INCLURE LES ADULTES POUR UN APPUI À L'ÉDUCATION DE BASE DES ADULTES EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE JON LAUGLO BANQUE MONDIALE RÉGION AFRIQUE DÉPARTEMENTDUDÉVELOPPEMENT HUMAIN FÉVRIER2001 Avant-propos Dans le cadre de sa stratégie d'Éducation pour tous, la Région Afrique de la Banque mondiale a appuyé au cours de ces dernières années plusieurs programmes d'éducation de base des adultes (ÉBA). Ces programmes s'adressent en particulier aux adultes et aux jeunes peu ou pas scolarisés. Les contenus incluent généralement les rudiments de la lecture, de l'écriture et du calcul, ainsi que des notions spécifiques au milieu et en réponse à la demande. De nombreuses raisons militent en faveur d'un appui aux programmes d'ÉBA. Premièrement, l'éducation de base constitue un droit de la personne et il est généralement reconnu qu'un minimum de connaissances est nécessaire pour l'atteinte d'une certaine qualité de vie. Dans ce sens, les programmes d'ÉBA offrent la possibilité aux jeunes et aux adultes analphabètes d'acquérir ce minimum de savoir. Deuxièmement, la lutte contre la pauvreté constitue l'objectif majeur de la stratégie d'aide de la Banque mondiale. À cet effet, l'éducation de base est considérée comme l'un des outils privilégiés pour la réduction de la pauvreté puisqu'elle s'adresse justement aux plus démunis de la société. Troisièmement, le développement de l'Afrique subsaharienne ne se réalisera qu'avec la participation des femmes qui jouent un rôle important dans l'économie et qui assument le rôle de chef de famille. En effet, les femmes contribuent une part importante de la production agricole, sont responsables de la santé de la famille et se préoccupent du contrôle des naissances. Étant donné que les jeunes filles et les femmes adultes constituent la majorité des participants des programmes d'ÉBA, ce type de formation répond particulièrement bien à leurs besoins. Quatrièmement, l'ÉBA permet l'autonomisation1 des plus démunis, condition essentielle pour édifier une société civile qui inclut tous ses citoyens, pour contribuer à une meilleure gestion de l'appareil gouvernemental et pour renforcer les institutions démocratiques. Finalement, les parents éduqués ont plus tendance à promouvoir la scolarisation de leurs enfants, en particulier celle de leurs filles. Malgré les impacts socio-économiques positifs des programmes d'ÉBA au cours des deux dernières décennies, le soutien à ces programmes (incluant la Banque mondiale) a été relativement modeste. Les réticences proviennent, entre autres, des doutes qu'en à la pertinence des contenus, à la rétention à long terme des apprentissages et au coût des programmes. Le but de cette étude est de répondre à ces doutes et à jeter un nouvel éclairage sur les programmes d'ÉBA à l'examen des études et recherches récentes. Cette étude permettra de constater que les difficultés rencontrées peuvent être facilement surmontées, et de conclure que les impacts positifs des 1 Autonomisation: processus par lequel une personne, ou un groupe social, acquiert la maîtrise des moyens qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer son potentiel et de se transformer dans une perspective de développement, d'amélioration de ses conditions de vie et de son environnement. 2 programmes d'ÉBA justifient un soutien financier accru. Des exemples des pays en voie de développement viendront enrichir la réflexion sur la situation particulière de l'Afrique subsaharienne. L'étude démontrera aussi que malgré la diversité et la complexité des programmes, leur mise en oeuvre et leur efficacité interne sont considérées comme satisfaisantes. De plus, les programmes gérés par le gouvernement, sous des conditions favorables, peuvent être aussi efficaces que ceux délégués au secteur privé ou à des ONG. En conséquence, l'étude soulignera qu'il n'y a pas de recette unique de succès, mais présente un ensemble de questions à caractère politique que chaque pays ou organismes de développement, incluant la Banque mondiale, devront prendre en considération dans la conception d'un programme d'ÉBA. Finalement, l'étude recommandera que la Banque mondiale accorde un soutien accru aux programmes d'ÉBA dans le cadre de sa stratégie d'aide au secteur de l'éducation. La présente étude fait partie d'un ensemble d'activités visant à susciter l'intérêt pour les programmes d'ÉBA à la Banque mondiale. Le projet BELOISYA ­ Basic Education and Livelihood Opportunities for Illiterate and Semi-literate Young Adults ­ compte parmi ces activités. Dès le lancement de ce projet en 1998, des spécialistes venant d'Afrique et d'agences internationales se sont fixés comme objectif d'examiner les plus récents projets en ÉBA à travers le monde. Les résultats ont été discutés lors d'un séminaire tenu au Tchad en 1999. Le projet BELOISYA a porté une attention particulière à l'éducation de base des femmes, ainsi qu'aux pays présentant des taux faibles d'inscription au cycle primaire et d'alphabétisation. Ce fut le fruit d'une collaboration étroite entre divers secteurs de la Banque mondiale: la Vice-Présidence de la Région Afrique, l'Institut de la Banque mondiale et l'Unité centrale de l'éducation au sein du Département du développement humain. Un ouvrage sur ce projet vient d'être publié. En plus du projet BELOISYA, d'autres évaluations de programmes d'ÉBA sont présentement en cours en Ouganda et au Mozambique. Ces travaux visent à promouvoir une plus grande collaboration dans ce sous-secteur entre les gouvernements et la Banque mondiale. Finalement, en mai et juillet 2000, deux séminaires régionaux sur l'évaluation et la supervision des programmes d'ÉBA ont été organisés par le gouvernement du Sénégal, pionnier d'une collaboration étroite entre les ONG et les entreprises privées, collaboration qui vise à assurer la rentabilité des programmes d'ÉBA. Tel que mentionné, les travaux en ÉBA de la Région Afrique sont menés de façon concertée et en complémentarité avec les activités mises en oeuvre par l'Unité centrale de l'éducation du Département du développement humain (HDNED). Il s'agit, entre autres de l'étude Including the 900 Million + (Inclure les 900 millions +) de John Oxenham et d'Aya Aoki; ainsi que deux activités en phase de préparation : une série d'études de cas et un site internet destiné à appuyer la mise en place d'un réseau de professionnels et de décideurs dans le secteur. L'auteur de cette étude, M. Jon Lauglo, coordonne depuis plusieurs années les travaux en ÉBA pour la Région Afrique de la Banque mondiale. Cette étude compte parmi ses nombreux efforts pour encourager un soutien renouvelé aux programmes d'ÉBA. La somme de ces travaux, c'est-à-dire la présente étude, les activités du projet BELOISYA, les évaluations en Ouganda et au Mozambique, les ateliers au Sénégal, ainsi que la plupart des activités sur le terrain, ont été généreusement appuyés par le Fonds en fiducie pour l'éducation du gouvernement de la Norvège. Ainsi, nous sommes 3 particulièrement reconnaissant de l'appui du ministère des Affaires étrangères de la Norvège qui, grâce à ce fonds, a permis de renouveler l'engagement envers l'éducation de base des adultes. Birger J. Fredriksen Directeur du secteur, Développement humain Région Afrique, Banque mondiale 4 Remerciements La publication de cette étude a été rendue possible grâce à la contribution de nombreuses personnes. Le Groupe de travail en éducation non formelle de l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA) a apporté une précieuse collaboration pour la rédaction d'une première ébauche lors d'un séminaire à Johannesburg en décembre 1999. Les ébauches subséquentes ont été enrichies des commentaires fournis par Audrey Aarons, David Archer, Aya Aoki, Nicholas Bennett, Harbans Bhola, Håkon Bjørnes, Lalage Bown, Michel Carton, Birger Fredriksen, John Grierson, Agneta Lind, John Middleton, Jeanne Moulton, Bjørn-Harald Nordtveit, Susan Opper, John Oxenham, Alan Rogers, Denzil Saldanha, Adriaan Verspoor, Daniel Wagner et Michael Wilson. Les commentaires reçus lors de la revue de la présente étude par la Région Afrique, sous la direction de Rosemary Bellew, ont été très appréciés. Bien que ces contributions aient permis d'enrichir cette étude, elles n'y sont pas nécessairement toutes représentées. Il faut souligner l'appui soutenu de Birger Fredriksen qui a permis de mener à bien ce travail. Le financement pour cette étude par le Fonds en fiducie pour l'éducation en Afrique du gouvernement de la Norvège est très apprécié. Enfin, la traduction du document en français a été assurée par Monique Astalos, avec la collaboration de Daniel Viens et Michael Drabble. 5 Table des matières 1 Sommaire 8 2 L'éducation de base des adultes (ÉBA) et la stratégie de lutte contre la pauvreté de la 12 Banque mondiale 3 L'ÉBA: lecture, écriture, calcul et autres apprentissages 15 4 L'importance de l'ÉBA en Afrique 17 5 Les initiatives de la Banque mondiale pour l'ÉBA en Afrique subsaharienne 21 6 Les années d'incertitude 22 7 Les raisons d'un regain d'intérêt pour l'ÉBA 25 8 Les preuves de l'impact des programmes d'ÉBA 27 8.1 Un support accru des mères alphabétisées pour l'éducation de leurs enfants 27 8.2 Une autonomisation 28 8.3 Une meilleure communication verbale et écrite 31 8.4 Une amélioration de la santé de la famille 31 8.5 Des activités génératrices de revenu plus productives 33 8.6 Les conséquences de l'ÉBA dans les pays du « Nord » 35 8.7 Les impacts de l'ÉBA ou les effets de l'auto-sélection 36 9 En réponse aux détracteurs des programmes d'ÉBA 38 9.1 L'efficacité interne est-elle trop faible? 38 9.2 La rétention à long terme des apprentissages est-elle trop faible? 40 9.3 Les coûts sont-ils trop élevés par rapport aux résultats? 42 9.4 Les adultes sont-ils trop âgés pour apprendre? 44 10 Qu'apprend-on dans les programmes d'ÉBA? 45 11 Les choix politiques 48 11.1 Les groupes-cibles 48 11.2 Les rôles du gouvernement et des ONG 50 11.3 Les rôles du milieu des affaires et de l'industrie 55 11.4 La sous-traitance avec les ONG 56 11.5 La langue officielle ou les langues locales 57 11.6 Les campagnes de promotion ou l'institutionnalisation 59 11.7 L'emploi de bénévoles ou de fonctionnaires 60 11.8 Les contenus d'enseignement 62 11.9 La sensibilisation au VIH/SIDA 64 11.10 Les technologies de l'information et des communications (TIC) en appui à l'ÉBA 64 11.11 Un système d'équivalences avec le système formel d'éducation 66 11.12 La pédagogie axée sur l'apprenant 66 11.13 L'appui de la communauté comme facteur de réussite 70 11.14 Les besoins en suivi, évaluation et recherche 70 11.15 Le financement des programmes d'ÉBA 71 12 Recommandations générales 73 13 L'agenda de la Banque mondiale 76 Références bibliographiques 78 Tableau 1 Les taux approximatifs d'analphabétisme et des populations analphabètes âgées de 15 ans et 19 plus, et de 15 à 24 ans, pour l'année 2000, dans les pays de l'Afrique subsaharienne Encadrés 6 1 L'alphabétisation fonctionnelle des adultes en Ouganda 54 2 L'alphabétisation par l'approche « faire-faire » au Sénégal : sous-traitance avec les ONG/OC 58 3 La méthode REFLECT dans 50 pays 68 7 Section 1 Sommaire Dans cette étude, l'expression «éducation de base des adultes» (ÉBA) se réfère au type de formation donnée en lecture et en écriture (literacy) et en calcul (numeracy ou acquis numériques) à toute personne âgée de plus de 15 ans. Des contenus propres au contexte peuvent aussi être inclus dans cette définition, c'est-à-dire des contenus choisis en fonction des besoins du milieu et du groupe-cible. Le terme «alphabétisation» est souvent utilisé pour désigner l'éducation des adultes en Afrique francophone. Cette étude propose des réponses aux questions suivantes: ?? Quelles sont les priorités de la Banque mondiale en ce qui concerne l'ÉBA dans le cadre de sa stratégie de lutte contre la pauvreté? ?? Quelles sont les répercussions des programmes d'ÉBA dans la réalité quotidienne des participants? ?? Quelle est l'efficacité de l'ÉBA en terme de résultats d'apprentissage? ?? Qu'en est-il de l'efficacité interne des programmes d'ÉBA? ?? Y a-t-il rétention à long terme des apprentissages acquis par ces programmes? ?? Quelle est la gamme des coûts unitaires des programmes d'ÉBA? ?? Quels sont les aspects prioritaires à prendre en compte dans les décisions politiques? ?? Quels sont les choix de politiques qui se sont avérés les plus bénéfiques? ?? Quelle direction la Banque devrait-elle prendre en matière d'ÉBA? Cette étude recommande aux gouvernements des pays, à la Banque mondiale et aux agences d'aide internationale d'investir dans l'ÉBA pour les raisons qui suivent. L'éducation de base constitue un moyen privilégié d'assurer une meilleure qualité de vie et ce, non seulement aux enfants inscrits dans le système formel d'éducation, mais aussi aux jeunes et aux adultes qui n'ont pas fréquenté l'école. L'analphabétisme est un frein à la réduction de la pauvreté. Dans la plupart des pays africains, l'éducation primaire, à elle seule, ne peut réduire le taux d'analphabétisme à court terme. Ainsi, il faut que l'ÉBA agisse en complémentarité avec elle, à la condition bien sûr que ces programmes soient de qualité. Une synergie étroite existe entre l'éducation primaire et l'ÉBA. En effet, les adultes alphabétisés voudront promouvoir l'éducation de leurs enfants. Ainsi, une attention particulière devrait être portée aux mères analphabètes. L'ÉBA est aussi une stratégie pour impliquer la communauté dans la gestion des écoles. 8 L'ÉBA permet de réduire les problèmes d'inégalité entre les hommes et les femmes. Dans la plupart des pays où la population est peu scolarisée, ce sont généralement les femmes adultes qui sont les moins instruites. Or, l'ÉBA en général attire une clientèle beaucoup plus féminine que masculine. L'ÉBA a pour effet de rehausser la confiance en soi des participants. Ainsi, elle contribue à la réinsertion sociale des plus démunis. Elle agit comme un moyen efficace d'autonomisation des plus pauvres et des communautés. La Banque mondiale reconnaît l'importance de la participation de tous à la société civile afin d'assurer une gestion efficace des affaires publiques et de réduire la pauvreté. En prônant une pédagogie axée sur l'apprenant, c'est-à-dire en respectant les participants, les programmes d'ÉBA contribuent à la formation de citoyens autonomes et engagés. Les mères alphabétisées sont plus en mesure de veiller à la santé de leurs enfants. Ceci est reconnu non seulement chez les mères ayant fréquenté l'école formelle, mais aussi, d'après plusieurs études, chez celles qui ont participé à des programmes d'ÉBA. Les déficiences au niveau de la communication orale et écrite, ainsi que des habiletés en calcul, font obstacle à l'esprit d'entreprise et à la participation dans les transactions commerciales. Des études ont démontré un lien entre l'amélioration des conditions de vie et la participation à un programme d'ÉBA. Les critiques antérieures voulant que les programmes d'ÉBA souffrent d'une piètre efficacité interne sont maintenant démenties par les résultats de recherches récentes . 2 ?? Des jeunes peu ou pas scolarisés et des adultes motivés peuvent acquérir les rudiments de la lecture, de l'écriture et du calcul grâce à l'ÉBA et ce, à un coût inférieur à celui d'une éducation primaire de trois à quatre ans. ?? Le taux d'abandon précoce n'est plus un indicateur valable d'efficacité interne. Après examen des plus récents programmes d'ÉBA, au moins la moitié des participants inscrits ont achevé leur cours et ont acquis un certain niveau de compétences. Cependant, il existe une marge de variations suffisamment grande entre les programmes pour justifier une suivi étroit de l'efficacité interne. ?? En dépit du peu de recherches, la perte des habiletés en lecture et en calcul acquises lors d'un programme d'ÉBA n'est pas un phénomène répandu. Au contraire, un environnement «alphabétisé» permet d'améliorer les compétences acquises. 2 La tendance actuelle est d'offrir des programmes d'ÉBA à partir des besoins du milieu -- contrairementaux«campagnes de promotion» d'autrefois qui visaient à «éradiquer la pauvreté» en incitant même les plus hésitants à s'inscrire. L'efficacité interne devrait par le fait même s'améliorer. 9 En ce qui concerne l'efficacité interne, les recherches ne suggèrent pas un prototype unique et supérieur d'enseignement. Par contre, plusieurs méthodes se sont avérées efficaces. La plupart des participants à des programmes d'ÉBA démontrent une rétention moyenne des habiletés en lecture ou en calcul. Il s'agit maintenant de savoir si ce minimum d'habiletés leur permettra de progresser dans d'autres apprentissages. Enfin, il se pourrait que l'acquisition d'habiletés sociales, comme l'autonomie et la coopération, produise des effets encore plus marquants que la seule acquisition d'habiletés en lecture et en calcul. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte lors de l'établissement d'un programme d'ÉBA. Les questions suivantes peuvent servir de guide : ?? À quel groupe de personnes s'adressent les programmes d'ÉBA? ?? Quel est le rôle du gouvernement et des organisations non gouvernementales (ONG)? ?? Quel est le rôle du milieu des affaires et de l'industrie? ?? Quelle est la langue d'enseignement? ?? Quel est le degré d'institutionnalisation souhaitable ­ en particulier pour les questions liées au lancement de campagnes de promotion, l'établissement de structures pérennes, le choix entre le recours à des bénévoles ou à des fonctionnaires de l'État? ?? En plus des notions de lecture, d'écriture et de calcul, quels devraient être les contenus d'enseignement? ?? Les programmes d'ÉBA doivent-ils être officiellement reconnus (en termes d'équivalence par rapport au système d'éducation formelle)? ?? Quelle est la place des nouvelles technologies de l'information et des communications? ?? Comment mettre en oeuvre une pédagogie axée sur l'apprenant? ?? Comment susciter l'appui de la communauté pour l'ÉBA? ?? Comment assurer une supervision adéquate des programmes? ?? Comment financer l'ÉBA? Nos recommandations aux gouvernements des pays membres de la Banque mondiale sont les suivantes: ?? Reconnaître l'ÉBA comme moyen indispensable pour atteindre l'objectif d'une Éducation pour tous. ?? Accorder un appui politique sérieux et concret aux programmes d'ÉBA, entre autres, en nommant des personnes influentes au sein du gouvernement et en s'engageant à consacrer des sommes importantes pour le renforcement institutionnel. Envisager également des modes alternatifs de gestion publique de l'ÉBA, autres que les ministères et entités gouvernementales traditionnels. ?? Cibler prioritairement les femmes et les jeunes peu ou pas scolarisés. ?? Adapter les programmes aux besoins locaux. 10 ?? Identifier les opportunités pour initier des programmes d'ÉBA au sein de groupes déjà constitués plutôt que d'en créer un nouveau. ?? Établir des partenariats avec les organisations non gouvernementales (ONG) et les organismes communautaires (OC), ainsi qu'avec le milieu des affaires et de l'industrie. ?? Utiliser les langues locales dans les programmes d'alphabétisation destinés aux débutants. Par la suite, offrir à ceux et celles qui sont alphabétisés une passerelle vers la langue officielle. ?? Recruter des instructeurs issus de la communauté et utiliser des contrats à court terme. ?? Offrir un programme d'ÉBA qui réponde aux attentes des participants et utiliser du matériel adapté au contexte. ?? Inclure dans le programme une section sur les méthodes préventives et les soins à apporter aux victimes du VIH/SIDA. ?? Utiliser la radio comme matériel d'appui à l'ÉBA, mais ne pas s'attendre à ce que les heures de diffusion des programmes d'ÉBA correspondent aux thèmes enseignés par les instructeurs. ?? Adopter des méthodes d'enseignement qui respectent les participants et favorisent une participation dynamique. ?? Offrir des possibilités d'éducation continue dans le cadre des programmes d'ÉBA. ?? Superviser étroitement les programmes d'une manière participative, en s'assurant que cela soit utile pour les prestataires des programmes d'ÉBA. ?? Établir clairement le principe qu'aucune personne ne devrait être exclue des programmes d'ÉBA en raison d'un manque de ressources financières. Étant donné l'importance de l'ÉBA comme outil de lutte contre la pauvreté, il est recommandé que la Région Afrique de la Banque mondiale s'engage à promouvoir les programmes d'ÉBA, aide les pays à préparer et à financer de tels programmes, sollicite la participation d'autres bailleurs de fonds, et contribue à l'amélioration et au partage des connaissances sur les pratiques positives des programmes d'ÉBA. Afin d'améliorer la qualité des services auprès de sa clientèle, la Banque mondiale devrait s'engager à renforcer ses compétences techniques dans ce sous-secteur. 11 Section 2 L'éducation de base des adultes (ÉBA) et la stratégie de lutte contre la pauvreté de la Banque mondiale L'édification d'une société qui inclut les plus démunis constitue la pierre angulaire de la stratégie de lutte contre la pauvreté de la Banque mondiale, tel qu'indiqué dans son «cadre de développement compréhensif» (Comprehensive Development Framework - CDF). Ceci est fondé sur la reconnaissance que la bonne gouvernance requière la participation des pauvres et des groupes minoritaires dans les décisions qui affectent leur devenir. Ces groupes ne doivent pas être considérés seulement comme de simples bénéficiaires de services. De ce point de vue, l'éducation de base des adultes (ÉBA) est plus qu'un complément à l'éducation primaire ou qu'un moyen d'atteindre l'objectif d'une Éducation pour tous. L'ÉBA a un rôle important à jouer pour édifier une société civile qui inclut les plus démunis. Ainsi l'ÉBA facilite la participation des pauvres de la communauté dans la gestion de leur école primaire. Dans une synthèse sur le soutien de la communauté pour l'éducation de base (Community Support for Basic Education - Watt, à paraître, p. 34), il est mentionné que les classes d'alphabétisation permettent aux membres d'une communauté d'acquérir les habiletés et la confiance nécessaires pour prendre en main la gestion de leur école. D'autres études importantes, comme les Documents de stratégie de la réduction de la pauvreté (Poverty Reduction Strategy Papers) préparés par des pays membres de la Banque mondiale, soulignent en termes plus précis l'importance d'édifier une société civile qui inclut tous ses membres. Par exemple, les organisations non gouvernementales se font généralement les porte-parole des pauvres et agissent régulièrement en leur nom. De par leur position, elles parviennent indirectement à influencer les organisations publiques. Sous la pression populaire, l'appareil gouvernemental peut être forcé d'adopter une meilleure gestion et de mieux répondre aux besoins de plus démunis. L'analyse récente des politiques de la Banque en matière de développement en Afrique ­ en particulier dans le document L'Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle? ­ réitère l'importance de former des citoyens autonomes afin qu'ils puissent exiger l'imputabilité de leur gouvernement (Banque mondiale, 2000, p. 64 et 72). La pauvreté, vue sous l'angle d'une absence de bien-être, comporte de multiples facettes. Depuis plusieurs années, la pauvreté se définissait comme un manque de moyens matériels et une faible consommation. Elle était également associée à un accès limitée aux services de santé, de nutrition et à l'éducation de base. Le Rapport sur le développement dans le monde 2000/2001 - Lutte contre la pauvreté (World Development Report for 2000/2001 ­ Attacking Poverty) ajoute une nouvelle dimension à cette définition, à savoir l'absence d'autonomie sociale et politique, caractérisé par le manque de respect de soi, de dignité, de droit de parole et de pouvoir . 3 3 Une définition simple de « pouvoir » est la capacité d'atteindre ses objectifs malgré les obstacles. «Avoir voix au chapitre» a un sens plus large ­ une chance de se faire entendre lors des prises de décision. À proprement parler, 12 Le Rapport sur le développement dans le monde 2000/2001 présente un cadre d'action qui repose sur trois piliers. Le premier a trait à l'autonomisation (empowerment). Les deux autres concernent: (1) apporter une assistance immédiate aux pauvres afin qu'ils puissent surmonter leurs difficultés quotidiennes; (2) gérer les crises nationales en vue de minimiser leurs impacts sur les pauvres; et (3) fournir des opportunités économiques pour les pauvres en développant leur capital et en accroissant leur revenu à partir d'une combinaison d'activités orientées ou non vers le marché. Ainsi, émanciper les pauvres contribue à changer les institutions publiques pour les rendre plus «pro-pauvres». En retour, les institutions publiques «pro-pauvres» participent à l'autonomisation des pauvres. Finalement, outre les nombreuses mesures organisationnelles suggérées dans le Rapport sur le développement dans le monde (World Development Report), il est souligné l'importance d'amener les citoyens à agir collectivement dans la poursuite de leurs intérêts communs. Les rapports examinés pour la présente étude démontrent que les programmes d'éducation de base des adultes améliorent l'efficacité individuelle et collective des participants et ce, même en l'absence d'activités spécifiques liées à l'autonomisation. L'ÉBA s'avère donc un moyen efficace pour combattre les répercussions sociales de la pauvreté. De plus, comme la majorité des participants sont des femmes, les programmes d'ÉBA sont considérés comme une autre façon de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Deuxièmement, la présente étude soutient qu'il existe une forte synergie entre l'ÉBA et l'éducation des enfants au cycle primaire. Ainsi, ce type de programme contribue à la fois à l'amélioration de l'éducation de base de ses participants, ainsi qu'à celle de leurs enfants. Troisièmement, plusieurs études ont démontré un effet positif sur la santé de la famille des participants aux programmes d'ÉBA. Quatrièmement, on peut se demander si les programmes d'ÉBA contribuent à réduire la pauvreté dans le sens traditionnel du terme, c'est-à-dire en augmentant les revenus et la consommation. Peu de recherches ont abordé cet aspect. Cependant, si l'on accepte au départ que l'éducation de base des adultes a des retombées économiques pour leurs participants au moins égales à celles obtenues de l'éducation primaire, alors l'ÉBA est un bon investissement pour l'amélioration des conditions de vie. Les connaissances actuelles permettent également d'avancer que l'ÉBA développe des comportements plus assurés dans la vie économique. Une personne qui sait lire, écrire et calculer sera plus en mesure de faire des transactions sans avoir peur d'être bernée. Elle peut aussi devenir plus compétitive et l'«autonomisation» serait donc une plus grande capacité de surmonter les obstacles lors de la poursuite de ses objectifs. Mais cette expression est désormais utilisée dans un sens plus large, incluant une «voix au chapitr » et un plus grand pouvoir d'influence, ce qui lui a fait perdre son sens premier de modèle conflictuel sous-jacent de société (et de somme nulle du concept de pouvoir). Aujourd'hui, elle semble plutôt se rapporter à une efficacité personnelle ou collective ­à une capacité d'atteindre les buts qu'on s'est fixés soi-même, et d'être pleinement conscient de cette capacité. Dans ce rapport, l'« autonomisation » (ou «émancipation») est utilisée dans ce dernier sens. 13 s'attaquer à un marché plus vaste. L'absence de ces habiletés constitue un frein à l'essor de l'esprit d'entreprise. Cinquièmement, les programmes d'ÉBA suscitent l'opportunité de développer des partenariats entre le gouvernement et la société civile, ce qui s'inscrit tout à fait dans la ligne de la stratégie globale de la Banque mondiale. Finalement, l'ÉBA doit être considérée comme faisant partie intégrante de la stratégie de lutte contre la pauvreté puisqu'elle s'adresse directement aux plus démunis. Ceux et celles qui n'ont pas fréquenté l'école ou qui ont quitté l'école avant d'atteindre un minimum d'éducation de base font justement partie des plus défavorisés de la société. 14 Section 3 L'ÉBA: lecture, écriture, calcul et autres apprentissages L'éducation de base des adultes a été conçue pour les analphabètes et les semi-analphabètes qui ont passé l'âge de fréquenter l'école primaire. Les rudiments de la lecture, de l'écriture et du calcul font généralement partie des apprentissages de la plupart des programmes d'ÉBA4. D'autres connaissances et habiletés peuvent aussi être incluses selon les besoins des participants ou du milieu. Ces contenus propres au contexte servent souvent de fondement pour d'autres apprentissages ou pour des activités jugées importantes. Les contenus propres au contexte peuvent couvrir divers champs d'intérêts. Par exemple, il peut s'agir de l'apprentissage de compétences pratiques liées aux conditions de vie, à la santé, à la nutrition ou aux soins des enfants. Les expressions artistique et religieuse peuvent aussi être incluses dans les programmes d'ÉBA. Il en est de même de l'éducation civique où sont abordés les aspects juridiques, les questions relatives à l'environnement et la participation communautaire. Les programmes d'ÉBA peuvent également viser des objectifs autres que l'acquisition de connaissances spécifiques liées à des contenus. Ainsi, l'ÉBA peut incorporer l'enseignement d'attitudes et de valeurs, comme la confiance en soi et la coopération, qui permettra éventuellement aux participants de prendre plus d'initiatives et, ainsi, d'exercer un plus grand contrôle sur leur devenir. Il est important de ne pas préjuger des contenus «de base» sans référence à un contexte particulier. En effet, chaque adulte possède son propre bagage de connaissances et ses besoins spécifiques. Chacun a des attentes particulières à l'égard du programme. De plus, il serait erroné de confiner l'ÉBA à la seule maîtrise d'habiletés liées à des contenus. Ainsi, comme pour d'autres formes d'éducation qui vont au- delà des contenus spécifiques, l'enseignement d'habiletés complexes comme la pensée critique et la résolution de problèmes est essentiel. En terme pratique, les contenus d'enseignement de l'ÉBA doivent être adaptés en fonction de l'âge des apprenants. L'éducation de base des adultes s'adresse à des personnes qui sont trop âgées pour fréquenter l'école ou qui n'ont pas pu s'inscrire à l'éducation primaire ­ tout du moins à la condition qu'ils n'ont pas acquis les rudiments de l'alphabétisation à l'école. Mais ces adultes peuvent appartenir 4 Selon les concepts modernes d'alphabétisation, ces habiletés sont considérées comme en évolution constante plutôt que comme un niveau fixe de maîtrise à atteindre. Toutefois, il est utile d'identifier un niveau d'aisance en lecture et en écriture comme étant de «base», c'est-à-dire que l'atteinte d'un certain niveau facilite grandement le développement de ces mêmes habiletés, même si ce seuil est difficile à identifier de façon précise. Les spécialistes en alphabétisation sont de plus en plus intéressés par les habiletés spécifiques à une tâche ou à une situation ­ c'est-à- dire les multiples «alphabétisations». Évidemment, le fait de pouvoir lire un court texte constitué de mots familiers ne rend nécessairement pas une personne capable de gérer un compte de banque. L'acte de lire et d'écrire nécessite des habiletés similaires, et ces habiletés sont importantes car elles peuvent être utiles dans une variété de situations. En effet, elles permettent de s'adonner à d'autres activités ou encore d'améliorer ses mêmes habiletés, c'est pourquoi elles sont appelées de «base». 15 à des groupes d'âge très variés. Par exemple, lorsque le groupe-cible est constitué en majorité d'adolescents ou de jeunes adultes, les contenus se rapprocheront davantage des programmes scolaires traditionnels dans le but d'établir des passerelles leur permettant de réintégrer le système formel d'éducation. À l'opposé, si le groupe est formé majoritairement d'adultes plus âgés qui ne souhaitent pas nécessairement intégrer le système formel, les contenus «scolaires» ou «académiques» occuperont une importance moindre; par contre, les contenus liés à des préoccupations quotidiennes ou à des opportunités économiques réelles seront valorisés. Les caractéristiques d'un groupe-cible telles que le lieu de résidence, le type d'activité économique ou le genre peuvent avoir des conséquences sur les contenus d'enseignement. Cependant, il n'y a pas un ensemble de caractéristiques fixes ou communes. Les expressions «éducation non formelle» et «alphabétisation» sont souvent utilisées pour désigner l'éducation de base des adultes et des adolescents. En Afrique francophone, on utilise surtout l'expression «éducation de base non formelle» pour désigner des programmes destinés aux adolescents. En ce qui concerne l'«éducation non formelle», elle comporte toute forme d'éducation organisée hors du système scolaire traditionnel qui hiérarchise les apprentissages. Le concept d'«éducation de base des adultes» se rapproche quant à lui de l'«éducation non formelle», bien que l'éducation des adultes puisse adopter une forme hautement institutionnalisée (par exemple les cours du soir dispensés dans une école) et offrir des passerelles avec le système formel. En ce qui a trait à l'«alphabétisation», elle consiste à proprement parler à l'enseignement des rudiments de la lecture et de l'écriture. Cependant, avec le temps, l'apprentissage des rudiments en calcul, ainsi que des habiletés en matière de santé, de nutrition et d'emploi se sont ajoutés pour former ce que l'UNESCO a désigné sous l'expression «alphabétisation fonctionnelle». L'éducation de base ne se limite pas à ces seuls apprentissages. Les termes «éducation des adultes» ou «éducation permanente» (life-long education), bien qu'internationalement reconnus, dépassent le cadre de la présente étude dont l'objet est d'offrir les compétences de base avec l'alphabétisation en son centre pour ceux qui n'ont pas pu fréquenter l'école primaire5. 5 Dans les pays africains dont la langue officielle est le français, l'expression «éducation de base non formelle» est souvent utilisée pour désigner les programmes pour les jeunes peu ou pas scolarisés. 16 Section 4 L'importance de l'ÉBA en Afrique Pour les gouvernements et les agences internationales et bilatérales d'aide au développement, l'objectif premier en matière d'investissement en éducation est d'assurer l'accès à l'éducation de base pour tous. L'enseignement primaire en constitue le principal moyen pour les enfants de cette classe d'âge. Cependant, l'école primaire n'a jamais été considérée comme l'unique moyen de parvenir à une éducation de base pour tous. En effet, les participants à la conférence de Jomtien, où le consensus d'une Éducation pour tous a pris forme, ont souligné l'importance d'y inclure les adultes et les jeunes non scolarisés. Depuis cette conférence, la plupart des pays d'Afrique subsaharienne ont souligné l'importance d'atteindre ce groupe-cible. Malheureusement, en dépit des efforts fournis pour permettre l'accès à l'éducation primaire à un plus grand nombre et l'augmentation des effectifs scolaires en terme absolu, le taux brut de participation en Afrique est demeuré inchangé au cours de la période 1980 à 1997. En effet, un grand nombre d'enfants d'âge scolaire ne fréquentent toujours pas l'école ou l'ont abandonnée avant d'avoir atteint un niveau satisfaisant d'alphabétisation. Ils sont alors considérés comme des adultes analphabètes6. La nécessité d'offrir une éducation de base pour ces adultes analphabètes ou semi-alphabètes a été entérinée lors de la Conférence mondiale sur l'éducation à Dakar en avril 2000. Le nombre d'analphabètes dans les pays africains n'est pas bien connu. Même si des estimations sont disponibles, celles-ci peuvent varier selon le degré de maîtrise de la lecture pour être considéré comme «alphabétisé». Le tableau 1 présente les estimations les plus récentes de l'UNESCO. Les pays sont classés par ordre décroissant du taux d'analphabétisme de la population de 15 ans et plus. Ces estimations sont reconnues comme étant imprécises. Parmi ces 41 pays, 15 présentent un taux d'analphabétisme supérieur à 50%. Par contre, seuls 13 pays sont parvenus à réduire le taux d'analphabétisme de leur population adulte jusqu'à 25% ou moins. En ce qui concerne les jeunes analphabètes, la situation est plutôt préoccupante. En effet, comme le montre la partie de droite du tableau 1, il y a quatre pays où la majorité des jeunes âgés de 15 à 24 ans sont analphabètes. Réciproquement, environ deux pays sur cinq auraient, selon ces estimations, réduit l'analphabétisme chez les jeunes à moins de 20%. Dans les pays situés dans la moitié supérieure de la liste, l'analphabétisme est encore très répandu chez les jeunes et les adultes. Dans ces pays africains, le taux d'analphabétisme est plus élevé chez les femmes que chez les hommes parmi la population des 15 ans et plus, sauf au Botswana et au Lesotho. Au cours des dernières décennies, des progrès ont été accomplis dans d'autres pays pour l'inscription des filles à l'école. Ceci a contribué à l'amélioration des taux d'alphabétisation des femmes parmi le groupe des jeunes adultes 6 Voir tableau 1.1 dans World Bank (2000). A Chance to Learn: Knowledge and Finance for Education in Sub-Saharan Africa. Ce tableau comporte des données provenant de l'UNESCO. 17 (âgés de 15 à 24 ans). Dans la partie de droite du tableau, les données indiquent un taux d'alphabétisme plus élevé chez les filles que chez les garçons, dans le groupe des plus jeunes, au Lesotho et, de façon surprenante, au Botswana, au Swaziland et en Namibie. Les taux sont les mêmes en Afrique du Sud et à Maurice, alors qu'au Zimbabwe et au Cameroun il n'y a qu'une mince différence (1%). Avec la diminution du taux d'analphabétisme, l'écart entre les hommes et les femmes se réduira inévitablement. On constate aussi que dans les pays avec des taux très élevés d'analphabétisme, les femmes sont moins instruites que les hommes. C'est pourquoi, lorsqu'il y a un besoin prononcé d'alphabétisation dans un pays, les femmes devraient être les premières concernées. Dans les pays africains, l'éducation primaire doit demeurer le principal moyen pour atteindre l'objectif d'une Éducation pour tous. Cependant, elle ne peut répondre à toutes les attentes. Malgré une augmentation des effectifs d'élèves entre 1985 et 1995 (voir la figure 14 dans Carceles et Fredriksen, à paraître), plusieurs pays africains ne parviendront pas à atteindre une éducation primaire universelle en l'an 2015. Il en est de même pour l'alphabétisation. Les efforts déployés au niveau de l'école primaire, même à un rythme accéléré, ne suffiront pas à réduire le taux d'analphabétisme de plusieurs pays. L'objectif visé pour l'an 2005 est de réduire de moitié le niveau de 1990 (figure 15 dans Carceles et Fredriksen, à paraître). Les pays africains à faible taux d'effectif scolaire devront adopter une stratégie à deux volets: continuer à développer l'école primaire d'une part, tout en offrant à ceux et à celles qui sont en dehors du système formel l'accès à une éducation de base. Ainsi, une partie des ressources allouées à l'éducation primaire devrait être réservée pour l'éducation des adultes qui contribue indirectement à l'essor de l'éducation primaire. En effet, dans les sections qui suivent, il sera démontré qu'un impact indirect de l'éducation de base des adultes consiste, pour les bénéficiaires, à appuyer davantage la scolarisation de leurs enfants. 18 Tableau 1. Les taux approximatifs d'analphabétisme et des populations analphabètes âgées de 15 ans et plus, et de 15 à 24 ans, pour l'année 2000, dans les pays de l'Afrique subsaharienne. Population âgée 15 ans et plus Population âgée entre 15 et 24 ans Taux d'analphabétisme Population analphabète Taux d'analphabétisme Population analphabète Pays ( % ) (000) ( % ) (000) Total H F Total H F Total H F Total H F Niger 84 77 92 4 688 2 083 2 605 78 69 87 1 584 695 888 Burkina Faso 77 67 87 4 845 2 081 2 763 67 56 79 1 598 664 933 Gambie 64 56 70 494 214 279 43 35 51 99 40 59 Sierra Leone 64 49 77 1 732 650 1 082 .. .. .. .. .. .. Bénin 63 48 76 2 066 766 1 299 47 30 64 582 181 400 Guinée-Bissau 63 47 79 440 159 280 46 30 61 102 32 69 Sénégal 63 53 72 3 290 1 368 1 921 50 41 58 932 385 547 Éthiopie 61 56 67 20 664 9 497 11 166 46 45 46 5 426 2 703 2 722 Mali 60 52 67 3 604 1 532 2 072 36 30 42 828 338 489 Mauritanie 60 49 71 910 367 542 52 43 61 276 115 161 Guinée 59 45 73 2 186 816 1 370 .. .. .. .. .. .. Mozambique 56 40 72 6 101 2 126 3 974 40 25 55 1 497 470 1 027 RCA 54 40 66 1 113 399 713 34 25 43 244 87 157 Côte d'Ivoire 53 45 62 4 457 1 952 2 505 35 30 41 1 119 473 646 Burundi 52 44 60 1 867 754 1 112 36 34 38 470 219 250 Djibouti 49 35 62 180 62 118 .. .. .. .. .. .. Libéria 47 30 63 849 276 572 31 16 47 239 59 180 Tchad 46 33 59 1 937 675 1 262 .. .. .. .. .. .. Comores 44 37 51 175 72 102 41 34 47 61 25 35 Soudan 43 32 54 7 675 2 820 4 855 23 17 29 1 407 534 873 Togo 43 28 57 1 073 341 732 24 13 36 224 59 164 Malawi 40 26 53 2 296 718 1 577 29 19 39 625 207 417 Nigéria 36 28 44 22 803 8 639 14 163 13 10 16 2 936 1 168 1 767 Rwanda 33 26 39 1 394 543 851 16 15 18 270 119 151 Ouganda 33 22 43 3 565 1 203 2 361 21 14 27 919 314 605 Ghana 30 21 39 3 426 1 166 2 260 11 7 14 428 149 278 Gabon 29 20 38 214 72 142 .. .. .. .. .. .. Cape Vert 27 16 35 68 17 50 13 9 16 11 4 7 Cameroun 25 18 31 2 099 764 1 335 7 6 7 209 96 113 Tanzanie 25 16 33 4 551 1 431 3 120 9 7 12 638 225 412 Botswana 23 26 20 213 115 98 12 16 8 42 27 14 Zambie 22 15 29 1 065 347 718 12 9 15 250 94 155 Swaziland 20 19 21 116 51 65 9 10 9 19 10 9 Congo 19 13 26 305 94 210 3 2 3 15 5 9 Kenya 18 11 24 3 015 946 2 068 5 4 6 341 140 201 Namibie 18 17 19 181 85 95 8 10 7 28 17 11 Guinée équatoriale 17 8 26 42 9 33 3 2 5 2 0 1 Lesotho 16 26 6 208 165 42 9 16 2 38 34 3 Maurice 16 12 19 136 53 83 7 7 7 14 7 6 Afrique du Sud 15 14 16 3 916 1 814 2 102 9 9 9 728 360 367 Zimbabwe 7 5 10 504 153 350 1 0 1 16 2 13 19 Référence: UNESCO's Statistical Year Book 1999-2000. Alphabétisé: «être capable de lire et d'écrire tout en comprenant le sens d'un texte court relié au vécu de la personne». Les données proviennent des déclarations des répondants à un sondage. En l'absence de certaines données, d'autres sources ont été consultées. Nous sommes reconnaissants envers Mactar Diagne pour sa collaboration dans la préparation de ce tableau. 20 Section 5 Les initiatives de la Banque mondiale pour l'ÉBA en Afrique subsaharienne Actuellement, la Banque mondiale finance des programmes d'ÉBA au Ghana, au Sénégal et en Côte d'Ivoire. Au printemps 2000, dans au moins six autres pays de l'Afrique subsaharienne des projets étaient en voie de préparation ou d'exploration avancée sur financement de la Banque. Dans plusieurs cas, ces initiatives s'insèrent dans le cadre d'un appui à des programmes d'investissement dans le secteur de l'éducation. Dans deux cas (Ouganda et Mozambique), les initiatives portent plutôt sur l'évaluation de la performance des programmes en place en vue du développement de nouvelles stratégies pour l'ÉBA. En plus des activités spécifiques aux pays, la Région Afrique de la Banque mondiale a aussi financé deux séminaires internationaux. Le premier, organisé dans le cadre du projet BELOISYA, a été tenu au Tchad en mars 1999. Onze pays ont partagé leurs expériences en matière de stratégies et de mise en oeuvre de programmes d'ÉBA. Le présent rapport, ainsi que l'étude d'Oxenham et Aoki (2001), se sont appuyés sur les résultats du projet BELOISYA. Le deuxième atelier, tenu à Dakar en mai et juillet 2000, portait sur l'évaluation et la supervision des programmes d'éducation de base des adultes. Mené en deux étapes et en langue française, cet atelier a permis de regrouper 11 pays de l'Afrique de l'Ouest. Le regain d'activités pour l'ÉBA au sein du Département régional de l'Afrique subsaharienne de la Banque mondiale, survient après deux décennies de faibles investissements. Avant de relancer l'investissement, il apparaît nécessaire d'examiner les expériences passées, ainsi que les raisons qui ont justifié les hésitations pour investir dans les programmes d'ÉBA. 21 Section 6 Les années d'incertitude En dépit des objectifs, visant l'éducation des jeunes peu ou pas scolarisés et des adultes, qui sont issus de la Conférence sur l'Éducation pour tous en 1990 à Jomtien en Thaïlande, il apparaît que la priorité accordée au développement de l'éducation primaire ait en quelque sorte accaparé les investissements destinés à l'éducation de base des adultes ­ et ce, bien que l'ÉBA fasse partie intégrante des objectifs de Jomtien. Ainsi, en raison des compressions budgétaires exercées sous la pression des politiques d'ajustement structurel, les ministères de l'éducation de plusieurs pays se sont concentrés sur l'école primaire. Les bailleurs de fonds qui jusqu'alors étaient les principales sources de financement de l'éducation des adultes, se sont aussi engagés vers l'école primaire. Enfin, les gouvernements des pays en voie de développement ont fait face à une pression accrue pour générer les fonds nécessaires au paiement des salaires des enseignants du secteur de l'éducation primaire. Dans cette conjoncture, il était donc facile de négliger l'ÉBA qui, dès le départ, est peu institutionnalisée en comparaison avec l'éducation primaire qui requière des infrastructures et du personnel permanents. Cependant, les hésitations pour investir dans les programmes d'ÉBA existaient bien avant Jomtien. Trois critiques principales ont freiné le support à l'ÉBA: le constat des taux élevés d'abandon des adultes inscrits à ces programmes; l'association de l'ÉBA avec des campagnes politiques et idéologiques; et les difficultés de mise en oeuvre des composantes d'éducation non formelle dans les premiers projets financés par la Banque mondiale. Avant Jomtien, des études et rapports sur l'alphabétisation des adultes ont donné mauvaise presse à l'ÉBA. Vers la fin des années 60 et au début des années 70, les efforts de l'UNESCO dans le domaine de la promotion de l'alphabétisation fonctionnelle n'ont pas donné les résultats escomptés. Par exemple, seule une infime minorité de participants achevaient avec succès les programmes. Selon des données du PNUD (UNDP), cinq pays présentaient des taux de réussite nettement insuffisants ­ le ratio étant calculé comme le rapport entre le nombre d'adultes inscrits au démarrage du programme et le nombre de participants ayant terminé avec succès un programme d'ÉBA. Ces taux étaient respectivement de 20% en Tanzanie, 14% en Iran, 25% en Éthiopie, 23% en Équateur et 8% au Soudan. La rareté des études empiriques sur l'efficacité interne a perpétué les préjugés à l'égard des programmes d'ÉBA dans le sens où des études plus récentes ont repris à leur compte les hypothèses pessimistes (Abadzi, 1994). Prenons le cas des deux études de l'IIEP sur les expériences du Kenya (Carron et al., 1989) et de la Tanzanie (Carr-Hill et al., 1991). Ces études ont rapporté des impacts positifs sur les adultes alphabétisés, mais aussi un enthousiasme décroissant pour ces programmes au cours des années 80 alors que l'approche adoptée dans ces cas ­ les campagnes massives de promotion ­ produisaient un effet d'accoutumance et une baisse d'intérêt chez les participants. Il est vrai qu'il y avait peu de données sur les taux de réussite. Cependant, le pessimisme des années 70 a 22 persisté (voir Section 9) en l'absence d'études sérieuses menées sur l'efficacité interne des programmes d'ÉBA. Il faudra attendre l'étude d'Oxenham et Aoki achevée en 2000. D'autres raisons moins apparentes peuvent expliquer le manque d'intérêt pour l'ÉBA. Certains programmes qui ont joui d'une réputation internationale étaient souvent de nature idéologique. Les campagnes de promotion consistaient principalement à amener la population à adopter une certaine vision d'un avenir moderne tel que défini par le parti unique. Ainsi, la popularité d'un programme d'ÉBA était le reflet du degré d'identification ou d'opposition avec le régime en place. Plus récemment, ces régimes politiques, s'ils n'ont pas été déchus, n'entreprennent plus de telles campagnes, et les visions étatiques de l'ÉBA ont été reléguées à l'histoire. Cependant, tout au long de cette période, d'autres formes de programmes d'ÉBA, apolitiques, ont été mises en oeuvre et appuyées par des gouvernements et des ONG. À la Banque mondiale, l'hésitation envers l'alphabétisation des adultes est la conséquence des tendances excessives pour l'éducation non formelle à la fin des années 70. Une revue des projets de la Banque jusqu'en 1984 par Romain et Armstrong (1987) a contribué à perpétuer cette méfiance. En examinant les projets et les composantes de projets visant l'alphabétisation des adultes, les auteurs rapportent que la plupart des activités n'avaient pas été mises en oeuvre de façon satisfaisante, ou bien avaient été largement modifiées ou tout simplement abandonnées. Cette étude a donc conforté l'impression que les projets d'éducation non formelle (et, par association, l'alphabétisation qui était partie intégrante de certains projets) souffraient de problèmes inhérents de mise en oeuvre. C'est ainsi que, suite au déclin prononcé des investissements dans les programmes d'ÉBA, il n'y a eu que très peu d'intérêt pour ce secteur (Eisemon et al., 1999). Il faut cependant souligner que, parmi les 92 projets examinés par Romain et Armstrong (1987), deux seulement étaient des projets dont l'objectif central était d'appuyer l'éducation non formelle. Dans la grande majorité des cas, les activités d'éducation non formelle n'étaient qu'une composante mineure d'un projet par ailleurs orienté vers des objectifs autres que l'éducation et la formation. Dans les deux- tiers des projets, moins de 10% du budget du projet était alloué à une composante d'éducation non formelle. Ces composantes étaient fortement appuyées par la Banque mondiale et l'engagement local était faible. À cette époque, quand la plupart des projets ont été planifiés, les politiques de la Banque mondiale encourageaient fortement les programmes d'éducation non formelle, tandis que les pays emprunteurs favorisaient les investissements en éducation formelle. Étant donné que l'éducation non formelle n'était qu'une composante mineure de ces projets, elle était donc plus vulnérable. Ainsi, sous les pressions fiscales, la composante d'éducation non formelle était souvent oubliée, ou les fonds alloués y étaient plutôt utilisés pour l'enseignement formel. Romain et Armstrong (1987) ont proposé des mesures pour améliorer la mise en oeuvre des projets ­ mais celles-ci n'ont pas retenu l'attention, par ailleurs centrée sur le constat de mise en oeuvre déficiente. Leur conclusion stipulait que ce type d'éducation devait être reconnu en soi et que la Banque devait répondre à la demande plutôt que d'adopter «une approche désinvolte visant à greffer 23 des composantes [d'éducation non-formelle et de formation] à des projets sans pour autant allouer des ressources conséquentes et obtenir un engagement ferme du gouvernement» (p.vii)7. Enfin, les auteurs ont souligné que la mise en oeuvre était jugée satisfaisante dans les projets (quelques cas seulement) lorsque le processus de planification impliquait la collaboration et visait l'appropriation du projet par les autorités locales, et lorsque le projet répondait à une demande expresse formulée par des groupes- cibles. Romain et Armstrong (1987, p. 21) ont jugé qu'il était «difficile d'identifier les facteurs de succès, de succès mitigé ou d'échec dans les composantes d'alphabétisation»8. Il y avait peu d'information sur le succès des composantes d'alphabétisation dans les projets étudiés, et les auteurs n'ont relevé aucun commentaire sur les taux de rétention, les résultats d'apprentissage ou les impacts socio-économiques. En conclusion, l'absence d'évaluation sérieuse de résultat et d'impact a nourri un sentiment d'échec qui, à son tour, a perpétué le scepticisme à l'endroit de l'éducation de base des adultes tant chez les responsables nationaux qu'au sein des agences d'aide internationale qui n'étaient pas familiers avec les projets d'éducation non formelle. En ce qui a trait à l'enseignement primaire, des taux élevés d'abandon scolaire ont agi comme catalyseurs pour la mise en oeuvre de mesures urgentes d'amélioration de la qualité de l'éducation. Dans le cas de l'ÉBA, les constats de faibles taux de réussite, de mise en oeuvre déficiente des projets, ou plus simplement d'absence d'informations sur les résultats, n'ont pas, à l'instar de l'enseignement primaire, motivé un engagement pour améliorer la qualité des prestations. Il semble donc, dans un contexte où la volonté publique était faible, que l'ÉBA était considérée comme une activité difficile à mettre en oeuvre et, donc, à faible priorité. La présente étude souhaite clore la période d'incertitude à l'égard de l'ÉBA puisque les données récentes disponibles offrent une vision plus optimiste de l'efficacité et de l'impact de l'ÉBA, à l'inverse des revues passées qui ont donné naissance à des conclusions plus pessimistes. 7 "An overly casual approach to tacking [nonformal education and training] components onto projects without providing sufficient project funding or without assurance of country commitment. " 8 "It is difficult to establish the determinants of success, limited success and failure in the literacy components." 24 Section 7 Les raisons d'un regain d'intérêt pour l'ÉBA L'une des raisons principales qui explique le regain d'intérêt pour l'ÉBA réside dans la pertinence de l'ÉBA dans la stratégie de réduction de la pauvreté appuyée par les agences de développement international. En effet, ces programmes sont naturellement ciblés à l'endroit des plus démunis. De plus, il a été démontré à maintes reprises que l'ÉBA améliore l'image de soi des participants, ce qui les rend plus aptes à participer à la vie civique (voir plus loin, à la section 8.2). La société civile peut également être renforcée lorsque les ONG et autres organismes de type communautaire (OC ) participent 9 directement à l'organisation des programmes d'ÉBA. Enfin, la démocratisation des systèmes politiques ouvre la voie aux programmes d'ÉBA qui appuient le partenariat avec les ONG. Puisque l'éducation de base est considérée comme faisant partie des droits de la personne, les gouvernements sont donc dans l'obligation de la sauvegarder10. Comme indiqué, dans les pays où l'effectif scolaire est très faible, il faudra plusieurs décennies pour éradiquer l'analphabétisme par le biais de l'éducation primaire. C'est pourquoi, la Conférence mondiale sur l'éducation tenue à Dakar en avril 2000, a donné une nouvelle importance à l'éducation des adultes. Ainsi, l'ÉBA a reçu un appui net dans le cadre renouvelé des politiques d'Éducation pour tous. Comme nous le verrons plus loin (chapitre 8), la preuve n'est plus à faire concernant les impacts positifs des programmes d'ÉBA. Plusieurs études ont démontré que ces programmes agissent non seulement sur la qualité de vie des participants, mais aussi sur celle de leurs enfants. En effet, l'ÉBA agit directement sur l'éducation primaire. Par exemple, il est bien connu que les parents alphabétisés (particulièrement les mères) encouragent plus leurs enfants à fréquenter l'école que les parents analphabètes. Ils sont aussi plus en mesure de suivre les progrès scolaires de leurs enfants et de les soutenir dans leurs apprentissages (chapitre 8.1). En fait, l'ÉBA et l'éducation primaire agissent en complémentarité pour l'atteinte d'une Éducation pour tous. Des études récentes démontrent aussi que l'efficacité interne des programmes d'ÉBA s'est beaucoup améliorée depuis l'époque des campagnes de promotion et des programmes d'alphabétisation de masse (chapitre 9.1). S'il est une région où les besoins en ÉBA sont pressants, c'est bien celle de l'Afrique subsaharienne. Dans plusieurs pays, l'effectif scolaire est encore en deçà du niveau attendu. De plus, des troubles de toutes sortes ont privé une grande partie de la population d'une éducation primaire (Carceles et 9 Organismes communautaires ­ expression utilisée afin de souligner le fait que les ONG ne sont pas nécessairement toutes de type communautaire. 10 Il est bien entendu que l'éducation de base sera en compétition avec d'autres secteurs pour des ressources limitées, secteurs aussi considérés comme droits humains, par exemple les soins de santé de base. 25 Fredriksen, à paraître). L'ÉBA contribue fortement à réduire les problèmes d'inégalité entre les hommes et les femmes. Dans la plupart de ces pays, les femmes comptent pour la majorité des analphabètes. Par contre, à quelques exceptions près (dont le Tchad), les participants aux programmes d'ÉBA sont surtout des femmes. Il est intéressant de noter que même au Botswana, où la plupart des analphabètes sont des hommes, les femmes sont toujours majoritaires dans les programmes d'ÉBA (Gaborone et al., 1987, p.10-11). On peut s'attendre à ce que l'ÉBA soit de plus en plus un sujet de discussion entre les gouvernements et la Banque mondiale. Dans un nombre croissant de pays, ces discussions ont lieu dans le cadre des approches multisectorielles. Il s'en suit que les bailleurs de fond devront adopter une vision plus globale. De plus, une approche axée sur le client est importante pour la Banque mondiale. Ce qui veut dire que lorsqu'un gouvernement est prêt à inclure l'ÉBA dans sa stratégie sectorielle globale, la Banque mondiale doit être prête à l'appuyer et à rechercher les stratégies qui conviennent le mieux à ce sous- secteur. 26 Section 8 Les preuves de l'impact des programmes d'ÉBA Pour évaluer les impacts des programmes d'ÉBA, il est nécessaire d'assurer un suivi à long terme des participants. Étant donné que les études longitudinales des effets de l'ÉBA sont rares, les travaux de recherche ont tendance à sous-estimer les impacts qui requièrent également d'autres intrants et facteurs que l'ÉBA à proprement dit afin de produire les effets attendus. D'autre part, il est probable que l'importance de certains effets qui sont générés immédiatement mais qui s'estompent rapidement, soient exagérés. Dans la plupart des études, les effets à court terme ont été les plus souvent retenus. Ils peuvent être très utiles, entre autre, pour évaluer l'influence des parents alphabétisés sur l'éducation de leurs enfants. Par contre, certains effets à court terme, comme l'amélioration de l'estime de soi après avoir suivi un programme d'ÉBA, ne sont peut-être pas pérennes. Enfin, certains impacts ne semblent se manifester qu'après une longue période de temps. On peut penser ici à l'augmentation du revenu des participants qui ont acquis de nouvelles habiletés à la suite de programmes d'ÉBA ­ tout comme on mesure l'impact de la scolarisation formelle en examinant les données sur les revenus tout au long de la vie active. Les recherches sur les résultats d'apprentissage et les impacts sur les conditions de vie des participants portent presque uniquement sur les habiletés en lecture, en écriture et en calcul ­ une limite imposée à la présente étude. Les contenus propres au contexte, considérés comme une part importante des programmes d'ÉBA, sont souvent négligés. Malgré tout, comme les habiletés en lecture, en écriture et en calcul se retrouvent dans la plupart des programmes d'ÉBA et qu'elles en constituent une part importante, ces habiletés sont habituellement un élément essentiel des évaluations de l'ÉBA. Quels sont donc les résultats de ces recherches? Les sections suivantes abordent tour à tour les impacts de l'alphabétisation sur la vie des adultes. 8.1 Un support accru des mères alphabétisées pour l'éducation de leurs enfants Les résultats des études ont démontré l'impact positif de l'alphabétisation des mères sur le suivi de l'éducation de leurs enfants, en particulier leurs filles. Cela veut dire que l'ÉBA et l'éducation primaire ont des effets complémentaires. Il y a donc une synergie entre les investissements dans l'éducation primaire et ceux dans l'ÉBA. Il est donc erroné de concevoir deux types d'éducation en compétition pour des ressources limitées. L'impact des mères alphabétisées sur la scolarisation des enfants a été particulièrement significatif dans des études longitudinales. En ce qui concerne le programme REFLECT de l'agence ActionAid, les effets ont été particulièrement remarqués en Ouganda (Archer et Cottingham, 1996, p. ii). Dans une vaste étude réalisée par Okech et al. (1999, p. 66) sur le projet REFLECT et sur le programme 27 gouvernemental d'alphabétisation fonctionnelle des adultes en Ouganda, les auteurs rapportent que les participants se sont inscrits aux programmes d'ÉBA afin de pouvoir appuyer l'éducation de leurs enfants11. En effet, les finissants des cours d'ÉBA s'intéressaient plus à la vie scolaire de leurs enfants comparativement aux parents analphabètes. Ils étaient deux fois plus portés à discuter avec leurs enfants de leur journée à l'école et à les aider dans leurs devoirs (Okech et al., 1999, p.154)12. Au Népal, l'étude de Burchfield (1997, p. 107) rapporte que les mères qui ont suivi un cours d'alphabétisation encouragent plus l'éducation de leurs enfants. Une autre étude au Népal, celle de l'équipe de l'USAID sous la direction de Sharon Benoliel (USAID, 1998, p.10), constate que « les mères alphabétisées s'investissent davantage dans l'éducation de leurs enfants et ce, de diverses façons ». Au Bangladesh, l'étude de Cawthera (1997, p. 76) démontre que le fait d'avoir un membre de la famille dans des cours d'alphabétisation incite les enfants à s'inscrire à l'école. Au Ghana, Korboe (1997, p. 33) constate que les enseignants sont plus satisfaits du comportement des enfants qui ont au moins un parent inscrit à un programme d'ÉBA. Selon les enseignants, ces enfants sont plus ponctuels, s'absentent moins souvent de l'école et sont d'apparence plus soignée. Cet impact positif sur l'éducation des enfants signifie que l'ÉBA peut jouer un rôle efficace dans une stratégie visant à l'amélioration de l'accès à l'école et de la qualité de l'éducation primaire, particulièrement dans les régions les moins développées d'un pays. Enfin, la participation des parents dans les programmes d'ÉBA peut aussi être un moyen pour les inciter à participer à la gestion de leur école. 8.2 Une autonomisation Depuis longtemps, l'éducation populaire a été considérée comme un moyen d'autonomisation des citoyens. En effet, dans les sociétés contemporaines, il a été constaté que plus les adultes sont éduqués, plus ils s'engagent dans la vie civique et politique13. C'est ainsi que, dans plusieurs pays, l'éducation populaire a contribué à la naissance de sociétés démocratiques avec une large base représentative. En particulier, l'éducation des adultes a eu de fortes connexions avec l'émergence d'une société civile à large base (l'éventail de groupes d'intérêt et autres associations qui agissent comme intermédiaires entre les simples citoyens et l'État). Un exemple parmi d'autres serait le modèle de formation des représentants des mouvements populaires dans les pays nordiques à la fin du 19e et début du 20e siècle. 11 Cependant, les raisons les plus courantes sont simplement de pouvoir lire et écrire, d'acquérir de nouvelles connaissances, de s'enrichir, etc. ­ ce ne sont pas nécessairement des raisons d'ordre pratique. 12 Cependant, le pourcentage de participants qui ont envoyé leurs enfants à l'école (s'ils avaient des enfants) étaient étonnement élevé chez les deux groupes (environ 80 %), ce pourcentage n'était que légèrement plus élevé chez le groupe des alphabétisés. 13 Ceci ne veut pas nécessairement dire que l'alphabétis ation ou un plus haut niveau de scolarité garantit une participation civique plus active (d'ailleurs, il arrive que le taux de participation à une élection est parfois très bas dans des pays hautement «scolarisés»). 28 En Asie du Sud, Saldanha (2000) a démontré les interrelations entre l'éducation de base, la participation civique et la lutte contre la pauvreté. Il cite deux projets : l'un de l'Association des femmes entrepreneurs ou SEWA (Self Employed Women's Association) en Inde, et l'autre de la Grameen Bank au Bangladesh qui organise des programmes d'épargne et de crédit. Ces projets ont clairement démontré que la lutte contre la pauvreté peut aller de pair avec le renforcement des structures de la société civile, lequel repose sur des citoyens qui ont reçu une éducation de base14. Si une participation politique d'un certain type est directement encouragée par les contenus de l'ÉBA, on pourrait s'attendre à ce qu'il y ait une corrélation étroite entre l'ÉBA et une telle participation. C'est en effet ce qui a été constaté dans l'étude de Carron et al. (1989, p.173) portant sur un échantillon de 371 alphabètes et 66 analphabètes provenant de cinq régions différentes du Kenya. Le programme d'alphabétisation visait, entre autres objectifs, à accroître la participation aux élections. Il a été constaté que le taux de participation a augmenté suite au programme. De plus, les « finissants » des programmes d'alphabétisation ont obtenu de meilleurs résultats que le groupe contrôle d'analphabètes d'une même communauté et ce, par rapport à plusieurs indicateurs de comportements et d'attitudes reliés à la participation aux élections et aux associations locales. Les effets des programmes d'ÉBA sur la participation civique sont toutefois liés au contexte. Il arrive que des participants vivent dans un environnement peu propice à leur épanouissement social et leur participation dans la vie publique. C'est le cas des femmes inscrites au programme d'alphabétisation REFLECT dans l'île de Bhola au Bangladesh. Même si elles acquièrent plus de confiance en soi et un plus grand sens de l'initiative, elles ne peuvent s'exprimer réellement qu'au sein du foyer familial. Leur statut public est celui d'une complète soumission envers les hommes (Archer et Cottingham, 1996, p. 58). Les programmes d'ÉBA peuvent encourager la participation civique, mais seulement à la condition que les contenus offerts soient pertinents et que le milieu soit réceptif. L'augmentation de la confiance en soi des femmes, en particulier celles qui vivent dans des sociétés patriarcales, constitue l'un des impacts le plus documenté des programmes d'ÉBA. Plusieurs expressions sont utilisées pour décrire ce phénomène: «émancipation ou autonomisation» (empowerment), «confiance» (confidence), «estime de soi» (self-esteem) et «auto-efficacité» (self- efficacy). Dans une revue récente de la littérature sur l'alphabétisation en rapport avec l'autonomisation et le comportement, Moulton (1997) attire l'attention sur une série de petites études de cas qui présentent les divers effets de l'autonomisation. Dans sa synthèse des activités d'alphabétisation à travers le monde, Lind (1997) note aussi la présence d'effets émancipateurs dans les programmes d'ÉBA. Elle conclut que ces types de programmes sont un moyen efficace d'aider les femmes à se prendre en main. 14 La capacité de mettre en commun ses énergies en vue d'un même but est un des aspects du «capital social». 29 Les programmes d'ÉBA ne produisent pas tous des effets émancipateurs. Tout dépend de la méthode pédagogique adoptée, certaines s'y prêtant mieux que d'autres. En général, une pédagogie axée sur l'apprenant produira plus d'effets émancipateurs qu'une pédagogie où les participants sont considérés comme des « élèves » passifs. Les programmes REFLECT d'ActionAid adoptent justement une pédagogie axée sur l'apprenant. Certains analystes, particulièrement ceux qui s'appuient sur la théorie du conflit pour leurs recherches, suggèrent que l'impact de l'alphabétisation (ou même l'éducation dans les écoles) sur la qualité de vie des pauvres et des démunis de pouvoir dépendra nécessairement du type de contenus et de la façon de l'enseigner (Stromquist, 1999, p. 271-276 et Mehran, 1999). Cette théorie n'a pas encore été démontrée de façon empirique, mais les résultats obtenus jusqu'à présent montrent que les résultats concernant l'autonomisation peuvent provenir de divers modèles pédagogiques d'ÉBA. Quelques études ont rapporté ce type de changement. Parmi ces études, celle de Korboe (1997) au Ghana conclut que l'amélioration de la confiance en soi est un impact courant des programmes d'ÉBA. En Namibie, Lind (1996, p. 88) a constaté que le fait de savoir lire et écrire a augmenté, chez les participants des campagnes d'alphabétisation, leur estime de soi, ainsi que leur capacité de s'exprimer dans les assemblées publiques. Au Népal, les femmes qui ont participé à des programmes d'alphabétisation sont plus en mesure d'exprimer leurs opinions au sein de leur famille et de leur communauté. Ce gain de confiance s'est reflété dans leurs discussions sur des sujets d'actualité, leurs conseils concernant le comportement des hommes, ainsi que dans leur plus grande confiance à utiliser les transports en commun (Burchfield, 1997, p. 107). Après examen de plusieurs projets réalisés au Népal, une étude de l'USAID (1998, p. 2) conclut que les cours d'alphabétisation ont effectivement amélioré la confiance en soi des participants. En effet, les participants, munis de nouvelles connaissances et d'attitudes, deviennent plus autonomes, exigeants, engagés socialement et plus soucieux de leur santé. Il existe d'autres études similaires: en Inde, les femmes inscrites à une activité génératrice de revenu, Women's Enterprise Management Training, rapportent avoir plus confiance en elles-mêmes, être plus engagées dans les décisions du groupe et être plus actives dans les organismes communautaires (Diagne, 1999, p. 14). Au Burkina Faso, après le projet « Alphabétisation des femmes », les participantes se sont montrées moins soumises aux hommes (Diagne 1999, p.14). Au Bangladesh, les participants du projet d'alphabétisation Nijera Shikhi ont gagné de la confiance en soi et de l'estime personnel (Cawthera, 1997, p. 50-53). Il en est de même des participants à un projet en Ouganda (Okech et al. 1999, p. 151,157). Une plus grande confiance en soi est la réponse la plus souvent donnée à la question sur les avantages de l'alphabétisation. Enfin, en 1999, l'évaluation du programme d'éducation de base des adultes de l'University of South Africa rapporte que les participants venant de trois provinces différentes se sont inscrits à ces cours dans le but de combattre leur timidité ou de mieux communiquer avec les autres15. Il existerait donc un lien entre la confiance en soi et les habiletés de communication. 15 Communication personnelle de Lalage Bown, qui a évalué le programme. 30 8.3 Une meilleure communication verbale et écrite Certains chercheurs (par exemple Olson, 1999) considèrent que faire du langage un objet de connaissance en tant que tel (acquis par le biais de l'éducation primaire ou par l'ÉBA) agit sur la façon dont nous pensons. Il existe des preuves que l'alphabétisation à travers l'ÉBA peut améliorer certaines capacités de communication orale chez les personnes. Une étude de Comings et al. (1998), réalisée dans trois régions du Népal, démontre que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture facilite l'utilisation «hors contexte» de la langue. Ainsi, deux interlocuteurs provenant de milieux différents sont plus efficaces dans leur capacité à communiquer. Ils sont plus en mesure de saisir la pensée de l'autre et peuvent exprimer leur propre pensée avec plus de justesse. Dexter et al. (1998), dans une étude au Mexique sur le lien entre l'éducation de la mère et la santé de ses enfants, ont aussi trouvé un lien entre les habiletés en lecture et la communication verbale hors contexte. Enfin, au Ghana, Korboe (1997, p. 43) a observé que les apprenants en ÉBA présentent une plus grande facilité d'expression verbale que ceux qui ne participent pas à ces programmes. Il apparaît nécessaire de mener des recherches avec un plus grand échantillon et sous un contrôle méthodologique plus rigoureux. Néanmoins, la plupart des études rapportent qu'une plus grande facilité d'action et de confiance en soi dans diverses situations sociales sont une conséquence directe des programmes d'ÉBA. La perception d'une efficacité personnelle renforcée, tel que discuté ci-dessus, proviendrait en partie d'une capacité améliorée à s'exprimer en public. 8.4 Une amélioration de la santé de la famille Les adultes alphabétisés jouissent d'une meilleure santé et élèvent des enfants plus sains. À cet égard, l'alphabétisation des femmes est reconnue depuis un certain temps comme primordiale. Des études (Jayne, 1999 et LeVine, 1999, p. 302) ont justement démontré la relation entre l'éducation de la mère et la santé du bébé ou des enfants. En effet, une mère éduquée utilise davantage les services de santé et de planification familiale et adopte des comportements qui augmentent la survie de ses enfants. D'autres études ont démontré la relation entre la santé et l'hygiène familiale des mères alphabétisées comparées à celles des mères analphabètes. Il en ressort que les mères alphabétisées ont plus tendance à faire vacciner leurs enfants; elles ont une meilleure connaissance des moyens d'hydratation orale; elles procurent une alimentation plus saine à leur famille; et elles ont des grossesses moins rapprochées (Bown, 1990 et Comings 1995). 31 De telles corrélations fondées sur des échantillons de la population adulte démontrent principalement les effets dus à l'éducation primaire et pas nécessairement ceux dus à l'éducation des adultes. Mais en ce qui concerne les connaissances et compétences dont l'utilisation est rendue nécessaire dans les aspects de la vie quotidienne (par exemple l'importance de la prévention des maladies), on peut s'attendre à un effet plus immédiat de l'ÉBA que de l'éducation primaire. Bown (1990, p.13) a constaté que les changements d'attitude et de comportement apparaissent très rapidement en ce qui concerne l'ÉBA étant donné que les femmes exercent déjà des rôles d'adultes dans la société et peuvent appliquer leurs nouvelles connaissances immédiatement16 ­ et particulièrement quand l'éducation des adultes est dirigée intentionnellement pour modifier des attitudes et des comportements. D'autres études ont recherché à identifier les effets sur la santé d'une participation à l'ÉBA, distincts des effets qui résultent d'une alphabétisation dans le cadre d'une éducation primaire. Par exemple, Cawthera (1997, p. 53) rapporte que l'amélioration de la santé de la famille des participants au projet Nijera Shikhi, au Bangladesh, est une conséquence directe de l'ÉBA. Il faut souligner que les études d'envergure, avec des contrôles statistiques rigoureux, sont très rares. En général, ces études utilisent des sondages qui ne retiennent pas le fait d'avoir participé à un programme d'ÉBA. À ce jour, il est difficile de préciser si les effets sur la santé sont causés par un type d'éducation ou un autre. Par exemple, dans l'étude de Carron et al. (1989, p. 173) au Kenya, les auteurs ont constaté que les adultes alphabétisés utilisent plus fréquemment les méthodes de planification familiale que les adultes analphabètes. Cependant, ils ont aussi noté que plus de la moitié de ces adultes alphabétisés ont déjà fréquenté l'école primaire. Dans de telles circonstances, les effets des cours d'alphabétisation peuvent être confondus avec ceux de l'éducation primaire. Il existe une importante étude sur une grande échelle au Nicaragua qui a démontré les effets bénéfiques des programmes d'ÉBA sur la santé. Ainsi, dans l'étude de Sandiford et al. (1995, p.5), un contrôle rigoureux a été imposé afin d'éliminer l'influence de l'éducation primaire. À l'aide d'un sondage, les femmes qui ont pris part aux campagnes d'alphabétisation des adultes en 1980 (en excluant celles qui ont fréquenté l'école primaire) ont été comparées dix ans plus tard à des femmes de statut socio- économique similaire, mais qui n'ont pas pris part à la campagne. Une diminution significative de la mortalité infantile a été constatée chez celles qui avaient participé à la campagne d'alphabétisation. Cette diminution est même plus importante chez celles qui ont fréquenté l'école primaire. Les auteurs concluent que «le taux de diminution de la mortalité infantile produit par l'ÉBA est équivalent à celui obtenu par deux années d'éducation formelle ?...?ou supérieure». Une des raisons pour laquelle les programmes d'ÉBA sont plus efficaces pour l'apprentissage des compétences en matière de santé et d'hygiène résulte du fait que ces questions font partie des connaissances de base des contenus d'alphabétisation fonctionnelle des adultes au même titre que les 16 " The time-span after which attitude and behaviour change might be seen could be shorter, since the women are already fulfilling adult roles in society and are in a position to apply their learning at once". 32 contenus sur les activités génératrices de revenus. Par exemple, en Ouganda une étude sur l'alphabétisation fonctionnelle des adultes d'Okech et al. (1999, chapitre 7) rapporte que, sous la rubrique « amélioration des soins à la famille », les participants ont adopté de nouveaux comportements, incluant : creuser des latrines et les garder propres, creuser une fosse à déchets, utiliser un porte- ustensiles, faire bouillir l'eau, se laver les mains, couvrir la nourriture, etc. De toute évidence, il existe un lien étroit entre l'alphabétisation et la santé. Selon LeVine (1999), ce lien est si étroit et universel qu'il est probablement dû à l'amélioration des habiletés de communication qui favorisent la compréhension des messages écrits et verbaux. 8.5 Des activités génératrices de revenu plus productives Les aptitudes à lire, à écrire et à compter sont des compétences essentielles lors des transactions commerciales. Dans la plupart des études où il est demandé d'identifier les « avantages » ou les « bénéfices » des programmes d'ÉBA, les nouveaux alphabétisés rapportent généralement qu'ils ne seront plus aussi facilement dupés lors des transactions financières. Pouvoir vérifier les prix et les mesures est évidemment chose utile. Mieux encore, être à l'aise avec les mesures permet l'accès à une plus vaste gamme d'emplois ou à un travail indépendant, notamment couturier et menuisier. En plus de transmettre des compétences concrètes, les programmes d'ÉBA permettent d'améliorer la confiance en soi et l'initiative personnelle des participants, caractéristiques essentielles pour développer l'esprit d'entreprise. Sans l'alphabétisation, les petits entrepreneurs du secteur informel sont grandement désavantagés. Cette conclusion est appuyée par l'expérience du programme Grassroots Management Training (GMT) and Outreach (Formation en gestion au niveau local) destiné aux femmes des micro-entreprises au Burkina Faso, au Sénégal, au Nigéria, au Malawi, en Tanzanie, en Mauritanie, au Mali, au Maroc et en Tunisie (ainsi que dans trois états de l'Inde). Ce programme fut développé sous la direction de Jerri Dell de l'Institut de la Banque mondiale. Selon l'évaluation du programme au Burkina Faso par Filion et Renaud (1997, p. 37-38), les compétences en alphabétisation n'étaient pas requises des participantes car ce programme avait été conçu strictement pour répondre aux besoins des femmes entrepreneurs analphabètes et semi-alphabètes. Mais avec le temps, les participantes ont demandé à ce que ces habiletés soient incluses parce qu'elles leur faciliteraient l'apprentissage des méthodes de gestion. On est parvenu à des conclusions semblables dans l'évaluation du même projet dans d'autres pays. Quand un adulte est capable de gérer ses affaires sur la base de documents écrits plutôt que de compter sur sa mémoire, quand il est capable de vérifier les calculs des prix et des mesures, il est alors plus apte à entreprendre des transactions plus complexes. Quand un négociant peut passer de la maîtrise de la langue locale à la maîtrise d'une langue plus courante, notamment la langue officielle, il est plus en mesure d'étendre ses opérations à une échelle géographique élargie. Dans l'évaluation menée en 1999 sur l'alphabétisation des adultes en Ouganda (Okech et al., 1999, p. 33 148), 15 % des 709 diplômés d'un cours ont répondu à une question ouverte sur les bénéfices de l'alphabétisation en disant que l'avantage spécifique de cette dernière est le fait de «ne pas être dupé». Dans un sondage mené à une grande échelle au Kenya (Carron et al., 1989, p. 173), on a découvert que les fermiers qui sont plus alphabétisés font un meilleur usage des semences hybrides. Carr-Hill (1991), qui a obtenu des résultats semblables en Tanzanie, conclut : « un des avantages de l'alphabétisation est la propagation de techniques modernes en agriculture dans les régions rurales» (p. 324)17. Ces résultats sont fondés sur les propos des fermiers eux-mêmes au sujet de l'incitation à adopter de nouvelles techniques. Il ressort du rapport de Cawthera (1997, p. 48-55) que les participants au projet d'alphabétisation Nijera Shikhi au Bangladesh, ont augmenté leur revenu suite à cette formation. Il y a également l'étude sur le projet « Formation des femmes en gestion d'entreprises » (Women's Enterprise Management Training) (citée par Diagne 1999, p. 14) en Inde, qui rapporte un changement dans le comportement économique des participantes. Dans ce projet, l'enseignement de la lecture, de l'écriture et du calcul était combiné avec l'enseignement des compétences pratiques de gestion, ainsi qu'avec l'accès au crédit. Dans leur évaluation des projets REFLECT d'ActionAid en Ouganda, au Salvador et au Bangladesh, Archer et Cottingham (1996, p. 36) donnent également quelques exemples de la façon dont l'ÉBA a pu permettre à certaines personnes de faire un usage plus productif des ressources disponibles18. Une évaluation plus récente et à une plus grande échelle du programme d'alphabétisation fonctionnelle développé par le gouvernement ougandais fait ressortir un éventail impressionnant de projets d'activités génératrices de revenu qui ont été initiés suite aux programmes d'alphabétisation fonctionnelle19. Près de 5 diplômés de l'ÉBA sur 8 qui ont été soumis à un sondage, ont rapporté qu'ils avaient déjà été impliqués dans de tels projets ­ chaque apprenant a fait mention de deux projets en moyenne (Okech et al., 1999, chapitre 7). On ne sait rien sur la valeur économique ni sur la pérennité de ces activités, mais deux-tiers des diplômés en alphabétisation disent que leur participation à ces projets leur a permis d'encaisser un peu d'argent; dans d'autres cas, le revenu aurait été acquis en nature. En dehors de la recherche à prédominance qualitative qui vient d'être examinée, le cas des bénéfices économiques de l'ÉBA s'articule autour du degré de ressemblance avec ceux acquis grâce au système scolaire régulier. Avec le temps, les deux types de bénéfices s'accumulent, puisque les nouvelles compétences sont utilisées au fur et à mesure que les occasions se présentent. Il serait irréaliste de s'attendre à des gains substantiels à court terme suite à l'alphabétisation, à moins que les programmes 17 "The main effect which may be attributable to literacy is the spreading of modern agricultural techniques in the rural area". 18 REFLECT = Regenerated Freirean Literacy through Empowering Community Techniques. Voiraussil'encadré3plus loin. 19 La plupart de ces projets en Ouganda ont trait à la production végétale, aux travaux d'artisanat, ainsi qu'à l'élevage du bétail et de la volaille. 34 d'ÉBA incluent des activités rémunératrices et liées à l'accès au crédit. Dans le même temps, l'intégration des programmes d'alphabétisation avec des programmes d'accès aux crédits en zones rurales comporte de graves risques. En effet, les compétences requises pour mettre sur pied des programmes de micro-crédits et pour en assurer la gestion sont fort différentes de celles qui sont requises pour mettre en oeuvre des cours d'alphabétisation, et vice versa. Comme les apprenants de l'ÉBA sont plus âgés que les élèves du système formel et sont plus proches du sommet de la productivité dans le cycle de leur vie, on pourrait s'attendre à un impact plus immédiat sur le revenu que dans le cas de l'éducation primaire et secondaire. En fait, dans le cas de la scolarité, le délai des effets produits sur le revenu est tellement évident que les plans de recherche manqueraient de crédibilité en cherchant l'impact économique uniquement dans les premières années au sortir de l'école. Un suivi à long terme est nécessaire pour mesurer les effets de l'ÉBA sur le revenu. Cela n'a pas encore été fait. Mais, comme dans le cas de la recherche sur les effets économiques de la scolarisation, des études transversales peuvent être utilisées pour produire de l'information à partir desquels des conclusions plus solides peuvent être obtenues. En l'absence de telles recherches, il n'y a aucune raison de supposer que la valeur actualisée des bénéfices économiques de l'ÉBA soit inférieure à celle de l'éducation primaire. Il est vrai que plus les apprenants sont âgés, plus la valeur actualisée des revenus générés durant la vie active est raccourcie. En revanche, les effets sur la productivité peuvent se produire plus tôt lorsque les compétences sont acquises à l'âge adulte. Aussi, les apprenants de l'ÉBA sont généralement des jeunes adultes (ils sont typiquement âgés de moins de 35 ans) et les bénéfices à court et à moyen terme ajoutent davantage à la valeur actualisée que ne le font les bénéfices à long terme. De plus, l'auto-sélection dans les programmes d'ÉBA par des personnes déterminées à « s'améliorer » produira des effets positifs sur le revenu et sur la vie de ces apprenants, ce qui n'est pas le cas avec les participants non motivés qui ont été incités à s'inscrire suite à une campagne de promotion. Ainsi, Windham (1999, p. 343) estime que les impacts économiques des programmes d'ÉBA comportent des synergies simples entre l'acquisition des compétences et les autres caractéristiques des personnes qui cherchent activement à devenir alphabètes. Les tentatives destinées à quantifier les bénéfices et à séparer ceux qui dérivent de l'ÉBA, plutôt que de l'éducation primaire, restent un défi pour les économistes de l'éducation. L'article de Windham (1999) est caractérisée par de nombreuses hypothèses sur les impacts économiques bénins de l'alphabétisation, mais donne peu de preuves des effets de l'alphabétisation sur le revenu. Il y a un besoin d'études comparatives sur ce thème20. 20 Iredale (1999, p. 351) conclut que, si l'on souhaite produire des résultats crédibles auprès des agences qui, comme la Banque mondiale, attachent une grande importance à l'analyse coûts-bénéfices, "il est nécessaire de concevoir une méthode de recherche, largement acceptée par les économistes et gestionnaires de projets des agences d'aide, qui puisse mesurer les bénéfices économiques des projets d'alphabétisation en préparation". 35 8.6 Les conséquences de l'ÉBA dans les pays du « Nord » L'éducation des adultes a joué un rôle spécial dans le développement historique des organisations non gouvernementales associées au développement de la démocratie dans les pays du «Nord»21. Par exemple, vers la fin du 19e siècle en Scandinavie, les écoles secondaires populaires ont joué un rôle important dans l'éducation des « gens du peuple ». Un enseignement libéral de plusieurs mois était dispensé en vue de former les futurs dirigeants et de créer des réseaux de communication entre eux. Un autre exemple est celui des associations d'éducation des adultes au cours des premières décennies du 20e siècle. Elles se réunissaient sous forme de groupes d'étude et utilisaient des technologies de l'enseignement à distance. Dans les pays où, depuis plusieurs générations, la grande majorité des adultes est alphabète, l'on s'attendrait à ce que celui qui est analphabète rencontre plus de difficultés qu'ailleurs. Dans ces pays, l'alphabétisation est présumée pour la participation à de nombreux secteurs d'activités économique et social. D'un autre côté, lorsqu'un certain niveau d'alphabétisation est atteint, il est plus facile de le conserver dans ces pays à cause d'un contexte hautement alphabétisé. Il y a un grand nombre de preuves qui démontrent l'avantage de lire, d'écrire et de calculer dans les pays de l'OCDE. Un sondage récent (OCDE, 1995), mené à une grande échelle dans 12 pays, a démontré que le degré d'alphabétisation d'un adulte (tel que mesuré par des tests) est fortement associé aux aspects économiques et aux indicateurs de qualité de vie. Il y a également dans le Nord des constats qui appuient le fait que l'alphabétisation améliore la communication dans les domaines qui ne sont pas nécessairement associés à la lecture et à l'écriture. Une étude menée à une petite échelle par Stauffer et al. (1978) à Boston, aux États-Unis, a trouvé une relation positive entre le niveau de lecture des adultes et l'habileté de se souvenir et de se servir des informations données à la télévision. Mais, tout comme pour les pays du « Sud », ces « faibles corrélations » ne donnent pas une bonne idée de ce que les adultes peuvent acquérir par l'alphabétisation. D'autres recherches vont dans le même sens. Par exemple, Beder (1999, p. 108- 116) a fait une récente réévaluation de 23 études consacrées à l'ÉBA aux États-Unis qui ont satisfait un minimum de rigueur méthodologique (ces études furent sélectionnées parmi 68 études qui comportaient des renseignements sur les résultats ou l'impact de l'éducation pour adultes). Parmi les investigations qui comportaient des données pertinentes, la plupart des études démontraient une amélioration aux niveaux de l'emploi et du salaire, une participation accrue dans l'éducation de leurs enfants, une influence positive sur la formationcontinue des participants, ainsi qu'une amélioration de leur estime de soi. En conclusion, les études démontrent un ensemble varié d'impacts similaires à ceux relevés dans les études qui ont été réalisées dans le «Sud». 21 L'exemple de l'Allemagne nazie a évidemment démontré qu'une population fortement scolarisée n'est pas nécessairement une condition suffisante pour assurer une bonne gouvernance. 36 8.7 Les impacts de l'ÉBA ou les effets de l'auto-sélection Les conclusions mentionnées plus haut sont associées à un certain nombre de résultats positifs, les mieux documentés étant l'autonomisation et l'appui envers l'éducation des enfants. Tout comme pour les autres types d'éducation, il existe encore des incertitudes sur le lien entre les impacts des programmes d'ÉBA et l'auto-sélection, puisque les personnes qui choisissent de participer à ces programmes peuvent avoir des traits de personnalité qui influencent favorablement les résultats. En pratique, la clientèle des programmes d'ÉBA est composée d'un ensemble de personnes analphabètes et semi-alphabètes. Vue cette diversité, il est important de tenir compte du temps passé à l'école formelle lorsqu'on évalue ces programmes. Une découverte importante a été faite lors d'une évaluation systématique et à grande échelle du programme d'alphabétisation fonctionnelle en Ouganda et de sa comparaison avec le programme REFLECT d'ActionAid (Okech et al., 1999). En effet, une très large proportion de participants (3 sur 4) avait déjà été exposés à un minimum de scolarité primaire. Cependant, comme le programme REFLECT avait attiré un plus grand nombre d'adultes qui avaient fréquenté l'école primaire, il était donc nécessaire de tenir compte de ce facteur dans l'analyse comparative des résultats. L'information sur les acquis préalables (par exemple les connaissances et les habiletés) des participants aux programmes d'ÉBA permet d'évaluer les impacts de ces programmes sur ces mêmes participants sur le long terme. Or ce type d'information est rarement compilé dans les études à grande échelle portant sur les impacts de l'éducation en général, pas seulement sur celle des adultes. Il y a toutefois l'étude de Sandiford et al. (1995), au Nicaragua, qui a respecté ce critère méthodologique dans la préparation de leur étude. Celle-ci fait état de l'impact bénéfique de l'ÉBA pour les mères sur la santé de leurs enfants. Quant à l'auto-sélection dans les programmes d'ÉBA, il s'agit clairement d'un avantage pédagogique. En effet, il est plus facile de travailler avec un groupe auto-sélectionné. De plus, la motivation des participants est un facteur clé pour assurer la bonne marche d'un cours et pour éviter les abandons22. 22 L'auto-sélection de participants motivés se produit aussi dans d'autres formations non obligatoires. Mais ce phénomène est surtout apparent dans les programmes destinés à des personnes qui ont beaucoup d'autres préoccupations que l'« école ». Cependant, essayer de « contrôler » ces traits favorables de personnalité (dynamisme, motivation, talent) lors de l'évaluation de l'impact de l'ÉBA nécessiterait de tenir compte des effets d'interaction. Selon Windham (1999, p. 343), il y a une faible synergie entre l'acquisition de la litéracie et les traits de personnalité. 37 Section 9 En réponse aux détracteurs des programmes d'ÉBA Certains opposants à l'ÉBA ont prétendu que ce type d'éducation a souffert d'une efficacité interne faible ­ marqué par des taux élevés d'abandon et une faible rétention des apprentissages ­ et donc, que les investissements ne sont pas justifiés. Mais les recherches récentes appuient une opinion décidément plus optimiste. 9.1 L'efficacité interne est-elle trop faible? Au cours des trois dernières décennies, le profil des programmes a changé. Les « campagnes de promotion » ont été remplacées par des projets qui répondent aux besoins des premiers concernés et qui sont orientés vers la communauté. De plus, il existe un plus grand éventail de recherches sur l'ÉBA qui remettent en cause le taux élevé d'abandons qui était l'apanage des programmes d'alphabétisation des années 70. Premièrement, le faible taux de réussite dans l'éducation formelle de certains pays n'a pas été considéré à prime abord comme une raison pour freiner l'investissement, mais plutôt comme une incitation à apporter dans les plus brefs délais des améliorations aux écoles primaires. Or, la situation de l'ÉBA ne devrait pas être différente. Deuxièmement, un taux élevé d'abandon ne signifie pas nécessairement que le programme d'ÉBA a échoué, sauf, bien entendu, si le programme visait des objectifs irréalistes comme l'éradication de l'analphabétisme sans tenir compte de la motivation des gens impliqués ­ les programmes contemporains d'ÉBA se sont détournés des objectifs d'éradication pour s'intéresser à des objectifs qui mettent l'accent sur les avantages sociaux pour les individus. C'est précisément à cause du caractère ouvert et volontaire de l'ÉBA que la déperdition du nombre de participants est une chose normale. Certains participants peuvent s'inscrire uniquement dans le but d'acquérir des compétences pratiques ­ par exemple les meilleures façons de récolter le miel naturel, de faire l'élevage des animaux, de fabriquer des produits artisanaux ­ et non pour apprendre à lire et à écrire, sans compter qu'ils n'avaient pas l'intention de passer des tests ou des examens. De plus, à cause de la nouveauté des activités en ÉBA ­ c'est-à-dire le fait que ces activités soient présentées comme un « événement spécial » dans le village ­ l'ÉBA peut attirer, dans un premier temps, des participants qui sont intéressés de manière superficielle (ceux qui se considèrent généralement comme « trop occupés »), et qui désertent le programme après quelques semaines. Enfin, si l'ÉBA réussit à devenir un événement populaire dans la communauté, elle pourra attirer un plus grand nombre de participants motivés, mais aussi des curieux et des spectateurs. La distinction est parfois difficile à faire entre ces deux catégories de personnes. 38 Ce qui est plus important que le taux d'abandon parmi ceux qui « s'étaient inscrits au départ » est le taux de réussite parmi ceux qui restent après la première phase d'exploration. Il est alors important que le nombre de participants soit suffisamment élevé pour rendre le cours viable et rentable. Comme le remarque Moulton23, la question essentielle est de savoir si la participation d'une personne, quelle que soit sa durée, l'aide à améliorer sa qualité de vie, lui fournit des occasions pour poursuivre son éducation ou l'aide à trouver un emploi. C'est pourquoi les principaux indicateurs de réussite devraient être l'impact du programme et le coût unitaire, par «diplômé» ou par «personne inscrite», plutôt que les mesures conventionnelles d'efficacité interne. Enfin, lorsqu'on mesure l'«efficacité», il est important de ne pas se limiter aux seuls résultats individuels d'apprentissage puisque l'ÉBA permet également à des groupes de personnes de travailler plus efficacement en vue d'améliorer leurs conditions de vie. Ainsi, une partie des bénéfices obtenus sera sous forme de capital social - et non seulement de «compétences» individuelles. Troisièmement, si l'on observe les mesures conventionnelles de l'efficacité interne, il y a lieu d'être optimiste à propos de l'ÉBA. Quant aux taux d'abandon et au fait de ne pas être en mesure de répondre aux critères de réussite, il y a d'importantes variations entre les programmes et les différents sites ou régions où sont offerts ces programmes à l'intérieur d'un même pays. Mais la tendance est bien meilleure que les opinions pessimistes le laissent croire. Oxenham et Aoki (2001) ont récemment examiné 17 programmes d'ÉBA. Dans la plupart de ces programmes, plus de 70 % des personnes qui s'étaient inscrites ont suivi le cours jusqu'au moment de l'examen final. Le taux moyen d'une telle « réussite » était de 78 %. Diagne (1999, p. A11-A12) a examiné d'autres programmes datant des années 90. Trois programmes ont fait état d'un taux de réussite de 90 % ou plus; dans deux autres, ce niveau était entre 70 et 75%; et enfin, dans les deux derniers programmes, ce taux étaient entre 30 et 50 %. Il semblerait donc qu'un taux d'abandon inférieur à 30 % serait la norme. Cependant, il y a un programme qui n'a pas fait partie des comptes rendus par Oxenham et Aoki ou par Diagne: c'est le programme sénégalais d'alphabétisation PAPF, qui est patronné par la Banque mondiale (voir l'encadré 2 ci-dessous). Ce programme a un taux national d'abandon estimé à 10 % seulement et ce, pour un cours d'une durée de 18 mois (Diagne, Gueye et Opper, 2000). De plus, il a atteint un grand nombre de la population : en cinq ans, près de 140 000 apprenants au total ont bénéficié de ce programme. Évidemment, il n'y a pas de règle absolue voulant que les programmes d'alphabétisation des adultes présentent un taux élevé d'abandon. La proportion des apprenants inscrits au départ, qui auront atteint les seuils minimaux de connaissances spécifiés par un programme, sera inférieure à celle des apprenants qui complètent la formation. Certains parmi ceux qui achèvent le programme ne réussiront pas l'examen. D'autres suivent le programme jusqu'à la fin mais décident de ne pas se soumettre à l'examen parce qu'ils ne 23 Communication personnelle avec J. Moulton 39 désirent pas courir le risque de subir l'affront d'un échec. Il existe donc d'importantes variations dans les taux de réussite, par exemple parmi les 14 programmes examinés par Oxenham et Aoki, ces derniers ont trouvé un écart entre 5 et 89 %. Mais le taux moyen était en fait de 60 % parmi les apprenants qui s'étaient inscrits au départ. Ces taux sont bien meilleurs que les impressions pessimistes d'autrefois, qui étaient fondées sur les programmes des années 70 (UNDP, 1976, p. 174), qui montraient un taux de 8 à 25 % seulement parmi les apprenants inscrits au départ qui ont achevé avec succès des programmes d'alphabétisation. 9.2 La rétention à long terme des apprentissages est-elle trop faible? Une autre critique de l'ÉBA a trait à la perte rapide des compétences acquises en lecture et en écriture. En faveur des matériels destinés à la post-alphabétisation, Ouane (1999) met l'accent sur le risque, pour un grand nombre de nouveaux alphabètes, de retomber dans l'analphabétisme si des efforts n'y sont pas consentis. Il recommande donc de fournir aux apprenants un contexte favorable à la suite de leur programme initial d'alphabétisation. L'usage régulier de la lecture et de l'écriture produit des bénéfices durables. Sans la perspective d'un usage continu, il n'y a aucune raison d'apprendre ces compétences. Les activités réussies de l'ÉBA peuvent, de façon informelle, évoluer vers des activités plus étendues (l'éducation permanente), et ce, si elles attirent des adultes au delà de l'« alphabétisation de base » (par exemple, des projets à caractère pratique, comme en Ouganda). Mais, en l'absence de tout effort spécial en vue de fournir du matériel de post-alphabétisation (par exemple, des textes d'appui à la lecture, des bulletins d'information locale, des bibliothèques, ou tout autre intervention propre à fournir l'occasion de lire et d'écrire), y a-t-il un risque d'atrophie des compétences? Dans la mesure où une faible rétention est un problème sérieux en éducation de base, ce problème caractérise aussi l'apprentissage de la lecture et de l'écriture dans les écoles primaires, comme l'ont observé Greaney et al. (1999, p. 19) au Bangladesh. Aussi bien pour l'école primaire formelle que pour l'ÉBA, on peut s'attendre à ce que la pérennité des compétences acquises sera fonction de la qualité de l'apprentissage initial, des occasions qui se présentent pour les utiliser, ainsi que de la motivation des apprenants de les mettre en pratique. Les chercheurs ne s'accordent pas sur la gravité du problème de la « faible rétention » des apprentissages en ÉBA. Malgré le peu de recherches sur ce sujet, Wagner et Stites (1999) affirment que la rétention des apprentissages dépendra de la qualité du programme initial d'instruction. Mais ils concluent qu'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions fermes. Dans son examen de huit études, Comings (1995) se fait optimiste en ce qui concerne la rétention des compétences en lecture chez les nouveaux alphabètes adultes. Mais il présume que la rétention des compétences en écriture et en calcul 40 dépende davantage d'un usage continu. Il ajoute que les critiques précédentes sur la faible rétention en matière de compétences en lecture s'appuient sur un nombre limité de documents. Ces conclusions pessimistes viennent probablement du fait que ces programmes ont été mal conçus au départ, et qu'il n'y a pas vraiment eu d'apprentissage sérieux, sans compter que les progrès réalisés en lecture ont probablement été exagérés (voir la section 10 qui conclut que les apprentissages réalisés en ÉBA sont dans l'ensemble généralement modestes). L'ÉBA est dispensée dans divers contextes. Dans des contextes à fort taux d'alphabétisation, où les manuels de lecture sont facilement accessibles, dans la langue enseignée, il sera plus facile de conserver les habiletés apprises et celles-ci se renforceront sans effort spécial24. On peut prendre l'exemple de l'Indonésie qui jouit d'un taux (officiel) d'alphabétisation relativement élevé (84%) selon les statistiques de l'UNESCO pour l'année 1998. Dans ce pays, contrairement à d'autres, l'alphabétisation est acquise dans la langue officielle (Bahasa Indonesia) qui est largement utilisée dans les communications écrites. Par conséquent, le contexte devrait être relativement «alphabétisé» pour les adultes des programmes d'ÉBA qui sont dispensés en langue Bahasa Indonesia. Selon Pukat Pengembangan Agribisnis (199?, p. 2-27) qui a évalué ce programme, les compétences s'améliorent avec le temps et ne s'atrophient pas. Cet auteur a constaté que les finissants des premiers programmes d'ÉBA ont obtenu de meilleurs résultats en lecture et en écriture que les finissants des programmes plus récents25. On a obtenu des résultats semblables au Kenya (Carron et al., 1989, p. 219). Lorsque les auteurs de cette étude ont soumis des diplômés du programme d'alphabétisation à un test, ils ont découvert que les personnes diplômées depuis quelques années ont obtenu de meilleurs résultats que celles qui avaient obtenu leur diplôme récemment. Ceci laisse croire que les compétences sont, en somme, conservées et développées, et qu'il n'y a pas lieu de croire à une « rechute dans l'analphabétisme ». Les gains concernaient surtout l'arithmétique (ce qui est conforme au besoin de se servir de ces compétences dans les transactions monétaires), mais aussi la lecture et l'écriture. L'évaluation menée en Ouganda en 1999 a montré qu'un laps de temps de deux ans ne cause pratiquement pas d'érosion des compétences en lecture et en calcul (Okech et al., 2001). C'est le cas des finissants des cours d'ÉBA qui n'ont pas continué à évoluer dans les cercles alphabétisés (ce que la 24 Saldanha se réfère à l'expérience en Inde, où il est plus difficile de développer l'ÉBA dans les villes que dans les régions rurales. À cause de la complexité institutionnelle, il est plus difficile de trouver du temps libre dans les villes que dans les villages. D'un autre côté, les apprentissages ont plus de possibilités de persister dans un environnement urbain (communication personnelle de Denzil Saldanha, voir aussi Saldanha, 1999b). L'expérience au Sénégal démontre d'ailleurs un plus grand problème d'assiduité dans la capitale que dans les villages. Mais les données ne permettent pas de généraliser ce phénomène au niveau international. Carron et al. (1989, p. 215, 219) ont plutôt constaté une plus grande assiduité dans les régions urbaines que rurales du Kenya. 25 Une autre possibilité pourrait être une plus grande auto-sélection de la part des premières cohortes, ces dernières possédant des traits de personnalité plus favorables (motivation, expérience préalable de l'école). 41 plupart d'entre eux font généralement)26. Bien que les compétences en lecture et en calcul soient relativement enracinées chez les nouveaux alphabètes, il est quand même nécessaire de leur fournir du matériel de lecture et d'en assurer la diffusion. Ce besoin est particulièrement pressant dans les régions où il y a très peu de matériels disponibles dans la langue utilisée dans les cours. Cela est courant dans les pays où le taux d'analphabétisme est déjà très élevé. Le besoin de matériels complémentaires et d'interventions ciblées dépasse cependant le risque de rechute dans l'analphabétisme. En effet, il ne s'agit pas uniquement du cas des nouveaux alphabètes, mais aussi de tous les adultes qui ont été scolarisés à l'école primaire formelle. Plusieurs types d'intervention devraient donc être mis sur pied pour rendre l'information accessible aux alphabètes (et aussi aux analphabètes). Elles peuvent inclure des petites bibliothèques en milieu rural et même des centres de ressources communautaires utilisant les technologies modernes de l'information et des communications. Cependant, ce domaine est encore très peu développé et nécessite la mise en place de projets pilotes et d'études d'évaluation. 9.3 Les coûts sont-ils trop élevés par rapport aux résultats? Un moyen d'évaluer les coûts des programmes d'ÉBA est de les comparer avec ceux de l'éducation primaire. Cependant, il faut utiliser ces comparaisons avec précaution. Tout d'abord, l'école primaire se fixe des objectifs d'apprentissage plus larges que ceux de la simple alphabétisation. Il en est de même pour l'éducation de base des adultes. Dans cette dernière, les objectifs se rapportent beaucoup plus à la vie des adultes et à leurs responsabilités. Étant donné que les adultes ont plus de pouvoir que les enfants, ils auront aussi l'habilité de mettre en pratique plus immédiatement d'autres compétences pratiques que les seules compétences de lecture et d'écriture. Cependant, l'éducation primaire et l'ÉBA partagent des objectifs communs de transmission des rudiments en lecture, en écriture et en arithmétique. Ces objectifs sont établis pour des groupes d'âge différents. Tout adulte a déjà fait partie du groupe ciblé par l'éducation primaire, et les adultes forment un groupe qui, d'après les politiques reconnues sur le plan international d'Éducation pour tous, devrait avoir accès à l'éducation de base. Or, est-il possible d'offrir une éducation de base aux adultes motivés à des coûts similaires ou inférieurs à ceux de l'éducation primaire? Les analyses montrent que l'ÉBA peut être un moyen relativement peu coûteux d'alphabétiser une personne et de lui donner un accès minimal au monde de l'écrit. Le coût unitaire à l'école primaire sert 26 Selon le professeur Lalage Bown, Glasgow University, une étude sur le résultat des apprentissages au cycle primaire au Ghana révèle qu'il y a une forte rétention des habiletés en arithmétique et en lecture, alors que les habiletés en écriture sont plus vulnérables. 42 d'étalon de comparaison, non seulement parce que l'alphabétisation est aussi acquise à ce niveau, mais aussi parce que les coûts de l'école primaire sont les moins élevés du système scolaire formel. S'appuyant sur une hypothèse prudente, les adultes qui ont réussi à l'examen final dans les programmes d'ÉBA ont généralement atteint un niveau d'alphabétisation équivalent à deux années de scolarité au primaire. Wagner (1995, p. 344) a dérivé ces coûts unitaires en se basant sur les programmes d'ÉBA au Guatemala, en Équateur, en Tanzanie et aux États-Unis. De façon constante, ces coûts se sont avérés plus bas pour parvenir à une « alphabétisation minimale »27. Okech et al. (1999, p. 105-10, 174) ont découvert dans leur étude du programme d'alphabétisation fonctionnelle pour adultes géré par le gouvernement ougandais, que les finissants des programmes d'ÉBA ont mieux réussi aux tests que les enfants de 4e année du cycle primaire et cela, même pour les adultes qui ne sont jamais allés à l'école. Leur analyse des coûts (faite par Roy Carr-Hill) a montré que le coût d'une formation de trois ou quatre années d'éducation primaire excède très largement celui de l'ÉBA. Il est important de noter que, dans les deux cas, le niveau d'alphabétisation était relativement très bas. Oxenham et Aoki (2001) ont comparé récemment des données concernant les coûts de huit programmes d'ÉBA. Ils ont conclu que le coût unitaire d'un programme d'alphabétisation pour adultes varie entre un maximum de près de la moitié des coûts unitaires annuels pour une éducation primaire et un minimum de près du septième de ces mêmes coûts. Ils ont comparé ces coûts avec ceux du programme au Népal. Dans ce dernier, un adulte qui a complété un cours de neuf mois a atteint un niveau de compétences équivalent à celui d'un élève de 5ème ou de 6ème années (Comings et al., 1998, p. 17). Oxenham et Aoki concluent que « les effets de cinq ou six années de scolarité peuvent être obtenus en moins d'un an par un programme d'alphabétisation pour adultes et ce, entre un douzième et un quarantième des coûts ». On peut aisément voir que l'ÉBA apparaît comme un moyen peu coûteux, bien que cela corresponde à une équivalence moindre en nombre d'années de scolarité. Il faut toutefois souligner que même si l'ÉBA apparaît comme un moyen peu coûteux d'atteindre un « minimum d'alphabétisation », l'ÉBA n'est pas une alternative à l'école primaire. Comme on l'a déjà noté, il y a une auto-sélection en ÉBA, ce qui fait que les participants sont très motivés et prêts à fournir un effort. Tel ne serait pas le cas si l'ÉBA était une alternative à l'école primaire pour la majorité de la population. Plutôt, l'ÉBA est considérée comme une deuxième chance de recevoir une éducation pour un groupe d'adultes auto-sélectionnés dont certains n'ont jamais fréquenté l'école. De plus, si ces adultes motivés acquièrent les rudiments en lecture et en écriture plus vite que ne le font les élèves du primaire, cela ne signifie pas que tous les autres adultes réussiront aussi bien. L'ÉBA et l'éducation primaire ne sont pas des choix mutuellement exclusifs, mais plutôt des activités complémentaires qui se 27 Pour ne pas sous-estimer les coûts de l'ÉBA, Wagner a tenu compte, non seulement des ressources utilisées par ceux qui ont complété le programme, mais aussi par ceux qui l'ont abandonné ou par ceux qui n'ont pas réussi à l'examen final. Dans ces études de cas, la langue d'enseignement était la même que celle utilisée à l'école primaire. 43 renforcent mutuellement. Il est important de rappeler que les arguments en faveur de l'ÉBA ne repose pas sur une acquisition à peu de frais d'une alphabétisation de base pour ceux qui la souhaitent. Les adultes analphabètes et semi-alphabètes forment un groupe distinct qui a également droit à une éducation de base. L'ÉBA a d'autres buts et bénéfices que la seule alphabétisation de base. 9.4 Les adultes sont-ils trop âgés pour apprendre? Il existe des théories en matière d'apprentissage qui laissent entendre que l'habileté des adultes analphabètes à acquérir une maîtrise de base de la lecture est restreinte par l'âge ­ d'où l'hypothèse selon laquelle on ne peut s'attendre à ce que l'ÉBA permettre aux adultes analphabètes de lire ou de comprendre des textes plus complexes28. Cependant, dans la mesure où les adultes, par opposition aux enfants, sont tenus pour responsables dans leur apprentissage, il y a d'autres considérations qui entrent en ligne de compte pour contrebalancer ce désavantage. Comme indiqué, il existe de nombreuses preuves que les adultes qui s'inscrivent dans les programmes d'ÉBA peuvent acquérir les rudiments de la lecture plus rapidement que ne le font les enfants à l'école primaire. C'est la raison essentielle pour laquelle l'ÉBA est une façon économique d'atteindre un niveau minimal d'alphabétisation pour ceux qui la souhaitent. Ces résultats s'appuient sur les recherches de Comings et al. (1998) au Népal, et celles de Okech et al. (1999) en Ouganda. Dans ce dernier cas, les auteurs ont utilisé un test «conservateur» pour déterminer le niveau de réussite dans l'ÉBA. Les élèves du primaire, qui ont été comparés à des apprenants des programmes d'ÉBA, étaient inscrits dans des écoles reconnues comme les meilleures de la région, là-même où étaient dispensés les cours d'ÉBA. Les auteurs se sont également interessés à identifier les participants aux programmes d'ÉBA qui avaient déjà bénéficié d'une certaine scolarité. Dans le cas ougandais, les apprenants qui étaient plus jeunes (âgés de 16 à 29 ans), ont obtenu en moyenne de meilleurs résultats que les adultes plus âgés. Mais les meilleurs résultats des «diplômés» de l'ÉBA, par comparaison aux enfants de l'école primaire des classes de troisième et quatrième années, s'appliquent aussi aux diplômés de l'ÉBA qui sont plus âgés, c'est-à-dire ceux qui sont dans la tranche d'âge de 30 à 49, voire ceux qui sont âgés de 50 ans et plus (tableaux 6.9, 6.10, 6.17 dans Okech et al., 2001). À la lumière de ces constats, il est permis de croire que même les écoles qui passent pour être les « meilleures écoles primaires » dans les régions rurales étaient de qualité médiocre. Toutefois, ces résultats infirment l'idée selon laquelle, quand on est « trop vieux », on a de sérieux handicaps dans l'acquisition des rudiments de base dans les programmes d'ÉBA. Il est possible de croire que l'une des raisons qui justifient ces « bons résultats » est la motivation qui anime les personnes inscrites dans les programmes d'ÉBA. Cela cadre parfaitement avec la stratégie de l'ÉBA qui répond à des besoins réels et non pas à des impératifs de campagnes populaires qui visent les 28 Abadzi (1994). 44 adultes réticents dans le but d'« éradiquer l'analphabétisme ». 45 Section 10 Qu'apprend-on dans les programmes d'ÉBA? Comparer les résultats des tests des adultes avec ceux des élèves du cycle primaire peut nous renseigner sur les résultats relatifs en matière d'éléments comparables de compétences. Mais cela n'indique pas le niveau de maîtrise des compétences au «moment de la réussite», lequel varie d'un programme à l'autre. En effet, certains programmes (notamment en Indonésie et en Namibie) peuvent démontrer une «moment de réussite» à plusieurs niveaux; d'autres auront un seul niveau d'«alphabétisation de base». Les recherches sur les résultats réels d'apprentissage dans l'ÉBA sont, cependant, plus rares que celles sur l'«efficacité» et l'impact de l'ÉBA. Après l'examen des programmes d'ÉBA dans le cadre du projet BELOISYA, Diagne et Oxenham (à paraître) ont trouvé que 13 programmes sur 27 font état de la maîtrise des compétences et qu'ils se servent de méthodes différentes pour évaluer l'acquisition des apprentissages. Ces méthodes consistaient en des entrevues, des tests, des questionnaires, des auto-évaluations, des discussions et des observations. Il semble y avoir une grande diversité entre et au sein même de ces 13 programmes. La diversité des rapports ne permet pas la moindre comparaison des standards ou des niveaux d'acquisition, ni d'établir des inférences fiables. La recherche sur les résultats d'apprentissage est également rare au niveau du cycle primaire. Cependant, il existe quelques études provenant de pays en développement qui indiquent que la plupart des élèves des écoles primaires n'ont pas le niveau de compétences requis correspondant aux contenus d'apprentissage et à l'année de scolarité. Au Bangladesh, une recherche menée par Greaney et al. (1999, p. 17) indique qu'un niveau d'alphabétisation de base qui, selon les programmes d'études du primaire, doit être atteint après deux ou trois années de scolarité (désigné ici comme le « Niveau Minimum de Compétences »), prend en fait plus de temps dans la majorité des cas. La lecture nécessite plus de trois ans de scolarité. Pour l'écriture, l'atteinte du niveau minimum nécessite six ans (l'école primaire offrant seulement cinq niveaux). Enfin, les opérations arithmétiques de base requièrent plus de cinq niveaux pour la majorité des élèves29. En Ouganda, l'équivalence des résultats moyens obtenus en quatrième année de l'école primaire ­ niveau généralement atteint par la plupart des adultes après 12 à 18 mois de cours d'alphabétisation ­ représente un niveau faible de maîtrise des compétences en lecture, en écriture et en calcul (bien que toutes ces matières aient été enseignées dans la langue de l'apprenant). La lecture s'acquière le plus 29 La maîtrise à l'oral d'opérations mathématique, au «seuil minimal de compétence», est généralement atteint vers la quatrième année du cycle primaire. Il faut souligner que les personnes évaluées dans les échantillons (N = 5 200) étaient âgées entre 11 et 50 ans. Ainsi, autant les gains que les pertes d'apprentissage, depuis la fin de leur scolarité, sont représentés dans ces résultats. Les données révèlent que les compétences à l'oral en arithmétique vont en s'améliorant avec l'expérience acquises après l'école (p. 19), chez les personnes peu scolarisées (qui ont jusqu'à une troisième année), mais que les habiletés en lecture et en écriture se perdent significativement «après l'école». 46 facilement, viennent ensuite l'écriture et les habiletés en calcul. Mais les réalisations en ÉBA demeurent assez rudimentaires. Okech et al. (1999) écrivent à ce sujet : «Les tests ont fait ressortir que tous peuvent lire et comprendre les neuf questions simples relatives à leur nom, à la date, au nom du président, etc. Cependant, le résultat moyen pour les neuf opérations simples d'arithmétique était tout juste de 70%, et le résultat moyen à six questions de compréhension plus difficiles, où l'adulte doit lire et comprendre une question dans un court paragraphe était de 60%. Enfin, la moyenne des résultats à quatre questions simples liées à l'écriture était tout juste inférieure à 40%» (p.v) . 30 Il est désolant de constater que les élèves inscrits à l'école primaire ont obtenu des résultats inférieurs après quatre années de scolarité. Les études de quelques programmes dans d'autres pays montrent également une faible maîtrise des compétences. Parmi les finissants des cours d'alphabétisation en Tanzanie, 60% d'un échantillon de 269 personnes qui ont subi un examen de lecture, pouvaient «lire une courte histoire d'un peu plus d'un paragraphe, écrite dans un style simple». Seulement 11% pouvaient «lire des syllabes et des mots simples composés d'un maximum de deux syllabes» (Carr-Hill et al., 1991, p. 45 et 289). Quant à l'arithmétique, l'étude tanzanienne montre que 75% (sur un échantillon de 270 personnes) des adultes ayant terminé un cours d'alphabétisation étaient capable de compléter les quatre opérations arithmétiques de trois chiffres; par contre, seulement un quart d'entre eux pouvait lire, comprendre et résoudre un problème «qui se rapporte à la vie réelle», et qui implique de telles opérations. Au Kenya, 29% des personnes d'un échantillon semblable (N=291) composé d'apprenants qui ont fini le cours d'alphabétisation, ont démontré qu'elles pouvaient «lire et comprendre un texte court se rapportant à la vie de tous les jours» et 51% pouvaient au moins «lire et comprendre des phrases simples» (Carron et al., 1989, p. 189). Il demeure cependant que 20% ont atteint des résultats inférieurs à ce niveau. Quant à l'arithmétique, 73 % des 291 adultes qui ont subi le test étaient au moins «généralement capables de faire des additions et des soustractions simples et plus complexes, ainsi que des multiplications et des divisions simples» (p. 184 et 189). En conclusion, le niveau de compétences en lecture, en écriture et en calcul, atteint dans les programmes d'ÉBA, est généralement modeste. Mais ce qui importe le plus, c'est de savoir si ce niveau est assez élevé pour servir de base à des apprentissages ultérieurs lorsque ces compétences sont utilisées dans la vie de tous les jours. Comme on l'a observé plus haut, il y a lieu d'être optimiste, mais de manière prudente, dans le cas des compétences en lecture et en calcul. En ce qui concerne les compétences en 30 "The tests revealed that nearly everyone could read and understand the nine very simple questions about their name, today's date, who is the President, etc. However, the average score for the nine rather simple numeracy items was only just over 70 % and the average score with six more complicated comprehension questions where the learner is asked to read and understand a question contained in a sentence or a short passage, was only just over 60 %. Their scores for four relatively simple writing tasks were worse still, with a mean score of just under 40 %." 47 écriture, elles semblent moins fermement établies chez les adultes nouveaux alphabètes31. Toutefois, certains impacts positifs relevés dans l'ÉBA (sens accru d'auto-efficacité, soutien à la scolarité des enfants) peuvent être de taille, surtout lorsque les gains en matière d'alphabétisation sont relativement modestes. Ces impacts sembleraient être alors, dans une large mesure, des attitudes et un capital social construits par l'ÉBA en tant qu'activités sociales. 31 Le modèle voulant que «l'écriture soit en retard sur la lecture» correspond aussi à l'évolution de l'alphabétisation dans les pays économiquement avancés. 48 Section 11 Les choix politiques Lorsqu'il est question d'investissement en ÉBA, les gouvernements, les organisations non gouvernementales et les bailleurs de fonds sont inévitablement confrontés à des choix politiques. Les interrogations peuvent être soulevées : ?? Quels groupes doit-on cibler? ?? Quels sont les rôles respectifs des agences gouvernementales, de la société civile (y compris la sous-traitance impliquant les organisations non-gouvernementales), et des entreprises commerciales? ?? Quelles stratégies faut-il appuyer? (campagne d'information, système centralisé, initiatives communautaires et sous-traitance) ?? Comment recruter, former, appuyer, diriger et rémunérer les instructeurs? ?? Quelle langue d'enseignement faut-il utiliser? ?? Quel niveau d'utilisation des techniques modernes d'information et de communication est-il concevable d'envisager pour l'ÉBA? ?? Quel contenu d'enseignement faut-il adopter? ?? Faut-il mettre en place une structure d'équivalence avec l'enseignement formel? ?? Quels matériels pédagogiques faut-il utiliser? ?? Quelles méthodes pédagogiques faut-il employer? ?? Quelles mesures spéciales faut-il à prendre pour garantir une efficacité interne adéquate? ?? Comment faut-il financer les activités d'ÉBA? ?? Qu'en est-il du suivi et de l'évaluation des programmes d'ÉBA? Certaines questions sont de nature «politique», d'autres sont plus «techniques». Dans l'ensemble, cependant, toutes ces questions doivent faire l'objet de choix de politiques et appellent des décisions qui vont orienter l'ÉBA dans un contexte déterminé. 11.1 Les groupes-cibles Le ciblage de certains groupes doit permettre de définir les zones géographiques, les modalités de recrutement et les contenus d'enseignement de l'ÉBA. Pourtant, il y a souvent lieu de demeurer flexible et ouvert vis-à-vis d'adultes qui ne font pas partie de ces groupes et ce, étant entendu que l'admission ne se fera pas aux dépens d'une personne appartenant à un groupe ciblé. Si l'on veut faire de l'ÉBA «un événement d'apprentissage à l'intention de la communauté», il n'est pas raisonnable d'exclure les adultes qui sont désireux d'apprendre sous prétexte qu'ils «ont déjà trop fréquenté l'école» ou qu'ils semblent «être trop âgés» pour un cours qui viserait les jeunes adultes non scolarisés. 49 L'âge est un premier critère dans le ciblage des groupes. Si on part du principe que l'objectif essentiel de l'ÉBA consiste à développer des compétences en lecture, en écriture et en calcul à l'intention des adultes qui n'ont pas bénéficié de l'éducation primaire, on peut croire que l'ÉBA n'est pas destinée à ceux qui devraient plutôt être inscrits à l'école primaire. Si l'on fait des exceptions, il faut toutefois s'assurer que l'accès à l'ÉBA des enfants en âge de scolarisation ne se fera pas au détriment du développement de l'école primaire. D'autre part, il faut également s'assurer que ces élèves auront accès à une pédagogie différente de celle utilisée pour les adultes. D'autres critères de ciblage pourraient inclure : ?? les femmes et les mères d'enfants en âge scolaire; ?? les régions/les localités où le taux d'analphabétisme est plus élevé; ?? les endroits (y compris les individus) qui démontrent un besoin sérieux d'ÉBA; ?? les groupes déjà constitués qui peuvent appuyer des programmes d'ÉBA (les groupes religieux, les associations, les entreprises commerciales et industrielles, l'armée); ?? les dirigeants de la communauté; ?? les groupes de travailleurs, en particulier ceux qui sont susceptibles de bénéficier de l'ÉBA (les dirigeants de petites entreprises); ?? les jeunes adultes; et ?? les groupes particulièrement vulnérables (les adolescents de la rue, les groupes minoritaires marginalisés). Les choix relatifs au programme, aux matériels d'apprentissage et à l'approche pédagogique à adopter devraient tenir compte de l'expérience et des attentes du groupe-cible. L'équivalence avec l'éducation formelle, par exemple, est susceptible d'être plus importante pour les jeunes adultes que pour les adultes d'âge mûr. Les variations régionales, rurales ou urbaines sont également de poids, surtout pour le choix de projets à caractère pratique qui se rapportent à la vie quotidienne. Le coût et la taille d'un groupe-cible limitera les possibilités de concevoir des programmes d'ÉBA sur mesure. Le programme d'alphabétisation fonctionnelle des adultes en Ouganda présente quant à lui une gamme de solutions pour l'acquisition de matériels pédagogiques en provenance de l'extérieur en vue de leur adaptation aux conditions locales. Le programme REFLECT d'ActionAid, qui adopte plutôt une approche fortement orientée vers le groupe-cible et les circonstances locales, fait usage de matériels pédagogiques conçus dans chaque site local (voir l'encadré 3 ci-dessous). La conception générale que l'on se fait d'un groupe-cible en ÉBA est celle d'un groupe d'adultes analphabètes et semi-alphabètes (ainsi que des jeunes au-dessus de «l'âge moyen de scolarisation») qui demandent accès à l'éducation. Concevoir un programme d'ÉBA qui vise à inclure également des apprenants récalcitrants dans la perspective d'éradiquer l'analphabétisme est une recette qui risque de produire une mise en oeuvre boiteuse. Par contre, la réponse à une demande expresse ou à un besoin en matière d'ÉBA ne devrait pas constituer un critère absolu. En effet, il y a lieu d'inclure aussi les 50 personnes qui sont dans le besoin ou celles qui ne sont pas susceptibles de s'organiser par elles-mêmes pour formuler une demande d'ÉBA, c'est le cas des enfants de la rue. L'ÉBA peut être une composante d'un projet ou une activité organisée dans le cadre d'un autre programme. Choisir un «groupe» déjà établi peut aider à maintenir la motivation, puisque les participants ont déjà d'autres raisons de se rencontrer. C'est le cas pour les groupes locaux de fermiers qui ont pour but de développer de nouvelles cultures ou les assemblées religieuses. Cependant, on se pose la question à savoir jusqu'à quel point le programme et le matériel d'apprentissage doivent être adaptés aux objectifs et à la raison d'être du groupe. L'apprentissage sera facilité dans la mesure où les apprenants sont conscients qu'il existe un lien étroit entre l'alphabétisation et les fonctions qu'ils exercent. Il en est ainsi, par exemple, dans les programmes d'alphabétisation à l'intention des élus locaux (au Sénégal) ou des programmes d'ÉBA à l'intention de femmes à la tête de petites entreprises. L'importance de cibler les femmes analphabètes provient tout autant des objectifs d'équité sociale que pour des raisons d'efficacité. Dans la plupart des pays africains, la majorité des adultes analphabètes sont des femmes. Ces femmes sont plus motivées à s'inscrire aux cours d'ÉBA que les hommes analphabètes et ce, même dans les pays où les hommes constituent la majorité des analphabètes . 32 Comme on l'a noté plus haut, l'ÉBA, en touchant les mères (ou celles qui vont le devenir), appuie en même temps l'éducation des jeunes enfants. 11.2 Les rôles du gouvernement et des ONG Le gouvernement et les ONG, quelle que soit leur forme institutionnelle, exercent habituellement une responsabilité vis-à-vis de l'ÉBA. Dans la plupart des pays en développement, le mot «gouvernement» renvoie à l'État central et à la présence locale de son appareil administratif. Toutefois, la décentralisation est un processus en cours dans plusieurs pays, avec la mise en place de gouvernement élus aux niveaux régional ou local. En Afrique, on peut citer les cas de l'Ouganda, de l'Éthiopie, du Sénégal, de l'Afrique du Sud et du Mozambique. Les ONG diffèrent, quant à elles, selon leur niveau de structuration (international, national, régional ou local). Elles diffèrent également selon leur base communautaire au niveau local. Il existe ainsi une variété de combinaisons. Les OC (Organismes Communautaires) seraient des ONG locales à large base communautaire. À l'autre extrême se trouveraient les ONG internationales qui, en dehors de leur «projet», n'ont aucune présence effective dans la localité même où elles fonctionnent. Il y a aussi des 32 Dès les premières années des campagnes d'alphabétisation de l'UNESCO, il y avait une fortereprésentationféminine­ même avant que les questions d'équité et d'accès à l'éducation n'occupent l'agenda des organisateurs (UNDP, 1976, p.162). 51 ONG qui possèdent une solide base communautaire et une solide organisation centrale au niveau international. L'Église catholique en est un exemple parfait:elle serait selon toute apparence la plus grande ONG du monde. De plus, par «local», il ne faut pas nécessairement entendre une solide base communautaire. Certaines ONG locales sont en fait étroitement liées à leur promoteur, étant destinées à pourvoir aux besoins de ces derniers tout en rendant service; elles fonctionnent comme un petit commerce dans leurs relations avec le gouvernement et les bailleurs de fonds. Le gouvernement aurait raison de vouloir réglementer l'ÉBA. La réglementation est implicite lorsque le gouvernement assure la prestation des services de l'ÉBA. Lorsque ce n'est pas le cas, la raison d'être de la réglementation est d'autant plus forte que le gouvernement est l'agent-payeur. Dans le cas où l'ÉBA est destinée à faire partie d'un système plus large, il y a un certain nombre de fonctions stratégiques qui doivent être remplies, dont la planification à long terme, la formation du personnel, la gestion financière et un système de contrôle de la qualité. Les grandes ONG peuvent accomplir de telles fonctions vis-à-vis des services qu'elles dispensent. Cependant, si l'ÉBA doit être soumise à la vision globale d'une orientation politique et si l'objectif est de développer l'ÉBA à une échelle plus grande que la fourniture des prestations par les ONG ne le permette, alors ces fonctions sont les premières généralement exercées par le gouvernement. Le gouvernement se doit donc d'allouer les ressources financières requises et d'affecter des personnels compétents à ces fonctions essentielles. Le gouvernement jouera également un rôle dans l'adoption de mesures visant à encourager la motivation pour l'alphabétisation (par exemple, les conditions qu'il pose pour l'obtention de certains permis), à soutenir la formation continue (un système de bibliothèques publiques) et à organiser des cours d'alphabétisation qui s'adressent directement à ses propres employés. Un leadership efficace est requis dans des cas où il faudra changer ou remettre sur pied un système qui, pour une raison ou une autre, n'a pas bénéficié de ressources suffisantes et a fait preuve de peu d'efficacité. Comme l'a souligné Bennett (1995, p. 9), si l'ÉBA devient une priorité du gouvernement et des agences de financement extérieures et ce, parce que le niveau d'activités dans la plupart des pays a été, au cours des dernières décennies, remarquablement faible, alors il sera nécessaire d'investir considérablement dans le développement institutionnel. Plusieurs ministères sont souvent responsables d'un aspect de l'ÉBA. Si un gouvernement souhaite formuler une politique de relance de l'investissement dans l'ÉBA, il y a lieu de réexaminer les rôles que devraient jouer les différents ministères ou agences. La question suivante est fréquemment soulevée: Lequel parmi ces deux arguments est le plus solide : intégrer les activités de l'ÉBA dans un service gouvernemental unique ou confier à chaque agence le soin d'intégrer les activités de l'ÉBA dans son secteur particulier (par exemple, l'agriculture, la défense, le développement du gouvernement local)? Il existe d'autres solutions que d'administrer l'ÉBA à travers les ministères du gouvernement. En Côte d'Ivoire, par exemple, la responsabilité de l'alphabétisation des adultes incombe à une fondation nationale indépendante qui peut recevoir et gérer des dons ou legs, des transferts de l'État ou d'organismes caritatifs, et qui peut signer des contrats de prestations. Cette fondation est dirigée par un conseil composé de représentants de groupes constitués qui appartiennent aux organisations les plus 52 importantes dans le domaine de l'alphabétisation pour les adultes. Au Sénégal, la responsabilité de la gestion des contrats avec les ONG et avec les petites entreprises qui administrent les programmes d'ÉBA sous financement du gouvernement, incombe à une agence indépendante qui fonctionne selon des principes de gestion commerciale. Si le principal souci est celui de réduire le taux d'abandon dans les programmes d'ÉBA, les quelques études disponibles ne fournissent pas d'indications précises sur le choix du gouvernement ou de l'ONG prestataire de services. Dans une évaluation de 17 programmes réalisée par Oxenham et Aoki (2001), les auteurs ne sont pas parvenus à trouver une quelconque supériorité des prestations des ONG par rapport à celles de l'État et ce, en matière de taux de réussite parmi les personnes qui, au terme de leur programme, se sont présentés à l'examen final. Parmi ces programmes, le mouvement d'alphabétisation de Nijera Shikhi au Bangladesh (Cawthera 1997) et trois exemples de projets qui ont mis à profit l'approche REFLECT d'ActionAid (Archer et Cottingham 1996) ont été qualifiés de réussite; tous ces programmes appartenaient à des ONG. Mais tel fut également le résultat auquel est parvenu le programme d'alphabétisation appuyé par l'État indonésien qui fait état d'un taux d'achèvement variant entre 78% et 90%. De même, des programmes gouvernementaux en Iran et en Thaïlande, datant des années 70, ont fait état de taux d'achèvement supérieurs à 80%. Dans le Programme national d'alphabétisation en Namibie qui est en cours, géré par l'État, 53% des personnes inscrites au départ (une proportion pour le moins raisonnable) ont réussi le test d'alphabétisation administré au terme de la première phase (alphabétisation de base dans sa langue). Ainsi, il n'existe pas de loi absolue qui dicte qu'un État ne peut pas mettre sur pied ni soutenir efficacement un programme d'ÉBA à grande échelle. Mais, on peut s'attendre à ce que les programmes gouvernementaux les mieux réussis soient ceux qui s'appuient sur une solide base communautaire, qui répondent à des besoins manifestés au niveau local et non pas à travers des compagnes de promotion comme celles des années 70. À titre d'exemple, on peut citer le programme d'Alphabétisation fonctionnelle pour les adultes (Functional Adult Literacy, FAL), qui est géré par le ministère de la Femme, du Travail et du Développement social en Ouganda (voir encadré 1 plus bas). Indépendamment du fait que le gouvernement est ou non le prestataire des services d'ÉBA, plusieurs arguments militent en faveur d'une politique de collaboration étroite avec les ONG/OC : ?? le partenariat peut mobiliser plus de ressources financières et humaines en faveur de l'ÉBA; ?? les ONG ont une solide expérience dont le partenariat pourrait tirer profit; ?? en favorisant la diversité des prestations, les ONG peuvent assurer à l'ÉBA la flexibilité dont elle a besoin afin de mieux prendre en compte les conditions locales; ?? impliquer les OC est un moyen pour l'ÉBA de s'assurer le soutien socialdont elle a besoin au niveau local; et ?? le développement d'une association nationale d'ONG et d'OC peut fournir au gouvernement les réactions et commentaires des groupes d'intérêt indépendants. 53 La collaboration dépend de la présence d'objectifs communs et d'une confiance mutuelle. Ces conditions préalables ont tendance à se renforcer au fur et à mesure que le gouvernement est plus largement établi et plus sensible à une société civile pluraliste. La collaboration entre le gouvernement et les ONG sera d'autant plus forte quand l'expertise et la taille des opérations des ONG seront dominantes et que le gouvernement à son tour souhaitera investir dans l'ÉBA. Mais le partenariat peut apporter plus que de simples efforts distincts. C'est ainsi que le gouvernement en Namibie est à la recherche d'un partenariat avec des ONG afin d'améliorer ses propres prestations d'ÉBA, qui sont à «grande échelle», qui se multiplient, et qui produisent un taux raisonnable de réussite (Policy Guidelines for the Second Phase of the National Literacy Programme 1996-2000, p. 36). Certaines ONG peuvent avoir une expertise technique spéciale qui est utile pour le système national. En Ouganda, LABE (une ONG nationale) apporte son aide au gouvernement dans la formation des formateurs et des instructeurs. SIL (Summer Institute of Linguistics) est un autre exemple du soutien apporté aux programmes gouvernementaux dans un bon nombre de pays. Son soutien consiste dans le développement de l'orthographe dans les langues locales. Au cours de l'année 2000, le gouvernement du Mozambique a procédé à une large consultation avec les ONG en vue de parvenir à une nouvelle politique en matière d'ÉBA. 54 Encadré 1 ­ L'alphabétisation fonctionnelle des adultes en Ouganda Le programme FAL (Functional Adult Literacy) est placé sous la responsabilité du ministère de la Femme, du Travail et du Développement social. Une évaluation complète du programme FAL et de certains programmes des ONG vient d'être achevée (Okech et al., 1999, 2001). En opération depuis trois ans, le programme FAL a réussi, au début de 1999, à inscrire près de 140 000 apprenants adultes dans 26 des 45 régions. À titre de comparaison, le chiffre total des inscriptions dans les cours d'alphabétisation qui sont gérés par les diverses ONG est estimé entre 20 000 et 30 000 inscriptions. Bien que les données sur le taux d'abandon du programme ne sont pas disponibles, il est surprenant de constater que la grande majorité des adultes qui sont diplômés à la suite d'un examen d'alphabétisation (qui requiert entre 200 et 250 heures d'enseignement réparties sur un an) continue à participer au programme ­ ce qui démontre l'attrait exercé par les activités de groupe sur les participants qui ont achevé le programme. Les diplômés du programme d'alphabétisation fonctionnelle des adultes ont été comparés à un échantillon d'élèves de la même localité qui avaient terminé la troisième ou la quatrième année de scolarité dans des écoles primaires de renom. Les diplômés du programme d'alphabétisation fonctionnelle des adultes ont obtenu de meilleurs résultats dans les tests de lecture, d'écriture et de calcul. Ont également été comparés les résultats obtenus dans les tests par les diplômés du programme d'alphabétisation fonctionnelle des adultes, ainsi que par ceux du programme REFLECT d'ActionAid. Les diplômés du programme d'alphabétisation fonctionnelle des adultes ont obtenu des résultats légèrement supérieurs parmi des apprenants qui n'avaient jamais fréquenté l'école. Les diplômés du programme REFLECT semblent avoir obtenu des résultats légèrement supérieurs parmi les apprenants qui avaient quelque peu fréquenté l'école. Mais ce qui importait le plus pour les résultats des tests était la région à laquelle appartenait tel ou tel groupe, et non pas l'agence qui gérait le programme. Environ cinq participants du programme FAL sur huit déclarent avoir participé à des activités «fonctionnelles» reliées à leurs travaux en alphabétisation (généralement liées aux activités génératrices de revenu). De plus, la plupart des participants déclarent avoir tiré un revenu de ces activités. Des initiatives locales sont nécessaires pour mettre en marche un groupe FAL. Jusqu'à présent, ces groupes ont été initiés par des instructeurs bénévoles de la communauté. Les coûts unitaires de fonctionnement (sans inclure les dépenses de l'administration centrale) sont estimés à environ de 4 à 5 dollars par année, mais peuvent être de 13 à 14 dollars par année si les instructeurs reçoivent une compensation du FAL. Dans le programme FAL, la lecture et l'écriture sont enseignées en langue locale et les manuels de lecture sont adaptés aux différents contextes régionaux. Les Techniques d'évaluation rurale (Rural Appraisal Techniques) du projet REFLECT sont aussi utilisées comme matériel pédagogique complémentaire. Le ministère a impliqué les ONG dans la formation des formateurs et des instructeurs du FAL. Maintenant, la plupart des activités de gestion sont sous la responsabilité de conseillers locaux élus. 55 De façon générale, les ONG n'ont la capacité de prendre en charge qu'une faible partie de la demande des programmes en ÉBA à partir de leurs fonds propres. Un rôle accru du gouvernement s'avère donc nécessaire. Cependant, sur les questions de sélection des lieux et des groupes, le gouvernement a intérêt à travailler en complémentarité avec les ONG. Les programmes d'ÉBA les plus simples à mettre sur pied pour les gouvernements sont ceux qui peuvent être gérés comme une école régulière et qui utilisent le personnel enseignant et les infrastructures des écoles. Ce type d'arrangement convient bien aux adolescents trop âgés pour commencer l'école primaire régulière. 11.3 Les rôles du milieu des affaires et de l'industrie Certaines grandes entreprises ont commencé à s'impliquer dans l'éducation des adultes au bénéfice de leurs propres employés et fournisseurs. Les habiletés conférées par cette éducation peuvent être d'une grande importance dans le milieu du travail, par exemple lorsque des mineurs doivent apprendre à maîtriser les règles de sécurité. En Afrique du Sud, l'État s'est engagé à dispenser une éducation de base des adultes et des jeunes dans le cadre du programme d'Éducation et de formation de base des adultes (Adult Basic Education and Training, ABET). Une caractéristique importante de cette stratégie repose sur le rôle des employeurs dans la mise en oeuvre et le soutien du programme ABET. En tant qu'employeur, le gouvernement a également la responsabilité de fournir des prestations d'ABET à ces propres employés. Plusieurs entreprises privées y sont déjà impliquées, et certaines d'entre elles y font un travail remarquable. C'est le cas de la First National Bank qui a conçu des stratégies innovatrices d'enseignement de l'anglais des affaires et d'alphabétisation assisté par ordinateur. Les programmes d'ABET dans les entreprises sud-africaines bénéficient d'un appui spécial parce qu'ils sont considérés comme un moyen de réduire les inégalités créées par l'apartheid. Mais il y a aussi des exemples de ces programmes dans d'autres pays africains. C'est le cas dans la région septentrionale de la Côte d'Ivoire où la CFDT, une compagnie de coton, offre un programme d'alphabétisation aux agriculteurs. Les programmes d'ÉBA acquièrent une reconnaissance sociale accrue lorsqu'ils sont offerts par des organisations dont les membres sont actifs sur une base régulière. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, durant la période socialiste des années 70, les campagnes d'alphabétisation du FROLIMO au Mozambique utilisaient les entreprises modernes comme principale base de leurs activités (Lind, 1988). Sous des régimes politiques moins dirigistes, le monde des affaires et de l'industrie peut toujours s'impliquer en ÉBA de façon volontaire. Cependant, la reconnaissance sociale apportée par le lieu de travail influence la probabilité de compléter avec succès les programmes d'ÉBA. Les perspectives d'une augmentation de salaire ou d'une promotion peuvent être une motivation pour les employés à prendre part à l'ÉBA. 56 11.4 La sous-traitance avec les ONG Dans certains pays, la sous-traitance avec les ONG constitue la politique dominante du gouvernement pour la mise en oeuvre des programmes d'ÉBA. Le Sénégal en est un bon exemple. D'autres pays, comme la Côte d'Ivoire et la Gambie, sont déjà engagés dans cette direction. Enfin, plusieurs autres pays d'Afrique de l'Ouest envisagent de modifier leurs politiques dans le but de recourir à la sous- traitance, entière ou partielle, avec les ONG. Dans le cas de sous-traitance, des fonds sont attribués à des ONG pour la mise en oeuvre des programmes. Dans d'autres cas, le gouvernement opte pour une stratégie mixte, c'est-à-dire qu'il met en oeuvre ses propres programmes d'ÉBA, mais fait aussi appel à des ONG (par exemple au Bangladesh). La situation au Sénégal (voir encadré 2) montre qu'il est possible de susciter une prolifération des programmes d'ÉBA et de créer un marché de prestations de services d'ÉBA à l'aide de la sous- traitance (Gueye et Diagne, 1999; Diagne, Gueye et Opper, 2000). Plus les encouragements financiers octroyées par l'État sont importants, plus les offres de services sont nombreuses. C'est ainsi que le Sénégal a vu l'émergence de plusieurs nouveaux prestataires de programmes d'ÉBA à la suite de la mise en oeuvre de sa politique communément appelée «faire-faire»: de 77 prestataires de services, le pays est passé à 420 en cinq ans, dont plusieurs de taille modeste. Le coût unitaire d'un programme de 18 mois d'alphabétisation fonctionnelle au Sénégal est évalué à environ de 37 à 43 dollars (excluant les frais généraux assumés par le gouvernement). Ainsi, le coût annuel d'un cours d'ÉBA représente environ la moitié du coût annuel de l'éducation primaire d'un élève inscrit dans l'enseignement formel au Sénégal33. Ce coût est relativement élevé si on le compare à celui d'autres pays africains pour lesquels des données sont disponibles. En situation de sous-traitance, on devrait s'attendre à ce que les fonctionnaires de l'État expriment des sentiments de méfiance à l'égard des ONG, souvent perçues comme «étrangères». Un engagement politique ferme sera donc nécessaire afin de surmonter les craintes de perte de contrôle chez certains fonctionnaires. Dans le contexte de la sous-traitance, le contrôle de la qualité et de la gestion financière nécessitent une attention toute particulière. En premier lieu, il est important que le gouvernement définisse clairement les objectifs du programme et les critères de performance. De cette manière, il sera plus en mesure de vérifier si les ONG ont respecté les clauses du contrat. En deuxième lieu, il est nécessaire de faire un suivi des projets à partir des rapports soumis par les ONG, ainsi que de faire des visites impromptues sur le terrain. Enfin, selon l'importance des mesures incitatives octroyées par le gouvernement, certains prestataires offriront leurs services dans le but principal de générer des revenus ou de créer de l'emploi 33 Communication personnelle des collègues de la Banque mondiale au sujet du coût de l'éducation au Sénégal. 57 pour leurs membres. Ils n'agiront donc pas comme une oeuvre de charité ou un organisme communautaire, mais plutôt comme une entreprise commerciale34. Cette situation présente l'avantage d'accroître l'offre de services pour l'ÉBA et l'esprit d'entreprise, mais nécessite un suivi rigoureux parce que les bénéficiaires n'achètent pas directement les services concernés. 11.5 La langue officielle ou les langues locales L'usage des langues locales en ÉBA regroupe de plus en plus d'adhérents aussi bien au niveau professionnel que politique. Autrement dit, les cours d'alphabétisation devraient être enseignés dans la langue maternelle des participants, sinon dans la langue la plus couramment utilisée au sein de la communauté. La connaissance préalable d'une langue facilite l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. En pratique, cependant, cela n'est pas toujours possible dans plusieurs pays ­ c'est le cas dans presque tous les pays africains ­ où la langue officielle est très différente des langues parlées localement, sans compter que plusieurs langues vernaculaires ne font pas l'usage de l'écrit. Enfin, elles sont souvent ignorées par le système scolaire formel, même dans les cas où les écoles primaires doivent utiliser la langue locale dans les premières années d'enseignement. 34 Concernant la sous-traitance des ONG en général (pas seulement celles qui interviennent dans l'alphabétisation), Eisemon et al. (1999, p. 363) se réfèrent à une thèse de doctorat soutenue par Kimbities à propos des ONG au Kenya, en 1995. Cette thèse soutient que la prolifération des ONG dans ce pays, ainsi que dans d'autres pays voisins, revêt un caractère séculaire, indépendant et endogène. Plusieurs d'entres elles ont été créées par des politiciens et leurs parents dans le but unique de percevoir les fonds des différents bailleurs. 58 Encadré 2 ­ L'alphabétisation par l'approche «faire-faire» au Sénégal : sous-traitance avec les ONG/OC Depuis 1995, le PAPF (Projet d'Alphabétisation Priorité Femmes), mis en oeuvre par le ministère de l'Éducation de base et des langues nationales dans cinq régions du Sénégal et dans le milieu semi-urbain des environs de Dakar, a touché plus de 150 000 participants dans ses cours d'alphabétisation fonctionnelle et de post-alphabétisation. Le plus récent cours d'alphabétisation fonctionnelle (le cinquième) a inscrit 54 000 participants. Les trois sessions de recrutement du programme de post-alphabétisation ont inscrit plus de 15 500 participants. L'offre est souvent inférieure à la demande qui reste très grande. Aux dernières inscriptions, environ 183 000 personnes avaient soumis une demande. Plus de 80% des participants appartiennent à la tranche d'âge des 15 à 39 ans, dont près des 75% de femmes (90% à la cinquième vague). Les cours d'alphabétisation fonctionnelle totalisent 300 heures réparties sur une période de 18 mois, avec un minimum de 20 participants par groupe. Les cours sont dispensés dans les langues locales. Chaque prestataire a la possibilité de choisir parmi une liste de programmes d'études en alphabétisation fonctionnelle approuvés par la Direction nationale. Le PAPF publie également des journaux locaux dans chaque région, édités en langues locales, et comporte des projets liés à l'agriculture, à la santé et à l'environnement. Il est même prévu de lier l'accès au micro-crédit à la participation au PAPF. Afin de desservir un plus grand nombre, le PAPF entend créer des liens avec les centres locaux de ressources d'apprentissage. La vente des ouvrages existants va bon train puisque 187 000 copies de livres et de fascicules, dont un dictionnaire en langue wolof, ont déjà été vendues (pour un total de 101 ouvrages). Le faible taux d'abandon, estimé à seulement 10%, est le résultat le plus déterminant du succès du PAPF (ce taux est plus élevé dans la capitale que dans les régions rurales). À travers le PAPF, l'enseignement est actuellement sous-traité à 420 ONG locales (77 en 1996). Ceci montre jusqu'à quel point il est possible de stimuler, par le biais de la sous-traitance et dans un court laps de temps, une croissance rapide du marché de la formation. Les prestataires potentiels doivent remplir un formulaire, en suivant les étapes d'un manuel de procédures élaboré à cet effet, et se soumettre à un audit réalisé par un bureau national de sélection nommé par le ministre. La gestion financière des contrats (et certaines missions de suivi) a été confiée à l'AGETIP, une agence para-gouvernementale ayant une expertise dans la gestion de projets. Le ministère, à travers son agence d'exécution (l'unité de gestion de projets), se concentre sur les fonctions de planification, d'élaboration et de mise en oeuvre des programmes (y compris la formation des prestataires), ainsi que sur le développement institutionnel et le contrôle de la qualité. La Direction nationale de l'alphabétisation et de l'éducation de base, dont relève le PAPF, est le premier responsable de l'évaluation et de l'organisation du programme national d'alphabétisation. Chaque ONG contractante recrute ses propres instructeurs, dont la majorité provient du milieu et possède une scolarité de premier cycle secondaire. Un superviseur est requis pour chaque 10 classes. Pour les besoins de contrôle et d'évaluation interne, des tests sont administrés en lecture, en écriture et en calcul (ceux-ci ne sont pas utilisés pour valider le passage à un niveau supérieur). Les coûts unitaires du programme de 18 mois (excluant les coûts administratifs pris en charge par le gouvernement) sont estimés à environ 37 à 43 dollars. Les bénéficiaires doivent participer au financement du programme (la contribution minimale étant fixée à environ 4,50 dollars). Les prestataires doivent fournir le matériel d'apprentissage pour l'écrit «à un prix abordable». 59 Dispenser l'ÉBA dans une langue avec laquelle l'apprenant n'est pas familier conduit assurément à un échec pédagogique. De même, ne pas utiliser la langue maternelle de l'apprenant signifie le rejet de la culture de l'apprenant. En revanche, s'alphabétiser dans une langue qui offre des possibilités très limitées en matériels de lecture n'amène nulle part. Il n'y a donc pas de solution parfaite à ce dilemme. Le développement de matériel à un niveau post-alphabétisation dans la langue de l'apprenant est souvent impossible dans le cadre d'un projet d'ÉBA. Parfois, une autre langue du pays dont l'usage est répandu, avec laquelle les apprenants sont relativement familiers, est utilisée pour les cours d'initiation. Mais cela n'est pas toujours possible. Par exemple, l'initiative du gouvernement du Burkina Faso d'enseigner le Moré à d'autres groupes de la population qui parlent cette langue s'est buté à des résistances de la part de certains pour des raisons sociales et culturelles. Après l'étape d'initiation dans les langues maternelles, il est important de poursuivre la formation dans la langue officielle qui domine généralement dans le système d'éducation formelle. C'est le cas du programme national d'ÉBA en Namibie qui dispense d'abord l'enseignement dans les langues locales, pour ensuite continuer en anglais. Cette stratégie de bilinguisme peut s'avérer le choix le plus judicieux. Il est parfois important de collaborer avec des pays limitrophes dans le but de réduire les coûts et d'offrir une plus grande variété de matériels d'apprentissage, en particulier quand ce matériel est produit dans une langue locale parlée dans plusieurs pays (Vawda et Patrinos, 1999). 11.6 Les campagnes de promotion ou l'institutionnalisation Les campagnes de promotion, souvent organisées à grande échelle et ayant des objectifs ambitieux à court terme, présentent beaucoup d'attraits politiques et revêtent souvent un caractère d'urgence et de lutte (Bhola, 1999, p. 288). Les progrès réalisés dans l'ÉBA à travers les campagnes de promotion restent néanmoins controversés. Dans la plupart des cas, les campagnes ont été tellement politisées que les succès réclamés par les promoteurs souffrent de crédibilité. Cependant, au delà des affinités politiques, peu de personnes contesteraient aujourd'hui les progrès réalisés par l'ÉBA dans les pays comme dans l'Union Soviétique des années 20, et plus récemment encore dans les pays comme la Tanzanie, Cuba et le Nicaragua. Dans ce dernier, il est bien connu que l'amélioration de la santé infantile est due en grande partie aux campagnes d'alphabétisation menées par les Sandinistes (Sandiford et al., 1995). La clé du succès des campagnes de promotion réside dans un contexte de grands changements sociaux, dont l'impact sur les conditions d'existence est facilement perceptible par les individus eux-mêmes. Elles permettent ainsi aux populations de percevoir de nouvelles opportunités et de nouveaux besoins, ainsi que la nécessité d'acquérir de nouvelles compétences. Cependant, l'efficacité des campagnes diminue lorsque l'enthousiasme populaire baisse. Une fois que les populations sentent moins la pression politique, l'esprit de bénévolat s'amoindrit. Dans le cas de la campagne de promotion de l'ÉBA au Mozambique, entre 1978 et 1982, Lind (1988) décrit comment la gestion est devenue beaucoup plus 60 bureaucratique et comment les activités de mobilisation et la participation populaire ont grandement diminué à la longue. La critique contre les campagnes de promotion suggère que leur succès n'est que temporaire et que les compétences acquises se perdent facilement. Mais il n'y a pas d'études comparatives établissant la différence de rétention des acquis entre l'ÉBA faite par les campagnes de promotion, d'une part, et par les institutions établies à cet effet, d'autre part. Les campagnes de promotion connaissent souvent un succès dans les pays où le contexte favorise la solidarité et le dévouement. Sans ces conditions favorables, les campagnes de promotion ne sont pas nécessairement les meilleures solutions. De nos jours, l'approche des campagnes a été abandonnée dans presque tous les pays qui en avaient déjà fait l'expérience35. Cependant, peu, sinon aucun, pays en développement n'a opté pour une solution à l'opposé, à savoir le recours à des institutions déjà établies, utilisant leurs propres infrastructures et faisant appel à des enseignants membres de la fonction publique. 11.7 L'emploi de bénévoles ou de fonctionnaires L'emploi de bénévoles dans l'ÉBA est chose courante dans l'approche par campagne de promotion, ceux-ci étant souvent recrutés à partir d'efforts intenses de mobilisation politique. Actuellement un bénévolat plus véritable joue un rôle important dans le travail accompli par quelques ONG. Un des exemples est celui du mouvement populaire d'ÉBA Nijera Shikki au Bangladesh. Dans ce mouvement, le travail est réalisé par un nombre croissant d'organisateurs bénévoles, d'aide-enseignants et d'assistants sociaux auprès des enfants (actuellement on en compte plus de 40 000). Ces bénévoles mettent en place des comités locaux qui organisent les activités d'ÉBA pour les adolescents et les adultes et travaillent à l'amélioration de la performance des écoles primaires. Ces bénévoles se forment eux-mêmes, à l'aide de manuels et de guides qui leur sont fournis, et reçoivent un minimum d'encadrement de la part du personnel de Nijera Shikhi. En 1997, on comptait environ 230 000 alphabétisées à partir de cette approche (Cawthera, 1997). La reconnaissance sociale et le fait de savoir que l'on contribue à un travail utile peuvent être des facteurs efficaces de motivation pour les bénévoles. Même en l'absence des puissantes campagnes de promotion, il est possible d'encourager la participation de masse et le bénévolat grâce aux programmes gouvernementaux. C'est d'ailleurs le cas pour le programme en Ouganda (voir encadré 1). Cependant, les bénévoles peuvent, avec le temps, exiger une rémunération lorsqu'ils réalisent que les personnes qui occupent un poste supérieur reçoivent un salaire. Tout comme avec les campagnes de 35 Sauf au Bangladesh et en Inde. Ces campagnes ont permis des gains initiaux en alphabétisation. Il est cependant difficile d'affirmer que des compétences réelles ont été acquises. 61 promotion, la popularité du bénévolat semble s'estomper (Saldanha, 1999b). C'est pourquoi, en rémunérant les services rendus, il y a plus de chance d'attirer des instructeurs motivés. En Ouganda, la durabilité de l'approche volontariste n'est pas remise en question. À l'opposé, l'embauche d'enseignants membres de la fonction publique ne semble pas être appropriée pour l'ÉBA. Ces enseignants jouissent d'une sécurité d'emploi à vie et n'ont de compte à rendre qu'à leur employeur, le gouvernement. Les pays qui ont généralement besoin de programmes d'ÉBA peuvent difficilement accroître le nombre de leurs fonctionnaires. De plus, l'ÉBA est une forme d'éducation qui doit pouvoir adapter son contenu et ses méthodes d'enseignement aux besoins de sa clientèle. Un enracinement dans la communauté et l'emploi d'instructeurs issus de cette même communauté sont généralement souhaitables. Le modèle d'emploi d'agents de la fonction publique n'est pas le meilleur choix pour l'ÉBA. Quand le financement est disponible, la comparaison entre l'échelle salariale des fonctionnaires du gouvernement et celle des instructeurs recrutés au sein de la communauté peut engendrer des problèmes. Par exemple, en Namibie, les enseignants des programmes d'ÉBA ont signé des contrats à durée limitée. En 1994, ils ont obtenu une augmentation salariale qui leur allouait, pour 10 heures d'enseignement par semaine, un salaire plus élevé que les travailleurs embauchés à temps plein au sein de la même communauté. Cette situation provoqua bien entendu la jalousie entre les membres de la communauté et créa des tensions au sein du programme (Lind, 1996, p.97; Bhola, 1995, p. 90). Une solution de compromis entre le bénévolat et le salariat consiste en l'utilisation de récompenses ou de prix d'honneur qui ont une valeur symbolique importante pour la motivation. Par exemple, pour le programme national d'ÉBA au Ghana (Ghana National Functional Literacy Program), les instructeurs sont recrutés parmi les membres de la communauté locale. Après avoir achevé avec succès un cours d'alphabétisation et recruté un autre groupe d'apprenants, les instructeurs reçoivent un prix, soit une bicyclette ou une machine à coudre (Leno, 1999). Pour valoriser leur travail, ce prix leur est offert lors d'une cérémonie. Une des difficultés de cette approche réside dans l'acquisition et la distribution de ces prix (au Ghana, les délais dans la distribution des prix ont été source de frustration). Un autre désavantage concerne le sens donné au prix par certains instructeurs. En effet, satisfaits du sentiment d'un devoir accompli, certains pensent qu'ils ne devraient plus continuer l'oeuvre. En revanche, le grand avantage de recevoir un salaire est qu'il offre une récompense régulière et offre une plus grande marge de manoeuvre à l'employeur pour inciter à améliorer la performance. En 1998 au Ghana à l'occasion d'un séminaire de réflexion sur la méthodologie d'ÉBA, un consensus s'est dégagé pour le paiement d'un salaire aux instructeurs. Le séminaire regroupait des participants de 17 pays africains, en majorité des fonctionnaires et des représentants d'ONG. Il en a été de même lors du séminaire BELOISYA au Tchad en mars 1999. Les cadres de l'administration publique venant de 11 pays africains sont, pour l'essentiel, tombés d'accord sur la nécessité de payer un salaire aux instructeurs. Cependant, ils ont reconnu que cela pouvait accroître le coût unitaire pour les pays qui avait compté jusque là sur les services de bénévoles. La rencontre a aussi souligné que la perte de 62 flexibilité intervient dès l'instant où les programmes prennent un caractère professionnel et une forme plus institutionnalisée. Si l'ÉBA adopte un caractère de service étatique, avec des enseignants comme des fonctionnaires réguliers, il faut s'attendre à ce qu'il y ait un risque de bureaucratisation et de perte de flexibilité (Maamouri, 1999, p. 10). L'embauche d'enseignants à contrat fixe (comme en Namibie) permet une plus grande souplesse dans l'adaptation des programmes d'ÉBA aux besoins locaux et, surtout, évite le gonflement de la fonction publique. Quand on conçoit l'ÉBA comme une partie intégrante du développement de la communauté, cela signifie que les enseignants doivent rendre des comptes à cette communauté. De même, il convient de tenir compte du revenu moyen de la communauté desservie au moment de déterminer le salaire des instructeurs. La sélection, la formation et la supervision des enseignants sont des moyens d'assurer la qualité de l'éducation. Généralement, les programmes d'ÉBA sont réalisés par des instructeurs qui ont suivi une formation initiale minimale (quelques semaines) et qui font l'objet de supervision sporadique. La sélection des candidats est donc d'une grande importance. Le meilleur critère est généralement le succès antérieur de l'individu (Comings, à paraître). Ce qui veut dire qu'il est important de garder les meilleurs instructeurs et d'avoir le courage de laisser partir, sans attendre, les moins habiles. L'implication des bénéficiaires de l'ÉBA dans le processus de sélection des instructeurs sert non seulement de première étape dans la participation de la communauté au processus de supervision, mais aussi à renforcer les missions de supervision ponctuelle venues de l'«extérieur». 11.8 Les contenus d'enseignement De nos jours, le concept d'éducation de base des adultes inclut des habiletés de lecture, d'écriture et de calcul. Au delà de ce contenu de base, il y a beaucoup de variations dans ce qu'il convient d'enseigner aux adultes. Les groupes d'apprenants sont différents les uns des autres en fonction de leurs acquis antérieurs, liés aux connaissances et aux compétences qui leur sont directement utiles ou qu'ils considèrent importantes. La participation requiert le développement de connaissances et d'habiletés qui répondent aux objectifs individuels et collectifs des apprenants. Comparés aux enfants, les adultes sont très exigeants quand à l'utilisation de leur temps. Ils ont plusieurs tâches à accomplir et des responsabilités à l'égard de leurs enfants. Par ailleurs, l'ÉBA n'offre pas la motivation extrinsèque que l'école possède, du moins au niveau intermédiaire et supérieur, dans la mesure où elle ne donne pas accès à un diplôme reconnu par le marché du travail. Comme l'ÉBA n'a pas beaucoup d'emprise sur ses bénéficiaires, elle est moins susceptible à la planification et aux contrôles bureaucratiques. Pour développer et maintenir l'intérêt, l'ÉBA doit travailler en étroite collaboration avec ses clients et inciter leur participation volontaire. De même, pour réaliser le développement individuel et collectif, l'ÉBA devrait mettre l'accent sur l'éducation en matière de droits et de responsabilités civiques. Finalement, le meilleur contenu «de base» est celui qui 63 rencontre les objectifs des apprenants et qui est pertinent dans leur vie quotidienne ­ dans la mesure, bien entendu, où il est possible d'offrir ces contenus. Puisque les apprenants sont généralement pauvres, l'ÉBA devrait surtout développer les habiletés propres à améliorer leurs conditions de vie. Une évaluation des récents documents d'ÉBA, préparés par la Banque mondiale dans le cadre des activités de BELOISYA, rapporte l'engouement des apprenants pour les habiletés qui les aident à améliorer leurs conditions de vie (Diagne, 1999; Maamouri, 1999, p. 7). Il existe encore beaucoup d'incertitude sur la meilleure façon d'organiser l'enseignement de ces habiletés. Peu d'analyses à ce sujet ont été réalisées jusqu'à présent. Une étude récente faite par Bennell (1999, p. 2) sur le développement des habiletés chez les pauvres (que ce soit ou non à travers des activités en ÉBA) conclut que celles-ci doivent être intimement liées aux besoins de développement économique et politique de la communauté. Elles se développent par la valorisation des compétences locales existantes et par une approche pédagogique qui permette aux apprenants d'apprendre par eux-mêmes. Le seul fait d'enseigner ces habiletés ne garantit pas nécessairement qu'elles seront apprises par les participants. Il y a tout un contexte qui exerce une influence sur ces apprentissages. L'approche utilisée est aussi importante que les techniques employées. C'est pourquoi il revient à la communauté de choisir la meilleure façon de transmettre ces habiletés. L'expérience de l'Ouganda (Okech et al., 1999) démontre qu'il est possible de mettre en oeuvre, à grande échelle, des activités reliées aux conditions de vie, ou fonctionnelles, à l'aide de programmes d'ÉBA. Comme mentionné plus haut, deux tiers des apprenants ougandais témoignent avoir augmenté leur revenu grâce aux compétences acquises en ÉBA. La façon la plus réaliste de procéder est d'enseigner des compétences qui sont une prolongation de ce que les participants savent déjà. Par exemple, les apprenants agriculteurs peuvent apprendre de nouvelles techniques de cultures. Dans n'importe quel programme à grande échelle, le contenu qui peut à la fois être enseigné et être utile pour les participants, doit être relativement simple. Par exemple, même si l'enseignement des notions relatives au crédit comme suite à une programme d'ÉBA s'avère populaire, l'instructeur se doit de posséder un certain niveau de connaissances et des compétences en gestion financière, ce qu'un instructeur local d'ÉBA ne maîtrise pas nécessairement. Une étude approfondie des expériences et approches utilisées en ÉBA pour développer des habiletés liées aux conditions de vie s'avère nécessaire avant de dégager des recommandations plus spécifiques. A ce jour, ce qui est évident, c'est que ce type de programme est très populaire. Mais là encore, nous ne connaissons pas bien les bénéfices qu'en retirent les apprenants. Des utilisations autres que celles liées aux activités génératrices de revenu peuvent être importante pour les apprenants. Ce que les gens considèrent comme étant fonctionnel, c'est-à-dire qui rend un service important pour eux, va au delà du simple fait de pouvoir lire les instructions sur un sac d'engrais. En effet, comme il apparaît dans l'expérience ghanéenne d'ÉBA que rapporte Korboe (1997), pouvoir lire des textes religieux est aussi important pour certains. Ainsi, dans une interprétation trop utilitaire et 64 étroite de l'ÉBA, la question de «pertinence du contenu» ne s'appliquerait pas aux activités religieuses36, ainsi qu'à une gamme d'autres activités, notamment la musique, le théâtre et le conte populaire. Une souplesse et une attention particulière aux «demandes» des participants est donc nécessaire dans le choix des contenus d'ÉBA. Une première étape consiste à adapter les manuels de lecture aux réalités locales. Ensuite, l'ajout de certaines connaissances utilisées au niveau local peut permettre la mise en contexte des contenus, par exemple à l'aide d'un instrument d'évaluation de participation rurale (Participatory Rural Appraisal). Le programme gouvernemental d'ÉBA en Ouganda présente ces deux caractéristiques. Dans la pratique, il est difficile d'adapter le matériel d'instruction et les contenus d'apprentissage aux caractéristiques d'un groupe particulier. Un contenu relativement standard est nécessaire afin de limiter les dépenses et de permettre l'élaboration d'un guide de fabrication du matériel au niveau local. Dans plusieurs pays, un programme d'étude est élaboré au niveau national, mais une marge de manoeuvre est laissée aux acteurs locaux afin d'adapter le programme à leur milieu, ce qui se fait souvent avec la participation des ONG ou des organismes communautaires (OC). Même le programme REFLECT, dont l'approche encourage vivement la fabrication de matériel au niveau local, s'appuie sur des procédures standards destinées aux différents cercles REFLECT du réseau. 11.9 La sensibilisation au VIH/SIDA Les besoins de protection contre le VIH et de prise en charge des personnes atteintes du SIDA ont atteint des proportions telles en Afrique subsaharienne que l'ÉBA doit nécessairement l'intégrer dans ses contenus ­ et ceci en dépit de l'importance de l'approche induite par la demande et les exigences d'adapter le contenu. Bien entendu, l'ÉBA ne sera pas le seul canal d'information sur le VIH/SIDA ­ compte tenu que la taille de ses opérations est trop réduite pour rendre cela faisable. Mais l'ampleur de la pandémie nécessite l'usage de tous les moyens disponibles. Les contenus relatifs au VIH/SIDA doivent reposer, tout d'abord, sur ce que les apprenants savent déjà, pour ensuite offrir une information plus élaborée sur la base de ces connaissances. 11.10 Les technologies de l'information et des communications (TIC) en appui à l'ÉBA Il va de soi que la radio est un médium important en ÉBA. Elle a l'avantage d'atteindre une grande partie de la population, alphabétisée ou non. En elle même, la radio ne peut enseigner l'alphabétisation, mais elle peut être d'un grand support pour cet enseignement. L'utilisation la plus simple et la plus évidente de la radio consiste principalement à faire la promotion des programmes d'ÉBA. Les émissions de radio dans les langues locales, utilisées en ÉBA, offrent des occasions de valoriser et de moderniser ces langues. 36 Mehran (1999) décrit comment l'éducation religieuse est une dimension importante de l'alphabétisation en Iran. 65 La radio a aussi l'avantage d'être très populaire auprès des adultes analphabètes, comparée aux autres médias (audiocassette, télévision, ordinateur). Selon Okech et al. (1999), près de 40% des participants aux activités d'ÉBA en Ouganda déclarent posséder une radio qui fonctionne. Le même pourcentage existait chez le groupe contrôle d'analphabètes. On peut donc en conclure qu'une proportion élevée de la population a accès à la radio. La radio peut être une ressource valable en ÉBA à la condition que les contenus soient pertinents et que le travail de groupe puissent être coordonné avec les heures de programmation. Par exemple, elle peut être employée pour enseigner des activités dites fonctionnelles ou, tout simplement, pour ajouter de la variété à l'enseignement, comme source de motivation. Le programme ghanéen d'ÉBA utilise la radio dans ce but (Leno, 1999). Cependant, l'expérience de ce programme confirme l'impression générale qu'il est difficile de garantir une coordination efficace de façon à permettre un enseignement concerté utilisant divers supports médiatiques (K. Siabi Mensah, à paraître dans Siaciwena, éd., cité par Dodds, 1999). Lorsqu'on élabore le matériel d'enseignement pour l'ÉBA ainsi que les émissions de radio, il est réaliste de considérer que les auditeurs ne profiteront pas tous au même degré des enseignements faits par radio comparés à la participation dans une salle de classe. Il est toutefois possible d'utiliser les émissions radiophoniques pour approfondir certains contenus plus «fonctionnels» du programme d'études. Elles peuvent être aussi bénéfiques pour introduire de nouvelles notions aux participants qui n'ont pas encore vu la matière, ou bien, servir de révision à ceux qui l'ont déjà vue. Les cassettes audio et vidéo peuvent être plus utiles que la radio lorsqu'elles sont utilisées comme support pédagogique pour enrichir les contenus «fonctionnels» d'ÉBA, ou même pour enseigner les contenus fondamentaux. L'emploi de cassettes nécessite un support technologique peu sophistiqué, donc facile à se procurer et à la portée des centres d'ÉBA. Par contre, un système de production et de distribution de ce matériel est nécessaire, ce qui entraîne bien entendu des coûts additionnels et des problèmes administratifs. Mais les visites supplémentaires requises par les coordinateurs et les superviseurs pour distribuer ces cassettes peuvent être combinées à d'autres fins, notamment pour de la formation continue. En Afrique du Sud, des expériences sont en cours sur l'utilisation des ordinateurs ­ en la présence d'un instructeur qui agit comme guide. Cependant, quel que soit le potentiel de ces technologies pour les pays qui peuvent se les procurer, l'utilisation des ordinateurs en ÉBA n'est pas encore réaliste dans certains pays africains où le taux d'analphabétisme est très élevé. Dans l'avenir, l'alimentation des ordinateurs par l'énergie solaire pourra contribuer à réduire ces contraintes. Toutefois, les technologies de l'information et des communications (TIC) peuvent être utilisées pour la formation des formateurs. Cette piste est présentement à l'étude au sein de l'International Literacy Institute de l'University of Pennsylvania, dans le cadre du projet Bridges to the Future Initiative (Passerelles vers de nouvelles initiatives). 66 11.11 Un système d'équivalences avec le système formel d'éducation Certains programmes d'ÉBA sont reconnus officiellement comme équivalents à un certain nombre d'années d'enseignement primaire37. Bien que très peu d'apprenants utiliseront cette équivalence pour poursuivre leurs études dans le système formel, il n'en demeure pas moins que le système non formel est perçu comme moins important s'il n'est pas intégré au système d'éducation. Il y a aussi le fait que l'établissement d'un système d'équivalences peut être utile sur le marché du travail. Sur le plan de l'équité, l'établissement d'un système d'équivalence pourra permettre de passer de l'ÉBA à la «société du savoir» grâce à des opportunités d'éducation et de formation permanente. En Afrique du Sud, l'établissement d'un réseau national de qualification permet la reconnaissance des compétences acquises de façon informelle. Ceci fait partie des efforts afin d'aplanir les injustices créées sous le régime d'apartheid. Les enseignements dispensés par l'ÉBA en Afrique du Sud doivent s'inscrire dans cette perspective. L'argument en faveur de l'établissement d'un système d'équivalences est encore plus fort lorsqu'il est question de l'avenir des jeunes participants aux programmes d'ÉBA, en particulier ceux et celles qui sont assez jeunes pour continuer leur formation dans le système formel après l'ÉBA. Cependant, dans le contexte des pays où le besoin en ÉBA est plus élevé, cette équivalence pourrait bénéficier à un très petit nombre de personnes. Il y a aussi l'inquiétude associée à l'imposition d'un programme d'études plus contraignant, ce qui peut en décourager certains. Enfin, le fait de décider à l'avance d'un programme d'études dans le but d'offrir des équivalences, réduit les possibilités d'une pédagogie axée sur l'apprenant et leur participation dans le choix des contenus. En tout état de cause, il est faux de croire que les jeunes en ÉBA doivent bénéficier du même type d'enseignement qui est dispensé dans le système d'éducation formelle. Les jeunes en ÉBA assument déjà des rôles d'adultes, même s'ils n'ont pas encore l'âge. En conséquence, le matériel pertinent pour survivre dans le monde des adultes aura une bien plus grande importance pour les jeunes apprenants des programmes d'ÉBA que pour leurs pairs qui fréquentent l'école. 11.12 La pédagogie axée sur l'apprenant Les adultes sont moins disposés à se soumettre à un style d'enseignement qui les traite «comme des enfants». Ils ne sont pas dans la même situation que les jeunes enfants qui sont envoyés et maintenus à l'école sous l'autorité d'un adulte. Ils ne constituent pas un public captif. Par conséquent, le respect est l'élément premier de toute pédagogie destinée à un groupe d'adultes. Au delà de ce minimum essentiel, une pédagogique axée sur l'apprenant est plus appropriée pour atteindre les objectifs d'ÉBA, 37 Par exemple, dans le programme national d'alphabétisation en Namibie, le suivi et le succès de trois ans de cours d'alphabétisation est considéré comme l'équivalent de la 4e année d'école primaire. 67 notamment pour renforcer la confiance en soi et le sens de l'initiative. La pédagogie axée sur l'apprenant requiert à prime abord un instructeur compétent qui a confiance en lui-même. La question est de savoir jusqu'où peut-on utiliser une telle pédagogie dans les programmes réalisés à grande échelle? La formation initiale des instructeurs de l'ÉBA est généralement de très courte durée (deux semaines). Or, la seule pédagogie maîtrisée par ces instructeurs est celle qu'ils ont connu à l'école primaire et secondaire, soit l'enseignement magistral. La contrainte courante en ÉBA est donc le manque d'instructeurs ayant les habiletés requises et la motivation nécessaire pour dispenser un enseignement selon une pédagogie axée sur l'apprenant. La formation continue et la production de matériels pédagogiques adaptés sont une façon d'encourager ce type de pédagogie. Il serait erroné de croire que les adultes veulent invariablement une pédagogie participative ­ étant donné le faible niveau de maîtrise de ces techniques par bon nombre d'instructeurs. Certains adultes pensent même que c'est seulement quand on leur enseigne de manière traditionnelle, comme à l'école, que l'instructeur fait son travail, bien qu'ils exigeront de celui-ci le respect dû aux personnes de leur âge. L'approche REFLECT développée par ActionAid (voir encadré 3 à la page suivante) est un exemple d'utilisation de la pédagogie axée sur l'apprenant en ÉBA. 68 Encadré 3 ­ La méthode REFLECT dans 50 pays La méthode REFLECT a été développée par l'ONG ActionAid. Cette approche s'est répandue rapidement à travers plusieurs organisations en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. L'acronyme REFLECT signifie : Regenerated Freirean Literacy through Empowering Community Techniques. Cette approche utilise les techniques d'évaluation de participation rurale (Participatory Rural Appraisal) pour identifier les problèmes d'intérêt commun aux participants des cercles REFLECT. L'enseignement de l'alphabétisation utilise des matériaux fabriqués par la communauté, notamment des cartes, des matrices, des calendriers et des diagrammes. Les problèmes auxquels font face les membres de la communauté servent de sujets de discussion pour développer des habiletés de communication et de résolution de problèmes. L'objectif principal de ce programme est d'outiller les participants afin qu'ils puissent être en mesure d'améliorer leurs conditions de vie. Dans ce sens, l'alphabétisation est un outil essentiel pour atteindre cet objectif. L'accent est mis sur la production active des textes plutôt que sur la lecture passive. Les participants produisent leur propre matériel de lecture avec l'aide de l'instructeur. L'utilisation de manuels de lecture standard est considéré comme un frein à une pédagogie axée sur l'apprenant. Néanmoins, ces derniers sont utilisés comme matériel complémentaire dans les cercles de discussion ou pour les activités de développement de l'esprit critique à travers la lecture. Pour venir en aide aux instructeurs, ActionAid a conçu un guide pédagogique comportant de nombreux exemples sur l'utilisation de la méthode. Cependant, au cours des dernières années, ActionAid décourage l'emploi de tout manuel car, trop souvent, ils sont utilisés comme des livres de recettes, ce qui est contraire à une pédagogie axée sur l'apprenant. Il existe maintenant un réseau international de partenaires qui maintiennent des contacts entre eux dans le but de promouvoir l'apprentissage et de développer des ressources matérielles. Les instructeurs de l'ÉBA sont recrutés localement et reçoivent une initiation de deux ou trois semaines sur la méthode REFLECT. Par la suite, les instructeurs d'une même communauté se rencontrent sur une base régulière (au début, à chaque deux semaines, et plus tard, à chaque mois). Des formations continues de trois à cinq jours sont offertes, ainsi que des visites de supervision et d'appui par des superviseurs qualifiés (environ une fois par mois, bien que maintenant on encourage les instructeurs à se visiter mutuellement et à s'entraider). L'approche REFLECT s'est répandue au delà de la sphère d'opération d'ActionAid. Il y a maintenant plus de 250 organismes qui utilisent cette approche dans 50 pays. Le plus grand programme de REFLECT est en cours au Bangladesh. On rapporte que 27 000 participants, provenant de 26 régions différentes, auraient déjà bénéficié de ce programme. De plus, 1 074 instructeurs, membres de plus de 36 organismes, ont déjà reçu une formation. En Afrique, des programmes REFLECT sont en cours dans les pays suivants : Ouganda, Kenya, Tanzanie, Éthiopie, Soudan, Tchad, Rwanda, Burundi, Mali, Burkina Faso, Libéria, Niger, Guinée, Bénin, Togo, Ghana, Nigéria, Sierra Léone, Gambie, Angola, Mozambique, Afrique du Sud, Zimbabwe, Malawi, Botswana et Swaziland. En plus d'être adoptés par les ONG, les organismes communautaires (OC) et les mouvements sociaux, des programmes pilotes sont actuellement conduits sous l'égide de plusieurs gouvernements. C'est le cas en 69 Tanzanie, au Ghana, au Malawi, en Mozambique, au Burundi et au Bangladesh. Les représentants gouvernementaux de 17 pays africains ont récemment bénéficié d'une formation sur cette approche. Dans certains cas, le gouvernement emprunte des éléments de cette approche et les intègre à ses programmes. C'est le cas de l'Évaluation de participation rurale (Participatory Rural Appraisal) maintenant en cours en Ouganda et en Namibie. Développée entre 1993 et 1995, la méthode REFLECT a été évaluée par ActionAid, elle-même, au Bangladesh, au Salvador et en Ouganda (Archer et Cottingham, 1996). L'évaluation rapporte un nombre élevé de participants qui ont terminé leur cours : 60 à 70 % des participants ont complété l'étape d'initiation et ont acquis les rudiments de l'alphabétisation. Les évaluations ont aussi rapporté plusieurs impacts positifs des programmes, notamment au niveau de la scolarisation des enfants, de l'hygiène et de la santé, de la participation communautaire, des actions collectives, de la gestion des ressources, ainsi que des relations entre les hommes et les femmes. En 2000, une évaluation internationale de grande envergure a été menée. Également, des évaluations externes de l'approche REFLECT ont été conduites dans les pays suivants : Ouganda, Malawi, Mozambique, Burundi, Ghana, Afrique du Sud, Soudan, Bangladesh, Népal, Inde et Salvador. Des analyses et des synthèses ont été regroupées en un seul rapport, complétées par des rapports individuels qui sont également disponibles. Le point de départ de la méthode REFLECT est similaire à ce que Rogers (1999, p. 223) décrit comme une approche authentique d'alphabétisation, c'est-à-dire que les enseignements s'appuient sur le vécu des apprenants et sur des activités concrètes, et non sur les contenus abstraits des manuels de lecture. L'utilisation à grande échelle de cette méthode et sa concrétisation dans un programme unique restent encore à démontrer. Il est vrai que cette approche est en cours d'expérimentation dans plusieurs organismes et pays, et qu'elle implique de nombreux partenaires (apprenants, organisateurs, instructeurs). Cependant, elle n'a été utilisée à ce jour que dans des projets de taille réduite. Il est connu que la pédagogie axée sur l'apprenant est un moyen sûr de motiver les participants. Mais il est aussi vrai que certains adultes, en particulier ceux qui arrivent au cours très motivés (par exemple parce qu'ils reçoivent une reconnaissance sociale de leur apprentissage), s'accommodent plutôt bien d'une pédagogie plus traditionnelle. Ainsi, dans leur revue des projets, Oxenham et Aoki (2001) ont conclu que les adultes peuvent maîtriser des habiletés de base à partir de n'importe quelle méthode ou matériel à la condition, bien entendu, qu'ils soient motivés. Ces auteurs n'ont pas trouvé de méthode ou de type particulier de matériels d'enseignement qui soient les seuls efficaces. Cependant, ils ont trouvé que plus le contenu dispensé correspond aux besoins et aux aspirations des apprenants, plus grande est la probabilité que ceux-ci participent régulièrement aux activités d'apprentissage. Eisemon et al. (1999, p.364) soutiennent que les méthodes semblables à celles utilisées dans les classes régulières ne sont pas très appropriées, mais cela est difficile à généraliser dans la mesure où les techniques employées dans les programmes jugés efficaces varient grandement. Ils conseillent toutefois de rendre les objectifs et les contenus concrets (on retrouve d'ailleurs ce même type de recommandation pour l'éducation formelle). 11.13 L'appui de la communauté comme facteur de réussite 70 La mobilisation des dirigeants de la communauté est d'une importance capitale pour assurer le succès d'un programme d'ÉBA. Il est aussi recommandé d'intégrer ces activités dans des organisations sociales déjà existantes ou d'utiliser une approche qui construit des liens entre les participants. Plusieurs recherches soutiennent cette approche. Au Ghana, Korbore (1997, p. 9) rapporte que la participation est plus grande quand les cours font partie des activités de l'Église. L'appui provenant des communautés religieuses est non seulement un avantage, mais offre aussi un contexte pour mettre en pratique les nouveaux apprentissages. Un autre projet qui bénéficie du soutien de la communauté locale est le mouvement de Nijera Shikhi au Bangladesh (Cawthera, 1997). L'approche REFLECT, quant à elle, fonctionne beaucoup mieux quand elle est adoptée par un groupe déjà bien enraciné dans la communauté, plutôt que par un groupe nouvellement formé et ce, dans le but unique d'apprendre. Le support social peut provenir de la façon dont les projets d'ÉBA sont réalisés. Il est plus grand quand l'ÉBA est réalisée par des organisations existantes qui vont continuer de fonctionner au-delà des projets d'ÉBA et vis-à-vis desquelles les participants ont déjà manifesté une certaine loyauté (Bown, 1990, p. 40). Cet appui de la communauté contribue à améliorer l'assiduité et à réduire les abandons chez ceux qui étaient inscrits avec l'intention de compléter la formation. De même, il va aussi attirer des participants qui assisteront au cours sur une base irrégulière et qui n'envisageront pas nécessairement compléter leur programme. Des exemples de ce type de participants ont été relevés dans les programmes REFLECT au Bangladesh et en Inde (Saldanha, 1999, 2000). L'appui de la communauté est certainement un moyen d'assurer une plus grande efficacité interne des programmes d'ÉBA. C'est aussi le cas d'une pédagogie qui traite l'adulte avec respect et qui en fait le principal artisan de son apprentissage, à la condition bien sûr d'avoir utilisé des méthodes d'enseignement appropriées. Toutes ces raisons peuvent apporter des éléments d'explication sur ce qui contribue au succès d'un programme, mais elles ne sont pas fondées sur des indicateurs rigoureux d'efficacité interne (Oxenham et Aoki, 2001, tableau 1). À titre d'exemple, le programme d'alphabétisation en Indonésie connaît une réussite satisfaisante bien qu'il n'utilise pas une pédagogie axée sur l'apprenant et ne reçoit pas d'appui de la communauté (Pulat Pengembangan Argribisnis, 1997). 11.14 Les besoins en suivi, évaluation et recherche Dans leur revue des programmes d'ÉBA, Oxenham et Aoki (2001) notent que la caractéristique principale de l'efficacité interne des programmes d'ÉBA n'est pas qu'elle soit faible, mais qu'elle varie énormément entre différents programmes. L'efficacité interne varie également à l'intérieur même d'un 71 programme ­ entre les différents sites et entre les régions. La mise en oeuvre des programmes est donc très variable au niveau local. Les taux de réussite et de passage d'un niveau à l'autre ont montré des écarts importants entre les régions du programme national d'alphabétisation (National Adult Literacy) en Namibie. Au Kenya (Kenya Literacy Program), Carron et al. (1989, p. 197) ont constaté une grande variation dans les résultats des tests administrés dans six régions en 1986 et 1987. De même, le niveau d'alphabétisation atteint par les participants était très différent entre les 19 sous-régions retenues dans l'évaluation du programme d'ÉBA en Ouganda (Okech et al., 1999). Dans cette dernière étude, le facteur géographique était plus important que le type de programme mis en place ou la scolarisation antérieure des participants. Il existe donc, vraisemblablement, d'importantes variations dans la qualité de la mise en oeuvre des programmes. C'est pour cette raison que l'évaluation et le suivi occupe une importance primordiale afin de déceler les faiblesses de mise en oeuvre et d'y apporter des corrections. Un suivi d'un type particulier est nécessaire lorsque l'ÉBA est financée par le gouvernement, mais exécutée par les ONG et les organismes communautaires (OC). Il est nécessaire de s'assurer que les termes du contrat ont été remplis. De plus, il est important que les mécanismes de contrôle de la qualité, dont le suivi fait partie, ne soient pas uniquement utilisés aux fins de contrôle, mais aussi dans le but de fournir un appui professionnel aux gestionnaires de programmes. À savoir si les fonctions d'appui et de contrôle peuvent être exécutées par le même organisme de supervision ou par deux organismes différents, est une question que l'on doit examiner avec attention dans l'élaboration des programmes pour la sous-traitance. Enfin, des recherches sont nécessaires afin de mieux connaître les facteurs qui contribuent au succès des programmes d'ÉBA. En particulier, il existe un besoin urgent de réaliser des études sur l'apprentissage des compétences fonctionnelles («functional skills») dont l'utilisation reste limitée. 11.15 Le financement des programmes d'ÉBA La Banque mondiale recommande, au chapitre du financement de l'éducation de base dispensée à l'école primaire, qu'aucun frais de scolarité ne soit exigé des apprenants ou de leurs familles. Si des contributions financières sont exigées, elles devraient être administrées de façon telle à n'écarter aucun élève de l'école parce qu'il ne dispose pas de ressources financières. Le raisonnement qui supporte l'accès des pauvres aux services d'éducation sans frais de scolarité peuvent être appliquées à l'ÉBA. En fait, comme l'ÉBA vise une clientèle formée en majorité d'adultes qui n'ont pas été scolarisés ou qui n'ont pas terminé l'école primaire, ces programmes sont naturellement ciblés vers les couches les plus pauvres de la société. En conséquence, il est évident que les gouvernements, les ONG et les organisations d'aide internationale doivent contribuer au financement des programmes d'ÉBA. Une contribution de la part des participants peut être justifiée pour maximiser les financements 72 disponibles dans un contexte de rareté de ressources et lorsque la participation financière des bénéficiaires, sous quelque forme que ce soit, renforce leur engagement à l'égard du programme et peut les inciter à exiger une niveau minimal de qualité d'enseignement. La contribution la plus plausible pour les adultes à faible revenu réside dans leur force de travail. Parfois, cela peut être d'une grande importance. Si, par exemple, l'instructeur d'ÉBA possède des terres agricoles, les participants peuvent travailler aux champs. Ou encore, des contributions en nature (denrées de première nécessité comme le riz, le sucre ou l'huile) peuvent être faites à l'instructeur, comme c'est le cas dans le programme national d'ÉBA au Ghana. Dans certains programmes, les participants doivent faire l'achat de matériels de lecture et d'écriture. L'inconvénient d'une telle exigence est d'empêcher certains de participer au programme, ou d'y participer sans avoir le matériel nécessaire. La gravité du problème sera fonction du prix demandé pour le matériel en rapport avec le budget individuel ou de la famille. Dans le cas du programme PAPF au Sénégal (voir encadré 2 plus haut), le prix demandé est relativement bas, soit l'équivalent de 4,50 dollars pour 18 mois de cours; le taux d'abandon est faible et il existe même une demande importante non satisfaite. Indépendamment de la méthode de financement choisie, l'ÉBA, tout comme l'éducation primaire, ne devrait pas refuser l'éducation à une personne qui ne peut pas payer. 73 Section 12 Recommandations générales Les recommandations suivantes sont offertes aux clients de la Banque mondiale: ?? Reconnaître l'éducation de base des adultes (ÉBA) comme partie intégrante de la stratégie d'Éducation pour tous. Elle devrait faire partie des stratégies d'éducation de base pour tous, en particulier dans les pays où il existe un taux élevé d'analphabétisme. ?? Assurer le financement et garantir le contrôle de la qualité. Pour que l'ÉBA soit offerte au plus grand nombre, il est nécessaire que l'État en assure le financement. Le gouvernement aura aussi besoin d'établir des normes et de contribuer au contrôle de la qualité. Il n'est pas essentiel que ces programmes soient gérés par le gouvernement. D'autres schémas sont possibles et parfois plus appropriées (par exemple, des fondations nationales d'alphabétisation ou des fonds spéciaux pour l'éducation de base des adultes). Peu importe le mode de prestation des services, à condition qu'il soit le plus efficace dans un contexte donné. ?? Assurer un leadership fort. Un personnel compétent devrait être embauché pour relancer l'ÉBA. Dans un contexte de décentralisation de l'administration, il est nécessaire d'assurer une répartition équitable des compétences entre les régions, c'est-à-dire éviter que le personnel compétent soit concentré au niveau central. Un leadership fort doit aussi être développé en vue de créer un environnement propice à l'éducation de base des adultes, par exemple l'utilisation des bibliothèques, la conception d'affiches en langues locales et l'utilisation de la radio pour faire la promotion de l'ÉBA. ?? Cibler en priorité les femmes et les jeunes adultes peu ou pas scolarisés et impliquer les dirigeants locaux. Dans la plupart des pays africains, on ciblera principalement les femmes analphabètes ­ ce qui ne signifie pas que les autres groupes seront exclus. Un autre groupe à privilégier est celui des jeunes peu ou pas scolarisés. Les dirigeants de la communauté peuvent constituer un autre groupe cible. Si le niveau d'éducation de ces derniers ne nécessite pas qu'ils soient inscrits comme bénéficiaires de l'ÉBA, il est toutefois nécessaire de les associer comme promoteurs. Dans tous les cas, il faut s'assurer que les régions à taux élevé d'analphabétisme soit touchées. ?? Répondre à la demande. Il faut donner la priorité aux milieux où les groupes communautaires et les sponsors sont déjà prêts à s'investir en ÉBA. Répondre à la demande signifie également adapter les programmes et les ressources d'accompagnement aux réalités du milieu. ?? Créer des partenariats avec les ONG, les organismes communautaires (OC) et les entreprises privées. Consulter et collaborer avec les ONG. Un support financier pour les activités 74 développées par les ONG ou les OC doit être envisagé, que le gouvernement gère ses propres programmes d'ÉBA ou non. Encourager les ONG à se fédérer. Inciter les entreprises privées à offrir des formations d'ÉBA à leurs employés. ?? Utiliser les langues locales pour dispenser les cours d'initiation. Il est préférable d'alphabétiser dans la langue maternelle des apprenants. Si cela n'est pas possible, il faut utiliser une langue avec laquelle les apprenants sont déjà familiers. Mais l'ÉBA devrait aussi développer des cours plus avancés pour l'apprentissage des langues officielles. ?? Recruter les instructeurs au niveau local et offrir des contrats à terme. Embaucher des instructeurs provenant de la communauté. Une motivation extrinsèque est nécessaire. Miser seulement sur les bénévoles ne peut pas garantir la pérennité d'un programme à long terme. La motivation la plus simple est la rémunération en espèce. Les instructeurs d'ÉBA devraient avoir un contrat à durée déterminée. Il faut leur offrir une formation initiale de courte durée, puis, assurer un appui professionnel avec l'aide de superviseurs et à travers des formations en cours d'emploi. ?? Associer des groupes déjà existants dans la mise en oeuvre des programmes d'ÉBA. L'ÉBA est plus efficace quand elle est dispensée au sein de groupes qui existent déjà et qui se réunissent pour des raisons autres, par exemple les assemblées religieuses, les groupes d'agriculteurs et les associations de petits entrepreneurs. ?? Encourager le passage de l'ÉBA vers l'éducation permanente. Inciter les participants à poursuivre leur éducation au-delà de l'alphabétisation. Ceci exige la fourniture de matériels additionnels. ?? Inclure dans le programme d'études des contenus sur le VIH/SIDA. Enseigner des contenus portant sur la protection contre le VIH et sur les soins à apporter aux malades atteints du SIDA. ?? Encourager une pédagogie axée sur l'apprenant. La méthode traditionnelle de pédagogie magistrale n'est pas la meilleure approche. Encourager la participation active des apprenants à leur apprentissage. ?? Utiliser la radio comme support technique à l'ÉBA. Utiliser la radio pour sensibiliser un plus grand nombre d'adultes à l'importance de l'alphabétisation et pour fournir des informations d'intérêt général sur des thèmes à caractère «fonctionnel». ?? Rendre l'ÉBA accessible aux plus démunis. Faire en sorte que les coûts soient très bas, ou à un niveau comparable à ceux de l'éducation primaire formelle. Personne ne devrait être empêché de participer à des cours d'ÉBA par manque d'argent. 75 ?? Suivre, évaluer et promouvoir la recherche sur l'ÉBA. Étudier l'évolution des taux d'inscription, de participation et d'abandon des participants, et choisir des échantillons représentatifs pour évaluer les résultats d'apprentissage. Impliquer les participants et la communauté dans l'évaluation formative des programmes d'ÉBA. Encourager la recherche sur l'éducation de base des adultes. 76 Section 13 L'agenda de la Banque mondiale Premièrement, reconnaître l'importance de l'éducation de base des adultes dans la stratégie de lutte contre la pauvreté. L'ÉBA devrait être considérée comme une des priorités de la Région Afrique dans les décisions d'allocation de fonds pour l'éducation et ce, pour les raisons suivantes: ?? l'ÉBA agit, de concert avec l'éducation primaire, dans une perspective d'Éducation de base pour tous ­ elle donne une deuxième chance aux pauvres qui n'ont pas achevé leur éducation primaire; ?? l'ÉBA permet l'émergence d'une société civile démocratique ­ elle aide les pauvres à participer activement aux activités de la communauté et favorise une saine gestion des affaires publiques; ?? l'ÉBA agit directement sur la scolarisation et la présence à l'école des enfants pauvres, ainsi que sur la santé et le revenu des familles; et ?? l'ÉBA peut être mise en oeuvre à un coût raisonnable, plusieurs modèles se sont avérés efficaces. Deuxièmement, la Région Afrique de la Banque mondiale devrait s'engager activement dans la promotion des programmes d'éducation de base des adultes et encourager les pays à taux élevé d'analphabétisme à investir dans de tels programmes. Troisièmement, la Banque mondiale devrait aider les pays à préparer des programmes d'ÉBA et envisager d'offrir des crédits ou de mobiliser des appuis financiers. Bien que les ONG et les organismes communautaires puissent jouer un rôle important dans le développement et la mise en oeuvre des programmes d'ÉBA, seul l'État est en mesure d'assurer un service de qualité à l'échelle du pays. Par conséquent, un financement public est nécessaire et ce, même si les prestataires de services d'éducation de base des adultes sont des ONG, des organismes communautaires ou, même, l'État. Quatrièmement, la Banque mondiale devrait aussi envisager de financer les coûts d'investissement de base des programmes (locaux et équipement, programmes d'études et ressources pédagogiques, formation initiale des gestionnaires et des formateurs, et infrastructures nécessaires), ainsi que les coûts de fonctionnement (y compris le salaire des instructeurs) étant donné que l'ÉBA est avant tout un investissement dans les ressources humaines. L'appui pour les coûts de fonctionnement devrait se faire sur une base progressive et décroître sur la durée du projet. Cinquièmement, pour consolider et partager les connaissances sur les meilleures pratiques en éducation de base des adultes, la Banque mondiale devrait travailler avec les pays membres et les partenaires en développement pour renforcer la recherche, l'évaluation et la supervision des activités; utiliser efficacement les réseaux de diffusion des connaissances et les forums de discussion; et, diffuser les meilleures pratiques auprès des praticiens, des planificateurs et des décideurs. 77 Sixièmement, des principes directeurs devraient être établis de telle sorte que: ?? quel que soit le promoteur ou le prestataire, l'ÉBA doit répondre à la demande et s'adapter au contexte local; ?? l'ÉBA doit être suffisamment intégrée au réseau public et privé de financement en vue de garantir sa pérennité et son développement à long terme; et ?? les clients de la Banque mondiale doivent être invités à développer des activités d'ÉBA dans une perspective d'éducation permanente qui va au-delà des connaissances et des habiletés couvertes par l'alphabétisation de base et qui incorporent des activités de développement personnel. Finalement, la Région Afrique de la Banque mondiale doit renforcer ses propres capacités tant au niveau de son personnel qu'au niveau du savoir afin de promouvoir, encourager, conseiller et appuyer l'éducation de base des adultes. 78 Références bibliographiques Abadzi, Helen (1994). What We Know about Acquisition of Adult Literacy. Is There Hope? Washington: Banque mondiale. Document de Discussion de la Banque mondiale No. 245. Archer, David et Sara Cottingham (1996). Action Research Report on REFLECT. The Experiences of Three REFLECT Pilot Projects in Uganda, Bangladesh, El Salvador. Série No. 17. London: Overseas Development Administration. Baryayebwa, Herbert et Maria Goreth Nandago (1999). Experiences of implementation of Adult Basic Education in Uganda. Document présenté lors de l'atelier BELOISYA, N'djamena, Tchad, 15-19 mars, 1999. Beder, Hal (1999). The outcomes and impacts of adult literacy education in the United States. 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