 La grande majorité de ceux qui sont employés (à peu près 66 pourcent) le sont dans le secteur informel ou sont installés à leur propre compte (figure 5.2). Le secteur formel ne répond qu’à 36 pourcent de la demande totale la révolution inachevée 181 du marché du travail, et le secteur public demeure toujours la principale source d’emplois formels en Tunisie.5 Ce taux ne représente que 14 pourcent parmi les personnes employées dans le secteur formel privé, un secteur qui est traditionnellement connu pour sa grande productivité - et par voie de comparaison, cette part oscille entre 20 et 40 pourcent, dans les pays à revenu moyen d’Europe et Asie Centrale (EAC) et d’Amérique Latine (Banque Mondiale, 2012).6 En outre, la plupart de ces travailleurs bénéficient d’un contrat à durée déterminée (qui est, et comme il sera expliqué plus tard, obligatoirement un contrat à court terme en Tunisie, ne garantissant aucune sécurité professionnelle).7 La mobilité professionnelle entre emploi et chômage, est importante et indique que les emplois disponibles sont relativement de courte durée, se traduisent par une grande rotation de la main d’œuvre et reflètent plus généralement la précarité de l’emploi en Tunisie.8 Comme le reflète le tableau 5.1, la mobilité, pendant et en dehors de la période de chômage et au cours de la carrière académique était plutôt limitée. Seul environ un tiers des chômeurs, en 2010, sont parvenus à trouver un emploi en 2011, alors que les deux tiers restants ont gardé le même statut ou sont devenus inactifs en 2011. De fait, il est préoccupant de noter que plus de la moitié des chômeurs en 2010 sont devenus inactifs en 2011, suggérant un taux élevé de découragement auprès des chômeurs – c’est à dire beaucoup de chômeurs ont choisi de quitter la population active. La majorité des personnes qui ont été employées en 2010 ont gardé leurs postes en 2011, et seulement une minorité (2.7 pourcent) avaient perdu leurs emplois, alors que 26.3 pourcent sont devenus inactifs, la plupart probablement en raison de départ à la retraite. Le statut d’inactif est encore un peu plus tenace étant donné que 81 pourcent des personnes inactives en 2010 n’ont pas pu changer de statut et trouver un emploi, et sont restées inactives en 2011. Seuls 14.5 pourcent de tous les inactifs en 2010 ont pu se procurer un emploi en 2011. Tableau 5.1 : Matrice de transition : Changement du statut d’emploi de la main d’œuvre (âgée de 15 à 64) entre 2010 et 2011 Employé Sans Emploi Inactif Quatrième Quatrième Quatrième Trimestre Trimestre Trimestre Tous 2011 2011 2011 Employé en Q4 2010 71.0 % 2.7 % 26.3 % 100 % Sans emploi en Q4 2010 34.5 % 11.5 % 54.0 % 100 % Inactif en Q4 2010 14.5 % 4.7 % 80.8 % 100 % Source : Calculs des auteurs basés sur l’enquête nationale d'emploi en Tunisie, [2010, 2011] Tableau 5.2 : Matrice de transition : Changement de types de contrats entre 2010 et 2011 contrat à contrat à Sans contrat durée indéterminée durée indéterminée 4ème trimestre 2011 4ème trimestre 2011 4ème trimestre 2011 Contrat à durée indéterminée 4ème trimestre 2010 42.3% 32.9% 24.8% Contrat à durée indéterminée 4ème trimestre 2010 7.3% 79.4% 13.3% Pas de contrat 4ème trimestre 2010 3.5% 11.3% 85.2% Source : Calculs des auteurs basés sur l’enquête nationale d'emploi en Tunisie, [2010, 2011] 182 dysfonctionnements du marché de l'emploi Les employés travaillant sur la base de contrats à durée déterminée sont plus mobiles. Comme on pouvait le supposer, les travailleurs soumis à des contrats à durée déterminée sont plus mobiles que les travailleurs bénéficiant de contrats à durée indéterminée (tableau 5.2). Environ 25 pourcent de tous les travailleurs, qui avaient travaillé sur la base de contrats à durée déterminée en 2010, ont intégré le secteur informel en 2011.9 Cette observation pourrait résulter des variations de l’emploi du secteur privé en réponse au choc économique survenu dans le pays après la révolution de janvier 2011. Toutefois, comme démontré ci-dessous, cette évolution reflète également les forts dysfonctionnements du marché liés à l’utilisation des contrats à durée déterminée. En outre, la mobilité entre types de contrats était moins prononcée chez les travailleurs au régime de contrats à durée indéterminée. Paradoxalement, ces derniers sont par ailleurs plus mobiles que les travailleurs qui n’ont pas de contrat. Une portion significative des travailleurs du secteur informel en 2010, a pu regagner le secteur formel en 2011 (3.5 pourcent ont pu se procurer un des contrats à durée déterminée et 11.3 pourcent des contrats à durée indéterminée). Les résultats dégagés sur la base de l’enquête de traçabilité de l’historique des diplômés tunisiens (2004-2008) confirment les tendances de mobilité observées ci-dessus. (Pour plus de détails, prière se référer au Rapport de base de la RPD « Créer des emplois de qualité en Tunisie », Banque Mondiale, 2014). Le niveau très élevé de mobilité reflète bien les dysfonctionnements du marché du travail tunisien, qui ont généré des formes d’exploitation professionnelle. Alors que la mobilité élevée, enregistrée en 2010-2011, reflète partiellement les ajustements survenus suite à la crise économique qui a secoué le pays au début de 2011, il n’y a aucun doute qu’elle est symptomatique d’un dysfonctionnement plus profond touchant le marché du travail tunisien et connu en Tunisie comme le phénomène de ‘sous-traitance’. Littéralement le concept de ‘sous-traitance’ devrait être interprété positivement en se référant à l’externalisation d’emplois en faveur de la Tunisie. En pratique, toutefois, cette sous- traitance a concerné des emplois à faible valeur ajoutée (surtout au niveau de l’assemblage) pour les travailleurs tunisiens qui ont été soumis pendant longtemps à la précarité professionnelle et aux abus liés aux contrats à durée déterminée. Comme il sera discuté ci-dessous, ces contrats à durée déterminée ne procurent presque aucune sécurité de l’emploi. Ce type de contrat est conçu pour offrir à l’employeur une période de grâce de quatre ans, suite à laquelle les travailleurs méritants se verraient offrir des contrats à durée indéterminée (et les autres verraient leur contrat non-renouvelé). De fait, toutefois, quelques entreprises ont eu recours à des méthodes légales mais opaques pour contourner la période autorisée de quatre ans et garder la main-d’œuvre dans un état d’insécurité professionnelle permanente (UGTT 2009). Les résultats dégagés de l’Enquête sur l’Entreprise en Tunisie ont révélé que les secteurs des services et du tourisme, en particulier, ont souvent recours aux travailleurs temporaires – en moyenne environ 50 pourcent de la main-d’œuvre sont embauchés sur la base de contrats à durée indéterminée (Banque Mondiale 2014c). En pratique, le recours aux contrats à durée déterminée a provoqué un système d’exploitation bien que légalement valide, et qui vient aggraver davantage des niveaux d’informalité déjà trop élevés. 5.2 / L’amélioration du niveau d’éducation est vitale pour la croissance future L a préoccupation liée au niveau de compétence de la main-d’œuvre se fait sentir de façon croissante des dernières années. Les niveaux d’éducation secondaire parmi les travailleurs tunisiens, sont parmi les plus élevés dans la région (et 47 pourcent de la population concernée par l’enquête dispose d’un minimum de 10 ans d’éducation). Néanmoins, et abstraction faite des diplômes obtenus, la main- d’œuvre tunisienne apparaît ne pas posséder les compétences requises par le secteur privé. Alors que la disponibilité et le coût raisonnable de la main-d’œuvre tunisienne sont souvent définis par les investisseurs comme un atout de taille dans le climat des affaires en Tunisie (voir Chapitre Quatre), la révolution inachevée 183 certains employeurs ne cachent pas leurs inquiétudes devant l’inadéquation entre les compétences techniques et les aptitudes générales ou ‘compétences non techniques’10 de cette main-d’œuvre (voir Banque Mondiale 2008a ; ETF et Banque Mondiale 2005). Le manque de compétences de la main-d’œuvre est qualifiée d’entrave majeure à la bonne marche des affaires au sein des entreprises par 39 pourcent des employeurs sondés dans le cadre de l’Enquête sur l’Entreprise de 2012 (annexe 4.4 ; voir aussi Banque Mondiale 2014e). Les préoccupations exprimées par les hommes d’affaires semblent refléter les difficultés rencontrées par ces derniers à trouver une main-d’œuvre qui soit à la fois qualifiée et capable de répondre aux besoins du marché local. Par exemple, on passe en moyenne huit à neuf semaines pour trouver des travailleurs possédant certaines compétences spécifiques de technicien ou d’ingénieur. Le problème est d’autant plus aigu avec les professionnels dont les compétences exigent certaines aptitudes générales – les entreprises déclarent mettre un minimum de 11 semaines pour trouver un candidat suffisamment qualifié dans son domaine. En outre, plusieurs entreprises indiquent que les candidats disponibles ne répondent pas à leurs attentes pour ce qui des qualifications exigées – 70 pourcent des répondants ont indiqué que les types d’ingénieurs et/ou professionnels disponibles sur la marché du travail ne possèdent pas les compétences requises pour le poste offert. Malgré la rareté des données disponibles permettant d’évaluer objectivement la qualité des diplômes des universités tunisiennes, les informations disponibles semblent étayer la théorie que le niveau académique serait plutôt faible. Comme discuté dans le Chapitre Premier, la Tunisie a pris la décision, lors des vingt dernières années, de faciliter l’accès à l’éducation pour tous, et surtout à l’enseignement supérieur. Cependant, les résultats académiques dégagés – suite à l’évaluation des Tendances des Etudes Internationales sur les Mathématiques et les Sciences (TIMMS), portant sur les élèves de la huitième, ainsi que le programme de suivi des acquis des élèves (PISA), portant sur les élèves âgés de 15 ans – dévoilent une qualité académique relativement faible. Le TIMMS organisé en 2007 révèle que 80 pourcent des élèves de la huitième en Tunisie ont démontré des compétences en mathématiques Figure 5.4 : Compétences en maths et logarithme du PIB par habitant, Résultats de PISA en 2009 600 550 500 Score moyen 450 400 350 y = 131,26x 0,1259 R² = 0,50609 300 1 000 10 000 100 000 log PIB par habitant, PPP ($ international actuel), 2009 Source : Source : Programme de suivi des acquis des élèves (PISA), Organisation pour la Coopération et Développement Economique (OCDE), 2009. Indicateurs du Développement Mondial, Banque Mondiale, 2013. Remarque : Le point rouge représente la Tunisie 184 dysfonctionnements du marché de l'emploi ‘faibles’ voire ‘médiocres’, laissant entendre que les élèves du secondaire semblent ne pas avoir les connaissances Figure 5.5 : Répartition des étudiants inscrits dans les de base requises en mathématiques (basé sur les critères institutions universitaires d’évaluation ; Banque Mondiale, 2012).11 De même, les (Année universitaire 2010/2011) données dégagées par le programme de suivi des acquis des élèves (PISA), suggèrent que la performance des élèves tunisiens en sciences et en mathématiques est faible (à 28% 37% Sciences Sociales Scientifique Technique l’image du niveau de développement national) (figure et Ingénierie 5.4). Alors que ces données ne tiennent compte que de la performance au secondaire, elles indiquent, néanmoins, que le système éducatif ne produit pas une masse critique d’étudiants qui possèdent des compétences quantitatives fondamentales pour pouvoir réussir sur le marché du travail.12 De façon encore plus préoccupante, il apparaît que les compétences et l’expertise acquises par les diplômés 13% universitaires ne répondent pas à la demande du secteur Santé 22% Education privé. En plus de la qualité de l’éducation, l’adéquation des et Sciences Humaines compétences acquises par les étudiants est une condition incontournable pour l’employabilité. De préférence, Source : Données du Ministère de l’enseignement supérieur, Année universitaire les compétences et expertises disponibles chez les 2010 – 2011 ; Département des Etudes, de la Planification et de la Programmation. demandeurs d’emploi sur le marché du travail doivent correspondre aux demandes du marché pour garantir une bonne employabilité des diplômés universitaires. Toutefois, cette situation ne s’applique pas à la Tunisie. Environ 63 pourcent de tous les étudiants universitaires inscrits pour l’année universitaire 2010/11, étudiaient les sciences humaines, de la santé et les sciences sociales (figure 5.5). De telles compétences, cependant, ne sont pas particulièrement demandées par les secteurs qui offrent le plus grand nombre de possibilités d’emploi à l’instar des services financiers et des télécommunications. Figure 5.6 : Situation professionnelle par type de diplôme (pour un groupe de diplômés tunisien de 2004) Statut d’emploi des diplômés du supérieur Demandeurs d’emploi inscrits à (Cohorte de 2004) l’Agence Nationale de l’Emploi (3 ans après la fin du programme) et du Travail Indépendant % Employés 5% En % de tous les diplômés (Cohorte 2007) 2% 100% Autres Bac+5 (ingénieurs, 90% docteurs, architectes) 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 44% 49% 0% Enseignement Programme de 4 Enseignement Programme Programme Docteur en Ingénieur Architecte Mastère Technique de 2 ans ans en sciences Technique en Sciences de licence Médicine humaines 2 ans Humaines de 3 Ans 4 ans Source : Schéma à gauche : Banque Mondiale 2004, Enquête des diplômés en Tunisie ; Schéma à droite : Données administratives de l’Agence Nationale de l’Emploi et du Travail Indépendant, ANETI la révolution inachevée 185 De fait, les diplômés des départements des sciences humaines et des programmes de formation technique – qui forment la majorité parmi tous les diplômés d’universités en Tunisie – semblent être les derniers à pouvoir trouver des emplois. Concrètement, environ 90 pourcent de tous les diplômés universitaires sont titulaires d’une maîtrise en sciences humaines (BAC+4) ou d’un diplôme technique (BAC+2) (figure 5.6). Les données obtenues à partir de l’enquête la plus récente sur la traçabilité des diplômés en Tunisie montrent que les diplômés des institutions techniques et les détenteurs de maîtrises, appartenant aux départements des sciences humaines, sont ceux qui éprouvent les plus grandes difficultés à intégrer le marché du travail, une fois leurs études achevées. Plus précisément, seuls 60 pourcent de tous ces diplômés avaient trouvé un emploi trois ans après avoir obtenu leurs diplômes, contre un taux de 90 pourcent parmi les détenteurs d’un diplôme équivalent à BAC+5. (Banque Mondiale, 2010). Le secteur public reste le principal employeur avec un taux de recrutement de 54 pourcent, toutes disciplines confondues pour les diplômés concernés par l’échantillon analysé.13 Ainsi, ces conclusions démontrent que les compétences et l’expertise acquises par une grande partie des diplômés ne répondent donc pas à la demande du secteur privé, et que ces diplômés sont, par conséquent, sous-évalués sur le marché du travail. En fait, de nombreux diplômés en sciences humaines et des programmes de l'enseignement technique qui trouvent un emploi le font dans des conditions de travail précaires. Outre les taux d'emploi plus bas, trois ans après avoir fini leur programme, les diplômés des facultés de sciences humaines et de l'enseignement technique qui trouvent un emploi ont tendance à être sous-employés et travaillent dans un domaine différent de celui de leur spécialisation, avec des taux de rémunération faibles par rapport aux diplômés BAC +5. La figure 5.7 (à gauche) présente les taux de non-concordance (la part des diplômés qui travaillent dans un domaine différent de celui de leur spécialisation universitaire) et les taux de sous-emploi (la part des diplômés qui sont surqualifiés pour un poste donné) par type de diplôme, trois ans après l'obtention du diplôme pour une cohorte de diplômés du supérieur. Les résultats indiquent que : (a) environ 30 pourcent de tous les diplômés de l'enseignement technique (BAC +2) sont employés dans des domaines qui ne sont pas liés à leur spécialisation ; et (b) entre 20 pourcent et 36 pourcent de tous les diplômés en sciences humaines sont sous-employés (c'est à dire qu'ils sont surqualifiés pour le poste qu'ils occupent). En outre, les salaires mensuels perçus par les diplômés en sciences humaines et les diplômés de l'enseignement technique sont nettement inférieurs à ceux obtenus par les diplômés Bac +5 et par ceux qui détiennent d'autres diplômes (figure 5.7, graphique de droite).14 Figure 5.7 : Résultats d’emploi par type de diplôme (pour un groupe de diplômés tunisien de 2004) Salaire mensuel net (en dinars) dans le secteur privé (3 ans après le diplôme) 50.0 900 851 40.0 800 36 Taux de chômage Manque de correspondance 700 635 31 30.0 29 600 %age 500 448 20 396 20.0 Bac + 5 400 300 10 200 10.0 8 7 6 6 6 100 0 0 0 0 0.0 0 Enseignement Programme Programme Ingénieur Architecte Docteur en Mastère Enseignement Programme Autres Ingénieur Technique en Sciences de licence de Médicine Technique en Sciences Diplômes 2 ans Humaines 3 Ans 2 ans Humaines 4 ans 4 ans Source : Banque Mondiale 2004, Enquête des diplômés en Tunisie 186 dysfonctionnements du marché de l'emploi Ces résultats reflètent le fait qu’en Tunisie, comme dans de nombreux pays de la région, le secteur privé et le secteur de l'éducation ont tendance à fonctionner en vase clos, ce qui entraîne des écarts et l'inadéquation des compétences (ETF et Banque Mondiale 2005, la SFI et ISDB 2011, Banque Mondiale 2008b). Le manque de communication et de coordination entre les secteurs est à la fois la cause et la conséquence des lacunes d'information et de connaissances des deux côtés. En conséquence, le système d'éducation et de formation n'a pas l'information nécessaire pour pouvoir répondre aux besoins du secteur privé, tandis que le secteur privé n'a pas la capacité et / ou l'intérêt de jouer son rôle dans un système de développement des compétences basé sur la demande. Ceci est particulièrement pertinent dans le sous-secteur de l’Enseignement Technique et Professionnel et de la Formation Professionnelle (ETFP), où le rôle des employeurs est par définition crucial pour veiller à ce que les compétences acquises soient pertinentes pour l'accès au marché du travail. La récente expérience réussie de collaboration public-privé dans le secteur de l'information et de la technologie des communications (TIC) en Tunisie peut servir de modèle pour étendre à d'autres secteurs de l'économie (encadré 5.1). Encadré 5.1 : Un modèle de réussite d’un PPP dans l’enseignement supérieur. L’Association Tunisienne Pour la Communication et la Technologie (TACT) est une association professionnelle établie en Tunisie pour promouvoir l’Offshoring, un secteur identifié par plusieurs études réalisées par le gouvernement et les principaux bureaux d’études, comme étant un créneau porteur et à grandes potentialités de croissance et de création d’emplois. La TACT comprend des représentants des principales sociétés spécialisées en TIC. Elle a lancé un programme pilote, sous le nom de TACT Academy, pour recycler les diplômés chômeurs dans le domaine des TIC et les faire recruter dans le domaine de l’Offshoring. Après achèvement des cycles de formations et de certification, les candidats retenus sont sûrs d’être recrutés une des sociétés du groupement TACT. Seuls 200 diplômés universitaires chômeurs, avec un profil dans les TIC, ont été sélectionnés pour prendre part au premier programme pilote organisé par la TACT en 2011/2012 (sur un total estimé de 30 000 diplômés chômeurs spécialisés en TIC sur le marché). Afin de les rendre « prêts pour l’offshoring », on leur a offert une formation de 10 mois, répartie sur divers cycles comme suit : un cycle de 24 semaines (6 mois) comprenant quatre modules de formation de 180 heures en bases pour les TIC, les ‘environnements’ TIC, les langues (Anglais et Français) et la communication. Ce cycle a été accompagné par un autre cycle de 16 semaines (4 mois) et d’un stage professionnel pratique de six semaines qui comprend également un cinquième module (avec une formation en finance, informatique, gestion de projet et autres compétences). Ce programme de dix mois a permis à chacun des apprenants de bénéficier d’un certain nombre de certifications : dont une ou plus en informatique (Java, .net; etc...) et en langues (TOEIC ou TOESL). La TACT fonctionne comme une fondation caritative, offrant gratuitement toutes les services administratifs et de gestion lié à ce programme de formation. Une fois les candidats sélectionnés pour suivre ce programme de formation, leurs frais de scolarité, qui se montent à 3,000 TND (l’équivalent d’environ 2000 dollars américains) sont pris en charge par le gouvernement. Cette initiative se caractérise par trois aspects intéressants. Premièrement, elle représente un excellent exemple d’un modèle de Partenariat Public Privé (PPP) réussi dans les domaines de la formation professionnelle et l’intégration dans le marché de travail étant donné que la TACT propose de réunir le gouvernement et le secteur privé, puisqu’ils souhaitent tous les la révolution inachevée 187 deux voir les diplômés chômeurs en informatique recevoir un recyclage et les voir recrutés dans un secteur très prometteur. Deuxièmement, cette initiative adopte une approche basée sur les résultats pour financer les programmes, la TACT Academy assume toutes les responsabilités pour la sélection et la formation des candidats chômeurs et demande au gouvernement de rembourser uniquement les frais de formation une fois le candidat recruté. Ceci est une situation de gagnant-gagnant étant donné que la TACT trouve ainsi les candidats formés dont elle a besoin, alors que le gouvernement ne paie que les frais pour les candidats qui ont été recyclés avec succès (mais pas pour ceux qui se sont retirés ou ne sont pas allés jusqu’au bout du cycle de formation). Troisièmement, ceci est un modèle qui présente de grandes potentialités à exploiter dans d’autres secteurs et d’autres pays. Source : http://www.esprit.ens.tn/fr/info/TACT2011.htm Globalement, même si les compétences acquises par les diplômés semblent en décalage par rapport aux demandes du secteur privé, cela ne semble pas constituer pour le moment la contrainte essentielle qui empêche la croissance des entreprises en Tunisie. Comme discuté dans les chapitres précédents, l’économie tunisienne se focalise actuellement sur des activités à faible compétence et la grande majorité des emplois créés sont à faible intensité de compétences. En effet, le niveau des salaires offerts aux ingénieurs et autres qualifications rares restent très compétitifs par rapport aux normes internationales. Toutefois, en essayant d’avancer sur la chaîne des activités à plus grande valeur ajoutée, la Tunisie devra réformer son système éducatif pour améliorer les résultats de l’apprentissage et assurer une plus grande harmonie entre les compétences acquises par les diplômés et les exigences du secteur privé. 5.3 / Les politiques et institutions du marché de l’emploi font partie du problème Le régime de la sécurité sociale n’offre aucune protection aux travailleurs et ne fait qu’exacerber le problème du chômage L es problèmes d’emplois de mauvaise qualité et de forte précarité, mentionnés plus haut, sont encore rendus plus complexes par le régime de sécurité sociale qui a prouvé son incapacité à protéger les travailleurs. Le régime de sécurité sociale actuel (qui comprend essentiellement les régimes des retraites, les indemnités de chômage et l’assurance maladie) est menacé par plusieurs problèmes de conception. Pour ce qui est de la protection des travailleurs, les régimes actuels se sont révélés insuffisants et ne couvrent que 50 pourcent des travailleurs. En outre, des modes de financement inadéquats conjugués à une gestion défaillante nuisent à l'efficacité de ce système, surtout au niveau de la retraite, pour garantir les prestations sur le long terme, y compris pour les travailleurs qui sont couverts aujourd’hui. De fait, les deux régimes concernant les travailleurs des deux secteurs (public et privé), sont incapables d’apporter des solutions efficaces et le premier accuse déjà un déficit et n’arrive plus à honorer tous ses engagements envers ses cotisants (encadré 5.2 et Banque Mondiale 2012f). En même temps, le régime de sécurité sociale ne cesse d’avoir un impact négatif sur la capacité de l’économie nationale à pouvoir créer de bons emplois car il impose une taxe élevée sur le travail (voir figure 5.8), diminue les motivations pour offrir ou accepter un emploi dans le secteur formel et entrave la mobilité du marché du travail.15 188 dysfonctionnements du marché de l'emploi Encadré 5.2 : Durabilité financière du régime de retraite tunisien Le régime de retraite en Tunisie, dont la solvabilité est de plus en plus menacée, rencontre plusieurs difficultés et défis. En Tunisie, il existe des régimes de retraite séparés pour les employés du secteur public (qui sont couverts par le régime de la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale, CNRPS), et du secteur privé (couverts par le régime de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, CNSS). Le budget total alloué à ces régimes de retraite représente environ, cinq pourcent du PIB, alors que 37 pourcent environ de la population active cotisent dans une de ces deux caisses de retraite. La population couverte par le régime de la CNSS est divisée en huit régimes dont le plus grand est, de loin, celui du Régime des Salariés Non-Agricoles (RNSA). Les deux caisses accusent un déficit, ou sont susceptibles d’en faire dans les deux ou trois prochaines années. En outre, cette situation impose une grande pression pour le maintien des prestations de retraite alors que leurs recettes sont insuffisantes pour fournir un financement adéquat. Tableau B5.2.1 : Réserves et flux financiers de la CNRPS et de la RSNA 2010 (en millions TND) CNRPS RSNA CNRPS RSNA CNRPS RSNA 2010 2014 2018 Réserves initiales 154.9 1,660.0 - 146.5 - - Revenues: Revenus et cotisations 1,530.7 945.8 2,014.5 1,269.4 2,542.1 1,680.a5 Revenue sur invest 6.4 43.9 - 19.5 - - Dépenses : Paiement de pension 1,623.4 1,142.3 2,460.0 1,436.8 3,633.0 2,295.4 Coûts administratifs 41.4 56.6 55.5 74.2 68.8 98.1 Etat total actuel (127.7) (209.2) (501.1) (222.1) (1,159.8) (713.0) Pourcent PIB -0.20% -0.33% -0.56% -0.25% -0.90% -0.55% Réserves finales 27.2 1,450.8 - 125.4 - Déficit à combler (100.5) - (501.1) (96.7) (1,159.8) (713.0) As % of GDP -0.16% - -0.56% -0.11% -0.90% -0.55% Source : Banque Mondiale (2012f). Le régime du secteur public (CNRPS) souffre déjà d’un déficit, depuis 2010, et nécessite une subvention de l’Etat, vu que ses revenus et réserves ne permettent pas de couvrir ses dépenses. Le déficit de la CNRPS est estimé à 128 millions TND en 2010 (utilisée comme année de base), et vu les réserves restantes de 27 millions TND, pour cette année, l’Etat tunisien est appelé à financer le montant restant évalué à 100 millions TND (tableau B5.2.1). Une fois toutes les réserves épuisées, les projections montrent que le budget de l’état pourrait devoir financer un montant de 500 millions TND en 2014 (représentant 0,5 pourcent du PIB) et presque 1160 millions TND en 2018. Ces dépenses ne pourront satisfaire que les besoins des 250 000 affiliés au régime, et soulèveront bien des questions quant à l’équité dans l’utilisation des ressources de l’Etat. La situation du régime du secteur privé, et surtout celle de la RNSA, semble poser moins de problèmes, bien que cette caisse risque de connaître, à son tour, un déficit à l’horizon 2014. Cette caisse n’a pas encore épuisé toutes ses ressources et ses régimes ne semblent pas tous souffrir de déficit. Toutefois, le déficit accusé par la RSNA est encore plus élevé que celui de la CNRPS, et le recours à un transfert budgétaire pour financer ce déficit est imminent, peut-être dès 2014, et ce pour combler un vide la révolution inachevée 189 prévisionnel de 97 MTND qui passera à 713 millions TND en 2018. Ainsi, et selon des prévisions raisonnables et sans procéder à des réformes, les réserves des deux régimes seraient épuisées, dès 2014, et le déficit accusé par les deux caisses aurait déjà atteint presque un pourcent du PIB, et continuera à augmenter davantage pour atteindre presque deux pourcent du PIB à l’horizon de 2018. L’origine des ressources, qui serviront à combler ces déficits, n’est pas encore claire, vu que le Ministère des Finances ne pense pas devoir répondre aux besoins financiers de la CNSS. Toutefois, et au moment où la CNSS demeure une caisse financièrement autonome, toute défaut de paiement de sa part pourrait constituer un problème national, vu les implications sociales d’une telle évolution. En outre, les considérations, d’ordre politique imposerait un recours à un financement budgétaire en dépit du statut juridique de la CNSS. Non seulement, les retraites actuelles sont au dessus des moyens des caisses, mais de plus le système est également régressif. Par conséquent, tout appui budgétaire pour sauver les caisses de retraite servira de fait à transférer les ressources des plus pauvres vers ceux qui gagnent des revenus plus élevés. Or, il existe plusieurs problèmes avec la manière dont l’actuel régime est conçu. A titre d’exemple, le régime ne pénalise pas convenablement la retraite anticipée et, par conséquent, un grand nombre de fonctionnaires partent à la retraite avant l’âge légal. La moyenne d’âge réelle de départ à la retraite est estimée à 55 ans, une moyenne bien inférieure à l’âge de retraite normal, un phénomène qui entrainera une augmentation rapide au niveau des ratios de dépendance du système (environ 60 pourcent des membres de la caisse du secteur public prennent leur retraite avant l’âge de 60 ans, contre 33 pourcent pour ceux qui sont employés dans le secteur privé). Parmi les autres incitations inadéquates, on peut mentionner l’inscription tardive et la manipulation stratégique des salaires et des promotions, surtout dans le secteur public, où les pensions sont calculées sur la base du pourcentage du dernier salaire (alors que pour le secteur privé, par contre, on calcule les pensions sous forme de pourcentage de la moyenne des salaires des dernières années de travail), donnant lieu à des taux de remplacement qui comptent parmi les plus élevés au monde. En outre, les régimes sont très disparates et complexes, en termes de conception, de sorte que des groupes de travailleurs bénéficient de manière inéquitable des régimes de sécurité sociale, et sont également exposés à des degrés divers pour ce qui est des risques de défaut systémique. La situation actuelle n’est pas nouvelle : des déficits, du régime du secteur public ont eu lieu dans le passé, mais ils étaient corrigés par des augmentations ad hoc des taux de cotisation. Les décideurs politiques sont conscients que des augmentations supplémentaires des taux de cotisations seraient difficilement acceptables économiquement et socialement, et qu’il y a donc un besoin urgent de revoir le système dans sa totalité. Source : Banque Mondiale, 2012, Sécurité Sociale en Tunisie : Durabilité, Equité, Intégration, mimeo interne. Le système tunisien de couverture sociale, est très fragmenté et trop coûteux, entrainant, par la même occasion, un taux de couverture réduit. Une partie du problème est due au fait que les programmes de sécurité sociale se basent sur un contrat de travail et des cotisations des employeurs et des employés. Par conséquent, ils excluent d’office, les employés installés à leur propre compte, les agriculteurs et les travailleurs saisonniers dans le secteur agricole. La Tunisie avait essayé de mettre sur pied des régimes spéciaux pour ces travailleurs mais ces tentatives n’ont eu qu’un effet limité et ont contribué à la fragmentation du régime de sécurité sociale. Les données administratives suggèrent que les régimes couvrent environ 10 pourcent de la main d’œuvre. Le second problème réside dans le fait que les travailleurs à faible revenus ou les petites entreprises à basse productivité ne sont simplement 190 dysfonctionnements du marché de l'emploi pas en mesure de financer leurs cotisations, surtout si leur niveau de productivité (valeur ajoutée par travailleur) est inférieur au coût minimum de la main d’œuvre, résultant du salaire minimum et des charges sociales liées. En outre, les arrangements en vigueur pour protéger les travailleurs contre les risques de chômage ne semblent pas plus adéquats. Selon les règlementations en vigueur, la Tunisie envisage d’accorder une indemnité de licenciement équivalente à trois mois de salaire pour les travailleurs qui bénéficient d’un contrat à durée indéterminée, et ce abstraction faite de la période d’emploi.16 Par rapport à des pays comme l’Egypte et le Maroc, les indemnités de licenciement sont plutôt réduites et demeurent probablement insuffisantes pour la période de transition entre deux postes.17 Cependant, et comme il sera discuté ci-dessous, alors que l’indemnité de licenciement, suite à un renvoi normal, semble modeste, les choses sont très différentes en cas de ‘licenciement arbitraire’, et l’indemnité peut largement dépasser le montant de trois années de salaire, une somme qui est considérée extrêmement élevée. Plus particulièrement, et comme démontré plus bas, toutefois, il semble bien que le ‘licenciement arbitraire’ constitue le verdict dans la plupart des litiges juridiques, ce qui fait que le coût d’un licenciement devienne très élevé. La Tunisie est par ailleurs dotée d’un programme d’assistance pour ‘perte d’emploi’ qui offre un minimum de douze semaines de salaire minimum à tout travailleur qui a été licencié pour raisons économiques. Ce programme est financé, par une taxe de 0.9 pourcent prélevée sur les salaires. Toutefois, en réalité, seuls 6 pourcent des travailleurs licenciés bénéficient de cet avantage, ce qui fait que seule une minorité se trouve couverte par un tel régime. (Banque Mondiale, 2014c). Le régime de la sécurité sociale en Tunisie entraine une charge fiscale très élevée, un phénomène qui contribue à un niveau élevé du travail informel et décourage la création d’emplois à haute valeur ajoutée. Le coin ou charge fiscal est défini comme étant la différence entre le coût total du travail, le salaire Figure 5.8 : Coin fiscal dans en comparaison internationale et par niveau académique en Tunisie net perçu et la valeur estimées des prestations de la sécurité sociale. L’évidence internationale démontre Mexique- qu’au fur et à mesure que le coin fiscal Vietnam Corée augmente, le nombre d’emplois créés Jordanie dans le secteur formel diminue.18 En Tunisie Tunisie les charges sur salaire (payés Egypte par les employés) s’élèvent à 29 Turquie pourcent du salaire. Selon la manière Maroc dont les travailleurs évaluent le 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 paquet d’avantages procurés par le régime de sécurité sociale, le coin fiscal moyen atteindrait 38 pourcent BAC+5 et constitue certainement un BAC+4 obstacle à la création supplémentaire d’emplois dans le secteur formel, et BAC+3 plus particulièrement pour les PME. Vu le caractère progressif de l’impôt SMIG sur le revenu, le coin fiscal est plus 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 élevé pour les travailleurs qualifiés Source : données traitées à partir de la Banque Mondiale (2013a) (en haut) et de Belghazi que pour ceux qui ne sont pas (2012) (en bas). qualifiés (figure 5.8). 19 la révolution inachevée 191 Le fait que le coin fiscal soit élevé est dû aux paiements effectués par les employeurs et employés et qui ne sont pas liés aux prestations qu’ils perçoivent. Ces charges sont partiellement utilisées pour financer, indirectement, les subventions accordées à d’autres programmes (mutualisation des risques) sous forme de garanties minimales de retraite, d’allocations familiales ou d’assurance maladie pour les travailleurs à faible revenu. En Tunisie, par exemple, les cotisations sociales sont utilisées pour financer les programmes alloués à la formation et au logement et qui ne sont nécessairement accordées aux membres cotisants (figure 5.9). Ainsi, les cotisations au régime de la sécurité sociale peuvent être conçues – selon la nature des bénéficiaires – comme une taxe nette stimulant l’évasion et l’informalité (voir encadré 5.3). Encadré 5.3 : Un processus rationalisé aiderait les entrepreneurs tunisiens à rentrer dans le secteur formel LE BARDO, Tunis - Quand ses parents sont au travail et ses sœurs à l'école, Samir peut étaler son travail sur la table de la salle à manger. Quand ils sont à la maison, il emmène son entreprise de Web design dans sa chambre (ou plutôt, dans la partie qu'il a désigné zone d'entreprise). Ce jeune homme de 24 ans étudie en même temps pour devenir un pilote d’aviation civile. Le web design a commencé il y a deux ans comme un moyen de couvrir ses frais à l'école de pilotage. Il fait équipe avec trois autres étudiants qu'il a rencontrés dans une autre université, où il avait étudié le marketing et le web design avant de changer de trajectoire de vol. Les trois offrent aujourd’hui des conseils de marketing web et de conception publicitaire. Ils gardent leurs prix concurrentiels dans un domaine encombré et travaillent tous à domicile. Tous les travaux achevés à ce jour ont été facturés à des prix entre 600 dinars (270 euros) à 1.200 dinars (538 euros), explique Samir ( nom d’emprunt). Dans un premier temps, leur entreprise était non-déclarée - ou « au noir », comme il dit. « Mais nous avons travaillé avec de vraies entreprises. Nous avons fait un bon chiffre en revenus», dit-il fièrement. L’attitude assez décontractée des autorités, sur les impôts aide les start-up, ajoute-il. «Cela vous donne plus de liberté. Vous vous dites, je suis une petite entreprise, personne ne me remarque. Il y a des entreprises qui font un chiffre d’affaires en millions et elles ne paient pas d'impôts. » Beaucoup de ses clients ne semblent pas payer d’impôts non plus ; en tous les cas ils ne demandent pas de factures officielles. Une rencontre récente avec un opérateur aéroportuaire turc en tant que client leur a donné le dernier élan nécessaire pour la création d’une société légale. Avec le client turc, « Tout était légal de A à Z ». Il a décidé qu'il était temps de pousser son entreprise à un niveau supérieur. « En tant qu’entreprise officielle vous avez un logo, vous pouvez facturer plus cher » et prendre des commandes auprès de clients plus sérieux. Il a été agréablement surpris par la facilité pour enregistrer l'entreprise début 2014, au Guichet Unique du Bureau de Tunis de l’Agence pour la Promotion de l’Industrie et de l’Innovation - - APII. « J'ai des amis qui avaient lancé leurs entreprises il y a trois ou quatre ans, avant la révolution, et ils m’avaient dit que c’était très compliqué », a-t-il dit. « C'est l’une des raisons pour lesquelles j’avais retardé le démarrage de ma propre entreprise. J'avais une certaine image de l’administration tunisienne .... » Source : Enquête, avril 2014. 192 dysfonctionnements du marché de l'emploi Le fait de ne pas lier les cotisations aux prestations risque de nuire à la durabilité Figure 5.9 : Cotisations au régime de sécurité sociale par catégorie financière du régime de sécurité sociale. Par exemple, le taux de cotisations actuel pour le régime de la retraite (12.5 pourcent) Total n’est pas suffisant pour financer une retraite équivalente à 80 pourcent du salaire après 40 ans de cotisation - même s’il existe un Employeur plafond (arbitraire) de quatre fois le SMIG Maladie sur la base duquel on comptabilise la Retraite Autres pension. Pour préserver le niveau actuel Formation Employé Logement des avantages intact, les cotisations au régime de sécurité sociale (donc le coin 0 5 10 15 20 25 30 fiscal), devraient augmenter à 18 pourcent d’ici 2020 et à plus de 50 pourcent à long Source : Calculs des auteurs sur la base des données fournies par la CNSS terme pour être financièrement pérenne. Les réglementations et le cadre institutionnel du marché du travail encouragent la précarité et le biais en faveur des emplois à faibles qualifications Bien que les lois sur le travail en Tunisie ne soient probablement pas la cause essentielle du chômage, elles contribuent, néanmoins, au niveau élevé de l’informalité et l’insécurité du travail ainsi que la concentration de l’économie sur les métiers à faible compétence. Bien que plus de 22 pourcent des entreprises, dans l’Enquête sur l’Entreprise de 2012, citent la règlementation du travail comme un obstacle majeur qui entrave la gestion et la croissance des entreprises, ce facteur n’est classé qu’au douzième rang des contraintes auxquelles les entreprises font face. Etant donné leur faible couverture et la mauvaise application, le cadre institutionnel du marché du travail n’est probablement pas la cause essentielle des résultats observés dans le marché du travail en Tunisie. Certaines dispositions du Code du Travail tunisien, comme les accords sur les horaires de travail, sont relativement flexibles. De même certains avantages tels que le congé annuel et le congé de maternité en Tunisie sont inférieurs aux normes internationales adoptées par l’OIT (et devraient donc être alignées aux normes de l’OIT). Cependant, et comme discuté ci-dessous, plusieurs autres dispositions, en particulier les accords administratifs pour la résiliation des contrats, les règlements régissant les contrats à durée déterminée et les négociations salariales collectives pourraient être révisés. Les taxes élevées sur les salaires et les procédures rigides de licenciement peuvent affecter la capacité des entreprises à gérer efficacement leurs ressources humaines et les inciter à utiliser plus de contrat à durée déterminée, ou de recruter les travailleurs dans le secteur informel. En outre, les conventions collectives sur les salaires, dans certains secteurs et industries, offrent des salaires qui sont relativement élevés par rapport à la productivité du travail, limitant par la même occasion la demande sur la main-d’œuvre qualifiée parmi les jeunes. D’un autre côté, les programmes actifs du marché du travail se sont avérés inefficaces et le gouvernement n’a cessé de tenter de remédier à ces carences. Les principaux les aspects inhérents à la réglementation du travail sont examinés plus en détail ci-dessous. Les procédures rigides pour la résiliation de contrats (licenciement) régissant la résiliation des contrats à durée indéterminée nuisent énormément à la capacité des entreprises à pouvoir gérer leurs ressources humaines, et affectent leur productivité et leur compétitivité (tout en encourageant le recours aux contrats à durée déterminée – voir ci-dessus). Comme démontré ci-dessus, un système incohérent de protection des revenus a évolué parallèlement à des règlementations rigides pour les licenciements. De fait, il est difficile actuellement de se séparer de travailleurs pour des raisons économiques (si une entreprise se trouve obligée de diminuer ses effectifs pour éviter la la révolution inachevée 193 cessation d’activités) ou techniques (si l’entreprise adopte une technologie qui permet d’augmenter la productivité et la production avec moins de personnel et/ou une autre catégorie de travailleurs). En fait, le licenciement pour raisons économiques n’est pas légalement admis en Tunisie et les employeurs affrontent des difficultés juridiques immenses, sur le plan procédural et financier avant de pouvoir procéder à des licenciements.20 Seul un cas de licenciement sur sept finit par être accepté et les employeurs sont persuadés que les procédures de licenciement ont de facto, un parti pris pour les intérêts des travailleurs. Par conséquent, les cas de licenciement annuels comptent pour moins de un pourcent des effectifs totaux, comparé à plus de 10 pourcent en moyenne dans les pays de l’OCDE. En outre, alors que l’indemnité de licenciement ordinaire pour limogeage reste modeste (l’équivalent de trois mois de salaire au maximum – voir section précédente), en cas de ‘licenciement abusif’, qui semble être le verdict prédominant, l’indemnité peut dépasser l’équivalent de trois années de salaire, une somme très élevée.21 Ainsi, le licenciement des travailleurs employés sur la base de contrat à durée indéterminée est très coûteux en Tunisie (pour ce qui est des pénalités de procédures et de licenciement arbitraire), chose qui impose une grande rigidité à l’entreprise. Il a été démontré empiriquement que, bien que ces procédures rigides soient élaborées pour protéger les emplois en cours, elles se font, néanmoins, au détriment de la productivité et la croissance de l’entreprise.22 En outre, et comme démontré ci-dessous, ces lois ont incité les entreprises tunisiennes à opter surtout pour le régime de contrat à durée déterminée et les relations de travail informel. Ce système plutôt rigide n’incite pas à investir dans des secteurs qui nécessitent la rétention de la main d’œuvre, et donc le recours à des contrats à durée indéterminée. Ceci s’applique normalement aux activités à haute valeur ajoutée qui nécessitent une main-d’œuvre expérimentée ou compétente et une innovation constante. En somme, alors que ces règles ont été initialement élaborées dans le noble but de protéger les travailleurs (à défaut d’un régime d’assurance effectif pour compenser la perte d’emploi), elles génèrent des résultats qui nuisent aux intérêts du marché du travail. En outre, elles contribuent à perpétuer un modèle économique facteur d’inégalités. En Tunisie, les contrats à durée déterminée sont devenus la norme pour le recrutement des employés, étant donnée la rigidité des procédures du régime des contrats à durée indéterminée. Ils introduisent un biais vers les activités à faible valeur ajoutée contribuent à une mobilité excessive de la main- d’œuvre au sein du marchés de l’emploi.23 Selon le Code du Travail, le régime des contrats à durée déterminée peut être appliqué suite à un accord entre l’employeur et l’employé, pourvu que sa durée ne dépasse pas une période de quatre ans, y compris les prolongations. Pour pouvoir garder les employés pendant une période de plus de quatre ans, les entreprises doivent ensuite recourir à un contrat à durée indéterminée qui entraîne, et comme il a été discuté ci-dessus, de sérieux problèmes de rigidité en termes de licenciement. Par conséquent, et afin d’éviter les procédures de licenciement trop compliquées, nombre d’employeurs recrutent des employés uniquement sur la base de contrats à durée déterminée, licencient les employés et les remplacent par de de nouveaux employés bien avant l’expiration de la période limite cumulée de quatre ans (voir encadré 5.4). Ces contrats procurent des emplois précaires aux travailleurs, contribuent à une mobilité excessive de la main-d’œuvre, et ne sont utiles qu’aux entreprises qui sont capables d’assurer la rotation de leur personnel avec un minimum de coûts, favorisant ainsi les entreprises opérant dans des secteurs d’activités à basse valeur ajoutée et faisant recours à une main-d’œuvre peu qualifiée.24 194 dysfonctionnements du marché de l'emploi Encadré 5.4 : un équilibre - entreprises à s'adapter au travail nouvellement affirmée en Tunisie BIZERTE, nord de la Tunisie - « Nous sommes tous pareils ici. Nous ne distinguons pas entre les travailleurs permanents et les travailleurs sous contrat CDD » nous dit avec insistance le magasinier. « Quand il y a du travail, nous le partageons. Nous sommes comme une famille. » Nous sommes dans une usine appartenant à une société italienne dans la zone industrielle de Bizerte. Elle fait la finition de vêtements fabriqués par d'autres entreprises tunisiennes «offshore» pour l’exportation, principalement vers l’Europe. Des volumes plus petits vont aux États- Unis, la Turquie et l'Afrique du Sud. Lorsque les affaires sont lentes, au printemps ou en début d’automne, les dirigeants de l'usine ont recours au « chômage technique », ce qui signifie que les employés restent à la maison à demi-solde pendant des jours, voire des semaines. Certains employés peuvent être remis au travail, et être payés pour seulement quatre heures par jour. C'est une opération peu qualifiée. La société teint et accessoirise des vêtements, et crée les effets spéciaux tels que le délavage à la pierre ponce, ou le look « distressed » des jeans effilochés. Les vêtements sont commercialisés pour les jeunes consommateurs européens sous des marques telles que Diesel, Max Mara, Armani Jeans, Benetton et Trussardi. Avec une rémunération mensuelle nette moyenne de 350 dinars (environ € 175), même quelques jours à mi-temps peuvent être une rude épreuve pour les budgets des ménages : les travailleurs gagnant 2 dinars l'heure se retrouvent avec un revenu journalier qui chute jusqu’à l’équivalent de 3,6 euros. Lilia (nom d’emprunt), 28 ans, effectue le dernier contrôle sur les vêtements, pour vérifier la couleur, l’étiquetage, les coutures, boutons, fermetures éclair, et l'alignement de tous les effets spéciaux. Elle fait cela depuis 18 mois, à travers une série jusque-là ininterrompue de contrats à court terme. Elle est mère d'une petite fille, et son mari est également sous contrat à court terme dans une usine voisine. Comme la plupart des employés sous ces contrats (d’un mois, trois mois ou six mois), elle espère que, une fois qu'elle a terminé quatre ans, elle obtiendra le statut permanent, conformément au Code du Travail tunisien. Et si pour une raison quelconque, elle n'atteint pas les quatre ans pour être éligible? « Alors je vais devoir chercher regarder ailleurs », dit-elle. Elle est toutefois optimiste. Depuis la révolution de 2011, la société a cessé d'utiliser la sous- traitance, la pratique en vertu de laquelle des agences fournissaient des travailleurs temporaires qui n'étaient jamais autorisés à aller au bout des quatre ans. C'est toujours un lieu de travail non syndiqué, mais il existe une nouvelle forme d’émancipation chez les employés. « Les contrats de courte durée étaient toujours un problème, pour les employés de l’atelier », a déclaré le directeur financier de l’entreprise. Avant la révolution, cependant, c’était un sujet dont « ils ne parlaient que dans les coins ». En 2012, les travailleurs de l’unité « effets spéciaux» ont fait une grève sauvage. Parmi leurs revendications : que les contrats de trois mois soient remplacés par des contrats de six mois. La société a accepté une augmentation de salaire de 15 pourcent, mais quand les grévistes ont également demandé le licenciement d'un superviseur, la société a décidé qu'elle avait cédé suffisamment de terrain. Environ 100 employés ont alors été remerciés. Certains ont essayé sans succès de poursuivre en justice pour licenciement abusif ; environ 20 du groupe continuent les poursuites pour demander une prime de licenciement devant les tribunaux. La société a depuis donné environ 100 contrats à durée indéterminée, et envisage d'abandonner l’utilisation des contrats d'un mois, selon le directeur financier. La part des employés permanents pourrait s'élever à 60 pourcent des effectifs totaux, mais pas plus, dit-il. Tant que la demande continue à rester faible en Europe, et avec la grande concurrence de l’Asie, du Maroc et de la Turquie, les choses continueront à être difficiles. Source : Entretiens dans la zone industrielle, Bizerte, avril 2014. la révolution inachevée 195 En plus de l’insécurité que ce système génère, les faits ont aussi démontré qu’il a toujours été utilisé arbitrairement pour maintenir les travailleurs dans une situation de précarité perpétuelle en Tunisie. De fait, les travailleurs opérant sur la base de contrat à durée déterminée courent le risque d’être licenciés à tout moment et sans préavis et n’ont pas droit aux indemnités de licenciement ou à une allocation de chômage (mais peuvent réclamer le montant du reliquat de leur contrat). Ces pratiques utilisées pour exploiter la main-d’œuvre sont souvent liées à la sous-traitance pour les travaux d’assemblage et d’autres tâches peu qualifiées offertes par des entreprises européennes installées en Tunisie. En Tunisie, ce genre de pratiques est souvent désigné comme le phénomène de ‘sous- traitance’ (UGTT 2009). La durée des congés annuels et des congés de maternité en Tunisie est trop courte et devrait être révisée pour être conforme aux normes internationales appliquées par l’OIT. La Tunisie est, de loin, le pays qui offre le moins de jours de congé payés dans toute la région – de 12 jours de travail effectués pour une année de travail en tant que travailleur titularisé jusqu’à 16 jours pour 20 ans de travail comme titulaire. Selon les normes de l’OIT, le congé annuel ne devrait en aucun cas être inférieur à trois semaines ouvrables par une année de service. De même, la Tunisie offre le congé de maternité le plus court dans le monde entier : au moment de l’accouchement, et sur présentation d’un certificat médical, les femmes peuvent bénéficier d’un congé de maternité de 30 jours. Toutefois, ce congé peut être prolongé successivement de 15 jours, sur présentation d’un certificat médical, donnant ainsi naissance à un système de congé-maternité inutilement compliqué. Les indemnités du congé de maternité sont relativement faibles : deux-tiers (67 pourcent) de la moyenne du salaire quotidien, financé par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). En Tunisie, le salaire minimum offert aux employés en dehors du secteur non-agricole est plutôt modeste par rapport aux normes internationales, et ne semble pas être contraignant sauf peut-être pour les jeunes et les travailleurs à faible productivité.25 Aujourd’hui, le salaire minimum représente seulement 24 pourcent de valeur ajoutée par employé, un ratio plutôt bas en comparaison à d’autres pays comme la Jordanie et le Maroc (figure 5.10).26 Néanmoins, et toutes choses étant égales, le salaire minimum peut quand même représenter une entrave au secteur formel ou décourager ceux qui comptent recruter les jeunes qui, toutes choses étant égales par ailleurs, ont moins d’expérience professionnelle par rapport aux travailleurs plus âgés.27 En réalité, il semblerait qu’il y ait beaucoup de travailleurs dans le secteur privé qui perçoivent moins que le salaire minimum, probablement ceux qui travaillent dans des entreprises à faible productivité opérant le plus souvent dans le secteur informel (figure 5.10). Figure 5.10 : Le salaire minimum en Tunisie, par rapport aux pays de comparaison Distribution des salaires 2011 Salaire minimum (%age de valeur ajoutée par employé) Secteur privé Égypte 005 004 Tunisie 003 Densité Liban 002 Jordanie 001 Maroc 0 0 200 400 600 800 0 10 20 30 40 50 60 70 80 Dinars Remarque : La courbe rouge dans le tableau de gauche représente le salaire minimum Source : Rutkowski (2013) (tableau de gauche) et Kuddo (2013a) (tableau de droite) 196 dysfonctionnements du marché de l'emploi Les conventions collectives peuvent introduire un seuil salarial obligatoire qui est défavorable à la demande en main-d’œuvre pour les chômeurs-diplômés universitaires. Dans environ 70 secteurs et industries en Tunisie, les représentants des organisations patronales et des centrales syndicales se mettent d’accord sur des conventions collectives (CC), et y font recours pour réglementer les relations des travailleurs avec les entreprises, au-delà du Code du Travail, générant une grille de salaires adoptée à l’échelle nationale, avec différents seuils de salaires par catégories professionnelles.28 Ces Conventions Collectives sectorielles sont généralement négociées entre l’UTICA (principal Figure 5.11 : Conventions collectives sur les salaires accordés aux organisme représentant les patrons) et l’UGTT professionnels/techniciens (BAC+) pour certains secteurs, 2011 (principal syndicat des travailleurs). En cas de besoin, les sociétés privées peuvent opter pour 1600,0 salaire une autre approche et se rabattre sur un autre 1400,0 Maximum processus de négociations, mais uniquement 1200,0 salaire Moyen Salaire Mensuel avec l’approbation des représentants de 1000,0 Salaire leurs travailleurs. En Tunisie, les Conventions 800,0 Débutant Collectives ne sont pas impérativement plus 600,0 généreuses que le Code du Travail en termes de 400,0 Salaire Minimum conditions de travail, de primes et d’indemnités 200,0 de licenciement.29 Toutefois, une analyse des 0,0 s es e z ile es é conventions collectives au sein de certains ile ga riv nc ol ur ob xt e/ ra tp ric ss m Te ol su secteurs bien choisis, pour les professionnels au en ag to tr As Au pé ch m ts ne en de n et techniciens détenteurs du diplôme (BAC io ig m ut n se pe tio ib En ui uc tr +), permet de dégager que le seuil du salaire Eq is od D Pr minimum pour les détenteurs d’un diplôme BAC+ est au moins 30 à 40 pourcent plus élevé que le salaire minimum — un salaire Source : Calculs des auteurs basé sur les conventions collectives sectorielles disponibles pour l’année 2011 qui est souvent considéré comme le critère de référence pour les jeunes (figure 5.11). En outre, les seuils de salaires sont différents par secteur et sont particulièrement élevés dans les secteurs de l’assurance et du pétrole. Si le seuil du salaire, pour un détenteur du diplôme BAC+ est fixé, en moyenne, à un niveau plus élevé que la productivité moyenne de la main d’œuvre jeune, les Conventions Collectives vont limiter la demande de travailleurs jeunes hautement qualifiés dans le secteur privé. En outre, le processus des conventions collectives peut susciter d’autres risques: d’abord, le processus de négociations est généralement dominé par les grandes entreprises, qui peuvent toujours se permettre le luxe de fixer le seuil des salaires à des niveaux qui excluent les petits concurrents qui ne parviennent à réaliser que de petites économies d’échelle. Deuxièmement, les conventions collectives en Tunisie fixent les salaires, normalement, sur la base des diplômes académiques, un phénomène qui contribue à fixer le seuil des salaires proposés aux diplômés des universités. Troisièmement, et étant donné que la grille des salaires est la même partout dans le pays, ces conventions peuvent nuire à la compétitivité des zones situées à l’intérieur du pays puisqu’elles amenuisent leurs chances de pouvoir attirer les investisseurs en leur offrant une main-d’œuvre meilleur marché. A supposer que les défis et coûts associés au démarrage d’une activité économique à l’intérieur du pays soient plus élevés, par rapport aux régions côtières, on pourrait en déduire que si les salaires sont les mêmes à travers tout le pays, les investisseurs vont choisir, bien évidemment, de ne pas s’installer à l’intérieur du pays – ainsi, et aussi paradoxal que cela puisse paraitre, les conventions collectives pourraient contribuer à accentuer les disparités régionales. la révolution inachevée 197 Segmentation et distorsions du marché du travail entre secteurs public et privé Les conclusions préliminaires de notre analyse suggèrent que la rémunération plus élevée dans le secteur public, accentue les distorsions sur le marché du travail, et paradoxalement pourrait résulter dans un taux de chômage supérieur parmi les diplômés universitaires. En Tunisie, le secteur public représente 22 pourcent de tous les emplois pourvus. La segmentation du marché de l’emploi entre les secteurs public et privé, existe si par les différences, en termes de rémunération et d’autres conditions de travail au niveau de ces deux secteurs sont déterminées par la demande plutôt que par la productivité de chaque travailleur individuel. Or ceci se manifeste, le plus souvent, par l’existence d’un ou plusieurs secteurs qui gratifient le capital humain mieux que d’autres, ou dans les cas où le cadre institutionnel régissant le marché du travail (incluant notamment le salaire minimum), obligerait les employeurs à accorder des salaires au-delà du niveau de productivité. Le marché du travail tunisien présente quelques signes qui illustrent une segmentation entre secteurs public et privé, surtout en raison des conditions offertes dans le secteur public à l’instar des salaires, de la sécurité du travail et de la sécurité sociale, qui sont meilleures que les conditions offertes par le secteur privé (annexe 5.2).30 Ainsi, la majorité de tous ceux qui sont à la recherche d’un emploi en Tunisie (56 pourcent), parmi la tranche d’âge de 15 à 34 ans, préfère travailler pour le secteur public (Enquête Internationale du Gallup Poll, 2010, ces données sont disponibles auprès de Gallup sur http://www.gallup.com). Bien que de plus amples recherches soient requises, si ces conclusions se confirment, cet aspect du marché du travail pourrait bien contribuer à augmenter le taux de chômage chez les diplômés universitaires. En fait, les rémunérations artificiellement gonflées, offertes par le secteur public, peuvent contribuer à éliminer l’emploi dans le secteur privé, étant donné que ce phénomène incite les candidats de se mettre en attente pour un emploi dans le public (chose qui se traduit par un taux de chômage plus élevé) et favorise la mauvaise utilisation du capital humain (vu que les travailleurs les plus talentueux seront absorbés par les secteurs les moins productifs). En outre, la réglementation régissant le recrutement dans le secteur public constitue un facteur aggravant pour le chômage des diplômés. De façon frappante le recrutement est possible uniquement pour les chômeurs et les critères de sélection favorisent nettement les chômeurs de longue durée. Ainsi, il est obligatoire de présenter une attestation de chômage portant la date de la première inscription auprès de l’agence pour l’emploi. Le processus de recrutement se base essentiellement sur les critères personnels.31 Le passage d’un examen écrit de compétences est laissé à la discrétion du ministre de tutelle, mais même lorsqu’un examen écrit est envisagé, ses résultats ne comptent que pour 30 pourcent dans l‘évaluation finale, alors que les ‘critères personnels’ comptent pour les 70 pourcent restants. Les critères personnels utilisés pour l’évaluation des candidats sont les suivants : l’année d’obtention du diplôme (avec un bonus de deux points pour chaque année, et un maximum de trente points), l’obtention d’une mention pour le diplôme (jusqu’à 20 points); l’âge du candidat (augmente en fonction de l’âge jusqu’à 20 points pour tout candidat âgé de 40 ou plus); le statut familial (dix points, augmente selon le nombre des membres de la famille à charge); tous les stages et cycles de formation non mentionnés dans le CV (0.5 point pour chaque mois de stage et/ou formation jusqu’à 20 points). En somme, le calcul du score favorise nettement ceux qui sont au chômage depuis longtemps. En réalité, et en plus de la condition que le candidat doit être au chômage, le critère le plus important est l’année d’obtention du diplôme. Ainsi, les règles en vigueur pour obtenir un emploi au sein de la fonction publique favorisent le ‘nombre d’années de chômage’ plutôt que d’accorder la priorité aux années d’expérience. Alors que l’objectif clair de cette politique est d’atténuer l’impact du chômage, et surtout pour ceux qui sont au chômage depuis plusieurs années, on note paradoxalement que les diplômés préfèrent attendre passivement leur tour, sur la liste d’attente des chômeurs, au lieu de rechercher activement un emploi d’un emploi dans le secteur privé, et d’accepter un salaire même plus bas. En fin de compte, ce système ne fait que de gonfler le nombre des diplômés universitaires au chômage. 198 dysfonctionnements du marché de l'emploi 5.4 / Plan de réforme pour améliorer les résultats du marché du travail : Vers un nouveau ‘Pacte Social’ L ’évidence présentée dans ce chapitre a permis démontrer la nécessité de mettre en place un plan de réforme exhaustif pour le marché du travail en Tunisie. De ce sens, la Tunisie a déjà entamé le processus appelant au démarrage du dialogue tripartite social et la signature du ‘Pacte Social’ en Janvier 2013. L’expérience internationale a démontré que les réformes du marché du travail sont mieux réussies lorsqu’elles sont effectuées dans un climat de dialogue social national, le plus souvent sous forme de dialogue tripartite réunissant le gouvernement, les syndicats et les organisation des employeurs. La Tunisie est très avancée dans ce domaine et dispose d’une tradition bien ancrée pour le dialogue tripartite. Plus particulièrement, en janvier 2013, suite à un dialogue de 10 mois et grâce au concours de l’OIT, le gouvernement, l’organisation patronale UTICA et le syndicat (UGTT) ont signé un document historique, ‘le Pacte Social’, qui permettra de préparer le terrain et introduire des améliorations dans domaines clés comme la législation du travail et les relations industrielles, les politiques d’emploi, la formation professionnelle et l’enseignement, la sécurité sociale ainsi qu’un programme de développement régional équitable. A cet égard, le ‘Pacte Social’ constitue un excellent document présentant les grandes lignes de l’approche globale et les contours des plans de réformes – et sa signature marque le démarrage d’un processus illustrant une réflexion profonde au sujet des réformes en cours. Le Pacte propose, également, une esquisse exhaustive inhérente aux règles et institutions du marché du travail, pour mieux protéger tous les travailleurs, tout en octroyant aux entreprises la flexibilité requise pour rester compétitives et s’adapter aux changements survenus sur les marchés internationaux. Plusieurs aspects clés, qui nécessitent des réformes, ont été mis en exergue dans ce chapitre, et plus particulièrement ceux qui sont liés aux lois inhérentes à la sécurité sociale et marché du travail. Pris ensemble, ces deux domaines rubriques peuvent constituer la plateforme idéale pour un ‘compromis de taille’ en vue de réaliser le programme escompté dans le cadre du ‘Pacte Social’ signé au mois de Janvier 2013. Comme discuté ci-dessus, il y a un besoin pressant pour stimuler davantage la demande de travail en baissant les charges sociales tout en assurant la réforme du système de retraite et sa durabilité. Le besoin se fait aussi sentir pour harmoniser les réglementation sur le licenciement relatifs aux contrats à durée indéterminée et contrats à durée déterminée afin de pouvoir éliminer la dichotomie actuelle et ainsi que les obstacles qui entravent les investissements dans les projets à haute valeur ajoutée, et ce en octroyant aux entreprises toute la latitude requise pour être compétitives, mais sans, tout en renforçant la protection des travailleurs en offrant un régime d’assurance sociale en cas de perte d’emploi. Il est également important de penser aux politiques qui promeuvent activement la participation féminine au marché du travail. Ce train de réformes fondamentales est discuté avec de plus amples détails ci-dessous. Réformer le régime de la sécurité sociale pour introduire un bon système de protection pour la ‘perte d’emploi’ et garantir la durabilité financière du régime des pensions Un des principes clés de la réforme doit permettre d’assurer le lien entre les cotisations versées par chaque travailleur et les prestations perçues par ce même travailleur et de financer les subventions directes (redistribution) à travers le budget national. Une des options à auxquelles on pourrait faire recours pour réduire le taux de fiscalité et générer davantage d’emplois rémunérés par le secteur formel (en tenant compte des problèmes de durabilité financière—comme discuté dans l’encadré 5.2), consiste à un renforcement du lien entre les cotisations au régime de sécurité sociale et les prestations, tout en continuant à financer la redistribution et les transferts, dans le cadre de programmes ad hoc, par le biais de recettes du budget. Des options alternatives peuvent être envisagées pour créer l’espace fiscal nécessaire.32 Comme discuté dans le Chapitre Quatre, une réforme de l’impôt sur les sociétés en vue d’inclure les exportateurs dans l’assiette fiscale (car ils la révolution inachevée 199 en sont exonérés actuellement), et prélever un taux d’impôt commun et moins élevé sur toutes les sociétés, pourrait dégager une marge de manœuvre adéquate pour financer une partie de ces coûts. Plus particulièrement, le régime de sécurité sociale pourrait se focaliser sur la couverture des risques essentiels : maladie, invalidité, décès, vieillesse et chômage. Le taux de cotisation total, inhérents aux différents programmes, pourrait être plafonné à 25 pourcent (voir figure 5.12). Figure 5.12 : Réforme proposée des cotisations de sécurité sociale contributions Nouveau 7 15 3 Ancien 7 13 6 2 0 0 5 10 15 20 25 30 Maladie Chômage Formation Logement Autres Source : Calculs des auteurs La réforme de ce régime de retraite devrait garantir la justice, la transparence et la soutenabilité financière. Pour ce qui est des retraites, par exemple, la première étape consiste à se fixer une cible pour taux de remplacement à l’âge légal de départ à la retraite (sans imposer un plafond sur le salaire utilisé pour le calcul des prestations) et fixer, ensuite, le taux de contribution requis. En cas d’application du régime de retraites par répartition, comme celui appliqué en Tunisie, un taux de cotisation de 15 pourcent pourrait servir à financer un taux de remplacement de 50 pourcent après quarante ans de cotisation.33 Le deuxième décision est de décider s’il faut subventionner les prestations des travailleurs, qui n’ont pas les moyens d’assurer un montant de cotisations suffisant pour accumuler les droits à une retraite décente (encore à déterminer), et de décider ensuite comment financer cette subvention (par le biais des recettes du budget général).34 Il est possible d’introduire un régime d’assurance contre la ‘perte d’emploi’ et une réforme d’indemnité de licenciement pour améliorer le régime de protection des travailleurs et faciliter leur mobilité professionnelle. Les régimes d’indemnité de chômage et indemnité de licenciement actuel peuvent être remplacés par un autre régime qui offrirait un taux de remplacement plus élevé, une couverture plus large tout en réduisant les distorsions qui affectent le marché du travail. Tout comme pour le régime des pensions, la première décision à prendre concerne le niveau des prestations: un taux de remplacement qui pourrait varier entre 50 et 70 pourcent, avec une durée de 3 à 12 mois. Le taux de cotisation peut être fixé en fonction de ces paramètres et en tenant compte du taux de chômage au sein de la population bénéficiaire.35 La deuxième décision concerne la méthodologie à suivre pour subventionner les avantages des travailleurs qui ne sont pas en mesure de cotiser suffisamment. Pour ce qui est des régimes d’assurance chômage classique, ceci passe l’imposition d’un impôt de 100 pourcent sur les cotisations des assurés qui présentent le moins de risques de chômage et contribuent, par conséquent, plus qu’ils n’en reçoivent du régime de sécurité sociale.36 Une autre alternative, qu’on pourrait également utiliser, consiste à réduire l’impôt sur l’épargne et, comme pour les retraites, le remplacer par les recettes du budget général. (Voir discussion ci-dessus, certains universitaires tunisiens ont conseillé d’utiliser une partie des recettes de TVA à cette fin). A titre d’exemple, on pourrait autoriser les travailleurs de retirer, dès qu’ils partent à la retraite, jusqu’à 50 pourcent de leurs cotisations (en plus des intérêts) qui n’auraient pas été utilisées pour financer des indemnités de chômage. En même temps, la réduction de l’impôt sur l’épargne pourrait augmenter les motivations pour chercher, accepter et garder des emplois (voir Robalino et Weber, 2013).37 200 dysfonctionnements du marché de l'emploi En même temps, il est important d’intégrer graduellement, ou au moins, d’harmoniser les différents régimes de sécurité sociale tout en étendant la couverture de manière à ce qu’on garantisse un niveau minimal de protection pour tous ceux qui résident en Tunisie. Le principe directeur qui orienterait la réforme consisterait à ce que tous les Tunisiens, selon l’endroit où ils travaillent, aient accès au même système et soient soumis aux mêmes règles. Les employés non-salariés et les salariés agricoles, par exemple, seraient en mesure de se joindre à ce système actuel réservé aux salariés du secteur privé. Tout comme ces derniers, ils bénéficieraient alors d’une retraite de base et seraient autorisés de faire des cotisations supplémentaires. Pour ce qui est des employés de la fonction publique, il serait contre- indiqué de les intégrer dans le régime réservé au secteur privé et changer leurs droits de manière radicale. Une alternative serait de fixer une date à partir de laquelle les nouveaux employés de la fonction publique s’enregistreraient dans le régime des travailleurs employés dans le secteur privé. La Jordanie a réalisé une telle réforme en 2000 (ETF et Banque Mondiale 2005). Améliorer les lois sur le travail pour renforcer la protection des travailleurs sous contrat à durée déterminée et octroyer plus de flexibilité aux entreprises qui ont recours aux contrats à durée indéterminée. Il est important de s’assurer que les droits et normes de licenciement sont conformes aux normes internationales. S’agissant du Code du Travail, les principales recommandations consistent à s’aligner sur les droits relatifs aux congés annuels et de maternité (avec des cotisations directes versées par les employeurs et les employés), tout en introduisant plus de flexibilité au niveau des procédures de licenciement, élargissant le cadre des avantages découlant des contrat à durée déterminée et modernisant la politique en matière de salaires minimaux. En même temps, il est important de permettre aux employeurs de licencier des travailleurs pour des raisons économiques ou techniques sans passer par l’accord d’une tierce partie, mais tout en continuant à appliquer les contrôles et les pénalités pour des licenciements abusifs. Or ceci ne peut être réalisé qu’en présence d’un régime d’indemnité de chômage adéquat, comme il a été discuté dans la section précédente. La condition essentielle, régissant le licenciement, consiste à émettre un préavis dans un délai raisonnable avant d’appliquer cette décision (par exemple, au moins trois mois), une période de temps au cours de laquelle les travailleurs continueront à percevoir leur salaire tout en se mettant à chercher un autre emploi. En outre, les travailleurs doivent être autorisés à déposer des plaintes en cas de licenciement arbitraire (par exemple, pour des raisons discriminatoires). Il faut aussi mettre en place des mécanismes pour accélérer le traitement de ces plaintes ; tout en appliquant les pénalités prononcées contre les employeurs qui enfreignent la loi. En même temps, les bénéficiaires des contrats à durée déterminée doivent être inclus dans le régime de sécurité sociale. L’objectif ultime est d’atténuer la différence entre les deux régimes des contrats à durée indéterminée et contrat à durée déterminée. L’adoption d’une formule officielle peut contribuer à réduire la discrétion lors de la fixation du salaire minimum et servir de critère d’évaluation pour conclure les conventions collectives sur les salaires. Les salaires minimaux sont le résultant, aujourd’hui, d’une négociation annuelle entre les employeurs et les syndicats sous la supervision du gouvernement. Bien que le processus semble fonctionner, la Tunisie pourrait l’améliorer davantage en nommant une commission technique indépendante qui sera chargée de formuler ses recommandations, autour des ajustements périodiques (de façon annuelle, par exemple), à introduire, et les présenter aux trois parties concernées. L’objectif de ces recommandations serait de fixer un salaire minimum en se basant sur une approche objective (voir Banque Mondiale 2011, pour une mise en œuvre en Malaisie). La commission serait chargée de définir une formule simple établissant le lien entre l’ajustement de référence du salaire minimum et les principaux agrégats économiques (comme le coût de la vie, la croissance de la productivité et le taux de chômage). A des dates établies à l’avance (par exemple, le premier lundi du mois de décembre de chaque année) la commission propose d’introduire un ajustement (qui pourrait être zéro) sur le la révolution inachevée 201 salaire minimum. Cette proposition entrera en vigueur à compter du premier jour de la nouvelle année. Ensuite les négociations tripartites démarreront avec, comme point de départ, le salaire minimum comme comptabilisé sur la base de la formule ciblée, et en analysant et tenant compte des potentialités économiques et impacts sociaux générés par la mise en œuvre de l’ajustement de référence et décider, ensuite, si on a besoin d’un niveau plus élevé ou plus bas.40 Le pays a également besoin de mettre en place un mécanisme garantissant l’application, ainsi qu’un système transparent conçu pour soutenir les entreprises à faible productivité qui demeurent incapables de faire face au coût minimum de la main d’œuvre. La Tunisie est également appelée à évaluer si un salaire minimum moins élevé conviendrait aux jeunes primo-demandeurs d’emploi qui demeurent incapables, de nos jours, de pouvoir concurrencer avec les travailleurs plus chevronnés, au niveau actuel du salaire minimum. Permettre une plus grande flexibilité lors de la conclusion des Conventions Collectives sectorielles, pourrait s’avérer bénéfique et générer davantage d’emplois dans les régions intérieures du pays. Les seuils salariaux doivent être déterminés en fonction de l’évolution du coût de la vie, mais aussi la situation financière des entreprises. Les conventions devraient également prévoir des variations du seuil salarial selon les régions sur la base des résultats des négociations. En même temps, et à la lumière des changements rapides que connaît le climat des affaires, il serait judicieux de réviser les conventions collectives tous les deux ans (plutôt que tous les cinq ans comme actuellement), avec la possibilité d’une extension, suite au consentement des parties adhérant à la Convention. Les articles stipulés dans le texte des conventions collectives doivent s’appliquer à tous les employeurs qui sont membres des associations d’employeurs signataires des Conventions Collectives, mais sans inclure les entreprises qui ne sont pas signataires de ces Conventions Collectives. Il faut signaler, dans ce contexte, que beaucoup de petites entreprises restent incapables de financer les droits sociaux issus des négociations. En réalité, il serait également judicieux de penser à augmenter le seuil des conditions pour les entreprises, à partir d’un effectif de 10 salariés s, où les normes inhérentes aux programmes de départ, par exemple les indemnités de licenciement, s’appliqueraient. Cette formule pourrait aider à alléger le fardeau qui pèse sur les petites entreprises. A titre d’exemple, cette approche a été mise en œuvre dans plusieurs pays (par exemple, Allemagne, Grèce, ainsi de suite). Renforcer les programmes actifs du marchés du travail Les Politiques Actives du Marché de Travail (PAMT) nécessitent aussi une réforme profonde pour réaliser l’objectif escompté, assister les chômeurs et réduire l’inadéquation observée sur le marché du travail. Même si la question n’a pas été discutée dans le présent rapport, une analyse (SWOT) des principaux points forts et points faibles, inhérents au PAMT, ainsi que les principales recommandations pour améliorer leur efficacité, est consignée dans le Rapport de base de la RPD (‘Créer de bons emplois en Tunisie’ (Banque Mondiale, 2014c). Toutefois, et comme cela est confirmé par les faibles taux d’insertion, les programmes d’insertion semblent avoir un impact très limité sur le marché du travail en Tunisie. Le problème est partiellement dû au fait que la fourniture des services d’emploi reste le monopole de l’ANETI bien que la capacité de cette agence, pour fournir des services d’intermédiation efficaces, demeure limitée. Ainsi, et pour faire face à ces problèmes, il serait judicieux d’intégrer un certain nombre de problèmes spécifiques et focalisés sur quatre axes d’interventions : (a) formation et assistance à ceux qui sont à la recherche d’un emploi ; (b) subvention des salaires ; (c) soutien à l’entreprenariat, et (d) programmes de soutien à l’emploi dans les régions intérieures du pays (surtout les programmes de travaux publics). Ces ces programmes devraient inclure des mesures proactives afin de faciliter l’emploi des femmes et renforcer leur insertion dans la main-d’œuvre. Réformer le système éducatif Parallèlement aux réformes qui touchent à la réglementation et au cadre institutionnel du marché du travail, il faut également procéder à une révision exhaustive du système éducatif, à commencer 202 dysfonctionnements du marché de l'emploi par l’enseignement primaire et secondaire. Comme il a été déjà discuté dans le présent chapitre, le volume de connaissances acquises par les élèves des lycées secondaires en Tunisie est inférieur aux résultats attendus considérant le niveau de revenu moyen du pays. Ce phénomène met en exergue le besoin de prendre d’autres mesures afin d’améliorer la qualité, l’efficacité et l’intégrité des institutions académiques primaires et secondaires dans le pays. La première étape à suivre pourrait consister à mandater une commission indépendante qui serait chargée d’analyser les raisons de la dégradation de la qualité et le processus d’apprentissage plutôt bas. En outre, le gouvernement pourrait adopter un système d’évaluation axée sur des critères de qualité à tous les niveaux de l’enseignement pré- universitaire et introduire les mécanismes pour renforcer la redevabilité des enseignants et des écoles vis-à-vis des autorités éducatives et des parties prenantes (par exemple un code de conduite professionnel, un système d’inspection scolaire, et l’utilisation de fiches de performance des établissements ou d’autres instruments favorisant la redevabilité au sein de la communauté). La qualité de l’enseignement supérieur doit aussi être améliorée. Une première étape consisterait à appliquer la loi 2008 pour donner plus d’autonomie aux institutions de l’enseignement supérieur et introduire aussi des mécanismes pour faciliter le partenariat avec le secteur privé. On doit aussi penser à un système d’allocation de fonds sur la base du mérite comme, à titre d’exemple, le nombre d’étudiants enregistrés ainsi que sur une évaluation indépendante du programme de recherche pour chaque institution appliquant les normes internationales. Dans ce contexte, il est fondamental d’opérationnaliser l’Agence Nationale pour l’Evaluation et l’Accréditation récemment établie, d’étudier la possibilité d’étendre son indépendance vis-à-vis du Ministère de l’Enseignement Supérieur et adopter des normes de certification internationales. Il est également important de renforcer la pertinence et la qualité du système de l’Education et la Formation Professionnelle (EFP). Ceci exige une révision de ce système pour renforcer le système d’EFP et la participation du secteur privé dans la conception et la prestation des programmes de formation a formulation afin de mieux intégrer les besoins du secteur privé, – et développer et étendre les expériences pilotes pour le modèle de gestion décentralisée des centres de formation à travers le système de l’EFP. Dans ce contexte, la gestion des cycles de formation professionnelle ne doit plus rester le monopole de l’Etat. En même temps, on doit redoubler d’efforts pour diversifier les ressources de financement en faveur des programmes de formation professionnelle et permettre une plus grande récupération des coûts encourus et une plus grande participation financière de la part des entreprises. 5.5 / Conclusions C e chapitre a mis en évidence plusieurs lacunes des politiques et des institutions du marché du travail en Tunisie ; cependant, il est important de souligner que ces problèmes ne constituent pas le principal obstacle à la résolution du défi de l'emploi en Tunisie. Les principaux obstacles à la création d'emplois (y compris à une bonne création d'emplois) se situent plutôt dans la création d'un environnement ouvert et concurrentiel qui encourage l'entrée de nouvelles entreprises et la croissance des entreprises les plus productives, comme discuté dans les chapitres précédents. Cela étant, bien que n'étant pas la principale priorité, l'amélioration des politiques et des institutions du marché du travail peut contribuer à rendre les entreprises plus compétitives, tout en renforçant en même temps la sécurité des travailleurs, et faisant ainsi avancer l'économie en vue de créer plus d’emplois et de meilleure de qualité. Ce chapitre a permis de démontrer que les défis que la Tunisie doit relever ne se limitent pas au simple fait de réduire le taux élevé de chômage, mais également d’améliorer la qualité des emplois disponibles. Actuellement, les emplois disponibles aux Tunisiens sont surtout de mauvaise qualité la révolution inachevée 203 et réservés aux travailleurs peu qualifiés, chose qui fait que le niveau de rémunération est bas et la sécurité de l’emploi très précaire. L’inadéquation du marché face à au niveau croissant d’éducation va bien au-delà des taux de chômage visibles, surtout pour le chômage des diplômés. En outre, la violation de ces règles a donné naissance à plusieurs formes d’exploitation des travailleurs – un phénomène que les Tunisiens appellent ‘sous-traitance’— et qui a attisé la colère sociale exprimée de manière violente par les jeunes Tunisiens. Les preuves avancées dans le présent chapitre ont permis de démontrer que bien qu’elles jouissent d’une bonne réputation, les lois et institutions régissant les marchés du travail actuels n’ont fait qu’accentuer les problèmes du marché du travail. Le manque d’un régime de sécurité sociale adéquat a été compensé par des règles de licenciement rigides pour les détenteurs de contrat à durée indéterminée et engendré de plus larges taux de participation dans le secteur informel ainsi qu’une précarité au niveau de l’emploi, en plus des emplois à faible compétence que ce régime a contribué à multiplier. Les règles de licenciement rigides, qui régissent le régime des contrats à durée indéterminée, sont en contraste flagrant avec la ‘flexibilité sauvage’ adoptée envers les détenteurs de contrat à durée déterminée. La dichotomie entre les contrats à durée indéterminée et contrat à durée déterminée a contribué, indirectement, à l’émergence du secteur informel et à la précarité de l’emploi puisque les entreprises cherchent systématiquement à éviter de donner aux travailleurs un contrat à durée indéterminée et gardent, par la même occasion, plus de flexibilité de leur côté. En outre, et en rendant l’opération très ‘coûteuse’, pour les emplois peu qualifiés, les lois sur le travail ont contribué, de facto, à l’émergence de l’investissement privé dans des projets qui n’offrent pas une grande valeur ajoutée. En outre, et comme il a été discuté dans ce chapitre, ce mélange de flexibilité excessive et de contrat à durée déterminée (qui n’engendre aucune forme de protection de l’emploi), et une rigidité excessive au niveau des contrats à durée indéterminée (qui demeurent très couteux à résilier), a suscité des disfonctionnements du marché de l’emploi. En plus de cela, les observations consignées dans le présent rapport, suggèrent que les rémunérations, relativement plus généreuses dans le secteur public, conjuguées aux critères et règlements régissant les recrutements dans le secteur public, ne font que, paradoxalement, accentuer le problème du chômage des diplômés. Plusieurs domaines clés, qui ont besoin d’être réformés, ont été mis en exergue, ci-dessus, et surtout ceux qui sont liés au régime de la sécurité sociale et les lois et règlementations régissant le marché du travail. Ensemble, ces derniers peuvent constituer une plateforme pour réaliser le ‘Grand Compromis’ et atteindre les objectifs du ‘Pacte Social’ signé en janvier 2013. Il est absolument impératif de changer les règles de manière profonde et d’adopter un régime différent qui puisse permettre de mieux protéger les droits de tous les travailleurs tout en laissant aux entreprises la latitude nécessaire pour demeurer compétitives et s’adapter aux changements intervenants sur les marchés internationaux. La Tunisie a déjà entamé un processus pour préparer les réformes, avec l’établissement du dialogue tripartite et la signature du ‘Pacte Social’ au mois de janvier 2013, qui a permis de définir les grandes lignes du paquet de réformes. Le défi qui reste à relever maintenant consiste à se mettre d’accord sur les réformes spécifiques à entreprendre afin d’adapter le régime de sécurité sociale et la réglementation du travail, avec comme objectif de trouver le juste équilibre entre une meilleure protection des travailleurs et davantage de flexibilité aux entreprises. Plusieurs pays ont réussi à conclure un certain nombre d’accords sur la ‘flexicurité’ et la Tunisie est appelée à s’inspirer de leurs expériences. En conclusion, le chapitre a également permis de souligner le besoin d’introduire une réforme globale du système éducatif. Les preuves préliminaires apportées suggèrent qu’en moyenne la qualité des diplômés tunisiens est inférieure au niveau attendu, étant donné le niveau de revenu du pays. Il faut également remarquer qu’il y a une grande inadéquation entre les compétences offertes par les diplômés et la demande du secteur privé. Cependant, et de façon générale, le niveau de 204 dysfonctionnements du marché de l'emploi compétence de de la main-d’œuvre ne semble pas être, du moins actuellement, le handicap majeur qui entrave l’essor des entreprises tunisiennes. Comme démontré dans les chapitres précédents, l’économie tunisienne se concentre actuellement sur les activités à faibles compétences – de sorte que la faible demande pour la main-d’œuvre qualifiée reste le principal défi que la Tunisie doit relever aujourd’hui. Toutefois, l’ajustement du système éducatif et la production de diplômés à haut niveau de compétence est un exercice incontournable de longue haleine. Ainsi, et parallèlement aux autres réformes requises pour ouvrir davantage l’économie (et permettre une transformation structurelle vers plus de productivité et des projets à plus grande valeur ajoutée), il est important que la Tunisie entame la réforme de son système éducatif afin de s’assurer que les diplômés de demain seront prêts à répondre à une demande pour une main-d’œuvre hautement qualifiée. Le chapitre suivant présente les disfonctionnements profonds du secteur financier. Comme il a été discuté dans ce chapitre, les politiques inhérentes au marché du travail entravent la transformation structurelle de l’économie. Le Chapitre Six se focalisera sur une autre composante essentielle pour le bon fonctionnement de l’économie. Comme démontré ci-dessous, le secteur financier en Tunisie n’a toujours pas réussi à orienter les ressources vers les projets les plus productifs et a contribué à la mauvaise répartition des ressources, une approche qui est à l’origine de la mauvaise performance économique et la faible création d’emplois. la révolution inachevée 205 Notes 1 Suite à cette comparaison, on peut déduire des résultats la même période qui a été caractérisée par une détérioration dégagés que 53 pourcent des employés ‘professionnels’ – rapide du marché du travail et de la croissance économique. classés comme professionnels sur la base de leur occupation Par conséquent, les résultats consignés ici doivent être avant le chômage – ne seraient pas capables de trouver un analysés avec précaution et ne peuvent être point considérés emploi nécessitant des compétences ‘professionnelles’. En comme représentatifs des périodes économiques et politiques même temps, 40 pourcent des emplois crées pour des ouvriers normales. Malheureusement, ces données étaient les seules et 27 pourcent des emplois crées pour des artisans ne seraient disponibles au moment de la préparation de la présente étude. pas occupés par des chômeurs ayant une expérience d’ouvrier 9 Une grande partie (environs 33 pourcent) des travailleurs ou d’artisan. soumis à des contrats à durée déterminée en 2010, ont pu 2 Comme discuté ci-dessous, cette inadéquation nous met se reconvertir au régime des contrats à durée indéterminée. également devant une situation où les employés diplômés, Néanmoins, il se peut que ceci reflète la réponse apportée opérant dans le secteur privé, sont généralement ‘sous- par les autorités gouvernementales aux problèmes posés par employés’ la crise économiques de la période post-révolutionnaire, par le de la « régularisation » du statut d’un grand nombre de 3 Le manque hypothétique, en termes de main-d’œuvre travailleurs opérant dans le secteur public en 2011. ouvrières, ne se matérialisera que lorsque l’économie parviendra à générer un grand nombre de nouveaux emplois, 10 Ces “compétences non techniques” ou aptitudes générales pour se substituer à la structure professionnelle existante de la comprennent, par exemple, la capacité de communiquer demande en main d’œuvre. clairement, la créativité, la résolution de problèmes et les compétences interpersonnelles pour réussir sur le lieu de 4 Au risque de démontrer l’évidence, il est important de clarifier travail. que les travailleurs du secteur informel offrent bien une valeur ajoutée à l’économie nationale et contribuent effectivement au 11 TIMSS utilise quatre points sur l’échelle comme critères bien-être général dans le pays. Le véritable problème pour ces d’évaluation internationaux : ‘avancé’ (>625), ‘élevé’ (550- travailleurs eux-mêmes, se pose au niveau du secteur informel 624), ‘moyen’ (477-554), ‘faible’ (400-474), et ‘médiocre’ étant donné qu’ils vont vivre dans un état d’incertitude tout le (<400). Selon cette définition, ‘élevé’ signifie que ‘les temps et ne bénéficient d’aucune couverture sociale. étudiants sont capables d’appliquer leur compréhension et connaissances dans une série de situations relativement 5 Il faut également signaler que le recrutement des diplômés complexes et expliquer leur raisonnement’ alors que ‘faible’ universitaires, dans le secteur public, n’était pas nécessaire, signifie que les “étudiants ont des connaissances de base en du moins pour ce qui des vrais besoins de ce secteur. mathématiques” Toutefois, et vu la demande réduite du secteur privé pour les diplômés universitaires, le gouvernement s’est trouvé obligé 12 En pratique, les compétences de raisonnement sont de recruter d’absorber un nombre croissant de ces diplômés considérées comme étant de plus en plus fondamentales pour dans la fonction publique. réussir dans les emplois qui présentent une valeur ajoutée (Autor, Levy, et Murnane 2003). 6 Selon Loayza et Wade (2010), et depuis 2004 déjà, la Tunisie a produit environ 38 pourcent de son PIB et emploie 54 13 Alors qu’il est quelque peu attendu que les diplômés en pourcent de sa main-d’œuvre de manière informelle (en se sciences humaines trouvent des difficultés pour être recrutés, basant sur l’index de Schneider et la participation de la main- étant donné qu’il n’y a pas une grande demande sur ces d’œuvre bénéficiant d’une pension sociale, respectivement). spécialités sur le marché du travail pour le secteur privé, il est, néanmoins, plus difficile de comprendre pourquoi les diplômés Ces résultats indiquent qu’environ la moitié des travailleurs des institutions techniques BAC+2 sont confrontés aux mêmes dans le pays ne bénéficient pas d’une couverture médicale défis pour se procurer un emploi. Parmi les hypothèses et/ou et ne contribuent pas, au régime de la retraite qui leur présentées pour expliquer une telle situation, on avance que garantirait un revenu après la retraite. Du point de vue fiscal, les compétences techniques acquises par ces diplômés ne sont ces résultats indiquent aussi que plus du tiers du produit pas conformes aux compétences techniques demandées par économique global, à l’échelle nationale, n’est pas soumis à le secteur privé et/ou ces positions techniques sont souvent l’impôt, puisqu’il demeure non déclaré et non enregistré. occupées par des personnes qui possèdent des compétences 7 Comme démontré plus bas, il s’agit de contrats à durée techniques plus sophistiquées comme un BAC+5. déterminée renouvelables jusqu’à une durée totale cumulée 14 Il est à noter que l'entrée aux diplômes BAC +5 est de quatre ans, suite à quoi le travailleur doit être soit bénéficier réglementée en Tunisie. L’accès aux facultés qui délivrent ces d’un contrat à durée indéterminée soit être remplacé. diplômes (par exemple, l'architecture, l'ingénierie, la médecine 8 Pour pouvoir évaluer la mobilité professionnelle, il est et la pharmacie) est soumis à des examens annuels d'entrée nécessaire d'avoir recours à des données permettant la tandis que l'accès est libre pour les diplômes en droit, en traçabilité de l’historique de chaque individu à travers le sciences humaines et les sciences sociales. temps. Pour atteindre cet objectif, on se base sur les matrices 15 Les taxes et taux de cotisation élevés entrainent une inflation de transition de Markov tout en recourant à la composante au niveau des coûts de la main-d’œuvre pratiqués par les de panel incluse dans l’Enquête sur la Population et l’Emploi entreprises et amenuisent à la marge la capacité compétitive effectuée en 2010-2011 – dernier trimestre (pour toute la main de la main-d’œuvre tunisienne. Néanmoins, le coût de la main- d’œuvre) et l’enquête sur la Traçabilité des Diplômés Tunisiens d’œuvre en Tunisie demeure très compétitif, comme confirmé élaborée par l’Observatoire National de l’Emploi et de la par les conclusions dégagées lors de l’enquête effectuée en Qualification pour la période 2004-2008 (pour les diplômés du 2012 sur la motivation de l’investisseur (voir Chapitre Quatre). supérieur). Il faut également signaler que la période allant de 2010 à 2011 coïncide avec la transition politique en Tunisie, 16 Comme nous le verrons, cependant, dans la pratique, la 206 dysfonctionnements du marché de l'emploi plupart des licenciements sont traités comme étant abusifs de licenciement ou limogeage, tel que l’ancienneté, la situation sorte que le niveau de l'indemnité de départ arrive jusqu’à 36 familiale et les valeurs professionnelles, tout comme il y a des mois. règles de priorité qui régissent la réaffectation, bien qu’aucune des deux ne soit conditionnée par la productivité du travailleur. 17 De plus, souvent les employeurs ne créent pas de réserves de trésorerie pour payer les indemnités de licenciement. En 22 Une revue récente démontre que l’adoption de normes effet, dans de nombreux cas, les entreprises qui licencient des de travail décentes contribuent bien à la protection travailleurs pour des raisons économiques (et sont obligées des travailleurs, sans, pour autant, nuire au volume de en tant que telle à verser une indemnité) pourraient ne pas recrutement, ni à la nature des emplois pourvus (voir Banque avoir les fonds nécessaires pour payer ces obligations. Enfin, Mondiale 2013 ; Betcherman 2014). Elle démontre aussi que les expériences internationales montrent que l'application de ces deux politiques sont conçues pour générer deux types la liquidation de l'indemnité n'est pas facile et que de recevoir d’impact de distributifs : elles génèrent un effet d’équité des prestations peut être un long processus impliquant souvent parmi tous les travailleurs couverts mais finissent par avoir la justice. Par conséquent, dans les pays à faible et moyen un effet d’exclusion (c.-à-d. d’absence de couverture) des revenu seul un faible pourcentage de travailleurs admissibles jeunes, des femmes et des ouvriers moins qualifiés. En outre, reçoit une indemnité (voir Ribe, et al., 2012). dans certains cas, un marché du travail trop régulé peut avoir un effet défavorable sur le chômage et l’emploi formel. Par 18 On estime qu’une augmentation du coin fiscal de 10 exemple, trop de charges salariales risquent d’augmenter le pourcent peut entrainer une chute des emplois dans le secteur taux de chômage (Elmeskov, Martin, et Scarpetta 1998) ; tout formel qui varie entre 1 et 5 pourcent, avec un impact plus comme les normes de protection excessives peuvent ralentir la considérable sur les travailleurs moins qualifiés (Helmut 2013). réallocation du facteur travail des activités à faible productivité Ceci se produit quand les entreprises substituent le facteur vers celles à haute productivité.(Besley et Burgess 2004; Boeri travail par le capital dans le secteur formel (c.-à-d. ils réduisent et Jimeno 2005; Haltiwanger, Scarpetta, et Schweiger 2010). le nombre de postes à pourvoir) et au fur et à mesure que les entreprises et emplois à faible productivité migrent vers le 23 A priori, il n’y a pas de défauts inhérents aux contrats de secteur informel. courte durée, et ceux-ci font partie intégrante de la panoplie contractuelle disponible dans la plupart des pays. Le 19 En Tunisie, on n’a pas d’évidence directe par rapport à travail à durée déterminée rend les marchés du travail plus l’impact du coin fiscal sur la demande pour les deux types de flexibles. Ce système de contrats offre un amortisseur pour compétences ni par rapport la demande relative pour chacune les fluctuations cycliques de la demande, et permet aux des deux. De fait, même si le coin fiscal est plus élevé pour la entreprises de s’adapter aux niveaux d’emploi requis, sans, main-d’œuvre qualifiée, la main-d’œuvre non-qualifiée risque pour autant, assumer des coûts de licenciement trop élevés. d’être affectée davantage vu que la demande sur la main- La recherche a permis de dégager un certain nombre de d’œuvre non qualifiée est généralement plus élastique (c.-à-d. risques inhérents aux contrats à durée déterminée, surtout qu’elle réagit davantage aux variations de coûts). Toutefois, pour les employés, mais également pour les employeurs. Par la demande de main-d’œuvre qualifiée n’est pas inélastique exemple, les travailleurs employés sur la base de contrat à non plus et en présence d’un secteur informel prépondérant durée déterminée, restent soumis à un système de rotation la substitution ne joue pas uniquement entre main d’œuvre te plus poussé, perçoivent un salaire plus réduit et bénéficient capital mais aussi contrats formels et arrangements informels, de moins de cycles de formation. En outre, le recours fréquent Pour nombre d’entreprises, le coin fiscal est une barrière à la à l’emploi temporaire peut contribuer à la dualité du marché formalisation, même pour des travailleurs hautement qualifiés de travail. Plus précisément, lorsque les entreprises peuvent (par exemple, les diplômés universitaires). recruter facilement des travailleurs temporaires alors qu’il est coûteux pour elles de se séparer de travailleurs à durée 20 Il est à préciser que les entreprises ont l’obligation de indéterminée, elles n’auront pas d’incitations à convertir les notifier par écrit l’inspecteur de travail de leurs intentions de travailleurs temporaires en travailleurs réguliers. Le problème licenciement, individuel ou collectif, un mois à l’avance, tout qui se pose en Tunisie est étroitement lié à la dichotomie en indiquant les raisons de cette décision et en fournissant la flagrante qui a été constatée entre le système contrat à durée liste des travailleurs concernés. L’inspection de travail, sous déterminée très flexible (à court terme) et le contrat à durée leur juridiction, ou la Direction Générale de l’Inspection de indéterminée, trop rigide Travail (DGIT), le cas échéant, doit, dans un délai ne dépassant pas 15 jours à compter de la date de la notification , ouvrir 24 Il faut clarifier que le système de contrats à durée déterminée une enquête à propos de la demande de licenciement ou de (considéré en Tunisie comme étant impérativement à court chômage partiel et tenter de réconcilier les deux parties. Au terme) ne constitue pas en soi une incitation favorisant les cas où elle n’arrive pas à trouver un terrain d’entente entre emplois à faible valeur ajoutée. Le problème qui se pose les parties, l’inspection de travail ou la DGIT doit transmettre plutôt en Tunisie, est que la rigidité qui a accompagné le dossier de licenciement à la commission régionale ou à la l’introduction des contrat à durée déterminée (qui ne peuvent commission centrale chargée du contrôle des licenciements, pas être renouvelés au-delà d’une période totale de 4 ans) est dans un délai ne dépassant les 3 jours à compter de la date conjuguée à la rigidité dans l’utilisation des contrat à durée de la dernière tentative de réconciliation. La commission indéterminée (qui sont de facto difficiles à résilier même en régionale ou à la commission centrale chargée du contrôle cas de difficultés économiques aigues aux quelles l’entreprise des licenciements est appelée à prodiguer tous les conseils pourrait faire face), donnant ainsi l’option à l’employeur de relatifs aux problèmes de licenciement. La décision est prise procéder au recrutement de la main-d’œuvre à court terme par la majorité des voix des membres de la commission : si et qui peut être remplacée après quelques années. Ce type de l’inspecteur et le syndicat refuse la demande, le licenciement profil de main-d’œuvre est le plus susceptible de convenir à ne pourra jamais avoir lieu. des secteurs d’activités ayant une valeur ajoutée réduite 21 En outre, le Code du Travail contient un article qui stipule 25 Le salaire minimum peut jouer un rôle pour la protection qu’il faut garder ou réaffecter l’employé avant que l’employeur des travailleurs sur les marchés du travail qui ne sont pas ne décide de le licencier. Ainsi, il y a un certain nombre de compétitifs, où les employeurs peuvent influencer le marché règle de priorité qu’il faut respecter avant de procéder au et imposer des salaires trop bas par rapport à la productivité. la révolution inachevée 207 Dans ces situations, le salaire minimum, fixé au juste niveau, ne 30 Les emplois dans le secteur public, surtout au sein des va pas contribuer à l’augmentation du chômage et permettra, Entreprises d’Etat, sont mieux rémunérés que ceux offerts au contraire, d’augmenter les chances d’emploi étant donné par le secteur privé formel (toutes compétences confondues, que la participation des travailleurs sur le marché du travail sauf de direction) ; ils offrent de meilleures conditions, et plus sera plus efficace et plus rentable. En contrepartie, si le salaire important encore, ils garantissent la sécurité de l’emploi. minimum est trop élevé, il peut entrainer une augment. Les nouveaux entrants sur le marché de l’emploi du secteur public, touchent des salaires qui sont, en moyenne, environ 26 Les salaires ont connu une augmentation de 2.1 pourcent, 50 pourcent plus élevés que ceux offerts par le secteur privé. en moyenne, au cours de la période 2000-2009 (OIT; 2011), En outre, les travailleurs dans le secteur public bénéficient un taux qui demeure en dessous de celui de l’augmentation d’une pension plus généreuse ainsi que d’autres avantages de la productivité, pour la même période, et qui est évalué et une meilleure sécurité au niveau de l’emploi. Plusieurs des à environ 2.5 pourcent par an (comme discuté dans le avantages accordés aux employés de la fonction publique, à Chapitre Un). Les limites imposées sur les salaires ont permis l’instar des régimes de congés annuels, sont également plus d’augmenter la compétitivité des entreprises tunisiennes et généreux que ceux qui sont prévus par le Code du Travail pour ont permis d’attirer davantage d’investissements dans le le secteur privé. secteur offshore (voir Chapitre Quatre). En même temps, l’Etat a garanti un climat où les salaires peuvent être maintenus à un Le processus et les critères de recrutement, dans le secteur 31 niveau bas en réduisant le coût des des produits de base pour public, sont définis par le Décret-Loi 2011-32 (d’Avril 2011) et la population, et ce à travers un mélange de d’interventions Décret d’Application 2011-544 (de Mai 14, 2011). directes et indirectes. Le gouvernement subventionne 32 Il est clair que le financement d’une partie du régime de fortement et/ou contrôle les prix de certains produits sécurité sociale à travers les transferts directs du budget alimentaires de base et des carburants, et a maintenu les prix national nous incite à poser des questions concernant la des principaux services à des niveaux raisonnables, et plus soutenabilité et l’équité du système. Si le budget national particulièrement le transport public, l’eau, l’électricité et le actuel ne pourrait être réalloué, le fait de réduire ou de gaz. En outre, les retraites sont relativement généreuses (par changer les prélèvements sociaux nécessiterait la mobilisation rapport aux cotisations) et les prix pour l’accès aux services de de recettes fiscales supplémentaires – et notamment santé demeurent généralement abordables. l’augmentation d’autres formes d’impôt. Comme il a été 27 Le Code du Travail tunisien prévoit un salaire minimum pour discuté dans le Chapitre Quatre ci-dessus, les débats en cours, les jeunes, mais qui ne semble pas être appliqué. La jeunesse, à propos de la réforme de la fiscalité des sociétés, pourraient par conséquent, est soumise au même salaire minimum que offrir de l’espace budgétaire pour faire face à ces coûts. Par celui prévu pour les salariés adultes. Jusqu’à un certain point, ailleurs, la réduction des subventions sur le carburant (qui sont un salaire minimum pour les jeunes travailleurs permettrait de fortement régressives) pourrait servir à financer la réforme réduire le besoin de subventionner les salaires. Les résultats des programmes de redistribution de de l’Etat, en renforçant dégagés sur la base du modèle de recherche d’emploi adapté la protection et la sécurité sociale. Alors que cette question au contexte tunisien, en faisant recours aux données révélées n’est pas amplement discutée dans le présent rapport, il existe par l’enquête sur l’emploi de 2011, suggèrent qu’avec un plusieurs possibilités : fiscalité de la consommation, fiscalité salaire minimum les employeurs ont plus de chances de sur les profits des sociétés, fiscalité immobilière et autres. recruter des candidats qui sont à la recherche de leur premier Les implications budgétaires et économiques, découlant de emploi et qui sont supposés avoir, du moins initialement, une plusieurs options, devraient être réévaluées dans le cadre de productivité plutôt basse, et nécessitent qu’on investisse la réforme fiscale générale (voir Chapitre Quatre, et FMI 2012). davantage dans leur formation. Le modèle simule le rythme Toutefois, il est important de signaler que les recherches auquel les emplois deviennent disponibles. Les emplois effectuées récemment ont démontré que pour le même degré y sont attribués sur un marché du travail dual (formel et de distorsion, les prélèvements obligatoires génèrent moins de informel) et le modèle permet de quantifier les effets du cadre recettes (voir Bird et Smart 2014). Pour ce qui est de l’équité, institutionnel du marché (notamment le salaire minimum et les un argument contre le recours additionnel au financement subventions) sur les résultats du marché du travail, comme le budgétaire, serait qu’il favoriserait une redistribution chômage et l’emploi formel. Les simulations effectuées pour la régressive du revenu. Ceci s’explique par le fait que les Tunisie ont révélé qu’en l’absence d’un salaire minimum: (i) le régimes de sécurité sociale actuels profitent essentiellement taux de chômage parmi les jeunes peut être réduit d’environ aux salariés du secteur formel, qui sont , en moyenne, mieux 6 pourcent; (ii) l’emploi non-salarié (probablement de basses rémunérés que travailleurs installés pour leur propre compte qualité et rémunération) pourraient baisser d’environ 2.5 ou que les travailleurs du secteur informel. Cela se confirmerait pourcent et (iii) l’emploi formel pourrait augmenter de 6 si le niveau de recettes du budget national nécessaire est plus pourcent (voir Robalino et al. 2013). élevé que le niveau actuellement perçu à travers les impôts prélevés sur les salaires. Cette question pourrait être résolue, 28 Ces conventions collectives génèrent des grilles de salaires, cependant, si la couverture des régimes de sécurité sociale est fixant des tranches de rémunération pour les travailleurs étendue à tous les travailleurs. Par exemple, si la garantie de selon le niveau de de compétences, responsabilité, niveau la retraite minimum s’appliquerait aussi aux employés non- académique, et l’expérience professionnelle ou une salariés et aux salariés agricoles. combinaison de ces facteurs. Chaque tranche de la grille inclut un salaire minimum ou maximum (ou uniquement un 33 Taux de cotisation = α*G(r,i), où α est le taux d’accumulation minimum dans certains cas). (à savoir le pourcentage du salaire de référence perçu pour chaque année de cotisation) et G facteur d’annuité dépend de 29 [29] Alors selon la perception générale, qui prévaut en Tunisie, l’âge départ à la retraite (r) et le taux d’actualisation (i). Lorsque les conventions collectives semblent être plus généreuses le taux d’actualisation est zéro, le facteur rente est équivalent que le Code du Travail, pour ce qui est de la protection des à l’espérance de vie au moment du départ à la retraite. Ainsi, travailleurs et les primes qui leur sont accordées, l’analyse plus l’âge de la retraite est avancé plus le facteur rente est prouve, plutôt, que pour de nombreuses dimensions, les bas et plus la prestation de retraite est élevée. De même, et conventions collectives convergent généralement vers les au fur et à mesure que le taux d’actualisation augmente, la dispositions du Code du Travail. valeur de la pension augmente. En Tunisie, on estime que le 208 dysfonctionnements du marché de l'emploi taux d’actualisation est environ de 3 pourcent par an. Souvent de 20 ans (l’équivalent d’une cotisation de 15 pourcent sur les pays distinguent entre les cotisations et les avantages un salaire de 200 dinars), la pension qui sera perçue par pour protéger les travailleurs dont la cotisation n’atteint pas l’employé(e) sera de 50 dinars (25 pourcent comme taux de 40 ans et n’auront droit, par conséquent, qu’à des taux de remplacement au-dessus de 200 dinars, étant donné qu’un remplacement plus bas, donc à des retraites insuffisantes. On taux de cotisation de 15 pourcent ne finance un taux de peut mieux affronter ce problème, toutefois, en proposant un remplacement de 50 pourcent qu’après 40 ans de cotisation). régime qui garantisse une retraite garantie minimale qui serait Evidemment, les travailleurs qui cotisent à hauteur de plus de déterminée en pourcent du salaire minimum. Par exemple, 30 dinars pourraient bénéficier d’une pension plus élevée. En un travailleur qui touche le salaire minimum et dont la durée outre, et comme discuté ci-dessus, cette pension s’ajoutera à de cotisation se limite à 20 ans, pourrait bénéficier d’une la pension minimum garantie. pension de base fixée à 60 pourcent du salaire minimum, additionnée d’une prestation liée aux cotisations équivalente à 39 Il faut signaler ; à cet égard, que rien n’est intrinsèquement 25 pourcent du dernier salaire (donc un taux de remplacement négatif avec le recours aux contrats à durée déterminée et de 75 pourcent). La garantie d’une pension minimale peut qu’en réalité ce système représente un partie intégrante être appliquée de la manière à tous les travailleurs ou, de l’ensemble des outils standardisés en vigueur dans la afin de pouvoir réduire les coûts, à un niveau légèrement plupart des pays. Le problème se pose en Tunisie à cause inférieur pour ceux qui peuvent bénéficier d’une pension plus de la dichotomie flagrante qui a été constatée entre le importante grâce à leurs propres cotisations. Dans tous les cas système contrat à durée déterminée (à court terme) très de figure, toutefois, le coût d’une pension minimale garantie flexible et le système très rigide inhérent aux contrats à ne sera pas finance à partir des impôts prélevés sur les salaires durée indéterminée. Par conséquent, on se doit de réduire la mais plutôt par le biais des revenus généraux. fracture entre ces deux systèmes afin de pouvoir améliorer la protection et la prédictibilité du système des contrats à durée 34 L’utilisation de (une partie) des recettes fiscales provenant de déterminée tout en introduisant une certaine flexibilité pour la TVA pour cette fin est demandée par plusieurs universitaires les entreprises dans le système rigide de licenciement lié aux tunisiens (voir, par exemple, http://www.cercle-economistes- contrats à durée indéterminée. tunisie.org/publications/lettre/1-la-tva-sociale-une-piste-de- lutte-contre-le-chomage-en-tunisie/la-tva-sociale-lettre-du- 40 Pour renseigner les négociations, il est conseillé de mandater cercle-numero-1/) une évaluation technique indépendante mesurant l’impact économique et social de tout changement du salaire minimal. 35 Par exemple, le taux de cotisation nécessaire pour financer un taux de remplacement de 50 pourcent pendant une durée de trois mois pourrait varier entre 1,5 et 5,5 pourcent, dépendant du taux de chômage. Le taux de cotisation nécessaire pour maintenir le système en équilibre est donné par : β = α* u/e où α est le taux de remplacement, alors que u et e sont respectivement les taux de chômage et d’emplois. Ainsi, si le taux de chômage est plus, the taux de cotisation sera plus bas également. 36 [36] Toutefois, le problème que ce régime pourrait poser, est qu’il offre des incitations qui retardent la sortie du chômage (voir Robalino et al. 2010). Par exemple, les travailleurs pourront accepter des emplois dans le secteur informel et maximiser le montant des avantages qu’ils tirent du régime. Sur le plan institutionnel, il serait très difficile de contrôler cela. 37 Pour compenser le manque à gagner des impôts prélevés sur l’épargne, on pourrait faire recours à une importante alternative, si on arrive à réformer le régime des indemnités de licenciement, en instituant un impôt sur les licenciements. Au cas où un employeur décide de licencier un employé, pour n’importe quelle raison, il devra verser une partie du salaire à un fonds commun qui se chargera ensuite de financer la redistribution. L’impôt sur le licenciement internalise ainsi une partie des charges sociales du chômage. (Voir Ribe et al. Chapitre Cinq). 38 Etant donné qu’il est difficile d’évaluer leurs rémunérations – et que pour plusieurs d’entre eux ces rémunérations sont sujettes à des variations saisonnières – le régime leur offrira plus de flexibilité par rapport au niveau et à la fréquence de leurs cotisations. Les cotisations, par exemple, ne doivent pas nécessairement être déterminées par un pourcentage de la rémunération mais peuvent aussi être fixées en montants absolus, et soumises à un seuil minimal (équivalent, par exemple, à 5 pourcent du SMIG). Il est important ces cotisations bénéficient, du même taux d’intérêt implicite qui est payé aux cotisants du régime du secteur privé (voir ci-dessus). A titre d’exemple, donc, si un travailleur installé non-salarié verse une cotisation mensuelle moyenne de 30 dinars sur une période la révolution inachevée 209 Références Autor, D. H., F. Levy, and R. J. Murnane. 2003. “The Skill Content ton, DC: World Bank. of Recent Technological Change: An Empirical Exploration.” Quarterly Journal of Economics 118 (4): 1279–334. Robalino, D.A., and M. Weber. 2013. “Designing and Implementing Unemployment Benefit Systems in Middle and Belghazi, S. 2012. “Evaluation Stratégique du Fonds National Low-Income Countries: Beyond Risk-Pooling vs. Savings.” IZA pour l’Emploi de la Tunisie.” World Bank, Tunis. Journal of Labor Policy 2013 2:12. Besley, T., and R. Burgess. 2004. “Can Labor Regulation Hinder Robalino, D.A., M. Weber, A. Kuddo, F. Rother, A. Posarac, and Economic Performance? Evidence from India.” Quarterly K. Otoo. 2013. “Towards Smarter Worker Protection Systems: Journal of Economics 119 (1): 91–134. 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Son bon fonctionnement est un facteur clé dans la détermination de l’état de santé du reste de l’économie comme cela a été clairement démontré lorsque la crise financière récente a plongé les économies à travers le monde dans une récession. Ce qui distingue le secteur financier des autres secteurs est le fait que l’impact des institutions financières sur l’économie réelle (en termes d’emplois directs ou de PIB) soit relativement mineur alors qu’en même temps l’impact indirect des institutions et marchés financiers sur la performance économique est extraordinairement important. Le secteur financier mobilise l’épargne et accorde les crédits à travers le temps et l’espace en optimisant l’affectation du capital. Ainsi, il joue un rôle primordial dans le renforcement de la productivité économique d’où sa capacité à générer de plus grands revenus et à créer davantage d’emplois de meilleure qualité (Herring et Santomero, 1991).1 Le secteur financier en Tunisie souffre de dysfonctionnements profonds et se trouve dans l’incapacité de canaliser les ressources vers les activités et les projets les plus productifs.2 Le secteur financier tunisien est de petite taille et est dominé par les banques publiques mais il compte également un nombre important de banques privées de grande et petite taille et une importante présence étrangère (voir encadré 6.1). La capacité d’octroyer des crédits à l’économie reste faible surtout par comparaison avec les systèmes bancaires d’économies voisines, telle Maroc. Comme discuté dans ce chapitre, la faible intermédiation du crédit est un frein à la performance économique du pays. De plus, alors que les entreprises ordinaires luttent pour accéder au financement, les cercles proches du pouvoir y ont eu un accès facile (à des taux convenables et avec des garanties très faibles). Les banques ont, par conséquent, accumulé de grandes créances (qui vont devoir être remboursées en taxant la performance économique de la Tunisie) et ont porté un coup dur à la concurrence (en favorisant les entreprises bien connectées, ce qui a encore perpétué la mauvaise affectation des ressources et a contribué à la faible performance de l’économie. En parallèle, le secteur financier non bancaire demeure petit et ne joue pas de rôle critique dans l’appui des investissements et de l’innovation. Ce Chapitre explique comment le secteur financier peut soutnier une croissance economique plus rapide en Tunisie. Il fait valoir que, tout comme le reste de l'économie, le secteur financier souffre de la concurrence limitée et une faible gouvernance, en grande partie en raison des problèmes qui affectent les grandes banques publiques. Ce chapitre ne traite pas des problèmes d’instruments d’innovation et de financement des risques en Tunisie, puisque cette question a déjà été évoquée dans la précédente Revue des des Politiques de Développement de 2010 « Vers une Croissance Tirée par l'Innovation en Tunisie » (Banque Mondiale, 2010a). 6.1 / Faible performance du secteur financier Une inefficacité persistante surtout dans les banque publiques L ’analyse des marges nettes d’intérêt montre que les banques tunisiennes sont relativement inefficaces. Les marges nettes d’intérêt servent à mesurer la concurrence et l’efficacité du secteur bancaire. Durant l apérdiode récente, la marge a baissé pour atteindre 2.5 pourcent en 2010 (figure 6.1). Ce niveau est meilleur que celui du Maroc et de la Turquie et est comparable à celui de la République Arabe d’Egypte et de la Jordanie (figure 6.2), mais il est plus élevé que dans les pays développés là où le ratio 214 Un secteur financier en déroute Encadré 6.1 : La structure du système financier tunisien En 2012, le secteur financier tunisien était de petite taille et dominé par les banques, avec un actif égal à environ 115 pourcent du PIB. Ce chiffre est un peu inférieur à celui de des pays régionaux comme la Jordanie, le Liban et le Maroc. Le secteur bancaire tunisien est dominé par les banques publiques mais il compte également un nombre important de banques privées de grande et petite taille, et une importante présence étrangère. Jusqu’en 2012, on comptait 21 institutions financières onshore qui se répartissent entre cinq banques publiques (représentant 30 pourcent de l’actif bancaire total en juin 2011), dix banques commerciales privées (33 pourcent de l’actif) et six banques étrangères (28 pourcent de l’actif). Les trois plus grandes banques publiques représentent 37 pourcent des actifs totaux du secteur bancaire : la Société Tunisienne de Banque (STB) avec 52.5 pourcent de capital public, la Banque Nationale Agricole (BNA), avec 66.2 pourcent de capital public et la Banque d’Habitat (BH), avec 57 pourcent de capital public. De manière similaire, les trois plus grandes banques privées locales représentent 28 pourcent de l’actif total (Banque Internationale Arabe de Tunisie BIAT, Amen Banque et la Banque de Tunisie). Trois des plus grandes banques étrangères (de France, Jordanie et Maroc) étaient d’anciennes banques étatiques dont une seule semble avoir terminé sa restructuration. Il existe 5 petites banques installées en tant que banques de développement avec des fonds provenant partiellement des Etats du Golfe détenant des licences de services bancaires universels. Aucun changement majeur n’a affecté le nombre des acteurs sur le marché pendant les cinq dernières années sauf pour l’établissement d’une deuxième banque islamique (Banque Zitouna). Cette fragmentation mène à la division des parts du marché et aucune institution ne détient une part supérieure à 14 pourcent des d’actifs ou crédits crédits et à 16 pourcent des dépôts. Les trois plus grandes banques BIAT, BNA et STB concentrent près de 50 pourcent du total de l’actif avec un poids plus ou moins égal. Cette situation est inhabituelle dans la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord, où la concentration du secteur bancaire est généralement beaucoup plus grande. Au Maroc, par exemple, les trois grandes banques représentent 62 pourcent des crédits de l’économie alors que les cinq premières ont alloué 81 pourcent des crédits totaux en 2012 Figure B6.1.1 Parts de marché des 14 plus grandes banques tunisiennes en 2010. 18 16 14 Parts de marché (%) Parts des actifs 12 Parts des dépôts Parts des crédits 10 8 6 4 2 0 biat stb bna bh Amen Attijari bt uib ubci bts naib aib bft abc Banques Commerciales Source : Bankscope database. Le secteur financier non bancaire est petit et ne représente que 20 pourcent de tout l’actif du système financier. La Tunisie compte un secteur des assurances naissant dans lequel 19 pourcent des sociétés se concentrent sur des activités non-vie (85 pourcent des primes) avec un rapport de primes annuelles au PIB d’environ 2 pourcent. Les marchés des actions et des obligations sont encore relativement modestes avec une capitalisation égale à 24 pourcent du PIB, ce qui est, en fait, un taux plus bas que les marchés voisins, comme la Jordanie (122 pourcent) ou le Maroc (76 pourcent). Les fonds de participation demeurent de petite taille et le secteur du crédit-bail (leasing), comptant9 institutions, représentait, en 2010, 15½ pourcent de la formation brute du capital privé fixe. Source : FMI et Banque Mondiale 2012; Khanfir 2013 la révolution inachevée 215 est généralement en dessous de deux pourcent. Comme discuté ci-dessous, la baisse de la marge nette d’intérêt pendant ces dernières années est expliquée par le déclin des frais généraux sur le total de l’actif (sauf pour les grandes banques publiques). Cela suppose que les banques ont amélioré leur efficacité et ont donc moins besoin de marge d’intérêt pour couvrir leurs frais généraux. En fait, comme discuté ci- après, cette évolution est due à la performance des banques privées de petite et moyenne taille. L’analyse des frais généraux montre que les grandes banques sont particulièrement peu efficaces et sont protégées contre la concurrence. Les frais généraux des banques tunisiennes sont plus élevés que dans les autres pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’exception de la Turquie (figure 6.3). Les frais généraux élevés indiquent d’un côté la structure atomisée du secteur bancaire tunisien qui risque de limiter les économies d’échelle et d’un autre côté, les grandes banques (avant tout des banques publiques-voir encadré 6.1) n’ont pas les frais généraux les plus faibles (figure 6.4) —chose qui reflète la faible performance des grandes banques étatiques. La persistance du niveau élevé des frais généraux dans les grandes banques signifie une efficacité limitée qui va de pair avec la faible concurrence dans le secteur bancaire. Les banques de petite et moyenne taille sont en train de baisser leurs frais généraux de manière assez importante (figure 6.4), ce qui démontre l’existence d’une pression de concurrence dans ce segment du marché. Les frais généraux pour les petites banques sont les frais qui ont connu la plus grande baisse sur le temps mais restent encore élevés ce qui reviendrait à dire que les instiutions de de taille inférieure ne sont peut-être pas en mesure de réaliser des économies d’échelle. Figure 6.1 : Marge nette d’intérêt en Tunisie, 2006-2012, (%) Figure 6.2 : Marge nette d’intérêt dans divers pays en 2010, (%) 3,50 3,29 3,11 Net-interest 2,97 margin 3,00 2,58 2,48 Egypte 2,4 2,50 Jordan 2,39 2,00 1,50 Morrocco 3,22 1,00 Tunisia 2,48 0,50 Turkey 4,02 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 0,00 2006 2007 2008 2009 2010 Source : The Global Finance Database (Banque Mondiale, 2012). Source : The Global Finance Database (Banque Mondiale, 2012). Figure 6.3 : Frais généraux / actifs totaux 2010, (%) Figure 6.4 : Actifs totaux par taille de banque, (%) 4,00 Grand 3,50 Moyen 3,74 Petit Egypte 1,43 3,00 3,24 3,20 3,00 2,91 Jordan 1,62 2,50 2,84 2.79 2,61 2,63 2.52 2,00 2,12 2,12 2,17 Morrocco 1,89 1.97 1.91 1,50 Tunisia 2 1,00 Turkey 2,44 0,50 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 0,00 2006 2007 2008 2009 2010 Source : The Global Finance Database (Banque Mondiale, 2012). Source : Bankscope Remarque :L’ATB n’est pas prise en compte pour manque de données (certaines valeurs pour les années 2009 et 2010 ne sont pas disponibles). 216 Un secteur financier en déroute Globalement, les banques de taille moyenne connaissent les meilleures performances financières en Tunisie. Les frais généraux, plus importants dans les grandes banques, sont générés essentiellement par les charges plus élevés par employé, ce qui reflète les salaires généralement plus élevés offerts dans les banques publiques (figure 6.5). Le ratio revenu/frais généraux est le plus élevé pour les banques de moyenne taille (figure 6.6). Ces constats indiquent que les banques de moyenne taille affichent les meilleures performances en Tunisie, n’étant pas touchées par les problèmes de gouvernance qui affectent les grandes banques étatiques (voir ci-dessous) et semblent dégager des gains d’efficacité probablement en raison d’une taille suffisante pour réaliser des économies d’échelle. Figure 6.5 : Salaires / employé / taille de banque Figure 6.6 : Revenu / frais généraux / taille 2006 - 2010 (en million de TND) de banque en 2010 (%) 50000 180 45000 160 169,0 40000 152,5 140 35000 30000 120 Grand 108,5 25000 100 Moyen 20000 Petit 80 15000 60 10000 40 5000 20 0 0 2006 2007 2008 2009 2010 Grand Moyen Petit Source : Bankscope Source : Bankscope Remarque : Grandes banques = BIAT, STB, BNA; banques de taille moyenne Remarque : Grandes banques = BIAT, STB, BNA; banques de taille moyenne = = BH, Amen, Attijari, BT; banques de petite taille = UIB, UBCI et NAIB. L'ATB BH, Amen, Attijari, BT; banques de petite taille = UIB, UBCI. NAIB. L’ATB n’est n'est pas prise en compte pour manque de données (certaines valeurs pour les pas prise en compte pour manque de données (certaines valeurs pour les années 2009 et 2010 ne sont pas disponibles). années 2009 et 2010 ne sont pas disponibles). Figure 6.7 : Rendement de l’actif moyen pour certains pays Figure 6.8 : Rendement du capital moyen par taille de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord en 2010, (%) de banque en 2010, (%) 1,8 14,0 13,0 1,6 1,4 12,0 1,2 10,0 1 8,0 0,8 6,0 5,4 0,6 4,0 0,4 2,9 0,2 2,0 0 0,0 Turquie Tunisie Maroc Jordanie Egypte Grand Moyen Petit Source : Bankscope Source : Bankscope Remarque : Grandes banques = BIAT, STB, BNA; banque de taille moyenne = BH, Amen, Attijari, BT; banques de petite taille = UIB, UBCI, NAIB. ATB n'est pas prises en compte pour manque de données (certaines valeurs pour les années 2009 et 2010 ne sont pas disponibles). la révolution inachevée 217 La rentabilité des banques en Tunisie est inférieure à celle dans les pays de référence ce qui reflète de l’inefficacité du secteur. Il faut spécifier à ce niveau que nous nous intéressons à la rentabilité du secteur bancaire dans la mesure où elle peut nous renseigner sur l’efficacité et la performance du secteur - c.-à-d. évaluer dans quelle mesure les institutions financières accordent les ressources à des projets productifs en mesure de créer des richesses et des emplois pour les Tunisiens. Le rendement moyen des actifs était de 0.9 pourcent et le rendement moyen des fonds propres (ROE) était de 9.9 pourcent en 2012, chiffre relativement bas par rapport aux rendements dans les pays de référence (figure 6.7).3 Le rendement est le plus élevé dans les banques de taille moyenne (comme le montre la rentabilité des capitaux moyens ROAC), indiquant que leurs frais généraux sont plus bas et leurs revenus plus élevés (figure 6.8). En principe, et comme déjà mentionné dans le Chapitre Deux, les marges bénéficiaires faibles pourraient être le résultat d’un haut niveau de concurrence. Toutefois, la rentabilité relativement faible est le résultat des marges bénéficiaires relativement élevées et de frais généraux élevés dans les grandes banques. Cela voudrait dire que les marges bénéficiaires faibles ne sont pas dues à une grande concurrence qui donne lieu à l’efficacité mais plutôt à la concurrence limitée qui semble perpétuer l’inefficacité des grandes banques. Faible intermédiation du secteur bancaire en quantité et en sélection de projets Le niveau d’intermédiation en Tunisie demeure très faible et la comparaison avec des références internationales fait ressortir un grand potentiel d’augmentation des finances disponibles pour l’investissement par le secteur privé. A cause de leur performance financière faible et de leur efficacité limitée, les banques tunisiennes n’arrivent pas à canaliser des ressources vers le secteur privé. La part du crédit dans le PIB est restée constante à environ 60 pourcent à travers la décennie écoulée et malgré la hausse pendant ces dernières années,4 le niveau du crédit privé par rapport au PIB reste en dessous du potentiel pour la Tunisie (figure 6.9).5 Figure 6.9 : Crédit observé et crédit potentiel Figure 6.10 : Crédit privé par rapport au PIB de la (“référence”) par rapport au PIB, 2000-2010, (%) Jordanie, le Maroc et la Tunisie, et les pays de l’OCDE à revenu élevé, 2009 à 2011 (%) 90 80 70 140 60 120 50 100 40 Observé 80 Tunisie Benchmark Maroc 30 60 Jordanie HIC Moyenne OCDE 20 40 10 20 0 0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2009 2010 2011 Source : Indicateurs de développent mondial (WDI). Remarque : Les valeurs de référence du crédit privé par rapport au PIB sont obtenues selon la méthodologie du modèle “de référence” développée par Beck et al. (2008). En effet, les valeurs de référence sont obtenues à partir de l’estimation d’une régression groupée classique des moindres carrés des (MCO) pour la période 1985-2010 dans laquelle la variable dépendante est le logarithme du crédit intérieur sur le PIB. Les variables explicatives incluent les logarithmes du PIB par habitant, la taille de la population et sa densité, la valeur des exportations de carburant par rapport aux exportations des marchandises, l’écart de pauvreté et une variable d’interaction qui est le produit du PIB tête par habitant et de la taille de la population. Le crédit au secteur privé en pourcentage du PIB est bien en deçà des niveaux observés dans les pays à revenu élevé de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) et même en deçà des pays voisins comme la Jordanie et le Maroc (figure 6.10). Le faible niveau d’intermédiation du secteur financier tunisien a des implications significatives. L’augmentation de la part du crédit dans le PIB de 70 pourcent à son niveau potentiel de 80 à 90 pourcent pourrait générer 218 Un secteur financier en déroute l’équivalent de 10 milliards de dollars US en crédits supplémentaires qui seraient injectés dans l’économie sur une dizaine d’années pour financer l’investissement privé. Une telle augmentation dans les investissements correspondrait à environ 380 000 emplois supplémentaires en total (donc approximativement 38,000 emplois supplémentaires par an). Encadré 6.2 : Les politiques de crédit prudentes, un obstacle pour les startups tunisiennes BEN AROUS, nord de la Tunisie – Sur un site nouveau au sud de la capitale, cette entreprise de taille moyenne produit des granulés de plastique pour quelques une des centaines d'entreprises en Tunisie, qui travaillent dans le moulage par injection. Ils transforment les plastiques en des objets qui vont des meubles de jardin (les chaises en plastique blanc omniprésentes dans les cafés des villages) aux pièces automobiles ou aux composants électriques pour des fabricants européens sophistiqués. Le fondateur et directeur général de l'entreprise affiche une certaine satisfaction à avoir introduit un nouveau processus industriel en Tunisie. Avant le lancement de l'entreprise, tous ces industriels devaient s'approvisionner en granulés de polymère à l'étranger. Après cinq ans d'exploitation, son usine est encore la seule du genre dans le pays. Les ventes ont été multipliées par huit atteignant 7.3 millions de dinars (environ 3.3 millions d'euros), et en 2014 elles devraient atteindre 13.5 millions de dinars grâce à deux lignes de production supplémentaires. La main d'œuvre – environ 30 personnes aujourd'hui, essentiellement des diplômés – devrait croître. Cependant il est moins satisfait du système bancaire. Sa mentalité par rapport aux crédits en faveur des startups a besoin d'un peu d'air frais, pense-t-il : « Une banque doit comprendre la nature d'une entreprise afin d'être disposée à prêter lorsqu'un investissement est demandé. » Certaines banques qui lui ont prêté dans le passé n'ont jamais effectué une visite de site. Son entreprise a au départ obtenu un financement Foprodi, un fond de développement industriel gouvernemental, et s’est engagé sur taux d'endettement relativement élevé toléré à l'époque par les banques. Les banques montrent aujourd'hui une nouvelle prudence dans leurs politiques de crédit, en plus du manque d'engagement avec les startups qui se perpétue, dit-il. Travaillant dans les plastiques, une activité manufacturière à faible marge, l'entreprise a eu besoin de rallonges successives au fonds de roulement pour des investissements qui lui ont permis de se conformer aux exigences de ses utilisateurs finaux européens. Le fait que les assembleurs automobiles travaillent 24 heures sur 24 oblige les fournisseurs à avoir une ligne de production de secours, par exemple. Ce n'est pas quelque chose que les responsables des banques comprennent toujours. « Pourquoi une entreprise aurait-elle besoin d'une deuxième ligne de production si la première n'est pas encore utilisée à pleine capacité? » demandent-ils. Un autre investissement majeur a été un système de gicleurs à eau pour la lutte contre l'incendie dans ses ateliers, comme requis par les normes ISO. L'entreprise a trouvé un partenaire compréhensif dans la société de capital privé Tuninvest, qui a fourni un apport financier crucial sous forme d'augmentations de capital successives donnant à Tuninvest 72 pourcent de l'entreprise. « Ils ont cru dans le projet, » dit le directeur général. « Ils savent que dans cette activité professionnelle vous ne pouvez pas avoir un retour sur investissement en six mois. » Cependant d’autres entrepreneurs tunisiens, propriétaires voulant conserver la mainmise sur leur startup et qui ont du mal à obtenir des crédits bancaires, décident de ne pas se développer plutôt que d'accepter de nouveaux associés, dit-il. « Ils ont les idées, la compétence, un peu de savoir- faire et l'enthousiasme pour se lancer dans un projet. » Mais ils ne trouvent pas de banques qui comprennent leurs besoins : « Pour beaucoup de responsables de banques, un crédit est juste un dossier. C'est un ensemble de documents. C'est un mouvement d'argent sur un compte. Ils réfléchissent encore comme des fonctionnaires. » Source : Entretien avec le Directeur Général, Avril 2014 la révolution inachevée 219 En fait, les entreprises se plaignent du fait que l’accès au financement constitue une contrainte de taille en Tunisie. Selon l’enquête sur les entreprises (2012) conduite par la Banque Mondiale (voir annexe 4.4), près de 55 pourcent des entreprises ont contracté un crédit, ce qui est un taux élevé selon les normes de la région. Toutefois, l’accès au financement a été relevé comme étant une contrainte principale ou grave par 34 pourcent des entreprises tunisiennes questionnées ce qui constitue également un taux élevé par rapport à la région (Evaluation du climat des investissements, Banque Mondiale 2013). Le problème est plus grand pour les entreprises de taille moyenne qui le jugent comme étant la plus grande contrainte. Ces données constituent un paradoxe en quelque sorte puisque l’accès au financement est perçu comme étant restreint alors qu’en fait la plupart des entreprises ont un accès à des crédits bancaires.6 La difficulté perçue au niveau de l’accès au crédit peut refléter la prudence extrême des banques en Tunisie donnant lieu à un surdimensionnement des garanties demandées pour les crédits (équivalentes en moyenne à 177 pourcent, le niveau le plus élevé dans toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord). Le temps nécessaire pour obtenir un prêt auprès de la banque est également très long. Ces aspects de faiblesse dans la performance des banques peuvent être attribués à la concurrence limitée.7 En conséquence, de nombreux petits entrepreneurs qui ont un grand projet sont incapables de le créer ou de le développer en raison des difficultés à trouver l’accès au financement (encadré 6.2). La performance est également assez décevante en termes de qualité de crédit lorsque mesurée par le taux de créances accrochées et de taux de provisionnement. Entre 2006 et 2011, le ratio officiel des créances accrochées est passé de 19.3 pourcent à 13.3 pourcent mais reste encore élevé par rapport aux normes internationales.8 La faible performance du portefeuille des prêts reflète des failles au niveau de la gouvernance d’entreprise ce qui empêche les banques de bien choisir les meilleurs projets d’investissement. Cela traduit également un régime de faillite qui favorise les débiteurs aux dépens de créditeurs entravant la concurrence et empêchant le bon fonctionnement du secteur bancaire. Risques budgétaires grandissants des banques publiques : le prix de l’inefficacité et des privilèges accordés aux acolytes Le secteur bancaire a été un outil pour un accès privilégié au financement de la part des acolytes. Au lieu d’allouer les ressources aux projets les plus productifs, le secteur bancaire et tout particulièrement les banques publiques ont accordé des financements aux proches du régime et aux personnes bien introduites. Plusieurs informations empiriques le corroborent mais la preuve la plus visible à propos de ces pratiques concerne les prêts accordés à la famille du President Ben Ali. Les banques tunisiennes ont financé les entreprises en relation avec la famille du président Ben Ali à hauteur de 1.75 milliards de TND (ou environ 2.5 pourcent du PIB), l’équivalent de 5 pourcent de tout le financement accordé par le secteur bancaire tunisien et près de 30 pourcent de l’argent liquide a été accordé sans garantie de remboursement.9 Au-delà de Ben Ali, les relations jouent un rôle très important dans l’accès au crédit en Tunisie. Par conséquent, les banques tunisiennes (surtout les banques publiques mais pas que celles-ci) ont fait subir à l’économie un coût significatif aussi bien directement en accumulant des pertes colossales de façon à nécessiter actuellement une recapitalisation auprès du budget de l’Etat (voir ci-après) qu’indirectement en renforçant l’environnement anti-concurrentiel pour le secteur privé (comme discuté dans les Chapitres Deux et Trois). Au-delà de la performance financière limitée et de la faible intermédiation, les vulnérabilités du secteur bancaire se sont traduites en une énorme obligation fiscale. Les résultats des tests de sensibilités (stress test) effectués en janvier 2012 montrent que le secteur bancaire a accumulé de grands besoins en recapitalisation même pour satisfaire l’exigence réglementaire minimale de huit pourcent (qui est en dessous des normes internationales) (Banque Mondiale et FMI, 2012). Les tests de solvabilité ont simulé la performance bancaire dans le cadre d’un scénario de base pour la période allant de 2012 à 2014.10 Même selon un tel scénario de base, il y a un besoin de recapitalisation d’environ trois pourcent du PIB dans un délai de 2 ans alors que selon le scénario défavorable le besoin serait de cinq pourcent du PIB.11 220 Un secteur financier en déroute Encadré 6.3 : Secteur du tourisme en Tunisie: Chronique d’une mort annoncée ? Le tourisme joue un rôle essentiel dans l’économie tunisienne représentant au moins 7 pourcent du PIB (en 2010), 14 pourcent des emplois (directs et indirects) et plus de 10 pourcent du total des exportations (et rapporte donc une majeure partie des devises qui entrent dans le pays). Mais pendant les 25 dernières années, les innombrables problèmes structurels ont touché à la compétitivité et à la solidité financière du secteur et le tourisme en a connu un déclin constant. Au début des années 80, le gouvernement tunisien a lancé un programme ambitieux pour le développement du secteur du tourisme mettant surtout l’accent sur le développement côtier dans certaines zones balnéaires. Dans le cadre de cet effort, le gouvernement a fortement engagé le système bancaire public dans le financement de l’expansion touristique. Tout comme plusieurs autres dans les années 80, le gouvernement tunisien a décidé d’aider à dépasser les limites de taille des marchés financiers intérieurs en mettant en place une série de mécanismes de financement subventionnés. Les subventions orientées vers le secteur du tourisme comptaient spécifiquement la mise à disposition de terrain à des conditions favorables, des crédits très souples, des garanties et des taux d’intérêts préférentiels ainsi qu’un appui direct de la part des institutions financières publiques. Tout le long des années 80 et 90, cet effort semblait bien réussir puisque les hôtels tunisiens ont exploité le marché européen du tourisme balnéaire. Sur deux décennies, l’espace réservé aux hôtels a triplé alors que les revenus touristiques ont été multipliés 20 fois, et la Tunisie est devenue une destination essentielle de tourisme de masse. Mais lorsque le modèle initial de tourisme à bas prix “tout-inclus” est arrivé à saturation, le secteur a commencé à souffrir d’une rigidité critique. Au début des années 2000, de nouveaux concurrents plus sophistiqués sont venus sur le marché, la stratégie “du logement uniquement” est devenue de moins en moins pertinente. L’abondance des lits (plus de 250 000 dans 850 hôtels, créant une capacité totale de 91 millions de nuitées) et la pression subie par les propriétaires (dont la plupart doivent couvrir des remboursements mensuels de crédits, des factures et des salaires à payer) à vendre ce produit périssable ont graduellement permis à une poignée de grand Tours Opérateurs de détenir plus de pouvoir sur le marché (avec l’accès aux marchés) et se mettre dans une position qui leur permet de dicter les tarifs des chambres et les niches de marché aux propriétaires des hôtels. Les attaques terroristes en septembre 2001 aux Etats-Unis et en avril 2002 en Tunisie (à la synagogue de Djerba) ont provoqué d’énormes chocs qui ont permis de révéler les faiblesses structurelles grandissantes. Il était devenu clair que des réformes politiques devaient avoir lieu pour encourager l’innovation, diversifier et améliorer la qualité, mais le gouvernement continuait à subventionner les investisseurs les moins qualifiés et à augmenter la capacité pour être pris encore dans une spirale économique et financière descendante. Les prix des chambres n’ont cessé de baisser pendant les 10 dernières années et les avantages pour le pays, notamment au niveau de l’emploi, sont bas par rapport au nombre de touristes et de chambres d’hôtels. A la fin de 2010, les encours des crédits du secteur totalisaient 4 milliards de TND (ou près de 6 pourcent du PIB) et le total des créances accrochées (NPLs) du secteur a été estimé entre 1.5 à 2 milliards de TND (ou environ 2.5 pourcent du PIB) mais ce chiffre minimise très certainement le problème. Les banques publiques sont de loin les plus grands pourvoyeurs de crédits au profit du secteur touristique, mais le problème touche 15 des 21 banques commerciales qui opèrent en Tunisie qui sont exposées au secteur du tourisme. Le lourd fardeau des dettes qui pèse sur certains hôtels empêche plusieurs d’entre eux d’investir pour la rénovation et de couvrir leurs dépenses opérationnelles pour s’engouffrer encore davantage dans la spirale de la mauvaise qualité et des prix bas qui bat de plein fouet tout le secteur. Plus récemment, l’instabilité politique et les soucis d’ordre sécuritaire ont provoqué une grave récession du secteur qui a causé une baisse dans les revenus touristiques d’environ 40 pourcent en 2011. En effet, sur les 850 hôtels, il semblerait que plus du 1/3 soient passés par des difficultés financières énormes en 2011. Les créances accrochées (NPLs) du tourisme ont donc pris de l’ampleur à une cadence effrénée depuis la révolution. la révolution inachevée 221 La performance des banques publiques est bien plus faible que celle des banques privées. Un autre aspect-clé à prendre en considération est le rôle de la grande présence publique dans le secteur. Comme déjà mentionné ci-dessus, la performance financière et l’efficacité des banques publiques semblent plus faibles que celle des autres banques. En effet, les résultats du stress test ont également fait ressortir que les trois plus grandes banques publiques présentent un ratio moyen de solvabilité de neuf pourcent, un ratio moyen officiel de créances accrochées (NPLs) d’environ 15 pourcent, un ratio moyen de provisionnement de moins de 50 pourcent et un rendement moyen des capitaux propres d’environ six pourcent. Ces chiffres sont nettement plus défavorables que les moyennes comparables pour les banques privées.12 La dette volumineuse du secteur touristique est emblématique des échecs du secteur financier en Tunisie. Le tourisme mérite une mention spéciale puisqu’il représente plus de 25 pourcent du total des créances accrochées. La faiblesse des banques publiques avait tendance à masquer les problèmes dans le secteur touristique mais elle y a également grandement contribué en canalisant les crédits vers les entrepreneurs les moins productifs et en gelant la liquidité qui aurait circulé dans le secteur (encadré 6.3). Sous l’ancien régime, il y avait un grand risque de diriger les crédits vers des membres de l’élite au pouvoir et de leurs proches. Plusieurs problèmes structurels et de gouvernance ont amplifié le niveau des difficultés financières dans le secteur touristique et notamment la stratégie sectorielle qui a promu une dépendance excessive sur les crédits, le rôle des banques publiques, la réglementation laxiste de la Banque Centrale et le système inefficace d’insolvabilité et des droits des créditeurs. 6.2 / Les défis affectant le secteur financier : Concurrence limitée et gouvernance faible dans les banques publiques L ’analyse ci-dessus a fait ressortir la mauvaise performance du secteur bancaire tunisien en termes de rentabilité, d’efficacité, d’intermédiation et de stabilité financière.13 Il est globalement clair que le secteur financier n’a pas joué le rôle de “lubrificateur” qui lui incombe dans l’économie pour bien canaliser les ressources vers les activités les plus rentables. Bien au contraire, il semblerait qu’il ait mal affecté les ressources, favorisé les acolytes et, par conséquent, accumulé un grand passif qui mine actuellement la performance économique de la Tunisie. Nous nous penchons maintenant sur les facteurs qui pourraient expliquer une telle performance. Paradoxe du secteur financier tunisien : de nombreuses banques mais très peu de concurrence Malgré le grand nombre de banques, plusieurs indicateurs montrent que le secteur bancaire tunisien souffre du manque de concurrence qui le caractérise. La fragmentation du système bancaire tunisien et la petite taille d’un grand nombre de banques pourraient expliquer la performance décevante du secteur puisque ces deux facteurs sont en train d’entraver l’efficacité associée aux économies d’échelle. Toutefois, une ancienne étude de la Banque Mondiale avait déjà avancé que la fragmentation ne pourrait expliquer, à elle seule, une telle mauvaise performance et qu’au contraire, la faible pression en termes de concurrence se trouve à l’origine de la faible performance du secteur bancaire tunisien (Anzoategui, Martinez, Peria et Rocha 2010).14 Un test formel Ross-Panzar pour la Tunisie donne un coefficient H de 0.32 suggérant que le secteur bancaire fonctionne dans le cadre d’une “concurrence monopolistique”.15 En comparant ce résultat avec les données disponibles pour la région on découvre que la performance tunisienne est plutôt faible : les coefficients H de l’Egypte (0.62 en 2010), du Maroc (0.59) et de la Turquie (0.61) traduisent une bien plus grande concurrence, que seule la Jordanie (0.32) présente un coefficient H similaire à celui de la Tunisie. Deux indicateurs de concurrence supplémentaires : l’index de Lerner et l’indicateur de Boone aboutissent globalement 222 Un secteur financier en déroute aux mêmes conclusions (tableau 6.1).16 Il semblerait donc que le secteur financier tunisien souffre d’une concurrence limitée malgré le nombre élevé de banques. Comme discuté ci-dessous, plusieurs facteurs expliquent ce manque concurrence en Tunisie.17 Tableau 6.1 : Indicateurs de concurrence pour certains pays MENA Pays Statistique H Index de Lerner Indicateur Boone Egypte 0.62 * 0.19 * -0.08 Jordanie 0.32 * 0.34 * -0.05 Maroc 0.59 * 0.69 * -0.07 Tunisie 0.32 * 0.29 * 0.01 Turquie 0.61 * 0.27 * -0.01 Source : The Global Finance Database (Banque Mondiale, 2012). Remarque : Les chiffres avec * proviennent de Anzoategui, Martinez, Peria et Rocha. (2010) pour l’année 2008. Cadre réglementaire et de surveillance inadéquat Le manque de contrôle et de sanctions en cas de violation mine la saine concurrence entre les banques parce que les institutions qui se conforment aux normes prudentielles sont défavorisées par rapport aux autres. Le rapport du Programme d'évaluation du secteur financier (FSAP) 2012 a relevé que la surveillance bancaire est inadéquate surtout en ce qui concerne les banques publiques (FMI et Banque Mondiale 2012). Malgré les progrès récemment réalisés, le cadre réglementaire reste éloigné des normes internationales. En plus, la violation des normes prudentielles n’a pas été jusque- là sanctionnée par la Banque Centrale.18 Dans des cas extrêmes, certaines banques non viables peuvent poursuivre leurs opérations même en violation des règles et à perte. De telles situations provoquent des distorsions significatives au niveau de la concurrence parce que l’expérience montre que les institutions ayant des problèmes ne peuvent survivre sur le marché en exerçant sur les tarifs un nivellement vers le bas et en faisant baisser leurs critères de sélection et leur risque de gestion tout en utilisant les fonds garantis par l’Etat ou par la Banque Centrale. Lorsque les normes sont faibles, le risque est systématiquement sous-estimé, ce qui a contribué à élever le taux des mauvaises créances. En plus d’une solidité financière limitée, certaines normes prudentielles ont également mené vers des politiques de crédits faussées, comme l’illustre l’exemple du recours excessif à la garantie hypothécaire (voir ci-dessous).19 Par ailleurs, la faiblesse du cadre prudentiel et du système de surveillance n’encourage pas les banques à se focaliser sur leur avantage comparatif et à investir dans l’innovation. La limitation du taux d’intérêt met un frein artificiel à la concurrence et à l’accès au financement De plus, les règlements de la BCT sur les taux d’intérêt limitent la capacité de concurrence des banques. La Banque Centrale a depuis longtemps déterminé une limite maximale pour les taux d’intérêt des emprunts (à 1.2 fois le taux moyen d’emprunt observé pendant le semestre précédent)20 ce qui donne lieu à des résultats indésirables. D’abord ce plafond exclut les entreprises qui seraient sinon viables, principalement les petites et moyennes entreprises qui ne possèdent pas les garanties adéquates. Ensuite, les prêts assortis de plus longues échéances devraient être placés plus ou moins la révolution inachevée 223 sous la même enseigne que les prêts à court terme.21 Ces restrictions freinent la concurrence et empêchent les banques de définir les prix des crédits accordés selon le niveau de risque (par client ou par échéance). Les banques tunisiennes se font donc concurrence uniquement sur un groupe restreint de clients (risque limité, des garanties élevées)—comme le montre le fait que les taux d’intérêt demandés soient relativement bas et que les banques ne cherchent pas à investir dans des projets rentables mais à plus grand risque. En fait, elles ne seront pas en mesure de demander des taux d’intérêt plus élevés pour couvrir les plus grands risques pris. Le plafond imposé par la Banque Centrale vise à protéger les clients des banques d’éventuels abus. Mais en imposant un tel plafond, le système contribue à exclure plusieurs sociétés telles que les start-ups ou les sociétés qui n’ont pas suffisamment de garanties et pour lesquelles les banques ne peuvent offrir des taux qui permettraient à ces dernières de couvrir les risques supplémentaires. Ainsi, il y a lieu de trouver d’autres moyens pour protéger les clients sans limiter l’accès au crédit. Mauvaise gouvernance des banques publiques La faible performance des banques publiques reflète de grandes lacunes au niveau de la gouvernance. Comme mentionné ci-dessus, il a été largement démontré que les banques publiques ont été abusées au profit des acolytes ce qui prouve que les dispositions de gouvernance des banques publiques n’assurent pas une gestion indépendante du pouvoir politique. Mais au-delà de la corruption, l’environnement de la gouvernance d’entreprise des banques publiques est porteur de plusieurs conflits d’intérêts. L’Etat est un acteur prédominant, il est le plus grand client et le régulateur du secteur bancaire. Ces rôles multiples sont à l’origine d’un conflit d’intérêts qui interfère avec le fonctionnement normal du marché et met un frein à la concurrence entre les opérateurs. Par exemple, en tant qu’actionnaire, l’Etat n’a aucun intérêt à accorder des autorisations pour de nouveaux opérateurs ; en tant que prêteur, il cherchera les conditions pour les meilleurs prix aux dépens de la rentabilité de la banque; en tant qu’emprunteur, il adopte les conditions les plus flexibles et les moins sécurisées pour la banque. Ainsi, les banques ont été très longtemps prises en étau pour satisfaire des exigences conflictuelles, ce qui constitue la source de leur mauvaise performance. Elles ont été appelées à prêter aux acolytes et proches du régime, et à des entreprises publiques qui sont dans une mauvaise situation, à être rentables, à se diversifier, à être en concurrence avec les banques privées et à s’acquitter de leurs missions au nom de l’Etat (en contrepartie de quoi elles pouvaient obtenir des compensations ou non). La mauvaise gouvernance des banques publiques contribue également à réduire la concurrence. A cause de l’environnement de mauvaise gouvernance dans lequel elles opéraient, les banques publiques n’ont senti aucune pression pour améliorer leur gestion, leur organisation interne ou même leur performance économique et financière. Par exemple, jusqu’à maintenant aucune banque publique n’a mis en application un système de notation de ses débiteurs. La comptabilité et la gestion des risques sont également très peu développées dans les banques publiques même si de telles fonctions sont au cœur de la bonne gestion de toute banque. De plus, l’implication de l’Etat dans le secteur bancaire a introduit des distorsions compétitives supplémentaires. Les recapitalisations passées des banques publiques initiées par l’Etat, sans changer leur structure de gouvernance a créé des distorsions vis-à-vis des autres banques commerciales. Pendant les deux dernières décennies, les banques publiques ont bénéficié à plusieurs reprises d’une importante recapitalisation sans exigences de restructuration ou de changement de gouvernance d’entreprise comme ça aurait été normalement le cas dans les pays de l’UE. De tels transferts non conditionnés de ressources publiques créent des distorsions significatives de la concurrence et entravent la performance des bonnes banques. 224 Un secteur financier en déroute Inefficacités structurelles dans le régime de faillite et de garantie La Tunisie souffre de procédures de faillite qui sont très faibles permettant aux entreprises inefficaces et celles bien introduites de ne pas rembourser leurs dettes et de continuer à opérer au lieu de les obliger à se restructurer ou à quitter le marché. Le régime tunisien de faillite est fragmenté avec des processus redondants et extrêmement longs pour le redressement des entreprises et le retrait du marché. Il en résulte que les entreprises inefficaces peuvent survivre au lieu de recourir à une restructuration ou de quitter le marché. Un degré de protection est, certes, nécessaire pour les entreprises en difficulté mais une loi surprotectrice, comme c’est le cas en Tunisie, peut avoir des effets pervers. Elle est nocive aux acteurs économiques parce que les mauvais payeurs continuent à opérer et à imposer une concurrence déloyale aux autres acteurs. Comme discuté ci-dessus, le secteur touristique est un bon exemple de ce phénomène d’autodestruction. En plus, un cadre efficace relatif à la faillite est d’une importance critique pour le bon fonctionnement du secteur bancaire et du secteur privé, en général, parce qu’il permet d’améliorer le redressement des parties prenantes, de réduire le risque des créanciers et de faciliter la cession des actifs. Ces éléments déterminent la politique de crédits des banques et donc un régime de faillite inefficace entrave l’accès au financement. Un système de faillite faible agit comme un épouvantail pour les banques qui n’ont aucun autre choix que d’adopter une attitude ultraconservatrice par rapport à l’attribution des crédits. Enfin, en plus de promouvoir la concurrence déloyale et de décourager les banques de financer les bons projets, les procédures inefficaces de faillite empêchent également l’acheminement des ressources vers des usages plus productifs sous forme de nouveaux prêts, et bloquent donc le développement de sociétés plus productives pour contribuer ainsi à la stagnation structurelle discutée dans le Premier Chapitre. En fait, un système de faillite efficace, est sensé insuffler de l’efficacité à l’économie à travers le processus de destruction créatrice discuté dans le Premier Chapitre. Un cadre de faillite qui fonctionne bien pourrait apporter à la Tunisie des gains financiers significatifs. Etant donné que le niveau global actuel de créances accrochées se situe à environ 7 milliards US$ (en 2011) et en utilisant le taux de recouvrement du rapport Doing Business 2012 de 0.52 cents pour 1 dollar, nous pouvons calculer que les parties prenantes ne pourront récupérer que près de 3.7 milliards US$ sur les prêts en cours, reléguant près de de la moitié des créances en fonds non recouvrés ou en valeurs détruites. Une réforme du système de faillite pourrait aider à améliorer les taux de recouvrement. Basé sur l’expérience internationale, le Modèle d’impact de réformes en matière d’insolvabilité utilisé par la Banque Mondiale tend à augmenter les sommes recouvrées au profit des créanciers de 0.30 $ de recouvrement au profit de quatre pourcent des parties prenantes. Ainsi, si l’on suppose qu’une réforme va améliorer les taux de recouvrement de 0.30 $ (soit un taux de recouvrement de 0.82 $), cela apporterait 2.1 milliards US$ supplémentaires (ou 4.5 pourcent du PIB) aux fonds récupérés sur les créances accrochées actuelles, qui en cas de réinvestissement pourraient générer près de 80 000 nouveaux emplois. Et si l’on suppose que la réforme pourrait s’étendre au- delà des créances accrochées actuelles (à environ quatre pourcent des sociétés insolvables), les gains en seraient encore bien plus importants. Le secteur financier tunisien est également devenu l’otage d’un régime de garanties faussées. Les institutions tunisiennes de crédit essayent d’atténuer leurs activités de prêt et les risques encourus en prêtant aux acolytes et proches du régime et ce en exigeant un niveau élevé de couverture par des garanties (essentiellement des hypothèques).23 Cette situation est due à plusieurs facteurs, dont notamment: (a) l’incapacité de la plupart des banques à évaluer les risques des projets, les plus petites banques ne disposant même pas des bases de données nécessaires pour cela; (b) l’application des garanties qui est connue pour être très lente et coûteuse (voir la discussion ci-dessus sur les procédures de faillite) de sorte que les prêteurs n’ont aucun intérêt à prendre des garanties qui soient la révolution inachevée 225 plus sensibles aux facteurs temps et coût (ce qui est le cas pour les biens meubles, corporels et incorporels qui fluctuent très rapidement); (c) le cadre légal concernant les garanties, qui est complexe et se base sur le principe selon lequel les parties ne peuvent convenir de manière contractuelle au- delà de ce qui est expressément permis par la loi; et (d) l’absence d’un registre central des garanties. Par conséquent, la Tunisie est le pays dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord avec les plus grandes exigences en matière de garantie. Toutefois, cette stratégie (de surcouverture) n’a pas été en mesure de protéger suffisamment les banques contre les emprunteurs défaillants alors qu’elle exclut les sociétés et les entrepreneurs qui n’ont pas les garanties requises de l'accès au financement.24 Le manque d’information sur la capacité de remboursement des clients de la banque (et surtout des futurs clients) constitue aussi un obstacle important au développement du secteur financier. Dans de nombreux pays, il existe des agences de crédits privées. Ces sociétés se chargent de compiler et de stocker des informations essentiellement sur les incidents de remboursement et les créances accumulées par des agents économiques (les sociétés, les entrepreneurs et les consommateurs). En l’absence d’un tel système, les banques ne prêtent qu’aux clients bien connus (ceux qui ont déjà obtenu de crédits ou qui sont bien introduits dans la communauté des affaires) au détriment des nouveaux entrepreneurs, des jeunes ou des acteurs économiques non desservis par les banques. Il devient donc critique pour la Tunisie d’autoriser de telles agences à s’installer. Des sources alternatives de financement très limitée Les banques ne font pas face à une vraie concurrence de la part d’autres sources de financements (marchés financiers, acteurs étrangers). Les grandes entreprises tunisiennes n’ont fait qu’un usage limité des marchés internationaux (essentiellement la syndication des prêts) et n’y ont plus recouru après la crise financière mondiale. Les marchés financiers internes jouent un rôle très marginal dans le financement des sociétés tunisiennes.25 En 2010, la part du capital mobilisé sur le marché intérieur n’a représenté que deux pourcent du PIB et la capitalisation du marché a atteint 24 pourcent du PIB en 2012. Les principales raisons qui expliquent la faiblesse des marchés des capitaux intérieurs, identifiées dans le rapport FSAP, sont la faible demande intérieure, l’absence d’une courbe des rendements et l’application laxiste des règles prudentielles bancaires. A cet effet, le faible cadre réglementaire et de surveillance bancaire a donné lieu à une sous-estimation du risque qui permet au banques tunisiennes d’accorder aux entreprises des conditions financières en deçà de celles qui devraient avoir cours dans un marché concurrentiel sain où le risque est correctement évalué. En outre, la Tunisie ne possède pas les fenêtres ou instruments financiers effectifs pour des projets d’investissement innovants (en haute technologie) et des start-ups (encadré 6.4). L’absence d’une courbe de rendements des titres souverains est un obstacle majeur au développement de marchés des capitaux diversifiés puisque les prix des instruments à taux fixe ne peuvent être déterminés de manière appropriée. Sans une courbe des rendements, la transmission de la politique monétaire est moins efficace, le prix des actifs est faussé et les investisseurs ne sont pas protégés de manière adéquate. Dans plusieurs cas, la détermination du prix des obligations des sociétés ne semble pas refléter le risque ou la notation de l’émetteur ; les parts des fonds de placement ne sont pas vendues au prix du marché mais évaluées à un coût historique ce qui en fait un produit similaire à un dépôt à taux fixe. L’absence d’une courbe des taux (ainsi que l’absence d’un marché secondaire pour les bons du trésor) rend encore plus difficile la différentiation du prix du crédit à court terme et de celui à long terme, ce qui baisse encore la capacité des institutions financières à financer des projets à plus long terme. 226 Un secteur financier en déroute Encadré 6.4 : Mécanismes de financement et d’incitation pour la R&D et l’innovation en Tunisie D’après des sources officielles, la Tunisie a investi, en 2009, près de 1.25 pourcent de son PIB en Recherche et Développement (R&D). En 2006, les dépenses avoisinaient 1.1 pourcent du PIB et la Tunisie dépassait le Maroc, le Chili et la Turquie mais se situait légèrement en deçà de la moyenne de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Le financement tunisien en R&D et innovations est canalisé à travers un système élaboré de mécanismes d’appui et d’incitations, y compris les centres techniques sectoriels, les technopôles et les parcs technologiques ; plusieurs centres de promotion de la recherche (130 laboratoires de recherche et 600 unités de recherche); une agence pour la promotion de la recherche, l’innovation et la création d’entreprises; une agence de promotion de l’industrie (API); une agence pour la promotion des investissements agricoles (APIA) et des Sociétés d’Investissement en Capital Risque (SICAR). Les institutions susmentionnées sont complétées par plusieurs programmes publics qui visent, entre autres objectifs, à apporter des incitations à l’innovation. Ces programmes incluent les programmes de ‘mise à niveau’ et de modernisation industrielle qui essayent de soutenir l’investissement dans les nouvelles technologies et d’améliorer la capacité organisationnelle et managériale des sociétés, la Prime d’Investissement en Recherche et Développement, le Programme National de Recherche Intégrée (un programme qui cherche à lier une unité de recherche, une entreprise et un centre technique autour d’un projet spécifique), le Programme de Valorisation des Résultats de la Recherche et le Régime d’Incitation dans le domaine des Technologies de l’Information (un fonds dédié aux projets innovants dans le domaine des technologies de l’information). Les études récentes sur le système tunisien d’innovation ont souligné plusieurs lacunes dans le financement et les incitations pour la R&D et l’innovation y compris les suivantes : 1. Les dépenses pour R&D sont éparpillées sur un grand nombre de thèmes et d’institutions publiques (ESTIME 2007). Les critères de distribution des fonds au profit de la R&D ne sont pas clairs et ne sont pas clairement reliés aux priorités nationales ou tout autre critère de performance. Ils ne sont pas non plus en lien avec un quelconque indicateur de performance. Par conséquent, les budgets obtenus par les laboratoires individuels sont limités, comme l’est la production. De plus, le cadre des incitations et reconnaissances pour les chercheurs est biaisé en faveur de l’élaboration et de la publication de recherches académiques personnelles ne se focalisant pas sur des thèmes qui soient directement exploitables par le secteur privé (Actes des journées nationales sur la recherche scientifique et l’innovation technologique 2007). 2. Les objectifs d’un grand nombre de programmes de R&D se chevauchent et certains fonds sont sous-utilisés, par exemple le fonds d’investissement en matière de recherche. Cela donne lieu à des pertes et à plusieurs inefficacités (Banque Mondiale, 2010). Il y a très peu de collaboration entre les centres de recherche et le secteur privé. Dans l’enquête sur l’entreprise ICTEQ 2010, 40 pourcent des entreprises ont déclaré avoir investi en recherche mais seules 15 pourcent d’entre elles ont collaboré avec des universités. Trois facteurs jouent un rôle clé dans un tel résultat médiocre : (a) une demande limitée venant du secteur privé à cause de sa spécialisation dans des secteurs à faible valeur ajoutée et la sous-traitance; (b) une inadéquation entre la nature de la recherche publique et les besoins des entreprises et (c) des procédures bureaucratiques complexes. 3. La contribution des sociétés d’investissement en capital à risque au financement de l’innovation est limitée. Les mécanismes existants, surtout les sociétés d’investissement à capital risque (SICAR), financent essentiellement la création d’entreprises et opèrent comme des banques classiques en négociant des conditions proches de celles des crédits (par exemple, la plupart des transactions se font sous forme de “portage” dans lequel la SICAR récupère ses fonds dans un délai précis à un taux d’intérêt fixe). La prise de risque est minime dans le système SICAR. Les SICAR ne représentent que 1.2 pourcent du total des financements distribués par le secteur financier. Néanmoins, un petit nombre d’entreprises bénéficient de fonds internationaux ou de lignes de crédits dédiées à l‘appui de l’innovation (par exemple, la ligne de crédit de la Banque Européenne d’Investissement). Source : Revue des politiques de développement de la Tunisie 2010, Banque Mondiale 2010. la révolution inachevée 227 Il y a lieu de libérer le potentiel du capital-risque en Tunisie. Le capital-risque aide les entreprises à satisfaire leurs besoins en fonds propres pendant les différentes périodes critiques par lesquelles elles passent (démarrage, développement, rachat). Sachant qu’une grande partie des entreprises tunisiennes sont dirigées par des propriétaires âgés qui sont prêts à passer la main, leur rachat par d’autres sociétés ou des individus devient un vrai souci auquel il faut trouver une solution. En 2011, les autorités tunisiennes ont établi un cadre institutionnel et réglementaire sain pour stimuler le développement du capital investissement. La réglementation semble être globale et a clairement favorisé l’émergence de divers types d’outils de financement notamment les Sociétés d’Investissement à Capital Risque, SICAR, les Fonds Communs de Placement à Risque, FCPR et le Fonds d’Amorçage. Toutefois, l’activité du capital-risque demeure éparse à cause des nombreux obstacles qui empêchent les investisseurs de jouer pleinement leur rôle dans le financement du secteur privé. Le gouvernement n’a pas encore défini les mesures qu’il entend adopter pour faciliter le développement du capital risque en Tunisie mais différentes mesures possibles sont explorées.26 Le gouvernement a pris des mesures pour promouvoir le financement des PME et des mesures supplémentaires sont en cours de discussion. En plus des canaux directs de financement (tels que le capital-risque), le financement intermédié des petites et moyannes entreprises (PME) demeure un élément clé de l’infrastructure du secteur financier tunisien pour soutenir la création d’emplois et revigorer l’innovation. En ce qui concerne le capital-risque, le financement intermédié a un rôle important à jouer à toutes les étapes de la vie de l’entreprise : le démarrage, le développement, la restructuration et le rachat. Il y a lieu d’améliorer la performance de la Société Tunisienne de Garantie, SOTUGAR, un programme de garantie partielle qui vise à apporter des garanties aux PME et aux entrepreneurs qui veulent obtenir des crédits auprès des banques, et la Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises, BFPME, qui est une institution financière spécialisée dans le financement des start-ups et des PME et en permettant aussi à davantage d’acteurs de venir sur le marché. 6.3 / Un programme de réformes pour le secteur financier L a discussion ci-dessus a souligné le besoin de renforcer la réglementation et la surveillance du secteur bancaire et d’adopter des mesures pour renforcer la concurrence dans le secteur financier. Un aspect clé serait la restructuration des banques publiques. En plus il faudrait revoir les procédures de faillite et agir rapidement pour faire face au nombre significatif de créances accrochées dans le secteur du tourisme. Comme déjà mentionné au tout début, nous n’allons pas aborder le financement les projets innovants ou à risque et/ou la microfinance qui devraient également être passés en revue. Des recommandations spécifiques sont données ci-après. Restructuration des banques publiques Il est primordial de revoir le rôle de l’Etat dans le secteur bancaire et de s’engager dans la restructuration des banques publiques. Conscient des problèmes auxquels font face les banques publiques, le Ministre des finances a décidé en juin 2012, en accord avec la Banque Centrale, de lancer des audits complets des trois plus grandes banques publiques. Le but des audits est de dresser une image globale des points forts et des points faibles desdites banques (y compris les activités bancaires, le réseau d’agences, le contrôle interne, l’organisation, le marketing, les ressources humaines et le système informatique) ainsi que les besoins réels en recapitalisation.27 Il existe une large gamme d’options de restructuration allant de la privatisation (vente après amélioration ou vente directe) à la fusion des trois banques publiques en une seule entité publique. Avant de prendre une décision, le gouvernement devrait revoir la logique de garder la propriété de ces trois grandes banques, essentiellement commerciales, avec un nombre limité d’activités conduites formellement au nom de l’Etat. Il devrait également cesser d’utiliser les banques publiques pour soutenir (même temporairement) les entités et entreprises 228 Un secteur financier en déroute publiques pour recourir à un appui direct et transparent sur le budget et sous réserve de l’approbation et de la supervision du parlement. Sans cela, il sera extrêmement difficile d’engager la modernisation nécessaire de ces banques parce qu’une telle restructuration pourrait avoir un impact dramatique sur la capacité des entreprises et entités publiques à fonctionner. Dans le cadre de ce processus, il importe d’améliorer la gouvernance d’entreprise des banques publiques, qui est au cœur du problème. La logique et les modes d’intervention de l’Etat dans l’économie doivent être revus pour y injecter plus de transparence et de redevabilité. La structure de gouvernance des banques étatiques commerciales doit être reconsidérée. Les principales lacunes en matière de gouvernance incluent : (a) des conseils d’administration faibles sans grande expertise ; (b) un manque général d’autonomie; (c) une lourde structure administrative de contrôle; et (d) l’absence d’un cadre stratégique global ou d’une politique d’appropriation. Les banques publiques devraient être soumises aux mêmes règles et règlementations que les banques privées.28 Le premier pas serait donc d’exclure les banques publiques de la loi relative aux participations, entreprises et établissements publiques (Loi 89-9) et en nommant une majorité de membres de conseil chevronnés venant du secteur privé. Un problème connexe est l’absence d’institutions qui peuvent apporter des capitaux à moyen et long termes pour les projets d’investissement productifs. En 2012, les autorités ont lancé la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) précisément pour développer les investissements pour une croissance à long terme.29 Plus récemment, le gouvernement a discuté la possibilité de créer une nouvelle banque de développement qui serait chargée d’accorder des crédits pour des projets nationaux et régionaux spécifiques pour des organes privés ou publics (éventuellement conjointement avec d’autres institutions financières) pour promouvoir des opportunités d’investissement privé. Toutefois, avant l’établissement d’une nouvelle banque de développement, la Tunisie devrait faire le point sur l’expérience coûteuse de ses propres banques de développement pendant les années 80 et les années 90 et identifier les leçons tirées des quelques exemples de réussites de banques de développement à travers le monde.30 L’une des principales leçons à tirer est que la bonne gouvernance et la surveillance adéquate sont critiques pour la réussite de ces projets. Renforcer la réglementation et la surveillance dans le secteur bancaire Afin d’améliorer l’efficacité du système bancaire, la priorité devrait être accordée à l’application de la réglementation bancaire et au renforcement de la contestabilité du marché. Afin d’améliorer l’efficacité du système bancaire tunisien, il est conseillé de: (a) renforcer davantage la réglementation (surtout dans la classification des crédits et le provisionnement) et la surveillance de la Banque Centrale de Tunisie pour mieux contrôler toutes les institutions de crédit et imposer des sanctions plus strictes en cas de non-respect des normes prudentielles ;31 (b) augmenter la concurrence en retirant la Loi 99-64 qui impose des limites sur les taux d’intérêt des prêts procédant ainsi, de manière artificielle, à la restriction de l’accès au crédit; et (c) renforcer la contestabilité du marché en revoyant les règles d’entrée (les approbations) et de sortie des institutions non viables. Ces mesures sont prévues pour promouvoir la restructuration du secteur bancaire à travers la facilitation de la sortie ordonnée des acteurs non viables et la permission d’entrée à de nouveau acteurs plus efficaces et mieux organisés dans un cadre réglementaire sain et robuste. Mesures de renforcement de la concurrence dans le secteur financier En plus de ces mesures, la concurrence dans le secteur financier peut aussi être soutenue à travers la promotion des marchés de capitaux en tant que sources de financement. Le premier pas à prendre consiste à construire une courbe des taux fiable parce qu’une telle mesure aura un effet de catalyseur sur tous les autres marchés de la dette. Il y a également lieu de renforcer les règles et les institutions la révolution inachevée 229 relatives à la concurrence dans le secteur financier.32 Il semblerait qu’il y ait particulièrement besoin de mesures pour la promotion du financement du capital risque et le financement des PME qui demeure spécialement difficile. Réforme des procédures de faillite Le gouvernement est en train d’œuvrer pour la réforme et la modernisation des lois tunisiennes sur la faillite. L’objectif est d’arriver à une nouvelle loi rationnelle sur la faillite qui consolide le Chapitre Quatre du Code du Commerce et la Loi n° 95-34 en un seul texte pour éviter la duplication. La modernisation du régime tunisien de faillite devrait améliorer le recouvrement des créances et renforcer ainsi l’environnement du crédit et rehausser la confiance entre débiteurs et créditeurs. Le nouveau cadre légal devrait améliorer l’efficacité et la flexibilité des dispositions relatives à la faillite et protéger de manière plus efficace les entreprises viables (à travers la restructuration) et permettre une sortie plus rapide et plus efficace du marché pour les entreprises non viables (à travers la liquidation). Par ailleurs, les améliorations parallèles dans l’intermédiation bancaire et la modernisation des infrastructures sont aussi essentielles et ce en amenant la Banque Centrale à tenir un registre des crédits (ou autre base de données y compris sur les états financiers) et en autorisant le fonctionnement des agences de crédit (en tant que ressources supplémentaire pour développer des outils et des informations et la collecte d’informations aux delà des institutions de crédit). Remédier au taux élevé de créances accrochées dans le secteur touristique Le gouvernement s’est engagé à établir une société de gestion d’actifs (AMC) pour résoudre le problème des créances accrochées accumulées dans le secteur touristique. Après avoir envisagé plusieurs options de réforme, le gouvernement a opté pour l’établissement d’une société centralisée de gestion d’actifs pour prendre en charge la restructuration du tourisme. En vertu d’une loi, la société de gestion d’actifs sera nantie de pouvoirs spécifiques pour accélérer la restructuration des prêts de ce secteur. Le plan consiste à transférer une grande partie des créances accrochées du secteur du tourisme vers une société de gestion des actifs et de les échanger contre des obligations garanties par l’état. Cela représente entre 150 et 300 unités hôtelière. Les ratios des créances accrochées vont donc baisser à travers tout le secteur bancaire. Afin de bien restructurer les mauvaises créances, la société de gestion d’actifs devra acheter les créances accrochées à bas prix. Si tous ces mauvais actifs sont transférés, le ratio des créances accrochées pourrait baisser de 13.5 pourcent à 10.25 pourcent. La possibilité de mettre en pension les obligations de la société de gestion d’actifs serait en mesure d’améliorer nettement la liquidité dans le système bancaire laissant place à de nouveaux prêts au profit du secteur public ou privé. Dans le secteur, les hôtels restructurés seraient en mesure de rembourser leurs dettes. Les hôtels qui ne pourront être restructurés seront transformés en d’autres projets (par exemple, des bureaux, des hôpitaux, des résidences et autres) ou fermés pour ne plus miner le fonctionnement des hôtels compétitifs. 6.4 / Conclusions C e chapitre a démontré qu’en Tunisie le secteur financier souffre de dysfonctionnements profonds et n’a pas été en mesure de canaliser les ressources vers les activités/projets les plus productifs, ce qui encore ancré la mauvaise affectation des ressources pour donner lieu à une faible performance économique et la création inadéquate d’emplois. Le système bancaire tunisien se caractérise par sa rentabilité limitée, son inefficacité, sa faible intermédiation et de sérieuses vulnérabilités. Dès lors, l’intensification capitalistique a été très limitée pendant la décennie écoulée et reste bien en deçà de son potentiel et l’apport de crédits à l’économie reste faible surtout lorsque comparé aux 230 Un secteur financier en déroute banques dans les économies voisines comme le Maroc. La faible intermédiation du crédit par rapport à l’économie constitue un frein à la performance économique tunisienne. En effet, 34 pourcent des entreprises tunisiennes déclarent que l’accès au financement est une contrainte majeure. Bien que les entreprises peinent à accéder au financement, les acolytes y ont eu un accès très facile. Par conséquent, la performance du portefeuille de crédits est très faible et pose de plus en plus de dangers à la stabilité du système financier. L’avancement au niveau de l’innovation des produits et la qualité des services est également très lent. Le fonctionnement faussé du secteur financier a contribué à miner la concurrence à travers toute l’économie (en favorisant les entreprises des acolytes) et a résulté en une accumulation de grandes créances qui devront être remboursées en taxant la performance économique du pays. La performance décevante du secteur financier est le résultat d’un grave manque de concurrence, malgré un grand nombre de banques, en partie à cause d’une réglementation défaillante et d’une mauvaise gouvernance. En utilisant la mesure d’élasticité des revenus bancaires aux changements des coûts (approche Panzar-Ross), il devient clair que le degré de concurrence dans le secteur bancaire tunisien est plus faible que la moyenne régionale. Plusieurs autres indicateurs montrent également le manque de concurrence dans le secteur et reflètent le fait que la performance du secteur est en stagnation. Le faible niveau de concurrence semble être dû à l’environnement caractérisé par des pratiques réglementaire précaires et de graves manquements dans la gouvernance et surtout dans les banques publiques. L’amélioration de la performance du secteur devra donc nécessairement passer par des réformes pour pallier à ces insuffisances. Pour amener les banques à financer de plus en plus les meilleurs projets, une série de réformes radicales doivent être entamées dans secteur financier. Afin d’améliorer l’efficacité du système bancaire, la priorité devrait être accordée à la revue du rôle de l’Etat dans le secteur bancaire, à l’engagement de la restructuration des banques publiques, et à la stricte application de la réglementation bancaire en vue d’imposer des règles de jeu équitables à tous les opérateurs et de rehausser la pression concurrentielle dans le secteur bancaire. Dans le cadre de ce processus, il importe d’améliorer la gouvernance dans les banques publiques qui est à l’origine du problème. En plus de ces mesures, la concurrence dans le secteur financier peut aussi être relancée à travers la promotion du développement des marchés des capitaux en tant que source de financement pour remplacer les prêts bancaires. Construire une courbe des taux fiable est la première mesure à prendre parce qu’une telle mesure aura un effet de catalyseur sur tous les autres marchés de la dette. La modernisation du régime tunisien relatif à la faillite est également nécessaire pour améliorer le recouvrement des créances et donc renforcer l’environnement des crédits et rehausser la confiance entre les débiteurs et les créditeurs. Il y a également lieu d’agir rapidement pour trouver une solution au problème de la dette du secteur touristique qui est en train de porter préjudice à la stabilité du secteur financier et la croissance et la création d’emplois dans le secteur du tourisme. Améliorer la performance du secteur financier peut avoir des implications significatives sur la croissance et la création d’emplois à travers l’économie. La réforme des procédures de faillite pourrait réaliser des investissements supplémentaires de 2.1 milliards US$ ce qui correspond à environ 80 000 nouveaux emplois. Des réformes plus profondes du secteur qui donneraient lieu à la hausse de la part du crédit dans le PIB des 70 pourcent actuels à son niveau potentiel de 80 à 90 pourcent pourraient générer 10 milliards US$ supplémentaires en crédits additionnels qui seraient injectés dans l’économie sur les 10 ans à venir pour financer l’investissement privé. Une telle augmentation de l’investissement correspond à près de 380 000 emplois supplémentaires. Les chapitres suivants se pencheront sur un plan d’action proactif pour la croissance économique en examinant les politiques que le gouvernement peut mettre en place pour soutenir l’industrie, les services et le secteur agricole. Notre discussion a, jusque-là, mis en exergue le besoin d’améliorer la révolution inachevée 231 le fonctionnement des marchés en Tunisie, en augmentant la contestabilité et en réduisant les interventions gouvernementales et aussi d’améliorer les politiques d’investissement, les politiques relatives au marché du travail et au fonctionnement du secteur financier. Par ailleurs, il y a lieu de définir une politique proactive pour rehausser et orienter le développement de l’économie afin de réaliser son potentiel. Le chapitre suivant se focalise justement sur ce point. Effectivement, le Chapitre Sept portera sur la politique industrielle et les obstacles à sa croissance spécifiquement dans les secteurs à fort potentiel d’exportation. Le Chapitre Huit mettra l’accent sur la réalisation du potentiel des secteurs des services. Le Chapitre Neuf discutera des défis dans le secteur agricole et le Chapitre Dix sera consacré aux politiques et leur rôle dans l’intégration des régions en retard de développement. 232 Un secteur financier en déroute Notes 1 En plus, le secteur financier permet aux entreprises et aux 13 En fait, ces problèmes n’ont pas cessé depuis longtemps. Les ménages de faire face aux incertitudes économiques en offrant réformes bancaires entreprises depuis les années 2000 n’ont des couvertures contre les risques, en les mutualisant et en pas donné lieu à l’intensification capitalistique escomptée. Les les tarifant. Ainsi, un secteur financier efficace réduit le coût réformes consistaient à rendre toutes les banques universelles et le risque de production et de commercialisation des biens et (y compris les anciennes banques de développement en 2005), services et contribue donc de façon importante à l’amélioration à injecter de grandes ressources pour recapitaliser les trois du niveau de vie, chose qui va bien au-delà de l’investissement plus grandes banques publiques, à vendre les petites banques et l’affectation efficace des ressources à travers l’économie. publiques et celles dont la performance n’est pas satisfaisante à des banques étrangères et à créer deux nouvelles institutions 2 Dans ce rapport, nous nous focalisons uniquement sur l’accès publiques spécialisées dans l’appui au micro-crédit et aux de l’entreprise au crédit, cependant, l’accès de la population PME. Les efforts consentis pour restructurer les banques au financement est également très restreint. Seuls 35 pourcent commerciales publiques ont donné des résultats décevants. des unisiens ont un compte courant bancaire ou postal et 10 La situation de la STB (Société Tunisienne de Banque) s’est pourcent ont contracté un crédit bancaire. Ces chiffres sont gravement détériorée après avoir absorbé, au début des relativement bons par rapport aux normes régionales mais pas années 2000, deux anciennes banques de développement. par rapport aux normes internationales. 14 Dans la plupart des pays MENA, le niveau élevé de 3 La rentabilité s’est détériorée depuis la révolution, ce qui a concentration a donné de mauvais résultats en termes d’accès affaibli le secteur bancaire dans sa globalité. des ménages et des PME aux crédits parce que les grandes 4 Le ratio crédit sur PIB a augmenté de manière significative banques défaillantes ne quittent jamais le marché. en 2010 et 2011 suite à la politique monétaire expansionniste 15 L’index Ross-Panzar mesure le pouvoir de fixation de prix sur suivie par la Banque Centrale. un marché. La méthodologie calcule la statistique H qui mesure 5 Une étude récente du FMI examine l’évolution du crédit au à quel degré l’augmentation du prix des intrants peut être secteur privé par rapport à un montant de crédit potentiel au traduite en recettes. Si H est égale à 1 cela signifie qu’il existe Maroc, en Tunisie et dans un échantillon de pays d’Europe une excellente concurrence de façon à ce l’augmentation du Centrale et de l’Est et l’Union Européenne et obtient des prix des intrants ne soit pas ressentie sur les prix de production. conclusions similaires (Veyrunes 2011). Si H est inférieure à 0, cela signifie que l’augmentation du prix des intrants ne se traduit pas en des recettes supérieures 6 Les résultats de la Tunisie sont similaires à ceux du Liban où mais en moins d’intrants et que nous nous trouvons dans une 53 pourcent des entreprises ont un crédit ouvert, alors que 35 situation de monopole. Lorsque H est compris entre 0 et 1, nous pourcent des entreprises jugent que l’accès au financement nous trouvons en situation de concurrence. (Ross-Panzar 1987). constitue une contrainte majeure. 16 L’index est une mesure standard du pouvoir du marché 7 Les crédits accordés par les banques sont également limités utilisée dans la littérature spécialisée et est dérivée de la par la mauvaise qualité des demandes de crédit. Selon l’enquête condition d’équilibre de premier ordre d’une entreprise qui sur les entreprises (2012), seuls 32 pourcent des entreprises maximise ses profits et qui choisit ses prix. Il s’en suit que, où disposaient d’états financiers certifiés par un auditeur externe. est l’index Lerner exprimé en tant qu’équivalence de l’élasticité inversée de la demande ε pondérée par, la part de marché de 8 En fait le nombre de créances accrochées aurait été plus élevé l’entreprise i, et la marge sur coût de revient (MCR) indiquant si ce n’est pour la lettre circulaire émise par la Banque Centrale la différence entre le prix et le coût marginal (CM) en tant que en avril 2011, autorisant les banques à ne pas classer comme proportion du prix. Dans le cas d’un monopole, α est égal à « créances accrochées », les crédits restructurés en 2011 et 1 et l’index Lerner peut être dérivé de la condition d’équilibre 2012 suite aux difficultés économiques. Il semblerait que les du monopole MR=P(1+1/ε)=CM. Il faut noter que l’index Lerner créances accrochées se seraient dégradées de près de cinq varie entre 0 et 1, où 0 reflète P=CM et donc une parfaite pourcent depuis la révolution. concurrence. Ainsi, plus le MCR est élevé plus grand est le 9 Source : communiqué de presse du gouverneur de la Banque pouvoir moyen du marché dans le secteur. Centrale de Tunisie en février 2011. 17 L’absence de concurrence peut expliquer le peu d’amélioration 10 Le scénario de base comprenait une légère progression au niveau de l’efficacité bancaire et le manque de consolidation de croissance en 2012, suivie par une forte performance à industrielle. En fait, la concurrence sur le marché est le moteur moyen terme. Le scénario défavorable a simulé un autre choc clé de la consolidation industrielle à travers les différents de croissance négative en 2012 suivi par une récupération secteurs mais n’a pu s’acquitter de ce rôle en Tunisie. graduelle mais plus lente et à moyen terme pour arriver à un niveau de croissance modéré. 18 Le rapport FSAP a identifié plusieurs violations des normes de solvabilité (Insuffisance de fonds propres pour la plupart des 11 En outre, comme détaillé dans le rapport FSAP, les banques à cause d’un risque non reconnu) ; de liquidité (ratio vulnérabilités du secteur bancaire pourraient être plus moyen de moins de 100 pourcent pour tout le secteur, 2011) ; nombreuses que ce qui est officiellement déclaré dans les ou un fort risque qui n’ont pas été sanctionnées par la Banque bilans (FMI et Banque Mondiale, 2012). Centrale de Tunisie. 12 La situation financière des trois banques publiques a poussé 19 Les provisions sont en conformité avec les normes le Ministre des Finances à lancer des audits complets des internationales et sont calculées sur une base nette des plus grandes banques publiques et à prendre la décision de garanties mais les règles d’évaluation pour les garanties recapitaliser les banques. Suite à une recapitalisation initiale de hypothécaires peuvent être considérées, en comparaison 0.3 pourcent du PIB en 2012, un montant supplémentaire est internationale, comme laxistes et se traduisent par de moindres prévu pour 2014 (à définir sur la base des résultats des audits). efforts de provision. Ce constat explique le niveau bas des ratios la révolution inachevée 233 de provision en Tunisie par rapport à plusieurs autres pays total de leurs engagements étrangers (pour les fonds qui (la moyenne internationale tourne autour de 70 pourcent) et collectent des fonds étrangers). Ces investissements viseraient pourquoi les banques n’acceptent que très rarement d’autres principalement à soutenir les entreprises tunisiennes dans leurs formes de garantie. efforts pour gagner des marchés à l’étranger. Une autre mesure 20 Loi 99-64 (voir http://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/ utile serait d’accorder aux responsables des FCPR la possibilité teg/tie1000.htm) de puiser dans des fonds d’assistance technique (FAT) pour aider les entreprises dans leurs efforts visant le développement. Par 21 En plus, lorsque les banques ont commencé à se faire de la exemple, les FAT pourraient financer l’engagement d’un expert concurrence de manière plus agressive en ce qui concerne les taux d’intérêt des dépôts après la révolution, la Banque chargé d’assister l’entreprise dans ses efforts à enregistrer une Centrale de Tunisie a mis un point final à cette concurrence en marque commerciale ou à protéger une innovation. Il serait plafonnant le taux d’intérêt maximal du dépôt. Cette mesure également intéressant d’étendre l’expérience actuelle visant a permis aux banques de préserver leur marge mais elle à établir des fonds publics gérés par des responsables du a également provoqué un effet inverse : la dépendance des secteur privé (comme SAGES Capital) sélectionnés par le biais banques par rapport au financement de la BCT a augmenté de consultations internationales (la dimension internationale et a découragé l’épargne (puisque la différence entre le taux de ce processus de sélection est importante pour ramener de d’inflation et les taux de dépôt a augmenté), maintenant nouvelles compétences). donc la pression de la liquidité sur les banques. Des taux de dépôt plus faibles que l’inflation pourraient aussi canaliser 27 Les trois grandes banques commerciales (STB, BNA, et BH) l’épargne vers l’immobilier (le secteur est en plein boom) et ont des modèles de gestion différents qui nécessitent des la devise (donnant lieu à davantage de pression sur le niveau approches de restructuration différentes. Toutefois, elles ont des réserves en devises de la BCT). La BCT a récemment retiré en commun la grande incertitude quant à leur force financière le plafond sur les taux pour les dépôts mais pas pour les prêts. à cause de grandes faiblesses en comptabilité, en gestion de 22 La Tunisie possède actuellement deux lois relatives à la risque, en audit interne, en audit externe et en surveillance. restructuration et à la faillite en Tunisie : le livre IV du Code Différentes évolutions peuvent être envisagées pour du Commerce établissant la loi 1959 relative au concordat restructurer et moderniser ces banques. préventif et à la faillite, et la loi no. 95-34, (modifiée en 2003), relative au redressement des entreprises en difficultés 28 Les lois spécifiques applicables aux entités publiques (relatives, économiques. Ces lois ont aidé la Tunisie à renforcer, jusqu’à par exemple, aux marchés publics et à la rémunération du un certain degré, son régime de faillite mais elles ont surtout personnel) ont encore empêché les banques commerciales donné lieu à un régime fragmenté avec des processus publiques d’adopter une structure de gouvernance efficace et dupliqués et extrêmement longs pour le redressement des entreprises en difficulté et le retrait du marché. Certains des des mécanismes de surveillance (c’est la gestion de risque, les problèmes principaux incluent: le fait d’obliger toutes les systèmes informatique et auditeurs externes), donnant lieu à entreprises à passer par un règlement judiciaire même si elles des transactions moins efficaces et à des risques plus grands. sont insolvables et le temps supplémentaire ne fera que drainer de l’argent; le fait que la Commission de Suivi des Entreprises 29 Le gouvernement a aussi envisagé l’établissement d’un fonds (CSEE) joue un rôle incluant un rôle quasi judiciaire qui pourrait d’investissement souverain (Fonds inter-générations) qu’il ne pas être approprié pour une telle entité; l’absence de gérera en tant que fonds privé pour mobiliser des ressources procédure confidentielle de règlement amiable ce qui rend les privées pour soutenir les capitaux propres en Tunisie (pour plus entreprises débitrices réticentes à demander un règlement à de détails voir FMI et Banque Mondiale 2012). l’amiable; les procédures dupliquées dans les deux lois ce qui étend les délais davantage; le fait que les droits des créditeurs 30 Les banques de développement peuvent être des banques dans la procédure de redressement de l’entreprise soient privées ou publiques mais très souvent les gouvernements minimaux; et les dispositions prévoyant des sanctions lourdes apportent des contributions substantielles au capital des même pour les activités non-criminelles, ce qui stigmatise banques privées. La forme (capitaux propres ou prêts) et le encore plus la faillite. coût du financement offert par les banques de développement 23 En Tunisie, les prêteurs utilisent une gamme très étroite dépend du coût d’obtention du capital et du besoin de dégager de garanties qui se limite à l’hypothèque et aux garanties un bénéfice et de payer des dividendes. Les pratiques de personnelles. développement ont provoqué des controverses. Etant donné que les banques de développement sont souvent des banques 24 L’établissement 8 ans plus tôt de la SOTUGAR (un programme partiel de garantie de crédit) et de la BFPME (une institution publiques et ne sont pas redevables envers les contribuables publique de crédit qui se concentre sur les start-ups), n’a résolu qui les financent, il n’existe pas de système d’équilibre des le problème que dans une certaine mesure (voir discussion ci- pouvoirs qui empêcherait les banques de faire de mauvais dessous). investissements. Toutefois, il existe certains exemples de banques de développement avec de bonnes performances 25 Depuis la révolution, la bourse de Tunis est devenue bien plus notamment au Brésil et en Corée du Sud. active et plusieurs sociétés ont été introduites depuis 2012. 26 L’investissement dans des pays étrangers financé par les 31 En juin 2012, la circulaire (91-24) de la Banque Centrale de FCPR pourrait offrir de nouvelles opportunités pour la Tunisie. Tunisie a renforcé certains aspects de sa surveillance pratiquée Le gouvernement pourrait immédiatement autoriser les FCPR dans le secteur bancaire. à bénéficier du régime commun qui permet aux sociétés tunisiennes, dans certaines conditions, d’investir à l’étranger 32 Les règles doivent être clairement définies dans le cas des (les FCPR seront soumis aux mêmes règles et notamment le fusions, antitrust et aides de l’Etat dans le secteur financier plafonnement en termes de sortie de capitaux) et dans certains et aussi pour clarifier les responsabilités du Conseil de la cas, ils pourront dépasser ces plafonds à hauteur du montant Concurrence dans ce domaine. 234 Un secteur financier en déroute Références Anzoategui, D., M. Martinez Peria, and R. Rocha. 2010. “Bank Khanfir, Mondher. 2013. “Feasibility Study on Capital Market Competition in the Middle East and Northern Africa Region.” and Financial System Development to Boost Private Sector in World Bank Policy Research Working Paper 5363, World Bank, Tunisia.” Report to GIZ. February 19, 2013. Tunis. Washington, DC. Panzar, J. C., and J. N. Rosse. 1987. “Testing for ‘Monopoly’ Beck, Thorsten, Eric Feyen, Alain Ize, and Florencia Equilibrium.” Journal of Industrial Economics 25: 443-456. Moizesowicz. 2008. “Benchmarking Financial Development.” World Bank Policy Research Working Paper 4638, World Bank, World Bank. 2010a. Tunisia Development Policy Review: Washington, DC. Towards Innovation-Driven Growth. Washington, DC: World Bank. Herring, Richard J., and Anthony M. Santomero. 1991. "The Role of the Financial Sector in Economic Performance." Center for World Bank. 2014e. Tunisia Investment Climate Assessment. Financial Institutions Working Papers 95-08, Wharton School Washington, DC: World Bank. Center for Financial Institutions, University of Pennsylvania. IMF (International Monetary Fund) and World Bank. 2012. “Tunisia Financial Sector Assessment Program Report.” Internal Mimeo, World Bank, Washington, DC. la révolution inachevée 235 236 une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations Une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations 07 La Tunisie possède le potentiel de devenir un leader global pour un grand nombre de produits manufacturés la révolution inachevée 237 Une politique industrielle pour stimuler 07 la valeur ajoutée et les exportations L es chapitres précédents ont montré que le défi majeur pour la Tunisie consiste à transformer la structure de sa production économique pour permettre des formes de production à plus haute valeur ajoutée. De fait, bien qu’ils aient offerts à de nombreux Tunisiens l’opportunité de sortir de la pauvreté, les emplois peu qualifiés ne sont pas en mesure de répondre aux besoins du marché du travail, qui voit l’entrée de plus en plus de diplômés chaque année. Il y a donc lieu de capitaliser sur les atouts du pays en favorisant (et non en bloquant) la transformation structurelle de l’économie vers des activités plus qualifiées et davantage de création d’emplois. Notre analyse a identifié les caractéristiques clés de la concurrence et de l’environnement de politique économique qui ont entravé la transformation et que le gouvernement doit attaquer pour soutenir le processus de mise à niveau industrielle. Si l’on suppose que ces problèmes fondamentaux sont résolus, il reste la question qui se rapporte au rôle supplémentaire que le gouvernement pourrait jouer pour accélérer la croissance. Dans ce chapitre, nous nous penchons sur les politiques d’accompagnement de la croissance dans le secteur industriel. Les services et l’agriculture font face à des défis et problèmes politiques spécifiques et feront l’objet d’une discussion détaillée dans les deux chapitres suivants. Ce chapitre examine le rôle que le gouvernement pourrait jouer dans la facilitation du processus de transformation structurelle et de développement économique en soutenant la croissance des industries à fort potentiel. La Tunisie a déjà une bonne performance dans un certain nombre de secteurs d’exportation à fort potentiel mais qui restent sous-développés, en grande partie, à cause de l’environnement politique existant. La réalisation du potentiel de ces secteurs d’exportation devrait constituer une priorité stratégique (Banque Mondiale 2008c). La Tunisie a également un avantage comparatif marqué dans d’autres secteurs mais qui ne sont pas encore développés et qui pourraient présenter un bon potentiel s’ils sont proprement mis à contribution (El Kadhi, 2012). Ces secteurs pourraient appuyer le processus de transformation structurelle et devenir une source de croissance dynamique et de création d’emplois pour les diplômés. Les obstacles à la croissance dans les secteurs à fort potentiel ont été discutés dans les chapitres précédents : les obstacles à la concurrence, les distorsions résultant de la dualité onshore-offshore, la bureaucratie excessive et les lacunes sur les marchés du travail et dans le secteur financier. En outre, la stratégie et les politiques de la Tunisie pour la croissance industrielle et du secteur des services ont aussi besoin d’être revues. La politique industrielle actuelle met trop l’accent sur les subventions (ayant des effets de distorsion) sans pour autant accorder de l’attention aux défaillances de coordination, au renforcement de la logistique et autres aspects “immatériels” de l’environnement industriel. 7.1 / Potentiel inexploité : un secteur industriel prêt à gravir l’échelle de la valeur ajoutée U ne approche stratégique en matière de politique industrielle nécessite de concentrer l’action et l’attention du gouvernement sur les secteurs les plus prometteurs. Dans ce chapitre nous examinons les secteurs industriels dans lesquels la Tunisie semble détenir le plus grand potentiel et que le gouvernement pourrait chercher à encourager. Nous allons puiser dans les cadres analytiques existants comme le Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance (Lin et Monga, 2010) et l’Analyse de l’Espace des Produits (Hausmann, Hwang et Rodrik, 2007 ; et Hausmann et Klinger, 2007), afin d’identifier les industries et les produits à grand potentiel pour approfondir et diversifier les exportations (voir aussi Mehchy, Nasser, et Shiffbauer, 2012).1 238 une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations Conformément au Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance, la Tunisie est comparée à un certain nombre de pays de référence dans la région et à l’international. Les pays de référence incluent des pays qui sont entre 100 et 300 pourcent plus riches que la Tunisie, qui se sont développés de manière dynamique pendant les 20 dernières années et possèdent des caracteristiques de production similaires. Cette approche est en cohérence avec les critères de sélection clés pour les pays de référence proposés dans le Cadre de (la première étape) d’Identification et de Facilitation de la Croissance (Lin et Monga 2010).2 L’idée à la base du Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance est que les pays plus riches ont tendance à avoir des prix et des salaires relativement plus élevés de façon à risquer de perdre l’avantage concurrentiel dans certains des produits qu’ils exportent— et ces changements représentent une opportunité pour les pays qui possèdent des caractéristiques similaires mais qui sont encore en rattrapage en terme de niveau de revenus (et de salaires). Nous utilisons ensuite l’avantage comparatif révélé (ACR) et l’analyse de « l’espace produit » (Product Space, PS) pour identifier les secteurs d’exportation qui semblent avoir du potentiel. La théorie classique du commerce international soutient que le bien-être est maximisé lorsque les pays se spécialisent dans des produits qu’ils peuvent produire relativement à bas coûts, qui sont donc les produits dans lesquels ils possèdent un avantage comparatif.3 La mesure classique pour l’identification de l’avantage comparatif est l’index de l’avantage comparatif révélé.4 Plus récemment, l’analyse de l’espace-produits (PS) a été aussi suggéré pour identifier le potentiel d’exportation des pays en établissant la cartographie de la performance actuelle d’un pays donné en matière d’exportation par rapport à des schémas mondiaux (Hausmann et Klinger 2007; voir discussion ci-dessous et encadré 7.2). Selon le Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance, la seconde étape qui suit consiste à se pencher sur les changements dans les ACR en Tunisie et dans les pays de référence pour identifier les secteurs etproduits dans lesquels la Tunisie peut avoir un potentiel de développement des exportations aussi bien en quantité qu’en valeur ajoutée. Il importe, toutefois, de noter dès à présent que ces méthodologies présentent des lacunes lorsque utilisées pour identifier les produits à fort potentiel. Elles se focalisent sur les produits exportés mais ignorent le rôle des importations (intermédiaires) dans le processus de production. Ceci est particulièrement important dans le cas de la Tunisie puisque, comme déjà vu, la teneur nationale des produits exportés tend à être minimale ce qui signifie que le savoir-faire associé aux produits que la Tunisie exporte est réduit. Par ailleurs, ces mesures se basent sur une analyse de la structure des exportations d’un pays donné qui n’est pas nécessairement le résultat d’un vrai avantage comparatif mais reflète plutôt les distorsions politiques qui ont déterminé le schéma actuel des exportations. Encore une fois, ceci est pertinent dans le cas de la Tunisie puisque, comme déjà discuté dans les chapitres précédents, l’environnement politique est caractérisé par des distorsions et des obstacles au fonctionnement des marchés, chose qui freine à son tour le développement de l’économie. Finalement, ces techniques examinent la structure de l’exportation sans prendre en considération les capacités qui ont été développées à travers la production non exportatrice. Il faudrait signaler que ces techniques ne sont actuellement applicables qu’aux marchandises échangées (produits industriels et agricoles, mais pas aux services). Analyse dynamique de l’Avantage Comparatif Révélé en Tunisie et en comparaison internationale La Tunisie devrait détenir un avantage clair dans l’exportation des biens à forte intensité de main d’œuvre pour lesquels les pays de référence sont en train de perdre leur avantage comparatif. Selon l’approche d’identification et de facilitation de la croissance, nous cherchons à identifier le potentiel d’exportation en jugeant si les pays de référence avec des facteurs de production similaires sont en train de devenir moins compétitifs dans la production de certaines de leurs exportations. Sur les décennies écoulées, les augmentations de salaires dans les pays à revenus plus élevés conjuguées à la révolution inachevée 239 la réduction des coûts du transport ont causé la migration d’une grande partie de la production des pays à revenus élevés vers les pays à revenus plus bas. En fait, les salaires en Tunisie sont restés relativement bas par rapport aux pays de référence, ce qui pourrait doter la Tunisie d’un important avantage pour produire et exporter davantage de biens à forte intensité salariale avec une demande mondiale stable ou en hausse et où les coûts de la production dans les pays de référence à croissance rapide sont devenus relativement chers. Une analyse de l’ACR de la Tunisie révèle que le secteur avec le plus grand nombre de produits affichant un avantage comparatif révélé est le secteur du textile suivi par l’industrie mécanique et électrique. Sur un total de 148 produits pour lesquels la Tunisie possède un ACR supérieur à l’unité, 39 produits font partie du secteur du textile et huit de l’industrie du cuir et de la chaussure (annexe 7.1). La Tunisie compte aussi 19 produis dans l’industrie mécanique et électrique avec un avantage comparatif révélé. Certains produits agricoles présentent aussi un ACR élevé. Sur les 148 produits avec un ACR supérieur à l’unité en Tunisie, la demande mondiale sur 82 produits a baissé entre 2000 et 2010. Les secteurs qui marquent une croissance aussi bien à l’exportation qu’au niveau de la demande mondiale sont les engrais et certains produits mécaniques tels que les récepteurs de télévision, les moteurs électriques et les câbles isolés. Notre analyse souligne que les pays de référence ont vu leur ACR baisser pour plusieurs industries et secteurs dans lesquels la Tunisie dispose déjà d’un bon ACR, qui lui permetrait de tirer profit des délocalisations anticipées hors de ces pays. Sans grande surprise, l’analyse des changements des ACR dans les pays de référence sur la décennie écoulée confirme un déclin significatif des ACR dans quelques industries à forte intensité salariale (annexe 7.2). Dans plusieurs de ces secteurs et produits, la Tunisie possède un bon ACR ; et dans plusieurs d’entre eux le pays a vu son ACR se développer le long de la décennie écoulée (contrairement aux pays de référence). En outre, beaucoup de ces produits (mais pas tous) ont connu une croissance de la demande mondiale pendant la décennie passée. Pour affiner l’analyse nous répartissons ces secteurs et produits sur quatre groupes (voir annexe 7.1 pour un résumé à 3 chiffres ; et annexe 7.3 pour les détails à 4 chiffres).5 Nous sommes particulièrement intéressés par le Groupe 1 qui met en exergue les industries et secteurs dans lesquels la Tunisie a un fort potentiel de développement de sa part d’exportation à la lumière de la hausse de la demande mondiale. Les résultats font ressortir que des industries et secteurs connexes à 4 chiffres peuvent se trouver dans des groupes différents, de façon à ce que globalement l’analyse révèle un potentiel, dans un nombre relativement bien identifié de secteurs susceptibles de connaître des délocalisations hors des pays de référence, notamment dans les secteurs suivants: (a) textile et habillement, (b) cuir et chaussure, (c) industrie électrique et mécanique, et équipement de transport, (d) produits chimiques, (e) matériaux de construction en verre, fer, et métal, et (f) mobilier de maison et sanitaire. La Tunisie semble avoir, à différents degrés, un potentiel dans ces secteurs et les divers produits sont plus ou moins prometteurs suivant l’évolution de la demande mondiale. Il faudrait également noter que plusieurs de ces secteurs sont classés (selon l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel, ONUDI) en tant que secteurs à niveaux moyen et élevé de qualification et incluent donc des segments qui pourraient créer des emplois pour les diplômés. En se basant sur ces résultats, le Cadre d’identification et de facilitation de la croissance propose une approche pour favoriser le développement de ce potentiel sans introduire de distorsions. Le Cadre d’identification et de facilitation de la croissance propose la manière selon laquelle les autorités peuvent faciliter le processus d’essais et d’erreurs qu’implique toujours un développement industriel réussi (Lin et Monga, 2010). Pour les industries et secteurs à fort potentiel dans lesquels certaines entreprises locales privées sont déjà présentes, comme celles identifiées dans le Groupe 1 ou le Groupe 2, les autorités devraient essayer d’identifier les contraintes à la mise à niveau technologique ou à la venue de nouvelles entreprises, et prendre les mesures nécessaires pour éliminer de telles contraintes. 240 une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations Tableau 7.1 : Synthèse de l’analyse du Cadre d’Identification et de Facilitation de la Croissance (première étape): Identification des industries et secteurs pour lesquels les ACR ont baissé dans les pays de référence entre 2000 et 2010 et pour lesquels la Tunisie possède un ACR élevé evolution de evolution de la evolution de l'acr part de marché la demande acr tunisien tunisienne mondiale tunisien en 2010 depuis 2000 depuis 2000 depuis 2000 compétences Groupe 1 : Secteurs ayant un ACR croissant alors que la demande mondiale est croissante Produits chimiques à base de bois 13,23 % 63,1 % 98,7 % 143 % Hautement qualifiées Industrie du cuir (y compris les chaussures) 205 % 240 % 476 % 43 % Peu qualifiée et à base de ressources Textiles 143 % 7080 % 11003 % 55 % Peu qualifiée et à base de ressources Textiles divers 320 % 814 % 928 % 19 % Peu qualifiée et à base de ressources Verre et métal 92 % 1120 % 1277 % 24 % Peu qualifiée et à haute technologie Machinerie (pour l’agriculture et les mines) 43 % 345 % 530 % 43 % Moyenne qualification et à haute technologie Industrie électrique (fils et câbles) 1282 % 85 % 94 % 5 % Moyenne et haute qualification et à haute technologie Instruments de précision (instruments médicaux) 91 % 336 % 467 % 30 % Hautement qualifiée et à haute technologie Matériel mécanique et de transport 228 % 143 % 255 % 52 % Moyenne qualification et à haute technologie Manufactures diverses (bijouterie et vannerie) 51 % 2030 % 3062 % 35 % Peu et haute qualificaiton et a haute technologie Groupe 2 : Secteurs ayant un ACR croissant alors que la demande mondiale est décroissante Textiles et habillements (fibres synthétiques, tissus en coton, tapis) 538 % 702 % 450 % -37 % Peu qualifiée et à base de ressources Cuir (sellerie et harnais) 253 % 28 % 13 % -11 % Peu qualifiée et à base de ressources Métal et machinerie 70 % 20675 % 17135 % -18 % Peu et haute qualification et haute technologie et à base de ressources Mécanique (motocycles, autres services) 8 % 402 % 299 % -15 % Moyenne qualification et à haute technologie Meubles et sanitaires 236 % 22 % 6 % -14 % Moyenne qualification et à haute technologie Manufactures diverses 166 % 504066 % 354609 % -22 % Peu et moyenne qualification et à haute technologie et à base de ressources Groupe 3 : Secteurs ayant un ACR décroissant alors que la demande mondiale est croissante Produits chimiques 37 % -43 % -27 % 37 % Hautement qualifiées Engrais 4674 % -62 % -28 % 83 % Hautement qualifiées Métal, outils et machinerie (pour lavage et séchage) 17 % -66 % -57 % 23 % Peu et moyenne qualification et à haute technologie Industries mécaniques 18 % -18 % -9 % 11 % Qualifications moyennes et haute technologie Meubles et sanitaires 68 % -58 % -55 % 8 % Peu et moyenne qualification et à haute technologie Industries électriques (appareils ménagers) 9 % -39 % -27 % 20 % Peu et moyenne qualification et à haute technologie et à base de ressources Textiles et fourrures (robes et habillement) 153 % -47 % -35 % 23 % Peu qualifiée et à base de ressources (qualification moyenne à une moindre échelle) Manufactures diverses (parapluies et autres produits) 51 % -80 % -71 % 38 % Peu qualifiée et à haute technologie Groupe 4 : Secteurs non-produits en Tunisie ou ayant un ACR très bas alors que la demande mondiale est en hausse Métal et machinerie 1,8 % - - 43,5 % Peu qualifiée et à haute technologie Matériel de transport (chemins de fers, tramway) 1,3 % - - 29,9 % Peu qualifiée et à haute technologie Source : Calculs des auteurs la révolution inachevée 241 La brève discussion ici porte sur les secteurs du textile et des industries électronique et électrique (encadré 7.1), mais il serait important d’effectuer des études sectorielles approfondies pour identifier les manquements significatifs en matière de coordination ou d’autres contraintes spécifiques au secteur. Dans les industries qui ne comptent pas d’entreprises locales, comme celles identifiées dans le Groupe 4, les décideurs politiques peuvent essayer d’attirer les investissements directs étrangers (IDE) à partir des pays de référence, ou organiser de nouveaux programmes pour les incubateurs d’entreprises. Le gouvernement peut également compenser les entreprises pionnières dans les industries identifiées ci-dessus à travers des incitations fiscales pour une période de temps limitée et/ou cofinancer les investissements. Ceci dit, au-delà des industries identifiées ci-dessus, le gouvernement devrait aussi promouvoir la découverte spontanée par les entreprises privées et soutenir la valorisation des innovations privées dans de nouvelles industries. Dans ce contexte, les zones économiques spéciales ou les parcs industriels pourraient s’avérer utiles dans le dépassement des obstacles à l’installation de nouvelles sociétés et aux IDE et l’encouragement de la formation de filières industrielles. Encadré 7.1 : Rôle du gouvernement dans le développement des exportations clés pour lesquelles la Tunisie détient un grand potentiel Habillement, textile et articles en cuirs Le secteur de l’habillement, du textile et du cuir représente près du quart des exportations tunisiennes et neuf pourcent des emplois. Environ huit pourcent des travailleurs non qualifiés sont employés dans ce secteur (près de 280 000 personnes) et c’est un secteur très important pour l’emploi des femmes tunisiennes peu qualifiées. Les exportations du textile en tant que part du total des exportations tunisiennes ont commencé leur baisse à la moitié des années 2000 avec la suppression de l’Accord Multifibres. De manière générale, la région Moyen-Orient et Afrique du Nord est en train de perdre des parts de marché dans le domaine du textile suite à la progression tentaculaire des exportations chinoises et indiennes et l’excellente performance de la Bulgarie et de la Turquie. En même temps, la demande mondiale sur plusieurs produits du secteur est en train de chuter. Toutefois, l’ACR de la Tunisie dans plusieurs produits de textile à l’exportation n’a pas cessé d’augmenter pendant ces dernières années (notamment pour le fil de fibres régénérées, les fibres synthétiques et les tapis). Ceci traduit le fait que les salaires dans le secteur textile ont augmenté dans les pays de référence et dans d’autres pays exportateurs de textile, chose qui peut contenir des opportunités pour la Tunisie. L’avenir du secteur textile tunisien pourrait dépendre de la capacité du pays à tirer profit de sa proximité de l’Union Européenne. La demande sur les articles d’habillement (offrant des possibilités d’une plus grande valeur ajoutée) est plutôt hétérogène en Europe avec plusieurs petits producteurs qui commandent des petits lots de vêtements personnalisés par rapport aux Etats-Unis. Réagir rapidement aux changements de la demande du client, réduire le temps de production et développer la fiabilité des exportations seront des éléments très critiques pour répondes aux attentes des clients de l’UE. Les articles d’habillement standard, par contre, feront face à une très grande concurrence de la part des pays asiatiques. L’accès à des intrants pas chers sera décisif en termes de compétitivité parce que le coût du tissu représente 60 pourcent des prix FOB. Actuellement, les intrants venant de plusieurs pays sont soumis à des droits de douane relativement élevés en Tunisie (Banque Mondiale 2010a). La compétitivité du secteur textile est aussi très sensible à la hausse des salaires. Bien que la productivité du secteur textile tunisien semble être similaire à celle des pays de référence dans 242 une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations la région, les salaires ont tendance à être plus élevés non seulement par rapport aux pays de la région mais également à la Turquie et certains pays asiatiques. A titre de comparaison, les salaires égyptiens et jordaniens sont plus bas ou comparables aux salaires dans la plupart des exportateurs asiatiques ce qui accorde à ces pays un avantage par rapport à la Tunisie (Banque Mondiale 2010a). Contrairement aux articles textiles et habillement, la demande mondiale sur les produits en cuir est en croissance continue. Bien que la Tunisie ne produise que peu d’articles en cuir, le secteur du cuir représente un peu plus de un pourcent de l’emploi (près de 31 000 personnes dans 280 entreprises dont 212 sociétés totalement exportatrices qui emploient près de 29 000 personnes). Le secteur est aujourd’hui dominé par la coupe et l’assemblage. La Tunisie ne produit pas sa matière première essentiellement importée du Maroc. L’avantage de la Tunisie en termes de coût de production des produits en cuir à l’exportation provient essentiellement des salaires bas et l’ACR des produits en cuir est en déclin continu dans la plupart des pays de référence à l’exception de la Turquie, du Portugal et de la Slovaquie ce qui veut dire que ce secteur détient un fort potentiel. Produits électroniques et équipement électrique Cette industrie s’est développée lentement pendant les années 80 derrière le rideau des politiques de remplacement des importations en se basant sur les capacités de production en matière de machines, outils et soudage. Les exportations ont connu une croissance significative de 2000 à 2010 et ce segment a connu une des croissances les plus rapides avec un taux annuel de près de 20 pourcent entre 2006 et 2010, et représente la catégorie la plus grande des exportations tunisiennes depuis 2010 qui inclut les câbles isolés, les fils électriques, les câbles et les récepteurs radio-émetteurs. Près de 93 pourcent de la production totale ont été exportés en 2010. Une grande partie de ce secteur est orientée vers la production des composants automobiles (mécanique, électrique et en caoutchouc), le câblage représente 89 pourcent des exportations et la majeure partie de ces exportations est dans le cadre de l’industrie automobile. Depuis 1980, les fils et câbles électriques isolés et les appareils électriques tels que les interrupteurs et les relais ont augmenté le plus parmi les neuf produits électriques dont la part des exportations est supérieure à un pourcent dans le portefeuille tunisien. A la différence de la Tunisie, les pays de référence ont développé leur ACR dans différents produits de l’industrie électrique et électronique. La Tunisie a également été dépassée par le Maroc qui a développé une meilleure stratégie pour attirer les investisseurs. La Tunisie est restée bloquée dans le segment à compétences limitées pour ne produire presque exclusievement des câbles. En fait, la production de faisceaux de câbles en Tunisie consiste essentiellement en des tâches d’assemblage à forte intensité de main-d’œuvre. Les matières premières représentent à elles seules plus de 70 pourcent du coût total du produit. Cette activité est également très sensible à la hausse des salaires des travailleurs peu qualifiés. En plus, l’industrie dépend des incitations fiscales (voir Chapitre Quatre). Tout comme le textile, le secteur bénéficie de la proximité de la Tunisie par rapport à l’Europe. Le secteur a aussi des synergies avec les industries plastiques ou métalliques. Les principaux problèmes qui retardent le développement du secteur sont liés à la stabilité politique et sociale. Ces deux aspects semblent être des impératifs pour que le secteur avance vu les grands investissements initiaux impliqués. Les autres contraintes clés sont les coûts logistiques, les retards de production et le respect strict de certaines normes de qualité. L’innovation au niveau des procédés, les améliorations logistiques et l’efficacité du secteur bancaire seraient aussi en mesure de renforcer ce secteur. la révolution inachevée 243 Analyse de « l’espace-produits » en Tunisie6 Une étude récente a montré que les changements des ACR des nations sont régis par le schéma de “rapprochement” des produits au niveau mondial. L’analyse de l’espace des produits complète de manière étroite l’analyse de l’ACR présentée dans le paragraphe précédent. Elle fournit une représentation dynamique des changements dans l’ACR de la Tunisie faisant ressortir le potentiel que la Tunisie pourrait avoir en diversifiant ses produits sur la base de l’analyse des schémas des exportations mondiales. Lorsque les pays changent leur bouquet d’exportations, il existe une plus forte tendance pour bouger vers des biens connexes plutôt que des biens éloignés (Hausmann et Klinger, 2007; encadré 7.2). Encadré 7.2: Analyse de l’espace des produits L’analyse de l’espace des produits se base sur l’hypothèse selon laquelle la production des biens nécessite non seulement des machines, de la matière première et de la main-d’œuvre mais également une connaissance spécifique. Une partie de cette connaissance peut être facilement obtenue à travers les manuels, Internet ou en posant la question aux experts, mais l’acquisition de certaines autres connaissances, par exemple, comment faire fonctionner une usine de vêtements coûte de l’argent et du temps et ce type de connaissance est difficile à transférer. Hausmann, Hidalgo, et al. (2011) appellent ce type de connaissances les capacités. La production d’un bien nécessite l’interaction de plusieurs personnes avec différentes capacités. Au fur et à mesure que la complexité du produit augmente, la quantité de compétence pour le produire devient plus grande. Alors que la combinaison de capacités est unique par produit donné, la production de certains autres produits peut nécessiter plus ou moins de capacités similaires. Migrer vers une nouvelle industrie peut être plus facile si les capacités demandées pour produire le bien existent déjà dans le pays. Les entreprises qui prennent le risque d’aller vers de nouveaux produits peuvent rencontrer des difficultés pour trouver toutes les capacités nécessaires. Certaines compétences, telles que la comptabilité ou la gestion des ressources humaines peuvent être trouvées rapidement. Mais d’autres qui sont spécifiques à la production d’un produit particulier peuvent être difficiles à trouver. Certains besoins spécifiques en terme d’infrastructure tels que les systèmes de transport frigorifiés peuvent ne pas être disponibles, certains services de réglementation peuvent être difficiles à obtenir et les capacités de recherche et de développement en rapport avec cette industrie peuvent ne pas exister... Aller vers un nouveau produit peut donc être moins difficile si la plupart des capacités nécessaires pour la production sont déjà disponibles dans le pays. La représentation de base de l’espace des produits est identique pour tous les pays parce que la mesure de la distance entre les produits est calculée en se basant sur les parts des exportations (et le PIB) de tous les pays. L’espace des produits illustre l’existence d’un noyau densément lié et de plusieurs pôles périphériques. Si un pays possède un ACR dans plusieurs produits proches du noyau ou de l’un de ces pôles, le pays détient alors un meilleur potentiel de diversification dans l’avenir. De plus, les produits ayant un plus grand contenu de productivité se trouvent normalement dans le noyau de l’espace des produits (par exemple, l’automobile, la machinerie ou les produits chimiques) et dans le pôle électronique. Il en résulte que le pays possède un plus grand potentiel de diversification dans les produits à forte valeur ajoutée s’il a déjà plusieurs réussites en matière d’exportation de produits proches du noyau densément lié ou du pôle électronique. Hausmann et Klinger (2007) et Hidalgo et al. (2007) estiment que la capacité d’un pays donné à diversifier ses exportations dépend de là où le pays produit dans l’espace des produits. Si un pays produit des biens dans une partie dense de l’espace du produit, le processus de diversification est beaucoup plus facile parce que l’ensemble des capacités acquises peut être facilement redéployé vers d’autres produits proches, et si un pays est spécialisé dans des produits périphériques, le redéploiement est alors plus difficile parce que la distance dans l’espace des capacités est plus grande. Source : Hausmann, Hidalgo, et al. (2011); Hausmann et Klinger (2007); Pour plus d’information, visitez : http://atlas.media.mit.edu/ 244 une politique industrielle pour stimuler la valeur ajoutée et les exportations L’analyse de l’espace-produits se base sur l’hypothèse selon laquelle il serait plus facile pour un pays d’exporter un nouveau produit si les facteurs de production nécessaires sont déjà utilisés dans la production d’autres biens dans ce même pays (Haussmann et Klinger, 2007). L’analyse de l’espace des produits représente cette idée de manière graphique. La distance entre deux produits est mesurée en tant que probabilité conditionnelle qu’un exportateur ayant un avantage comparatif révélé dans un produit X a aussi un ACR dans un produit Y.7 Cette approche se base sur les données empiriques qui prouvent que les pays ont tendance à diversifier leurs produits à travers des produits proches à ceux dans lesquels ils sont déjà spécialisés (pour l’exportation). Fait curieux, il se trouve que les pays spécialisés dans des produits plus “connectés”, dont la production nécessite des capacités qui sont utilisées pour la production d’autres biens sont en mesure d’améliorer leur panier d’exportations plus rapidement. La carte de l’espace-produits tunisien est bien moins développée au niveau du noyau densément lié par rapport aux pays de référence. Lorsque comparée à des pays comme la Turquie, la Thaïlande, la Croatie ou même l’Indonésie, la Tunisie semble être bien moins développée au niveau du noyau densément lié (voir Sahnoun et Schiffbauer, 2012).8 Par rapport à ces pays, la Tunisie possède des parts d’exportation plus faibles sur les marchés mondiaux dans le noyau industriel de l’espace-produits qui inclut des industries avec une valeur ajoutée plus élevée telles que l’électronique, les produits chimiques, la machinerie industrielle (figure 7.1). Etant donné l’avantage potentiel en termes de coût des salaires, les entreprises tunisiennes peuvent avoir un avantage comparatif en s’étendant sur ces marchés. Lorsque l’on examine les changements dans l’espace-produits tunisiens à travers le temps, nous distinguons clairement l’émergence de nouveaux produits dans le pôle des produits électroniques. L’illustration dynamique de l’espace-produits montre les changements de l’ACR des exportations tunisiennes le long de la décennie écoulée dans le contexte de l’espace-produits exportés à l’échelle mondiale (figure 7.1). Le graphique fait la différence entre les quatre différentes catégories d’exportations tunisiennes. D’abord les triangles bleus qui illustrent les produits classiques pour lesquels la Tunisie avait déjà un ACR en 2000 - 02 et aussi en 2007 - 09. Ensuite, les produits en voie de disparition sont représentés sous forme de carrés rouges et montrent les produits pour lesquels la Tunisie avait un ACR en 2000-2002 mais pas en 2007-2009. Puis, les produits émergents qui sont représentés par des diamants verts et montrent les produits pour lesquels la Tunisie avait des ACR en 2007- 2009 mais pas en 2000-2002. Enfin, les produits marginaux qui sont les produits pour lesquels la Tunisie n’a pas encore d’ACR (0.5 1), mais elle est très compétitive pour la viande ovine. Encadré 9.1 : Méthodologie de l'analyse de la compétitivité des produits agricoles en Tunisie, 2000-2008 Une analyse de la compétitivité des produits agricoles en Tunisie a été réalisée en calculant la Matrice d'Analyse Politique (MAP) sur la base des données de 2000, 2004 et 2008 (Banque Mondiale, 2009). Cette analyse permet de mesurer la divergence entre les coûts économiques ou coûts réels de production et les prix internationaux de référence (les prix prévalant dans une situation de parfaite concurrence sans échec ou distorsion de marché). Plus exactement, la MAP est composée de deux types de budgets : l'un évalué aux prix du marché (budget financier) et un autre évalué au coût d'opportunité sociale ou prix économique (budget économique). Les prix de marché sont ceux que les agriculteurs payent (ou reçoivent) alors que les prix économiques reflètent le coût pour l'économie ou la société. Nous pouvons donc calculer la différence entre le budget financier et le budget économique. Au cours du développement du budget, toutes les entrées et les sorties sont classées comme négociables ou non- négociables. Les produits négociables sont ceux qui peuvent être importés ou exportés, et, en théorie, évalués au prix du marché mondial, alors que les biens non-négociables et les facteurs locaux sont ceux qui ne sont habituellement pas négociés sur le marché international. La MAP est utilisée afin de calculer le profit privé (ou profit financier) qui mesure la compétitivité du système de production, et un profit social (ou profit économique) qui mesure l'avantage comparatif. Les produits passés en revue sont : le blé tendre, le blé dur, l’orge, les tomates, les pommes de terre, l’huile d'olive, les pêches, les oranges, le lait, la viande ovine et bovine. De plus l'analyse différentie la productivité sur quatre catégories différentes de taille d'exploitation agricole (< 5 hectares ; de 5 à 10 hectares ; de 10 à 50 hectares ; et > 50 hectares) et trois différentes zones agro-climatiques et agro- écologiques (humides et subhumides ; semi-arides supérieures; et semi-arides inférieures). la révolution inachevée 279 Un indicateur de compétitivité, le coût local des ressources (CLR), a été calculé pour chaque produit : Cet indicateur mesure le ratio du coût social de production (production évaluée aux prix sociaux) au coût de production aux prix des facteurs intérieurs. En pratique, le CLR est calculé en tant que ratio de la valeur des ressources intérieures et intrants non-négociables (terres, main d'œuvre, certains types de capital, et eau) à la valeur ajoutée (définie comme étant la valeur de produit moins le coût des intrants négociables). Le ratio indique si l'utilisation des facteurs intérieurs de production est socialement rentable (CLR <1) ou non (CLR> 1). Donc si le CLR <1 pour un bien donné, il serait moins cher en ressources intérieures de produire localement le bien plutôt que de l'importer (c.-à-d. moins d'un dinar de ressources intérieures est nécessaire afin de produire un dinar de valeur ajoutée) et vice-versa. Tableau B9.1.1 Coût local des resources de production Intérieure Produits 2000 2004 2008 Blé tendre 1.86 3.13 0.9 Blé tendre, irrigué 0.97 n.d. 0.65 Blé dur 1.2 0.96 0.56 Blé dur, irrigué 0.61 n.d. 0.39 Orge 3.14 4.02 1.69 Pommes de terre 0.56 0.5 1.39 Tomates 0.6 0.45 0.66 Oranges 0.83 0.31 1.29 Pêches 0.49 0.49 1.39 Huile d'olive 0.91 0.82 0.36 Bovine intégrée race locale 0.79 2.22 3.65 Bovine, non-intégrée race locale 1.85 2.6 4.57 Bovine, intégrée race pure 1.32 1.75 <0 Bovine, non-intégrée race pure 1.46 2.03 <0 Lait intégrée 0.82 1.23 1.15 Lait non-intégrée 1.06 2.1 1.91 Ovine 0.44 0.65 0.5 Source : Banque Mondiale 2009 (les résultats pour 2000 et 2004 sont basés sur un rapport de IDEACONSULT de 2005). Ces résultats soulignent que le secteur agricole tunisien ne réalise pas son potentiel de croissance, car il se concentre sur des produits pour lesquels il n'est pas compétitif. Inversement, dans les domaines où la Tunisie est compétitive, elle ne capitalise pas sur son avantage. Les produits les plus compétitifs, notamment le blé dur, l'arboriculture (y compris les fruits et l'huile d'olive), les légumes et la pêche, qui représentent 58 pourcent de la production sur les 20 dernières années, contribuent à la croissance du secteur uniquement à hauteur d’environ 46 pourcent, alors que les produits non-compétitifs (céréales, sauf le blé dur, le bœuf, le lait), qui concernent 39 pourcent de la production, contribuent à environ 52 pourcent (tableau 9.1). Un passage en revue rapide des exportations tunisiennes vers l'Union Européenne signale également que le potentiel comparatif des segments de l'arboriculture et des légumes n'est pas complètement exploité. En fait, en 1998 la Tunisie a utilisé environ 55 pourcent de son quota d'exportation d'agrumes (CNEA, 2005b), et ce montant n'était que d'environ 60 pourcent en 2010 et 2011 (tableau 9.2 et figure 9.2); les exportations de mandarines et de clémentines sont virtuellement non-existantes car les exploitations agricoles ne peuvent approvisionner que le marché local. Les exportations d'abricots ont augmenté d'à peine 15 pourcent du quota de l'UE disponible en 1998 à environ 70 et -100 pourcent du quota respectivement en 2010 et 2011. De même, la Tunisie n'a utilisé que 25 pourcent de son quota de tomates en 1998 et n'a utilisé que 50 à 70 pourcent de son quota en 2010 et 2011, respectivement. Similairement pour l'huile d'olive, la Tunisie n'a réussi à exporter qu'environ 20 pourcent de son quota. 280 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur En somme, la Tunisie ne tire pas avantage des opportunités existantes pour l'exportation des produits agricoles vers l'UE. Ceci reflète largement la faiblesse des systèmes de production en Tunisie, qui est en partie le résultat du manque d'action gouvernementale à soutenir ces cultures méditerranéennes, notamment pour l'huile d'olive et les agrumes (encadré 9.2). Pour les produits, tels que les tomates, la faiblesse de l'avantage tiré de ces opportunités d'exportation est également due au fait que les quotas d'importation de l'UE sont soumis à des calendriers spécifiques qui limitent plus leur utilisation. Tableau 9.1 : Contribution de produits individuels à la croissance du secteur agricole Part de la production globale Contribution à la croissance (1990-2010) du secteur (1990-2010) Compétitive Blé dur 10.0 8.0 Arboriculture 27.0 23.5 Horticulture 15.2 15.2 Pêche 5.8 -0.7 Total 58.0 46.0 Non compétitive Céréales (sauf blé dur) 4.2 5.0 Bétail 35.2 46.7 Total 39.4 51.7 Autres produits 2.6 2.3 Source : Calculs des auteurs Figure 9.1 : Prix international d’une sélection de produits agricoles et d’engrais, 2000-2014 1500 1400 1300 1200 1100 1000 900 Blé Tendre Blé Dur 800 Orge 700 Boeuf Oranges 600 Engrais DAP 500 400 300 200 100 0 Janv.-00 Sept.-00 Mai-01 Janv.-02 Sept.-02 Mai-03 Janv.-04 Sept.-04 Mai-05 Janv.-06 Sept.-06 Mai-07 Janv.-08 Sept.-08 Mai-09 Janv.-10 Sept.-10 Mai-11 Janv.-12 Sept.-12 Mai-13 Janv.-14 Source : Indicateur du Développement Mondial (WDI) Remarque : Blé tendre (US), no. 2, blé tendre rouge d'hiver, prix à l'exportation livré aux ports du Golfe des Etats-Unis pour expédition immédiate ou à 30 jours USD par tonne; Blé Dur, No.1 Blé de Force Rouge d'Hiver, protéine ordinaire, FOB Golfe du Mexique, USD par tonne; Orge, Canadien no.1 Orge de l'Ouest, prix spot, USD par tonne; Bœuf, fores maigres Australiennes et Néo-zélandaises 85%, Prix avec coût, assurance et fret ( CIF) en US, Cents US la livre; Oranges, divers oranges prix caf à l'importation France, USD par tonne; DAP (phosphate diammonique), taille standard, vrac, spot, FOB aux ports du Golfe des Etats-Unis USD par tonne. la révolution inachevée 281 Plus généralement le potentiel d'augmenter la quantité et la valeur Figure 9.2 : Exports vers l'UE de produits choisis en %age du quota, en 2010 et 2011 des exportations d'huile d'olive dans le monde demeure non-exploité. La 120 Tunisie est le deuxième plus grand 100 exportateur d'huile d'olive en termes de volumes dans le monde, et l'huile d'olive Millions de Tonnes 80 Huile d’Olive (conditionnée) constituaient environ 5.5 pourcent Tomates 60 Agrumes des exportations totales de la Tunisie Abricots 40 Amandes en 2010. En dépit d'un clair avantage comparatif pour la production d'huile 20 d'olive étant donné sa haute qualité 0 et ses faibles coûts de production, la 2010 2011 production de la Tunisie a stagné au cours des 12 dernières années alors que Source : Ministère de l'Agriculture et des Ressources Hydriques la demande dans le monde augmente de manière continue (encadré 9.2). Encadré 9.2: Fort potentiel non-exploité d'exportation d'huile d'olive et d'agrumes Les prix de l'huile d'olive dépendent de la qualité. L’huile d'olive vierge est la meilleure qualité d'huile d'olive et représente plus de 70 pourcent du marché international. Néanmoins, les exportations tunisiennes d'huile se composent essentiellement de la plus faible qualité d'huile d'olive vierge. Ce faible taux est le résultat de divers facteurs tels que (a) récolte, méthodes de stockage et de transport inappropriées ; (b) un long cycle de récolte et de stockage ; et (c) équipement d'extraction obsolète. La majorité (plus de 90 pourcent) de l'huile d'olive tunisienne est encore commercialisée sans marque et en vrac. Plusieurs facteurs entravent les investissements productifs dans le secteur de l'huile d'olive tunisien : La variabilité en termes de production est élevée et les retours sont faibles en Tunisie essentiellement en raison de techniques anciennes de production — il a été estimé que la mécanisation pourrait augmenter les retours de 20 pourcent (Banque Mondiale 2008a). Il y a également un manque de normes locales et de normes de qualité claires, ce qui n'aide pas le processus de création d'une marque de qualité et de ciblage de marchés haut de gamme. Alors qu'il existe plusieurs d’appellation d'origine contrôlées en Grèce, en Italie et en Espagne, les producteurs tunisiens d'huile d'olive commencent à peine à développer les appellations d'origine et les labels de qualité. Par ailleurs, l'Office National de l'Huile, ONH, entrave l'action des exportateurs tunisiens car c'est lui qui établit le prix, contrôle l'accès aux quotas de l'UE (attribuant une partie du quota à des opérateurs privés à travers des procédures qui ne sont pas publiques), et en même temps, il monopolise le contrôle de qualité. Il a également parfois interdit l'exportation pendant les périodes de baisse de l'offre et de prix élevés à l'international — entrainant d'importantes pertes aux investisseurs privés. De plus, plusieurs producteurs d'olives ont des difficultés d'accès au financement en partie car il s'agit d'un investissement à long terme (il faut plusieurs années avant que les oliviers ne commencent à produire des olives). Les exportateurs du secteur privé sont convaincus qu'il existe un potentiel important à l'augmentation des exportations d'huile d'olive en ciblant les marchés émergents, tels que la Chine, l'Inde ou la Fédération de Russie , en améliorant l'emballage et le marketing (par exemple en utilisant un label d'origine et de qualité), créant un label d'agriculture bio, et peut-être par la promotion des coopératives. Néanmoins, même si le secteur d'huile d'olive offrirait également une opportunité d'augmenter la demande de main-d'œuvre dans les régions intérieures de la Tunisie, les réformes nécessaires pour booster la performance du secteur semblent avoir stagné depuis des décennies. La production des agrumes a stagné depuis plus d'une décennie et la demande intérieure en croissance absorbe plus de 90 pourcent de la production locale. Les exportations actuelles d'agrumes vers l'UE 282 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur se chiffrent à 24 000 tonnes et représentent uniquement 60 pourcent du quota préférentiel du pays. En vue de tirer avantage de cette opportunité, la Tunisie doit augmenter la quantité et la qualité de la production. Les agrumes tunisiens sont considérés comme étant de qualité "moyenne". De nombreuses exploitations d'agrumes sont anciennes et non productives. La conversion des anciennes exploitations en exploitations jeunes et plus productives est lente. Les rendements sont bas et les fruits sont trop petits pour en tirer de bons prix. La négligence de la récolte endommage les fruits. Les fruits qui sont récoltés sur l'arbre et ceux qui sont ramassés au sol sont souvent mélangés ensemble. Plus d'efforts doivent donc être déployés dans la recherche appliquée et le service d'extension afin de développer des récoltes et des techniques post-récolte appropriées qui assurent une haute qualité de fruits pour l'exportation. Ces techniques doivent être développées pour toutes les étapes de la chaine de distribution et doivent être faciles à mettre en œuvre par les producteurs d'agrumes, les centres de traitement des fruits et les commerçants. En dépit de la libéralisation des prix, les marges commerciales sont encore régies par un décret de 1988 qui stipule que les marges commerciales doivent être établies sur la base des prix d'achat officiels. Les producteurs et les ramasseurs de fruits sont tenus de vendre leur production au marché de gros officiel, et les distributeurs de fruits doivent acheter leurs marchandises sur le même marché. La marge commerciale autorisée est réduite, encourageant les distributeurs à éviter le marché de gros formel et à acheter directement les fruits auprès des producteurs ou ramasseurs locaux. Cette tendance est associée à des pratiques qui endommagent la qualité lorsque les fruits de tous les niveaux de qualité et de toutes tailles sont mélangés et vendus pêle-mêle sans tenir compte de la taille ou de la différentiation de qualité. Tableau 9.2 : Exportations vers l'UE de produits choisis sous quota, 2010 et 2011 Tonnes %age du Quota de l'UE 2010 2011 UE Quota 2010 2011 Agrumes 24580 23610 39355 62 60 Abricots 1522 2337 2240 68 104 Amandes 1384 1330 1120 124 119 Tomates 9820 13384 18816 52 71 Huile d'olive (conditionnée) 10877 12035 56000 19 21 Source : Ministère de l'Agriculture et des Ressources Hydriques 9.2 / Une politique agricole de distorsion, coûteuse et injuste L a concentration des agriculteurs sur des produits pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive est le résultat direct des politiques agricoles actuelles. En fait une grande partie de la croissance de l'agriculture a été motivée par les subventions et la protection du commerce de produits pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive. La production agricole a augmenté de 67 pourcent (en valeur) au cours de la période de 1990-2010, mais près d'un tiers (17 pourcent de la valeur) découle de la viande bovine et du lait, pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive. En d'autres termes, une grande partie de la croissance de l'agriculture découle du soutien fourni au secteur agricole (subventions aux intrants, soutien aux prix du marché, et protection commerciale) qui a artificiellement gonflé la croissance du secteur, mais avec une perte nette pour le pays (voir ci-dessous). Cette politique de soutien offre à l'agriculture un transfert de ressources qui est supporté par les contribuables, les consommateurs et le reste de l'économie. De plus le montant payé par les contribuables, les consommateurs et les autres secteurs de l'économie est plus important que les avantages reçus par le secteur agricole, ce qui implique une perte nette pour le pays. la révolution inachevée 283 La concentration des agriculteurs sur des produits pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive est le résultat direct des politiques agricoles actuelles. En fait une grande partie de la croissance de l'agriculture a été motivée par les subventions et la protection du commerce de produits pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive. La production agricole a augmenté de 67 pourcent (en valeur) au cours de la période de 1990-2010, mais près d'un tiers (17 pourcent de la valeur) découle de la viande bovine et du lait, pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive. En d'autres termes, une grande partie de la croissance de l'agriculture découle du soutien fourni au secteur agricole (subventions aux intrants, soutien aux prix du marché, et protection commerciale) qui a artificiellement gonflé la croissance du secteur, mais avec une perte nette pour le pays (voir ci-dessous). Cette politique de soutien offre à l'agriculture un transfert de ressources qui est supporté par les contribuables, les consommateurs et le reste de l'économie. De plus le montant payé par les contribuables, les consommateurs et les autres secteurs de l'économie est plus important que les avantages reçus par le secteur agricole, ce qui implique une perte nette pour le pays. La politique agricole tunisienne vise à assurer la sécurité alimentaire, protéger les revenus des agriculteurs et soutenir l'activité économique dans les régions de l'intérieur en offrant des subventions aux intrants, des prix garantis, une protection commerciale, et autres interventions ad hoc. Nous passons ci-dessous brièvement en revue les principales caractéristiques de chacun de ces instruments (tableau 9.3). • Le soutien des prix du marché est important, et représente plus de 30 pourcent des transferts budgétaires totaux à l'agriculture au cours de ces dernières années. Le volume du soutien des prix pour chaque produit varie d'une année à l'autre selon les mouvements des prix internationaux. Le soutien des prix du marché est apporté essentiellement à travers la mise en œuvre d'un prix minimum garanti pour les producteurs de céréales et les interventions à l'achat offertes par les offices de commerce de l'Etat pour le lait, la betterave à sucre et le tabac.3 Le niveau de prix garantis est annuellement déterminé par les offices du commerce concernés, prenant en compte les prix internationaux, les coûts de production et la situation du marché national. Le soutien des prix du marché est particulièrement important pour le secteur du lait, qui représente plus de 50 pourcent des dépenses au soutien des prix du marché au cours des dernières années. Les céréales (blé tendre, blé dur et orge) représentent un tiers des dépenses au soutien des prix du marché. • Les politiques tunisiennes commerciales agricoles génèrent des droits de douane et des quotas sur les importations de produits agricoles. Globalement l'impact de la dynamique internationale de libéralisation des échanges agricoles (et notamment les négociations commerciales de l'Uruguay Round de 1994) a eu un impact limité au niveau de la protection et du commerce en Tunisie. Les produits agricoles continuent à être soumis à des droits de douane bien plus élevés par rapport aux normes internationales et la pénétration par les importations, des marchés intérieurs de produits alimentaires est bien inférieure à celle du secteur industriel. En général, la protection tarifaire pour les produits agricoles dépasse de loin celle d'autres produits. La moyenne simple de « la nation la plus favorisée » (NPF) appliquée aux produits agroalimentaires est de 24.6 pourcent (par rapport à 16.5 pourcent pour tous les produits), avec un taux maximum de 36 pourcent. Les "Prix Record" (ceux au-dessus de 15 pourcent, selon la définition de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) représentent environ 60.5 pourcent des lignes tarifaires agricoles, par rapport à 32.5 pourcent pour les produits non-agricoles. Parmi les catégories de produits agricoles, les tarifs généraux les plus élevés (environ 32 pourcent) sont pour les produits animaux, les produits laitiers, et également les fruits et légumes. En plus des droits ad valorem, la Tunisie applique également des "quotas tarifaires" (une combinaison de quotas et de droits de douane si ces droits augmentent lorsque les importations dépassent un volume spécifié). 284 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur • Les subventions aux intrants (telles que les semences améliorées, les semences fourragères, l'énergie, l'eau d'irrigation, etc.) jouent également un rôle important et représentent environ 20 à 25 pourcent des transferts budgétaires totaux au cours de ces dernières années. En 2008-2009, la part la plus importante a été attribuée aux subventions aux carburants (environ 40 pourcent du total des subventions aux intrants), aux primes à la collecte de lait (environ 40 pourcent), et aux subventions à l'irrigation (environ 18 pourcent). Les subventions aux engrais ont été supprimées en 1991. • En plus des offices de commerce, de la protection commerciale, et des subventions aux intrants, l'Etat intervient de manière avancée dans le secteur agricole en orientant les activités des agriculteurs et des distributeurs privés. Par exemple, l'Etat contrôle les marges des commerçants au détail de plusieurs produits, met la pression sur les grossistes afin de maintenir leurs prix bas, les importations lorsque les prix augmentent (y compris pour les produits comme les légumes pour lesquels il n'y a pas de prix garantis), paie des primes de qualité inadéquates pour les céréales et plafonne les prix des produits alimentaires transformés. Alors que l'intention est de stabiliser les marchés et de soutenir les revenus des agriculteurs, en fait toutes ces interventions créent des distorsions aux systèmes de distribution et réduisent l'efficacité de l'attribution des ressources, entravant ainsi la performance du secteur agricole. Le coût total du soutien à l'agriculture en Tunisie est élevé. En plus des coûts budgétaires qui sont supportés par les contribuables, il y a également des coûts directs aux consommateurs qui doivent payer des prix plus élevés pour les produits alimentaires.4 Par ailleurs, la distribution de ces avantages (c’est à dire les transferts pour soutenir la production agricole) est régressive à la fois géographiquement et en termes de richesse des ménages des bénéficiaires. Les interventions de prix faussent également la production et le commerce en générant des pertes d'efficacité qui sont supportées par le reste de l'économie. Enfin, la machine bureaucratique nécessaire à la gestion de cet ensemble d'interventions pose également un défi pour les agriculteurs. Nous avons examiné chacun de ces éléments ci-dessous. Transferts budgétaires : Les mesures de soutien à l'agriculture (subventions aux prix et aux intrants) sont coûteuses. Les coûts budgétaires directs de ces politiques ont atteint environ 0.8 pourcent du PIB en 2010 (ou TND 350 millions), ce qui représente un fardeau important pour les contribuables. Ces transferts budgétaires se sont considérablement développés au cours des années 2000, essentiellement en raison des dépenses encourues par le soutien des prix du marché et les subventions aux intrants. Ainsi, alors que la Tunisie s'est engagée (dans le cadre des négociations commerciales de l'Uruguay Round de 1994) à réduire la masse globale de soutien intérieur (entre 76 millions et 66 millions dollars), en fait les dépenses budgétaires du soutien à l'agriculture n'ont cessé d'augmenter (tableau 9.3 et figure 9.3). De plus, la composition des transferts budgétaires au secteur agricole montre un passage du type de soutien des mesures horizontales vers des mesures causant plus de distorsion. Entre 2000 et 2009, la part du soutien des prix du marché et des subventions aux intrants a augmenté de 31 à 53 pourcent alors que celle de l'aide à l'investissement (fonds budgétaires pour soutenir les petits agriculteurs et les subventions à l'investissement accordées dans le cadre du Code d'Incitation aux Investissementsw et visant les projets intégrés) et celles visant les services généraux ont en fait baissé (soutien à la recherche et au développement, préservation de l'environnement naturel à travers le travail du sol et des forêts et la lutte contre certaines maladies à travers des campagnes de vaccination et de traitement) (tableau 9.3 et figure 9.1). Cette tendance est à l'encontre des engagements pris par la Tunisie par rapport à l'OMC de s'éloigner des mesures perturbatrices. Ces observations concernant le coût total et la forme de soutien budgétaire au secteur agricole soulignent le besoin de supprimer progressivement les prix administrés (prix garantis et subventions aux intrants) et les remplacer par des aides directes aux revenus (qui ne varient pas des prix internationaux). Ce type de réforme serait en accord avec les changements vers la Politique Commune Agricole de l'UE depuis la moitié des années 1990. la révolution inachevée 285 Table 9.3 : Composition des transferts budgétaires au secteur agricole (en millions de TND) 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Soutien des prix et régulation du marché 20 10.4 27.3 25.2 20.7 19.5 26.4 49.8 79.9 116.7 Subventions pour l'achat des intrants 44.9 49.9 50.9 55.6 57.7 61.9 57.3 57.3 59.2 73.4 Aide à l'investissement 77 96.1 101 94.6 97.8 99 97 100 103 105 Services Généraux 62.6 52.1 50.5 47.1 50.9 52.2 50.9 52 53.3 55.5 Soutien total 204.5 208.5 229.7 222.5 227.1 232.6 231.6 259.1 295.4 350.6 Source :OMC (soutien interne) et Ministère de l'Agriculture et des Ressources Hydriques. Coûts aux consommateurs : En plus des coûts Figure 9.3 : Composition des transferts budgétaires au budgétaires, les consommateurs supportent secteur agricole en Tunisie, 2000-2009 également un coût financier significatif en Services Généraux conséquence des politiques agricoles actuelles. Assistance à l’investissement Subventions pour l’achat d’intrants En fait la protection aux frontières augmente les en% Soutien des prix et réglementation des marchés prix au départ de l'exploitation et réduit le bien- 100 être du consommateur. Les consommateurs sont %age des dépenses du budget agri- obligés de payer des prix bien supérieurs par 80 rapport aux prix du marché mondial. Ces montants supplémentaires affectent particulièrement 60 les personnes à faibles revenus, qui tendent à dépenser une part supérieure de leurs revenus cole 40 sur les achats de produits alimentaires. A travers un modèle d’équilibre général calculable (EGC) 20 s'appliquant à l'ensemble de l'économie, la Banque Mondiale estime que l'effet net de la 0 protection commerciale des produits agricoles est 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 équivalent à une perte d'environ quatre pourcent Source : OMC (soutien interne) et Ministère de l'Agriculture et des Ressources des dépenses au consommateur si les achats du Hydriques. consommateur demeurent constants, et environ 5.6 pourcent si les consommateurs réajustent leurs dépenses en réaction aux changements des prix relatifs (tableau 9.4) (pour une discussion complète du modèle et ces résultats voir Banque Mondiale 2006).5 Coût des subventions alimentaires : En outre, en plus des transferts directs au secteur agricole, l'Etat soutient également l'agriculture en fournissant des subventions à la consommation pour les produits alimentaires clés. En 2009, le coût budgétaire des subventions alimentaires était d'environ 1.5 pourcent du PIB, et ce montant a grimpé à plus de trois pourcent du PIB en 2012 (tableau 9.3). Ce coût doit être comparé au poids de l'agriculture dans l'activité économique, qui est relativement limité avec huit pourcent du PIB. Pertes d'efficacité supportées par le reste de l'économie : En utilisant le modèle EGC de l'économie tunisienne, la Banque Mondiale a estimé que l'élimination des barrières tarifaires sur les produits agricoles augmenterait le PIB d'environ 0.8 pourcent (l'agriculture perdrait 1.4 pourcent du PIB mais le reste de l'économie augmenterait de 2.2 pourcent du PIB) et produirait un gain total d'environ TND 286 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur 7.1 milliards sur 25 ans (tableau 9.4 ; Banque Mondiale 2006).6 Cependant, l'élimination des barrières tarifaires sur les produits agricoles entrainerait également une perte d'environ 87 000 emplois dans l'agriculture qui devraient être absorbés par d'autres secteurs. La moitié des avantages estimés par les simulations serait générée par la libéralisation des récoltes arables, essentiellement les céréales — qui a un impact limité en termes d'emploi (près de 9 000 emplois) car les récoltes arables utilisent peu de main d'œuvre. Dans ce cadre, il est estimé que le coût annuel de protection de l'emploi dans le secteur des céréales est de quatre fois le revenu national par habitant. Ainsi, les coûts économiques globaux de protection du secteur agricole sont évidents. La protection de l'agriculture encourage les producteurs à maintenir plus de ressources dans l'agriculture et empêche celles-ci d'être allouées à d'autres secteurs (industrie et services), même si elles peuvent être utilisées de manière plus productive dans ces autres secteurs.7 Alors que l'apport d'un soutien au secteur agricole pourrait être le résultat d'un choix légitime de la société tunisienne (par exemple, assurer la sécurité alimentaire, protéger les revenus des agriculteurs et soutenir l'activité économique dans les régions de l'intérieur), il apparait que ces politiques ne réalisent pas leurs objectifs. Des pertes d'efficacité supportées par le secteur agricole, essentiellement dans les régions intérieures : La situation biaisée introduite par la protection de produits agricoles sélectionnés entraîne une réallocation de capital et de main d'œuvre vers ces produits surprotégés au détriment de produits alternatifs pour lesquels les exportations tunisiennes ont un avantage comparatif, introduisant ainsi une situation biaisée anti-exportation. La libéralisation agricole peut entrainer des gains significatifs de la production pour certains agriculteurs. Utilisant un modèle de programmation linéaire (qui prend en compte des méthodes d'exploitation et la rentabilité selon le type d’exploitation), la Banque Mondiale estime que près de 70 pourcent des fermes tireraient avantage de la suppression des distorsions de prix dans le secteur agricole (tableau 9.5). De plus, les résultats du modèle de programmation linéaire soulignent que les fermes "qui gagnent" dans les zones les plus sèches du Centre et du Sud produisent des moutons, des olives, des fruits et des légumes. Les sous-secteurs "qui gagnent" (essentiellement l'élevage, l'arboriculture et l'horticulture), qui sont des secteurs à forte activité d'échange, représentent dans l'ensemble environ 60 pourcent de la main d'œuvre agricole et sont répartis géographiquement — profitant ainsi aux régions intérieures du pays. En fait les fermes qui souffriraient de la libéralisation sont généralement celles qui produisent les céréales dans les régions les plus humides du Nord et du Nord-Ouest du pays. Tableau 9.4 : Effets de la libéralisation du commerce des produits agricoles sur l'économie dans son ensemble Variables et paramètres Scénario de base Scénario de libéralisation totale Avec Sans les subventions les subventions agricoles de l'UE agricoles de l'UE Croissance économique (% par année au cours de l'année suivant la libéralisation) 5.7 6.5 6.2 Main d'œuvre agricole (% de population employée) 20.2 17.4 18.3 Main d'œuvre transférée à d'autres secteurs (en milliers d'emplois) - 87 67 Coûts d'ajustement (million TND jusqu'à 2025) - 984 874 Gains d'ajustement (million TND jusqu'à 2025) - 7107 4441 Source : Simulations de modèle EGC, Banque Mondiale (2006) la révolution inachevée 287 Tableau 9.5 : Gagnants et Perdants d'une réforme des politiques agricoles en Tunisie Changement % du total % des de la marge des zones Type Exploitation brute Exploitations arables d’Exploitation Exploitations profitant de la libéralisation Gain de 55 à 294% 41 30 Huile d'olive, Horticulture Hors Saison (Gabès) Agrumes (Nabeul) Exploitations dont la rentabilité serait plus ou Gain de 47% 42 41 moins la même Arboriculture et élevage ovin (Centre et Sud) Exploitations irriguées Exploitations souffrant de la libéralisation Perte de 1 à 79% 16 30 Exploitations céréalières (Nord et Nord-Ouest) Source : Résultats de la modélisation de Programmation Linéaire, Banque Mondiale (2006) Encadré 9.3: Savoir-faire mais pas de soutien – Les agriculteurs Tunisiens luttent afin de grimper dans la chaîne de valeur SOUK ESSEBT, Jendouba --Hassen Abidi froisse un épi de blé qui semble malade dans sa main. Il n'a pas besoin d'un ingénieur agronome pour lui dire qu'il est infecté par une maladie fongique connue des agriculteurs locaux sous l'appellation septoriose. "J'en sais plus sur l'agriculture que n'importe quel docteur en sait sur la médicine. Mais je suis au bout du rouleau avec cette histoire, " dit-il. "Parfois, je me demande pourquoi je continue à planter." Cette année ses associés et lui n'avaient pas d'argent pour les pesticides pour le blé, ni pour réparer la pompe cassée qui fait partie d'un système d'irrigation vieillissant. Pour leurs melons et tomates, ils devront amener de l'eau par camion-citerne à une certaine distance. Cela fait deux ans qu'ils louent ces 37 acres (15 hectares) auprès de personnes des environs, sur simple accord verbal. A 1 000 dinars à l'hectare, ils doivent arriver à collecter 15 000 dinars (environ 6,750 euros) par an pour le loyer. Leur entreprise à petit volume est au bord de la faillite. Cette année, les semis de tomate ont été payés à crédit par une entreprise produisant du concentré de tomates, qui prête également les machines agricoles et fournira des pesticides à crédit pour les tomates. Mais les marges des producteurs dégagent peu de cash pour d'autres dépenses, dit M. Abidi. Même le plastique pour couvrir les melons a été une dépense importante. Les économistes agricoles estiment que les agriculteurs comme M. Abidi pourraient tirer profit du passage à des produits haut de gamme tels que les tomates séchées ou les légumes certifiés bios, qui représentent une forte demande sur les tables européennes. Pour cela, cependant, M. Abidi aurait besoin de conseils concernant les goûts changeants des consommateurs européens. "Nous savons cultiver les choses. Nous sommes prêts à travailler jour et nuit. Ce qui nous manque c'est le soutien," dit-il. Dans le centre de la Tunisie, à 40 miles (65 km) du port de Sfax, Mohamed Messaoudi sait que les olives, les raisins de table sans pépin, et les variétés précoces de pêches sont de haute qualité. Une partie de ses cultures a déjà été certifiée biologique. L'huile d'olive qu'il produit dans son pressoir de fabrication italienne est vendue en vrac soit à l'Office National de l'Huile, ONH, ou à un exportateur à Sfax – dont la gamme comprend de l'huile extra-vierge infusée au citron, du basilic et de l'ail. 288 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur M. Messaoudi veut ajouter une partie de cette valeur lui-même, ici dans les champs. Et il sait qu'en dépit de la qualité reconnue de son huile d'olive la Tunisie n'utilise que 20 pourcent de son quota d'exportation à l'Union Européenne. Depuis plus d'un an il cherche un prêteur pour les 600 000 dinars (270 000 euros) nécessaires pour établir une unité de mise en bouteille et de marketing qui lui permettrait d'exporter directement. Les crédits bancaires à des taux abordable ne sont pas disponibles. Il prévoit également d'investir dans l'emballage de ses fruits et légumes : "J'ai beaucoup de contacts, en Libye et en Algérie. Ils sont prêts à me prendre mes produits mais ils doivent être bien emballés." Entre temps, il passe ses nuits à gérer son entreprise à partir du Publinet de Regueb. Même à quelques kilomètres de la ville, les connexions internet sont trop lentes et sporadiques pour permettre un bon travail. Interviews avec Hassen Abidi, près de Souk Essebt (Région de Jendouba, au Nord-Ouest de la Tunisie) et avec Mohamed Messaoudi, près de Regueb (Centre de la Tunisie), Avril 2014. Impact régressif des interventions : Enfin, contrairement à la croyance répandue, la politique agricole ne favorise pas les petites exploitations familiales, mais profite essentiellement à quelques grands propriétaires (produisant du blé, du lait et du bœuf), qui sont souvent les plus prospères, car la plus grande partie du soutien est fournie sur la base de la production et la taille d'exploitation agricole. Ainsi, la distribution des avantages des subventions agricoles existantes est largement inéquitable. Ainsi, contrairement à une croyance très répandue en Tunisie, les politiques agricoles actuelles sont également incapables de remplir un rôle social positif. Enfin, le coût le plus important, peut-être, des politiques agricoles actuelles est qu'elles détournent l'attention des produits pour lesquels la Tunisie peut être compétitive. Les politiques actuelles sont fortement ciblées vers le soutien aux produits continentaux (c’est-à-dire. qu'elles sont fortement ciblées vers le soutien aux céréales, au lait et au bœuf), imposant implicitement une discrimination contre les produits méditerranéens. En outre, l'ensemble actuel de politiques porte sur les mécanismes de soutien des prix, les offices de commerce et les barrières commerciales, et, par conséquent, une attention insuffisante est accordée à des problèmes transversaux, particulièrement ceux qui affectent les cultures méditerranéennes pour lesquelles la Tunisie peut être compétitive. Les producteurs agricoles qui sont actifs sur des filières (secteurs) prometteuses (par exemple, fruits séchés, huile d'olive, fruits et légumes), principalement dans les régions de l'intérieur, reçoivent souvent peu ou pas de soutien des politiques agricoles, et ont beaucoup de difficulté à accéder au financement, à accéder aux intrants, à avoir accès à l'information ou aux conseils sur les questions agronomiques, et sur le marketing et l'exportation de leur produit (encadré 9.3). Une meilleure approche serait de concentrer l'intervention du gouvernement sur les politiques horizontales qui ne favorisent pas une culture au détriment d'une autre, mais soutiennent les agriculteurs en améliorant l'accès au financement et la gestion du risque, l'accès à des intrants de qualité, les services de développement, et le marketing de leurs produits. 9.3 / Distinguer la sécurité alimentaire de l'autosuffisance alimentaire8 L es distorsions, les coûts et l'iniquité des politiques agricoles en Tunisie sont souvent justifiés par le besoin de la Tunisie d'assurer sa sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire est en fait une priorité essentielle qui ne peut être compromise. La crise des prix des produits alimentaires de 2007- 2008 a fait réfléchir les gouvernements du monde à la sécurité alimentaire de leurs pays, et leur vulnérabilité aux mouvements des marchés céréaliers. la révolution inachevée 289 Néanmoins, la sécurité alimentaire ne nécessite pas la réalisation de l’autosuffisance alimentaire. Il existe une panoplie d’options pour assurer la sécurité alimentaire des tunisiens en moment de crise (Banque Mondiale 2008d, Banque Mondiale, FAO et IFAD 2009; Syroka et Nucifora 2010; Wright et Cafiero 2011).9 Reconnaissant la non-fiabilité des importations, les pays vulnérables font face à plusieurs options : (i) œuvrer à l'autosuffisance en développant les approvisionnements céréaliers nationaux, (ii) acquérir des terres étrangères afin d'assurer l'approvisionnement de la consommation nationale, (iii) réduire le risques commerciaux à travers une meilleure coordination et intégration régionales, et/ou (iv) investir dans des réserves stratégiques (matérielles et virtuelles) .En décidant des meilleures politiques à adopter, chaque pays doit envisager soigneusement les avantages et les inconvénients des différentes options de politique.10 Les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord placent, traditionnellement, l’autosuffisance alimentaire au cœur de leur stratégie de sécurité alimentaire. Dans l’avenir, les pays arabes peuvent prendre des mesures pour développer la production alimentaire locale même avec les contraintes imposées par le manque d’eau et de terre (Banque Mondiale, FAO et IFAD (2009). Cette approche nécessiterait l’amélioration de la productivité agricole à travers des investissements dans la recherche et le développement. Une meilleure technologie permettrait de revigorer les cultures céréalières, qui représentent actuellement la moitié de la moyenne des cultures à travers le monde. Il sera également primordial de mieux gérer les eaux dans le processus d’augmentation de la productivité agricole. La plupart des pays MENA n'ont, toutefois, aucun avantage comparatif à étendre la production de céréales, étant données les ressources limitées en eau. Mais étant donné les conditions agro- climatiques défavorables, assurer l’autosuffisance alimentaire risque de coûter très cher. L'Arabie Saoudite a reconnu la folie de produire des céréales à un coût cinq fois supérieur des prix prévalant dans le monde, épuisant les rares ressources d'eau fossile et agrandissant la salinité. La Tunisie et d'autres pays MENA autour de la Méditerranée ont un meilleur potentiel agricole. Cependant, comme discuté ci-dessus, l'avantage comparatif agricole de la Tunisie réside dans les produits méditerranéens et non dans la production de blé tendre. A la limite, il serait mieux d'avoir recours à des stocks plus importants plutôt que l'expansion de production des céréales afin d'assurer la sécurité alimentaire. Pratiquement, la Tunisie (et autres pays arabes) vont devoir continuer à recourir à l’importation pour couvrir une grande partie de leur consommation en céréales même s’ils en produisent un peu. Il existe un équilibre complexe entre les avantages et les sacrifices lorsqu’il s’agit d’importer moins de céréales ou d’obtenir plus de bénéfices à l’exportation de produits agricoles pour les utiliser à l’importation.11 Les compromis entre ces deux options doivent être soigneusement évalués lors de la conception de la politique hydraulique qui va façonner le choix de production. Ce compromis est propre à chaque pays selon ses besoins en produits alimentaires et son potentiel agricole. Du moment où les données de séries chronologiques nécessaires sur les surfaces plantées et les cultures sont disponibles, un modèle d’optimisation peut être utilisé pour évaluer le compromis (Banque Mondiale, 2007b). La possibilité d'acheter les terres à l'étranger afin de cultiver les céréales pour la consommation intérieure implique des risques inhérents au moment d'une crise. Il est improbable que l'investissement dans les terres étrangères pour la production des céréales puisse résoudre le problème de la non- fiabilité de l'accès aux importations en cas d'urgence, qui se manifeste dans les actions de nombreux exportateurs d'interdire les exportations des produits alimentaires au cours de la récente hausse des prix des produits alimentaires. L'acquisition de terres étrangères laisse l'approvisionnement en produits alimentaires exposé à un risque souverain et d'autres problèmes de chaine d'approvisionnement hors du contrôle de l'importateur. L'augmentation des réserves de céréales figurait de manière proéminente dans les discussions internationales en tant que mécanisme de sécurité. L'accumulation de stocks à utiliser en cas de 290 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur resserrement des marchés mondiaux peut être une stratégie plus efficace et moins chère que de tenter l'autosuffisance céréalière en élargissant la production intérieure des céréales.12 Une réserve alimentaire nationale (ou régionale) serait donc un élément essentiel d'une politique de sécurité nationale prudente pour plusieurs pays MENA. La question clé, donc, est celle de la taille de la réserve. La réponse doit dépendre de faits comme la diversité de l'approvisionnement en produits alimentaires, la fiabilité des fournisseurs habituels, et le coût du programme. Ces stocks mobilisent du capital pendant des intervalles de temps importants entre les libérations et peuvent être coûteux à maintenir (les stocks sont gérés "en rotation" sans libération nette, tel que nécessaire pour maintenir la qualité). Leur gestion efficace utilise également un capital humain rare, et les tentations de corruption peuvent facilement se présenter. Une "réserve virtuelle de céréales" implique également certains risques à l'action du pays hôte et la fiabilité des trajets d'approvisionnement. Une "réserve virtuelle de céréales" fait référence à la possibilité d'avoir accès à un stock de céréales à travers des contrats à terme et des options sur les produits de base. Les contrats à terme éliminent le risque de contrepartie par rapport à la performance des contrats à terme, y compris la livraison à un point désigné. Cependant, la plupart des pays ne voient pas les marchés à terme internationaux comme étant des substituts fiables à l'accumulation locale de stocks. Ceci est facile à comprendre pour les pays enclavés qui dépendent de l'infrastructure de transport des pays avoisinants, et sont sujets à la fermeture des routes commerciales vitales lorsqu'elles sont le plus utiles. Plus généralement, le gouvernement a une crainte peut-être peur infondée que les marchés à terme pourraient fermer ou interdire les exportations du pays hôte pendant une crise grave, et ne représentent donc pas une alternative sûre au fait d'avoir déjà des produits alimentaires disponibles dans le pays. En pratique donc une réserve virtuelle serait plus probablement utile comme complément à la réserve physique. En somme, la sécurité alimentaire n'est pas synonyme d'autosuffisance. Il existe un ensemble d'options afin d'assurer la sécurité alimentaire des tunisiens au moment d'une crise possible. (Banque Mondiale 2008d, Banque Mondiale, FAO et IFAD 2009 ; Syroka et Nucifora 2010; Wright et Cafiero 2011). Compte tenu des problèmes des politiques agricoles discutés au présent chapitre, les tunisiens doivent envisager soigneusement des alternatives possibles afin d'assurer la sécurité alimentaire, qui soient rentables et n'entravent pas le développement de leur secteur agricole. 9.4 / Calendrier des réformes : Libérer le potentiel du secteur agricole L a Tunisie a un important potentiel dans la production de nombreux produits agricoles méditerranéens, notamment le blé dur, l'huile d'olive, les fruits, les légumes et la pêche, mais ses politiques agricoles ne lui permettent pas d'atteindre ce potentiel. Les politiques agricoles actuelles ciblent la sécurité alimentaire, en visant l'autosuffisance de la production de produits alimentaires. Cet objectif, cependant, est atteint au détriment du soutien de la performance du secteur agricole, car cela concentre la production sur les produits continentaux qui sont essentiels à la sécurité alimentaire (blé, lait et bœuf) mais pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive. En vue de libérer le potentiel de l'agriculture et renforcer sa compétitivité, une réforme majeure des politiques agricoles doit être mise en œuvre. Comme discuté dans la section précédente, une condition préalable est de décider d'une politique de sécurité alimentaire qui n'entrave pas le secteur agricole. Une fois que la politique de sécurité alimentaire a été séparée, alors la réforme de la politique agricole doit suivre cinq priorités parallèles: (a) supprimer progressivement le soutien aux prix et aux subventions aux intrants et les remplacer avec un système de soutien direct aux revenus qui crée le moins de distorsions; (b) progressivement mettre fin à l'intervention directe de l'état la révolution inachevée 291 sur la distribution des produits agricoles; (c) mettre en œuvre des programmes ciblés d'assistance sociale afin d'aider directement les citoyens pauvres et vulnérables (et non à travers le soutien à l'agriculture); (d) investir de manière importante et améliorer l'infrastructure légère et lourde et les services au secteur agricole, notamment en renforçant la recherche et le développement, l'irrigation, le cadastre foncier, le financement et l'infrastructure de transport, qui sont essentiels à la croissance de l'agriculture; et, (e) simplifier les procédures et améliorer l'efficacité de l'administration publique. Nous discutons chacun de ces 5 axes brièvement ci-dessous : (a) S'éloigner progressivement du soutien aux prix et orienter la politique agricole vers le soutien direct aux revenus. La réforme de la politique de tarification implique la réduction des tarifs douaniers et les contrôles gouvernementaux ainsi que l'élimination progressive du rôle commercial des offices de commerce de l'Etat. Il est important de souligner que les distorsions ne peuvent être corrigées rapidement dans le secteur agricole. Contrairement au secteur industriel, par exemple, où il est possible de passer d'une activité à une autre relativement rapidement selon les données du marché international, dans le secteur agricole le temps de réaction est plus long et peut nécessiter plusieurs années pour changer d'activité. La première étape serait de convertir toutes restrictions quantitatives en équivalent tarifaire et ensuite réduire tous les droits de douane (atterrissage en douceur). La réduction des prix garantis à la production (pour les céréales, le sucre, et le tabac) et la suppression des subventions aux intrants généreraient des économies budgétaires qui pourraient être réallouées à l'investissement dans l'infrastructure rurale, dynamisant ainsi l'investissement privé dans les régions rurales. Cette réforme devra être accompagnée par des mesures afin d'aider les agriculteurs à ajuster leur production aux nouveaux systèmes de prix relatifs et les compenser par rapport aux pertes potentielles de revenus dues à la libéralisation des prix. La suppression progressive du soutien des prix et des subventions aux intrants doit s'accompagner d'un système de soutien direct pour les revenus sur la base d'un paiement uniforme par région (ce qui crée moins de distorsion). L'expérience d'autres pays émergeants (tels que le Mexique et la Turquie) montre que ce type de réforme est faisable. En Tunisie, l'établissement d'un tel mécanisme de soutien direct basé sur la région nécessiterait d'abord le renforcement du cadre institutionnel de propriété et d'enregistrement foncier. Comme discuté plus haut, cette réforme apporterait des avantages économiques à la Tunisie qui dépassent de loin les pertes d'emplois. En fait, le secteur agricole est compétitif pour les activités à forte intensité en capital humain (notamment, l'arboriculture, les fruits et légumes et l'élevage ovin). (b) Mettre progressivement fin à l'intervention de l'Etat dans la distribution des produits agricoles. Afin de libérer le Potentiel de l'agriculture, l'Etat doit jouer un rôle différent dans les marchés agricoles. L'Etat permet aux marchés d'établir librement les prix et doit éviter l'intervention directe sur le marché, portant son attention à offrir un cadre législatif et des biens publics afin de soutenir le développement du secteur. L'expérience d'autres pays suggère trois principaux rôles pour l'Etat: (a) concevoir et mettre en œuvre un cadre législatif afin d'assurer le fonctionnement efficace des marchés de biens, services et facteurs de production (financement, terres, main d'œuvre); (b) protéger la santé des personnes, les ressources naturelles et l'environnement; (c) fournir des biens publics essentiels afin d'encourager la production de haute qualité à travers la recherche, le développement, le lutte antiparasitaire et la réglementation de la sécurité des aliments. Il serait également nécessaire de développer une réserve stratégique de céréales à des fins de sécurité alimentaire (avec une combinaison de stocks matériels et de dérivés financiers, afin de couvrir environ trois mois d'importations). (c) Introduire des programmes sociaux pour alléger le coût de l’ajustement : Œuvrer à séparer la politique agricole de la politique sociale, tout en s'assurant que la politique sociale est efficace pour la protection de toutes les personnes pauvres et vulnérables (y compris, mais sans s'y limiter, les 292 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur agriculteurs pauvres et vulnérables). Comme discuté ci-dessus, les politiques agricoles actuelles n'aident pas les petites exploitations familiales, et favorisent en fait les grandes exploitations agricoles (qui sont souvent les plus prospères). Toutefois, il est estimé que la transition d'une agriculture protégée et faussée à une agriculture plus compétitive pourrait entrainer la perte de 87 000 emplois dans l'agriculture. Alors que les réformes dans les secteurs non-agricoles doivent générer de l'emploi supplémentaire (dans l'industrie et les services — voir Chapitre Sept et Chapitre Huit), ces mêmes travailleurs ne pourront pas être ceux qui trouvent ces nouveaux emplois. Des tensions sociales peuvent survenir, et les travailleurs les moins qualifiés et ceux qui ne peuvent gérer l'ajustement seront les plus affectés. Afin de faire réussir la transition, la réforme du secteur agricole doit ainsi avancer de concert avec l'introduction de programmes plus forts de protection sociale en vue de mitiger le coût d'ajustement économique, et plus généralement en vue de soutenir les personnes pauvres et vulnérables. (d) Orienter le soutien afin d'investir de manière importante dans et améliorer l'infrastructure légère et lourde et les services horizontaux pour l'agriculture : Afin de stimuler la croissance agricole il faut substantiellement améliorer le cadre légal et institutionnel des intrants et produits. Une simple discussion brève est fournie dans cette étude car une discussion approfondie a été fournie dans les précédents rapports de la Banque Mondiale (2006; 2009; 2012b). De même, les questions liées aux marchés fonciers et aux cadastres sont discutées en détail dans un récent rapport (Banque Mondiale 2014g). Il est important de souligner, cependant, que ces interventions gouvernementales doivent être considérablement renforcées et portées à une autre échelle afin de permettre au secteur agricole de réaliser son potentiel. Les principaux aspects de l'infrastructure légère/immatérielle comprennent : • Redéfinir le rôle des associations professionnelles agricoles (coopératives de services agricoles, groupements d'intérêts collectifs (GIC), Groupements de Développement Agricoles, etc.) (Banque Mondiale 2006; 2009); • Concentrer le travail du Ministère de l'Agriculture sur la révision des programmes et objectifs vers la fourniture de biens publics essentiels à l'encouragement de produits de haute qualité (à travers la recherche, le développement, la lutte antiparasitaire et la réglementation de la sécurité des aliments) (Banque Mondiale 2006; 2009); • Mettre beaucoup plus l'accent sur la recherche, le développement et la formation, qui sont les clés du développement agricole ; dans le cadre de cet effort il est nécessaire de réformer la gestion de la recherche et du développement, en institutionnalisant l'implication des agriculteurs en dirigeant la recherche et la gestion des services de développement ainsi que la mise en œuvre de la budgétisation par objectifs (Banque Mondiale 2006; 2009); • Mettre en œuvre un système de gestion intégrée de l'eau qui peut déterminer les moyens les moins chers afin de mieux réaliser les objectifs d'augmentation du volume d'eau et de la stabilité de la fourniture d'eau (ex. investissement en infrastructure vs. conservation des sols, services de développement, protection contre la pollution de l'eau, etc.) (Banque Mondiale 2006; 2009); • Faciliter la consolidation des lots de terrain en simplifiant le cadre juridique et réglementaire ; créer des guichets uniques pour les transactions foncières, et favoriser le développement du marché foncier (voir Chapitre Quatre; Banque Mondiale 2006); • Simplifier et améliorer l'accès aux terres (notamment les terres domaniales) et le processus d'enregistrement des terres et le cadastre. Il est également nécessaire la révolution inachevée 293 de permettre les baux immobiliers à long terme afin de faciliter les investissements importants dans l'agriculture (Banque Mondiale 2014g) • Entreprendre des actions afin d'améliorer l'accès au financement pour le secteur agricole.13 L'accès au financement est particulièrement difficile pour les investissements dans l'arboriculture (huile d'olive et fruits) qui nécessitent plusieurs années entre l'investissement initial et le début de la phase de production. Des réformes spécifiques nécessaires pour améliorer l'accès au crédit aux agriculteurs (telles que par exemple la réalisation de la réforme des cadres juridiques et institutionnels de la microfinance) sont discutées de manière détaillée dans un rapport consacré aux services de financement pour l'agriculture en Tunisie (Banque Mondiale 2012b); • Etablir un cadre pour faciliter la gestion du risque dans l'agriculture. Par exemple la promotion du développement d'instruments d'assurance contre les aléas climatiques peut aider les agriculteurs à supporter l'impact de la sécheresse dans les terres/zones où il n'y a pas d'accès à l'irrigation (Banque Mondiale 2006; 2009c; 2009d). (e) Simplifier les procédures bureaucratiques et améliorer la performance de l'administration publique : Le lourd système d'intervention est soutenu par un appareil bureaucratique complexe. Les agriculteurs se plaignent de la bureaucratie et du manque de responsabilisation de l'administration publique (encadré 9.4). Il est nécessaire de réduire de manière significative les exigences bureaucratiques dans l'agriculture et d'améliorer l'efficacité, la redevabilité et la transparence de l'administration publique. En fait, des efforts sont en cours afin de revitaliser l'administration publique dans le secteur de l'agriculture. Le Ministère de l'Agriculture qui a conscience des difficultés de l'appareil administratif conduit une réorganisation des services de l'administration. Il assume également consciencieusement son rôle dans la réforme de simplification réglementaire en cours lancée par le gouvernement en 2012 sur 212 procédures identifiées, le ministère a proposé d'éliminer 61 (24 pourcent) et de simplifier 109 (43 pourcent) et de garder uniquement 42 (17 pourcent). Encadré 9.4 : Témoignage des problèmes d'exploitation du secteur agricole et des priorités pour l'intervention de l'Etat “Il existe plusieurs problèmes dans l'agriculture en Tunisie. Pour commencer l'Etat devrait distribuer les terres domaniales à ceux qui peuvent les utiliser de manière efficace, et il devrait y avoir beaucoup plus de transparence concernant le processus d'attribution de ces terres. Ces processus sont très lents, prenant parfois environ deux ans, ce qui semble totalement inutile. Plus généralement la léthargie de l'administration frustre les agriculteurs et constitue une réelle barrière à l'investissement agricole, notamment pour les questions relatives aux ressources en eau. Et je ne veux même pas parler de la corruption largement répandue dans l'administration. Il y a donc un besoin fort de laboratoires de recherche afin de développer les graines et les semis locaux, car ceux qui sont importés sont très chers. De plus les semis importés ne sont souvent pas bien adaptables à notre climat. Aujourd'hui, de nombreux agriculteurs ont des variétés de graines locales (tunisiennes) d'excellente qualité, mais le Ministère de l'Agriculture n'accorde pas d'autorisation de les produire. La Coopérative Centrale de Semences et de Plantes (CCSP) et l'Office des Terres Domaniales ont un monopole sur les graines et la production de semis. Les seules graines produites localement sont pour le blé et quelques autres céréales. Il faut également encourager les entreprises à investir dans la production des engrais composés. Nous sommes l'un des plus grands producteurs et exportateurs de phosphates et nous importons des engrais ! Le Ministère de l'Industrie doit essayer de comprendre pourquoi cela arrive. 294 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur Et aussi pourquoi il n'y a pas d'entreprises pour produire des produits phytosanitaires ? Les produits importés sont très chers … Pour dynamiser la rentabilité des produits agricoles il faut encourager la transformation de base (ex. séchage) ou l'emballage local (tri local, emballage, stockage). Cela aiderait à contrôler le flux de produits sur le marché et éviter la vente sur place à des intermédiaires ou au marché de gros à des prix très bas. Les opérateurs de gros ne savent pas comment différencier les diverses variétés de haute qualité et imposent un prix plafond sur la meilleure qualité — mais ensuite ils les vendent à un prix bien plus élevé aux marchands de fruits et légumes. Mon impression est que les marchés de gros représentent du vol pour l’agriculteur — il n'y a pas de transparence ! Ensuite il y a les problèmes de main d'œuvre et de mécanisation, etc.... Nous pourrions continuer pendant longtemps …” Source : Entretien avec un investisseur agricole tunisien, février 2014 9.5 / Conclusions L es politiques agricoles actuelles visent l'autosuffisance pour la production des céréales afin d'assurer la sécurité alimentaire. Alors qu'il est clair que la sécurité alimentaire ne peut être compromise, assurer la sécurité alimentaire ne peut être synonyme d'œuvrer à l'autosuffisance dans la production céréalière. Une condition préalable à la réforme de la politique agricole est la mise en place d'une politique de sécurité alimentaire qui n'entrave pas le secteur agricole. Compte tenu des problèmes des politiques agricoles discutés au présent chapitre, il est raisonnable de se demander s'il n'existe pas de meilleurs moyens d'assurer la sécurité alimentaire qui n'entraveraient pas le développement du secteur agricole en Tunisie. Plusieurs options ont été proposées qui peuvent faciliter l'établissement d'une politique de sécurité alimentaire différente qui n'irait pas à l'encontre du développement du secteur agricole en Tunisie. Les politiques agricoles actuelles entravent la croissance et l'emploi, et exacerbent les disparités régionales. Ce chapitre a montré que, quoique bien intentionnées, les politiques agricoles en Tunisie ont réprimé le secteur agricole en détournant la production des produits méditerranéens à forte intensité de main d'œuvre pour lesquels la Tunisie est compétitive et vers les produits continentaux tels que les céréales, le bœuf et le lait, pour lesquels la Tunisie n'est pas compétitive. Une telle politique peut être logique d'un point de vue d'autosuffisance afin d'assurer la sécurité alimentaire, elle va toutefois à l'encontre du développement du secteur agricole car elle maintient la production agricole à un niveau sous-optimal et incapable de réaliser son plein potentiel. La Tunisie ne tire pas avantage des opportunités existantes pour l'exportation de produits agricoles, notamment vers l'UE. L'UE ne subventionne pas sa production de fruits et légumes autant que les produits continentaux. Toutefois, alors que la Tunisie possède un avantage comparatif pour les produits méditerranéens, pour la plupart de ces produits la Tunisie n'utilise qu'une petite fraction de ses quotas d'exportation vers l'UE. Au lieu de tirer avantage de cette opportunité d'exportation la Tunisie subventionne des produits pour lesquels elle ne possède pas un avantage et qui continuent à être protégés dans le cadre de la Politique Agricole Commune de l'UE. Au-delà de l'UE le potentiel d'augmentation des exportations agricoles (en quantité et en valeur), plus particulièrement pour l'huile d'olive, demeure inexploité. Les politiques agricoles actuelles sont coûteuses et inéquitables. En plus des coûts budgétaires supportés par les contribuables, qui s'élèvent à environ 1 pourcent du PIB, il existe également des coûts directs payés par les consommateurs qui doivent payer des prix plus élevés pour les produits la révolution inachevée 295 alimentaires, estimés à 4 pourcent de la consommation. Par ailleurs, au-delà des coûts budgétaires et de consommateurs, les interventions agricoles faussent également la production et le commerce, générant des pertes d'efficacité qui sont supportées par l'économie dans sa totalité, et qui sont estimées à environ 0.8 pourcent du PIB. Le résultat est une perte nette de bien-être pour le pays, ainsi que la redistribution des consommateurs et contribuables vers les agriculteurs dans les régions du littoral. De plus, contrairement à certaines idées largement répandues en Tunisie, la distribution des avantages des subventions de la production agricole actuelle est très inéquitable. En fait, les avantages profitent essentiellement à quelques grands propriétaires fonciers (production de viande, lait et bœuf), et ne profitent pas aux petits propriétaires. Ainsi les politiques agricoles actuelles échouent également à remplir un rôle social positif, contrairement à l'idée largement répandue en Tunisie. De plus, quoique bien intentionnées, les politiques agricoles actuelles en Tunisie sont inefficaces et contribuent paradoxalement à accroître le chômage et les disparités régionales. Alors que les produits méditerranéens sont à forte intensité de main d'œuvre et mieux adaptés aux régions intérieures du pays, les produits continentaux à forte intensité de terres et d'eau, et ne sont produits que sur les régions du littoral nord. Ainsi, paradoxalement, les politiques agricoles contribuent à éloigner/réduire la production des produits à forte intensité de main d'œuvre pour lesquelles les régions intérieures de la Tunisie sont compétitives, augmentant ainsi le chômage et les disparités régionales. Le résultat des politiques actuelles a été une perte nette de bien-être pour le pays, ainsi que sa redistribution hors des régions intérieures et vers les zones côtières. Une réforme majeure des politiques agricoles pour les éloigner des politiques de soutien des prix sources de distorsions et les diriger vers le renforcement horizontal des interventions aiderait à libérer le potentiel de l'agriculture et à réduire les disparités régionales. Il serait dans l'intérêt de la Tunisie de basculer le soutien vers les produits à forte intensité de main d'œuvre, et d'aider l'investissement dans l'arboriculture (fruits et huile d'olive) et les serres. L'Etat doit progressivement se retirer de l'intervention dans la distribution des produits agricoles. Dans le même temps, la réforme de la politique agricole doit progressivement supprimer le soutien aux prix et les subventions aux intrants et les remplacer par des mesures horizontales qui créent moins de distorsion. Ceci permettrait l'adoption de fortes mesures afin d'améliorer l'infrastructure légère et lourde et les services pour le secteur agricole, notamment en renforçant la recherche et le développement, l'irrigation, le cadastre foncier, le financement et l'infrastructure de transport, qui sont des éléments essentiels à la croissance de l'agriculture. La Tunisie doit également simplifier les procédures bureaucratiques et 'améliorer la performance de l'administration publique. Un passage de la politique agricole source de distorsions, vers une politique pour soutenir plutôt l'agriculture avec des politiques horizontales, générerait des avantages pour près de 70 pourcent des agriculteurs et bénéficierait essentiellement aux régions intérieures du pays. En fait, les agriculteurs profitant de la libéralisation des prix seront particulièrement ceux situés dans les régions les plus sèches du Centre et du Sud qui produisent de l'agneau, des olives, des fruits et des légumes. Les sous-secteurs "gagnants" (essentiellement l'élevage ovin, l'arboriculture et l'horticulture) sont des secteurs d'échange, pour lesquels la Tunisie pourrait booster ses exportations sans aucune subvention, et représentent ainsi environ 60 pourcent de la main-d'œuvre agricole et sont géographiquement dispersés. Un système de paiements directs en complément de revenus pourrait être introduit afin de limiter l'impact de la réforme sur les bénéficiaires existants. Au-delà des transferts de compensation vers les bénéficiaires actuels, il est nécessaire d'assurer le bon fonctionnement des programmes de protection sociale ciblés directement vers les citoyens pauvres et vulnérable (à part le soutien à l'agriculture). 296 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur Notes 1 Ce chapitre s'appuie sur les rapports précédents de la Banque divers agents économiques (secteurs productifs, ménages, Mondiale sur le secteur agricole tunisien (Banque Mondiale et le gouvernement, entre autres). Donc, l'analyse EGC, en 2006 ; 2009). Le chapitre ne discute pas des questions de comparaison à d'autres techniques disponibles, capture un gestion de l'eau et de l'utilisation des ressources naturelles ensemble d'impacts économiques dérivés d'un choc ou la même si cela est au cœur de l'agriculture durable, car elles ont mise en œuvre d'une réforme de politique spécifique. Ainsi, été discutées dans des études séparées de la Banque Mondiale il est possible d'évaluer la mise en œuvre d'une réforme (Banque Mondiale 2006; 2013c). politique ainsi que les effets distributifs au sein de l'économie à différents niveaux de désagrégation. L'analyse EGC, d'autre 2 En 2007-2008 les stocks globaux des principales céréales part, présente plusieurs réserves. La première est liée à ses ont baissé aux niveaux minimaux possibles, en raison d'une exigences importantes de données et de temps. La collecte croissance élevée globale de revenus et des mandats de de données mises à jour, de haute qualité, multirégionales, biocarburants. Etant donné ces stocks minimaux, les prix l'établissement de Matrices de Comptabilité Sociale, et la étaient très sensibles aux chocs, tels que la sécheresse en programmation et le calibrage d'un modèle EGC sont des Australie, et la poussée de la demande des biocarburants processus qui prennent du temps, et ils nécessitent souvent des en raison de la hausse des prix du pétrole. Les effets de ces suppositions et une imputation de données afin de s'adapter chocs ont été magnifiés par une séquence des restrictions aux lacunes des données disponibles. Une deuxième mise en d'échanges par les exportateurs clés afin de protéger les garde doit être faite concernant l'interprétation des résultats. consommateurs vulnérables. Démarrant sur le marché étroit En raison de sa complexité (ironiquement, sa complexité est du riz au cours de l'automne 2007, ces effets ont transformé aussi son point fort), l'interprétation des résultats doit être plus l'anxiété du marché en panique, ce qui a propulsé les prix des concentrée sur les magnitudes, les directions, et les schémas produits de base agricoles à la hausse au cours de la période distributifs que sur les résultats numériques en soi. Dans de fin 2007 à l'été 2008. Les prix ont depuis baissé de plus de ce sens, les résultats des modèles EGC doivent être utilisés 50 pourcent mais demeurent bien au-dessus de la moyenne au en tant que "feuilles de route" pour la mise en œuvre de la cours de la décennie précédent la crise de 2008 (Figure 9.1). politique, qui devraient être complétées par un autre travail 3 Par exemple, l'Office des Céréales est responsable des d'analyse utilisant des méthodes quantitatives alternatives. contrôles des achats de blé auprès des producteurs et de Troisièmement, alors que les suppositions peuvent être l’approvisionnement des minoteries. En plus de son intervention introduites afin de tenir compte de l'inertie et de la viscosité intérieure, il a également le monopole des importations des prix, la plupart des modèles EGC supposent généralement hors taxes des céréales (de blé dur, blé tendre, orge, maïs le parfait fonctionnement des marchés. En pratique, toutefois, et farine de soja). L'Office établit le prix d'achat du blé payé la transmission de prix peut être moins que parfaite à travers aux producteurs ainsi que le prix de vente aux minotiers. Le les diverses étapes de la chaine de valeur, ce qui impactera prix d'achat est habituellement supérieur au prix de vente. alors les résultats en termes de croissance, d'emploi et d'effets L'Office peut remplir cette fonction car il reçoit les subventions de bien-être. nécessaires afin de maintenir le prix de vente en-dessous des 6 La croissance du PIB n'augmentera que de 0.5 pourcent si les prix d'achat et d'importation. Ce mécanisme réduit le prix subventions agricoles de l'UE sont levées simultanément à la moyen facturé aux traiteurs. Ainsi le mécanisme d'intervention libéralisation en Tunisie. En fait, la levée des subventions sur fournit un soutien aux producteurs (le prix d'achat étant plus les produits européens augmenterait les prix sur les marchés élevé que le prix d'importation) et également aux traiteurs et internationaux d'environ 10 pourcent, ce qui augmentera en donc aux consommateurs, car en fait toutes les marges ainsi conséquence la facture des produits alimentaires pour les que la chaîne de valeur du minotier au consommateur sont consommateurs tunisiens. régies par la loi. En général, la centralisation administrative de la distribution des céréales est dommageable de plusieurs 7 Il est à noter que l'évaluation des effets de bien-être de la manières: (ai) elle est coûteuse pour le budget, (b) elle ne libéralisation des échanges agricoles en Tunisie ne prend cible pas les pauvres car ce sont les grandes exploitations pas en compte les barrières au niveau de l'intégration de qui en profitent le plus (c) elle décourage la restructuration marché, ce qui entrainerait une transmission de prix verticale du secteur privé (d) elle favorise artificiellement la croissance et horizontale imparfaite. En d'autres termes la magnitude et des céréales non-compétitives au détriment d'autres récoltes, la vitesse à laquelle les mouvements de prix sont transmis au (e) elle empêche le développement de marchés compétitifs, cours des diverses étapes de la chaine agroalimentaire (de et (f) elle a souvent un impact négatif sur l'environnement car l’exploitation au niveau du traitement et de la vente ou vice elle entraine une utilisation inefficace des rares ressources en versa) dépendent du niveau d'intégration de marché, qui peut eau. Dans le secteur laitier, le prix au producteur est fixé par être faible surtout dans les zones éloignées (voir Chapitre Dix). accord entre les professions impliquées dans le métier, sous Ceci peut entraver la réalisation de tous les impacts, surtout les auspices du Groupement Interprofessionnel du Lait. dans les zones éloignées, car les suppositions de transmission de prix sur la chaine d'approvisionnement jouent un rôle 4 Par ailleurs, lorsque les prix des denrées alimentaires sont important dans la détermination de la taille et de la distribution subventionnés, tel que pour le blé, cela entraîne des coûts des effets de bien-être des réformes de politique d'échanges. supplémentaires au budget. 8 Cette section se base sur : Banque Mondiale, FAO et IFAD 5 Un modèle EGC est l'une des méthodes quantitatives de (2009) et sur Wright et Cafiero (2011). pointe les plus rigoureuses, afin d'évaluer l'impact des chocs économiques et politiques – particulièrement les 9 L'étude de l’Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation réformes politiques – dans l'économie dans son ensemble. et l'Agriculture (FAO) sur la sécurité alimentaire en Afrique du La modélisation EGC reproduit – de la manière la plus réaliste Nord recommande de gérer conjointement la volatilité des prix possible – la structure de toute l'économie et donc la nature des prix des céréales afin d’améliorer l’approvisionnement des de toutes les transactions économiques existantes parmi les marchés intérieurs et d’assurer des prix stables et abordables. la révolution inachevée 297 Les aspects clés sont : (a) la création d’un observatoire situation serait également plus bénéfique aux agriculteurs Maghrébin des céréales pour assurer l’approvisionnement et leur permettrait de disposer de revenus pour acheter les continu des marchés ; (b) l’établissement d’une réserve produits de base. Cela ne veut en aucun dire que les pays céréalière stratégique pour le Maghreb pour mieux gérer qui dépendent totalement de l’irrigation doivent arrêter la la volatilité des prix internationaux ; et (c) l’expansion des culture céréalière là où une telle activité est économiquement échanges de produits alimentaires parmi les pays du Maghreb. viable (comme, par exemple, dans le bassin du Nil en Egypte). (Programme du FAO pour le Maghreb relatif à la gestion de la Dans les pays du Golfe où l’eau d’irrigation est plus limitée, la volatilité du marché international des céréales) production des céréales pourrait être complètement éliminée en faveur de cultures plus efficaces. 10 De plus la Tunisie doit sérieusement évaluer si sa politique qui subventionne substantiellement la consommation de 12 L'Arabie Saoudite a reconnu que le fait de stocker céréales, même pour les citoyens riches, et décourage le l'approvisionnement pour une ou deux années sous son contrôle des déchets et la diversification des sources de climat désertique sec, même s'il entraine un coût important calories, est efficace en termes de dépenses budgétaires et en capital, pourrait être une utilisation durable et bien plus n'augmente pas paradoxalement la vulnérabilité de la Tunisie économique que l'utilisation de ses ressources que son ancien et sa dépendance par rapport à l'approvisionnement étranger. régime de production. 11 Encourager les agriculteurs à remplacer les céréales par des 13 En date de 2010, la portion d’agriculteurs bénéficiant de cultures à forte valeur peut avoir des implications mitigées crédits bancaires ne dépassait pas les sept pourcent, et le pour la sécurité alimentaire. Le Rapport 2008 de la Banque financement bancaire représentait uniquement 11 pourcent Mondiale sur le Développement dans le Monde indique que de l'investissement agricole total. La part des investissements la première priorité agricole pour la majorité des pays arabes financée par le crédit a été divisée par deux au cours de la consiste à diversifier la production pour sortir des produits deuxième moitié des années 2000, et le crédit de campagne de base et aller vers des cultures à forte valeur (comme les ne couvre que 1/14ème de l'utilisation d'intrant agricole. La fruits et les légumes) pour l’exportation. La production de portion d’agriculteurs signalant que leur demande de crédit cultures à forte valeur offre aux propriétaires terriens plus a été satisfaite est tombée de 54 pourcent en 1990-94 à 36 d’opportunités d’entrepreneuriat, crée davantage d’emplois pourcent en 2000-04. La part des agriculteurs qui investissent pour les femmes et les travailleurs qui ne possèdent pas des est tombée de 36 pourcent à 26 pourcent au cours de la même terres et élève le salaire agricole. Dans les pays qui ont une période, ce qui limite la capacité de modernisation et de agriculture composée de cultures irriguées et non irriguées développement du secteur. tels que les pays du Maghreb, du Mashreq et le Soudan, la tarification de l’eau pourrait créer une division naturelle ; les céréales seraient cultivées essentiellement sous régime pluvial et les cultures à haute valeur seront irriguées. Cela pourrait créer une dépendance aux céréales importées mais apporterait aussi plus de devises à travers l’exportation des produits agricoles à haute valeur qui permettraient de couvrir le coût des importations supplémentaires de céréales. La Références CNEA (Centre National des Etudes Agricoles). 2005b. “Etude Bank, Washington, DC. de la Filière Fruits et Légumes.” Unpublished mimeo, Centre National des Etudes Agricoles, Tunis. World Bank. 2008d. “Risk Management & the Global Food Crisis.” Agriculture & Rural Development Department FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations). Commodity Risk Management Group. Washington, DC: World 2003. “Regional Integration and Food Security in Developing Bank. Countries.” Prepared for the Agricultural Policy Support Service Policy Assistance Division, Training Materials For Agricultural World Bank. 2009c. “Tunisie: Développements Récents De La Planning 45, Food and Agriculture Organization of the United Filière Agro-Industrielle Du Secteur Céréalier; Actualisation de Nations, Rome. la Revue Sectorielle Agricole de 2006.” Update of the 2006 Agricultural Policy Review. Unpublished. Washington, DC: Syroka, Joanna, and Antonio Nucifora. 2010. “National Drought World Bank. Insurance for Malawi.” Policy Research Working Paper 5169, World Bank, Washington, D.C. World Bank. 2009d. “ La Compétitivité de L’agriculture Tunisienne: Rétrospective et Perspectives; Actualisation de World Bank. 2006. “Tunisia: Agriculture Policy Review.” Report la Revue Sectorielle Agricole de 2006.” Update of the 2006 No. 35239-TN, World Bank, Washington, DC. Agricultural Policy Review. Unpublished. Washington, DC: World Bank. World Bank. 2007b. World Development Report 2008: Agriculture for Development. Washington, DC: World Bank. World Bank. 2012b. “Tunisia: Agricultural Finance Study.” Report No. 62471-TN. World Bank, Washington, DC. World Bank. 2008a. “Etude sur la compétitivité des entreprises tunisiennes.” Unpublished Report Prepared by LINPICO, World World Bank. 2013c. “Tunisia in a Changing Climate: Assessment 298 libérer le potentiel de l'agriculture afin de dynamiser la croissance dans les régions de l'intérieur and Actions for Increased Resilience and Development.” the International Fund for Agricultural Development; World Report No. 68132 – MNA, World Bank, Washington, DC. Bank, Washington, DC. World Bank. 2014g. Tunisia Urbanization Review: Reclaiming Wright, Brian, and Carlo Cafiero. 2011. “Grain Reserves and the Glory of Carthage. Washington, DC: World Bank. Food Security in the Middle East and North Africa.” Food Security (2011) 3 (Suppl. 1): S61–S76 . World Bank, FAO (Food and Agriculture Organization), and IFAD (International Fund for Agricultural Development). 2009. “Improving Food Security in Arab Countries.” Joint report by the World Bank, the Food and Agriculture Organization, and la révolution inachevée 299 300 attaquer les disparités régionales S'attaquer aux disparités régionales 10 La solution n’est pas dans l’octroi d’incitations fiscales et financières ; il est plutôt essentiel d’améliorer la qualité de vie, l’accès aux services de base, et la connectivité des régions de l’intérieur la révolution inachevée 301 S'attaquer aux disparités régionales1 10 L es disparités régionales revêtent une grande importance pour les décideurs politiques à travers le monde et la Tunisie n’est pas une exception. Près de 56 pourcent de la population et 92 pourcent de toutes les entreprises industrielles se concentrent en Tunisie à une heure de route des trois plus grandes villes tunisiennes : Tunis (la capitale), Sfax et Sousse. Ces trois villes côtières sont le centre de l’activité économique représentant 85 pourcent du PIB du pays (figures 10.1 et 10.2).2 De même, malgré les incitations fiscales et financières généreuses, les entreprises étrangères établies dans les « zones de développement régional » les plus pauvres ne sont que 13 pourcent du total des entreprises étrangères installées en Tunisie et ne représentent que 16 pourcent des emplois créés pour ces régions. Par conséquent, les décideurs politiques se font des soucis quant au manque d’opportunités économiques dans les régions défavorisées (Ministère Tunisien du Développement Régional, 2011).3 Néanmoins, la concentration de l’activité économique et de la population n’est pas propre à la Tunisie. La moitié de la production mondiale a lieu sur une surface équivalente de à 1.5 pourcent de la superficie mondiale. Au Japon, Tokyo compte quatre pourcent de la surface du territoire mais génère 40 pourcent de la production nationale. En France, Paris ne représente que deux pourcent du territoire mais assure 30 pourcent du produit du pays (Kochendorfer-Lucius et Pleskovic 2009). Mais malgré la concentration de l’activité économique, ces pays constatent une convergence dans l’accès aux services de base : la croissance déséquilibrée a été accompagnée par un développement inclusif. Lorsque le développement est inclusif et les niveaux de vie convergent, les bénéfices de la croissance sont partagés au-delà des frontières régionales (Tunisia Urbanization Review, Banque Mondiale 2014g). Or, ce n’est pas le cas en Tunisie où les disparités de revenus sont significatives entre les régions. Comme discuté dans ce chapitre, les bénéfices de la croissance économique n’ont pas profité à l’intérieur du pays et n’ont pas donné lieu à de meilleures opportunités dans les zones défavorisées. Le défi pour la Tunisie consiste donc à faire converger les niveaux de vie sur l’ensemble du territoire. Figure 10.1 : Densité de la population par kilomètre carré en Figure 10.2 : Densité des entreprises par kilomètre carré Tunisie, 2012 en Tunisie, 2012 Population Totale Societes par Km2 Elevé Elevé Bas Bas Source : Tunisia Urbanization Review, Banque Mondiale 2014 (sur la base des données démographiques de l’INS, 2011 et des données sur les entreprises industrielles, 2011 compilées auprès du Commissariat Général au Développement Régional, Office de Développement du Nord-Ouest, Office de Développement du Centre Ouest, et l’Office de Développement du Sud). 302 attaquer les disparités régionales Figure 10.3 : Taux de pauvreté par région en 2010 Figure 10.4 : Ecart de prospérité entre les régions en 2005 (%age de la population vivant en dessous du seuil (%age de l’écart de consommation) de la pauvreté) Taux de pauvreté en 2010 Grand Tunis vs Sud-ouest 0,32 35 Grand Tunis vs Sud-Est 0,16 30 Grand Tunis vs Centre Ouest 0,56 Grand Tunis vs Centre Est 0,00 25 Grand Tunis vs Nord Ouest 0,27 20 Grand Tunis vs Nord Est 0,21 15 Avancé vs en retard (rural) 0,23 10 Avancé vs en retard (urbain) 0,18 5 Urban vs rural 0,39 0 Avancé vs en retard 0,29 Tunisie Grand Nord Centre Sud Est Nord- Centre Sud- Tunis Est Est Ouest Ouest Ouest -0,1 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 Source : INS et Banque Mondiale et BAD (2012). Source : Calculs des auteurs basés sur l’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages effectuée par l’INS en 2005. Figure 10.5 : Taux de chômage par gouvernorat et Figure 10.6 : Ecart de prospérité dans les régions en 2005 par région en 2010 (%age) (zones urbaines vs zones rurales) 30 25 Zones en retard 20 Zones avancées Sud-Ouest 15 Sud Est 10 Centre Ouest Centre Est 5 Nord-Ouest Nord Est 0 Tunis Ariana Ben Arous Bizerte Monastir Sousse Manouba Nabeul Zaghouan Mehdia Sfax Gabes Medenine Tataouine Beja Kef Jendouba Selinana Kairouan Kasserine Sidi Bouzid Gafsa Kebeli Tozeur Grand Tunis 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 Grand Tunis Nord Centre Sud Est Nord Centre Sud Est Est Ouest Ouest Ouest Source : Calculs des auteurs basés sur l’enquête nationale sur l'emploi, 2013, INS. Source : Calculs des auteurs basés sur l’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages effectuée par l’INS en 2005. Comme l’ont démontré les chapitres précédents, les disparités régionales ont été, paradoxalement, exacerbées par les politiques économiques. La politique industrielle et plus précisément le Code d'Incitation aux Investissements, la réglementation relative au marché du travail et la politique agricole ont contribué à accentuer et non à atténuer les déséquilibres régionaux.4 Eliminer de telles distorsions et rigidités est un prérequis pour réaliser un développement économique plus équilibré. De tels changements stratégiques à travers tout le pays auront sûrement le plus grand effet en termes de réduction des disparités régionales. En outre, ce chapitre examine les options supplémentaires de politique régionale que les autorités peuvent entreprendre pour s’attaquer aux disparités. Il souligne le compromis entre équité et efficacité, alors que les incitations fiscales et financières s’vèrent inopérantes pour réduire les disparits régionales. Il recommande plutôt une politique qui se focalise sur l’amélioration des conditions de vie à travers le pays en assurant la qualité des services de base (tels que les services de santé, d’éducation la révolution inachevée 303 et de transport), l’accès à une bonne infrastructure (telle que l’infrastructure de transport et de télécommunication) et plus généralement la qualité de la vie (y compris les manifestations culturelles et les installations récréatives). Il met également en exergue l’amélioration de la connectivité, qui permet à la population de se déplacer vers les emplois et de baisser les coûts pour les investisseurs, et qui est donc essentielle, dépassant les investissements en matière d’infrastructure. En fait, les défaillances du marché requièrent du gouvernement d’assumer un rôle actif. 10.1 / Les disparités régionales en Tunisie M algré des réussites sur plusieurs fronts, la Tunisie fait encore face à des disparités régionales persistantes en ce qui concerne le niveau de vie entre les zones rurales et les zones urbaines et entre les régions phares et celles qui accusent un retard de développement. Des disparités régionales flagrantes persistent avec une estimation du taux de la pauvreté en 2010 qui varie entre huit à neuf pourcent dans la région du Centre Est et le Grand Tunis, et 26 à 32 pourcent dans les régions du Nord- Ouest et du Centre Ouest respectivement (figure 10.3).5 De telles variations dans les taux de pauvreté reflètent de grands écarts dans la moyenne de consommation à travers les régions et dans les régions elles-mêmes (figures 10.4 et 10.5). En 2005, l’écart de consommation entre les zones urbaines et les zones rurales dans chaque région a été d’au moins 20 pourcent et a atteint près de 40 pourcent dans le Centre-Ouest et le Sud-Ouest. A travers les régions, l’écart de consommation urbain-rural a été de 39 pourcent en moyenne. De même, l’écart moyen de consommation entre les régions phares (essentiellement le long de la côte) et les régions en retard (à l’intérieur) a été d’environ 29 pourcent en moyenne, mais a atteint 56 pourcent entre le Centre- Ouest et le Grand Tunis et les régions du Centre-Est (figure 10.4). De même, les taux de chômage montrent de grandes disparités à travers les régions et sont spécialement élevés dans les zones rurales de l’intérieur. Le chômage se concentre géographiquement dans le Nord-Ouest (20.3 pourcent à la mi-2013), le Centre Ouest (à 15.6 pourcent) et les régions sud de l’intérieur (23.5 pourcent). Les niveaux de chômage sont plus faibles le long des zones côtières du Nord- Est (12.5 pourcent). Les taux de chômage les plus élevés (20 à 22 pourcent) sont dans les régions de l’intérieur (les gouvernorats du Kef, Jendouba, Kasserine, et Gafsa), par rapport aux sept à 11 pourcent dans les zones côtières (les gouvernorats de Nabeul, Sousse, Monastir, et Sfax) (figure 10.5). Une enquête récente sur les ménages tunisiens qui vivent dans les zones péri-urbaines (Banque Mondiale 2013b) montre que les résultats d’emploi dans les zones urbaines varient aussi de manière considérable à travers les régions. Alors que les zones côtières comptent un taux de chômage de 12 pourcent, il est de 16 pourcent dans les zones urbaines à l’intérieur.6 Pendant ces dernières années, la hausse du chômage a affecté surtout les régions qui ont déjà des niveaux élevés de chômage. En fait, le chômage s’est développé plus vite dans les gouvernorats de l’intérieur alors qu’il a reculé sur le littoral. 10.2 / Comment expliquer d’aussi grandes variations entre régions et à l’intérieur des régions en termes de revenus et d’emploi ? Différences dans l’accès aux services de base et le capital humain L’accès aux services de base s’est amélioré de manière significative mais les différences entre les régions phares et les régions à la traîne persistent surtout dans les zones rurales. L’accès à l’électricité dans les zones urbaines et rurales a convergé avec une couverture presque universelle à travers la Tunisie. Mais en ce qui concerne les services de base, un grand écart persiste dans les régions à la 304 attaquer les disparités régionales traîne et les zones rurales. Les zones urbaines comptent une couverture presque universelle par les services de base dans toutes les régions, alors que les zones rurales sont encore laissées pour compte. L’accès au réseau d’eau s’est amélioré de manière substantielle sur les 25 années écoulées. Alors que dans le Grand Tunis 97 pourcent des ménages disposaient en 2005 de l’eau courante chez eux, seuls 61 pourcent des ménages du Nord-Ouest et du Centre-Ouest en disposaient. De même, plus de 90 pourcent des ménages dans le Grand Tunis et le Sud-Ouest mais seuls 66 pourcent des ménages dans le Centre-Ouest en disposaient. Et alors qu’en 2004, près de 93 pourcent des logements à Tunis étaient reliés à un réseau public d’assainissement, seuls 12 pourcent des logements à Sidi Bouzid l’étaient (dans le Centre-Ouest). Globalement, près de 25 pourcent des ménages tunisiens ne sont pas reliés à un réseau public d’assainissement. Malgré les grandes avancées pour les hommes et les femmes, les disparités régionales persistent en matière d’accès à l’éducation dans les zones rurales avec le Nord-Ouest et le Centre-Ouest qui sont encore à la traîne. Près de 80 pourcent des chefs de famille dans le Grand Tunis et le Centre Est ont un certain niveau éducatif par rapport à moins de la moitié dans le Nord-Ouest. Cet écart a été rattrapé par les nouvelles générations ce qui traduit la réussite des efforts consentis par le pays pour réduire les disparités en matière d’éducation. Le recensement de 2004 a montré que l’inscription à l’enseignement primaire correspond largement à la distribution des enfants âgés entre 6 et 14 ans. Cette amélioration du niveau d’éducation émane probablement de l’accroissement de l’accès physique aux écoles à travers le pays. Comme anticipé, les inégalités spatiales persistent dans la distribution de la population âgée entre 19 et 24 ans poursuivant des études supérieures, avec les personnes vivant dans des délégations à une heure d’une grande ville représentant 74 pourcent des inscrits à l’université (alors que cette catégorie ne représente que 62 pourcent de la population) (figure 10.7). Figure 10.7 : Niveau d’éducation de la population par Figure 10.8 : Mortalité maternelle par région en 2011 région en 2008 35 60 30 50 Sans éducation 25 Enseignement Supérieur 40 20 30 15 20 10 5 10 0 0 t t st st e s t st t t t st st e s st Es Es Es Es Es Es ni ni si si ue ue ue ue ue ue ni Tu ni Tu rd re d rd re d -O O O -O O O Tu Tu Su Su nt No d- nt No d d- d re rd re rd an an Ce Su Ce Su nt No nt No Gr Gr Ce Ce Source : INS, Enquête nationale sur l'emploi, 2011 Source : Ministère de la Santé, Rapport de l’enquête sur la mortalité maternelle, 2010 L’accès aux soins de santé est également concentré autour des grandes villes. L’accès aux services de santé est uniformément satisfaisant dans les zones urbaines mais les zones à la traîne et les zones isolées comptent plusieurs obstacles de taille (comme le montrent les taux de mortalité maternelle dans la figure 10.8). Près de 77 pourcent des centres de santé de base du pays se trouvent dans les délégations distantes de une heure ou moins d’une grande ville ; moins de un pourcent sont dans des délégations à plus de 2 heures d’une grande ville même si ces délégations ne représentent que près de 20 pourcent de la population générale du pays. La perception de la qualité des services est également mauvaise à l’intérieur du pays. La perception par les jeunes (entre 15 et 29 ans) de la la révolution inachevée 305 qualité des services de santé disponibles dans leur voisinage est plus négative à l’intérieur qu’elle ne l’est dans les zones côtières et notamment dans le Sud-Ouest et le Centre-Ouest (Enquête sur les zones péri-urbaines, Banque Mondiale, 2013b). Les indicateurs de santé cumulés se sont améliorés à travers la majeure partie du pays, sauf dans les régions rurales isolées. En 2010, les enfants dans les zones rurales avaient deux fois plus de probabilité d’avoir un retard de croissance (10 pourcent dans les zones rurales contre quatre pourcent dans les zones urbaines); moins de femmes bénéficient de services prénataux ou de traitement pour les grossesses à haut risque et les taux de mortalité maternelle sont trois fois plus élevés (70 contre 20 décès pour 100 000 naissances vivantes). Globalement, les différences dans l’accès aux services de base et la dotation en capital humain persistent notamment entre les zones phares et celles qui accusent un retard, et pourraient être l’élément clé dans les disparités régionales au niveau des résultats du marché de travail. L’accès physique à l’éducation et aux installations de santé et aux services de base semble être assez uniforme à travers les zones urbaines du pays mais des écarts significatifs existent toujours dans les régions défavorisées. Les variations observées au niveau des résultats du marché de travail à travers la Tunisie pourraient être dues aux différences dans le capital humain mais de telles différences ne pourraient expliquer qu’une partie de la variation des revenus dans les zones rurales isolées puisque, comme déjà expliqué ci-dessus, ces régions souffrent également d’une mauvaise connectivité et d’un accès plus faible aux marchés. Différences au niveau de l’infrastructure de transport et de l’accès aux marchés Figure 10.9 : Accessibilité du marché à travers la Tunisie L’accessibilité du marché semble être bonne pour la plupart des zones au nord et au centre du pays mais elle décline sensiblement pour les régions du sud.7 La Tunisie est un petit pays et la moitié de ses localités se trouvent à une heure de route d’une ville comptant plus de 100 000 habitants. Ces localités abritent 62 pourcent de la population totale du pays et 71 pourcent de la population urbaine. Nous avons établi une « carte des points chauds » qui représente l’étendue du réseau routier et les groupements de population dans le but de mesurer l’accessibilité au marché (Banque Mondiale 2008e; Banque Mondiale 2014g).8 La mesure de l’accès au marché permet d’obtenir beaucoup plus d’informations que de simples distances utilisant des lignes droites parce qu’elle définit la distance et le temps nécessaire pour se déplacer d’un point à un autre dans le pays à travers le réseau de transport et prend également en considération les populations vivant dans les différentes zones. En utilisant les données sur la population au niveau des localités pour 2010 et sur le réseau routier tunisien nous avons calculé une mesure d’accessibilité pour chaque point en Tunisie (figure 10.9 ; pour plus de détails sur la méthodologie suivie, voir Banque Mondiale 2014g). Comme en pouvait s’y attendre, le Sud et Source : Banque Mondiale 2014g notamment le Sud-Ouest semblent être les zones les plus “isolées” du pays. La majeure partie du 306 attaquer les disparités régionales pays semble être relativement bien connectée en termes de durée de voyage routier vers Tunis, Sfax et Sousse.9 Toutefois, la région du Sud-Ouest est relativement déconnectée du reste du pays.10 Néanmoins, l’éloignement est un concept relatif dans cette analyse et la Tunisie étant un petit pays, la connectivité physique ne semble pas être une contrainte pour la connectivité globale. La figure 10.8 indique le plus long déplacement à partir de Tunis, Sfax, ou Sousse ne dépasse pas 10 heures.11 Pourquoi les entreprises et les opportunités d’emploi sont-elles concentrées le long du littoral ? L’activité du secteur privé est lourdement concentrée le long des côtes reflétant les avantages naturels et géographiques et le besoin de connexion avec les marchés internationaux, chose exacerbée par l’impact des politiques économiques sources de distorsion. Comme déjà mentionné, les entreprises et les emplois se concentrent le long du littoral (voir aussi Amara et Ayadi 2011). Presque toutes les entreprises industrielles se situent aux alentours des trois villes côtières de Tunis, Sfax et Sousse et 56 pourcent de la population vivent dans ces mêmes régions (figure 10.2; Banque Mondiale, 2014g). La taille des entreprises est également plus importante dans les régions côtières que dans les régions de l’intérieur. Une telle concentration de l’activité économique et de la population le long des zones côtières et dans les centres urbains est, jusqu’à une certaine mesure, naturelle étant donné les nombreux avantages commerciaux, d’accès aux marchés et de disponibilité de plusieurs services essentiels. En effet, des tendances similaires peuvent être observées partout dans le monde (Banque Mondiale 2008e). Mais comme discuté dans le Chapitre Quatre, ces tendances naturelles d’occupation de l’espace ont été exacerbées par la politique industrielle (notamment à travers le Code d’Incitations aux Investissements) tournée essentiellement vers la promotion des exportations ce qui a encore encouragé les entreprises à s’installer près des infrastructures d’exportation le long de la côte. En plus et comme encore discuté dans le même Chapitre Quatre, les entreprises perçoivent l’environnement des affaires comme étant plus favorable à Tunis par rapport au reste du pays (Evaluation du climat des investissements, Banque Mondiale 2014e). Le regroupement spatial des entreprises implique que la disponibilité des emplois est également biaisée en faveur de certaines régions. Parce que les entreprises ont tendance à se localiser autour des grands centres urbains le long de la côte, les poches de population à forte densité à l’intérieur ne bénéficient pas d’une présence significative du secteur privé (figure 10.2). Les entreprises privées sont le plus souvent de très petite taille, et les quelques firmes de grande taille sont des sociétés offshore qui se trouvent dans les régions côtières (Chapitre Un). Dans le Centre-Ouest, 94 pourcent des entreprises privées sont des sociétés unipersonnelles (travailleurs indépendants) alors que cette proportion baisse à 83 pourcent dans le Centre-Est. Le manque d’opportunités de travail qui en résulte, surtout à l’intérieur, est confirmé par les données du sondage de perception : 83 pourcent des répondants contre 73 pourcent dans les zones côtières (Enquête sur les zones périurbaines, Banque Mondiale 2013b). Pourquoi un tel écart inter et intra régional dans les niveaux de revenu et d’emploi ? La principale raison derrière l’écart de consommation entre les zones rurales et les zones urbaines dans une même région est la différence dans les caractéristiques des ménages. Les différences de consommation dans la même région et à travers les régions peuvent être décomposées en utilisant l’approche Oaxaca-Blinder. Cette approche est utile pour examiner si les écarts proviennent essentiellement des différences dans les caractéristiques des ménages ou de différences dans le rendement de ces caractéristiques (encadré 10.1). Les résultats de cette décomposition ont des implications profondes pour décider de la manière d’investir pour réduire l’écart de prospérité. Pour les différences rurales/urbaines dans la même région, cet écart est dans tous les cas (sauf pour le Sud-Ouest, discuté ci-dessous) causé par des différences dans les caractéristiques des ménages (les la révolution inachevée 307 dotations ; figure 10.10). Ces résultats sont importants à la lumière des disparités soulignées ci-dessus ; ils indiquent que les différences entre le milieu urbain et le milieu rural émanent de ces disparités. Pour le Sud-Ouest, les différences dans les caractéristiques sont encore dominantes mais la différence dans le rendement des caractéristiques est également importante. L’analyse indique que si les ménages dans les zones rurales du Sud-Ouest avaient des caractéristiques (éducation, accès aux services et autres) similaires à ceux des ménages des zones urbaines, l’écart de consommation entre les zones rurales et urbaines baisserait de près de 3/4. Il y a également des problèmes de mobilité, comme suggéré par la différence dans les rendements, ce qui rejoint la remarque mentionnée ci-haut selon laquelle le Sud-Ouest est particulièrement moins bien loti en matière de connectivité (figure 10.9). Le rendement des caractéristiques des ménages est plus faible dans le Sud-Ouest, ne représentant que près de 25 pourcent de l’écart total entre les zones rurales et les zones urbaines dans la région en question. Encadré 10.1 : La décomposition Oaxaca-Blinder: Dotations ou marchés ? La décomposition Oaxaca-Blinder peut être utilisée pour estimer les écarts de prospérité à travers les régions et comprendre leurs principales composantes. Nous estimons d’abord le log des ratios de prospérité en tant que fonction des caractéristiques des ménages (éducation, accès aux services de base et autres) : yj = Xjβj + εj où j représente les régions, X est un vecteur de caractéristiques de ménage et β représente les paramètres pertinents. Ensuite, nous utilisons la décomposition O-B pour estimer l’écart de prospérité et obtenir ses composantes en effectuant une décomposition des caractéristiques de prospérité identifiés Vs les effets de rendement : yA - yB = XA-βA - XB-βB yA - yB = (XA- XB) βA + (βA - βB)XA Les résultats nous permettent de séparer les différences de prospérité associées aux différences de caractéristiques, des montants inexpliqués que nous pouvons attribuer aux différences de rendement, dues aux différences dans le fonctionnement des marchés au niveau local (par exemple, à cause de la connectivité limitée et/ou d’autres défaillances du marché). Source : Blinder (1973); Oaxaca (1973). Figure 10.10 : Décomposition Oaxaca-Blinder entre les zones rurales et les zones urbaines dans chaque région Zones en retard Zones avancées Grand Tunis Caractéristiques Nord Est Retours Nord-Ouest Centre Ouest Sud Est Northeast Sud-Ouest 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 Source : Calculs basés sur l’enquête des ménages- 2005, INS. 308 attaquer les disparités régionales Plus de 80 pourcent de l’écart de consommation entre les zones urbaines Figure 10.11 : Décomposition Oaxaca-Blinder entre les zones phares et les dans les régions phares et les régions zones défavorisées (et zones rurales Vs zones urbaines) défavorisées semble être dû aux différences dans les caractéristiques des ménages. Toutefois, les différences de rendement Avancées vs en retard sont plus grandes lorsque l’on se penche Avancées vs en retard sur les différences entre les zones rurales (rurales) Caractéristiques Retours dans les régions défavorisées et les régions Avancées vs en retard (urbaines) phares représentant jusqu’à 60 pourcent de l’écart. L’écart total est beaucoup plus Urbaines vs rural grand entre les zones rurales (22 pourcent) 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 par rapport à celui entre les zones urbaines (18 pourcent). La composition des écarts est Source : Calculs basés sur l’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages, 2005, INS. également très différente : pour les zones urbaines, l’effet dominant est l’effet des caractéristiques alors que les différences Figure 10.12 : Décomposition Oaxaca-Blinder à travers les zones dans les rendements est dominant entre urbaines (par rapport au Grand Tunis) les zones rurales (figure 10.11). Pour les différences entre les zones urbaines dans les régions phares et les régions à la traîne, Centre Est Zones Urbaines la composante principale de l’écart de consommation est la différence dans les Centre Ouest Zones Urbaines caractéristiques des ménages pour toutes Nord Est zones Urbaines les régions à l’exception du Centre Est où les rendements des caractéristiques sont Nord Ouest Zones Urbaines Caractéristiques Retours plus élevés que dans le Grand Tunis (figure Sud Est Zones Urbaines 10.12). Si les caractéristiques des ménages urbains dans les zones urbaines du Centre Sud Ouest Zones Urbaines Ouest étaient similaires à ceux dans le -0,2 -0,1 0 0,1 0,2 0,3 0,4 Grand Tunis, l’écart de consommation baisserait de près de 2/3 passant d’un écart Source : Calculs basés sur l’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de prospérité de 32 pourcent à un écart de de vie des ménages, 2005, INS. près de 11 pourcent. 10.3 / Stimuler les dotations et valoriser les rendements dans les zones défavorisées : Un rôle clair pour le gouvernement Ces résultats semblent refléter l’existence de disparités dans la demande de main-d’œuvre, l’accès au travail et l’accès à l’information et aux réseaux. Les disparités spatiales dans les performances d’emploi en Tunisie semblent être essentiellement dues au manque d’opportunités de travail dans le secteur privé. Comme discuté dans le Chapitre Un, la contribution du secteur privé tunisien à la création d’emplois n’est pas satisfaisante et le secteur privé ne montre pas de signe de dynamisme et de destruction créatrice (Chapitre Un). Les leviers stratégiques pour corriger ces disparités spatiales peuvent être soit en amenant les emplois aux gens ou en rapprochant les gens des emplois. Dans le premier cas et comme discuté plus haut, force est de constater que les régions côtières tunisiennes disposent d’importants avantages économiques et stratégiques qui expliquent la concentration de la demande sur la main-d’œuvre. Dans une optique d’efficience, le schéma actuel de localistion des la révolution inachevée 309 entreprises est cohérent l’objectif de de tirer profit de ces avantages et réaliser des effets économiques d’agglomération. En plus de dynamiser la capacité du secteur privé tunisien à créer des emplois, le défi stratégique consiste à mieux connecter les gens avec les emplois. Les deux leviers essentiels pour cela sont un meilleur service de transport et la migration (encadré 10.2). Un système de transport qui fonctionne de manière efficace est en mesure de soutenir et de renforcer davantage les effets économiques d’agglomération. C’est également un élément clé de la géographie économique d’un pays. La conception, le fonctionnement et le développement d’un système de transport peuvent déterminer là où l’activité économique va se développer et s’épanouir. Les liaisons de transport constituent un outil important pour les planificateurs et les décideurs pour accélérer la croissance, et les décisions relatives à l’investissement et où le placer auront des implications en terme aussi bien d’efficacité que d’équité et doivent donc être analysées avec beaucoup de soin. Il est essentiel d’identifier les principaux goulots d’étranglement et les options clés pour améliorer la connectivité et comprendre les compromis que de telles améliorations vont imposer. Encadré 10.2 : La recherche d’emploi : Migration interne en Tunisie Les flux migratoires internes montrent que les gens se déplacent à la recherche de travail des régions les plus pauvres vers les régions les moins pauvres. La proximité des centres de création d’emplois peut être comblée par l’amélioration de la connectivité à travers le transport et la communication ou la facilitation du mouvement des gens vers les emplois. Contrairement à l’accès relativement uniforme à l’éducation et aux services de santé, l’accès au transport public est plus faible dans l’intérieur du pays. Par conséquent, les taux de chômage élevés dans les régions de l’intérieur peuvent être dus aux difficultés auxquelles les chercheurs d’emploi font face pour combler l’écart physique entre l’endroit où ils habitent et le lieu de travail. Alors que 87 pourcent des ménages urbains à Tunis vivent à 15 minutes de l’arrêt de bus le plus proche, cette proportion tombe à 54 et 65 pourcent respectivement au Nord-Ouest et au Centre-Ouest. En prenant l’intérieur dans sa globalité, 2/3 des ménages ont un accès mesuré ainsi, et alors que la proportion grimpe à 4/5 des ménages dans les zones côtières qui sont proches des services de transport (Enquête péri-urbaine, Banque Mondiale 2013b). Figure B10.2.1 : Migration interne nette en Tunisie, 1994-2004 60,000 0% Somme de la Migration Nette (1999-2004) Taux de Pauvreté (2011) 2% 40,000 4% Nombre de personnes 20,000 6% - 8% 10% (20,000) 12% (40,000) 14% (60,000) 16% Le Grand Tunis Centre Est Nord Est Sud Est Sud-Ouest Nord-Ouest Centre Ouest Source : Banque Mondiale 2014g. 310 attaquer les disparités régionales En Tunisie, les distances physiques sont limitées mais les distances économiques semblent être grandes (Banque Mondiale 2014g). La Tunisie possède un bon réseau de transport qui permet de minimiser la durée des déplacements. Toutefois, les “distances économiques” (les coûts de transport intérieur) sont importantes. La moyenne des prix de transport routier de marchandises est de 0.22 US$ par tonne-kilomètre, deux cents de moins que la moyenne des prix aux Etats-Unis dont le PIB par habitant est 10 plus élevé que celui de la Tunisie (figure 10.13).12 Le prix moyen de transport de marchandises par route est beaucoup plus élevé en Tunisie que dans d’autre pays en développement comme l’Inde (0.06 US$) et le Vietnam (0.14 US$). Il est également plus élevé que la moyennes des prix dans les pays d’Afrique sub-saharienne (de 0.05 US$ à 0.13 US$) (Teravaninthorn et Raballand, 2009).13 La moyenne nationale tunisienne d’écart coût/prix du transport routier Figure 10.13 : Prix internationaux de transport routier de marchandises, en US cents par tonne-km de marchandises se situe à 44 pourcent 45 et persiste malgré une industrie très 40 38 fragmentée. Une grande variation 35 existe dans l’écart coût/prix à travers 30 26 25 24 les villes et les modalités de mobilité. . 22 20 Les écarts coût/prix pour les villes non 15 13 14 reliées à des autoroutes et des routes 10 5 6 7 8 5 2 4 nationales sont élevés et dépassent 0 48 pourcent quel que soit la distance 0) 7) 7) 7) 2) 7) 7) 0) ) 7) 6) 7) 09 01 00 00 00 00 00 01 01 00 00 00 parcourue. Aujourd’hui, d’importants 20 (2 (2 (2 (2 (2 (2 (2 (2 (2 (2 (2 i( re an le de st st m se A n aw il po US és ra l’E ue na nt ni st In écarts coût/prix existent pour le al Ja st Br Ce Tu ki l’O et de M Au Pa Vi du de ue ue ue riq transport routier de marchandises sur ue riq riq Af riq Af Af Af des distances moyennes à longues Source : Banque Mondiale 2014g. et pour les courtes distances à partir de villes qui ne sont pas reliées au système national d’autoroutes. Les variations d’écart coût/prix entre villes indiquent que le niveau de concurrence varie en fonction des trajets avec des écarts coût/prix moins importants pour les distances courtes autour des grandes villes (- 1 pourcent) et les villes reliées (10 pourcent) et de plus grands écarts pour les longues distances (plus de 55 pourcent pour tous les trajets) et même pour les courtes distances dans les villes non reliées (48 pourcent). La question qui se pose est de savoir si ces différences coût/prix sont, au moins en partie, le résultat d’une structure de marché monopolistique ou cartellisée comme dans le cas de plusieurs pays d’Afrique Sub-saharienne (Teravaninthorn et Raballand, 2009).14 Cela ne semble pas être le cas en Tunisie puisque depuis la déréglementation des années 90, l’industrie intérieure de transport routier est très fragmentée avec plusieurs petits opérateurs (Banque Mondiale 2007a; 2011; 2012a). L’enquête confirme la forte incidence des petits opérateurs et de l’appropriation nationale.15 L’argument de la fragmentation semble être vrai pour les trajets dans les grandes villes et les villes connectées. Toutefois, l’écart coût/prix relativement plus élevé pour les villes non connectées est révélateur d’un nombre moins important d’opérateurs qui travaillent sur ces marchés ce qui leur permet d’extraire des rentes plus consistantes. Mais les forces de concurrence dans le secteur tunisien de transport routier de marchandises ne semblent pas être en mesure de faire baisser les prix de manière significative Parallèlement à la fragmentation du marché, il semblerait qu’il y ait un manque clair de coordination de l’activité de transport de marchandises. Les camionneurs disent que les syndicats et les associations de transports ne jouent aucun rôle sur le marché. Plus de 50 pourcent des camionneurs déclarent faire leur travail en entrant directement en contact avec les expéditeurs ou en attendant les clients la révolution inachevée 311 dans les aires de stationnement réservées aux camions. L’enquête révèle que dans 50 à 70 pourcent des cas, les prix sont arrêtés en négociant directement avec le client. En outre, une grande majorité des 116 répondants déclarent qu’il n’existe aucun système de consolidation des chargements et 13 pourcent disent qu’il existe une sorte de consolidation des chargements qui se passe au niveau de l’entreprise elle-même. Ce manque de coordination pourrait être la cause derrière les coûts élevés parce que les camions sont souvent vides pendant le trajet du retour (près de 72 pourcent de retour à vide), un taux beaucoup plus élevé que celui des entreprises européennes de transport (60 pourcent pour les petits camions et 46 pourcent pour les autres types de véhicules).16 Il n’y a pas non plus de preuve que les cartels sont en train de surenchérir sur les prix du transport comme dans le cas des pays d’Afrique Sub-saharienne. L’analyse fait ressortir un manque de coordination logistique et une faible efficacité opérationnelle à l’origine des coûts importants et par conséquent les prix élevés qui en résultent. Il reste encore des obstacles à l’établissement des grandes entreprises de camionnage qui seraient en mesure d’apporter des capacités financières et techniques plus fortes. La réglementation relative à l’établissement dans le secteur du transport routier a été révisée en 1998 pour imposer aux nouvelles sociétés de plus grandes restrictions en termes de capacités. La révision a introduit des obligations d’investissement plus strictes, par rapport aux sociétés établies, pour tout nouvel opérateur qui voudrait entrer sur le marché. La réglementation n’encourage donc pas les grands opérateurs même si l’objectif initial n’était sûrement pas celui-ci. En plus, le décret initial de 1994 limite l’accès des opérateurs étrangers en les obligeant de s’associer avec des partenaires tunisiens pour assurer des prestations de transport routier.17 Or, le Ministère du Transport a effectué une “Etude du Plan National des Transports” qui est arrivée à la conclusion selon laquelle pour le transport international routier, il serait difficile de concevoir le développement d’un partenariat équitable avec des sociétés étrangères ayant une expertise internationale et une solidité et crédibilité financières. Retirer les obstacles à l’entrée dans le secteur du transport routier aussi bien pour les opérateurs locaux qu’étrangers pourrait contribuer à baisser les coûts. Les opérateurs étrangers, en particulier, seraient probablement très intéressés par le fonctionnement dans le cadre de chaines logistiques/professionnelles élargies plutôt que dans des cadres restreints. 10.4 / S'attaquer aux disparités régionales : Trouver un équilibre entre l’équité spatiale et l’efficacité économique E n œuvrant pour intégrer économiquement les régions phares et celles qui accusent du retard, les responsables politiques tunisiens font face à un double défi qui leur impose d’équilibrer les résultats au niveau spatial et l’efficacité économique. D’un côté, l’efficacité indique que les investissements en matière d’infrastructure sont susceptibles de donner un plus grand rendement aux alentours des principales agglomérations urbaines dans les régions leaders là où la population, les entreprises et les activités économiques sont déjà en place. Si les marchés sont fluides et l’infrastructure est appropriée, la densité dans ces emplacements permet aux sociétés et aux gens de mieux exploiter les économies d’agglomération et les économies d’échelle, ce qui mène vers l’innovation, la création d’emplois et la croissance. D’un autre côté, pour des considérations d’équité, les investissements devraient plutôt être entrepris prioritairement dans les régions à la traîne. Toutefois, les forces du marché n’étant pas en train d’amener les entreprises et les gens vers ces zones, certaines ressources pourraient être gaspillées. D’autres investissements, tels que les investissements dans l’infrastructure sociale, auront de grands avantages dans les régions à la traîne et à travers tout le territoire national et 312 attaquer les disparités régionales peuvent provoquer des augmentations en terme aussi bien d’efficacité que d’équité. Ainsi, la politique publique devrait mettre l’accent sur l’amélioration des conditions de vie à travers le pays pour assurer la qualité des services de base (tels que la santé, l’éducation et le transport), l’accès à une bonne infrastructure (comme le transport et les télécommunications), et plus généralement la qualité de vie (dont les évènements culturels et les loisirs). Les politiques différentiées pour les différentes régions sont plus susceptibles de réaliser l’équilibre souhaité, surtout lorsque l’intérêt suprême de la politique publique est de rehausser la prospérité partout. Pour faire face aux disparités régionales, les décideurs politiques ont devant eux quatre voies d’intervention: S’assurer que les politiques économiques sont neutres par rapport au facteur facteur spatial Comme discuté dans les chapitres précédents, les politiques économiques actuelles sont en train d’exacerber les disparités régionales. Il y a lieu de revoir le Code d'Incitation aux Investissements, les règles et règlementations du marché de travail et la politique agricole pour s’assurer qu’ils ne favorisent pas involontairement une région par rapport à une autre comme c’est actuellement le cas. Le Code d'Incitation aux Investissements favorise les régions côtières en accordant des incitations généreuses aux exportateurs. Les conventions collectives sectorielles imposent des seuils minimums de salaire à travers le pays au détriment des régions les plus pauvres de l’intérieur. Les subventions agricoles favorisent les cultures pour lesquelles les régions de l’intérieur ne possèdent pas d’avantage comparatif au profit donc des régions du Nord. Il importe alors de revoir ces politiques pour retirer les distorsions et assurer des règles de jeu équitables à travers tout le pays. Etendre les services de base : Penser au-delà des investissements en matière d’infrastructure L’analyse ci-dessus indique que les efforts pour égaliser les caractéristiques des régions devraient constituer une des premières priorités de la future politique. La mobilité des facteurs semble être l’entrave principale dans les zones urbaines tunisiennes puisque les écarts de rendement à travers les régions et dans les régions elles-mêmes sont relativement petits. Ce sont plutôt les différences de caractéristiques qui causent les écarts de consommation à travers et dans les régions.18 Ce résultat revêt une grande importance parce qu’il souligne l’existence de disparités au niveau de plusieurs caractéristiques des ménages à travers les régions et confirme le fait que ces disparités sont associées aux niveaux de revenus les plus bas, ce qui prouve que l’accès aux services de base dans les régions défavorisées doit faire partie des objectifs clés consistant à réaliser un accès universel et une bonne qualité des services de base et à améliorer les conditions de vie dans tout le pays. La généralisation des services de base et l’accès à des services de santé et d’éducation de bonne qualité peuvent contribuer à réduire les disparités régionales en Tunisie. Les décideurs politiques tunisiens devraient penser au-delà de la mise à disposition de l’infrastructure et se pencher sur la tarification et sur le recouvrement des coûts ce qui permettra d’étendre l’accès et d’améliorer la qualité des services. Dans les services de base tout particulièrement, il est primordial d’adopter une formule de recouvrement des coûts. D’autres pays ont déjà adopté de telles réformes et sont en train de voir déjà leurs impacts positifs. L’Algérie, l’Egypte et le Maroc ont tous décentralisé l’administration et ont réformé les programmes tarifaires pour augmenter le recouvrement des coûts et encourager la conservation de l’eau. En Algérie, une nouvelle législation datant de 2005 autorise les consommateurs à choisir entre un tarif fixe élevé ou un tarif selon la consommation au compteur. Le tarif fixe encourage les consommateurs à payer des tarifs progressifs ce qui aide à la durabilité en baissant la demande et en augmentant le recouvrement des coûts. Et en décentralisant la gestion la révolution inachevée 313 de l’eau, les tarifs ont été fixés selon les régions pour aller de pair avec le vrai coût du service et l’amélioration des immobilisations (Pérard 2008). Le fait que plusieurs autres pays aient étendu leurs services montre le besoin d’avoir des prix qui puissent couvrir les coûts d’exploitation et les charges tout en étant abordables.19 Mettre à contribution le secteur privé soit à travers des partenariats, pour l’infrastructure ou pour l’exploitation, peut étendre les réseaux et améliorer la qualité du service. Les partenariats public- privé peuvent inciter la participation privée dans des projets et des emplacements vers lesquels l’investisseur privé n’ira pas tout seul. Dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, l’Egypte, la Jordanie et le Maroc ont développé leur contexte réglementaire de façon à appuyer les fournisseurs privés d’eau à travers des contrats allant de cinq à 25 ans (Pérard 2008). Relier les régions défavorisées aux marchés et aborder les défaillances du marché Améliorer la connectivité des régions défavorisées est également un facteur clé qui permettra d’offrir à toutes les régions du pays les mêmes opportunités. Améliorer la connectivité et la mobilité au profit des entreprises et des gens dans les régions défavorisées peut stimuler le commerce et leur permettre d’aller vers les régions dans lesquelles ils sont le plus productifs possible. En reliant les populations pauvres avec de grandes villes et des régions phares et en réduisant les coûts du transport, les pays créent une situation gagnant-gagnant à travers la promotion du développement inclusif. La connexion des régions défavorisées avec les grands marchés et les autres régions phares permet d’augmenter la concentration spatiale de l’activité économique dans les zones phares (hausse de l’efficacité) et améliore aussi la croissance globale bien que les inégalités dans le revenu nominal risquent d’augmenter sur l’ensemble. Pour améliorer la connectivité entre les régions défavorisées et le reste du pays, il importe de baisser les prix du transport. Les investissements en matière d’infrastructure qui facilite le flux des marchandises, des personnes et des informations entre les régions phares et celles défavorisées peut soutenir la concentration économique dans les régions leaders et promouvoir la convergence de la qualité de vie (Banque Mondiale 2008e). Ceci dit et comme discuté ci-dessus, dans la majeure partie de la Tunisie, le principal goulot d’étranglement ne semble pas être une faiblesse au niveau de l’infrastructure. Améliorer la connectivité en Tunisie nécessite aussi l’action du gouvernement afin de garantir le fonctionnement du marché en mettant fin aux défaillances de coordination et en améliorant l’efficacité et la compétitivité du secteur du camionnage. Il semblerait qu’il y ait un grand besoin d’avoir un système de prestation logistique tierce partie pour la coordination des opérations de camionnage, comme l’exemple de l’industrie indienne de camionnage. Ces recommandations se font l’écho d’un travail précédent effectué par la Banque Mondiale qui fait ressortir le besoin de développer et de mettre en œuvre des solutions innovantes telles que (a) les services logistiques tierce partie, (b) l’infrastructure spécialisée comme les zones logistiques et (c) l’appui réglementaire pour la mise en œuvre de nouvelles pratiques (Banque Mondiale 2007a; 2012a). Le gouvernement tunisien est en train de développer des zones logistiques à Rades et à Djebel Oust et compte les développer dans plusieurs autres villes comme Jendouba, Gafsa, Zarzis, Sousse et Sfax (Etude sur l’infrastructure et facilitation du commerce régional, Banque Mondiale 2012a). Ces zones logistiques avec de meilleurs services logistiques tierce partie seront en mesure de fortement améliorer l’efficacité économique des opérations de camionnage et de baisser les coûts et les prix du transport routier en Tunisie. Le rôle du gouvernement consiste aussi à assurer une connectivité équitable. D’un point de vue efficacité, il serait logique d’ouvrir toutes les portes devant les forces du marché et de ne se concentrer que sur l’encouragement de la concurrence. Mais les défenseurs de l’équité soutiennent qu’un trafic faible dans certaines régions (comme dans les petites villes peu peuplées) rendrait certains trajets très peu attractifs pour les opérateurs et les investisseurs privés, perpétuant le manque de connexion de 314 attaquer les disparités régionales ces régions. Pour les zones défavorisées, là où la demande est faible, l’intervention du gouvernement peut s’avérer nécessaire pour assurer leur connexion avec le reste du pays. Sans intervention de l’Etat, les petits volumes qui impliquent les zones défavorisées sont à même de décourager les transporteurs (Arvis et al. 2007). Il serait donc nécessaire de sacrifier une part d’efficacité au profit de l’équité, mais les investissements devraient rester la priorité de façon à ne sacrifier l’efficacité qu’en contrepartie d’une amélioration au niveau de l’équité. Dans d’autres cas, lorsque les marchés sont étroits et qu’attirer des opérateurs de transport est difficile, encourager les modes intermédiaires de transport peut s’avérer être une bonne alternative. Les bicyclettes, les charrettes, les motocycles, les remorques et la participation de la communauté deviennent essentiels pour rehausser la mobilité dans les zones rurales (Lall et Astrup 2009). Par ailleurs, les efforts consentis pour corriger les défaillances du marché (et améliorer l’accès aux marchés) jouent un rôle clé dans la réduction des écarts de prospérité notamment entre les zones phares et les zones rurales défavorisées. Les défaillances du marché semblent être la contrainte essentielle dans les zones rurales défavorisées même lorsque les dotations sont similaires à celles qui existent dans les zones phares. Ceci est important parce qu’il s’agit des régions dans lesquelles nous trouvons les plus grandes disparités de revenus et les taux de pauvreté les plus élevés. Cela confirme aussi l’existence d’une segmentation et de frictions sur le marché du travail qui maintiennent les zones rurales en isolation par rapport aux opportunités économiques. Offrir des incitations aux entreprises et aux personnes pour se déplacer : Gaspiller les ressources au lieu de les épargner Fournir des incitations fiscales et financières pour le développement régional n’est pas susceptible de donner des résultats significatifs. En relevant le double défi qui consiste à trouver un équilibre entre l’équité spatiale et l’efficacité économique, l’expérience donne à penser que les politiques qui favorisent la convergence du niveau de vie à travers les régions ainsi que la concentration de l’activité économique dans les zones urbaines et autour d’elles peuvent aider la Tunisie à passer d’une économie à revenu moyen à une économie à revenu élevé (Banque Mondiale 2008). Les politiques coordonnées décrites ci-dessous (points 1 et 2) sont en mesure d'accroître l’efficacité des villes tout en améliorant l’équité. Cette troisième option qui consiste à accorder des incitations aux sociétés et aux personnes pour se déplacer n’a toutefois pas donné des résultats probants en matière de réduction des disparités régionales dans divers pays à travers le monde. L’expérience tunisienne montre aussi que les incitations ne sont pas la solution idoine pour réduire les disparités régionales en matière d’activité économique. Depuis 1993 le Code d’Incitations aux Investissements, révisé en 2011, permet au gouvernement d’accorder des incitations à l’investissement privé dans les régions défavorisées ou les zones prioritaires. Ces incitations incluent des exonérations fiscales sur les bénéfices et une réduction de 50 pourcent sur les plafonds imposables. D’autres pays ont également essayé de réduire les disparités régionales en déconcentrant l’activité économique ou en offrant des incitations à la delocalisation de la population et la plupart d’entre eux ont échoué. Le programme indonésien de transmigration a essayé de délocaliser la population de Java vers des zones moins peuplées telles que Kalimantan, Papua, Sulawesi et Sumatra. L’objectif était de promouvoir un développement plus équilibré en mettant à la disposition des migrants pauvres de Java des terrains et de nouvelles opportunités économiques. Mais ce programme à coût élevé n’a eu aucun impact sur la densité de Java ni sur le taux de pauvreté parmi les immigrants (Banque Mondiale 2008e). L’Egypte a tenté une autre approche pour déconcentrer sa population loin des centres classiques de croissance en planifiant 20 nouvelles villes le long des 20 dernières années dans le but de réduire la croissance démographique du Caire et de la Vallée du Nil. Ces villes ont à peine attiré 800 000 personnes alors qu’elles étaient conçues pour cinq millions d’habitants (Banque Mondiale 2014g). la révolution inachevée 315 Encadré 10.3 : Les transferts budgétaires interrégionaux peuvent faire converger les niveaux de vie mais échouent quand il s’agit d’influencer l’activité économique L’expérience internationale montre que les transferts interrégionaux peuvent faire converger les niveaux de vie mais n’arrivent pas généralement à avoir une influence sur l’activité économique. Par exemple, le financement équitable des services publics est associé à de moindres inégalités dans les opportunités offertes aux ménages. Les grands investissements japonais en matière d’infrastructure et de services de base à travers les transferts budgétaires au début des années 70 sont largement connus pour avoir égalisé le niveau de vie et avoir conduit à la convergence des revenus entre les régions phares et celles défavorisées (Banque Mondiale 2008). L’expérience internationale indique aussi que pour maximiser leur impacts, les transferts devraient accorder la priorité aux zones à faible revenu ou celles à croissance rapide, récompenser les zones ayant un meilleur rendement sur investissement avec davantage d’allocations budgétaires et assurer une distribution équitable selon le besoin (Banque Mondiale 2008). En Europe, les transferts n’ont pas réalisé la convergence des activités économiques mais ont réussi à faire converger le niveau de vie. Les transferts pour des considérations d’équité régionale au sein de l’Union Européenne, à savoir les fonds structurels et les fonds de cohésion, ont représenté pendant plusieurs années plus de 30 pourcent du total des dépenses de l’UE et près de €347 milliards en 2011. Malgré leur taille, rien ne prouve que ces transferts aient conduit à faire converger les revenus mais on a quand même relevé des impacts positifs au niveau des indicateurs de développement humain (Checherita et al. 2009). Par exemple, dans les régions défavorisées du Portugal les revenus n’ont pas vu une convergence mais certains indicateurs d’équité régionale ont connu une amélioration (Arcalean et al. 2012). Néanmoins, les améliorations n’ont pas touché toutes les régions de manière uniforme et la converge était plus susceptible d’avoir lieu dans les régions ayant des composantes de renforcement institutionnel et un cofinancement régional et privé. Il faut également signaler la relation directe entre la souplesse du financement et l’amélioration des résultats. En Argentine, lorsque engagés de manière inconditionnelle, les transferts interrégionaux ont fortement contribué au développement humain (Habibi et al. 2003). Le Japon a entamé en 1970 un nouveau plan de développement économique et social qui visait essentiellement à traiter les disparités dans les niveaux de vie qui ont connu une montée suite à la croissance rapide dans les principales zones industrielles. Le plan a apporté des investissements publics dans les services de base et les institutions sociales à travers tout le territoire avec des investissements supplémentaires ciblant les régions moins développées. L’objectif principal était d’amener ces régions à réaliser un niveau minimum d’accès aux services de base. Le gouvernement central a fourni des fonds réservés et des fonds non réservés. Les fonds réservés ont été alloués essentiellement à des investissements dans les services de base (y compris les routes rurales) et les institutions sociales (telles que les services publics et les installations médicales et les écoles) et ont eu recours à des accords de partage de coût avec les gouvernements locaux. Au contraire, si les transferts ciblent directement la convergence des revenus ou de l’activité économique, l’échec est très souvent au rendez-vous. Comme dans le cas de la Tunisie, les entreprises font rarement le choix de s’installer dans des régions qui se caractérisent par une mauvaise connectivité et une faible économie d’agglomération et ce malgré les incitations ce qui équivaut à gaspiller les investissements publics (Deichmann et al. 2008; Schultze 1983; Glaeser et Gottlieb 2008). En réalité, ce type de transferts est plutôt corrélé à une moindre équité régionale; une étude récente des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique a identifié une relation directe entre les grands transferts interrégionaux et une convergence plus lente (Kessler et Lessmann 2010). Source : Banque Mondiale 2014g. 316 attaquer les disparités régionales Toutefois, les transferts interrégionaux peuvent être utilisés pour faire converger les niveaux de vie. Les transferts nationaux peuvent être importants pour les régions défavorisées mais les décideurs politiques ne doivent pas oublier que l’expérience internationale a montré que ces transferts sont exploités au mieux lorsque utilisés pour faire converger le niveau de vie. Les ressources sont gaspillées lorsqu’elles sont distribuées dans l’optique de façonner l’activité économique (Voir encadré 10.3). 10.5 / Conclusions La persistance des disparités régionales a été exacerbée par les politiques économiques actuelles. La croissance économique et les investissements publics en développement humain ont contribué à des améliorations significatives depuis 1990 en matière de santé et d’éducation. Et pourtant la Tunisie est toujours caractérisée par de grandes disparités régionales et les tensions sociales qui s’en suivent sont considérées comme étant à l’origine de la révolution de janvier 2011. Paradoxalement, ces disparités ont été jusqu’à un certain degré consacrées ou même exacerbées par les politiques économiques actuelles. La politique industrielle, via le Code d’Incitations aux Investissements, favorise lourdement les exportations qui se concentrent, naturellement, le long des côtes (Chapitre Quatre). La politique de la concurrence a limité l’accès à la majeure partie de l’économie locale onshore laissant libre cours à un réseau de règlementations et de copinage d’entraver le développement de l’économie onshore (Chapitre Deux et Chapitre Trois). Les politiques relatives au marché du travail ont introduit une grande rigidité en imposant des salaires communs au niveau national ce qui décourage l’emploi dans les régions de l’intérieur du pays là où la productivité de la main d’œuvre est plus faible (Chapitre Cinq). Même les politiques agricoles sont favorables aux cultures arables situées au nord et dans les zones côtières au détriment de l’arboriculture, de l’horticulture et de l’élevage des ovins et des caprins qui sont des activités à forte intensité de main- d’œuvre se trouvant essentiellement à l’intérieur (Chapitre Neuf). Ces politiques ont augmenté les coûts déjà élevés de la production dans les régions de l’intérieur à cause d’une infrastructure faible et d’une connectivité limitée. La solution n’est pas d’accorder des incitations fiscales et financières mais plutôt d’améliorer la qualité de la vie et d’accéder aux services de base et la connectivité des régions de l’intérieur. En plus de l’élimination des distorsions introduites par les politiques existantes, l’expérience internationale montre que le gouvernement devrait mettre l’accent sur l’amélioration des services et de la connectivité. Ceci est confirmé dans le cas de la Tunisie. L’analyse présentée dans ce chapitre souligne que la majeure partie de l’écart de consommation entre les zones urbaines dans les régions phares semble être due à des différences dans les caractéristiques des ménages (éducation, accès aux services de base et autres), alors que les différences dans le rendement sur les ressources des ménages (par exemple, à cause d’une connectivité limitée et/ou d’autres défaillances du marché) est plus important lorsque l’on se penche sur les différences entre les zones rurales dans les régions phares et celles défavorisées. Cela montre que le gouvernement doit: (a) concentrer ses interventions pour étendre l’accès aux services de base dans les zones défavorisées en vue de réaliser un accès universel et des services de base de haute qualité (comme la santé, l’éducation et le transport) et plus généralement la qualité de vie à travers le pays (dont les manifestations culturelles et les installations récréatives); et (b) améliorer les liaisons des régions défavorisées avec les marchés à travers l’amélioration de l’infrastructure de connexion (comme le transport et les télécommunications) et à travers l’amélioration du fonctionnement des marchés (pour s’assurer que l’infrastructure existante est utilisée de manière efficace). L’expérience internationale montre, et celle tunisienne le confirme, que les incitations financières et fiscales aux investisseurs ne peuvent se substituer à ces politiques. la révolution inachevée 317 Le gouvernement doit jouer un rôle pour assurer le fonctionnement correct des marchés compétitifs. Le cas de l’industrie tunisienne de camionnage donne un exemple très pratique qui montre que la libéralisation d’un marché ne garantit pas pour autant son bon fonctionnement. L’industrie de camionnage a été libéralisée dans les années 90 et alors qu’elle présente un niveau de fragmentation élevé avec plusieurs opérateurs de petite taille, les prix de transport des marchandises ne semblent pas être bas. Les données semblent indiquer un manque de coordination et un faible niveau d’efficacité qui sont à l’origine des coûts élevés et des prix chers qui en résultent. Cela nécessite de la part du gouvernement de jouer un rôle solide pour aider à dépasser ces défaillances de coordination en soutenant le développement d’un système de logistique tierce partie pour prendre en charge la coordination des activités de camionnage. En outre, le retrait des obstacles à l’établissement des opérateurs locaux et étrangers peut favoriser la consolidation pour arriver à des groupes de plus grande taille et baisser ensuite les prix ce qui devrait permettre d’améliorer la connectivité et de contribuer au développement des régions intérieures. 318 attaquer les disparités régionales Notes 1 Ce chapitre se base sur le Tunisia Urbanization Review (Banque bien intégré au reste du pays et que certaines régions côtières du Mondiale 2014g). Il n’aborde pas les questions en rapport avec Nord sont également mal loties en matière d’accès au marché. le gouvernement local et la décentralisation qui sont traitées en détails dans cette étude. 11 Bien que la connectivité semble bonne, les indicateurs présentés ici ne captent pas les problèmes relatifs à la capacité ou la qualité 2 La Tunisie est organisée en 24 gouvernorats qui peuvent être des routes. Il s’agit d’un sérieux problème et devrait être examiné regroupés dans 7 régions administratives comptant chacune davantage dans les travaux futurs. Pour plus de détails sur les plusieurs gouvernorats contigus: le Grand Tunis (Tunis, Ariana, hypothèses utilisées dans ces calculs, voir Banque Mondiale Ben Arous, La Manouba); le Nord Est (Bizerte, Nabeul, Zaghouan); 2014g. le Nord-Ouest (Béja, El Kef, Jendouba, Siliana); le Centre Est (Mahdia, Monastir, Sfax, Sousse); le Centre Ouest (Kairouan, 12 Une enquête sur l’industrie tunisienne de camionnage a été Kasserine, Sidi Bouzid); le Sud Est (Gabès, Médenine, Tataouine); conduite par la banque Mondiale en 2012 pour mieux comprendre le Sud-Ouest (Gafsa, Kebili, Tozeur). Le Grand Tunis, le Nord Est et la nature du transport de marchandises entre les villes et entre les le Centre Est sont considérés comme étant les zones phares alors régions. Un échantillon aléatoire est prélevé sur un total de 125 que le Nord-Ouest, le Centre Ouest, le Sud Est et le Sud-Ouest sont sociétés de camionnage et 480 opérateurs individuels enregistrés les zones à la traîne. et non enregistrés. Il comprend des informations détaillées sur les prix, les coûts, les caractéristiques clés des services (kilométrage, 3 Voir le Livre Blanc “Tunisie : nouvelle vision du développement taux d’utilisation de la charge utile) et les obstacles auxquels ces régional”, Ministère Tunisien du Développement Régional, prestataires de services font face. L’information a été collectée Novembre 2011. auprès de 84 camionneurs individuels et 49 sociétés de transport de marchandises avec une taille médiane d’emploi de 20 employés 4 Les hauts responsables dans l’administration tunisienne ont permanents à plein temps. Suite à la déréglementation interne, indiqué que malgré le fait que les disparités régionales soient le secteur ne compte aucune participation gouvernementale et souvent mentionnées, en réalité, cela n’a jamais constitué une moins de 10 pourcent de participation étrangère, ce qui reflète priorité de l’époque de l’ancien président Ben Ali. un secteur tenu par de petits opérateurs et des entreprises 5 Il faut signaler que même les villes les plus riches de Tunis, Sfax de moyenne taille. L’analyse révèle des caractéristiques de et Sousse comptent des poches de pauvreté. la structure du marché, l’efficacité du fonctionnement et les défis à relever en matière de connectivité tels que les goulots 6 La même enquête donne la preuve que le littoral compte un d’étranglement infrastructurels et l’environnement réglementaire. plus grand pourcentage (25 pourcent contre sept pourcent dans les régions de l’intérieur) de chômeurs qui refusent des emplois à 13 Les résultats de l’enquête indiquent que les prix élevés pourraient cause d’une incompatibilité perçue entre leurs qualifications et les être dus à des coûts d’exploitation élevés, et surtout les coûts de opportunités d’emploi disponibles. carburant et de maintenance associés à un parc vieillissant et des dysfonctionnements opérationnels (mauvaise qualité des routes 7 Le mix modal tunisien en matière de transport intérieur de et congestion). marchandises est très biaisé en faveur du transport routier avec plus de 80 pourcent de tous les mouvements intérieurs assurés 14 La moyenne nationale estimée de l’écart coût-prix est de 44 par des camions. Alors que 4 pourcent des produits locaux sont pourcent. Il est vrai qu’il s’agit d’une moyenne élevée mais elle est transportés par voie maritime, les chemins de fer ne représentent toujours considérablement en dessous des marges de bénéfice que 14 pourcent de tous les transports terrestres de marchandises estimées pour les trajets internationaux dans les pays africains (Etude sur le transport des marchandises: Diagnostic de la situation tels que le Tchad (163 pourcent), le Ghana (80 pourcent), le Kenya actuelle, rapport de synthèse 2001, voir Banque Mondiale 2007 a). (66 pourcent) et l’Ouganda (86 pourcent) (Teravaninthorn et Etant donné l’importance du transport routier et du transport de Raballand, 2009). marchandises pour l’économie tunisienne, nous mettons l’accent 15 La Tunisie compte 1600 opérateurs enregistrés (y compris les sur la mesure de la connectivité routière physique et les coûts camionneurs individuels) et le nombre de ceux non enregistrés économiques du transport routier de marchandises dans le pays. est estimé à 40 000 (Les camionneurs travaillant avec un 8 Les distances en lignes droites ne saisissent pas les nuances véhicule d’une charge brute inférieure à 12 tonnes ne sont pas de la distance économique qui se compose, surtout dans le cas tenus d’obtenir un permis). Sur les 133 personnes interrogées, du transport de marchandises, des coûts en termes de temps 65 pourcent sont des camionneurs individuels qui possèdent et d’argent (Banque Mondiale 2008e, Banque Mondiale 2012a, moins de deux camions et 90 pourcent de l’échantillon sont des parmi d’autres). Plusieurs facteurs affectent les conditions de entreprises locales ou des opérateurs locaux. Parmi les réponses déplacement tels que l’existence d’un réseau routier, le terrain subjectives, plus de 3/4 des répondants affirment faire face à une sur lequel le réseau est construit, la qualité du réseau, le nombre rude concurrence de la part de plus de cinq concurrents et presque de voies, la rugosité de la route et le ratio de revêtement, et tous déclarent avoir, au moins, deux à cinq concurrents. Plus de 50 déterminent par conséquent les coûts et la durée du voyage. pourcent des répondants disent faire face à une concurrence de la part de camionneurs individuels et 30 pourcent disent faire face à 9 La connectivité physique qui est relativement bonne en Tunisie une concurrence de la part de sociétés locales de camionnage de reflète les efforts récemment consentis par le Gouvernement petite et moyenne tailles. tunisien pour moderniser son réseau routier en mettant l’accent sur le développement d’autoroutes en tant qu’instrument clé pour 16 http://www.euromeTNDransport.org/En le renforcement de la compétitivité. Les efforts ont commencé 17 Décret 94/1994; et voir aussi l’Accord des concessionnaires en depuis 1998 lorsque le gouvernement a adopté un plan de matériels de transport routier 2008, disponible sur le lien suivant: développement des autoroutes visant à promouvoir les autoroutes http://www.commerce.gov.tn/ en partance de Tunis. 18 Cela contraste avec ce qui a été observé dans certains pays 10 Il importe également de noter que le port de Gabes n’est pas d’Amérique Latine et même en Egypte, où la mobilité des facteurs la révolution inachevée 319 pose un problème au sein des régions mais pas entre régions et d’étendre leurs services. De même, en matière d’électricité, (Banque Mondiale 2014g). la Colombie a assoupli sa réglementation pour permettre à un nombre plus grand de sociétés de venir sur le marché et le 19 En Colombie, les politiques qui ont introduit de la souplesse pays est ainsi récemment devenu exportateur dans ce secteur. quant au plafonnement des augmentations tarifaires ont permis (Banque Mondiale 2013d). aux sociétés privées d’eau d’assurer le recouvrement des coûts Références Amara, Mohamed, and Mohamed Ayadi. 2011. “Local Economic Geography: Connecting People to Prosperity.” World Employment Growth in the Coastal Area of Tunisia: A Spatial Bank, Washington, D.C. Dynamics Panel Data Approach.” ERF 17th Annual Conference, Antalya, Turkey. 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Lall, Somik, and Claus Astrup. 2009. “Sri Lanka: Reshaping 320 attaquer les disparités régionales la révolution inachevée 321 322 synthèse et recommandations de politiques Synthèse et recommandations de politiques 11 L’heure du changement est maintenant la révolution inachevée 323 Synthèse et recommandations 11 de politiques L a Tunisie possède un énorme potentiel. Une main d’œuvre qualifiée avec un nombre relativement important de diplômés qui ont fait leurs études à l’étranger. Une bonne administration publique construite sur la tradition mise en place pendant l’ère du Président Bourguiba dans les années 60. De bonnes infrastructures routières dans tout le pays, à telle enseigne que presque tout le territoire national (mais pas l’ensemble) est bien connecté aux centres urbains. Un bon nombre de ports et d’aéroports. Bon raccordement à l’électricité, accès à l’eau potable, et télécommunications. Son emplacement géographique stratégique lui donne un accès privilégié au marché européen énorme. Enfin, dernier élément mais non des moindres : le pays a créé un processus de dialogue tripartite sur les politiques économiques entre le gouvernement, le syndicat et la fédération des employeurs. La Tunisie a tout ce qu’il faut pour devenir le ‘Tigre de la Méditerranée’. Pourtant même si le potentiel est reconnu depuis longtemps, la réalité fait qu’il ne s’est pas encore matérialisé. Pendant la dernière décennie l’économie est restée stationnaire avec de faibles performances et incapable de décoller—on s’accorde généralement à dire que les performances économiques inadéquates sont à l’origine de la révolution de 2011. Ce rapport s’efforce de comprendre les raisons de cette impasse et d’élaborer un agenda qui permettrait de réaliser le plein potentiel de la Tunisie. 11.1 / Le paradoxe économique tunisien : D’une bonne performance à l’impasse du modèle économique1 L es bonnes performances économiques de la Tunisie pendant les dernières décennies ont permis au pays de connaître une plus grande prospérité et une réduction rapide de la pauvreté. Depuis les années 70, la Tunisie a adopté un modèle de développement dirigé par le secteur public dans lequel l’Etat joue un rôle actif dans des secteurs stratégiques et impose des barrières à l’accès dans de larges pans de l’économie. La Tunisie s’est bien développée pendant les années 70 avec quelques mesures d’ouverture de l’économie, notamment avec l’adoption du régime ‘offshore’, couplé avec des politiques d’industrialisation gouvernementales proactives2. Pourtant à partir des années 80, les limites du modèle économique dirigé par l’Etat ont commencé à se faire sentir au moment où la Tunisie était touchée par une grave crise économique. Certains secteurs de l’économie ont été libéralisés à la fin des années 80 et dans les années 90, avec la consolidation du secteur ‘offshore’ et dans le cadre d’un processus d’intégration plus large avec l’UE. Pourtant, les grands axes du modèle économique n’ont fondamentalement pas changé puisque l’Etat a gardé le contrôle de la plus grande partie de l’économie nationale. Comme nous allons l’exposer dans ce qui suit, aujourd’hui encore, plus de 50 pourcent de l’économie tunisienne sont, soit fermés, soit assujettis à des restrictions à l’accès. Ce modèle de développement double conduit par l’état a bien servi les intérêts de la Tunisie dans la phase initiale de son développement économique puisque les tunisiens ont connu une augmentation rapide de leurs revenus par habitant. Même pendant la dernière décennie, la Tunisie a bénéficié d’une croissance relativement rapide du PIB en dotant le pays des performances parmi les meilleures dans la région MENA. La croissance a été relativement inclusive, avec une baisse du seuil national de pauvreté3 qui est passé de 32 à 16 pourcent entre 2000 et 2010, et une amélioration considérable du revenu par tête des 40 pourcent des Tunisiens les plus pauvres (augmentation d’un tiers par tête). Les investissements publics dans le développement humain ont contribué à apporter des 324 synthèse et recommandations de politiques améliorations sensibles pour réduire la mortalité infantile et maternelle ainsi que la malnutrition Figure 11.1 : Taux de croissance réelle du PIB par habitant infantile au niveau national. Les niveaux d’éducation entre 1990 et 2010 ont aussi considérablement augmenté. Une 7% excellente infrastructure routière a été construite 6% dans l’ensemble du pays ainsi que des ports et des 5% Tunisie Union Européenne MENA Revenu Intermédiaire Supérieur aéroports en plus des infrastructures nécessaires à la 4% technologie de l’information et de la communication. 3% 2% Pourtant à la fin des années 90, l’économie a eu de 1% plus en plus de mal à avancer et les performances 0% 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 économiques sont restées insuffisantes. Alors que la -1% croissance réelle du PIB par habitant en Tunisie était en deuxième position dans la région MENA depuis Source : Indicateurs Mondiaux de Développement (IMD). Remarque : MENA se réfère aux pays de la région MENA qui n’ont pas de pétrole. les années 90, elle est restée sérieusement en deçà Les taux de croissance de la courbe ont été lissés avec un filtre HP. des taux de croissance observés dans d’autres pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure pendant la même période—et contrairement à Figure 11.2 : Evolution du chômage par niveau d’instruction beaucoup de ses pairs, la Tunisie n’a pas décollé Chômage avec niveau primaire ou moins PIB par habitant (axe droit) pendant les deux dernières décennies (figure 11.1). Chômage avec niveau secondaire Rendement par employé (axe droit) La Tunisie a, d’autre part, souffert d’un taux 20% 30 En milliers de TND constants de chômage élevé avec une création d’emplois 25 insuffisante et une qualité d’emplois créés qui est Taux de chômge 15% 20 demeuré basse. Le chômage est resté constant au- 10% 15 dessus de 13 pourcent depuis le début des années 10 1990, en affectant de plus en plus les jeunes (figure 5% 11.2).4 La plupart des emplois crées par l’économie 5 l’ont été dans des activités à basse valeur ajoutée 0% 0 et principalement dans le secteur informel, avec des 19 4 19 7 19 9 19 4 19 5 19 6 19 7 19 8 20 9 20 0 20 1 20 2 20 3 20 4 20 5 20 6 20 7 20 8 20 9 10 8 8 8 9 9 9 9 9 9 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 19 salaires bas et sans aucune sécurité d’emploi, ce qui Source : INS ; Calculs des auteurs ne correspondait pas aux aspirations d’un nombre Remarque : Un changement de la définition du chômage a été introduit en 2008 pour aligner la Tunisie avec la définition de l’OIT et a mené à une réduction de plus en plus grand de diplômés universitaires.5 approximative de 1,5 point de %age du chômage. En conséquence, alors que la Tunisie développait l’enseignement supérieur pour préparer la montée sur l’échelle de la chaîne de valeur, l’économie n’a pas été en mesure de progresser au-delà des activités à basses qualifications et bas salaires. Il en résulte que, ces dernières années, les nouveaux chômeurs sont principalement des jeunes et des personnes instruites, ce qui reflète une inadéquation structurelle entre la demande du marché du travail orientée vers un personnel non qualifié et une offre de plus en plus importante de personnel qualifié (Banque Mondiale 2010a). Le secteur public est devenu de plus en plus la seule source d’emplois pour les diplômés et fin 2012, plus de 30 pourcent des diplômés étaient toujours au chômage. Ces taux de chômage élevés ainsi que la qualité médiocre des emplois disponibles sous-tendent le grand mécontentement social qui a été exprimé par la jeunesse tunisienne. L’incapacité d’adapter les politiques économiques a fait que la Tunisie n’a jamais été en mesure de dépasser une création d’emplois à bas salaires. Comme nous l’avons mentionné, le modèle conduit par l’Etat était caractérisé par une concurrence limitée et une intervention active de l’état. Ce modèle a relativement bien fonctionné pour la Tunisie à l’origine mais a engendré, comme nous l’expliquerons plus tard, de plus en plus d’inefficacité, de distorsions et de recherche de rente qui ont entravé l’activité économique. Ce n’est pas la ‘libéralisation’ de l’économie qui a entraîné dans la révolution inachevée 325 son sillage le chômage et les bas salaires en Tunisie—la Tunisie a toujours eu du chômage et des emplois à bas salaires. D’ailleurs, l’ouverture du secteur offshore orienté vers l’exportation et le processus de libéralisation graduel depuis la fin des années 80 ont aidé à créer plus d’emplois, ce qui était en soi un développement positif. Pourtant, alors que les emplois à bas salaires pouvaient être satisfaisants dans les années 80 et 90 lorsque les niveaux d’éducation et de vie étaient plus bas, ils sont devenus de plus en plus insuffisants au fur et à mesure que le pays franchissait certaines étapes de développement (dans l’éducation, les revenus et l’industrialisation). La Tunisie n’a pourtant pas réussi à dépasser le stade d’une économie à basses qualifications et bas salaires parce qu’elle n’a pas ouvert son économie (aux investisseurs nationaux ainsi qu’à l’international) et qu’elle n’a pas changé son modèle économique sous-jacent de contrôle par l’Etat. C’est ce manque de changement, dans une situation de bombe à retardement démographique avec les jeunes diplômés, qui a fait que le modèle économique est devenu de plus en plus inadapté. Pour rendre la situation pire encore, le large faisceau de réglementations associé à une intervention omniprésente de l’Etat a facilité le développement de la corruption et du copinage, qui ont fait que les opportunités n’étaient pas les mêmes pour tous. Le copinage et la corruption sont devenus de plus en plus flagrants et ceux qui étaient au pouvoir détournaient de plus en plus souvent les règles pour servir leurs intérêts (Banque Mondiale 2009a). Des lois supposées encourager la concurrence et l’investissement étaient contournées et les rentes extorquées par ceux qui étaient au plus près du pouvoir politique, ont miné le décollage de l’économie et annihilé sa capacité d’offrir à tous de la prospérité et de bons emplois. Les inégalités et l’accès inégal aux opportunités ont conduit au ressentiment de population (encadré 11.1). Encadré 11.1 : Ce que la Banque Mondiale a appris de la Tunisie Jusqu’en 2010, la Tunisie semblait bien se porter et était considérée par la Banque mondiale et le FMI comme un modèle à suivre par les autres pays en développement, et que le Forum économique mondial a plusieurs fois classé la Tunisie comme l’économie la plus compétitive en Afrique. En fait, au-delà de la façade brillante souvent présentée par l’ancien régime, l’environnement économique en Tunisie était (et demeure encore) profondément défaillant. Fait encore plus important, l’infrastructure stratégique mise en place pendant la période Ben Ali a non seulement donné lieu à des résultats économiques inadéquats mais a de plus soutenu un système basé sur les privilèges, qui appelle à la corruption et aboutit à l’exclusion sociale de ceux qui ne sont pas bien introduits dans les sphères politiques. Les défaillances du modèle économique tunisien étaient, en fait, déjà très visibles pendant l’ère Ben Ali. En effet, la révolution a été sans aucun doute l’une des effusions de la colère populaire à l’encontre du système que le clan Ben Ali avait créée, parce que même si les Tunisiens n’avaient pas le droit d’en parler, tout le monde savait ce qui se passait dans les coulisses. Et bien que les rapports précédents de la Banque mondiale aient régulièrement mis en relief les défaillances réglementaires, les obstacles à l’accès au marché et les privilèges de l’ancien système, cela était souvent fait de manière masquée dans un langage bureaucratique, qui n’allait pas au cœur de ce qui était clairement un système asphyxié par sa propre corruption. Avec du recul, la Banque a appris, que dans le cadre de ses efforts pour demeurer engagée et pour aider les démunis, elle pouvait facilement oublier le fait que son engagement peut mener à perpétuer le type de systèmes économiques qui maintiennent les pauvres dans la pauvreté. La leçon apprise nécessitera que la Banque Mondiale souligne inconditionnellement, pour elle-même et ses partenaires, l’extrême importance du droit à l’accès à l’information, de la transparence et de la redevabilité comme partie du programme de développement favorable aux pauvres, en Tunisie comme partout ailleurs. 326 synthèse et recommandations de politiques En fait ce modèle économique aurait pu atteindre une impasse plus tôt s’il n’y avait pas eu la Figure 11.3 : De grandes disparités régionales persistent croissance du secteur ‘offshore’. L’ouverture en Tunisie relative de l’environnement offshore et son climat Nombre de pauvres en 2010 par région propice aux investissements a agi comme un 35 aimant pour les investisseurs privés en faisant 30 avancer l’économie et en créant quelques emplois. 25 Pourtant le régime offshore en Tunisie (tout comme 20 les ‘zones de libre-échange’ mises en place dans 15 plusieurs pays de la région MENA) a été créé pour 10 attirer les IDE dans un environnement confiné, pendant que le reste de l’économie continuait à 5 être régi par des réglementations très lourdes et 0 Tunisie Grand Nord Centre Sud Nord- Centre South des pratiques anti-concurrentielles. Donc, alors Tunis Est Est Est Ouest Ouest Ouest que l’économie offshore était florissante le long des côtes, la pénurie en opportunités économiques Source : INS, BAD et Banque Mondiale (2012). à l’intérieur du pays engendrait une frustration plus grande encore. Les conditions économiques se sont améliorées pour la plupart des Tunisiens mais de grandes disparités ont subsisté entre le littoral et les régions de l’intérieur. Les taux moyens de pauvreté sont restés quatre fois plus élevés dans l’intérieur du pays que dans les riches zones côtières (figure 11.3). Les politiques économiques ont contribué à entretenir ces disparités puisque la plupart des investissements privés était attirée par le secteur offshore orienté sur l’exportation et donc principalement installé le long des côtes, proche des infrastructures nécessaires pour l’export. De la même manière, les politiques agricoles avantageaient les filières qui n’étaient pas cultivées à l’intérieur du pays. Les investissements publics se sont aussi déplacés vers les côtes et donc la qualité des services publics et des infrastructures est restée plus basse dans les régions de l’intérieur du pays. En fin de compte, les politiques économiques tunisiennes ont montré leur incapacité à s’attaquer aux nouveaux défis du développement : le manque de concurrence et le copinage, le dualisme et la réglementation excessive ont étranglé de façon croissante les initiatives économiques et empêché la transformation du pays. Les performances économiques étaient positives mais insuffisantes et réparties d’une manière peu équitable. La persistance des inégalités et de l’inégalité des chances combinée au manque de transparence et aux abus flagrants des partisans du régime a attisé la frustration au sein de la population, plantant ainsi le décor de la révolution du mois de janvier 2011. 11.2 Qu’est-ce qui ne va pas dans les politiques économiques passées de la Tunisie ? Ce rapport souligne que les performances économiques décevantes de la Tunisie sont le résultat de multiples barrières au fonctionnement des marchés et de distorsions profondes instillées par des politiques économiques bien intentionnées mais mal orientées. De nombreuses politiques et réglementations mises en place à l’origine pour diriger et accompagner le développement économique du pays en attirant les investissements, dopant la croissance économique et l’emploi et réduisant les disparités régionales, ont eu un effet de distorsion de plus en plus fort sur le développement des marchés et ont généré des barrières non intentionnelles à la concurrence. Ce faisant, elles ont entravé le processus de « destruction créatrice » et empêché la réaffectation des ressources pour une meilleure productivité et la création d’emplois. D’autre part, les règles de politique industrielle, du marché du travail et des institutions ont introduit par inadvertance des biais vers des activités à la révolution inachevée 327 faible valeur ajoutée et en faveur des régions côtières. De la même manière, la politique agricole a empêché, plutôt que soutenu, le développement des régions de l’intérieur du pays. Les politiques interventionnistes ont également favorisé le copinage et les pratiques de corruption qui ont achevé de décourager l’entreprenariat et les investissements du secteur privé. Donc même si elles avaient été mises en place avec les ‘meilleures’ intentions, beaucoup de ces politiques interventionnistes ont fini par générer des inégalités et l’exclusion de ceux qui n’avaient pas les connexions politiques nécessaires. Ces écueils seront discutés plus tard. Dans ce rapport nous nous concentrons sur les principaux aspects des politiques économiques tunisiennes, ceux qui ont conduit à l’impasse actuelle mais qui pourraient jouer un rôle essentiel pour déployer le potentiel de la Tunisie. Nous évaluons le cadre réglementaire en matière de concurrence et d’investissement, ce qui est le fondement des marchés. Nous discutons du fonctionnement des facteurs-clés pour les marchés, notamment le marché du travail et le secteur financier. Nous examinons ensuite la politique industrielle et agricole en Tunisie, les politiques des secteurs des services et les politiques de développement régional qui sont au cœur des défis et des opportunités économiques de la Tunisie. Nous allons commencer, dans les paragraphes qui suivent, par fournir les temps forts de l’évaluation des politiques économique en Tunisie. Un environnement réglementaire protégé : Manque de concurrence et lourd fardeau bureaucratique Plutôt que de la cultiver, le modèle économique actuel a restreint la concurrence. De vastes restrictions du nombre de sociétés autorisées à opérer sur le marché ont été combinées avec de nombreux monopoles juridiques (publics) et des contraintes réglementaires excessives dans les secteurs des réseaux, ce qui a sérieusement limité la concurrence. En fait, les secteurs dans lesquels les investissements sont soumis à restrictions représentent plus de 50 pourcent de l’économie tunisienne, que ce soit à Figure 11.4 : Coût des appels internationaux entrants cause du Code des Incitations à Investir, de la Loi sur Skype sur la Concurrence ou de législations sectorielles US$ cents spécifiques. Beaucoup de ces secteurs restent 45 40 de facto fermés à la concurrence. Le nombre de 35 concurrents est explicitement limité par la loi ou 30 25 par des règlementations dans certains secteurs 20 (comme par exemple l’eau, l’électricité, les 15 télécoms, le transport routier, le transport 10 5 aérien, les chemins de fer, le tabac, les pêches, 0 le tourisme, la publicité, la santé, l’éducation, Tu re Sé al Tu l M isie Co r o e Bu il ie Eg n Ru te da oc d ga la formation professionnelle, l’immobilier, les a és ng ui Ira ha p ar lib yp Re nm ar an Né né rq n Br Tc lg M é ya ch p services de développement agricole, la vente au ar M détail et la distribution, etc.).6 D’autre part, les sociétés étatiques détiennent entre 50 et 100 Source : Skype, Coût d’un appel des USA vers d’autres pays. pourcent des marchés du gaz, de l’électricité, des chemins de fer, du transport aérien et des services de téléphonie fixe, et beaucoup de ces sociétés se comportent comme des monopoles dans la production, l’importation et/ou la distribution de différents produits (par exemple l’huile d’olive, la viande, le sucre). Certains segments de marchés eux-mêmes dans le gaz, les transports et les télécoms, où la participation du secteur privé est faisable, restent fermés comparativement aux pays de l’OCDE et aux pays comparables (voir Chapitre Deux). Même si cette situation était devenue le statu quo pour les Tunisiens, le manque flagrant de concurrence a d’importantes répercussions sur les performances de l’économie. Les sociétés opérant dans les 328 synthèse et recommandations de politiques secteurs avec des restrictions à l’accès bénéficient de facto de rentes dues au fait qu’elles n’ont que très peu de concurrence. Ces sociétés restent rentables principalement à cause de la protection dont elles profitent sur le marché national—au détriment des consommateurs qui sont obligés d’acheter des produits plus chers et de qualité inférieure fabriqués par ces sociétés non concurrentielles—ce qui contribue à faire encore baisser les investissements et la création d’emplois. Par exemple le prix des communications internationales vers et depuis la Tunisie est un des plus élevé au monde, plus de dix fois le prix du marché international et comparable seulement avec des pays comme Myanmar et la République Démocratique du Congo—ce prix très élevé que doivent payer les consommateurs et les sociétés se traduit par des profits oligopolistiques pour Tunisie Telecom et Ooredoo Tunisie (précédemment Tunisiana) ainsi que dans une moindre mesure pour Orange, et réduit la compétitivité des sociétés tunisiennes (par exemple le prix élevé des communications internationales nuit au potentiel de la Tunisie en tant que centre de offshoring offrant des services de marketing/finances/ comptabilité/juridiques aux sociétés de l’UE qui pourrait amener une importante création d’emplois). La logique de ce type de restrictions a souvent été de permettre le développement d’une capacité de production locale, et d’y inclure la fourniture de services de base et de services publics. Dans la pratique, comme présenté plus tard, ces restrictions ont survécu à leurs objectifs de développement et, le temps passant, elles ont de plus en plus entravé la concurrence, attisé les inefficacités et le copinage et sapé l’initiative privée. Le secteur bancaire est un exemple des effets de la concurrence limitée—mais le même problème affecte de nombreux autres secteurs de l’économie. Le système bancaire tunisien est caractérisé par une rentabilité limitée, l’inefficacité, une intermédiation de crédit réduite et des vulnérabilités importantes. L’intensification capitalistique est restée limitée pendant la dernière décennie et demeure largement en dessous de son potentiel. D’autre part, les performances du portefeuille d’emprunts sont très faibles et représentent de plus en plus un risque pour la stabilité du système financier. Les progrès en matière d’innovation de produits et de qualité de services sont eux aussi restés en général très limités. Paradoxalement, en dépit du grand nombre de banques, nous constatons que le niveau de concurrence dans le secteur bancaire tunisien est plus bas que la moyenne régionale. Ceci est largement dû à l’inefficacité et aux erreurs de gouvernances qui affectent les trois grandes banques étatiques qui, à elles trois, représentent presque 40 pourcent du secteur.7 Il en découle que les sociétés ordinaires ont beaucoup de difficultés pour avoir accès au financement—ce qui a été déclaré comme une contrainte majeure pour 34 pourcent des sociétés tunisiennes et par 39 pourcent des entreprises de taille moyenne dans l’Evaluation du Climat des Investissements Banque Mondiale 2014 (voir Chapitre Six) En plus des fréquentes barrières à l’accès l’omniprésence de l’état dans l’économie a engendré une épaisse couche de bureaucratie qui étouffe les efforts des entrepreneurs tunisiens et diminue la compétitivité des sociétés. Les coûts élevés générés par la bureaucratie représentent un fardeau notamment pour les petits entrepreneurs qui n’ont pas les moyens de sous-traiter la gestion des démarches administratives, et incitent les petites entreprises à rester dans le secteur informel. Les résultats de l’Evaluation du Climat des Investissements 2014 de la Banque Mondiale mettent en exergue le fardeau bureaucratique global qui impose une ‘taxe’ à la compétitivité des entreprises réduisant l’investissement et la création d’emplois - on estime que près de 13 pourcent du chiffre d’affaires annuel des sociétés est consacré aux réglementations c’est-à-dire aux coûts cumulés de l’interaction avec l’administration (coûts directs et indirects, y compris les délais d’exécution ; voir Chapitre Quatre). D’ailleurs ce fardeau est encore plus élevé pour les sociétés qui produisent pour le ‘secteur onshore’. Un autre domaine du bourbier bureaucratique couvre les marchés fonciers, ce qui pose un problème aux investisseurs, à l’agriculture et à l’aménagement urbain. Les réglementations qui régissent l’enregistrement des titres de propriété et les transactions sont telles que les pauvres ont du mal la révolution inachevée 329 à acquérir des terres ou des biens immobiliers. Par exemple, les coûts d’enregistrement d’un bien immobilier sont de 6,1 pourcent du prix d’acquisition en plus des 30 dinars de frais administratifs, et des 30 à 300 dinars d’honoraires d’avocat. Dans les pays de l’OCDE, les frais d’enregistrement sont plus bas à 4,5 pourcent du prix du bien immobilier. Et en Géorgie—un pays qui a réduit les frais de transaction et les tracasseries administratives en tous genres—l’enregistrement du titre se fait en une seule procédure d’inscription sur un registre public, ne prend en moyenne que deux jours et ne coûte que 0,1 pourcent du prix d’un bien immobilier (voir Chapitre Quatre). La réglementation du marché du travail encourage l’exploitation et l’insécurité de l’emploi Paradoxalement, les règles du marché du travail ont exacerbé la tendance vers des activités à basse valeur ajoutée sans pour autant protéger ni les travailleurs, ni les emplois. La Tunisie n’a pas de système de sécurité sociale solide et ne dispose pas en particulier, d’un régime efficace d’assurance en cas de perte d’emploi. Pour protéger les travailleurs contre une soudaine perte d’emploi, les règles tunisiennes qui régissent l’emploi compensent avec des mesures très strictes de licenciement pour les contrats à durée indéterminée. Cette situation a incité les sociétés à demander une plus grande flexibilité pour adapter la main d’œuvre employée à la situation économique. Au début des années 2000 la question a été réglée avec la mise en place de contrats à durée déterminée qui permettent d’embaucher du personnel avec des contrats à court terme, très flexibles renouvelables jusqu’à une durée totale de 4 ans. Les règles de licenciement très strictes qui régissent les contrats à durée indéterminée contrastent fortement avec la ‘flexibilité sauvage’ des contrats à durée déterminée. Cette dichotomie entre les contrats à durée indéterminée et à durée déterminée encourage indirectement l’informalité et l’insécurité d’emploi puisque les sociétés évitent de donner à leur personnel des contrats à durée indéterminée pour garder de la flexibilité—ce qui a donné lieu à des abus avec des pratiques d’exploitation des travailleurs désigné en Tunisie comme un phénomène de ‘sous-traitance’. Avec des licenciements de personnel sous contrat Figure 11.5: Coin fiscal dans en comparaison internationale et par à durée indéterminée très ‘couteux’ (ce qui niveau académique en Tunisie favorise donc l’informalité et les contrats à durée déterminée qui sont mieux adaptés aux emplois de Mexique basse qualification), les réglementations relatives Vietnam à l’emploi ont contribué involontairement à diriger Corée les investissements privés vers les activités à basse Jordanie valeur ajoutée et les emplois à basse qualification. Tunisie De plus, le système de sécurité sociale en Egypte Tunisie occasionne une lourde charge fiscale, Turquie qui contribue à un niveau élevé d’informalité, et Maroc décourage la création d’emplois qualifiés.9 Les 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 preuves dans divers pays montrent que plus la charge fiscale augmente plus l’emploi formel BAC+5 baisse. En Tunisie les impôts sur la masse salariale (payées par l’employeur) et les contributions de BAC+4 sécurité sociale (payés par les employées) est proche de 29 pourcent des salaires. En fait, les BAC+3 contributions de sécurité sociale sont souvent perçues comme une taxe, puisque les revenus SMIG ne sont pas directement liés aux avantages reçus 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 par l’employé. Selon le degré auquel les employés Source : données traitées à partir de la Banque Mondiale (2013a) (en haut) et apprécient l’ensemble des avantages sociaux, le de Belghazi (2012) (en bas). coin fiscal peut atteindre jusqu’à 38 pourcent, et ceci agit sans conteste comme un obstacle à la 330 synthèse et recommandations de politiques création de plus d’emplois formels, en particulier parmi les petites et moyennes entreprises (voir Chapitre Cinq). Il en résulte un niveau plus élevé d’informalité – et donc une moindre protection des employés. A cause de la progressivité de l’impôt sur le revenu, le coin fiscale est plus élevée pour les employés qualifiés que pour les travailleurs non-qualifiés (figure 11.5). D’autre part, les Conventions Collectives par secteur sont susceptibles d’exacerber encore davantage les disparités régionales. En Tunisie, le respect de ces conventions collectives (CC) est obligatoire pour tous les employés dans le secteur couvert par l’accord. Les CC peuvent mettre en place des grilles/échelles de salaires qui dépassent les niveaux de productivité si les employeurs n’y voient pas d’objection. Alors que les salaires minimums ne sont pas nécessairement contraignants en Tunisie, on observe que les Conventions Collectives sont peut-être plus contraignantes puisque le niveau minimum de salaire dans les CC est souvent relativement élevé par rapport à la productivité moyenne (voir Chapitre Cinq). Ces accords à l’échelle de tout un secteur risquent donc d’entraver la compétitivité des régions de l’intérieur puisque les mêmes grilles de salaires s’appliquent à l’ensemble du pays. Cette situation sape les chances des régions de l’intérieur d’attirer des investisseurs en offrant des coûts du travail plus bas. Si les défis et coûts de mise en place d’une entreprise sont plus élevés dans l’intérieur du pays par rapport aux régions côtières, pour des niveaux de salaires équivalents, les investisseurs vont choisir de ne pas monter leur entreprise à l’intérieur du pays—ce qui fait que d’une manière paradoxale, les CC risquent en fin de compte d’exacerber les disparités régionales. Les politiques industrielle et agricole introduisent des distorsions et renforcent les disparités régionales La politique d'investissement, qui est centrée sur le traitement séparé des entreprises produisant pour le marché intérieur (onshore) et les entreprises produisant pour l'exportation (offshore), est à l'origine des problèmes de développement en Tunisie aujourd'hui. La dichotomie onshore-offshore s’est révélée initialement utile dans les années 1970, mais elle contribue aujourd’hui à maintenir les deux côtés de l'économie dans le piège d’une faible productivité (voir Chapitre Quatre). D'une part, comme nous le verrons plus loin, le secteur onshore, très protégé, est caractérisé par des entreprises à faible productivité qui survivent en grande partie grâce à des privilèges et à l’extraction des rentes (résultant des obstacles à l'accès pour la concurrence). D'autre part, les entreprises qui opèrent dans les 50 pourcent de l'économie qui sont ouvertes à la concurrence (ce qu'on appelle le secteur offshore) sont lésées par le fait que les services et les biens intermédiaires produits dans le secteur onshore sont de mauvaise qualité et / ou offerts à des prix non-concurrentiels. Cette segmentation, qui limite les liens entre les entreprises des deux régimes, a entraîné une augmentation des importations de produits intermédiaires et une baisse des produits fabriqués en Tunisie (c'est donc, moins de valeur ajoutée en Tunisie) et donc moins d'emplois. En théorie, les sociétés offshores pourraient acheter de l’onshore sans taxes et pourraient également vendre une partie de leur production sur le marché national. Mais en réalité très peu de sociétés offshores exercent cette option. Afin d'être compétitives et de pouvoir vendre leurs produits sur le marché mondial, ces entreprises ne peuvent pas utiliser ces pièces de mauvaise qualité et coûteuses dans leurs procédés de fabrication et importent la plupart des intrants dont elles ont besoin. En outre, le commerce avec le secteur onshore les exposerait à un lourd fardeau administratif (voir Chapitre quatre). Ainsi, les sociétés offshore préfèrent acheter à l’étranger des intrants intermédiaires de bonne qualité et non taxés. Ceci veut dire que le contenu en valeur ajoutée des exportations tunisiennes reste limité puisque la plupart des composantes des biens exportés sont produits à l’étranger—et que seuls l’assemblage et les tâches à basse valeur ajoutée sont réalisés en Tunisie. Ainsi, alors que plus de la moitié des exportations tunisiennes sont des produits finis, y compris de nombreux produits de haute technologie comme les machines à coudre, téléviseurs, et les instruments médicaux de précision, dans la pratique, la Tunisie ne produit pas beaucoup de ces produits - la plupart du temps, elle assemble les pièces produites à l'étranger. En conséquence, non seulement il y la révolution inachevée 331 a moins d'emplois, mais aussi il n’y a pas de demande pour recruter les nombreux diplômés qualifiés. Et, parce que la valeur ajoutée par les travailleurs tunisiens aux produits exportés est petite, le salaire de ces emplois est également faible. Le Code d’Incitations aux Investissements a apporté des résultats limités lorsqu’il s’est agi d’attirer des investissements supplémentaires ou de créer des emplois tout en exacerbant les disparités régionales. Les coûts directs des incitations sont très élevés par rapport à leur impact. L’analyse coûts/bénéfices du Code a montré que le coût total des incitations se monte à environ 2,2 pourcent du PIB (en 2009 ; ou approximativement US$ 1 milliard) et que 79 pourcent de ce montant sont gaspillés parce qu’ils profitent à des sociétés qui auraient investi même sans mesures d’incitation (voir Chapitre Quatre). Par ailleurs, moins de 2500 entreprises ont reçu la majorité des incitations alors qu’elles sont concentrées dans des secteurs qui n’emploient que peu de personnel et qui n’ont donc pas besoin de ces mesures d’incitation, notamment les mines, l’énergie et la banque. Il en résulte que chaque emploi supplémentaire créé grâce aux incitations à l’investissement coûte jusqu’à 20,000 dollars ce qui est très élevé pour la Tunisie. D’autre part, comme nous le présenterons plus tard, le Code a attiré principalement des investissements ‘délocalisables’ concentrés sur l’assemblage et d’autres activités à basse valeur ajoutée—en distordant la production à l’encontre des activités à haute valeur ajoutée dont on a désespérément besoin pour employer les diplômés. Enfin, plus de 85 pourcent des projets et des emplois qui bénéficient des mesures d’incitation ont été créés dans les régions côtières (où les sociétés exportatrices sont naturellement installées) ce qui exacerbe encore les disparités avec les régions de l’intérieur du pays. La politique agricole n a pas réussi à doper le secteur contribué à orienter la production loin des récoltes à haute intensité de main-d’œuvre produites dans les régions de l’intérieur, augmentant ainsi le chômage et les disparités régionales. La Tunisie n’a pas vraiment de politique agricole ; elle a plutôt une politique de sécurité alimentaire qui en fait freine le développement de son secteur agricole. Les politiques agricoles étaient supposées protéger les revenus des agriculteurs et doper la sécurité alimentaire pour les céréales, le lait et la viande de bœuf. En réalité, ces politiques ont réprimé le secteur agricole en distordant la production qui a abandonné les produits qui nécessitent une main d’œuvre abondante et pour lesquelles les régions de l’intérieur du pays sont concurrentielles en Tunisie au profit de produits comme les céréales, la viande de bœuf et le lait, pour lesquels la Tunisie n’est pas compétitive et qui sont principalement concentrés dans les régions côtières du nord. Le coût global de l’appui à l’agriculture est élevé en Tunisie. En plus des coûts budgétaires assumés par les contribuables (qui représentent près de 1 pourcent du PIB), il y a également les coûts directs payés par les consommateurs qui doivent payer plus cher pour les produits alimentaires, estimés à 4 pourcent de la consommation. Les interventions agricoles distordent également la production et le commerce en générant des pertes d’efficacité qui sont supportées par l’ensemble de l’économie et estimées à environ 8,8 pourcent du PIB. Il en résulte une perte nette en termes de bien-être pour le pays, ainsi qu’une redistribution en quittant les régions de l’intérieur du pays au profit des zones côtières. D’autre part, et contrairement à certaines idées reçues en Tunisie, la distribution des avantages issus des subventions agricoles existantes est très inéquitable, puisqu’ils profitent principalement à quelques grands propriétaires terriens (qui produisent du blé, du lait et du sucre) et aux régions côtières, plutôt qu’aux petits exploitants et propriétaires. 11.3 / L’impasse économique en Tunisie est le résultat de ces politiques U ne analyse approfondie des performances de l’économie tunisienne montre des disfonctionnements graves qui sont le résultat des politiques économiques actuelles présentées ci-dessus. On observe que les ressources économiques semblent être cantonnées à des secteurs à productivité relativement basse, ce qui suggère l’existence de barrières et de distorsions qui ont empêché la réaffectation 332 synthèse et recommandations de politiques des ressources vers des activités plus rentables. Ceci est important parce qu’une productivité plus élevée est un moyen pour une création plus rapide d’emplois de meilleure qualité. Compte tenu du rythme limité de changement de l ‘économie, cependant les sociétés semblent stagner en terme de productivité et de création d’emplois—une sorte de paralysie du secteur privé. De la même manière lorsqu’il s’agit d’exportations et d’intégration commerciale, l’économie tunisienne semble incapable de dépasser le montage et autres tâches à basse valeur ajoutée pour la France et l’Italie (ce qui signifie des emplois de basse qualité). Ces problèmes sont le reflet d’un environnement où le copinage et l’extraction de rentes (plutôt que la concurrence et la performance) sont les moteurs du succès économique. Nous exposerons nos constatations plus en détail dans ce qui suit. Stagnation structurelle : Persistance de l’affectation de ressources inefficace L’économie tunisienne semble incapable de réaffecter ses ressources efficacement ‘tous secteurs confondus’ et continue à fonctionner en deçà de son potentiel. Une des idées-clés de l’économie du développement est que la croissance est générée en partie par un passage du secteur agricole au secteur industriel. Cette constatation repose sur le fait que l’agriculture est en général le secteur qui a la productivité du travail la plus basse et (c’est-à-dire la plus faible création de valeur ajoutée par employé), que lorsque la main d’œuvre passe du secteur agricole au secteur industriel, la productivité globale augmente et les revenus progressent. D’ailleurs les économies dynamiques ont tendance à être caractérisées par une transformation structurelle rapide au fur et à mesure que les ressources sont réaffectées des activités à basse productivité vers des utilisations plus productives. Ce processus est aussi accompagné par une plus grande et meilleure qualité création d’emplois. A l’inverse, la contribution des changements structurels’ à la croissance a été faible en Tunisie—changements structurels, c’est-à-dire la réaffectation de la main d’œuvre des secteurs à basse productivité vers les secteurs à haute productivité n’a contribué qu’à 8 pourcent des changements en terme de PIB par habitant entre 2000 et 2010, qui est bas en comparaison avec d’autres pays (voir Chapitre Un). Pire encore, lorsque la main d’œuvre finit par se déplacer d’un secteur à l’autre, elle ne devient pas nécessairement beaucoup plus productive. En Tunisie, la productivité moyenne dans le secteur manufacturier reste très basse et guère plus élevée que celle du secteur agricole. D’ailleurs notre analyse montre que l’écart de productivité entre les secteurs industriel et agricole est très bas en Tunisie à 1,7—plus bas même que l’écart de 2,3 en Afrique Subsaharienne et beaucoup Figure 11.6 : La Productivité sectorielle du travail et de l’emploi (en plus bas que les 2,8 d’Amérique Latine et les 2009) montre une importante mauvaise répartition des ressources 3,9 en Asie (McMillan et Rodrik, 2011). Cette VA par unité de CH (en % d’une moyenne) situation reflète le fait qu’à par des exceptions 500% Valeur Ajoutée ajustée au CH (axe gauche) 30% Unités de CH (axe droit) notoires, la production industrielle en Tunisie 450% Quotepart de CH (en %) 25% Services non-marchand 400% se résume principalement au secteur du 350% 20% 300% textile, à l’assemblage de produits finis et à 250% 15% d’autres activités à basse valeur ajoutée. En 200% 10% 150% outre, le secteur du textile en Tunisie est moins 100% 5% 50% productif que celui de l’agriculture. 0% 0% an ic ir tu e co oniq Sec m s et can c Hô gr ram ue e e Tr us sta ire t e im s er s e s es P em pu d st he nts lics tr e e ur ce e et st m e t En ue om li ac ur ls lim iqu t t iqu n m agr cu sp ie ran e t In Le fait que l’économie tunisienne affiche de tio t m ub Co rièr in te er é iq vê au ha In t re nta b uf ult M nq éc et p s, av rc u él or ch ile tr ma x é c manière générale une faible productivité est e - a gi Te es d non o t an tr rie e e Ba n t A s d u e m ice te du èc s la source même de ses faibles performances uc rv Se de ctr m ns xt ux Ele en termes de création d’emploi insuffisante en in ra og es Pr rs ve quantité et en qualité. Cette réalité se reflète ia Di ér at M dans le fait que 77 pourcent des travailleurs tunisiens et 75 pourcent de la force de travail Source : Calculs des auteurs sur la base de données de 2009 de l’INS. ajustée au capital humain sont aujourd’hui la révolution inachevée 333 employés dans des secteurs avec des niveaux de productivité en dessous de la moyenne [figure 11.6]. Cette proportion de travailleurs dans des secteurs à basse productivité est élevée par rapport aux autres pays (voir Chapitre Un). Une décomposition des sources de la croissance économique en Tunisie confirme que la croissance au cours des deux dernières décennies a été largement entraînée par ‘l’accumulation des facteurs de production’, c’est-à-dire par des augmentations des quantités de capital et de main d’œuvre, ainsi que par la qualité croissante du capital humain. Par contre, la productivité de ces facteurs ne s’est que marginalement amélioré9 . Plus particulièrement, la contribution du capital, de la main d’œuvre et des améliorations dans le domaine du capital humain à la croissance économique en Tunisie sur les deux dernières décennies était de respectivement 36 pourcent, 35 pourcent et 22 pourcent, alors que la productivité totale des facteurs (PTF) ne représente que les 5 pourcent restants, ce qui est bas (voir Chapitre Un). Une faible croissance de la PTF indique en général la présence de frictions dans l’économie qui empêchent la réallocation des ressources entre les secteurs économiques vers des activités plus productives et des emplois mieux payés. Paralysie du secteur privé : De petites sociétés, une faible productivité et une création d’emplois limitée Ces observations macroéconomiques reflètent le manque de dynamisme au niveau des sociétés. Comme nous le verrons plus tard, notre analyse montre que les entreprises du secteur privé accusent un retard de croissance : elles se caractérisent par une productivité stagnante, peu de création d’emplois et des performances à l’export limitées. Très peu de sociétés du secteur privé arrivent à s’établir sur le marché et celles qui y parviennent n’en sortent que très rarement, pas ce qui témoigne à la fois des barrières à l’accès et de la concurrence limitée sur le marché (voir Chapitre Un). Figure 11.7 : Un désert économique : Création nette d'emplois en Tunisie par Taille et Age de l'Entreprise, 1996-2010 Vert=positive Rouge=négative Net  Employment  Crea-on  by  Age    and  Size  1996-­‐2010   500000   (Using  the  Base  Size  Classifica-on)     (Green=Growth,  Red=Reduc-on)   Total  Net  Job  Crea-on   Création totale 400000   nette d'emploi 300000   200000   100000   0     30 1   >=]   2   30 [2 20]   -­‐100000   [1 5]   [3,4]   1-­‐ [1 10   6-­‐ [5,9]   1 9   1-­‐ [10.19]   8   [20,49]   7   6   [50,99]   5    [100,199]   4    [200,999]   3   >=1000   2   1   Taille Âge (années d'exploitation) Source : Calculs des auteurs en utilisant RNE. Size   La création d'emplois est entravée non seulement par l'accès limité, mais aussi par un manque de de mobilité ascendante; très peu d'entreprises se développent, tant sur le court que sur le long terme. Le taux net global de création d'emplois montre que la création d'emplois ultérieure à l’établissement des sociétés est faible en moyenne (figure 1.17). La plupart des entreprises ne se développent pas, même 334 synthèse et recommandations de politiques sur la longue durée. Par exemple, seuls 2 pourcent de toutes les entreprises employant entre 10 et 50 personnes en 1996 employaient plus de 100 travailleurs en 2010. Cette faible performance en termes de croissance démontre l'existence de limitations dans l'environnement économique actuel de la Tunisie. D’autre part, la mobilité des entreprises, c’est-à-dire leur capacité à pénétrer de nouveaux marchés (grâce à la croissance ou à l’innovation) est extrêmement limitée et à peine corrélée avec la productivité. Alors qu’on pourrait imaginer que les sociétés très productives sont les plus rentables ou celles qui ont le plus de succès mais en Tunisie, on observe au contraire que l’innovation et la productivité n’y sont pas récompensées. Ceci est important parce que les sociétés productives ne peuvent pas croître ni créer plus d’emplois et avec de meilleurs salaires. Il en résulte que la croissance et la création d’emplois sont restées très faibles et l’inefficacité de l’allocation des ressources —c’est-à-dire que l’incapacité des sociétés à avancer vers une utilisation plus productive des ressources—a persisté dans le temps. En matière de création d’emplois, très peu d’entreprises sont en croissance et la création nette d’emplois agrégée est restée décevante (en dépit du taux bas de cessations d’activité) (figure 11.7). Il n’y a d’ailleurs pas vraiment de corrélation entre la création d’emplois et les performances des sociétés (générées par la productivité et la rentabilité ; voir Chapitre Un), ce qui suggère, là encore, que les entreprises les plus productives sont incapables de se procurer des ressources et de croitre, un autre signe des faiblesses majeures de l’environnement des affaires. Tel que mentionné, il en résulte en un taux moyen de productivité plus bas, et donc, moins d’investissement et de création d’emplois. Le secteur privé tunisien est dominé par des sociétés de petite taille et relativement peu productives, ce qui reflète probablement les nombreuses barrières et les incitations détournées auxquelles sont confrontées les sociétés. Les données montrent que les sociétés tunisiennes sont en moyenne de petites entreprises, alors que les grandes firmes sont peu nombreuses en termes absolus et relatifs (voir Chapitre Un), ce qui montre la présence de distorsions importantes entravant le développement du secteur privé. Cela est regrettable car les grandes compagnies ont souvent de meilleures performances en termes de productivité, de performance d’export et de création nette d’emplois, tout en offrant des emplois plus stables et avec de meilleurs salaires. Aujourd’hui, la Tunisie manque de grandes entreprises, ce qui suggère un environnement économique déformé qui force les sociétés à conserve une petite taille sous-optimale. (figure 11.7). Une explication plausible de ces résultats paradoxaux pourrait être que les sociétés s’efforçaient de rester ‘hors du champ du radar’ pour minimiser les risques de prédation de la part du clan des Ben Ali et Trabelsi. D’une manière générale, ces résultats reflètent les nombreuses barrières et la distorsion des incitations auxquelles le secteur privé est confronté. D’ailleurs des études qualitatives élaborées pour ce rapport soulignent que les entrepreneurs tunisiens craignaient que le succès n’attire l’attention non désirée des officiels (et notamment de la part de la famille de l’ancien président Ben Ali), pouvant se traduire par une expropriation, surtout dans le secteur onshore où les réglementations sont pléthoriques (voir Chapitre Trois). Une des réactions provoquée par cette crainte—prédite par la théorie et confirmée dans les enquêtes —est de conserver une taille moindre, d’engager moins de capital et de garder un horizon à court terme. Ces réactions aux menaces de prédation empêchent la concurrence et freinent la croissance de la productivité, limitant la création d’emplois. Nos résultats mettent également en lumière les grandes différences de performances entre les sociétés ‘onshore’ et les sociétés ‘offshore’, reflètant la segmentation de l’économie. L’analyse fournit les preuves d’une dualité importante entre les sociétés qui produisent pour le marché national (qu’on appelle le ‘secteur onshore’) et les sociétés qui produisent pour l’export (qu’on appelle le ‘secteur offshore’), et qui se manifeste, entre autres, par des différences dans la répartition de la taille des sociétés, de la productivité moyenne et des performances à l’export. Le secteur offshore la révolution inachevée 335 obtient de meilleures performances que le secteur onshore pour créer des emplois et augmenter les exportations, surtout en raison de sa capacité à attirer les investissements directs étrangers (IDE). Cette dualité introduit des distorsions importantes qui segmentent l’économie et limitent l’interaction entre les sociétés des deux régimes. Ainsi, même si on pourrait s’attendre à ce que les produits des industries locales (onshore) soient utilisés en tant qu’intrants intermédiaires par les industries orientées vers l’export (offshore), comme discuté ci-dessus, la réalité est autre en Tunisie. La segmentation se manifeste ainsi par davantage d’importation de produits intermédiaires venant de l’étranger et par moins de biens à haute valeur ajoutée produits en Tunisie (voir Chapitre Un et Chapitre Quatre). En conséquence, le nombre d'emplois créé est moindre, et la demande pour le recrutement des nombreux diplômés qualifiés est insuffisante. Et, parce que la valeur ajoutée par les travailleurs tunisiens aux produits exportés est faible, le salaire de ces emplois est également faible. D’autre part, la segmentation réduit la concurrence en diminuant le processus de « destruction créatrice » et en empêchant l’émergence d’une catégorie de grandes entreprises qui, dans d’autres pays, entraînent la création d’emplois, la croissance et l’innovation. Une intégration trompeuse : L’assemblage de Figure 11.8 : Concentration des Exports de la Tunisie produits pour la France et l’Italie par Pays, 2007 D’une certaine manière, la Tunisie ne ‘produit’ pas ses exportations manufacturées—elle assemble 100% 2% des produits venant de, et destinés à la France et 9% l’Italie. En dépit d’efforts importants pour diversifier 90% 11% les exportations, la diversification géographique Exportations Tunisiennes par destinations 80% des exports est restée très limitée. L’UE absorbe pratiquement 80 pourcent des exportations, et au 70% sein de l’UE, la France et l’Italie représentent plus 60% UE de 55 pourcent des exportations totales (figure principales Afrique 50% MENA 11.8). Ces flux commerciaux extrêmement biaisés Autres reflètent la nature de l’économie tunisienne. Il est 40% important de souligner que la concentration des 30% exportations de la Tunisie vers l'Union Européenne n’est que le symptôme d’un problème plus 20% profond – le vrai problème est que la Tunisie ne 10% produit que très peu de ses exportations et que 0% la structure de son commerce international est largement restreint à l’assemblage de produits venant de France et d’Italie, puis exportés vers Source : WITS Comtrade; calculs des auteurs. ces marchés (voir Chapitre Un). Les entreprises de ces pays ont sous-traité le travail d’assemblage et d’autres tâches à faible valeur ajoutée en Tunisie, en profitant d’un régime fiscal offshore très avantageux, de la disponibilité de ressources humaines peu qualifiées mais peu couteuses et d’un approvisionnement énergétique subventionné. Ceci n’est pas un problème en soi ; mais pose le défi d’une économie tunisienne qui n’a pas dépassé le stade de l’assemblage et des processus à faible valeur ajoutée, synonyme d’une demande limitée à la main d’œuvre peu qualifiée et d’une offre limitée à des emplois à faibles salaires. Comme nous l’avons déjà présenté, cette structure de production et de commerce n’est pas le fruit du hasard—elle est largement le résultat des politiques économiques actuelles, notamment de la dualité entre les secteurs onshore et offshore. Au-delà des apparences, l’intégration de la Tunisie dans l’économie mondiale reste donc superficielle, à la fois en quantité et en degré de sophistication des exportations. Il s’agit d’une petite économie 336 synthèse et recommandations de politiques avec à peine plus de 10 millions d’habitants t une intégration plus profonde à l’économie mondiale est indispensable au succès économique de la Tunisie. Cependant, alors que la perception en Tunisie est que la croissance économique a été caractérisée par l’intégration du commerce et de bonnes performances à l’export, la réalité est que l’intégration du commerce reste très limitée et que les performances à l’exportation se détériorent (Chapitre Un). La croissance de l’export en Tunisie a été positive entre 2000 et 2010 (+3,3 pourcent) mais plus lente que la croissance de l’export dans de nombreux autres pays et également inférieure à la croissance du PIB en Tunisie. En fait la part de la Tunisie dans les exportations mondiales a diminué ces dix dernières années. En outre les performances à l’export été bien moins spectaculaires que ne pouvaient le suggérer les chiffres de la croissance brute des exportations, puisque, comme discuté ci-dessus, les sociétés dépendent largement d’intrants importés. Il en résulte que la valeur ajoutée des exportations tunisiennes de produits manufacturés reste extrêmement basse. Témoignant de cette évolution, le degré de Figure 11.9 : Valeur ajoutée en Tunisie par secteur exportateur sophistication des exportations tunisiennes demeure bas comparé aux pays de référence et n’a augmenté 45% VA en exportations (en % de la VA des exportations) Exportations (en % des exportations totales) 40% que faiblement dans les dix dernières années. Même 35% cette faible amélioration du degré de sophistication (et 30% d’intensité technologique) des produits exportés induit 25% en erreur parce qu’elle reflète l’assemblage de produits 20% de haute technologie (les produits finis exportés sont 15% plus sophistiqués, mais leur contenu technologique n’est 10% 5% pas fabriqué en Tunisie). Par exemple, alors que depuis 0% 2009 Aerolia, une filiale d’Airbus a ouvert une usine en x s ire c e es rie ue ue au ba til Tunisie qui exporte des composantes pour la production rs iq ta ne ex iq ér ta ve im en ffi tr rT in du Di ec ch Ra im m eu de l’Airbus 320, seules les tâches à basse qualification ont El s rie al rie ts rie ct ro et ui st st Se st Ag od du s du du été délocalisées en Tunisie alors les tâches à haute valeur ue pr In In In iq e an tr ajoutée (notamment tout ce qui concerne la cabine) sont Au éc M s effectuées en France. La Tunisie exporte, dans la même rie st du veine, des récepteurs de télévision et des instruments In médicaux de précision, dont tous les composants sont Source : WITS Comtrade; calculs des auteurs. importés en Tunisie, et dont seul le montage est ‘Made in Tunisia’. D’ailleurs, la valeur ajoutée des secteurs Figure 11.10: Importance économique des entreprises exportateurs de produits de haute technologie a tendance bien introduites à être faible en Tunisie (figure 11.9). Donc, bien que les exportations de la Tunisie semblent être de plus en plus 25% (Part de Ben Ali du Total) sophistiquées, en fait elles sont restées en grande partie 21,3% limitées aux tâches et emplois à basse valeur ajoutée. 20% Ceci est significatif parce que les activités de production a basse valeur ajoutée offrent surtout des emplois à bas 15% salaires et non-stables. 10% La règlementation de marché est devenue un écran de fumée pour l’extraction des rentes par une petite 5% 3,2% élite 0,8% 0% Un accès au marché hautement réglementé a créé des Emploi Rendement Bénéfices nets opportunités d’extraction des rentes dans un système de copinage donnant un accès privilégié à certaines Source : Calculs effectués par les auteurs activités lucratives. Nos résultats montrent que la politique la révolution inachevée 337 d’investissement de la Tunisie (et plus particulièrement le Code d’Incitation aux Investissements) a non seulement produit des résultats inférieurs à la moyenne—elle a également créé un environnement qui a été de plus en plus utilisé en tant que véhicule d’appropriation de la rente pour l’ancien président et ses proches. Notre analyse montre que les sociétés appartenant au clan Ben Ali étaient en moyenne bien plus grandes que leurs concurrentes avec des niveaux de production, de bénéfices et de croissance spectaculairement plus élevés (voir Chapitre Trois). Nous constatons que la dimension de la capture par l'Etat en Tunisie sous Ben Ali était extraordinaire – à la fin 2010, quelque 220 entreprises connectées à Ben Ali et sa famille élargie s’accaparaient 21 pourcent de tous les bénéfices annuels du secteur privé en Tunisie (ou $ 233 millions, correspondant à plus de 0,5 pourcent du PIB). Le fait qu’un si petit groupe de 114 personnes puisse s'approprier une si grande part de la création de la richesse en Tunisie illustre à quel point la corruption a été synonyme d'exclusion sociale. Les résultats suggèrent que les performances supérieures des sociétés appartenant à Ben Ali étaient largement dues au détournement de la réglementation. Les secteurs dans lesquels opéraient les sociétés de Ben Ali (tels que les télécoms, le transport aérien et maritime, le commerce et la distribution, le secteur financier, l’immobilier, et l’hôtellerie et la restauration) étaient assujettis de manière disproportionnée a des obstacles à l’accès (autorisations gouvernementales préalables) et pesant sur les investissements étrangers. D’autre part, la performance des sociétés liées à la famille de Ben Ali était beaucoup plus importante lorsque ces firmes opéraient dans ces secteurs hautement règlementés – qui reflètent probablement le fait que ces domaines sont assujettis à la discrétion de l’administration et qu’il était plus facile pour les proches du président de s’approprier des rentes (voir Chapitre Trois). En clair, la compétition limitée permettait d’avoir plus de rentes pour le compte des sociétés des Ben Ali. En l’absence de telles réglementations, les différences de performances entre les sociétés de Ben Ali et les autres sociétés étaient bien moins importantes, absentes ou même négatives. D’autre part, la prolifération des réglementations pourrait être en elle-même une conséquence de la corruption. L’expérience tunisienne montre que la politique industrielle interventionniste bien intentionnée a été détournée par les amis du président. Les preuves suggèrent même que l’Etat a facilité le détournement d‘une part importante du secteur privé en faveur du régime sous forme de rente, avec des mesures de séparation des comptabilités pour les sociétés connectées à la famille et donc non soumises aux réglementations ou en donnant des avantages spéciaux à ces sociétés. Plus pernicieux encore sont les éléments de preuve que nous avons découvert et selon lesquels les réglementations elles-mêmes étaient finalement ajustées en fonction des intérêts personnels et de la corruption (voir Chapitre Trois). Le problème du capitalisme de copinage ne s’arrête pas à Ben Ali et son clan, au contraire, il reste l'un des principaux défis de développement auxquels la Tunisie fait face aujourd'hui. Etant donné le manque de données, l'analyse présentée dans ce chapitre a porté uniquement sur les entreprises confisquées à l’ex-président Ben Ali et de sa famille, par opposition à toutes les entreprises ayant des connexions. Par conséquent, nos estimations sont probablement mieux interprétées comme la limite inférieure de l'importance des liens politiques. En fait, le clan Ben Ali possédait seulement une fraction des entreprises opérant sur des marchés protégés dont l'accès était limité par des barrières, de sorte que d'autres entreprises opérant selon ces règlements continuent de bénéficier de ces privilèges. Dans le même temps, la plupart des entreprises tunisiennes et les entreprises non-connectées continuent de souffrir parce qu'elles font face à des obstacles à l'accès au marché et leurs efforts sont entravés par les avantages indus dont bénéficient les entreprises privilégiées. Les conséquences de cette utilisation de la règlementation pour extraire des rentes (c'est-à-dire s'approprier la richesse) sont pires que le simple coût de la corruption. Les consommateurs paient des prix de monopole. Les entreprises n’ont pas d’incitations pour améliorer la qualité du produit. Et les gains en productivité et l'innovation qui pourraient venir de nouvelles entreprises sont empêchés. En d'autres termes, elle sape la compétitivité de l'économie, ce qui entrave l'investissement et la création d'emplois. 338 synthèse et recommandations de politiques En outre, ces règlements perpétuent l'exclusion sociale, puisque les Tunisiens sans connexions se retrouvent face à des possibilités économiques très limitées. Quelques personnes qui ont accès au pouvoir et à l'administration peuvent s’arroger ces avantages, tandis que ceux qui n'ont pas ces contacts sont exclus du système économique. Par conséquent, ce système génère une profonde injustice sociale, et est à l'origine de la frustration de la plupart des Tunisiens qui se sont sentis et se sentent exclus des possibilités économiques. Les faibles performances du secteur financier reflètent partiellement aussi les détournements de biens et d’institutions publics par les amis du président. Le secteur financier tunisien n’a pas été en mesure de remplir son rôle de catalyseur et n’a pas réussi à affecter des ressources aux activités et aux projets les plus productifs de l’économie très souvent au bénéfice des proches du président. Les échecs de la gouvernance touchant les grandes banques publiques sapent en fait la concurrence dans le système bancaire et se traduisent par une faible performance et l'inefficacité dans l'affectation des fonds auprès de prêteurs aux entreprises. Les banques tunisiennes ont financé les entreprises liées à la famille de l'ancien président Ben Ali à hauteur de 2,5 pourcent du PIB (soit l'équivalent de cinq pourcent de tout le financement du secteur bancaire tunisien). En outre, près de 30 pourcent de l'argent a été fourni sans aucune garantie de remboursement.10 Ces échecs de la gouvernance sont à l'origine de la forte proportion de créances accrochées (NPLs) dans les bilans des banques et contrastent avec le fait que les entreprises tunisiennes font état de difficultés importantes pour accéder au crédit auprès des banques. Comme mentionné ci-dessus, l’accès au crédit est considéré comme une contrainte majeure par 34 pourcent des entreprises. En fait, alors que tous les proches ont eu un accès illimité au crédit (à des taux avantageux et contre de faibles garanties), les entreprises ordinaires ont du mal à avoir accès au financement. Le résultat est un coût important pour le pays à la fois directement en termes de pertes accumulées dans les banques publiques (estimé entre trois à cinq pourcent du PIB, à la fin de 2012, voir Chapitre Cinq) et indirectement, par le renforcement de l'environnement anti-concurrentiel dans le secteur privé (voir Chapitre Six). Des procédures de faillite insuffisantes exacerbent ces problèmes car elles permettent aux entreprises inefficaces de survivre (au lieu d'avoir à restructurer ou cesser leurs activités), ralentissant ainsi le succès des entreprises de production et de la réorientation des ressources vers une utilisation plus productive – et contribuant donc à la stagnation structurelle discutée ci-dessus (Voir Chapitre Six). Le gros problème des dettes dans le secteur du tourisme est emblématique des échecs du secteur financier en Tunisie. Le tourisme représente plus de 25 pourcent des créances accrochées (NPLs) totales. Le rôle préjudiciable des faiblesses des banques publiques a eu tendance à la fois à masquer les problèmes du secteur touristique tout en y contribuant en canalisant les crédits vers les entrepreneurs moins productifs et en gelant les liquidités qui auraient pu autrement circuler dans le secteur (voir Chapitre Six). Le lourd poids de la dette pour de nombreux hôteliers les a amenés à limiter les rénovations et les nécessités opérationnelles, ce qui a contribué à entretenir la spirale de la baisse de la qualité et des prix qui a fait souffrir l’ensemble du secteur de sorte que les revenus et l'emploi dans le secteur du tourisme ont stagné, voire diminués. En outre, un pourcentage croissant d'hôtels ont cessé de rembourser leurs dettes. Cela leur permet de réduire injustement les prix et mine la rentabilité des meilleurs hôtels du marché, en poussant les prix vers le bas et en accélérant la spirale de l'investissement et aggravant les problèmes du secteur. Plus récemment, l’instabilité politique et les soucis de sécurité ont entraîné le secteur dans une grave récession avec une baisse des revenus du tourisme d’environ 40 pourcent en 2011. D’ailleurs, sur les 850 hôtels, on estime qu’un tiers des 850 unités hôtelières souffrait de difficultés financières sérieuses en 2011. Il en résulte que les créances accrochées (NPLs) du secteur du tourisme ont augmenté encore plus depuis la révolution. La marge de manœuvre dans l’administration de ce réseau de règlementations encourage encore plus la corruption ce qui entrave l’initiative et la bonne performance économiques. La prévalence la révolution inachevée 339 de la corruption pour faire ‘accélérer les choses’ en Figure 11.11: Perception de la corruption parmi les Tunisie est parmi les plus élevées par rapport aux entreprises dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord et % des demandes informelles de paiement pour normes internationales. Plus d’un quart de toutes “accélérer les choses” les sociétés ont déclaré dans l’Evaluation du Climat pourcentage de requêtes de paiements des Investissements de la Banque Mondiale en 2014 informels pour « accélérer les choses » qu’elles devaient fournir une forme de paiement 35 informel pour accélérer certaines des interactions avec l’administration (figure 11.11). La prévalence de la 30 29 corruption associée au fardeau réglementaire pointe 25 25 24 du doigt l’importance du pouvoir discrétionnaire et de l’arbitraire dans l’application des règles (voir Chapitre 20 19 Quatre). Ceci veut dire qu’en plus des coûts directs, 15 13 l’environnement réglementaire excessif entrave 10 10 11 également la concurrence en permettant à des sociétés 10 inefficaces de profiter d’avantages déloyaux grâce aux 5 privilèges et à la corruption. Ces pratiques ont un coût qui va bien plus loin que la corruption elle-même—elles 0 privent de succès les sociétés les plus performantes et réduisent ainsi les performances de toute l’économie. e e n oc il e rie e és si ric si ui ba ar gé ai ni rq Br au Li M al Tu Al Tu M M Les tarifs douaniers et l’évasion fiscale donnent Source : Calculs réalisés par les auteurs sur la base de l’enquête sur les également un avantage déloyal puissant aux sociétés entreprises 2012 (plus grandes) et avec de meilleures connections. Ce problème semble prévaloir notamment à l’administration des douanes, donnant à penser que ces services ont besoin d’une réforme majeure de simplification réglementaire (ayant pour objectif de réduire leur marge de manœuvre). Nous avons trouvé des éléments de preuves indiquant la mise en œuvre discrétionnaire des règlements douaniers et la fraude douanière. A partir de nos estimations, cette fraude fiscale représente une perte annuelle de revenus d’au moins 100 millions de $EU (environ 0,22 pourcent du PIB, voir Chapitre Trois). Nous estimons d’autre part, que les monopoles à l’importation (à savoir les droits exclusifs de certaines sociétés à l’importation de certains produits) ont une tendance à sous- déclarer de l’ordre de 131 pourcent par rapport aux sociétés qui ne bénéficient pas de cette situation de monopole. La corruption de la douane est bien connue en tant que mécanisme clé qui permettait aux amis de l’ancien président de s’approprier des rentes. Comme nous l’avons montré dans le rapport, cependant, il y a des éléments de preuves qui montrent que ces problèmes ont peut- être même empiré depuis la révolution (voir Chapitre Trois).11 11.4 / La Tunisie se trouve aujourd’hui à un carrefour L a révolution de janvier 2011 reflète largement les erreurs des politiques économiques passées en Tunisie. La discussion ci-dessus a mis en exergue le fait que l’économie tunisienne semble être bloquée dans des activités à faible productivité, en ‘assemblant principalement des exportations’ pour la France et l’Italie et qu’elle manque d’un environnement dynamique dans lequel les sociétés productives pourraient se développer et prospérer et créer des emplois. Cette situation est en grande partie le résultat de politiques économiques pavées de bonnes intentions, mais qui ont mal tourné et qui ont échoué à atteindre les objectifs pour lesquels elles ont été introduites. En effet, certains aspects de ces politiques exacerbent les problèmes, car elles encouragent l'activité économique sur le littoral et font qu'il soit difficile pour les entreprises tunisiennes d’aller au-delà des tâches d'assemblage et d'autres activités à faible valeur ajoutée. D’autre part, l’architecture actuelle des 340 synthèse et recommandations de politiques politiques est largement le résultat de copinage—elle soutient un système basé sur des privilèges au détriment (et avec l’exclusion) de ceux qui n’ont pas les connexions politiques qui comptent. Mais la Tunisie n’est pas obligée de suivre ce modèle. D’ailleurs une porte est ouverte à la Tunisie pour tourner une nouvelle page. Il est nécessaire d’avoir une approche différente pour atteindre les objectifs. Il est clair que les problèmes de développement de la Tunisie vont plus loin que les propositions de réformes graduelles qui ont si souvent été avancées par l’ancien régime. Des changements marginaux dans les politiques économiques ne suffiront pas à s’attaquer aux profonds disfonctionnements du modèle économique que nous avons présentée ci-dessus. En fait, la frustration exprimée lors de la révolution reflète de la part des tunisiens une demande de changements radicaux du système socio-économique. La transition post révolutionnaire représente donc une opportunité unique pour les Tunisiens de revoir leur système économique et de se mettre d’accord sur des changements radicaux pour ouvrir des opportunités économiques à tous, accélérer la croissance partagée, créer des emplois de qualité et promouvoir le développement régional. La Tunisie est à un carrefour de valeurs, de normes et de croyances—elle a besoin de débattre et de choisir une vision de société qui déterminera ensuite largement les politiques économiques pour les décennies à venir. Les Tunisiens peuvent choisir de continuer avec le même modèle économique étatique propice aux rentes ou ils peuvent choisir d’emprunter la voie des autres PRM (Pays à Revenus Moyens), (qui ont réalisé de bien meilleures performances que la Tunisie sur les deux dernières décennies) en faveur d’une véritable intégration à l’économie mondiale. Pour cela, il faut un instaurer un dialogue social national pour débattre des moyens de créer un environnement économique plus sain susceptible de promouvoir l’investissement et de permettre aux sociétés d’augmenter leur productivité et leur compétitivité, ce qui accélèrera à son tour la création d’emplois de qualité. Contrairement au passé, le nouveau modèle devra éliminer les privilèges, ouvrir les opportunités économiques à tous les Tunisiens et augmenter la prospérité dans tout le pays. Les Tunisiens doivent également décider, parallèlement, du niveau de redistribution approprié pour partager équitablement les bénéfices de la croissance économique et s’assurer que personne n’est laissé pour compte. Il est donc clair que le choix auquel est confronté la Tunisie n’est pas seulement une question d’orientation des politiques. Il s’agit avant tout d’une question de société. Ce rapport a pour objectif de contribuer à ce dialogue. Il apporte une évaluation des politiques de développement tunisiennes et articule une vision pour un modèle de développement différent—pour faire avancer la Tunisie d’un système basé sur les privilèges à un système basé sur la concurrence, qui peut apporter des emplois de qualité et la prospérité à tous les Tunisiens. Plusieurs autres livres et études ont été publiées au cours des dernières années qui fournissent aussi une riche contribution à ce débat (voir, entre autres, Achy 2011; Meddeb 2011; BAD / MCC / MDCI 2013; Jouini et 2014). Un nouveau modèle économique requiert de l’Etat de jouer un rôle actif et crucial. Il est important de clarifier que ce débat ne s’attache pas à ‘réduire’ le rôle de l’état—ce rôle doit pourtant être différent pour que l’Etat puisse soutenir et non pas entraver le secteur. En Tunisie, les politiques poursuivies par l’Etat n’ont pas réussi à réduire le chômage et à stimuler la création d’emplois de qualité et elles ont entravé la capacité des entreprises concurrentielles à la croissance et à grimper dans l’échelle de la valeur ajoutée, sans pour autant réduire les disparités régionales. Le grand nombre de publications relatives aux défaillances du marché montre que l’Etat a un rôle critique à jouer pour soutenir les opérations de marché et doper un secteur privé concurrentiel tout en étant responsable d’une protection sociale efficace pour les populations pauvres et vulnérables. Le défi est donc de passer d’un Etat paternaliste qui engendre l’inefficacité et qui a entraîné le copinage et les privilèges des élites, à un système où l’Etat s’efforce de mettre tout le monde sur un pied d’égalité, en soutenant l’initiative privée (dans l’ensemble du pays et pas seulement le long des côtes), et en accompagnant d’une manière efficace les populations pauvres et vulnérables. la révolution inachevée 341 Il ne sera pourtant pas facile de changer le modèle de développement puisqu’il faudra s’en prendre à des intérêts bien ancrés et à la résistance inhérente au changement. Dans tous les pays, la mise en œuvre de changements majeurs se heurte à des foyers de résistance. Tout d’abord, les privilèges et les rentes associés au système actuel sont profondément ancrés et les lobbies concernés vont argumenter de façon virulente contre n’importe quel changement qui s’en prend à leurs privilèges. Deuxièmement, l’administration tunisienne n’a pas changé avec la révolution et reste foncièrement opposée au changement, à la fois par peur de l’inconnu et à cause des difficultés naturelles pour tout être humain à changer ses convictions, même dans une situation où l’échec est patent (de fait l’impasse du modèle économique actuel est à l’origine même de la révolution). Ces forces vont pousser la Tunisie à ne procéder qu’à des changements progressifs. Mais ce processus ne suffira pas à répondre aux attentes des Tunisiens. Sans profondes réformes économiques, la Tunisie court le risque de se contenter du niveau de croissance modéré qu’elle a vécu pendant les deux dernières décennies sous Ben Ali sans jamais réaliser son plein potentiel. De fait le gradualisme des réformes économiques, à savoir l’approche préférée des décideurs politiques et de l’administration en Tunisie avant la révolution, représente un risque pour l’avenir de la Tunisie. L’incapacité de la Tunisie à réformer son système économique en profondeur a été la source de la révolution en janvier 2011. Aujourd’hui il existe un risque réel pour la Tunisie de revenir au statu quo économique d’avant la révolution, avec seulement quelques modifications marginales de son modèle de développement. Comme l’a montré l’expérience de la dernière décennie, des réformes incomplètes ou des changements marginaux du modèle économique ne seront pas suffisants pour, notamment, s’attaquer au chômage des jeunes diplômés et doper le développement dans les régions intérieures qui accusent un retard. A cette fin, la Tunisie va devoir transformer son environnement économique. En janvier 2011, les Tunisiens ont surpris le monde par l’audace de la révolution qui a écarté Ben Ali du pouvoir. C’est d’une audace similaire dont ont besoin les réformes économiques. Il est crucial que les réformes soient lancées rapidement, car il faudra du temps avant qu’elles ne produisent des effets et des résultats. Pourtant trois ans après la révolution, le système économique qui existait sous Ben Ali n’a pas vraiment changé—et les aspirations des Tunisiens d’avoir de meilleures opportunités économiques sont loin d’avoir été réalisées. Il est difficile de mettre en œuvre des changements profonds dans l’environnement économique et il faudra donc prévoir un temps de latence entre l’adoption de nouvelles politiques et leur mise en œuvre concrète sur le terrain. Il est urgent d’accélérer ce processus car ces réformes mettront du temps à se mettre en place et à accélérer la création d’emplois et la croissance inclusive. L’infrastructure des politiques économiques héritée de l’ère de Ben Ali perpétue, d’autre part, l’exclusion sociale et invite à la corruption. La révolution a permis aux Tunisiens de se libérer de l’ex président Ben Ali et des pires situations de corruption mais les politiques économiques restent largement intactes et susceptibles d’abus. Le copinage est un phénomène largement répandu en Tunisie qui a précédé la présidence Ben Ali et imprègne l’environnement du secteur privé—et il n’y a aucun doute qu’une bonne partie du secteur privé a bénéficié du système à des degrés différents. On aurait pourtant tort de croire qu’avec le départ du président Ben Ali et de sa famille, le copinage et l’appropriation de rentes ont disparu en Tunisie. Compte tenu de l’héritage de rapports corrompus entre l’Etat et le monde des affaires, il est essentiel de supprimer rapidement les barrières à l’accès au marché et de réduire la marge de manoeuvre discrétionnaire en matière de réglementation. La plupart des réformes nécessaires sont politiquement sensibles et risquent donc d’être motivées ou manipulées politiquement. Plus le temps passe et plus il y a de risques que des intérêts particuliers détournent les opportunités existantes pour s’approprier des rentes en étant dans une position de force pour empêcher le changement. 342 synthèse et recommandations de politiques 11.5 / L’avenir : Un agenda de réformes pour réaliser le plein potentiel de la Tunisie C e rapport argumente que pour devenir le ‘Tigre de la Méditerranée’ la Tunisie doit créer un environnent économique qui facilite une transformation structurelle de l’économie en supprimant les distorsions et en promouvant la concurrence. En documentant les symptômes de la stagnation, ce rapport souligne l’importance de la réforme de l’environnement des politiques pour supprimer les distorsions et les barrières à l’accès au marché qui entravent l’augmentation de la productivité, et, en fin de compte, la création d’emplois. Pour libérer la croissance du secteur privé, il est nécessaire de se concentrer sur la promotion de la concurrence en supprimant les barrières à la « destruction créatrice ». Il est crucial de promouvoir l’établissement de nouvelles sociétés, notamment de grandes entreprises, de supprimer les obstacles à la croissance des entreprises et de permettre aux petites sociétés de se développer. Ce rapport présente la vision d’un nouveau modèle économique dans lequel la productivité des sociétés est la base de leur compétitivité et une base commune permet aux sociétés les plus productives de connaître le succès et de créer de bons emplois. Comme nous l’avons présenté ci-dessus, la compétitivité de la Tunisie par le passé était basée sur sa main d’œuvre bon marché. Cependant les salaires ont considérablement augmenté depuis la révolution et vont probablement continuer à croitre reflétant le processus naturel de développement économique. Ceci souligne une fois encore le besoin de la Tunisie de passer d’un modèle où la compétitivité était basée sur des salaires bas à un nouveau système économique qui permette aux sociétés d’être concurrentielles grâce à leur productivité tout en assurant un partage équitable des bénéfices de cette croissance. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de créer un terrain de jeu plan en, en ouvrant l’économie et en supprimant les trois dualismes tunisiens, c’est-à-dire la division onshore-offshore, la dichotomie entre les côtes et l’intérieur du pays et la segmentation du marché du travail. D’autre part, la politique commerciale, la politique industrielle, la politique agricole et les politiques réglementant les secteurs des services doivent accompagner un environnement favorable à la croissance, en évitant les distorsions et en permettant la concurrence. Une forte politique sociale est également nécessaire, bien entendu, et devrait être élaborée de telle manière qu’elle n’interfère pas ni qu’elle n’entrave l’action du secteur privé. En résumé nous avons besoin d’un ensemble de réformes de politiques économiques pour transformer l’économie tunisienne et lui permettre de décoller. En plus de préserver la stabilité macroéconomique (qui exige des réformes pour maîtriser les dépenses publiques tout en augmentant les investissements publics, sujet qui n’est pas abordé dans cette étude), pour changer la dynamique de l'économie, il faudra un ensemble de réformes économiques ambitieuses. Un agenda de réformes, aligné sur cette vision, est présenté ci-après avec comme objectif de contribuer au débat national en Tunisie. Une première série de réformes économiques devrait se concentrer sur l'élimination des obstacles à l’accès au marché et la concurrence et la réforme du secteur financier. Adopter des politiques pour atténuer les disparités régionales et mieux protéger les populations pauvres et vulnérables fait également partie des priorités : S’ouvrir à la concurrence, mettre tout le monde sur un pied d’égalité et supprimer la dualité onshore-offshore La suppression des barrières à l’accès et à la concurrence améliorerait d’une manière substantielle les performances de l’économie tunisienne et stimulerait la capacité des sociétés les plus productives à se développer et créer des emplois de bonne qualité. L’élimination des obstacles à la concurrence sur le marché devra être progressive, en commençant par les secteurs de services fédérateurs et les secteurs à fort potentiel de création d'emplois, notamment le commerce, les télécommunications, les la révolution inachevée 343 transports, les secteurs de la santé et de l'éducation, à ouvrir considérablement les investissements dans ces secteurs (voir Chapitre Deux et le Chapitre Huit). Ces réformes devraient viser à favoriser l'égalité des chances au niveau concurrentiel, qui comprend le libre accès de l'entreprise aux marchés et la concurrence, constituant une condition nécessaire pour réaliser et maintenir l’augmentation de la productivité, l'innovation, l'emploi et le bien-être. Les gains provenant de la concurrence accrue en Tunisie seraient considérables et entraîneraient une création accélérée d'emplois. Il existe de nombreuses preuves empiriques à l'échelle internationale sur les avantages substantiels dérivés d’une plus grande concurrence. Notre analyse empirique en Tunisie constate qu'une baisse de cinq pourcent des marges bénéficiaires des entreprises (suscitée par une plus grande concurrence) se traduirait par une croissance supplémentaire du PIB de l'ordre de 4,5 pourcent par an et environ 50 000 nouveaux emplois par an (voir Chapitre Deux). La concurrence accrue pour réduire la dominance de marché des entreprises galvaniserait les efforts de réduction du taux de chômage en Tunisie. En outre, les secteurs qui bénéficieraient le plus sont les services de base (tels que les télécommunications, les services de transport ou de services professionnels), particulièrement importants pour la compétitivité globale de l'économie (en tant qu’intrants intensément utilisés dans les chaînes de valeur) et pour lesquels la Tunisie a un grand potentiel d'exportation (voir ci-dessous). La réforme de la Loi sur la concurrence et du système des passations de marché publics est indispensable pour augmenter la compétitivité du secteur intérieur (onshore). La Loi sur la Concurrence et les réglementations y afférentes doivent être révisées pour réduire le périmètre des interventions inefficaces de l’Etat sur les marchés, qui se manifestent aujourd’hui au travers des prix administrés, des monopoles légaux et de l’octroi discrétionnaire d’exonérations et d’aides d’Etat (voir Chapitre Deux). Les révisions devraient d’autre part être dirigées vers une seule autorité indépendante et efficace en mesure de faire appliquer la loi et de coordonner avec d’autres entités gouvernementales et agences de réglementation sectorielles pour aboutir à une certitude en ce qui concerne les effets de la politique de concurrence sur le marché. L'amélioration du cadre antitrust devrait compléter les mesures visant à réduire la réglementation restrictive des marchés de produits. Un cadre plus efficace de la politique de concurrence devrait également garantir la neutralité concurrentielle entre les entreprises privées et publiques, ainsi qu’entre les entreprises privées. De telles réformes favoriseraient un environnement des affaires plus prévisible et transparent qui conduirait à une augmentation des investissements et la création d'emplois (voir Chapitre Deux). En outre, les marchés publics sont considérés comme ayant un effet de levier sur l'économie nationale dans la mesure où ils représentent plus de 18 pourcent du produit intérieur brut. C'est aussi un instrument essentiel de la mise en œuvre de la politique budgétaire étant donné que près de 50 pourcent du budget national est consacré aux achats publics. Une réforme du système de passation des marchés publics a été approuvée au début de 2014. Après la première année de mise en œuvre, il sera important d'évaluer si le système de passation des marchés publics souffre encore de la complexité des procédures et le manque de transparence, et / ou les lacunes techniques qui empêchent les nouvelles procédures de fonctionner efficacement (par exemple, le manque de bases de données, l'archivage et le système de compilation statistique, le manque d'intégration des nouvelles technologies dans le processus de passation des marchés, etc.) Le gouvernement doit aussi réviser le Code d'Incitations aux Investissements CII) pour éliminer progressivement la dichotomie onshore-offshore et établir des règles de jeu équitables pour stimuler la création d'emplois et l'investissement. La dualité introduite par le CII est au cœur de nombreux échecs de développement que la Tunisie vit aujourd’hui. Il est important d’ouvrir grand l’accès du marché aux investisseurs et d’aligner les procédures sur celles utilisées dans les secteurs/activités qui ne nécessitent pas d’autorisation—autrement dit, il faut plutôt rapprocher le ‘onshore’ du ‘offshore’, et non l’inverse. D’autre part, les réformes doivent éliminer la dichotomie onshore-offshore. La réduction des mesures d’incitations généreuses est également justifiée, car les incitations coûtent très cher pour un impact limité (voir Chapitre Quatre) —et il y a une grande marge de manœuvre pour simplifier considérablement 344 synthèse et recommandations de politiques le système en supprimant les mesures d’incitation qui ne servent à rien ou presque (et qui sont de toutes façons très couteuses par rapport à leur lisibilité et leur administration). Les réformes du Code en cours ont fait quelques progrès, mais les problèmes fondamentaux n’ont pas été réglés. Une refonte ambitieuse du Code pour créer un environnement économique ouvert et favorable aux investisseurs avec un taux d’imposition concurrentiel et des procédures simples et transparentes permettrait une avancée considérable vers l’augmentation des investissements en Tunisie. L’expérience des pays asiatiques pour adapter leurs politiques d’incitations pour l’investissement pourrait être utile pour la Tunisie (voir Chapitre Quatre). La réforme du Code des Incitations à l’Investissement doit avancer en parallèle avec la réforme de la politique sur la fiscalité des entreprises car la dualité est largement due à la dichotomie entre les régimes fiscaux des sociétés onshore et offshore. La réforme du système fiscal devrait se concentrer sur l’élargissement de l’assiette fiscale et la réduction du taux des impôts de société pour toutes les entreprises de manière à éliminer les distorsions au niveau de l’économie, améliorer l’équité des impôts et le respect des règles fiscales. Une convergence vers un taux unique de l’impôt sur les sociétés couvrant à la fois les régimes onshore et offshore, et qui pourrait être fixé entre 15 à 20 pourcent, permettrait d’assurer la compétitivité de la Tunisie tout en réduisant les distorsions, en éliminant la structure économique duale, et en maintenant une neutralité de revenus (voir Chapitre Quatre). Les mesures d’incitations déjà accordées doivent bénéficier d’une situation d’antériorité. L’élimination des mesures d’incitations des sociétés offshore n’apporterait ainsi pas de recettes supplémentaires dans l’immédiat. Pourtant la forte réduction des taux de l’impôt sur les sociétés conduirait à une baisse immédiate des recettes fiscales provenant des sociétés onshore, que le gouvernement ne peut pas se permettre. Ainsi, pour neutraliser l’érosion de l’assiette fiscale, il serait nécessaire d’introduire des taxes sur les dividendes. La convergence vers un seul taux d’impôt sur les sociétés fixé autour de 20 pourcent permettrait parallèlement de réduire également les contributions à la sécurité sociale (comme nous le présenterons plus tard), ce qui créerait une incitation à la création d’emplois. L’ensemble de l’économie tunisienne resterait plus compétitif que ses pairs régionaux. Une telle réforme du système de l’impôt sur les sociétés permettrait de réduire les distorsions actuelles, d’améliorer considérablement le taux de rendement interne des investissements , tout en déclenchant l’investissement privé, éliminant ou réduisant le biais contre l’équité de traitement et stimulant la demande de main d’œuvre, qui à son tour aurait des effets multiplicateurs importants sur l’économie dans son ensemble. Il faut noter qu’une partie de l’attrait du régime offshore est lié au régime réglementaire beaucoup plus léger. Un aspect clé pour éliminer la dualité par conséquent, doit nécessairement être de simplifier le fardeau réglementaire pour que le secteur onshore ressemble davantage au secteur offshore en alignant les procédures d'investissement sur celles utilisées pour les secteurs et activités qui ne nécessitent pas d'autorisation, ce qui réduit considérablement la charge administrative et en abaissant le taux d'imposition sur l'économie. Il est important de considérer la réforme du système fiscal dans son intégralité. Une évaluation détaillée du système fiscal a été réalisée par le FMI en 2012 (FMI 2012). Certains aspects significatifs de l’Impôt sur le Revenu des Personnes et de la TVA nécessitent également des réformes urgentes. Notamment le ‘Régime forfaitaire’, qui est supposé assujettir les microsociétés à un faible impôt forfaitaire, semble avoir fait l’objet d’abus graves avec 98 pourcent des contribuables qui se cachent derrière ce régime (pour les personnes avec un chiffre d’affaires inférieur à 100.000 TDN). La réforme du Régime forfaitaire pour réduire la marge d’abus augmenterait le respect des règles fiscales et réduirait le biais réglementaire qui incite à la production à petite échelle (voir Chapitre Quatre et FMI 2012). Pour conclure, il est nécessaire de procéder à une simplification majeure et une réduction du nombre de réglementations pour libérer l’initiative économique et réduire les coûts pour les entreprises. Comme nous l’avons déjà expliqué, le lourd fardeau des réglementations coute au secteur privé approximativement l’équivalent de 13 pourcent du chiffre d’affaire, et la marge de pouvoir discrétionnaire pour la mise en la révolution inachevée 345 œuvre ouvre la porte à la corruption et au copinage. Il est notamment urgent d’améliorer les opérations des administrations douanières et fiscales, et aussi l’administration du cadastre et de la propriété foncière. Il s’agit donc d’un domaine où des gains substantiels pourraient être obtenus pour améliorer le climat des affaires et rendre les sociétés plus concurrentielles. Une simplification radicale du pool de réglementations qui entrave l’activité du secteur privé visant à réduire la marge de manœuvre discrétionnaire dans leur mise en œuvre est cruciale pour améliorer l’environnement du secteur privé en Tunisie. Pourtant la tâche n’est pas simple ; l’expérience internationale a montré qu’il fallait une détermination implacable. L’expérience faite par plusieurs pays de l’OCDE, par exemple la Corée et le Mexique, fournit un exemple de la manière de procéder avec succès—ces expériences montrent notamment que pour maximiser le succès des efforts de simplification des réglementations, il est essentiel de donner du pouvoir au secteur privé et de lui faire jouer un rôle actif en mettant en exergue toutes les procédures qui coûtent cher et qui sont inutiles (voir Chapitre Quatre). Réformer le secteur financier La réforme du secteur bancaire va permettre de canaliser les ressources vers les projets les plus productifs et augmenter la quantité de fonds disponible pour le secteur privé. Une meilleure performance dans le secteur bancaire pourrait augmenter le niveau de crédit au secteur privé d'au moins 10 pourcent du PIB, ce qui pourrait générer plus de 10 milliards de dollars en investissements supplémentaires à injecter dans l'économie au cours des 10 prochaines années, ce qui correspond à peu près à 38 000 emplois supplémentaires par an (Chapitre Six). Pour améliorer l’efficacité du système bancaire, il faut donner la priorité à la stricte exécution des réglementations bancaires, en révisant les procédures pour gérer les banques en difficulté financière, et restructurer les banques publiques. Il est notamment nécessaire de renforcer la réglementation (en particulier lorsqu’il s’agit de la classification et du provisionnement des crédits) et la supervision pour la Banque Centrale Tunisienne (BCT) pour qu’elle puisse véritablement contrôler toutes les institutions de crédit et imposer des sanctions plus strictes en cas de violation des règles prudentielles. La concurrence doit également être renforcée en supprimant les limites des taux d’intérêts des crédits qui aujourd’hui entravent artificiellement l’accès au crédit. De façon encore plus primordiale, il est essentiel de reconsidérer le rôle de l’Etat dans le secteur bancaire, qui a servi pendant longtemps comme un outil pour l’extraction de rentes et le capitalisme de copinage, et d’engager la restructuration des banques publiques. Il existe une large gamme d’options de restructuration qui vont de la privatisation à la fusion des trois banques publiques pour en faire une seule entité publique. Cette réforme devra inclure une refonte des structures de gouvernance des banques publiques, de manière à ce qu’elles soient assujetties aux mêmes règles et réglementations que les banques privées. La réforme des banques publiques permettrait d’éviter de générer de nouvelles créances douteuses ou accrochées (NPL) et des pertes. (Chapitre Six ; FMI et Banque Mondiale, 2012). Des sources alternatives de financement doivent également être développées, ainsi que des fenêtres et instruments de financement efficaces pour des projets innovants et des start-ups. Les marchés financiers nationaux ne jouent qu’un rôle marginal dans le financement des sociétés tunisiennes. En 2010, la part du capital levé sur le marché national ne représentait que 2 pourcent du PIB et la capitalisation boursière se montait à 24 pourcent du PIB en 2012. Les principales raisons qui expliquent la faiblesse des marchés des capitaux nationaux ont été identifiées dans le rapport du Programme d’Evaluation du Secteur Financier (FSAP) comme étant une faible demande nationale, l’absence d’une courbe de rendement et une application laxiste des règles prudentielles bancaires (FMI et Banque Mondiale, 2012). A ce sujet, la fragilité du cadre de réglementation et de supervision bancaire entraîne une sous-estimation du risque qui permet aux banques tunisiennes d’accorder aux sociétés des conditions de financement en dessous de celles qui seraient en vigueur dans un marché sain et concurrentiel où le risque est correctement évalué. D’autre part, il est nécessaire de développer des instruments efficaces de financement pour les start-ups et les projets à risques à la fois pour faciliter l’arrivée de nouvelles sociétés mais aussi pour 346 synthèse et recommandations de politiques faciliter le développement de projets d’investissements dans la haute technologie (voir Chapitre Six). De plus, une réforme du cadre des faillites (pour sauver de manière plus efficace les entreprises viables et faciliter la sortie du marché des entreprises non-viables) pourrait dégager des bénéfices importants pour la Tunisie. Pour améliorer le recouvrement des dettes et par là même renforcer l’environnement du crédit en renforçant la confiance entre les débiteurs et les créanciers, le gouvernement travaille également à la modernisation du régime tunisien des faillites pour sauver d’une manière plus efficace des entreprises viables et permettre la sortie du marché des sociétés qui ne le sont pas. Cette réforme devrait déboucher sur une seule loi simplifiée, qui organise la restructuration des entreprises viables et prévoit une liquidation rapide et efficace des sociétés non viables. Un régime de faillite plus prévisible, plus efficace et plus transparent aidera les créanciers à mieux tarifier le risque en maximisant le rendement pour les parties prenantes et en maintenant l’emploi dans des entreprises viables. Il encouragera également la production et le partage des informations qui permettent aux institutions financières de tarifer le risque avec plus de précision. Le régime de faillite devrait aussi faciliter la sortie et la réentrée des entrepreneurs, ce qui permet de rembourser les crédits aux institutions financières d’une manière efficace et de prêter à nouveau à de nouveaux acteurs sur le marché. La réforme du régime renforcera l’environnement global du crédit en apportant des gains financiers substantiels à l’économie. Les estimations qui utilisent le Modèle Impact (développé par la Banque mondiale pour simuler les effets des réformes relatives aux faillites) suggèrent que la réforme du régime tunisien des faillites apporterait 2,1 milliards de $EU supplémentaires (soit 4,5 pourcent du PIB) de fonds sur les créances accrochées courantes— qui, s’ils sont réinvestis pourraient générer près de 80,000 nouveaux emplois. (Voir Chapitre Six). En parallèle, résoudre le problème des dettes excessives dans le secteur du tourisme aiderait à consolider le secteur bancaire, à doper les performances de tout le secteur du tourisme et à créer plus d’emplois. Après avoir envisagé plusieurs options, le gouvernement est en train d’établir une Société de Gestion des Actifs, à laquelle seront conférés des pouvoirs spécifiques pour expédier les crédits à problèmes dans le secteur du tourisme. Une large part des créances douteuses (NPL) du secteur du tourisme serait transférée à l’AMC et échangée contre des obligations AMC garanties par l’état. Ceci concerne entre 150 et 300 hôtels (sur un total d’environ 850 hôtels). Il en découle que le ratio des NPL va diminuer dans tout le secteur bancaire. Pour réussir à restructurer les prêts irrécouvrables, l’AMC devra acheter les créances douteuses à bas prix. Si tous ces actifs douteux sont transférés, le ratio de créances douteuses pourrait baisser pour passer des 13,5 pourcent actuels à 10,3 pourcent. Du côté du secteur, les hôtels restructurés pourraient rembourser leurs emprunts. Ceux qui ne peuvent pas être restructurés pourraient être réaffectés en d’autres projets (écoles, bureaux, hôpitaux, résidences, etc.) ou fermés pour éviter qu’ils ne continuent à entraver le fonctionnement des hôtels concurrentiels. L’expérience internationale avec les AMC dans d’autres pays (Malaisie, Royaume uni, etc.) a montré qu’elles sont difficiles à mettre en place et que le succès dépend largement de leur totale indépendance par rapport au gouvernement (voir Chapitre Six). Protéger les populations pauvres et vulnérables Tout en représentant un prérequis à toutes les réformes présentées ci-dessus, la réforme du système de protection sociale en Tunisie doit protéger d’une manière efficace les populations pauvres et vulnérables et améliorer l’équité et l’efficacité du système. Le système de sécurité sociale en Tunisie aujourd’hui ne protège pas les plus pauvres et paradoxalement profite largement à ceux qui sont dans une situation économique plutôt confortable, ce qui exacerbe les inégalités et les tensions sociales.13 Le modèle actuel est basé principalement sur des subventions non ciblées des produits alimentaires et des carburants qui coûtent cher et qui ne sont pas équitables—parce qu’elles profitent largement aux riches.14 D’autre part, compte tenu de la corrélation avec les prix des produits alimentaires et des carburants à l’échelle internationale, les coûts budgétaires ont rapidement augmenté ces dernières années pour atteindre 7 pourcent du PIB en 2012.15 La combinaison avec les pertes des fonds de sécurité sociale (retraites et la révolution inachevée 347 assurance maladie) présentées ci-dessus a mis en lumière le besoin urgent de réformes complètes du système de sécurité sociale en Tunisie. L’expérience de programmes de protection sociale au Brésil, au Mexique et dans plusieurs autres pays dans le monde entier a montré que des programmes de protection sociale bien conçus peuvent dynamiser le développement économique. La réforme du système de protection sociale (y compris les subventions aux carburants et aux produits alimentaires) n'est pas abordée dans ce rapport, car elle a fait l'objet d'une étude récente Vers une meilleure équité en Tunisie (Banque Mondiale 2014f). Une réforme du système des subventions présuppose l’adoption d’un système de protection sociale pour protéger les ménages vulnérables des effets de la réforme. La réforme des subventions en général devrait s’effectuer parallèlement à une série de mesures sociales d’atténuation pour protéger les populations pauvres et vulnérables tout en ciblant les subventions ou les transferts vers certains secteurs avec des crédits d’impôts ou des prix préférentiels de l’énergie ou des mesures de soutien des salaires et de l’emploi pour les travailleurs vulnérables. A partir de l’expérience du Brésil, de l’Indonésie, de la République Dominicaine et du Chili, les mesures sociales vont réduire l’impact des réformes sur les ménages, notamment lorsqu’il s’agit de nouveaux programmes d’assistance temporaires ou de transferts en espèces ciblant les ménages vulnérables en utilisant le système bancaire ou les mandats. Dans le cas de la Tunisie, le transfert d’argent en compensation est considéré par de nombreuses parties prenantes comme la meilleure option pour des raisons d’efficacité en matière d’administration et de transparence. La Tunisie a déjà un système national de transfert en espèces en place (Programme National d'Aide aux Familles Nécessiteuses (PNAFN) et même si ce programme souffre d’erreurs grossières en matière d’inclusion (des non pauvres) et d’exclusion (des pauvres) (voir Banque Mondiale 2014f), il est possible d’améliorer son ciblage en utilisant l’importante expérience internationale et la technologie. Le renforcement du PNAFN peut assurer la transparence et la bonne gouvernance de toute nouvelle méthode de ciblage. La réforme des subventions sur les carburants (et les produits alimentaires) n’est pas discutée dans ce rapport, mais elle est présentée en détail dans l’étude Vers une meilleure équité en Tunisie (Banque Mondiale 2013). En fait a réforme du système de subventions doit être utilisée pour introduire un système de protection sociale fort et bien ciblé qui permette de faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte. Les économies réalisées grâce à la réforme des subventions peuvent être réaffectées pour couvrir les transferts budgétaires nécessaires pour protéger les ménages vulnérables et soutenir les mesures économiques cruciales (voir Banque Mondiale, 2014f). Le coût d’un programme de soutien aux ménages vulnérables, y compris les travailleurs, va dépendre du nombre de ménages ciblés et du montant des transferts. Il est clair que plus le nombre des ménages qui reçoit une assistance sociale ou des industries qui sont accompagnées en période de transition, est élevé et moins il y aura de ressources disponibles pour les investissements publics (ou les mesures fiscales) alors que l’objectif est de renforcer la croissance à long terme. Le Ministère des Affaires Sociales (et spécifiquement le Centre de Recherche et d’Etudes Sociales, CRES) conduit une évaluation des programmes de protection sociale couvrant l’assistance sociale et la sécurité sociale et prépare une stratégie d’intégration des systèmes de protection sociale qui pourrait former la base d’une réforme globale du système. Une deuxième série de réformes économiques devrait se concentrer sur l'élimination de la dichotomie sur le marché du travail et le renforcement du système de sécurité sociale, la réforme du système de l'éducation pour améliorer la qualité, la révision de la politique industrielle pour soutenir la productivité et l'innovation, et libérer le potentiel des secteurs des services et du secteur agricole : Eliminer la dichotomie sur le marché du travail et renforcer le système de sécurité sociale pour protéger tous les travailleurs 348 synthèse et recommandations de politiques Une réforme globale du marché du travail pourrait être le résultat du dialogue national lancé en 2012- 2013. A partir du processus démarré par la Tunisie avec le dialogue social tripartite et la signature du nouveau ‘Pacte Social’ en janvier 2013,16 il devrait être possible de trouver un accord entre partenaires sociaux sur une gamme complète de réformes des règles et des institutions du marché du travail qui protégerait mieux tous les travailleurs, tout en donnant aux société la flexibilité dont elles ont besoin pour être concurrentielles et pour s’ajuster aux changements sur les marchés mondiaux. Il est nécessaire de stimuler la demande en main d’œuvre en baissant le coin fiscal tout en réformant le système des retraites pour assurer sa pérennité. Il est également nécessaire de faire converger les règles de licenciement des contrats à durée indéterminée et à durée déterminée pour supprimer la dichotomie et les barrières existantes à investir dans des activités à plus haute valeur ajoutée, en donnant aux sociétés la flexibilité requise pour être concurrentielles. Parallèlement, les réformes devraient renforcer la protection des travailleurs en fournissant une assurance sociale contre la perte d’emploi. Il est également important d’avoir des politiques qui sont en mesure de promouvoir activement la participation des femmes sur le marché du travail. Un principe clé des réformes doit être de lier les contributions de chaque travailleur aux bénéfices perçus par ce travailleur, et de financer les subventions explicites (redistribution) avec les revenus généraux. Une des options pour réduire la charge fiscale et créer plus d’emplois formels salariés (tout en s’attaquant aux problèmes de pérennité financière—comme nous l’avons présenté dans le Chapitre Cinq) est de lier les contributions de sécurité sociale aux prestations, tout en finançant la redistribution et les programmes de transferts ad-hoc avec les recettes générales. Des options alternatives peuvent ensuite être envisagées pour créer l’espace fiscal nécessaire. Comme nous l’avons présenté ci-dessus, la réforme des impôts sur les sociétés devrait fournir un espace pour financer certains de ces coûts. Le système d’assurance sociale doit se concentrer essentiellement sur la couverture des risques majeurs : maladie, invalidité, décès, vieillesse et chômage. Comme nous l’avons montré dans le Chapitre Cinq, le taux de contribution total aux différents programmes pourrait être plafonné à 25 pourcent (voir Chapitre Cinq). Le système de retraites doit être réformé pour assurer l’équité, la transparence et la pérennité financière. Dans le cas des retraites par exemple, la première étape consisterait à définir une cible pour le taux de remplacement à l’âge légal de la retraite (sans plafonner le salaire utilisé pour calculer la retraite) puis de fixer le taux de contribution nécessaire. Dans le cas du système de retraite par répartition tel qu’il existe en Tunisie, un taux de contribution de 15 pourcent pourrait financer un taux de remplacement de 50 pourcent au bout de 40 ans d’activité. La deuxième décision doit porter sur la subvention éventuelle des prestations versées aux travailleurs qui ne peuvent pas contribuer suffisamment pour accumuler une retraite (à définir), et de décider comment subventionner ces transferts (par les revenus généraux). L’introduction d’une assurance ‘perte d’emploi’ et la réforme des règles d’indemnisation de départ amélioreraient la protection des travailleurs et faciliteraient la mobilité de la main d’œuvre. Il est possible de concevoir une réforme qui permette un taux de contributions sociales plus bas tout en étant à même de financer un système d’assurance ‘perte d’emploi’ (voir Chapitre Cinq). Si les charges sociales pour financer les autres transferts (par exemple la formation et le logement) sont éliminées et financées par les recettes du budget général, cela donnerait de la marge pour à la fois augmenter le taux de contribution pour les retraites et mettre en place un système d’assurance ‘perte d’emploi’ plus conséquent. Le système actuel d’indemnités de chômage et d’indemnités de départ pourrait être remplacé par un mécanisme qui offre un taux de remplacement plus élevé, une couverture plus large et qui réduise les distorsions sur le marché du travail. Comme dans le cas des retraites, la première décision porterait sur le niveau des prestations : un taux de remplacement qui pourrait se situer entre 50 et 70 pourcent sur une durée de 3 à 12 mois. Le taux de contribution serait fixé en conséquence en prenant en compte le taux de chômage de la population des bénéficiaires des prestations. La deuxième décision est de savoir comment subventionner les prestations pour les travailleurs qui n’ont pas réussi à contribuer suffisamment. la révolution inachevée 349 Il est également important d’intégrer graduellement, ou au moins d’harmoniser, les différents programmes d’assurance sociale tout en élargissant la couverture pour assurer un niveau minimum de protection à tous les résidents. Le principe de base serait que tous les résidents tunisiens où qu’ils travaillent, aient accès au même système qui obéisse aux mêmes règles. Les autos entrepreneurs ou les employés salariés, par exemple dans le secteur agricole, rejoindraient également le système actuel qui s’applique aux travailleurs du secteur privé. Comme eux, ils bénéficieraient de la retraite de base et auraient le droit de faire des contributions supplémentaires. Dans le cas des fonctionnaires, leur intégration dans le mécanisme relatif aux travailleurs du secteur privé représenterait une perturbation trop importante et changerait considérablement leurs droits. Une approche alternative consisterait à fixer une date à partir de laquelle les nouveaux fonctionnaires engagés sont automatiquement assujettis au système des travailleurs du secteur privé. C’est par exemple ce qui a été réalisé par la Jordanie en 2000 (Banque Mondiale, 2005). Le Code du travail doit être amélioré en parallèle pour améliorer la protection des travailleurs en contrat à durée déterminée et apporter plus de flexibilité aux sociétés qui utilisent des contrats à durée indéterminée. Les principaux objectifs seraient d’aligner les droits et les règles de licenciement sur les normes internationales. Les principales recommandations lorsqu’il s’agit de réformer le code du travail consistent à aligner les droits aux congés de maternité et les droits aux congés annuels sur les normes internationales (avec un financement explicite des employeurs et des employés), tout en introduisant plus de flexibilité dans les procédures de licenciement, élargissant les avantages qui concernent les contrats à durée déterminée, et modernisant la politique de salaire minimum. Il est important de permettre aux employeurs de licencier du personnel pour des raisons économiques ou techniques sans avoir besoin d’autorisation de tiers, mais tout en renforçant les contrôles et les pénalités en cas de licenciements abusifs. Ceci peut être réalisé grâce à la mise en place un programme d’assurance ‘perte d’emploi’ adéquat comme présenté ci-dessus. La principale condition pour réglementer le licenciement serait de donner un préavis adéquat (par exemple au moins 3 mois), une période pendant laquelle les travailleurs continuent à percevoir leur salaire tout en ayant la possibilité de chercher un nouvel emploi. D’autre part, les travailleurs devraient être autorisés à porter plainte en cas de licenciement abusif par exemple lié à une discrimination. Des mécanismes efficaces devraient être en place pour faire avancer le traitement de ces plaintes tout en appliquant les pénalités aux employeurs considérés comme responsables de licenciements abusifs. Parallèlement, les prestations d’assurance sociale devraient être étendues aux contrats à durée déterminée. L’objectif à terme, serait d'estomper la distinction entre les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée (voir Chapitre Cinq). Permettre une plus grande flexibilité dans la mise en place des Conventions Collectives sectorielles pourrait soutenir l’investissement et la création d’emplois dans les régions de l’intérieur du pays. Les salaires minimums devraient être négociés en tenant compte des informations sur le coût de la vie mais aussi sur la situation financière des sociétés. Il pourrait être également judicieux que ces accords spécifient des variations régionales de salaires basées sur les résultats des négociations. D’autre part, dans une situation de changement rapide de l’environnement économique, il serait judicieux de revoir les CC tous les deux ans (par rapport à cinq ans aujourd’hui), avec une possibilité d’extension par consentement des parties signataires de l’accord. Les CC devraient s’appliquer aux employeurs qui sont membres des associations d’employeurs, signataires de la convention collective mais pas aux sociétés qui ne sont pas signataires des conventions collectives. Il y a notamment de nombreuses petites entreprises qui risquent de ne pas pouvoir ‘ se permettre’ d’accorder ces droits. En fait, il serait également judicieux d’envisager de relever le niveau d’exigences pour les sociétés qui ont au moins 10 employés dans lesquelles les accords de licenciement de base, comme les indemnités de départ, s’appliquent—ce qui allégerait le fardeau pesant sur les petites entreprises (voir Chapitre Cinq). Cette approche a été appliquée dans de nombreux pays, par exemple l’Allemagne, la Grèce etc. 350 synthèse et recommandations de politiques Réformer le système d'éducation à tous les niveaux pour améliorer la qualité du capital humain Améliorer la qualité, l'efficacité et l'intégrité des établissements d'enseignement primaire et secondaire. La qualité des résultats d'apprentissage en Tunisie est faible en comparaison à l’international. Les données sur les résultats d'apprentissage – tels que mesurés par la Troisième étude internationale sur les mathématiques et les sciences (TIMSS) chez les élèves de 8e année et par le Programme international pour le suivi des élèves (PISA) chez les jeunes de 15 ans – montre une assez faible qualité de l'éducation. Il y a peut-être besoin d’une analyse approfondie indépendante des raisons de la faible efficacité de l'apprentissage en classe. Néanmoins, plusieurs rapports ont déjà signalé la nécessité d'introduire une évaluation basée sur des critères d'assurance qualité dans l'enseignement pré-universitaire. En outre, il est important d'adopter des mécanismes pour renforcer la responsabilité des enseignants et des écoles vis-à-vis des autorités de l'éducation et des parties prenantes, par exemple à travers l'adoption d'un code de déontologie, d'un système actif d'inspection de l'école, et l'utilisation de fiches d’évaluation et d’instruments responsabilisant les communautés. Encourager les établissements d'enseignement supérieur à obtenir la certification internationale et à rechercher des partenariats avec le secteur privé. Conformément à la loi de 2008 sur l'enseignement supérieur, il est nécessaire de donner plus d'autonomie dans les établissements d'enseignement supérieur et de favoriser le partenariat avec le secteur privé. En outre, il est nécessaire d'améliorer le processus de sélection afin de mieux détecter les aptitudes des élèves et les aptitudes scolaires. De plus, il est nécessaire d’activer l'Agence Nationale d'Evaluation et d'Accréditation établie en 2013, et de renforcer son indépendance vis-à-vis du ministère, et plus généralement promouvoir l'adoption de normes internationales de certification. Le renforcement du partenariat avec le secteur privé est également nécessaire afin d'assurer que les programmes correspondent à la demande du marché de l'emploi. Améliorer la pertinence et la qualité du système de formation professionnelle. Il est nécessaire de décentraliser les centres de formation et aussi permettre l'offre de formation professionnelle par des prestataires privés. En parallèle, la formation professionnelle doit se recentrer vers une économie dynamique fondée sur la connaissance (déploiement des réformes pilote engagées dans le milieu des années 2000). Adopter une politique industrielle pour doper la valeur ajoutée et les exportations La stratégie et les politiques industrielles tunisiennes doivent être repensées. L'accent mis sur les restrictions d'accès au marché, des incitations fiscales et des interventions propres à l'entreprise ouvre la porte à l’extraction de rentes. L’accent mis par le gouvernement sur la promotion des secteurs spécifiques a détourné l'attention des réformes transversales pour remédier aux défaillances de coordination. Au-delà des distorsions qui sont le fruit de la dualité onshore-offshore, la politique industrielle a besoin de devenir plus intelligente et mettre moins l’accent sur les subventions aveugles et les exonérations fiscales, et plus sur comment gérer les goulots d’étranglements d’infrastructure et autres réglementations , aux échecs de coordination et autres aspects ‘soft’ de l’environnement industriel (voir Chapitre Sept). Des exemples internationaux prouvent que le gouvernement peut jouer un rôle actif pour accompagner le développement des secteurs à fort potentiel grâce à des mesures horizontales et en s’attaquant aux échecs de la coordination (voir Chapitre Sept). La Tunisie semble avoir un puissant avantage concurrentiel pour exporter des produits à forte intensité salariale pour lesquels les pays comparables sont en train de perdre leur avantage concurrentiel. L’importante augmentation des salaires dans des pays comparables pertinents reflète une baisse importante de leur Avantage Comparatif Révélé (ACR) dans certaines industries grosses consommatrices la révolution inachevée 351 de salaires. Notre analyse suggère que la Tunisie a une opportunité de développer avec succès des segments à haute valeur ajoutée dans divers secteurs (dont la plupart existent déjà, mais demeurent en grande partie limités à une basse valeur ajoutée) et notamment (a) le textile et l’habillement, (b) le cuir et les chaussures, (c) l’industrie électrique, (d) l’industrie chimique, (v) le verre, le fer, les matériaux de construction et l’industrie mécanique et (vi) l’ameublement et les sanitaires (voir Chapitre Sept). La Tunisie bénéficie déjà d’un bon ACR dans plusieurs de ces industries et pourrait profiter des changements à venir dans la production pour se différencier par rapport aux autres pays. La Tunisie détient notamment du potentiel dans plusieurs produits à haute valeur ajoutée dans les secteurs du textile et de l’habillement, et du cuir et des chaussures et elle pourrait également développer ses exportations dans l’industrie mécanique et électrique. Pour certains de ces produits, la demande mondiale ne cesse d’augmenter depuis une décennie. En somme, il y a pléthore de produits pour lesquels la Tunisie a le potentiel de devenir un leader mondial ; toutefois, ce potentiel ne sera jamais réalisé si le climat des investissements n’est pas radicalement amélioré. Le défi est de savoir comment dépasser les tâches simples à fort coefficient de main d’œuvre pour augmenter la valeur ajoutée des produits exportés. Les sociétés tunisiennes n’ont pas réussi à ajouter de la valeur principalement parce que les distorsions et les obstacles associés aux politiques économiques actuelles sont trop importants. La dualité de l’économie combinée avec l’inefficacité du secteur onshore, a empêché l’intégration verticale et entravé le développement des sociétés vers des activités à plus haute valeur ajoutée. Comme l’a montré l’expérience de la dernière décennie, l’adoption d’une stratégie conçue pour créer une économie du savoir sans s’attaquer aux défis traditionnels de base de l’environnement des affaires maintiendra la Tunisie dans le piège de la production à bas coûts et du chômage élevé, ce qui diminuera les bénéfices d’une stratégie de croissance fondée sur l’exportation. Des changements radicaux sont nécessaires pour libérer la production nationale de ses contraintes. Donc, des changements audacieux sont requis pour éliminer les obstacles à la production locale qui empêchent la réalisation de ce grand potentiel. Les succès de la Tunisie dans le secteur offshore, montrent comment de telles opportunités peuvent être saisies. Cette expérience positive peut maintenant étendue à toute l’économie. Au-delà de la création d’un environnement propice à la croissance du secteur privé, le gouvernement devrait agir pour identifier et supprimer les contraintes sectorielles spécifiques. Certains points saillants ont été relevés dans le rapport principal mais il serait important de réaliser des études sectorielles approfondies pour identifier toute non-coordination significative et autres contraintes sectorielles. Récolter les fruits du potentiel tunisien en matière d’exportation des services Le fort potentiel de la Tunisie dans les secteurs des services pourrait promouvoir le processus de transformation structurelle afin qu’il devienne une source de croissance dynamique et de création d’emplois, notamment pour les diplômés. Plusieurs études ont souligné que la Tunisie possédait un fort potentiel dans l’exportation de services, et dans le monde actuel mondialisé, les secteurs des services jouent un rôle de plus en plus crucial pour le développement économique (Khanfir and Visentin 2004 ; Banque Mondiale 2008a; McKinsey & Co, 2010; ITCEQ 2010). On estime qu’une libéralisation à grande échelle du secteur des services pourrait dynamiser la croissance et l’investissement de 1 pourcent et réduire le taux de chômage de 2,4 pourcent (approximativement 90 000 emplois, ITCEQ, 2010). La Tunisie devrait s’efforcer d’accélérer l’intégration du commerce et d’adopter une stratégie ‘offensive’ dans les secteurs des services qui lui permette un fort avantage comparatif, qui se traduit en potentiel significatif pour les exportations. Plusieurs secteurs à haut potentiel ont été identifiés par les études antérieures : les TIC et l’offshoring, services professionnels, transports et logistique, tourisme, services de santé et l’éducation. Pour récolter les fruits du potentiel des secteurs des services, l’accès au marché (‘libéralisation’) seul ne suffit pas et doit être précédé par des réformes de l’environnement des affaires et de la concurrence au 352 synthèse et recommandations de politiques sens large (ce qui a été présenté ci-dessus). En fait, l’ordonnancement des réformes est un élément clé. L’accompagnement des réformes réglementaires, parfois autres que d’ordre commercial, va déterminer l’impact de la libéralisation des services. La libéralisation du commerce doit être précédée par des réformes de l’environnement des affaires et de la concurrence au sens large (présenté ci-dessus). Ouvrir le secteur des services au marché national (par exemple grâce à des privatisations ou des suppressions de monopoles publics) et/ou à la concurrence étrangère sans s’occuper de l’environnement national réglementaire et concurrentiel pourrait avoir des effets négatifs en permettant par exemple des comportements anti concurrentiels et des augmentations de prix. Le gouvernement doit s’assurer que les réformes réglementaires sont efficaces pour garantir plus de concurrence et remédier aux défaillances du marché (voir Chapitre Huit). La plupart des réformes prévoit l’ouverture des secteurs des services à la concurrence et doit être prise d’une manière unilatérale dans l’intérêt de la Tunisie, sans attendre des négociations de réciprocité commerciale. Des barrières horizontales et transsectorielles continuent à entraver la compétitivité des secteurs des services en Tunisie. Le système de rentes développé par l’ancien régime comptait largement sur ces barrières horizontales qui compliquaient encore le cadre réglementaire et ajoutaient au manque de transparence du système. Le gouvernement devrait se concentrer sur la restauration de la sécurité et de la prévisibilité juridiques, et profiter des négociations commerciales régionales pour éliminer les barrières horizontales inutiles (voir Chapitre Huit). Les négociations commerciales régionales, notamment avec l’UE, pourraient servir d’élan et aider à la mise en place d’un consensus sur les réformes en tant que partie intégrante du processus de convergence, mais sans devenir une excuse pour retarder l’ouverture unilatérale des secteurs des services à laquelle la Tunisie à tout intérêt. L’intégration régionale pourrait être conçue comme un outil de promotion de la bonne gouvernance, et son principal avantage serait le processus de convergence qui pourrait aider à restaurer un environnement réglementaire transparent, sûr et prévisible tout en envoyant un signal clair aux investisseurs potentiels. L’Etude pour faire Avancer l’Intégration Globale (Banque Mondiale 2014h) présente une discussion détaillée des réformes de politiques sectorielles et horizontales les plus urgentes qui sont nécessaires dans des secteurs de services clés. Libérer le potentiel de l’agriculture Le système actuel d'intervention de l'Etat a réprimé le secteur agricole, détournant la production des produits méditerranéens pour lesquels la Tunisie dispose d'un avantage comparatif naturel et vers les produits continentaux dans lesquels la Tunisie n'est pas très compétitive, mais qui sont essentiels pour la sécurité alimentaire. Les politiques agricoles actuelles poursuivent l'autosuffisance dans la production de céréales afin d'assurer la sécurité alimentaire. Il est clair que la sécurité alimentaire ne peut pas être mise en péril : néanmoins, assurer la sécurité alimentaire ne doit pas être synonyme de poursuivre l'autosuffisance dans la production de céréales. Une condition préalable à la réforme de la politique agricole est de mettre en place une politique de sécurité alimentaire qui ne compromette pas le développement du secteur agricole en Tunisie. Plusieurs options existent pour mettre en place une politique de sécurité alimentaire qui n’aille pas contre le développement du secteur agricole en Tunisie (voir Chapitre Neuf). La Tunisie pourrait profiter des opportunités existantes pour exporter des produits agricoles vers l’UE. La Tunisie n’utilise qu’une fraction de ses quotas d’exportation de fruits et légumes vers l’UE. Au lieu de profiter de cette opportunité d’export, la Tunisie subventionne/protège des produits pour lesquels elle ne possède aucun avantage, et qui continuent à être lourdement protégés dans le cadre de la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne comme les céréales, le lait, la viande de bœuf. Ceci reflète largement la faiblesse des systèmes de production tunisiens, qui est en partie le résultat du manque d’action du gouvernement pour soutenir ces cultures méditerranéennes, notamment l’huile d’olive et les agrumes (voir Chapitre Neuf). Pour les autres produits comme les tomates, les lacunes pour profiter la révolution inachevée 353 de ces opportunités d’export est aussi dues au fait que les quotas d’importation de l’UE sont liés par des calendriers spécifiques qui limitent encore plus leur utilisation. La réforme des politiques agricoles pourrait libérer le potentiel de l’agriculture dans les régions de l’intérieur du pays. Pour libérer le potentiel de l’agriculture et renforcer sa compétitivité, une réforme majeure des politiques agricoles doit être mise en œuvre graduellement. Une fois que la politique de sécurité alimentaire aura été séparée, la réforme de la politique agricole devrait suivre cinq priorités parallèles principales: (a) supprimer progressivement le soutien des prix et les subventions sur les inputs (en les remplaçant par un système de soutien direct aux revenus qui crée moins de distorsions); (b) progressivement mettre un terme à l’intervention directe de l’état dans le marketing des produits agricoles; (c) mettre en œuvre des programmes d’assistance sociale ciblés pour aider les citoyens pauvres et vulnérables directement (et pas par le biais du soutien à l’agriculture); (d) investir de manière significative et améliorer les infrastructures et les services soft et hard dans le secteur de l’agriculture, notamment en renforçant la recherche et les prolongements, l’irrigation, le cadastre, le financement et l’assurance, et les infrastructures de transport qui sont essentielles à la croissance de l’agriculture ; et (e) simplifier les procédures et améliorer l’efficacité de l’administration publique(voir Chapitre Neuf). Il est important de noter que l’objectif de cette réforme ne devrait pas être de réduire le financement affecté au secteur agricole mais plutôt de faire en sorte que ces ressources soient réaffectées vers les instruments les plus efficaces pour soutenir la production agricole sans introduire de distorsions et sans saper l’avantage comparatif. En fait, éliminer les distorsions sur les marchés des produits agricoles permettrait des gains pour presque 70 pourcent des agriculteurs en bénéficiant principalement aux régions de l’intérieur du pays. Une étude antérieure de la Banque Mondiale a estimé que les agriculteurs bénéficieraient de la libéralisation des prix et tout particulièrement ceux des zones les plus sèches du centre et du sud qui élèvent des moutons et des chèvres et produisent des olives, des fruits et des légumes (Banque Mondiale, 2009). Les sous- secteurs ‘gagnants’ (principalement l’élevage, l’arboriculture et l’horticulture) sont des secteurs exposés dans lesquels la Tunisie pourrait booster ses exportations sans aucune subvention, et qui représentent à eux tous environ 60 pourcent de la main d’œuvre agricole avec une large répartition géographique (voir Chapitre Neuf). D’autre part et comme nous l’avons déjà mentionné, les fonds économisés pourrait être réaffectés aux infrastructures (par exemple l’irrigation) et à d’autres mesures horizontales pour booster la productivité et accompagner le secteur (comme les prolongations de services et les services de certification). Ces politiques ne sont pas discutées en détail dans cette étude et devraient faire l’objet d’une autre étude approfondie (comprenant notamment le potentiel pour des investissements publics conséquents dans l’irrigation). Réduire les disparités régionales tout en renforçant la croissance économique La première étape devrait être de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et d’adopter des politiques économiques qui atténuent au lieu de renforcer les disparités régionales. Bien que les disparités locales ne puissent pas être totalement éliminées, les minimiser requiert de repenser les politiques de développement régional de Tunisie. Comme nous l’avons présenté ci-dessus, les politiques économiques actuelles (notamment la politique sur la concurrence, la politique industrielle avec le code des incitations à l’investissement, la politique agricole et les politiques du marché du travail) ont toutes exacerbé les coûts déjà élevés d’investissement dans les régions de l’intérieur du pays et contribué à aggraver les disparités régionales. L’adoption de politiques économiques ‘géographiquement neutres’ est un prérequis à tout effort d’atténuation des disparités régionales. En plus d’enlever les distorsions introduites par les politiques existantes, l’expérience internationale montre que le gouvernement devrait se concentrer sur l’amélioration des services et de la connectivité. Une rapide discussion des politiques-clés est présentée ci-dessous (Chapitre Dix), mais une discussion plus approfondie des défis que représentent l’urbanisation 354 synthèse et recommandations de politiques et les disparités régionales est présentée dans le rapport Revue de l’Urbanisation en Tunisie (Banque Mondiale 2014g). Le gouvernement devrait élargir l’accès aux services de base dans les zones accusant un retard de développement Notre analyse montre que la mobilité des facteurs n’est pas la principale entrave dans les zones urbaines en Tunisie avec des différences de taux de rendement entre les régions et au sein même des régions qui sont relativement faibles. Ce sont plutôt des différences de caractéristiques qui entraînent des différences de consommation entre les régions et au sein des régions. C’est pour cette raison que l’extension de l’accès aux services de base (notamment à des services de santé et d’éducation de qualité) dans les régions en retard devrait rester un objectif-clé de la politique du gouvernement. L'expérience internationale a montré que l'amélioration de la qualité de vie (grâce à la disponibilité de services sociaux de base et des services publics et des infrastructures) est essentielle pour améliorer les services et les investissements du secteur privé dans les régions intérieures. D’autre part, les décideurs politiques ont besoin d’élargir leur vision au-delà des infrastructures pour fixer des tarifs et travailler au recouvrement des coûts, ce qui permettra d’élargir l’accès tout en améliorant la qualité du service. D’autres pays ont vu les impacts positifs de ces réformes. L’Algérie, l’Egypte, le Maroc ont tous décentralisé l’administration et réformé les programmes de tarification pour améliorer le recouvrement des coûts, notamment dans la fourniture d’eau. De nombreux pays ont élargi la fourniture de services en fixant des prix qui couvrent les coûts opérationnels et non opérationnels tout en garantissant l’accessibilité financière (voir Chapitre Dix). En Outre le gouvernement devrait mieux rattacher les régions en retard aux marchés en améliorant les infrastructures de connexion. Les investissements dans les infrastructures qui facilitent le flux de biens, de personnes et d'informations entre les régions leaders et les régions en retard peuvent dynamiser la concentration économique dans les régions leaders et promouvoir une convergence des niveaux de vie (Banque Mondiale 2008e). Ceci nécessite aussi l’amélioration de la conception, l’exécution et la surveillance des projets d’investissement publics. Ceci étant dit, dans la plus grande partie de la Tunisie, les goulots d’étranglement clés ne semblent pas être dus au manque d’infrastructures. Il semblerait qu’il y ait un fort besoin de développer un système de logistique avec des tiers prestataires de services pour coordonner les opérations de camionnage (en suivant l’exemple de l’industrie indienne du camionnage). L’amélioration de la connectivité en Tunisie demande une action du gouvernement pour éliminer les faiblesses de coordination et améliorer l’efficacité de la compétitivité dans le secteur du camionnage. Ces recommandations se font l’écho d’un travail antérieur de la Banque Mondiale qui insiste sur le besoin de développer et de mettre en œuvre des solutions innovantes comme (a) des services de logistiques de tiers (b) des infrastructure spécialisées comme des zones de logistique et (c) un appui réglementaire pour la mise en œuvre de nouvelles pratiques (Banque Mondiale 2008; 2012). Il est également important d’être conscient du fait que les mesures d’incitation fiscales et financières pour le développement régional ont peu de chances d’atteindre ces objectifs. L’expérience internationale montre, et d’ailleurs l’expérience tunisienne confirme, que les mesures d’incitation fiscales et financières destinées aux investisseurs ne représentent pas une alternative à ces politiques. L’expérience tunisienne montre également que les incitations ne sont pas la solution pour réduire les disparités régionales dans l’activité économique. Depuis 1993, la législation tunisienne permet au gouvernement d’accorder des mesures d’incitation aux investissements privés dans les régions en retard ou dans les zones prioritaires, et elle a promulgué le code d’investissements révisé en 2011 (Code d’Incitations aux Investissements). Ces mesures d’incitation couvrent des exonérations des impôts sur les bénéfices et une réduction de 50 pourcent sur les plafonds imposables. D’autres pays ont également essayé de réduire les disparités entre les régions leaders et les régions en retard en déconcentrant l’activité économique ou les populations—et la plupart ont essuyé des échecs. Les transferts interrégionaux peuvent être utilisés pour arriver à une convergence des niveaux de vie ; toutefois, les ressources sont gaspillées lorsqu’elles sont distribuées dans un objectif de formatage de l’activité économique. la révolution inachevée 355 Approfondir l’intégration du commerce La Tunisie a une opportunité unique : elle est située tout près de l’énorme marché de l’UE des 28 et vient seulement de commencer à gratter la surface de son potentiel d’exportation vers l’UE. Comme nous l’avons présenté dans ce document, l’intégration du commerce tunisien a été largement limitée à l’assemblage et à la réexportation de produits destinés à la France et à l’Italie. La raison de cette intégration superficielle est la nature des politiques économiques qui ont empêché les sociétés tunisiennes de grimper l’échelle de la valeur ajoutée. La plupart des réformes de suppression des goulots d’étranglement en place pour une plus large intégration mondiale sont des réformes nationales et doivent être entreprises sur une base unilatérale. L’intégration du commerce régional et international pourrait accompagner ce processus en fixant les réformes qui sont nécessaires. Compte tenu du fort potentiel de l’exportation des services et du rôle qu’ils jouent en tant que colonne vertébrale de l’économie toute entière, il y aurait de gros avantages à ouvrir les secteurs des services à la concurrence. L’amélioration de la compétitivité des services est un élément crucial pour permettre au secteur manufacturier de grimper dans la chaîne de la valeur ajoutée et d’exploiter les opportunités d’exportation vers l’UE. La réforme du cadre de la concurrence et du système de passation des marchés publics est essentielle pour augmenter la compétitivité du secteur national (onshore), en permettant aux sociétés exportatrices de compter sur des produits intermédiaires locaux et d’augmenter la valeur ajoutée des exportations. En matière d’orientation stratégique, le potentiel de la Tunisie d’élargir ses exportations vers l’UE reste largement plus important que celui de la région MENA ou de l’Afrique (voir Chapitre Sept). Donc parallèlement à la stimulation d’une intégration commerciale plus large dans le Maghreb, La Tunisie devrait continuer à rechercher une intégration plus approfondie avec l’UE des 28. La Tunisie obtiendrait des gains substantiels d’une intégration économique plus étroite avec la Lybie, à condition que les réformes-clés soient mises en œuvre en anticipant les progrès vers une intégration plus approfondie entre les deux pays. Toutefois, l’ampleur des impacts reste limitée par rapport à d’autres initiatives prises par la Tunisie comme son intégration avec l’UE. Un programme d’approfondissement de l’intégration commerciale est présenté en détail dans l’étude Etude sur l’Avancement de l’Intégration Globale (Banque Mondiale 2014h). 11.6 / Conclusion L a Tunisie est à un Carrefour et a une opportunité unique de procéder à des changements radicaux de ses politiques économiques. Une nouvelle vision est nécessaire pour un développement économique du pays qui soit partagée par une majorité de tunisiens—et qui soit capable ensuite de faire avancer la nature des réformes nécessaires par rapport au système actuel. Ceci demande un puissant leadership politique qui serve de moteur à un dialogue national sur la manière de créer un environnement économique plus sain—un environnement qui puisse promouvoir l’investissement et permettre aux sociétés d’augmenter leur productivité et d’être hautement concurrentielles sur la scène internationale, tout en accélérant la création d’emplois et en mettant parallèlement en place un système qui permette de partager équitablement les bénéfices de cette croissance et de s’assurer que personne n’est laissé pour compte. Ce rapport a pour objectif d’offrir une contribution à ce débat. 356 synthèse et recommandations de politiques Notes 1 Dans l’ensemble de ce rapport nous utilisons indifféremment de 2 milliards de TND (Ayadi, Benjamin, Bensassi, et Raballand les termes de “modèle de développement” ou de “modèle 2013). D’autre part, ce type de commerce représente une part économique ” en référence aux politiques socio-économiques qui importante des échanges bilatéraux avec la Libye et l’Algérie, régulent la création et la distribution des richesses dans un pays c’est-à-dire plus de la moitié du commerce officiel avec la Libye et donné. plus que la totalité du commerce officiel avec l’Algérie. Même s’il est plus difficile d’estimer le niveau de commerce informel avec 2 A partir de 1972, la Tunisie a accordé une période de grâce l’Algérie parce qu’il est plus étendu et clandestin, on peut estimer de l’impôt sur les sociétés et une exonération des droits de qu’environ 20 pourcent du carburant consommé en Tunisie vient douane sur les importations d’intrants intermédiaires au profit de son voisin sous forme d’importations informelles. Même si des entreprises produisant pour l’export, constituant ce que l’on cette situation rend l’essence plus abordable pour les ménages appelle le « secteur offshore ». Ces sociétés sont largement à l’abri tunisiens, le commerce total informel cause une perte de revenus des lourdeurs administratives et de la bureaucratie suffocante qui pour les autorités tunisiennes équivalant à un quart de leurs affectent (principalement) les sociétés produisant pour le marché revenus douaniers. national, regroupées au sien du « secteur onshore ». 12 Ce rapport ne prétend pas être exhaustif ; il y a différents 3 Similairement, le pourcentage de la population en dessous du aspects importants du modèle de développement de la Tunisie seuil international de pauvreté de US$2 par jour (PPP) a chuté de qui ne sont pas discutés dans cette étude (voir Introduction). 12,8 pourcent en 2000 à 4,3 pourcent en 2010. 13 La réforme du système fiscal (impôts sur le revenu des 4 Le chômage a atteint 18.9 pourcent en 2011 suite à la révolution personnes physiques, impôt sur les sociétés, taxes sur les et a baissé à 15.3 pourcent en décembre 2013. salaires et taxes commerciales) affecte aussi le processus de 5 D’ailleurs, les emplois sont de plus en plus informels ou régis redistribution de la richesse et devrait donc être vue comme un par des contrats à durée déterminée, ce qui n’apporte aucune complément au système de protection sociale. sécurité de l’emploi et s’est traduit par une rotation turnover 14 Les subventions sur les carburants sont particulièrement particulièrement élevée des effectifs. inéquitables avec 70 pourcent des avantages bénéficiant aux 6 Le fonctionnement des marchés en Tunisie est également 20 pourcent les plus riches de la population (Banque Mondiale soumis à des contraintes réglementaires qui limitent le nombre 2013) — en fait seuls 7 pourcent des avantages apportés par les de concurrents dans les industries de réseaux et d’autres subventions sur l’essence et le diesel touchent les 50 pourcent de activités et services aux entreprises, ce qui limite le libre accès la population en bas de l’échelle sociale. Même si les subventions à ces marchés. Les industries de réseaux comme le gaz et sur les produits alimentaires sont nettement moins inéquitables l’électricité, le captage, la purification et la distribution de l’eau, en Tunisie, il n’empêche qu’elles profitent aussi plus largement les chemins de fer (infrastructure, exploitation, transport de aux riches. passagers et de fret) ainsi que d’autres secteurs comme la chaîne 15 Les dépenses en produits alimentaires et carburants ont d’approvisionnement du tabac sont des monopoles d’état ou augmenté d’environ 1 pourcent du PIB entre 2000 et 2004 légaux. D’autre part, les barrières réglementaires qui affectent pour atteindre environ 5 pourcent du PIB en 2012. D’autre part, les télécommunications internationales et le transport aérien et comme nous l’avons présenté, un système de subventions constituent de facto des monopoles ou des oligopoles aussi dans croisées occultes bénéficiant aux sociétés étatiques (STIR et ces secteurs. STEG) masque la vision totale des dépenses en matière de 7 La faible performance pourrait aussi être en partie une subventions énergétiques. Le coût de ces subventions occultes conséquence de la structure du marché bancaire tunisien. A était estimé en 2012 à environ 2,2 pourcent du PIB. Le coût total part les grandes banques publiques, le reste du secteur est des subventions en Tunisie est donc de 30 pourcent supérieur à relativement fragmenté, ce qui ne permet pas les économies ce qui figure dans le budget pour arriver à plus de 7 pourcent du d’échelle nécessaires pour le développement d’institutions PIB (Banque Mondiale 2013). bancaires hautement compétitives et innovantes. 16 En mai 2012, le gouvernement a lancé un processus de dialogue 8 Le coin fiscal est défini comme étant la différence entre le coût social qui a marqué une étape importante en janvier 2013 avec total du travail, le salaire net, et l’évaluation des prestations en la signature d’un nouveau ‘Pacte Social’. Le Pacte Social signé en sécurité sociale. janvier 2013 met en place des principes pour lancer le dialogue dans des domaines clés de réformes dont la protection sociale, 9 La croissance économique peut être considérée comme une le développement régional, l’emploi et les compétences, ainsi combinaison de deux dimensions: d’abord l’augmentation des que la gouvernance du dialogue social c’est-à-dire entre le quantités d’intrants utilisées (ou ‘accumulation de facteurs’), et gouvernement, les syndicats (représentés par l’Union Générale notamment le capital, la main d’œuvre et la qualité de la main des Travailleurs Tunisiens, UGTT) et le secteur privé (représenté d’œuvre (que nous appelons ‘capital humain’). Ensuite l’efficacité par l’Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de dégagée par la combinaison de ces intrants (ou la ‘productivité l'Artisanat, UTICA). Le dialogue a été facilité par l’Organisation totale des facteurs’). Internationale du Travail (OIT). Source : Communiqué de presse du Gouverneur de la Banque 10 Centrale de Tunisie en Février 2011. 11 D’autre part, depuis la révolution le commerce informel avec la Libye et l’Algérie a explosé, ce qui pose un problème crucial en soi. Une étude récente de la Banque Mondiale estime que le volume du commerce informel avec la Libye et l’Algérie représente 7 pourcent des importations totales, c’est-à-dire plus la révolution inachevée 357 Références Achy, Lahcen. 2011. “Tunisia’s Economic Challenges.” Meddeb, Radhi. 2011. “Ensemble: construisons la Tunisie de Carnegie Middle East Center, Washington DC. demain, Modernité, solidarité et performance, Octobre 2011.” Action de Développement Solidaire, Tunis. AfDB/MCC/MDCI. 2013. Towards a New Economic Model for Tunisia, Identifying Tunisia’s Binding Constraints to Broad- World Bank. 2005. Expanding Opportunities and Building Based Growth. 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Washington, DC: World Bank. 358 synthèse et recommandations de politiques la révolution inachevée 359 Jusqu'en 2010, la Tunisie semblait bien se porter et était présentée par les institutions internationales tels la Banque Mondiale et le FMI comme un modèle de réussite économique pour les autres pays en développement, de même que le Forum Economique Mondial classait la Tunisie à plusieurs reprises comme étant l'économie la plus compétitive d’Afrique. Pourtant, le modèle tunisien avait de graves lacunes. Une création d'emplois insuffisante, notamment pour les diplômés universitaires, et de profondes disparités régionales ont été une source d’insatisfaction croissante à travers le pays avant la Révolution de Janvier 2011. La Révolution Inachevée montre que, contrairement à l’image souvent présentée par l'ancien régime, l'environnement économique de la Tunisie est devenu profondément défaillant. De larges obstacles à l’accès au marché et de vastes restrictions associés à une lourde réglementation des affaires et à un système financier qui fonctionne mal, ont abouti à l’essoufflement économique. Les politiques économiques ont aggravé le clientélisme et l’extraction de rentes, permettant aux entreprises non-performantes de survivre, indépendamment de leur productivité et de leur rentabilité. En conséquence, le secteur privé tunisien est coincé dans des activités à faible productivité et il lui manque un environnement dynamique où les entreprises productives peuvent prospérer et croître. Dans les trois années qui ont suivi la révolution, la Tunisie a réalisé d’importants progrès sur le plan politique, aboutissant à l'adoption consensuelle d'une nouvelle Constitution. Cependant, le système économique qui existait sous Ben Ali n'a pas beaucoup changé et les aspirations des Tunisiens de pouvoir accéder à de meilleures opportunités économiques n'ont pas encore été réalisées. Cet ouvrage décrit comment la Tunisie pourrait tirer parti d'un avantage concurrentiel pour exporter des produits à forte intensité de main-d'œuvre, de développer ses exportations de services, et de révéler le potentiel de l'agriculture, au profit des petites entreprises, des jeunes diplômés, et des agriculteurs des régions, souvent ignorées, de l'intérieur de la Tunisie. Pour réaliser ces avantages, il faudra améliorer le climat des investissements, rationaliser la réglementation et l'élaborer des politiques de développement plus équitables qui bénéficient à toutes les régions de la Tunisie. La Révolution Inachevée entend provoquer un débat et contribuer à la réflexion des décideurs pour repenser le modèle de développement économique de la Tunisie, remettre en question les hypothèses existantes, et oser voir grand pour les réformes politiques qui peuvent accélérer la croissance partagée, créer des emplois de qualité et promouvoir le développement régional. Le rapport ainsi que les documents y afférents sont disponibles en ligne : www.banquemondiale.org/fr/country/tunisia/publication/unfinished-revolution