Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en CÔTE D’IVOIRE Éclairages tirés de nouvelles données Auteurs : Susie Lonie, Meritxell Martinez, Rita Oulai, Christopher Tullis Remerciements L’équipe souhaiterait remercier Cargill Côte d’Ivoire, et notamment Jean-Marie Delon, Augustin Ringo, Gildas Loukou et Simon Nango pour leur participation à la structuration de l’enquête étayant cette étude et pour nous avoir aidé à accéder aux exploitants agricoles travaillant avec Cargill. Les auteurs souhaiteraient également remercier Bernard Kouablan et François Yao (Orange), ainsi que Bakary Yéo, Carole Kanga et Ange Thibaut Yaon (Société Ivoirienne de Banque) pour leur collaboration. Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire Éclairages tirés de nouvelles données Table des Matieres Synthèse 2 Introduction 3 Les SFN sont un moteur de l’inclusion financière dans les zones rurales de la Côte d’Ivoire 5 Les exploitants de cacao ivoiriens sont-ils parvenus à l’inclusion financière ? 7 Quels sont les besoins financiers spécifiques des exploitants de cacao ? 12 Qu’est-ce que les SFN pourraient apporter aux exploitants ? 18 Conclusions 22 Annexes 24 2 Synthèse Il peut être particulièrement difficile pour les exploitants agricoles de gérer leur argent, car ils perçoivent la majorité de leurs revenus pendant la récolte, ces sommes devant alors couvrir leurs dépenses pour le reste de l’année. Pour mieux comprendre les difficultés de trésorerie rencontrées par les exploitants agricoles et comment les services financiers numériques (SFN) pourraient les aider à alléger ce fardeau, IFC a entrepris une étude sur le parcours financier des exploitants de cacao en Côte d’Ivoire. Le Groupe de la Banque mondiale - la Banque mondiale et IFC - s’est engagé à fournir à un milliard de personne d’ici à 2020 l’accès à un compte courant par le biais d’interventions ciblées. Aider les exploitants de cacao à avoir accès à des comptes numériques fait partie de la réalisation de cet objectif global. La plupart des exploitants de cacao dans l’étude disposaient de revenus annuels relativement élevés, bien supérieurs au salaire minimum statuaire, mais très peu (6 pour cent) disposaient d’un compte bancaire. La principale raison pour cela n’était ni l’accès aux services bancaires, ni leur coût, mais la perception que «  les banques ne sont pas pour eux  ». La plupart des exploitants de cacao considèrent les banques comme étant « pour les riches », et donc pas comme une option pertinente pour eux. Cependant, les différents SFN proposés par les opérateurs de réseaux mobiles ivoiriens1 ne semblent pas être associés à de telles contraintes, et ils sont largement adoptés (53 pour cent) par les exploitants de cacao. Le secteur des SFN en Côte d’Ivoire connaît un grand succès et continue à se développer ; il est intéressant de noter que l’utilisation des SFN en zone rurale (26 pour cent) est même plus élevée que dans les villes (22,6 pour cent). Les exploitants de cacao reçoivent la majeure partie de leurs revenus au cours de la principale récolte, puis une partie moins importante au cours de la seconde récolte. Cet argent doit couvrir l’intégralité de leurs dépenses au cours de l’année, et non seulement leurs dépenses courantes habituelles, mais également les dépenses irrégulières planifiées, ainsi que les chocs financiers inattendus. Certains exploitants sont plus aisés que d’autres pour faire durer leurs revenus toute l’année et il convient de noter que cette acuité financière ne semble pas liée au montant qu’ils gagnent réellement. Nous avons réalisé que les exploitants agricoles qui économisaient de l’argent, que ce soit de manière formelle ou informelle, étaient mieux à même de nourrir leur famille tout au long de l’année que ceux qui n’économisaient pas, quels que soient leurs revenus. Une importante minorité d’exploitants agricoles économise (35 pour cent), mais les moyens les plus fréquemment utilisés à cette fin sont de garder l’argent de manière informelle au domicile (36 pour cent), ou d’utiliser un simple compte bancaire mobile géré par un ORM (20 pour cent). Seulement 20 pour cent des exploitants disposaient d’un compte d’épargne rémunéré dans une banque ou autre institution financière. Certains exploitants on indiqué qu’ils empruntaient de l’argent (15 pour cent) mais, de même que pour l’épargne, cela se fait essentiellement de manière informelle, auprès d’amis ou de la famille (54 pour cent des emprunteurs), avec seulement 11 pour cent des emprunteurs faisant appel à une institution financière. Ces prêts sont généralement utilisés pour palier les urgences et les dépenses régulières des ménages (70 pour cent) plutôt que pour des événements planifiés comme l’achat d’intrants agricoles (7 pour cent) ou les frais de scolarité (15 pour cent). Il est clair que l’encouragement de bonnes pratiques financières, en proposant une épargne rémunérée aisément accessible, et en permettant l’évaluation du risque de crédit client nécessaire pour soutenir l’emprunt formel, bénéficierait à un grand nombre d’exploitants de cacao. Ces services ont davantage de chances d’être largement adoptés s’ils sont proposés par un SFN, en raison du caractère pratique, de l’acceptation et de l’utilisation largement répandue à l’heure actuelle de ces services par les exploitants pour des opérations plus classiques. La volonté des exploitants de tester de nouveaux types de services financiers comme alternative à la monnaie liquide a été largement confirmée, la très grande majorité (73 pour cent) indiquant qu›elle serait satisfaite si leur coopérative leur payait leur récolte par voie numérique. Plusieurs types de SFN peuvent être utilisés pour répondre aux besoins de la demande latente des exploitants de cacao en matière de services financiers, par exemple en élargissant l’éventail de services proposés par les fournisseurs de solutions d’argent mobile (éventuellement en partenariat avec des banques ou des institutions de microfinance). Ces partenariats sont promus par le gouvernement ivoirien dans d’autres secteurs tels que le paiement des frais de scolarité2. Il existe également une opportunité évidente pour les institutions financières formelles d’introduire des services de correspondant bancaire et des comptes d’entrée de gamme adaptés afin de desservir les zones rurales. 1 Les SFN les plus populaires en Côte d’Ivoire sont Orange Money, MTN Mobile Money et Flooz (Moov), qui sont tous des services d’argent mobiles simples. 2 Pour de plus amples informations sur le paiement des frais de scolarité en utilisant l’argent mobile, veuillez consulter l’article suivant : http:// www.gsma.com/mobilefordevelopment/programme/mobile-money/paying-school-fees-with-mobile-money-in-cote-divoire Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 3 Introduction La Côte d’Ivoire possède le plus important marché de cacao au monde, produisant plus de 1,4 millions de tonnes métriques de cacao brut par an, soit 32 pour cent de la production mondiale3. Ces volumes de production, multipliés par le prix minimum garanti aux exploitants de 1 000 francs CFA ($1,7) par kilogramme pour la récolte 2015/2016 pourraient résulter sur $2,3 milliards de revenus de récolte directement versés aux exploitants de cacao. En dépit des sommes importantes impliquées, la quasi-totalité de ces paiements est versée en espèces. Les paiements en espèces posent plusieurs problèmes pour les exploitants. Les paiements des récoltes arrivent souvent tard - en raison de la logistique complexe des paiements en espèces - et pourraient faire l’objet de ponctions en chemin par des intermédiaires sans scrupules qui profitent de l’absence de traçabilité. Même si ces intermédiaires ne prélèvent pas une portion surdimensionnée des paiements des exploitants, les espèces font toujours l’objet d’un risque de vol significatif lors du transport4. Ces facteurs signifient que les coûts du transport de fonds sont très élevés. En Ouganda, où les risques sont similaires, une analyse a constaté que les entreprises agricoles dépensaient environ 10 pour cent de leur budget d’exploitation annuel à la couverture des pertes - liées au vol ou à la fraude - et aux dépenses associées à l’assurance, à la sécurisation et au transport des fonds5 Conscients de ces coûts et inefficacités, nombre d’acteurs dans la chaîne de valeur du cacao étudient d’éventuelles alternatives. L’une de ces alternatives consiste à rémunérer les exploitants par le biais des SFN. Profitant de l’avantage procuré par les développements technologiques récents, les SFN peuvent être utilisés pour fournir un ensemble complet de services financiers aux communautés rurales et agricoles par le biais de produits mobiles, à partir de cartes et autres produits d’e-commerce auxquels il est possible d’accéder par le biais de réseaux d’agents dans les zones rurales. Cette étude se concentre essentiellement sur les comptes d’argent mobile et discute dans un premier temps de la manière dont ceux-ci ont déjà amélioré l’inclusion financière en Côte d’Ivoire et, dans un deuxième temps, de la manière dont l’argent mobile pourrait contribuer à fournir aux exploitants de cacao des produits répondant à leurs besoins. Le développement de l’utilisation des SFN à des fins rurales et agricoles pourrait bénéficier dans une large mesure à la totalité de la chaîne de valeur et améliorer le quotidien des exploitants. Une fois qu’un écosystème de SFN se sera bien développé, les plateformes de SFN pourraient être utilisées pour relier les exploitants, les fournisseurs d’intrants et les acheteurs de denrées agricoles, facilitant les transactions entre ces trois groupes. Les services plus élémentaires que les SFN pourraient fournir aux exploitants sont entre autres des paiements plus rapides pour la récolte et un accès facilité aux produits d’épargne et de crédit. Eventuellement, les SFN pourraient être utilisés pour faciliter la fourniture d’assurances des récoltes destinées aux exploitants, les aidant non seulement à gérer le risque et à protéger leurs investissements, mais réduisant aussi leur risque de crédit vis- à-vis des prêteurs et améliorant leur accès au crédit. La technologie mobile peut également être exploitée pour proposer des services de développement agricole, envoyer des informations aux exploitants et leur rappeler les bonnes pratiques, les prévisions météorologiques et les calendriers des récoltes, ainsi que les mettre en contact avec des spécialistes des cultures en cas de problèmes. En outre, au niveau de la chaîne de valeur, l’intégralité du réseau de distribution pourrait être améliorée par l’e-stockage, la gestion du transport, et une meilleure traçabilité des rendements ou des paiements (voir le tableau en Annexe 1 pour plus d’informations sur les services susceptibles d’être offerts). Bien que les SFN proposent un éventail de nouvelles technologies prometteuses à haut potentiel pour alléger les problèmes de longue date en matière de finances rurales, peu de données existent sur la demande réelle de ces nouveaux services chez les utilisateurs potentiels. Les données existantes sont souvent fragmentées ou inaccessibles6, les décideurs ne disposant que de peu d’indications quant à la manière de hiérarchiser l’innovation en matière de produits et leurs efforts de marketing. Les données limitées dont nous disposons suggèrent que la demande de SFN peut fortement dépendre du contexte : ce qui peut fonctionner dans un environnement comme le Kenya, où les SFN sont bien établis, peut ne pas fonctionner dans un contexte 3 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, base de données FAOSTAT. Données disponibles les plus récentes. 4 La guerre civile qui a récemment touché la Côte d’Ivoire s’est achevée en 2011, et bien que le programme de désarmement post-conflit officiel ait été considéré comme un succès et se soit achevé en 2015, des armes sont toujours présentes dans le pays. Rinaldo Depagne (2015), “Côte d’Ivoire : The Illusion of Stability,” International Crisis Group, Bruxelle, Belgique. http://www.crisisgroup.org/en/regions/africa/west-africa/cote-divoire/op-eds/depagne-cote-d-ivoire-the-illusion-of-stability.aspx 5 http://www.cgap.org/blog/digitizing-agriculture-value-chains-story-so-far 6 Xavier Martín Palomas (2014), “Filling Data Gaps in Smallholder Finance,” CGAP Blog, Groupe de la Banque mondiale, Washington, DC. http://www.cgap.org/blog/filling-data-gaps-smallholder-finance 4 différent en termes de taux d’adoption de l’argent mobile, de taux d’alphabétisation7, ou de confiance générale dans le secteur financier (peut-être en raison d’antécédents de défaillances bancaires). Dans le contexte agricole, diverses cultures et chaînes de valeur sont également associées à des difficultés différentes. Par bien des aspects, la Côte d’Ivoire - qui présente une pénétration de la téléphonie mobile supérieure à 100 pour cent8 et compte pour 53 pour cent de toutes les opérations d’argent mobile dans la totalité de l’UEMOA9 - constitue un environnement favorable à l’utilisation des SFN pour promouvoir l’inclusion financière. Dans un tel contexte, la présente étude avait deux objectifs majeurs. Le premier était de diagnostiquer les besoins financiers actuels des exploitants et d’identifier la demande de services financiers - et notamment les éventuelles sources de demande latente - en étudiant les données sur leur comportement financier actuel. Le second était d’étudier les moyens par lesquels les SFN pouvaient être utilisés pour répondre à certains de ces besoins. Cette étude est basée sur un échantillon de 1 149 petits exploitants de cacao, membres de six coopératives agricoles du centre- ouest de la Côte d’Ivoire (pour plus d’informations sur la stratégie d’échantillonnage, voir les Annexes 2 et 3). Les exploitants de l’échantillon ont été interrogés à l’aide d’un questionnaire détaillé évaluant leurs besoins et comportements financiers. Si cet échantillon n’est pas représentatif de tous les exploitants de cacao de Côte d’Ivoire, il fournit néanmoins un aperçu enrichissant et détaillé du comportement financier individuel des exploitants et de la demande de services financiers. Cette étude est un outil de connaissance du Partenariat pour l’Inclusion Financière, une initiative conjointe d’IFC et The MasterCard Foundation visant à développer la microfinance et à faire progresser les services financiers numériques en Afrique subsaharienne ; elle s’organise comme suit : la première section dresse un tableau de l’inclusion financière en Côte d’Ivoire, révélant que les SFN présentent un taux de pénétration inhabituellement élevé dans les zones rurales. La seconde section traite du comportement financier spécifique des exploitants de cacao sur la base des nouvelles données recueillies par IFC, et est suivie d’une troisième section présentant un cadre dans lequel les SFN pourraient participer à l’amélioration de la vie des exploitants. Le rapport conclut avec un appel aux parties prenantes à continuer à piloter des projets et à innover en proposant des produits et modes de paiement capables de répondre aux besoins financiers des communautés rurales en Côte d’Ivoire et au-delà. 7 Les faibles taux d’alphabétisation dans la langue de l’interface du service sont également largement considérés comme un obstacle essentiel à l’adoption des services d’argent mobile. Claire Scharwatt et al. (2014), “2014 State of the Industry: Mobile Financial Services for the Unbanked,” GSMA, Londres, RU. 8 La Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde (2014). 9 BCEAO (2014), “Situation des services financiers via la téléphonie mobile dans l’UEMOA”. Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 5 Les SFN sont un moteur de l’inclusion financière dans les zones rurales de la Côte d’Ivoire Bien que le paysage de l’accès à la finance en Côte d’Ivoire se soit amélioré au cours des dernières années, le pays est toujours en retard par rapport à un grand nombre de pays d’Afrique subsaharienne en termes d’inclusion financière. Selon la Banque mondiale, en 2014, 29 pour cent d’adultes en Afrique subsaharienne disposaient d’un compte auprès d’une banque ou autre institution financière formelle, alors que ce chiffre n’était que de 24 pour cent en 201110. En Côte d’Ivoire, les chiffres sont moins élevés, avec seulement 15 pour cent d’adultes disposant d’un compte formel en 2014, soit environ la moitié de la moyenne de l’Afrique subsaharienne et une augmentation de seulement 1,7 pour cent depuis 201111. Par conséquent, la Côte d’Ivoire est loin derrière, à la fois en termes de taux d’inclusion financière formelle et de taux de croissance du secteur financier informel (même si le pays reste l’une des économies les plus performantes au sein de la région UEMOA). Étant donné cette stagnation récente du taux d’inclusion financière formelle en Côte d’Ivoire, le principal moteur du changement est la provision de services financiers numériques par des banques et opérateurs de réseaux mobiles. L’augmentation de la pénétration de la téléphonie mobile (109 pour cent en 201512), combinée avec le faible accès aux institutions financières formelles, s’est révélée être un terrain fertile pour le développement des comptes d’argent mobile. FIGURE 1: ACCÈS À UN COMPTE D’ARGENT MOBILE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE 70 60 50 PERCENTAGE 40 30 20 10 0 Burkina Faso Côte d’Ivoire Ghana Kenya Mali Nigeria Sénégal Tanzanie Ouganda ASS Total 40 % les plus 60 % les plus Ruraux Urbains pauvres riches Souce: Base de données Global Findex de la Banque mondiale. 10 La Banque mondiale, base de données Global Findex (2014). Données disponibles les plus récentes. 11 La tendance en matière d’inclusion financière au cours du temps est difficile à suivre pour la Côte d’Ivoire, étant donné que la crise politique a empêché l’équipe Global Findex de recueillir des données en 2011. Les données de 2011 référencées sont celles de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). 12 Les taux de pénétration supérieurs à 100 pour cent indiquent que certaines personnes disposent de plus d’un numéro de téléphone enregistré à leur nom. 6 La pénétration des comptes d’argent mobile en Côte d’Ivoire est largement supérieure à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (24 pour cent contre 11 pour cent), et se rapproche de niveaux comparables à certains marchés chefs de file en matière d’argent mobile tels que la Tanzanie (bien que le Kenya reste de loin en tête avec une pénétration de 58 pour cent) (voir Figure 1). Le fait que près d’un quart des adultes vivant en Côte d’Ivoire disposent d’un compte d’argent mobile est un développement très positif ; bien que certains de ces comptes soient inactifs 13, le taux d’activité des comptes en Côte d’Ivoire est nettement supérieur à la moyenne mondiale (50 pour cent contre 33 pour cent)14. Si le pourcentage d’Ivoiriens disposant de comptes formels diminue à mesure que l’on s’éloigne des villes et que l’on passe en zone rurale (19,9 pour cent d’habitants des zones urbaines contre 10,3 pour cent des zones rurales), cela n’est pas vrai pour l’argent mobile. En effet, la pénétration des comptes mobiles dans les régions rurales de Côte d’Ivoire est supérieure à la moyenne nationale (20,6 pour cent en zone rurale contre 22,6 pour cent en zone urbaine). Il n’est pas surprenant que l’argent mobile ait obtenu un certain succès dans les zones rurales : le réseau existant de succursales d’institutions financières dans les régions rurales15 est nettement inférieur à la distribution du réseau d’ORM existant et de plus en plus vaste dans tout le pays. Les deux principaux ORM de Côte d’Ivoire affirmaient compter plus de 6 000 agents chacun en janvier 2015, alors que le nombre total de succursales de banques n’était que de 600 à la fin de l’année 201416. Dans certaines régions, telles que Folon au Nord, il n’existe aucune succursale de banque, selon une étude récente d’IFC. Dans certaines régions, l’argent mobile est devenu la solution financière de facto pour les exploitants agricoles et les populations rurales, les banques et institutions de microfinance existantes ne répondant pas à leurs besoins. 13 En 2014, IFC a mené une étude (qualitative et quantitative) sur l’inactivité des utilisateurs de SFN, en partenariat avec deux ORM locaux. L’étude a révélé que près de la moitié des utilisateurs de SFN enregistrés en Côte d’Ivoire étaient inactifs (sur une base de 90 jours), ce qui pose un défi majeur au développement de l’inclusion financière. Les raisons en sont multiples, et sont notamment l’irrégularité des revenus des consommateurs, les prix élevés du service et le fait que les consommateurs ne considèrent pas que ce service soit adapté à leurs besoins. Susie Lonie, Meritxell Martinez, Christopher Tullis, and Rita Oulai (2015), “The Mobile Banking Customer That Isn’t: Drivers of Digital Financial Services Inactivity in Côte d’Ivoire,” IFC, Washington, DC. 14 En 2015, le GSMA a indiqué que 32,6 pour cent des comptes d’argent mobile dans le monde étaient actifs. GSMA (2015) “State of the Industry Report: Mobile Money” GSM Association, Londres, RU. Les études menées par IFC ont indiqué que ce même chiffre était de 50 pour cent pour la Côte d’Ivoire. Susie Lonie, Meritxell Martinez, Christopher Tullis, and Rita Oulai (2015), “The Mobile Banking Customer That Isn’t: Drivers of Digital Financial Services Inactivity in Côte d’Ivoire,” Société financière internationale, Washington, DC. 15 Par exemple, à Goh-Djiboua et à Sassandra-Marahoue. Finclusion Lab (2015), “State of the Data Report: 2015” MIX, Washington, DC. 16 BCEAO, 2014 Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 7 Les exploitants de cacao ivoiriens sont-ils parvenus à l’inclusion financière ? Pour étudier les besoins financiers spécifiques des populations rurales et mieux comprendre comment les services financiers peuvent être étendus aux zones rurales, IFC a mené une étude sur les exploitants de cacao en Côte d’Ivoire17. La Côte d’Ivoire est le plus grand producteur de cacao du monde, assurant 32 pour cent de la production de cacao mondiale en 201318. À l’heure actuelle, la chaîne de valeur du cacao est quasiment exclusivement en espèces. Dans les entretiens qualitatifs, les exploitants et les directions des coopératives ont indiqué que les exploitants devaient quotidiennement parcourir de longues distances en taxi brousse pour récupérer le paiement de leur récolte, ce qui est non seulement très coûteux, mais les expose aussi au risque de vol et de blessures. Si les données de cette étude sur l’inclusion financière en Côte d’Ivoire ne sont pas représentatives de l’intégralité de la population d’exploitants de cacao ivoiriens, étant donnée leur faible quantité19, elles nous donnent néanmoins un éclairage unique sur les besoins spécifiques des populations rurales et peuvent aider les institutions financières à élaborer des produits financiers efficaces, adaptés aux besoins spécifiques des exploitants en zone rurale. Institutions formelles Des messages clés émanent de ces données. Tout d’abord, les données suggèrent que les exploitants sont moins pauvres que la population rurale nationale, 42 pour cent de notre échantillon vivant sous le seuil de pauvreté national (contre 57 pour cent de la population rurale en Côte d’Ivoire20). En utilisant le chiffre de la Banque mondiale de $1,25 par jour21, seulement 27 pour cent de notre échantillon peut être défini comme étant pauvres. Peut-être parce qu’ils s’en sortent mieux que la moyenne, les exploitants de notre échantillon étaient également davantage susceptibles de disposer d’un compte auprès d’une institution financière formelle que la population générale, en dépit du fait qu’ils se trouvent en zone rurale, ce qui complique l’accès aux succursales des banques22. Au total, 20 pour cent de notre échantillon indiquaient disposer d’un compte formel sous une forme ou une autre, soit un peu plus que la moyenne ivoirienne de 15 pour cent. En décomposant ce chiffre par type d’institution bancaire, 6 pour cent des exploitants disposaient d’un compte bancaire et 14 pour cent d’un compte auprès d’une IMF (y compris des coopératives financières) (voir la Figure 223). FIGURE 2: EXPLOITANTS DE CACAO DISPOSANT DE COMPTES DANS UNE INSTITUTION FINANCIÈRE FORMELLE 100 90 80 70 60 PERCENTAGE 50 40 30 20 10 0 Banque IMF/Coop financière Argent mobile 10e au 25e >10e au 25e >25e au 50e >50e au 75e >75e au 90e 10 % les plus Tous centile centile centile centile centile riches revenus 17 En 2013 et 2015, IFC a mené une étude auprès de deux grands exportateurs de cacao afin de comprendre les habitudes financières des exploitants de cacao. Au total, 2648 exploitants ont été interrogés et ont apporté un éclaircissement sur leurs besoins, leurs habitudes et leurs attentes en termes de services financiers. Voir l’Annexe 2 pour plus d’informations. 18 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, base de données FAOSTAT. Données disponibles les plus récentes. 19 La BCEAO, qui est l’organe de régulation régional, ne recueille pas de données désagrégées par zones rurales-urbaines, mais des initiatives sont actuellement en cours pour combler ces lacunes en termes de connaissances. 20 Institut National de la Statistique de Côte d’Ivoire, Enquête sur le niveau de vie des ménages 2014. 21 Les données de ce rapport ont été recueillies avant que la Banque Mondiale ne fasse passer le seuil de pauvreté standard à 1,90 USD/jour en 2015, par conséquent, l’instrument d’enquête utilisé pour calculer les statistiques sur la pauvreté a utilisé la méthodologie antérieure à 2015. 22 La Banque mondiale, base de données Global Findex (2014). Données disponibles les plus récentes. 23 Seulement 0.5 pour cent des exploitants disposaient à la fois d’un compte bancaire et d’argent mobile, ce qui suggère qu’ils sont considérés comme étant des substituts presque parfaits. 8 Si l’accès aux IMF est encourageant, il convient de garder à l’esprit que la majorité de ces IMF sont des coopératives financières peu performantes24. Parmi les exploitants clients d’une IMF, la majorité dispose de comptes à l’Unacoopec, un réseau de coopératives financières actuellement sous administration provisoire et rencontrant d’importantes difficultés financières, et qui a eu des problèmes quant à la qualité de ses services. Sans surprise, les exploitants interrogés dans le cadre de cette enquête semblaient disposer d’un faible niveau de confiance dans l’Unacoopec, et de nombreux récits ont été relatés dans lesquels les exploitants déposaient une partie des paiements de leur récolte un jour, pour réaliser le lendemain qu’ils ne pouvaient les retirer car leur branche locale d’Unacoopec ne disposait pas de liquidités. Si ces comptes Unacoopec de mauvaise qualité sont écartés, alors le niveau d’inclusion financière formelle de ces exploitants est bien inférieur à 20 pour cent. L’argent mobile Bien qu’une minorité seulement d’exploitants disposent d’un compte auprès d’une banque ou d’une IMF, les comptes d’argent mobile sont nettement plus courants, avec plus de la moitié des exploitants interrogés (53 pour cent) indiquant utiliser l’argent mobile. L’accès aux agents d’argent mobile semble relativement bon, près de la moitié des exploitants (46 pour cent) affirmant pouvoir se rendre chez leur agent le plus proche à pied en moins de 20 minutes, et 83 pour cent étant en mesure d’accéder à un agent en moins d’une heure. Aucun problème majeur n’a été signalé quant à la performance des agents, et même parmi les exploitants qui ne souhaitaient pas recevoir l’argent de leur récolte sur leur compte d’argent mobile, seulement 2 pour cent d’entre eux ont indiqué comme raison que « les agents n’ont jamais d’espèces ». En outre, les infrastructures sont en place pour atteindre de nouveaux clients d’argent mobile. La couverture des réseaux de téléphonie mobile était raisonnablement bonne dans la zone d’étude, 81 pour cent des exploitants de cacao indiquant une bonne couverture de réseau près de chez eux, et 99 pour cent d’entre eux disposant d’un accès à un téléphone portable. Certains exploitants possédaient plusieurs cartes SIM avec différents prestataires, mais ils tendaient à n’utiliser principalement qu’un seule compte d’argent mobile, 75 pour cent d’entre eux privilégiant Orange Money, et 23 pour cent privilégiant MTN Mobile Money. Comment les exploitants utilisent-ils actuellement leurs comptes d’argent mobile? La plupart des clients d’argent mobile ne profitent pas pleinement du potentiel de leurs comptes, n’utilisant qu’un ou deux types d’opérations disponibles sur l’ensemble proposé, essentiellement l’envoi et la réception de fonds (P2P) (voir Figure 3). Il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles les exploitants de cacao réalisent essentiellement des opérations P2P, par exemple pour apporter un soutien financier aux membres de leur famille, ou pour réaliser des paiements à des fins professionnelles informelles comme l’achat et la vente de produits agricoles et d’intrants. Si ces transferts sont en effet des opérations commerciales informelles, cela suggère qu’il serait peut-être temps de commencer à proposer d’autres services mobiles en Côte d’Ivoire, comme le règlement de factures et les achats en boutique, qui sont devenus populaires dans d’autres marchés. Il est également surprenant de noter le faible nombre d’exploitants qui utilisaient leurs comptes d’argent mobile pour acheter du crédit de communication (18 pour cent), étant donné qu’ils consomment tous du crédit de communication et que l’acheter en personne à un commerçant est plus difficile dans les régions rurales. Cela suggère qu’il existe une possibilité pour les ORM de promouvoir l’aspect pratique de ce service comme moyen d’augmenter le recours à ces comptes dans les régions rurales. FIGURE 3: À QUOI LES EXPLOITANTS DE CACAO ONT-ILS CONSACRÉ LEURS COMPTES D’ARGENT MOBILE ? 100 86% 90 80 70 66% POURCENTAGE 60 52% 50 40 31% 30 20 18% 10 5% 2% 1% 0% 0% 0 Envoyer Recevoir Conserver l’argent Épargner Acheter du crédit de recharge Régler les factures Envoi international de fonds Réception internationale de fonds Réception de salaire Réception des transferts G2P 24 Pour une analyse du secteur de la microfinance, veuillez consulter la page suivante : http://www.apsfd.ci/nos-membres/donnees- statistiques Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 9 L’épargne Plus d’un tiers des exploitants interrogés affirmaient avoir mis de l’argent de côté l’année précédente (35 pour cent), 23 pour cent des exploitants épargnant en ayant à l’esprit un objectif d’épargne spécifique. Parmi ceux qui épargnent dans un objectif spécifique, relativement peu utilisaient un compte formel pour ce faire (33 pour cent). Le lieu le plus fréquemment utilisé pour stocker cet argent était le domicile (36 pour cent des épargnants), suivi par l’argent mobile (34 pour cent des épargnants) (voir Figure 4). Si épargner à la maison est préférable à l’absence totale d’épargne - 65 pour cent des exploitants affirmaient ne rien mettre de côté de leurs revenus - cette solution est loin d’être idéale. Les données ne manquent pas pour confirmer que la conservation des économies à la maison peut empêcher les gens de répondre à leurs besoins d’épargne à moyen et long terme. Il existe plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, conserver son épargne à la maison peut poser un risque de sécurité : 7 pour cent de la totalité de notre échantillon ont indiqué avoir perdu ou s’être fait voler leurs économies à un moment ou à un autre de leur vie. L’argent conservé à la maison est également plus facile à dépenser, les problèmes de maîtrise de soi peuvent donc saper les objectifs budgétaires des individus. Les problèmes de maîtrise de soi sont exacerbés par l’irrégularité des revenus agricoles25. FIGURE 4: LES LIEUX OÙ LES EXPLOITANTS DE CACAO ÉPARGNENT LEUR ARGENT Au domicile 37% Argent mobile 20% IMF/Coop financière 17% Banque 16% Groupe d’épargne 2% informel Coopérative 2% agricole Autre 7% 0 5 10 15 20 25 30 35 40 POURCENTAGE D’ÉPARGNANTS À MOYEN ET LONG TERME L’emprunt De même, si 15 pour cent des exploitants affirment avoir emprunté l’année précédente, seulement 11 pour cent de ces emprunteurs étaient clients d’une institution financière formelle (5 pour cent des emprunteurs ont obtenu leur dernier prêt auprès d’une coopérative financière, 5 pour cent auprès d’une IMF et 1 pour cent auprès d’une banque). La grande majorité de l’épargne et du crédit semble provenir de sources informelles. La source principale de ces prêts informels était les amis et les membres de la famille, avec 54 pour cent des emprunteurs affirmant avoir emprunté auprès de membres de leur famille au cours de l’année précédente. Le prêteur le plus courant suivant était la coopérative agricole des exploitants, avec 30 pour cent des emprunteurs (voir Figure 5). 25 Dean Karlan, Aishwarya Lakshmi Ratan, et Jonathan Zinman, “Savings by and for the Poor: A Research Review and Agenda,” Review of Income and Wealth 60(1):36–78. 10 FIGURE 5: LES SOURCES DE PRÊTS POUR LES EXPLOITANTS DE CACAO Famille et amis 54% Coop agricole 30% IMF 5% Coop financière 5% Banque 1% Autre 11% 0 10 20 30 40 50 60 POURCENTAGE D’EMPRUNTEURS On pourrait s’attendre à ce que ces prêts fournis par les coopératives soient essentiellement des crédits destinés aux intrants agricoles, mais nos données indiquent que ce n’est pas le cas26. Si les coopératives agricoles accordent des crédits pour les intrants dans cette population, seulement 9 pour cent des exploitants qui avaient récemment emprunté de l’argent auprès de leur coopérative agricole affirmaient l’avoir fait pour financer le coût des intrants, et 63 pour cent affirmaient que le prêt était destiné à les aider à faire face à une urgence. En effet, les coopératives agricoles tenaient régulièrement lieu de sources de financements d’urgence pour les exploitants connaissant une période difficile. Dans les entretiens qualitatifs, les coopératives indiquaient non seulement accorder de tels prêts d’urgence aux exploitants, mais affirmaient également qu’elles n’avaient pas vraiment le choix : les exploitants considéraient avoir droit aux crédits lorsqu’un événement important se produisait dans leur famille, comme le décès d’un proche, et considéreraient que la coopérative ne s’occupait pas bien d’eux si elle ne leur accordait pas de prêt. Pour pouvoir rester concurrentiels sur un marché où les exploitants ont souvent plusieurs options quant au lieu où ils vendent leur récolte, les coopératives agricoles se trouvent souvent dans l’obligation de faire office de banquiers et de répondre aux besoins des exploitants en matière de crédit. De même, pour toutes les sources, la raison la plus courante était de loin l’emprunt pour faire face aux chocs, 59 pour cent des emprunteurs citant une urgence comme motif de leur dernière demande d’emprunt. Les raisons les plus fréquentes suivantes étaient le financement des frais de scolarité (15 pour cent), la couverture des dépenses habituelles du foyer (11 pour cent) et le financement des intrants agricoles (7 pour cent) (voir Figure 6). Ainsi, si la principale utilisation du crédit est de faire face à des dépenses imprévues, un nombre substantiel d’exploitants utilise également le crédit comme aide à la budgétisation, pour les aider à répartir des revenus irréguliers sur toute l’année. FIGURE 6a: RAISONS DONNÉES PAR LES EXPLOITANTS DE CACAO POUR EMPRUNTER DE L’ARGENT 8% Autre 7% Paiement des outils ou intrants agricoles 11% Dépenses habituelles du foyer 59% Urgence 15% Frais de scolarité 26 L’équipe ne dispose pas de suffisamment de données pour comprendre comment les exploitants paient actuellement les intrants agricoles et suggère qu’une étude supplémentaire soit menée. Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 11 FIGURE 6b: RAISONS DONNÉES PAR LES EXPLOITANTS DE CACAO POUR EMPRUNTER DE L’ARGENT 80 POURCENTAGE DES EMPRUNTEURS 70 60 50 40 30 20 10 0 25 % les plus pauvres Deuxième quartile de revenus Troisième quartile de revenus 25 % les plus riches Urgence Frais de scolarité Dépenses habituelles Paiement des outils ou Autre du foyer intrants agricoles Il est frappant de noter que la répartition des fréquences des raisons des demandes de crédit est similaire quels que soient les niveaux de revenus, ce qui suggère que même parmi les exploitants les plus riches, nombreux sont ceux qui ne disposent pas des réserves nécessaires pour faire face aux chocs financiers inattendus et sont obligés d’avoir recours à l’emprunt. « Les coopératives agricoles tenaient régulièrement lieu de sources de financements d’urgence pour les exploitants connaissant une période difficile. » 12 Quels sont les besoins financiers spécifiques des exploitants de cacao ? L’accès au financement est un problème pour les populations rurales d’Afrique subsaharienne. Souvent, les succursales de banques sont situées loin du lieu d’habitation des exploitants, ce qui rend les banques inaccessibles. Pour nombre d’entre eux, le prix constitue un obstacle significatif, les frais de tenue de compte et les soldes de compte minimum requis les empêchant de profiter de ces services. Les autres obstacles sont la législation relative à l’obligation de connaissance des clients, qui peut exiger, pour pouvoir ouvrir un compte, la présentation de pièces d’identité que nombre d’entre eux n’ont pas, ainsi que le manque de confiance dans le secteur financier. Ce dernier point peut être problématique, notamment dans des contextes où les banques ont fait faillite et les déposants ont perdu leurs économies27 . En outre, si les produits financiers que les banques et les IMF proposent sont essentiellement conçus en ayant à l’esprit la clientèle urbaine de base des banques, il est possible que ces produits ne répondent pas aux besoins des populations agricoles rurales. Par exemple, un prêt associé à des échéances de remboursement mensuelles strictes, s’il est bien adapté à un employé en zone urbaine qui reçoit un salaire mensuel, peut rendre le remboursement presque impossible pour les exploitants ruraux qui ne peuvent ramener un revenu substantiel à la maison qu’une ou deux fois par an au cours de la saison des récoltes. Il est important de mieux comprendre pourquoi les exploitants de cacao ivoiriens n’utilisent pas davantage les instruments financiers numériques à leur disposition : sont-ils trop coûteux ? Inaccessibles ? Ou ne répondent-ils pas correctement aux besoins des exploitants ? Quelles sont les connaissances relatives aux besoins financiers des exploitants de cacao auxquelles on pourrait répondre au moyen de solutions financières innovantes ? Mettre de l’argent de côté pour demain Pour commencer, nous avons interrogé les exploitants qui n’utilisaient pas encore différents services financiers sur les facteurs les en empêchant. Un nombre étonnamment faible d’exploitants a cité les obstacles traditionnels à l’inclusion financière évoqués ci-dessus. Par exemple, à la question de savoir pourquoi ils n’avaient pas de compte formel, seulement 8 pour cent des exploitants non bancarisés indiquaient qu’ils ne disposaient pas des documents nécessaires. Un nombre encore moins important indiquait le manque de confiance dans les institutions financières (7 pour cent), le fait de vivre trop loin d’une branche (6 pour cent) et le fait que les services étaient trop coûteux28 (5 pour cent). La raison majeure indiquée par les exploitants au fait de ne pas avoir de compte dans une institution financière formelle (citée par 74 pour cent des exploitants non bancarisés, soit 60 pour cent de l’échantillon complet) était qu’ils étaient trop pauvres pour pouvoir profiter du service. Il convient d’insister sur le fait qu’ils n’affirmaient pas que les comptes formels étaient trop coûteux - une raison citée par seulement 5 pour cent des exploitants - mais qu’ils étaient eux-mêmes trop pauvres pour pouvoir en bénéficier (voir la Figure 7). Nous avons essayé de sonder ce que les exploitants voulaient dire par cette affirmation. Dans les entretiens qualitatifs, les exploitants exprimaient le sentiment que, puisqu’ils avaient déjà des difficultés à joindre les deux bouts, ils ne voyaient pas comment on pouvait s’attendre à ce qu’ils mettent de l’argent de côté. Mais ces exploitants sont-ils réellement trop pauvres pour pouvoir bénéficier de comptes afin de gérer leur argent, alors que leurs revenus sont nettement supérieurs au seuil de pauvreté national ? Et le fait d’être pauvre signifie-t-il vraiment qu’il soit impossible d’épargner ? Même si un tel nombre d’exploitants se considère trop pauvre pour épargner (même lorsqu’ils considèrent que les comptes sont abordables), l’étude des données montre qu’il n’existait pas de relation statistiquement significative entre les revenus des exploitants (que ce soit les revenus de la ferme ou le total des revenus du foyer) et la tendance à affirmer être trop pauvre pour avoir un compte bancaire29. L’analyse révèle que même les exploitants non bancarisés les plus riches de notre échantillon se percevaient néanmoins trop pauvres pour avoir un compte bancaire. Si l’estimation par les exploitants de savoir si leurs revenus justifiaient ou non un compte formel était exacte, nous pourrions nous attendre à ce que les exploitants qui s’en sortaient mieux seraient moins susceptibles de se considérer trop pauvres pour avoir un compte. Cela est particulièrement vrai étant donné qu’une part substantielle des exploitants de notre échantillon s’en sortait relativement bien, les 10 pour cent les plus riches tirant suffisamment d’argent du cacao seul pour permettre à chaque membre de leur foyer de vivre avec plus de $4 par jour, même sans tenir compte des autres sources de revenus auxquelles le ménage pourrait avoir accès. Le fait que les exploitants qui s’en sortent relativement bien soient tout aussi susceptibles de se considérer trop pauvres pour avoir un compte 27 Pour un rapport complet sur les barrières à l’accès au financement, voir Thorsten Beck, Asli Demirgüç-Kunt, et Maria Soledad Martinez Peria, “Banking Services for Everyone? Barriers to Bank Access and Use around the World,” The World Bank Economic Review 22, no. 3 (1er janvier 2008): 397–430. 28 Plusieurs réponses possibles. 29 Pour plus d’informations sur les méthodes statistiques utilisées, veuillez consulter la description du Modèle 1 en Annexe 3. Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 13 bancaire suggère que quelque chose, indépendamment de leurs revenus, suscite cette réponse. Une possibilité est que les offres actuelles des banques ne répondent pas suffisamment aux besoins des exploitants, et que les produits financiers doivent être mieux adaptés afin que les exploitants y voient un intérêt. Une autre explication probable est que les banques en général sont considérées par les exploitants de cacao comme inaccessibles pour des gens comme eux. Les exploitants associent peut- être les comptes bancaires aux élites urbaines et aux employés salariés, les écartant en les considérant comme n’étant « pas pour eux » - même dans les cas où ils en tireraient parti. Concernant la deuxième question, les informations disponibles suggèrent que même les plus pauvres des pauvres peuvent être à la source d’une demande d’épargne latente substantielle. Les enquêtes auprès des ménages réalisées dans toute l’Afrique subsaharienne indiquent que les pauvres disposent d’un surplus d’argent qu’ils utilisent pour des dépenses non essentielles, qui pourrait être mis de côté sans réduire le niveau de consommation de denrées essentielles du foyer30. D’autres études ont mis en avant le fait que les comptes pouvaient être conçus de sorte à contribuer à atténuer les obstacles comportementaux à une budgétisation efficace, permettant aux pauvres de faire durer leurs revenus au-delà de ce qu’ils avaient estimé pouvoir faire. Les comptes bloqués ou les comptes associés à d’autres mécanismes d’engagement en particulier peuvent permettre aux pauvres de mettre davantage d’argent de côté et de l’économiser plus longtemps31. Si les revenus des exploitants n’ont pas d’effet évident sur la tendance des exploitants à se considérer trop pauvres pour avoir un compte formel, l’inverse n’est pas vrai des niveaux d’alphabétisation. Par opposition aux revenus, les exploitants lettrés étaient bien moins susceptibles de se considérer comme trop pauvres pour bénéficier d’un compte, même lorsque leurs revenus étaient constants. Cela suggère que les exploitants illettrés étaient particulièrement susceptibles de percevoir les comptes bancaires comme inadaptés à leurs besoins. Le faible niveau d’éducation financière de ces exploitants peut leur rendre difficile la tâche d’évaluer avec précision les avantages que présenterait un compte dans leur situation. Il est intéressant de noter que cet obstacle de perception semble exister dans une bien moindre mesure pour les comptes d’argent mobile. Tout d’abord, un nombre considérablement plus important d’exploitants utilise l’argent mobile plutôt que les services financiers traditionnels (53 pour cent contre 20 pour cent). Deuxièmement, un nombre moins important d’exploitants affirme ne pas avoir suffisamment d’argent comme raison de ne pas disposer de compte d’argent mobile (17 pour cent contre 60 pour cent pour les comptes formels). Troisièmement, contrairement aux comptes formels, les revenus agricoles étaient un indicateur statistiquement significatif de la tendance des exploitants à se considérer trop pauvres pour bénéficier de l’argent mobile. 30 Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo (2007), “The Economic Lives of the Poor”, Journal of Economic Perspectives 21(1):141–168. 31 Dean Karlan, Aishwarya Lakshmi Ratan, et Jonathan Zinman, “Savings by and for the Poor: A Research Review and Agenda,” Review of Income and Wealth 60(1):36–78. 14 FIGURE 7: RAISONS DONNÉES PAR LES EXPLOITANTS DE CACAO POUR NE PAS AVOIR DE COMPTE DANS UNE INSTITUTION FINANCIÈRE FORMELLE POURCENTAGE AYANT DÉCLARÉ REVENU INSUFFISANT, PAR QUARTILE DE REVENU Quartile de revenu 70 65% le plus pauvre Deuxième quartile 61% de revenus 60% 60 Troisième quartile 62% de revenus POURCENTAGE DE TOUT L’ÉCHANTILLON Quartile de revenu 54% le plus riche 50 40 30 20 10 7% 5% 5% 4% 0 Pas assez d’argent pour le N’a pas les documents N’a pas confiance en les Branche trop loin Frais bancaires trop justifier requis institutions financières élevés FIGURE 8: RAISONS DONNÉES PAR LES EXPLOITANTS DE CACAO POUR NE PAS AVOIR DE COMPTE D’ARGENT MOBILE 70 60 POURCENTAGE DE TOUT L’ÉCHANTILLON 50 POURCENTAGE AYANT DÉCLARÉ REVENU INSUFFISANT, PAR QUARTILE DE REVENU Quartile de revenu 27% le plus pauvre 40 Deuxième quartile 16% de revenus Troisième quartile 11% de revenus 30 Quartile de revenu 8% le plus riche 20 17% 10 8% 6% 4% 3% 2% 1% 1% 0% 0 N’a pas régulièrement Service trop Pas de Préfère les Agent trop Problèmes Sécurité Problèmes Autre assez d’argent compliqué téléphone espèces loin techniques non de liquidité portable (téléphone garantie de l’agent ou réseau) Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 15 S’il est encourageant de voir que les exploitants ne semblent pas considérer les comptes d’argent mobile comme hors de portée au même titre que les comptes formels, il est important de garder à l’esprit que cela ne signifie pas que l’argent mobile a maximisé son potentiel au sein de cette population. Si le recours à l’argent mobile est relativement important, 47 pour cent des exploitants ne l’utilisent pas encore. Parmi ceux qui disposent d’un compte d’argent mobile, des études récemment menées par IFC suggèrent que nombre d’entre eux n’en sont probablement pas des utilisateurs actifs32. Les exploitants de notre échantillon n’utilisent pas pleinement les services d’argent mobile actuellement à leur disposition, ce qui n’est pas surprenant étant donné que les offres de SFN actuelles ne proposent que peu de services dont les exploitants pourraient profiter au cours des périodes de soudure. En effet, l’une des principales conclusions de l’étude menée par IFC sur l’inactivité était que cette inactivité diminuerait si les produits de SFN étaient mieux adaptés aux besoins des populations cibles. En combinant ces conclusions, un scénario commence à émerger. Les biais d’opinion semblant être un obstacle considérable à l’adoption par de nombreux exploitants ruraux de comptes bancaires formels, les prestataires de services financiers devraient adapter leurs services et stratégies de marketing pour traiter explicitement de ces biais. Heureusement, il semble que la technologie mobile puisse être un atout à cet égard, étant donné qu’elle souffre moins de ces problèmes d’opinion que les institutions financières formelles. Tenir toute l’année À moyen terme, les exploitants de cacao sont confrontés à deux problèmes majeurs en termes de budgétisation : 1) leurs revenus sont irréguliers, et 2) leurs dépenses fluctuent dans le temps et sont souvent imprévisibles. L’irrégularité extrême des revenus agricoles signifie qu’une budgétisation extrêmement prudente est nécessaire pour s’assurer que les revenus des récoltes durent toute l’année. L’agriculture est saisonnière par nature, avec un passage du temps entre les entrées et sorties d’argent. Les exploitants de cacao reçoivent leurs revenus lors des deux saisons des récoltes33. Pour évaluer la mesure dans laquelle les exploitants agricoles étaient en mesure de faire durer ces revenus toute l’année, nous leur avons demandé à quels mois de l’année, le cas échéant, ils avaient généralement du mal à nourrir leur famille. Trente-sept pour cent des exploitants de notre échantillon ont indiqué avoir des difficultés durant au moins un mois de l’année. Les mois au cours desquels les exploitants avaient, de loin, des difficultés à nourrir leur famille, étaient les mois qui précédaient immédiatement la principale saison des récoltes (de juillet à septembre), les exploitants connaissant des difficultés qui augmentaient radicalement, passant de moins 1 pour cent au plus fort de la principale récolte de cacao, à 27 pour cent dans les deux mois précédant directement la récolte principale. En réalité, il est probable qu’il s’agisse d’une estimation prudente du pourcentage d’exploitants confrontés à une telle “saison de disette” : d’après les données recueillies par IFC en 2014 sur un autre échantillon d’exploitants de cacao ivoiriens, plus de 90 pour cent indiquaient avoir du mal à nourrir leur famille avant la récolte34. Cette tendance, qui peut être observée en Figure 9, confirme que nombre d’exploitants de cacao rencontrent d’importantes difficultés à budgétiser leurs revenus afin qu’ils durent toute l’année. « Les exploitants de notre échantillon n’utilisent pas pleinement les services d’argent mobile actuellement à leur disposition. » 32 L’inactivité a été calculée sur 90 jours. Susie Lonie, Meritxell Martinez, Christopher Tullis, et Rita Oulai (2015), “The Mobile Banking Customer That Isn’t: Drivers of Digital Financial Services Inactivity in Côte d’Ivoire,” IFC, Washington, DC. 33 Le gros de la récolte se fait entre octobre et janvier, une seconde récolte, nettement moins importante, se faisant entre avril et juin. 34 Données internes des Services-Conseil d’IFC auprès des exportateurs de la filière cacao, 2014. 16 FIGURE 9: ÉPARGNE SAISONNIÈRE DES EXPLOITANTS DE CACAO ET PÉRIODES SANS REVENUS SUFFISANTS POUR SE NOURRIR DÉBUT DE LA RÉCOLTE PRINCIPALE 30 POURCENTAGE DES RÉPONDANTS 25 20 15 10 5 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 MOIS Pourcentage ayant des difficultés à nourrir leur familles (par mois) Pourcentage épargnant de façon significative (par trimestre) Une dépense récurrente générant une difficulté particulière pour les exploitants est le paiement des frais de scolarité de leurs enfants. Parmi les exploitants indiquant emprunter de l’argent au cours des six mois précédents, 15 pour cent citaient le paiement des frais de scolarité comme raison du besoin de ce prêt. Bien que les frais de scolarité soient une dépense parfaitement prévisible en début d’année scolaire (début octobre), ils sont néanmoins source de difficultés pour les exploitants car ceux-ci ont besoin de disposer d’une somme significative d’un seul coup, en plus du budget habituel du foyer, à un moment de l’année ou les fonds sont insuffisants35. Des intrants agricoles saisonniers coûteux comme les engrais enregistrent un taux d’utilisation relativement faible dans notre échantillon, ceci pouvant être partiellement attribuable à l’incapacité des exploitants à faire durer les revenus de la récolte pendant toute la période de plantation, quand les intrants sont généralement achetés. Les exploitants ont également plusieurs dépenses de type forfaitaire à moyen terme, comme les mariages et les fêtes, nombre étant de nature prévisible, et devant dans l’idéal être budgétisées à l’avance. Les petits exploitants ont recours à un éventail de stratégies pour prévoir le budget d’une année complète en raison de l’irrégularité de ces revenus36. Les exploitants de cacao de notre échantillon tendaient à mettre de l’argent de côté au cours de la saison de la récolte afin de régler ces dépenses plus tard dans l’année. La plupart des exploitants ne peuvent contribuer à leur épargne que pendant une brève fenêtre au cours de la récolte. Parmi les exploitants qui épargnent, 90 pour cent parviennent soit à ne mettre de l’argent de côté qu’une fois par an, soit, s’ils parviennent à augmenter leur épargne, la période supplémentaire se situe presque toujours pendant la récolte. Seulement 8 pour cent de ceux qui épargnent indiquent mettre régulièrement de l’argent de côté en dehors de la saison des récoltes (voir la Figure 10)37. 35 Bien que la saison de la rentrée scolaire tombe souvent pendant la récolte principale, les retards de paiement signifient que les exploitants ne reçoivent généralement pas les paiements de leur récolte avant le moment où les dépenses liées à la rentrée doivent être effectuées. 36 Pour consulter une comparaison de la manière dont les exploitants de différents marchés gèrent leurs revenus saisonniers, veuillez consulter l’étude du CGAP utilisant les livres de comptes au Mozambique, en Tanzanie et au Pakistan. Les auteurs dévoilent des stratégies qui ne seraient pas généralement considérées comme des mécanismes de gestion financière, comme la diversification des revenus générés par la récolte, afin d’inclure des cultures assurant un rendement à différentes parties de l’année, et l’augmentation de la participation du ménage en tant que main-d’œuvre occasionnelle pendant les périodes de soudure (si la demande le permet). Jamie Anderson et Wajiha Ahmed (2016), “Smallholder Diaries: Building the Evidence Base with Farming Families,” CGAP, World Bank Group, Washington, DC. 37 Parmi ceux qui épargnent, la grande majorité (77 pour cent) ont indiqué que la principale saison de récolte était la période de l’année au cours de laquelle ils étaient le plus susceptibles d’épargner de l’argent, contre 19 pour cent pour les trois autres trimestres de l’année cumulés. Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 17 FIGURE 10: À QUELLE FRÉQUENCE LES EXPLOITANTS DE CACAO ÉPARGNENT-ILS ? 3% Tous les mois 3% 2% Tous les 3 mois Autre 2% Tous les 6 mois 40% N’a pas augmenté son épargne en 12 mois 50% Pendant la récolte seulement Ces économies semblent avoir un impact profond sur la capacité des exploitants à prévoir un budget pour toute l’année. Les exploitants qui épargnent voient leurs chances d’avoir des difficultés à nourrir leur famille dans les deux mois précédant la récolte principale diminuer de 50 pour cent par rapport à ceux qui n’épargnent pas, même quand les autres facteurs restent constants comme l’éducation et les revenus du foyer38. Un exploitant qui avait épargné au cours de l’année précédente avait 18 pour cent de chances de rencontrer des difficultés, ce chiffre passant à 31 pour cent pour les exploitants qui n’épargnaient pas. En d’autres termes, l’irrégularité des revenus signifie qu’il est essentiel pour les exploitants de pouvoir mettre de l’argent de côté en toute sécurité pour pouvoir conserver des niveaux de consommation basiques toute l’année. En outre, les exploitants qui ont l’habitude d’épargner sont plus à même de prévoir un budget pour toute l’année. Outre l’épargne, certains exploitants empruntent également pour pouvoir gérer leurs budgets à moyen terme. Cette dépendance à l’emprunt pour financer les dépenses habituelles du ménage se concentre également au cours de la période précédant immédiatement la récolte principale (période de soudure), quand nombre d’entre eux rencontrent des difficultés financières (voir la Figure 9). Pour chaque mois supplémentaire de difficultés des exploitants dans les cinq mois précédant la récolte, les chances qu’ils demandent un prêt au cours de cette période augmentaient de plus de 50 pour cent (en maintenant les autres facteurs constants, y compris les revenus)39. En résumé, certains exploitants utilisent le crédit comme substitut à l’épargne à moyen terme, finançant les dépenses habituelles du foyer à crédit pour compenser leur incapacité à épargner suffisamment sur les revenus de la récolte pour qu’ils durent toute l’année. 38 Pour plus d’informations sur les méthodes statistiques utilisées, veuillez consulter la description du Modèle 3 en Annexe 3. 39 Pour plus d’informations sur les méthodes statistiques utilisées, veuillez consulter la description du Modèle 4 en Annexe 3. 18 Qu’est-ce que les SFN pourraient apporter aux exploitants ? Étant donné l’importance primordiale que prennent les comptes d’argent mobile chez les exploitants de cacao, les prestataires de SFN existants et potentiels, décideurs et autres parties telles que les exportateurs gagneraient à saisir l’opportunité fournie par ce nouveau mode pour améliorer l’inclusion financière et mettre à la portée des exploitants les services financiers dont ils ont tant besoin. Des expérimentations sont déjà en cours sur les utilisations potentielles des SFN dans les chaînes de valeur agricoles, offrant une perspective sur les opportunités et les défis associés à l’offre de SFN aux populations rurales. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces initiatives, l’opportunité d’utiliser les SFN dans les chaînes de valeur agricoles semble être de grande ampleur. La section suivante propose des moyens possibles par lesquels les SFN pourraient être utilisés au bénéfice des exploitants de cacao en Côte d’Ivoire, et d’autres exploitants disposant de besoins similaires. Expériences récentes de paiements en argent mobile dans les chaînes de valeur agri- coles en Afrique Advans Côte D’Ivoire. : Avec la vision d’étendre sa présence dans les zones rurales ainsi que de réduire les paiements en espèces et les risques associés, Advans a développé des partenariats avec des ORM locaux (MTN et Orange) et des exportateurs de cacao (Cargill, Barry Callebaut). Dans un projet pilote lancé avec MTN et plusieurs exportateurs, les exploitants de cacao reçoivent les paiements de la récolte par le biais d’une combinaison de comptes d’épargne Advans et de comptes Mobile Money MTN. Les agriculteurs participants sont affiliés à des coopératives agricoles qui jouent un rôle essentiel dans la mise en œuvre du pilote en initiant les paiements électroniques et en veillant à l’adoption par les agriculteurs. Au début de l’année 2016, Advans avait réussi à inscrire plus de 7000 agriculteurs de 58 coopératives. Il peut être difficile de connecter les comptes Advans des exploitants à la plateforme MTN, car cela requiert des inscriptions sur papier, des vérifications par le personnel en charge des deux entreprises et l’accès à la plateforme USSD de MTN. Cette interconnexion permet aux agriculteurs de retirer de l’argent dans le point MTN de leurs villages. L’autre option consiste à se déplacer jusqu’ à la branche d’Advans la plus proche, essentiellement dans les principales villes du pays. Le CGAP (Groupe consultatif d’assistance aux plus pauvres, du Groupe de la Banque mondiale) fournit une assistance technique et un financement à Advans pour ce projet pilote. Biopartenaire Côte D’Ivoire. Etabli en Côte d’Ivoire depuis 2010, Bio Partenaire travaille avec les exploitants de cacao pour produire du cacao certifié de façon responsable (certifié UTZ et Cocoa Horizons). Bio Partenaire est une filiale de Barry Callebaut, un groupe suisse , leader mondial dans le secteur du cacao et la fabrication de chocolat. Avec un des principaux ORM du pays, l’entreprise met en œuvre un programme destiné à payer directement aux exploitants de cacao leurs livraisons de fèves de cacao sur des portefeuilles mobiles. Le paiement est effectué par le biais d’une transaction P2P entre l’agent de Bio Partenaire et l’exploitant. Cette solution était destinée à surmonter les problèmes de sécurité liés à la manipulation d’espèces dans les zones rurales, à améliorer la traçabilité des paiements, à permettre aux exploitants d’épargner davantage, de faire des transferts d’argent et à long terme de devenir bancables. Bio Partenaire a distribué des téléphones et chargeurs solaires aux exploitants et a partiellement subventionné le coût des retraits jusqu’à 15 XOF/kg de cacao acheté ($0.03). En 2013, le programme avait atteint plus de 9 000 exploitants dans 122 villages de toute la Côte d’Ivoire. Les principaux défis à la mise en œuvre de ce projet ont été le coût élevé des transactions d’argent mobile sur le marché ivoirien (d’où la subvention), souvent des problèmes de réseau dans les zones rurales ainsi que l’effort requis pour satisfaire aux exigences formelles pour ouvrir des portefeuilles mobiles pour les agriculteurs. IFC/Cargill Côte d’Ivoire : En 2013, IFC a lancé un programme pays en Côte d’Ivoire afin d’augmenter l’utilisation des SFN, notamment dans les chaînes de valeur agricoles, avec le soutien financier The MasterCard Foundation. L’une des principales activités du programme est la numérisation des paiements dans la chaîne de valeur du cacao, qui représente 20 pour cent du PIB du pays. En mai 2015, IFC a lancé un programme pilote pour la numérisation des paiements et de l’épargne de 1 000 exploitants de cacao en collaboration avec Cargill (le Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 19 plus grand exportateur de cacao du monde), SIB (filiale locale du groupe bancaire Attijari Wafa) et Orange Côte d’Ivoire (ORM). Les exploitants participants, issus de trois coopératives différentes, reçoivent leur paiement sur leur compte SIB et ont la possibilité de retirer leur argent dans une branche SIB ou auprès d’un agent OM après un transfert de banque à portefeuille. Les premiers paiements versés correspondaient aux primes sur le cacao certifié, les principaux paiements liés à la production de la récolte seront progressivement ajoutés. En avril 2016, 373 exploitants étaient inscrits au programme pilote. Mercy Corps/KAITE Zimbabwe : En 2013, Mercy Corps, une ONG internationale, a facilité un partenariat entre EcoNet (le plus grand ORM du pays) et un acheteur de denrées agricoles spécialisé, KAITE, visant à proposer un système de paiement mobile à 448 exploitants de piment dans la région de Domboshawa, au nord de Harare, la capitale du Zimbabwe. Cette initiative fait partie de l’Agrifin Mobile Program pilotée par Mercy Corps et déployée en Afrique subsaharienne et en Asie de l’Est. Mercy Corps a joué un rôle essentiel, depuis l’alignement stratégique de chacune des entreprises à la mise en œuvre du programme pilote à proprement parler (inscription des exploitants, suivi). Selon la direction de KAITE, les paiements électroniques réduisaient le coût du transport de fonds vers des zones reculées et garantissaient que les exploitants recevaient leur paiement de manière sécurisée et en intégralité, contrairement aux fois où des agents de KAITE pouvaient arriver à cours de liquidités alors qu’ils étaient sur le terrain. NWK Agri-Services Zambie : NWK Agri-Services, établi en 2000, est le plus grand acheteur de coton de Zambie. L’entreprise comptait environ 120 000 exploitants affiliés en 2015.Elle a connu de graves difficultés associées au transport de fonds (vols à main armée, fraude) et a cherché une solution adaptée pour numériser ses paiements aux exploitants : elle a tenté les cartes de retrait en distributeurs automatiques en 2012 mais était limitée par la faible densité du réseau de distribution des banques dans les zones rurales. En 2015, NWK lança un projet pilote auprès de 20 000 exploitants, les payant par le biais de MTN Mobile Money. Bien que le projet pilote ait obtenu des résultats mitigés en termes d’adoption par les exploitants, de couverture du réseau et de disponibilité de liquidités, il a réduit les frais d’exploitation de NWK ainsi que ses problèmes de sécurité. NWK et MTN travaillent à améliorer l’éducation des consommateurs en matière de gestion financière, à mieux comprendre les habitudes financières des exploitants, et à développer un réseau local de d’accepteurs de paiement électronique, réduisant ainsi la nécessité de disposer d’espèces. L’entreprise envisage de déployer cette solution dans tout son réseau d’exploitants. Rice Mobile Finance Ghana : Avec l’appui financier de Visa Innovation Grant, l’ONG Agribusiness Systems International, basée au Ghana, a lancé une solution de paiement mobile (Rice Mobile Finance) destinée à 727 riziculteurs en partenariat avec Tigo, l’un des principaux ORM du Ghana, et la Ghana Agriculture Development Company (GADCO), un grand producteur de riz. De septembre 2013 à juin 2014, GADCO a réalisé 19 paiements de masse pour un total de $250 000 par le biais de la plateforme Tigo Cash. GADCO a subventionné tous les frais de paiement de masse et de retrait pour les exploitants. Cette initiative a contribué à réduire les risques de sécurité, les exploitants n’ayant pas besoin de parcourir de longues distances jusqu’aux bureaux de CADCO pour récupérer leur paiement en espèces. Cependant, selon ASI, le déploiement des paiements mobiles à un groupe plus vaste d’exploitants exigerait une meilleure gestion de la liquidité, la formation coordonnée des exploitants et agents, ainsi qu’une augmentation des limites des opérations. GADCO vise à atteindre au moins 5 000 exploitants par le biais de ce programme de paiement mobile. Source: Entretiens menés par les auteurs 20 Le court terme : recevoir de l’argent et le mettre en sécurité Le stockage sécurisé est l’une des principales raisons pour lesquelles les exploitants de cacao utilisent actuellement les comptes d’argent mobile (53 pour cent). En plus du stockage, l’argent mobile peut aussi être utilisé pour envoyer et recevoir de l’argent ; pour les urgences ; pour éviter la perte ou le vol ; et éventuellement comme mode de paiement efficace. Une autre application à court terme des SFN dans la vie des exploitants pourrait être de faciliter le paiement des récoltes. La plupart des paiements sont actuellement effectués en espèces, avec tous les risques et inconvénients que cela implique. Cependant, dans notre échantillon, 73 pour cent des exploitants de cacao affirment qu’ils aimeraient être payés via des systèmes d’argent mobile, ce qui indique une demande substantielle de paiements numériques si les acheteurs de denrées agricoles et les prestataires de SFN étaient amenés à développer ce service. Cependant, il convient d’être attentif au fait que, lorsque les paiements pour les récoltes sont numérisés, les possibilités de réalisation d’autres opérations pertinentes pour les exploitants soient également numérisées. Dans l’idéal, les paiements numériques des récoltes devraient s’accompagner de possibilités accrues pour les exploitants de réaliser des opérations numériques, comme l’achat d’intrants, le remboursement de crédits et le paiement des factures (y compris l’achat de recharges de communication). Si ces opérations continuent à être effectuées en espèces, alors les paiements des récoltes par voie numérique deviennent simplement une autre forme de versement des fonds, le fardeau de la gestion de la liquidité étant transféré de l’acheteur à l’agent de SFN. En commençant par se concentrer sur la numérisation d’un sous-ensemble fondamental de dépenses de base, les exploitants peuvent se familiariser avec les SFN élémentaires, fournissant une passerelle par laquelle ils peuvent étudier des services financiers plus sophistiqués au fil du temps. Un obstacle de taille reste l’interface utilisateur avec les SFN, notamment parmi les exploitants illettrés. Bien que la majorité des exploitants accepteraient de se voir payer leur récolte sur leurs comptes d’argent mobile, parmi ceux qui ne le souhaiteraient pas, une minorité non négligeable (17 pour cent) considéraient que le service d’argent mobile était trop compliqué pour eux. Cela indique que même si la majorité des exploitants dispose des compétences requises pour utiliser les SFN, il est nécessaire40de mieux communiquer et de former les consommateurs à la réalisation de transactions d’argent mobile, en accordant une attention particulière aux besoins spécifiques des exploitants illettrés et semi-illettrés. Le moyen terme : Tenir toute l’année Les comptes d’argent mobile pourraient être bien placés pour aider les exploitants à épargner et à emprunter. Bien que les coopératives agricoles aient souvent un rôle de prêteur de dernier recours pour les exploitants confrontés à des difficultés financières, ces coopératives affirmaient avoir des difficultés à évaluer la solvabilité des exploitants, et déclaraient enregistrer des taux de non-paiement élevés. Un système d’évaluation du risque de crédit assuré par les SFN, par exemple à partir des données obtenues par le biais de l’utilisation des comptes SFN, pourrait améliorer la donne en allégeant la pression dont font l’objet les coopératives agricoles lorsqu’il s’agit d’accorder des prêts, tout en rendant le crédit d’urgence plus accessible aux exploitants. Dans le cas spécifique des prêts d’urgence, les SFN pourraient constituer un moyen de fournir de petits prêts de la sorte, rapidement et à la demande, même si l’urgence survient en dehors des heures ouvrables des institutions de crédit formelles41. En plus de pouvoir emprunter, les SFN pourraient donner les moyens aux exploitants d’épargner une portion suffisante de leurs revenus pour pouvoir tenir toute l’année. Les problèmes de comportement, y compris le contrôle de soi et les normes sociales incitant à redistribuer les revenus à la famille et aux amis, peuvent entraver les efforts de budgétisation des exploitants. Il existe plusieurs moyens par lesquels les SFN pourraient aider en proposant des outils de budgétisation et des rappels dynamiques pour aider les exploitants à épargner et à plannifier leur budget de façon plus efficace. Par exemple, les prestataires de SFN pourraient proposer aux exploitants des comptes bloqués permettant la mise à disposition progressive du paiement d’origine au fil de l’année. Les exploitants pourraient alors choisir de déposer l’intégralité ou une partie du paiement de leur récolte sur ce compte et y accéder de la même manière que le ferait un employé salarié. En outre, ces comptes gelant l’argent pour une durée prédéterminée, les exploitants pourraient obtenir des taux d’intérêt supérieurs sur leurs dépôts par rapport à ce qu’ils obtiendraient avec un simple compte épargne. Plus important, de tels comptes fonctionnant sur le mode du salaire mensuel permettraient de libérer les exploitants d’une partie du fardeau associé à l’irrégularité des revenus, leur permettant de prévoir leur budget pour l’année de la même manière que le font les employés salariés. 40 Une étude récente menée par IFC en Côte d’Ivoire a révélé que, bien que seulement 18 pour cent des personnes interrogées affirmaient que les SFN étaient trop compliqués pour elles, 35 pour cent affirmaient avoir besoin d’aide pour utiliser ces services. Susie Lonie, Meritxell Martinez, Christopher Tullis, et Rita Oulai (2015), “The Mobile Banking Customer That Isn’t: Drivers of Digital Financial Services Inactivity in Côte d’Ivoire,” IFC, Washington, DC. 41 Ce type de service n’existe pas encore en Côte d’Ivoire. Au Kenya, Safaricom M-Pesa s’est associé avec la Commercial Bank of Africa pour lancer M-Shwari, un compte bancaire proposant une combinaison d’épargne et de micro-prêts exclusivement accessible par le réseau d’argent mobile M-Pesa. Un service similaire est proposé en partenariat avec la Kenya Commercial Bank. Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 21 Pour que le paiement numérique des récoltes soit un outil économique efficace, il faut qu’il y ait un écosystème de paiements pertinents que les exploitants peuvent réaliser en utilisant les SFN, par exemple le paiement des factures et les achats habituels en magasin. Le long terme : planifier l’avenir Étant donné qu’une large part de notre échantillon avait du mal à mettre de l’argent de côté, et plus d’un tiers ayant des difficultés à tenir toute l’année, nos données n’ont fourni que peu d’informations sur les besoins à long terme des exploitants en termes d’épargne. Les objectifs à long terme fréquemment cités au cours des entretiens étaient l’achat de terrains ou la construction d’une maison, tous difficiles à réaliser sans la capacité d’épargner de façon efficace. L’application des SFN à la planification financière à long terme de la vie des exploitants reste peu claire. Si l’utilisation des comptes d’argent mobile continue à se développer et que les prestataires de services financiers classiques n’innovent pas, l’argent mobile pourrait bien devenir le choix par défaut fait par les exploitants pour gérer leur argent en raison de sa commodité et de sa facilité d’accès. Des services financiers alternatifs commencent déjà à être proposés dans certains marchés, et notamment le paiement des intérêts détenus sur les comptes d’argent mobile et l’accès aux prêts sur la base des habitudes d’achat de crédit de communication des clients. Nombre de ces nouveaux services sont le résultat de partenariats entre des banques et des ORM, et combinent le portefeuille de produits financiers des banques à l’importante clientèle et le vaste réseau d’agents des ORM afin de rendre les services financiers traditionnels plus accessibles42. Mais les ORM innovent de plus en plus d’eux mêmes, évitant les partenariats difficiles à gérer avec les banques et proposant directement des produits financiers de plus en plus sophistiqués43. Les utilisations potentielles des SFN pour répondre aux besoins variés des exploitants identifiés ci-dessus sont résumés dans le Tableau 1. TABLEAU 1 : SOLUTIONS DE SFN POSSIBLES ADAPTÉES AUX BESOINS DES EXPLOITANTS COURT TERME MOYEN TERME LONG TERME TRANSACTIONS P2P BESOIN Envoyer/recevoir de l'argent des Petites transactions commerciales avec amis/de la famille les fournisseurs et les clients PRODUIT Argent mobile Argent mobile RÉCEPTION DES BESOIN Sécuriser les paiements de la Plannifier le budget pour l’année PAIEMENTS DE LA récolte RÉCOLTE PRODUIT Argent mobile Comptes de “salaire mensuel” Comptes bancaires accessibles Rappels par SMS par le biais des SFN Outils de budgétisation souple RÉALISATION DE BESOIN Paiement des commerçants Achat des intrants agricoles PAIEMENTS Paiement des factures de Frais de scolarité des enfants consommation courante PRODUIT Argent mobile Argent mobile Remboursement automatique de crédit ÉPARGNE BESOIN Stockage sécurisé Épargne de moyen à long terme PRODUIT Argent mobile Comptes bancaires accessibles par le biais des SFN Comptes bancaires accessibles Comptes d’épargne bloqués par le biais des SFN CRÉDIT BESOIN Petits prêts d’urgence Prêts pour le paiement des frais de Investissements à long scolarité terme (entreprise, Crédits pour les intrants agricoles éducation, retraite) PRODUIT Algorithmes d’évaluation du risque de crédit numériques adaptés au contexte des petits exploitants Prêts accordés par le biais des SFN Calendriers de remboursement des crédits flexibles basés sur les cycles de récolte 42 Il s’agit de services complètement intégrés, comme M-Shwari et KCB M-Pesa au Kenya, ainsi que M-Pawa en Tanzanie. En outre, il devient de plus en plus fréquent que les banques et ORM permettent aux utilisateurs de connecter un compte bancaire existant à un portefeuille d’argent mobile et de procéder à des transferts entre les deux. 43 Dans l’UEMOA, le cadre réglementaire actuel (directives de 2015 de la BCEAO sur l’argent électronique n°008-05-2015) exige toujours que les ORM s’associent avec des institutions financières inscrites pour tout service financier de 2e génération, comme le crédit ou l’épargne. Cela pourrait continuer à limiter le développement de produits dans ces deux domaines. 22 Conclusions Cette étude suggère que l’offre actuelle de produits financiers en Côte d’Ivoire n’est pas suffisamment adaptée aux besoins des exploitants de cacao, mais que les tendances actuelles d’utilisation des SFN par les populations rurales indiquent qu’il pourrait s’agir d’un outil clé pour développer l’inclusion financière en zone rurale. Les raisons sont multidimensionnelles mais l’étude suggère ce qui suit : Les exploitants de cacao étaient largement plus susceptibles de considérer les SFN comme plus pertinents pour répondre à leurs besoins que les services financiers formels. En dépit du fait qu’un grand nombre d’exploitants interrogés vivait au-dessus du seuil de pauvreté, très peu d’entre eux étaient bancarisés (20 pour cent). La principale raison donnée était qu’ils ne pouvaient se permettre d’avoir un compte bancaire. Par contraste, 53 pour cent étaient titulaires d’un compte d’argent mobile, qu’ils semblaient considérer comme une option mieux adaptée à leurs besoins, en dépit de l’offre de service limitée des solutions d’argent mobile actuellement sur le marché. Les exploitants agricoles semblent considérer que les comptes bancaires sont davantage « pour les riches » que l’argent mobile, et par conséquent, les SFN se reposant sur l’argent mobile pourraient les aider à contrer l’impression parmi les exploitants que les comptes bancaires ne sont pas pour eux. Une conclusion essentielle de cette étude est que les comptes de SFN ne semblent pas souffrir des mêmes obstacles d’opinion que les comptes bancaires. Les exploitants agricoles ont besoin de produits d’épargne innovants conçus pour les aider à gérer leurs revenus irréguliers. Nos données indiquent que les exploitants qui ont l’habitude d’épargner sont mieux à même de faire durer leurs revenus saisonniers toute l’année que ceux qui n’épargnent pas. Même les exploitants qui se trouvent dans le premier quartile de revenus rencontrent les mêmes difficultés à nourrir leurs familles au cours des périodes de soudure que les exploitants pauvres s’ils n’épargnent pas. En général, l’épargne formelle est sous-utilisée, avec seulement 52 pour cent des épargnants utilisant un type de compte donné, et 33 pour cent seulement épargnant sur un compte rémunéré auprès d’une institution formelle. Nombre d’exploitants épargnent déjà dans des portefeuilles mobiles - le deuxième mode d’épargne le plus courant après la conservation des espèces à la maison - mais les simples comptes d’argent mobile ne répondent pas pleinement aux besoins d’épargne des exploitants. Les SFN représentent une opportunité d’aider les exploitants à contrer leur sentiment que l’épargne institutionnelle n’est pas pour eux et de développer l’accès aux comptes formels. En outre, les prestataires de services financiers disposent d’un potentiel considérable de développement et de commercialisation de produits d’épargne adaptés à la situation financière spécifique des exploitants en Côte d’Ivoire. En particulier, proposer un compte convertissant le paiement forfaitaire de la récolte en un paiement mensuel pourrait donner aux exploitants agricoles la possibilité de surmonter les obstacles comportementaux à une bonne budgétisation annuelle. Nombre d’exploitants ont besoin de prêts les aidant à maîtriser leur flux de trésorerie. Étant donné que de nombreux exploitants de cacao sont incapables d’économiser suffisamment d’argent sur le paiement de leur récolte pour couvrir leurs dépenses pour toute l’année, nombre d’entre eux empruntent pour combler ce déficit, notamment dans les mois précédant la récolte principale. La majorité des emprunts prend la forme d’emprunts informels auprès des amis et des membres de la famille (54 pour cent). 30 pour cent des emprunts sont fournis par les coopératives agricoles des exploitants, qui se trouvent Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 23 dans l’obligation de tenir un rôle de prêteurs, bien qu’elles soient mal équipées pour jouer ce rôle. Un accès accru aux prêts formels est clairement nécessaire pour satisfaire la demande de crédit, alléger le fardeau pesant sur les coopératives agricoles et offrir davantage de flexibilité aux exploitants dans la manière dont ils gèrent leur budget pour l’année. Les SFN fournissent un bon mode de prestation de services potentiel en matière de crédits et de remboursement - notamment pour les petits crédits d’urgence, lorsque les exploitants ont besoin d’argent rapidement - comme cela se fait déjà44 sur d’autres marchés. Les obstacles coté demande à l’inclusion financière des exploitants de cacao semblent moins onéreux comparé à d’autres populations. Bien que les obstacles liés aux opinions qui empêchent les petits exploitants d’avoir le sentiment que les banques sont « pour eux » restent un défi de taille, nombre des autres obstacles à l’inclusion financière - notamment le manque de confiance dans les banques, la résistance au paiement des frais, et la distance les séparant des agences des banques - ont été désacralisés par les exploitants de notre échantillon. Les bénéfices associés au fait d’éviter les espèces - en termes de sécurité, de sûreté et de délai - sembleraient compenser les coûts liés à la bancarisation dans l’esprit de nombre d’exploitants de cacao. En outre, les obstacles à l’utilisation de l’argent mobile sont même plus faibles, 53 pour cent disposant déjà d’un compte et 73 pour cent souhaitant fortement y recevoir l’argent de leurs récoltes. L’inclusion financière de ces exploitants pourrait être fonction de la disponibilité des bons produits sur le marché. En somme, nos données confirment que les exploitants ont besoin d’une gamme variée de produits financiers adaptés aux difficultés financières spécifiques auxquelles ils sont confrontés et accessibles par le biais d’un SFN, par exemple par le biais de l’argent mobile ou de services de correspondant bancaire. La technologie mobile a pénétré les régions rurales davantage que ne l’ont fait les institutions financières et les comptes d’argent mobile semblent moins souffrir des problèmes d’opinion que les institutions financières. La réception des paiements pour les récoltes par le biais de comptes d’argent mobile est une première étape impérative du développement d’un écosystème de SFN rural pouvant habituer les exploitants à une économie sans espèces et, en définitive, fournir une plateforme pour des services financiers plus sophistiqués. Cependant, afin de prévenir l’inactivité et de s’assurer que les prestataires de services financiers réalisent un retour sur investissement, la numérisation de ces paiements doit être complétée par des opportunités permettant aux exploitants d’utiliser cet argent par voie numérique, en leur proposant non seulement des services d’épargne et de crédit, mais également des services tels que le règlement des factures et, en définitive, l’achat de biens et de services. 44 Depuis son lancement en 2012, M-Shwari a délivré des crédits pour un total supérieur à $900 millions, avec une moyenne de traitement de 50 000 crédits par jour. En 2014, le service a touché 2,8 millions d’emprunteurs, avec un déboursement cumulé de prêts de 20,6 millions. 24 Annexes Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 25 Annexe 1: L’avenir possible de la numérisation des chaînes de valeur agricole ÉTAPE DE LA PRODUCTION DES CHAÎNE DE TRANSPORT ET TRAITEMENT POST- INTRANTS PETITS EXPLOITANTS MARKETING VALEUR AGRICOLES STOCKAGE RÉCOLTE Modèles de paiement mobile FINANCIERS Bons de recharge pour téléphone portable SERVICES Épargne Micro-assurance Prêt D’INFORMATION Services d’information sur l’agriculture par téléphone SERVICES Services de vulgarisation utilisant le numérique Services d’assistance TYPE DE SERVICE téléphonique aux exploitants SERVICES DE CHAÎNE Logistique intelligente LOGISTIQUE Systèmes de traçabilité Gestion des fournisseurs Gestion de la distribution Systèmes de gestion des coopératives Plateformes de négoce SERVICES D’ACCÈS AU MARCHÉ Plateformes d’appel d’offres Plateformes de troc En maturation Émergent Naissant Maturité des modèles Source: Accenture. 26 Annexe 2: Méthodologie et échantillonnage L’échantillon incluait des exploitants agricoles provenant de six coopératives de cacao du centre-ouest de la Côte d’Ivoire (régions de Diégonéfla, Guiberoua, Guitri, Oumé et Tiassalé). Chaque coopérative était organisée en sections situées près des lieux de résidence des exploitants. La cible de l’échantillonnage était de 200 exploitants agricoles dans chaque coopérative, répartis équitablement entre les sections. Une fois le nombre d’exploitants à échantillonner dans chaque section déterminé, les exploitants étaient sélectionnés de manière aléatoire à partir des listes d’adhérents fournies par les coopératives. Quand une section comptait un nombre d’exploitants inférieur au nombre requis, tous les exploitants de ladite section étaient inclus ; dans de tels cas, un plus grand nombre d’exploitants des sections de la même coopérative étaient inclus afin de compenser la différence. Pour cinq des six coopératives, toutes les sections ont été incluses, et pour la sixième coopérative (située à Guitri), un sous-ensemble de cinq sections a été sélectionné à partir du total de 15 sections pour des raisons logistiques. Pour cette coopérative, les sections ne comptant aucune femme adhérente ont été exclues, afin de maximiser le nombre de femmes dans l’échantillon, et les sections restantes ont été incluses. En général, les femmes ont été surreprésentées dans l’échantillonnage afin d’assurer leur représentation adéquate dans l’échantillon (en Côte d’Ivoire, les registres des coopératives incluent souvent peu de femmes en raison du fait que les femmes exploitantes issues de foyers dirigés par des hommes n’étaient souvent pas considérées comme des membres de la coopérative). L’échantillon final incluait 7 pour cent de membres de coopérative de sexe féminin, l’adhésion globale aux coopératives comptant moins de 3 pour cent de femmes. TABLEAU 1: DÉTAILS DES MODÈLES STATISTIQUES UTILISÉS MODÈLE 1 MODÈLE 2 MODÈLE 3 MODÈLE 4 Type de modèle Régression logistique Régression logistique Régression logistique Régression logistique binaire binaire binaire binaire Variable dépendante Si un exploitant a ou non Si un exploitant a ou Si les exploitants ont ou Si un exploitant a ou non indiqué que son manque non indiqué que son non eu des difficultés à contracté un emprunt de revenus était la manque de revenus était nourrir leur famille dans au cours du deuxième ou raison pour laquelle il ne la raison pour laquelle les deux mois précédant du troisième trimestre de disposait pas de compte il ne disposait pas de la récolte principale l’année (avril-septembre) dans une institution compte d’argent mobile (juillet ou août) financière formelle Principale Variable Revenu de l’exploitation Revenu de l’exploitation Si un exploitant a ou Nombre de mois pendant variable (centile) (centile) non indiqué avoir lesquels un exploitant explicative épargné de l’argent a indiqué avoir des l’année précédente difficultés à nourrir sa famille pendant les cinq mois précédant la récolte principale (avril-août) Rapport des 0,99 0,98 0,53 1,53 chances Signification Non Oui Oui Oui statistique (p=0,26) (p<0,01) (p<0,001) (p<0,001) Variables indépendantes Alphabétisation Alphabétisation Revenu du ménage Revenu du ménage contrôlées Niveau scolaire Niveau scolaire Alphabétisation Alphabétisation Age Âge Niveau scolaire Niveau scolaire Sexe Sexe Âge Âge Sexe Sexe Les opportunités de services financiers numériques dans la chaîne de valeur du cacao en Côte d’Ivoire 27 Annexe 3 : Statistiques sommaires STATISTIQUE VALEUR Dates de recueil des données Avril-mai 2015 Exploitants dans l’échantillon (n) 1149 Par région Diégonéfla 182 Guiberoua 202 Guitry 336 Oumé 222 Tiassalé 207 Nombre de coopératives 6 Femmes 7% Pauvres Moins de 1,25 $/jour (dollars 2008) 27 % Sous le seuil de pauvreté national 42 % Lettrés 55 % Âge (moyen) 48 Âge (fourchettes) Moins de 30 ans 6% 30 à 39 ans 25 % 40 à 49 ans 28 % 50 à 59 ans 24 % 60 à 69 ans 12 % Plus de 70 ans 6% Taille du ménage 10e centile 4 25e centile 6 Médiane 8 75e centile 10 90e centile 15 Utilisation du compte Compte dans une institution formelle 20 % Banque 6% IMF 14 % Argent mobile 53 % Habitudes financières A épargné l’année précédente 35 % A emprunté l’année précédente 15 % 28 Biographies sommaires SUSIE LONIE est Spécialiste des finances numériques pour IFC. Susie est l’une des créatrices du service de transfert d’argent M-PESA et en 2010, elle a été co-récipiendaire du “Prix de l’innovation sociale et économique de The Economist” pour son travail sur M-PESA. MERITXELL MARTINEZ est Chargée d’Opérations au sein d’IFC. Elle dirige un programme visant à améliorer le recours aux services financiers numériques en Côte d’Ivoire. Meritxell travaille sur les services-conseil en finance numérique et la gestion du portefeuille des investissements d’IFC en Afrique de l’Ouest. RITA OULAI est Analyste aux opérations au sein d’IFC et est basée à Abidjan. Elle travaille sur le thème de la microfinance et du financement numérique. Rita travaillait auparavant pour la GIZ en Côte d’Ivoire. CHRISTOPHER TULLIS est chercheur et spécialiste de l’évaluation au sein du Groupe de la Banque Mondiale, et travaille avec l’équipe des services financiers numériques d’IFC ainsi qu’avec la Banque mondiale. Basé à Abidjan, les recherches menées par Christopher se concentrent sur les obstacles au développement de l’accès aux services financiers pour les pauvres et sur l’impact de ce développement. PARTENARIAT POUR L’INCLUSION FINANCIÈRE Le Partenariat pour l’Inclusion Financière est une initiative conjointe de IFC et de The MasterCard Foundation pour développer la microfinance et promouvoir les services financiers mobiles en Afrique subsaharienne. Le Partenariat est également soutenu par The Bill & Melinda Gates Foundation et la Banque de Développement de l’Autriche (OeEB, Oesterreichische Entwicklungsbank AG), et collabore avec des partenaires techniques tels que la Banque mondiale et le Groupe Consultatif d’Assistance aux Pauvres (CGAP). Un objectif important du Partenariat est de développer et partager les connaissances de l’industrie pour le bien public. Cette publication fait partie d’une série de rapports de recherche publiés par le programme. www.ifc.org/financialinclusionafrica CONTACT Anna Koblanck IFC, Sub-Saharan Africa akoblanck@ifc.org